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d’agression en vertu du droit international public ? :
Deuxième partie*
Evelyne Akoto
To cite this version:
Evelyne Akoto. Les cyberattaques étatiques constituent-elles des actes d’agression en vertu du droit international public ? : Deuxième partie*. Revue de droit d’Ottawa - Ottawa Law Review, Faculty of Law, Common Law Section, University of Ottawa, 2015, 46 (2), pp.199. �hal-01244601�
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Les cyberattaques étatiques constituent-elles des actes
d’agression en vertu du droit international public ? :
Deuxième partie*
EVELYNE AKOTO**
La Charte des Nations Unies, rédigée pour faire face aux dangers qu’impliquent les conflits de forte intensité, ne semble pas, de prime abord, pouvoir répondre aux défis juridiques que présentent l’avènement et le développement fulgurant des nouvelles technologies. Les infrastructures informatiques étant devenues les points névralgiques de nos sociétés modernes, les États sont désormais vulnérables à une nouvelle menace protéiforme et sournoise : la cyberattaque étatique. En effet, si la subversion et les conflits de basse intensité étaient les méthodes privilégiées des grandes puissances pendant la Guerre froide, l’acquisition progressive de l’arme nucléaire par de plus en plus de pays a fait des cyberattaques étatiques l’outil parfait pour atteindre les mêmes objectifs d’hégémonie. À l’instar de la Guerre froide et ses conflits par pays interposés, assiste-t-on, de nouveau, à des violations insidieuses de la prohibition contre le recours à la force dans les relations internationales ?
La première partie de cette analyse, publiée dans le numéro précédent de ce volume, a abordé les enjeux posés par les cyberattaques étatiques en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales. Cette seconde partie va examiner si une cyberattaque étatique peut être qualifiée d’acte d’agression sur la base du cadre d’analyse fourni dans la Défi nition de l’agression de l’Assemblée générale des Nations Unies, celle-ci ayant connu un regain d’intérêt depuis que l’Assemblée des États Parties au Statut de la Cour pénale internationale a décidé de s’en servir comme fondement de la définition du nouveau crime d’agression.
The Charter of the United Nations, drafted to address the perils of high intensity conflicts, does not seem, at first glance, capable of answering the legal challenges raised by the rapid conception and development of new technologies. Information technology infrastruc-tures, having become the hotspots of our modern societies, have now rendered states vulnerable to a new protean and insidious threat: the state cyber-attack. Indeed, if subversion and low intensity conflicts were the chosen means of the great powers during the Cold War, the buildup of nuclear capabili-ties by more and more states has made state cyber-attacks the perfect tool to reach the same hegemonic ambitions. Just as the Cold War and its proxy conflicts, are we witnessing, once again, insidious violations of the prohibition on the use of force in international relations?
The first section of this analysis, published in the preceding issue of this volume, discussed the issues raised by state cyberattacks with regard to the main-tenance of international peace and security. This sec-ond section will examine whether a state cyberattack qualifies as an act of aggression according to the the analytical framework provided by the General Assem-bly of the United Nations’ Defi nition of Aggression, the latter having benefited from renewed interest since the Assembly of State Parties to the Statute of the International Criminal Court decided to use it as the basis of the definition of the new crime of aggression.
* Erratum : La note 124 à la page 19 de la première partie de cet article est incorrecte. Celle-ci devrait contenir cette information : Nicholas Tsagourias, « Cyber attacks, self-defence and the problem of attribution » (2012) 17:2 J Confl & Sec L 229 à la p 233.
** Dotée d’une formation en droit et en économie financière, Evelyne Akoto est chargée de cours en droit international public à la Section de droit civil de l’Université d’Ottawa. Elle s’intéresse à divers domaines d’application juridique, allant de la promotion de l’état de droit dans les États fragiles, notamment en situation post-conflit, à la protection des droits de l’homme, en passant par les règles encadrant l’usage de la force dans les relations internationales. L’auteure aimerait vivement remercier Me Fannie Lafontaine, professeure agrégée de droit à l’université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux, pour ses conseils avisés lors de la rédaction de l’essai de maîtrise ayant mené à la publication de cet article.
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Table des matières
201 I. INTRODUCTION
203 II. DU JUS AD BELLUM AU JUS CONTRA BELLUM : LA TRANSMUTATION DU DROIT RELATIF A L’EMPLOI DE LA FORCE
204 A. L’article 2(4) de la Charte, pierre angulaire du jus ad bellum contemporain
204 1. Contenu et portée de l’article 2(4)
205 2. En quoi consiste un emploi illicite de la force ?
207 3. Les exceptions au principe d’abstention au recours à l’emploi de la force : la sécurité collective et le droit à la légitime défense
207 (a) Le caractère licite des mesures coercitives du CSNU : le contenu de l’article 39 de la Charte
209 (b) L’exception la plus importante à l’article 2(4) : l’exercice du droit à la légitime défense
210 B. Des règles traditionnelles aux frontières contestées : l’agression en droit international public
210 1. Éléments de l’acte d’agression
211 (a) L’attribution d’un acte d’agression à un État
213 (b) Élément matériel : une violation prima facie de l’article 2(4) et d’une gravité suffi sante
214 (c) Élément subjectif : l’existence d’une intention hostile ou délibérée de causer des dommages
215 2. L’agression indirecte, la forme la plus fréquente d’agression, depuis 1945
217 III. ANALYSES EN PLUSIEURS TEMPS DE LA NOUVELLE NOTION DE CYBERATTAQUE ETATIQUE AU REGARD DU JUS CONTRA BELLUM
217 A. Les cyberattaques etatiques, nouvelle forme d’emploi illicite de la force ?
219 1. Approche basée sur les conséquences de l’attaque : le modèle holiste de Michael Schmitt
220 2. Approche basée sur la nature de la cible
221 B. Une cyberattaque peut-elle être étatique en droit international public ?
227 C. Les cyberattaques étatiques enfreignent-elles la définition ?
229 D. Les cyberattaques étatiques sont-elles commises dans le but de commettre des agressions ?
I. INTRODUCTION
Pendant toute la seconde moitié du 20e et jusqu’au début du 21e siècle, les États
se sont surtout affrontés par le truchement d’intermédiaires ; les cyberattaques étatiques sont devenues un nouveau mode de conflit dans ce type d’affrontements
indirects1. En dépit de la multiplication de ces offensives informatiques, le nombre
de recherches portant sur la façon dont les règles du jus ad bellum s’appliquent à
celles-ci, reste peu important2. À ce jour, la majorité de la littérature juridique
sur la qualification des cyberattaques au regard des normes internationales contre l’emploi illicite de la force, a été publiée par des auteurs américains qui reprennent,
pour la plupart, la position du gouvernement des États-Unis3 : le droit pour un
État victime d’entreprendre des actions militaires au titre de la légitime défense4
1 Samuel Liles, « Cyber Warfare: As a Form of Low-Intensity Conflict and Insurgency » dans C Czosseck et K Podins, dir, Conference on Cyber Confl ict Proceedings 2010, Tallinn (Estonie), Cooperative Cyber Defence Centre of Excellence Publications, 2010, 47 à la p 47.
2 Marco Roscini, « World Wide Warfare – Jus ad bellum and the Use of Cyber Force » (2010) 14 Max Planck YB United Nations L 85 à la p 90.
3 Voir notamment Michael N Schmitt, « Computer Network Attack and the Use of Force in Inter-national Law: Thoughts on a Normative Framework » (1999) 37:3 Colum J Transnat’l L 885 [Schmitt, « CNA and the Use of Force in IL »] ; Michael N Schmitt, « Cyber Operations and the Jus ad Bellum Revisited » (2011) 56:3 Vill L Rev 569 [Schmitt, « Cyber Ops and the Jus ad Bellum »] ; Michael N Schmitt, « International Law in Cyberspace: The Koh Speech and Tallinn Manual Juxtaposed » (2012) 54 Harv Intl LJ 13 [Schmitt, « Koh Speech and Tallinn Manual »] (Michael N Schmitt a été le chef du groupe d’experts internationaux qui a rédigé le Michael N Schmitt, dir, Tallinn Manual on the
Inter-national Law Applicable to Cyber Warfare, Cambridge (NY), Cambridge University Press, 2013 [Schmitt, Tallinn Manual]). Voir aussi Andrew C Foltz, « Stuxnet, Schmitt Analysis, and the Cyber
“Use-of-Force” Debate » (2012) 67:4 Joint Force Q 40 [Foltz] ; David E Graham, « Cyber Threats and the Law of War » (2010) 4:1 J National Security L & Policy 87 [Graham] ; Oona A Hathaway et al, « The Law of Cyber-Attack » (2012) 100 Cal L Rev 817 [Hathaway et al].
4 Harold Hongju Koh, « International Law in Cyberspace » USCYBERCOM Inter-Agency Legal Conference, présentée à Fort Meade (Md), 18 septembre 2012 [non publiée], en ligne : <www. state.gov/s/l/releases/remarks/197924.htm>. Voir par ex Ellen Nakashima, « Cyberattacks could trigger self-defense rule, U.S. official says », The Washington Post (18 septembre 2012), en ligne :
<www.washingtonpost.com/world/national-security/us-official-says-cyberattacks-can-trigger-Les cyberattaques étatiques constituent-elles des actes
d’agression en vertu du droit international public ? :
Deuxième partie
ou des représailles5, en ré ponse à des cyberattaq ues prétendument commanditées
par d’autres pays. Les analyses de ces juristes portent ainsi, en l’occurrence et en grande partie, sur la définition de critères permettant d’établir lorsqu’une cyberattaque correspond à une agression armée, ce qui pourrait ainsi donner
droit à l’exercice de la légitime défense6. Jusqu’à maintenant, aucun examen des
cyber attaques étatiques, sous l’angle de l’acte d’agression mentionné à l’article 39 de la Charte, n’a été réalisé, le seuil à atteindre pour cet acte étant généralement plus bas que celui de l’agression armée qui est l’objet de l’article 51. Pourtant, au moment de sa rédaction, l’article 51 ne reconnaît pas la nouvelle forme d’agression
qu’est l’agression indirecte7 et qui semble correspondre, comme on le verra, à la
problématiqu e des cyberattaques étatiques.
En 1974, l’Assemblée générale des Nations Unies (ci-après « AGNU ») vote
une résolution8 portant sur la définition de l’agression9 (ci-après la « Défi nition ») et
q ui englobe à la fois les notions d’agressio n directe et indirecte, la Défi nition devant servir de guide au Conseil de sécurité des Nations Unies (ci-après « CSNU ») lors
de la constatation de tels faits10. Le préambule de la Défi nition précise que celle-ci
a un but dissuasif et a la volonté de faciliter la détermination d’actes d’agression,
ainsi que la mise en œuvre de mesures préventives et d’assistance à la victime11.
Le présent article va examiner si une cyberattaque étatique peut être qualifiée d’acte d’agression sur la base des critères d’analyse fournis dans la Défi nition. Nous aspirons à déterminer un cadre de réflexion pouvant aider des décideurs comme le CSNU à énoncer des recommandations et des mesures visant à encadrer les activités des États dans le cyberespace. Bien que notre étude ne porte pas sur la question de l’applicabilité des règles existantes du droit des conflits armés aux cyberattaques
self-defense-rule/2012/09/18/c2246c1a-0202-11e2-b260-32f4a8db9b7e_story.html> ; « US looking at action against China cyber attacks », The Sydney Morning Herald (1 février 2013), en ligne : <www. smh.com.au/it-pro/security-it/us-looking-at-action-against-china-cyber-attacks-20130201 2dpgm. html>.
5 David E Sanger, « In Cyberspace, New Cold War », The New York Times (24 février 2013), en ligne : <www.nytimes.com/2013/02/25/world/asia/us-confronts-cyber-cold-war-with china. html?ref=davidesanger&_r=0>.
6 Voir par ex Lieutenant-commandant Matthew J Sklerov, « Solving the Dilemma of State Responses to Cyberattacks: A Justification for the Use of Active Defenses Against States Who Neglect Their Duty to Prevent » (2009) 201 Mil L Rev 1 ; Matthew Hoisington, « Cyberwarfare and the Use of Force Giving Rise to the Right of Self-Defense » (2009) 32:2 Boston College Intl & Comp L Rev 439 ; Sheng Li, « When Does Internet Denial Trigger the Right of Armed Self-Defense? » (2013) 38:1 Yale J Intl L 179 [Li] ; Herbert S Lin, « Offensive Cyber Operations and the Use of Force » (2010) 4:1 J of National Security L & Policy 63.
7 S M Schwebel, « Aggression, Intervention and Self-Defence in Modern International Law » (1972) 136 Rec des Cours 411 à la p 456 [Schwebel].
8 Défi nition de l’agression, Rés AG 3314 (XXIX), Doc off AG NU, 29e sess, Doc NU A/RES/29/3314
(1974) [Résolution 3314].
9 Défi nition de l’agression, Doc off AG NU, 29e sess, annexe, Doc NU A/RES/29/3314 (1974) 148
[Défi nition].
10 Résolution 3314, supra note 8 au para 4.
étatiques12, des références seront parfois faites au jus in bello, par voie d’analogies ou
de distinctions afin de préciser ou d’approfondir la portée de certains arguments. Notre approche nous apparaît opportune puisque les auteurs de l’unique livre à ce jour, abordant la question du régime juridique applicable aux activités étatiques
dans le cyberespace en temps de paix13, estiment14 que les questions de jus ad bellum
relatives aux cyberattaques ont été traitées dans le Manuel Tallinn15, seul manuel
inte rnational (à la date de rédaction de cet article en 2013) portant sur l’application du droit international humanitaire à la pro blématique des opérations menées dans le cyberespace.
La première partie de notre exposé sera d’abord consacrée à un rappel des
contours de l’interdiction contre l’emploi de la force contenue dans la Charte16 ;
le contenu et la portée de la Défi nition seront ensuite définis. La seconde partie examinera la qualification de la cyberattaque étatique au regard d e la Défi nition.
II. DU JUS AD BELLUM AU JUS CONTRA BELLUM :
LA TRANSMUTATION DU DROIT RELATIF À L’EMPLOI DE LA FORCE Si, par sa condamnation non équivoque du recours à la gue rre, le Traité
Briand-Kellogg17 marque, selon certains auteurs, le passage du jus ad bellum au jus contra
bellum (droit contre la guerre)18, l’article 2(4) de la Charte est l’élément principal du
nouveau système normatif du recours à la force19. Il permet notamment d’entériner
les buts des Nations Unies20 décrits dans l’article 1(1) de la Charte21. Désormais, la
prohibition de la menace ou de l’emploi de la force est explicitement codifiée dans
un traité international qui en fait une obligation erga omnes22.
12 Voir par ex Heather Harrison Dinniss, Cyber Warfare and the Laws of War, New York, Cambridge Uni-versity Press, 2012 ; Hitoshi Nasu et Robert McLaughlin, dir, New Technologies and the Law of Armed
Confl ict, La Haye (Pays-Bas), TMC Asser Press, 2014.
13 Katharina Ziolkowski, dir, Peacetime Regime for State Activities in Cyberspace: International Law, International
Relations and Diplomacy, Tallinn (Estonie), NATO Cooperative Cyber Defence Centre of Excellence
Publication, 2013 [Ziolkowski, Peacetime Regime]. 14 Ibid à la p XIII.
15 Schmitt, Tallinn Manual, supra note 3.
16 Charte des Nations Unies, 26 juin 1945, RT Can 1945 n° 7, art 2(4) [Charte].
17 Traité général de renonciation à la guerre comme instrument de politique nationale, 27 août 1928, 94 RTSN
57, préambule, art 1 (entrée en vigueur : 25 juillet 1929).
18 Yoram Dinstein, War, Aggression and Self-Defence, New York, Cambridge University Press, 2005 à la p 83 [Dinstein, War].
19 Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c Ouganda), [2005]
CIJ rec 168 au para 148 [Activités armées]. 20 Schwebel, supra note 7 à la p 449.
21 Charte, supra note 16, art 1(1). Voir Katharina Ziolkowski, « General Principles of International
Law as Applicable in Cyberspace » dans Ziolkowski, Peacetime Regime, supra note 13, 135 à la p 171 [Ziolkowski, « General Principles of IL »].
22 Charte, supra note 16, art 2(6). Voir par ex Conséquences juridiques de l’édifi cation d’un mur dans le territoire palestinien occupé, Avis consultatif, [2004] CIJ rec 136 au para 88 [Édifi cation d’un mur]. Contra Dinstein, War, supra note 18 aux pp 91–92.
A. L’articl e 2(4) de la Charte, pierre angulaire du jus ad bellum contemporain L’article 2(4) dispose que :
[l]es Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations
i nternationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute
autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies [nos italiques]23.
La prohibition contre la menace ou l’emploi de la force est une norme internationale
coutumière24 et conventionnelle de jus cogens25. En vertu de l’article 103 de la Charte,
l’interdiction contenue dans l’article 2(4) a préséance sur tout autre engagement
international pris par un Éta t membre des Nations Unies26. La rè gle est complétée
par le principe coutumier de non-intervention27. Bien que d’apparence simple dans
ses dispositions, l’article 2(4) a fait l’objet de nombreuses discussions quant à son contenu et à sa portée.
1. Contenu et portée de l’article 2(4)
L’un des plus grands débats relatifs à l’interprétation de l’article 2(4) est celui traitant du type de force interdit : s’agit-il exclusivement de la force militaire ou la prohibition
concerne-t-elle aussi des moyens de contrainte économique, politique ou idéologique28 ?
Se basant sur les travaux préparatoires de la Conférence de San Francisco, la plupart des ouvrages doctrinaux sur l’emploi de la force dans les relations internationales,
énoncent que c’est la force militaire qui est visée par la prohibition de l’article 2(4)29.
23 Charte, supra note 16, art 2(4).
24 Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c États-Unis d’Amérique),
[1986] CIJ rec 14 aux para 189–90, 292 [Nicaragua] ; Édifi cation d’un mur, supra note 22 au para 87. 25 Voir notamment Nicaragua, supra note 24 au para 190, citant « Projet d’articles sur le droit des
trai-tés et commentaires » (Doc NU A/CN.4/SER.A/1966/Add.1) dans Annuaire de la Commission du
droit international 1966, vol 2, partie 2, New York, NU, 1967 aux pp 269–70 [« Projet d’articles »
dans Annuaire] (au paragraphe 1 du commentaire de l’article 50) ; Déclaration sur le renforcement
de l’effi cacité du principe de l’abstention du recours à la menace ou à l’emploi de la force dans les relations internationales, Rés AG 42/22, Doc off AG NU, 42e sess, Doc NU A/42/766 (1987) 301 au para 2
[Résolution 42/22].
26 Oscar Schachter, « In Defense of International Rules on the Use of Force » (1986) 53 U Chicago L Rev 113 à la p 129.
27 Nicaragua, supra note 24 au para 209.
28 Olivier Corten, The Law Against War: The Prohibition on the Use of Force in Contemporary International
Law, Portland (Or), Hart Publishing, 2010 à la p 50 ; Dinstein, War, supra note 18 à la p 86.
29 Albrecht Randelzhofer, « Article 2(4) » dans Bruno Simma, dir, The Charter of the United Nations:
A Commentary, vol 1, 2e éd, New York, Oxford University Press, 2002 [Simma], 112 au para 16
[Randelzhofer, « Article 2(4) »] ; Tom Ruys, “Armed Attack” and Article 51 of the UN Charter: Evolutions
in Customary Law and Practice, New York, Cambridge University Press, 2010 à la p 54 [Ruys] ; Dinstein, War, supra note 18 à la p 86.
La Résolution 262530 et la Résolution 42/2231 de l’AGNU ont aussi été utilisées afin
d’interpréter l’article 2(4) de la Charte32. Ces textes, qui ont permis de déterminer
l’existence d’une opinio juris quant au caractère coutumier33 e t impératif 34 de la
prohibition de l’emploi de la force dans les relations internationales, appuient l’idée selon laquelle l’article 2(4) ne parle que de la contrainte sous forme de force armée tandis que le principe de non-intervention s’applique aux autres formes de
coercition35. L’article 2(4) interdit le recours à la force dans n’importe quel espace
possible de conflits : la terre, l’air, la mer, l’espace36 et, désormais, le cyberespace37.
Il ne vise pas seulement l’intégrité territoriale ou l’in dépendance politique d’un État, mais comprend tous les emplois de la force qui sont « de toute autre manière
incompatible avec les buts des Nations Unies » [nos italiq ues et notre traduction]38. Cette
dernière mention montre que l’article 2(4) cible tous les usages de la force, peu
importe leur impact ou leur gravité39 et porte aussi sur des actions inédites comme
les cyberattaques étatiques40.
2. En quoi consiste un emploi illicit e de la force ?
Toute intervention illicite dans les affaires d’un autre État et accompagnée d’un moyen de contrainte qui est la force constitue une violation de l’interdiction
du recours à la force dans les relations internationales41. « Le principe de
non-30 Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies, Rés AG 2625, Doc off AGNU, 25e sess, Doc NU
A/8082 (1970) [Résolution 2625].
31 Nicaragua, supra note 24 au para 190, citant « Projet d’articles » dans Annuaire, supra note 25 aux
pp 269–70.
32 Tandis que l’article 2(4) s’adresse aux membres des Nations Unies, les premiers paragraphes de la Résolution 2625 et la Résolution 42/22 dont les dispositions sont identiques indiquent que « [t]out
État » a le devoir de s’abstenir, dans ses relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi
de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies [nos italiques] (voir Résolution 2625, supra note 30 au para 1 ; Résolution 42/22, supra note 25 au para 1).
33 Nicaragua, supra note 24 au para 188.
34 Résolution 42/22, supra note 25 au para 2.
35 Nicaragua, supra note 24 au para 191. Voir notamment Randelzhofer, « Article 2(4) », supra note 29 au
para 19. Contra Gaetano Arangio-Ruiz, « The Normative Role of the General Assembly of the United Nations and the Declaration of Principles of Friendly Relations » (1972) 137:3 Rec des Cours 419 aux para 99–100 [Arangio-Ruiz].
36 Arangio-Ruiz, supra note 35 au para 57.
37 Schmitt, Tallinn Manual, supra note 3 à la p 42 (voir la règle 10). Voir aussi Walter Gary Sharp,
Cyber-Space and the Use of Force, Falls Church (Va), Aegis Research Corporation, 1999 à la p 102 [Sharp] ;
Schmitt, « Koh Speech and Tallinn Manual », supra note 3 à la p 19.
38 Stuart Ford, « Legal Processes of Change: Article 2(4) and the Vienna Convention on the Law of Treaties » (1999) 4:1 J Confl & Sec L 75 aux pp 78–79 [Ford] ; Charte, supra note 16, art 2(4). 39 Ruys, supra note 29 à la p 55.
40 Voir notamment Ziolkowski, « General Principles of IL », supra note 21 aux pp 143–44, 172–75 ; Schmitt, Tallinn Manual, supra note 3 aux pp 42–53.
intervention se réfère à l’obligation internationale qu’a l’État de ne pas intervenir physiquement et matériellement, par ses forces armées ou des agents publics, sur
le territoire d’un autre État sans l’accord de ce derni er »42. Par contre, « le simple
envoi de fonds [aux forces rebelles d’un autre pays], s’il constitue à coup sûr un acte d’intervention dans les affaires intérieures [de celui-ci], […] ne représente pas en
lui-même un emploi de la force »43.
L’emploi illicite de la force peut revêtir des « formes […] plus graves […] (celles qui constituent une agression armée) et d’autres modalités moins
brutales »44 dont l’organisation, l’encouragement, l’assistance, la participation ou
la tolérance d’actes subversifs ou terroristes sur le territoire d’un autre État ou du
sien45. Tandis que le libellé de l’article 2(4) de la Charte ne fait aucune distinction
entre des emplois direct et indirect de la force46, la Cour internationale de Justice
(ci-après « CIJ ») en établit une :
Cet élément de contrainte, constitutif de l’intervention prohibée et formant son essence même, est particulièrement évident dans le cas d’une intervention utilisant la force, soit sous la forme directe d’une action militaire, soit sous celle, indirecte, du soutien à des activités armées subversives ou terroristes à l’intérieur d’un autre Etat [nos italiques]47.
L’emploi indirect de la force fait référence à la participation d’un État A à un emploi illicite de la force par un État B contre un État tiers ou son implication financière
42 France, Ministère de la défense, Un mutant juridique : l’agression internationale, n° 7 Institut Recherche Stratégique École Militaire, 2011 (par Jean-Paul Pancracio et Emmanuel-Marie Peton) [Pancracio et Peton] (le principe de non-intervention ne doit pas être confondu avec le principe de non-ingérence. Celui-ci « fait référence à l’obligation de ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures d’un autre État pour tenter d’en changer le cours. L’ingérence prend le plus souvent la forme de déclarations publiques ou de manipulation d’opposants » à la p 24, n 18).
43 Nicaragua, supra note 24 au para 228. Ainsi tout emploi de la force est une intervention, mais toute
intervention ne viole pas l’article 2(4) : il faut que la contrainte employée par un État à l’encontre d’un autre pays comporte de la force pour que l’on parle de recours illicite à la force.
44 Nicaragua, supra note 24 au para 191 ; Affaire des Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c États-Unis d’Amérique), [2003] CIJ rec 161 au para 51 [Plates-formes pétrolières].
45 Nicaragua, supra note 24 au para 191.
46 Schwebel, supra note 7 à la p 458.
47 Nicaragua, supra note 24 au para 205. La Cour parvient à une telle conclusion en se fondant sur la Résolution 2625, supra note 30 à la p 133 qui exprime, selon elle, le droit international coutumier
en matière de force indirecte (Activités armées, supra note 19 aux para 162, 300). Voir aussi Résolution
42/22, supra note 25 au para 6 ; Affaire du Détroit de Corfou, [1949] CIJ rec 4 [Affaire du Détroit de Corfou]
(la CIJ élargit, pour la première fois, la portée du concept de non-intervention. Dorénavant, l’inter-vention ne se résume plus à une simple ingérence dans les affaires domestiques d’un État mais ne peut être désormais envisagée que « comme la manifestation d’une politique de force […] qui ne saurait […] trouver aucune place dans le droit international » [nos italiques] à la p 35). Voir par ex Michael Waibel, « Corfu Channel Case » dans Max Planck Encyclopedia of Public International Law, par Rüdiger Wolfrum (Oxford University Press, 2009) au para 22.
dans un recours à la force effectué par des groupes armés organisés selon une
structure militaire48. Il peut aussi s’agir d’un soutien étatique à des acteurs privés
qui décident de faire usage de force de leur propre chef49.
La prohibition contenue dans l’article 2(4) « ne s’occupe ni des raisons
matérielles de ce recours à la force, ni de l’existence d’une cause juste »50. Si l’aspect
coutumier de la prohibition contre le recours à la force est « non conditionné par
les dispositions [de la Charte] relatives à la sécurité collective »51, son volet
conven-tionnel souffre quelques exceptions52 que sont les articles 39 et 51 de la Charte.
3. Les exceptions au principe d’abstention au recours à l’empl oi de la force : la sécurité
collective et le droit à la légitime défense53
La première dérogation est la possibilité pour le CSNU de recourir à la force par application de l’article 39 et d’« entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement
de la paix et de la sécurité internationales »54, au titre du chapitre VII. La seconde
instance d’emploi licite de la force dans les relations internationales est le droit à la
légitime défense prévu à l’article 51 de la Charte55.
(a) Le caractère licite des mesures coercitives du CSNU : le contenu de
l’article 39 de la Charte
L’article 39 autorise le CSNU à faire « des recommandations ou décide[r] quelles mesures seront prises conformément aux [a]rticles 41 et 42 pour maintenir ou
rétablir la paix et la sécurité internationales »56 si celui-ci « constate l’existence
d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression »57.
La détermination d’un acte d’agression est un prérequis à l’exercice par le CSNU
48 Nicaragua, supra note 24 au para 195.
49 Nicaragua, supra note 24 aux para 115, 195, 247 (par conséquent, l’État peut voir sa responsabilité
internationale engagée pour son assistance, mais non pour l’usage de la force en soi-même). 50 Hans Wehberg, « L’interdiction du recours à la force. Le principe et les problèmes qui se posent »
(1951) 78:1 Rec des Cours 1 à la p 64 [Wehberg]. Résolution 42/22, supra note 25 au para 3. 51 Nicaragua, supra note 24 au para 188.
52 Ibid au para 193.
53 Bien que le texte de la Charte prévoie trois exceptions à l’article 2(4), la doctrine n’en reconnaît plus que deux, la dernière étant devenue obsolète. Voir généralement Dinstein, War, supra note 18 à la p 88 ; Wehberg, supra note 50 à la p 67 (il s’agit des « mesures de contrainte autorisées, par les art.107 et 53[,] al. 1, contre les États ex-ennemis [des signataires de la Charte] ». Exception aujourd’hui caduque qui prévoyait que toute action pouvait être entreprise contre tout État souhaitant poursuivre la Seconde Guerre mondiale).
54 Charte, supra note 16, art 42.
55 Ibid, art 51.
56 Ibid, art 39.
de ses prérogatives en vertu de l’article 39. Tout comme dans le cas de l’article 2(4) où toute définition du mot « force » est absente de la Charte, il n’est nullement indiqué dans le texte conventionnel ce que l’on entend par une « agression ». Selon l’article 39, seul le CSNU peut décider si l’article 2(4) a été violé. La qualification
d’une situation par le CSNU est une évaluation politique et non juridique58. Le
CSNU dispose d’une discrétion totale59 et apparemment illimitée60 dans la
constatation d’une situation d’agression61. La discrétion dont dispose le CSNU en
vertu de l’article 39 s’illustre par sa pratique. En effet, dans les faits, le CSNU a
qualifié très peu de situations d’emplois unilatéraux de la force d’« agression »62
tandis que l’article 39 n’était mentionné que dans quelques résolutions63. Une fois
la q ualification d’une situation faite, le CSNU ne pourra qu’autoriser64, et non pas
contraindre, les États à recourir à la force armée pour mettre fin à « une menace
contre la paix, [u]ne rupture de la paix ou [u]n acte d’agression »65 que lorsque
les mesures non coercitives de l’article 41 n’auront pas été effectives66. Tandis que
l’article 39 de la Charte accorde les pleins pouvoirs en matière de coercition au CSNU en cas d’« acte d’agression », l’article 51 subordonne le recours à la force au
concept plus restrictif d’« agression armée »67.
58 Jochen Abr Frowein et Nico Krisch, « Article 39 » dans Simma, supra note 29, 717 au para 15 [Frowein et Krisch]. Voir aussi Nicaragua, supra note 24 au para 95.
59 Voir notamment Frowein et Krisch, supra note 58 au para 3 ; Pierre d’Argent et al, « Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression : Article 39 » dans Jean Pierre Cot et Alain Pellet, dir, La Charte des Nations Unies : Commentaire article par article vol 1, 3e éd, Paris,
Economica, 2005 [Cot et Pellet], 1131 à la p 1142 [d’Argent et al].
60 Voir notamment d’Argent et al, supra note 59 à la p 1141 ; Frowein et Krisch, supra note 58 au para 5. 61 Frowein et Krisch, supra note 58 au para 3.
62 Résolution 387 (1976), Rés CS 387, Doc off CS NU, 1976, 10 ; Résolution 405 (1977), Rés CS 405,
Doc off CS NU, 1977, 19 ; Résolution 411 (1977), Rés CS 411, Doc off CS NU, 1977, 10 ; Résolution
447 (1979), Rés CS 447, Doc off CS NU, 1979, 17 ; Résolution 454 (1979), Rés CS 454, Doc off CS
NU, 1979, 18 ; Résolution 475 (1980), Rés CS 475, Doc off CS NU 1980, 23 ; Résolution 567(1985), Rés CS 567, Doc off CS NU 1985, 16 ; Résolution 571 (1985), Rés CS 571, Doc off CS NU 1985, 17 ; Résolution 573 (1985), Rés CS 573, Doc off CS NU 1985, 24 ; et Résolution 577 (1985), Rés CS 577, Doc off CS NU 1985, 19 telles que citées dans d’Argent et al, supra note 59 à la p 1149, n 4. Voir aussi Résolution 611 (1988), Rés CS 611, Doc off CS NU 1988, 16 (« agression » au para 1) et Agression armée israélienne contre les installations nucléaires iraquiennes et ses graves conséquences pour
le système international établi en ce qui concerne les utilisations pacifi ques de l’énergie nucléaire, la non-prolifération des armes nucléaires et la paix et la sécurité internationales, Rés AG 36/27, Doc off AG NU,
36e sess, (1981), 20 (« agression préméditée » au para 1) telles que citées dans Pancracio et Peton,
supra note 42 à la p 28.
63 Résolution 54 (1948), Rés CS 54, Doc off CS NU 1948, 22 ; Résolution 232 (1966), Rés CS 232, Doc
off CS NU 1966, 7 ; Résolution 598 (1987), Rés CS 598, Doc off CS NU 1987, 6 ; et Résolution 660
(1990), Rés CS 660, Doc off CS NU 1990, 21 telles que citées dans d’Argent et al, supra note 59 à la
p 1134, n 3.
64 Charte, supra note 16, art 42.
65 Ibid, art 39.
66 Ibid, art 42.
(b) L’exception la plus importante à l’article 2(4) : l’exercice du droit à la
légitime défense68
Le recours à la force est permis en tant que réponse à une « agression armée »69, sous
réserve que le CSNU ait été immédiatement informé de l’action armée défensive
entreprise70. Bien que non définie dans la Charte71, « [l’]accord paraît aujourd’hui
général sur la nature des actes pouvant être considérés comme constitutifs d’une
agression armée »72. Il existe deux éléments importants à une agression armée73 :
une violation de l’intégrité territoriale ou souveraine d’un autre État et l’emploi de moyens militaires ou paramilitaires d’où l’emploi de l’adjectif « armé ».
La notion d’« agression armée » de l’article 51 est beaucoup plus restreinte
que cell e d’« agression » de l’article 3974. Un acte d’agression armée est une
agression, mais la proposition inverse n’est pas toujours vraie. De façon similaire,
tout emploi unilatéral illicite de la force n’est pas une agression armée75 bien que
toute agression armée constitue une violation de l’article 2(4). Les différences entre les versions française et anglaise de l’article 51, qui parlent respectivement d’« agression armée » et d’« armed attack » au lieu d’« armed agression », mettent en relief le compromis décidé par les auteurs de la Charte à la conférence de
San Francisco76. En effet, le terme « armed attack » a été préféré dans la version
anglaise afin de passer outre l’absence de consensus, au moment de la rédaction de la
Charte, sur la définition du mot « agression »77. De même que pour l’article 2(4)78,
les travaux de l’AGNU vont essayer de combler les carences de la Charte sur le plan de la définition.
68 Randelzhofer, « Article 2(4) », supra note 29 au para 48.
69 Nicaragua, supra note 24 au para 195 ; Ruys, supra note 29 aux pp 57–58.
70 Activités armées, supra note 19 au para 145 ; Ruys, supra note 29 à la p 59. Pour plus de détails sur les
conditions d’exercice du droit à la légitime défense, voir Charte, supra note 16, art 51 ; Nicaragua,
supra note 24 aux para 176,195, 211, 249 ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, Avis
consultatif, [1996] CIJ rec 226 au para 41 [Menace ou emploi d’armes nucléaires] ; Plates formes pétrolières,
supra note 44 aux para 51, 77 ; Édifi cation d’un mur, supra note 22 au para 139 ; Activités armées, supra
note 19 au para 146. Voir aussi Christopher Greenwood, « Self-Defence » dans Max Planck Encyclopedia
of Public International Law, par Rüdiger Wolfrum (Oxford University Press, 2011) aux para 8, 27–28 ;
Ruys, supra note 29 aux pp 59, 138 ; Antonio Cassese, « Article 51 » dans Cot et Pellet, supra note 59, 1329 [Cassese, « Article 51 »]).
71 Nicaragua, supra note 24 au para 176.
72 Ibid au para 195.
73 Jörg Kammerhofer, « Uncertainties of the law on self-defence in the United Nations Charter » (2004) 35 Nethl YB Intl L 143 à la p 160.
74 Albrecht Randelzhofer, « Article 51 » dans Simma, supra note 29, 788 au para 17.
75 Ibid aux para 4, 20. Voir notamment Nicaragua, supra note 24 au para 101 ; Plates-formes pétrolières, supra
note 44 au para 51. 76 Ruys, supra note 29 à la p 129. 77 Ibid.
B. Des règles traditionnelles aux frontières contestées : l’agression en droit inter-national public
L’agression est le « fait internationalement illicite constitué par l’usage de la violence
armée contre un autre État » [emphase omise]79 et qui n’est pas justifié par la légitime
défense ou aucun autre moyen de défense reconnu en droit international80. La
condamnation de l’agression est un élément important des relations internationales
depuis le début du vingtième siècle, comme en témoignent le Pacte de la SDN81 et
le Statut du Tribunal militaire de Nuremberg82, sans oublier le nouvel article 8 bis du
Statut de Rome83. En 1974, faisant écho à la version française de l’article 51 de la
Charte qui parle d’« agression armée » et non d’« attaque armée »84, l’AGNU
éla-bore une Défi nition de l’agression, annexée à la Résolution 3314 (XXIV)85.
1. Éléments de l’acte d’agression
Lors des travaux du Comité spécial sur la Défi nition, la plupart des délégués sont tous d’accord pour reconnaître une progression en matière de gravité entre les mots « force », « agression » et « agression armée » employés respectivement aux
articles 2(4), 39 et 51 de la Charte86. A fin de trouver un compromis, il a été convenu
que le term e « agression » contenu dans la Défi nition a le même sens que celui visé
par l’article 39 de la Charte87.
Introduite comme un outil interprétatif deva nt guider le CSNU88 lors de
l’exercice de ses attributions politiques89, la Défi nition n’a pas de force juridique
obligatoire. Le CSNU a très rarement constaté des actes d’agression (voir point
I.A.3.a) ci-dessus) et, quand il l’a fait, il n’a pas mentionné la Défi nition90. Cette
79 Pancracio et Peton, supra note 42 à la p 13.
80 Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, Doc off AG NU, 56esess, annexe, point 162,
Doc NU A/RES/56/83 (2002) 1, c V [Responsabilité de l’État].
81 Pacte de la Société des Nations, 28 juin 1919, 2 UKTS 7, art 10 (entrée en vigueur : 10 janvier 1920).
82 Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l’Axe,
8 août 1945, 82 RTNU 279 art 6(a), (entrée en vigueur : 8 août 1945). Voir aussi Affaire de la Barcelona
Traction, Light and Power Company, Limited, [1970] CIJ rec 3 au para 34 [Barcelona Traction].
83 Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 17 juillet 1998, Doc NU A/CONF.183/9 (entré en
vigueur : 1 juillet 2002) [Statut de Rome] (« [a]dopté […] par la Conférence diplomatique de pléni-potentiaires des Nations-Unies sur la création d’une cour criminelle internationale » à la p 1). 84 Lieutenant Matthew J Sklerov, Solving the Dilemma of State Responses to Cyberattacks: A Justifi cation for the
Use of Active Defenses Against States Who Neglect Their Duty to Prevent, thèse de maîtrise en droit militaire,
Judge Advocate General’s School, United States Army, 2009 [non publiée] à la p 64 [Sklerov]. 85 Défi nition, supra note 9.
86 Ruys, supra note 29 aux pp 134, 140, 151 ; Wehberg, supra note 50 à la p 64. Voir aussi Nils Melzer, « Cyberwarfare and International Law », en ligne : (2011) United Nations Institute for Disarmament Research Resources à la p 11 <www.unidir.org/publications/emerging-security-threats> [Melzer]. 87 Défi nition, supra note 9, préambule au para 2. Voir aussi Ruys, supra note 29 aux pp 136–37.
88 Résolution 3314, supra note 8, préambule, para 4.
89 Frowein et Krisch, supra note 58 au para 15. En accord avec d’Argent et al, supra note 59 à la p 1149. 90 Ruys, supra note 29 à la p 137. Voir aussi Mary Ellen O’Connell et Mirakmal Niyazmatov, « What is Aggres-sion? Comparing the Jus ad Bellum and the ICC Statute » (2012) 10:1 J Int’l Criminal Justice 189 à la p 195.
quasi mise au rebut de la Défi nition par le CSNU peut s’expliquer par le caractère politique du CSNU et non par d’éventuelles insuffisances normatives de celle-ci. Selon la Défi nition, pour qu’un acte hostile soit considéré comme étant un acte
d’agression, il doit avoir été commis par un État91, constituer un emploi de la force
armée92 et être « d’une gravité suffisante »93, évaluée a posteriori par le CSNU94.
(a) L’attribution d’un acte d’agression à un État
Conformément à l’article 1 de la Défi nition, tout acte d’agression et donc violation
de l’article 2(4) de la Charte95 doit être être attribuable à un État, l’imputabilité se
faisant en vertu des règles juridiques de la responsabilité étatique internationale96. La
responsabilité internationale d’un État peut être mise en cause lorsque celui-ci est
l’auteur d’un fait internationalement illicite97 commis par l’un de ses organes98 (sous
réserve qu’aucune circonstance excluant l’illégalité d’un comportement non conforme
aux obligations internationales d’un État ne puisse être soulevée99). Il existe toutefois
des exceptions à ce principe de base100 qui permettent d’attribuer à un État des actes
commis par des organes non étatiques, notamment en raison du contrôle exercé
par l’État sur les auteurs des faits visés101, d’instructions ou de directives données
par des organes de l’État aux acteurs non étatiques102 ou de la reconnaissance et
de l’adoption subséquentes des actes concernés par l’État103. La CIJ a déterminé,
dans Nicaragua, le degré de contrôle que doit exercer un État sur des personnes ou
des entités privées104 afin que le comportement de ces dernières lui soit imputé105.
91 Défi nition, supra note 9, art 1.
92 Ibid.
93 Ibid, art 2.
94 Ibid, art 2, 4.
95 Ibid, art 2.
96 Voir notamment Responsabilité de l’État, supra note 80, c II. 97 Ibid, art 1.
98 Ibid, art 4(1)–(2). Selon la CIJ, il s’agit d’une norme coutumière internationale (voir Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, Avis consultatif,
[1999] CIJ rec 62 au para 62). Voir par ex Sharp, supra note 37 à la p 82 (l’article 2(4) ne vise pas uniquement l’emploi de la force par les forces armées d’un État mais aussi celui entrepris par tous les agents et les organes d’un État).
99 Responsabilité de l’État, supra note 80, c V.
100 Ibid, art 8–9, 11.
101 « Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite : Commentaire général » dans Annuaire
de la Commission du droit international, vol 2, partie 2, New York, NU, 2001 à la p 31 (Doc NU A/
CN.4/SER.A/2001/Add.1 (Part 2)) aux pp 49–51 [« Responsabilité et commentaire » dans CDI]. 102 Ibid.
103 Responsabilité de l’État, supra note 80, art 11.
104 La Cour distingue deux types de groupes de personnes n’ayant pas le statut officiel d’organes de l’État, mais pouvant être tout de même considérés comme agissant au nom d’un État. Dans le cas des bandes d’individus qui dépendent d’un point de vue logistique et financier d’un État étranger et qui se conduisent conformément aux instructions d’organes dudit État, le comportement des acteurs privés est imputable à l’État (voir Nicaragua, supra note 24 aux para 80, 86).
En présence de groupes qui bien que tributaires d’un État étranger d’un point de
vue financier, en sont tout de même indépendants106, la CIJ propose l’application
du test du contrôle effectif107. Ce test exige une dépendance complète et absolue
des auteurs du comportement international décrié vis-à-vis de l’État auquel on
cherche à imputer le fait allégué108. L e lien de dépendance peut être démontré de
deux façons109 : selon que les actes allégués sont effectués pour donner suite à des
instructions précises de l’État110 ; ou en l’absence d’éléments permettant d’établir
l’imputabilité directement111, l’on dénote une implication étatique substantielle
106 Ibid au para 116. Selon le Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées
responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex Yougoslavie depuis 1991 (ci après « TPIY »), la CIJ « s’est ensuite demandée si la responsabilité des États Unis pouvait être engagée “de façon moins directe” (pour emprunter sa formulation). Elle s’est donc proposée de déterminer si d’autres individus, appelés contras, ont agi de manière telle et ont entretenu des liens si étroits avec les États-Unis que leurs actes pouvaient être juridiquement imputés à cet État, alors même qu’ils n’avaient pas formellement la qualité d’agents de cet État » (voir Le procureur c Dusko Tadic/
, IT 94-1-A, Arrêt (15 juillet 1999) au para 108 (Tribunal pénal interna-tional pour l’ex-Yougoslavie, Chambre d’appel) [Tadic/
]).
107 Nicaragua, supra note 24 aux para 109–116. Le TPIY a remis en question la pertinence de ce test en
responsabilité internationale puisqu’il semble donner la possibilité aux États d’embaucher des groupes d’individus afin qu’ils mènent des activités clandestines sur le territoire d’autres États sans que leur responsabilité ne puisse être mise en jeu ou du moins qu’ils peuvent recourir à la stratégie du déni plausible (voir Tadic/, supra note 106 aux para 116 et s). Selon le TPIY, lorsqu’il s’agit de groupes
d’individus qui ne sont pas organisés selon une structure militaire, le test du contrôle effectif est utile et il faut que les individus aient agi sur la base d’instructions spécifiques (voir Tadic/, supra note 106 aux
para 118–20). Dans le cas de groupes d’individus organisés et ayant une structure hiérarchique, le TPIY propose le test du contrôle global, notamment si l’État en question a joué un rôle dans la mise en place du groupe : il n’est nul besoin dans ce cas d’instructions spécifiques (voir Tadic/
, supra note 106 aux para 131, 137, 145). En 2007, la CIJ a eu l’opportunité de revenir sur les conclusions de la TPIY et a réaffirmé la primauté de son test du « contrôle effectif » en matière de responsabilité internatio-nale, jugeant le test du « contrôle global » énoncé par le TPIY comme étant trop large, en plus d’avoir été énoncé afin de déterminer la caractère international ou national d’un conflit armé. Affaire relative
à l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c Serbie-et-Monténégro), [2007] CIJ rec 43 aux para 403–04, 406 [Application de Convention génocide]. Voir
aussi Schmitt, Tallinn Manual, supra note 3 à la p 33 (s’appuyant sur les conclusions de la CIJ, les experts du Manuel Tallinn optent pour le test du contrôle effectif, voir le commentaire 11 de la règle 6). 108 Il faut que l’ensemble des opérations lancées, à chaque étape du conflit, obéisse à une stratégie et à des
tactiques élaborées dans leur entièreté par l’État suspecté (voir notamment Nicaragua, supra note 24 aux para 106, 115). Voir aussi Ruys, supra note 29 à la p 414 (« [l]es individus doivent être des agents de l’État sauf de nom » [notre traduction]) ; Nicaragua, supra note 24 au para 109).
109 Ruys, supra note 29 à la p 408 ; Schmitt, « Cyber Ops and the Jus ad Bellum », supra note 3 aux pp 578– 80. Voir aussi Antonio Cassese, « The Nicaragua and Tadic/ Tests Revisited in Light of the ICJ Judgment on Genocide in Bosnia » (2007) 18:4 Eur J Intl L 649.
110 Tadic/
, supra note 106, aux para 118–19, 141. Voir aussi Nicaragua, supra note 24 au para 195 ; Affaire
relative au personnel diplomatique et consulaire des É tats-Unis à Té hé ran (É tats-Unis d’Amé rique c Iran), [1980]
CIJ 3 au para 58 [Personnel diplomatique et consulaire].
111 Application de Convention génocide, supra note 107 au para 209 (bien que le droit international ne
définisse pas de norme particuliè re de preuve en matiè re d’emploi illicite de la force, la CIJ estime « que les allé gations formulé es contre un Etat qui comprennent des accusations d’une exceptionnelle gravité doivent ê tre prouvé es par des é lé ments ayant pleine force probante »). Voir Affaire du Détroit
de Corfou, supra note 47 à la p 17 (on ne peut pas utiliser des preuves circonstancielles pour prouver
la collusion d’un É tat avec un autre lors de la commission d’un fait internationalement illicite). Voir aussi Mary Ellen O’Connell, « Rules of Evidence for the Use of Force in International Law’s New Era » (2006) 100 American Society Intl L Proceedings 44.
dans la commission de l’acte d’agression décrié112. Il existe un troisième mécanisme
d’imputabilité des actions d’agents privés, défini par l’article 11 du Projet d’articles et qui permet d’imputer à un État, un acte qui ne lui ét ait pas attribuable au moment
de sa commission, mais qu’il a reconnu et adopté comme sien par la suite113.
Toute-fois, l’attribution rétroactive de la responsabilité ne produit des effets juridiques qu’à compter du moment où la reconnaissance et l’adoption subséquentes ont été
expri mées de façon non équivoque et inconditionnelle114. Tandis qu’en général, la
quali fication d’une situation par le CSNU en vertu de l’ article 39 n’emporte pas la
responsabilité internationale de l’État reconnu comme agresseur115, l’article 5(2) de la
Défi nition prévoit que « [l]’agression donne lieu à [la] responsabilité internationale »116.
(b) Élément matériel : une violation prima facie de l’article 2(4) et d’une
gravité suffi sante
L’actus reus de l’acte d’agression est décrit à l’article 1 de la Défi nition qui reprend
l’essence de l’article 2(4) de la Charte à quelques différences près117. En effet, il est
clairement exprimé dans la Défi nition que c’est l’emploi illicite de la force armée
qui est condamné118, tandis que la menace de la force est exclue de la Défi nition119.
La force ne doit pas seulement être employée contre l’intégrité territoriale et
l’indépendance politique d’un « autre État »120, mais aussi contre la souveraineté
112 Défi nition, supra note 9, art 3(g) ; Nicaragua, supra note 24 au para 195.
113 Responsabilité de l’État, supra note 80, art 11. Voir notamment « Responsabilité et commentaire » dans CDI, supra note 101 à la p 56 (commentaires 6 et 9 de l’article 11). Voir aussi Personnel diplomatique et consulaire, supra
note 110 aux para 61, 66–68 ; Schmitt, Tallinn Manual, supra note 3 aux pp 45–46 (commentaire 1 de l’art 11). 114 « Responsabilité et commentaire » dans CDI, supra note 101 à la p 55 (commentaire 4 de l’art 11). 115 d’Argent et al, supra note 59 aux pp 1137, 1139.
116 Défi nition, supra note 9, art 5(2). Voir aussi Barcelona Traction, supra note 82. Il est important de souligner
la distinction faite dans la Défi nition entre l’acte et la guerre d’agression. L’acte d’agression met en jeu la responsabilité étatique internationale (voir Bengt Broms, « The Definition of Aggression » (1977) 154:1 Rec des Cours 299 à la p 356 [Broms]). Quant à la guerre d’agression, elle emporte la responsabilité pénale individuelle des auteurs tel que le prévoit le statut de la CPI (voir Yoram Dinstein, « Aggression » dans Max Planck Encyclopedia of Public International Law, par Rüdiger Wolfrum (Oxford University Press, 2009) au para 13 [Dinstein, « Aggression »]). Voir toutefois Pancracio et Peton, supra note 42 aux pp 22–23 (concernant la Défi nition les auteurs parlent d’une criminalisation non juridique mais morale de la guerre d’agression qui sera quand même reprise dans le statut de la CPI, puis à la conférence de Kampala). Comparer Statut de Rome, supra note 83, art 8(1) (une guerre d’agression n’est pas nécessaire pour engager la responsabilité pénale internationale individuelle). 117 Dinstein, « Aggression », supra note 116 au para 16. Voir aussi d’Argent et al, supra note 59 à la p 1147, n 5. 118 Dé fi nition, supra note 9, art 1–2.
119 Voir aussi Ruys, supra note 29 à la p 138 ; Dinstein, « Aggression », supra note 116 au para 16. L’inter-diction du recours à la force contenue dans la Charte s’applique aux relations internationales des É tats et recouvre aussi bien les menaces de recours à la force militaire que les actions militaires en elles-mê mes (Ford, supra note 38).
120 Dé fi nition, supra note 9, art 1, note explicative (« le terme « État » : […] Est employé sans pré juger la question
de la reconnaissance ou le point de savoir si un État est Membre de l’Organisation des Nations Unies ; […] Inclut, le cas é ché ant, le concept de « groupe d’États » » ceci signifie que l’agression collective est aussi ré pré -hensible que l’agression individuelle). Dans la Charte, supra note 16, art 2(4), on parle plutô t d’une inter-diction de l’emploi de la force contre l’inté grité territoriale et l’indé pendance politique de « tout É tat ».
de celui-ci. Le recours à la force armée est interdit en cas d’incompatibilité avec
« la Charte des Nations Unies »et non avec « les buts des Nations Unies »121. Une
liste non exhaustive d’actes constitutifs d’agression est é noncée à l’article 3, dont la portée est précisée par l’article 4 qui rappelle les prérogatives du CSNU telles que
décrites à l’article 39 de la Charte122.
L’article 2 de la Défi nition contient une présomption réfragable spécifiant que le premier acte de violence commis par un État, en violation de l’article 2(4) de la Charte, devrait être considéré comme une preuve prima facie d’un acte d’agression, sous réserve de l’évaluation ultérieure des autres circonstances relatives à la situation par le CSNU. La disposition inclut une clause de minimis qui exige l’atteinte d’un seuil de gravité suffisant pour que certains actes d’hostilité soient qualifiés d’agression. Cette réserve permet d’éviter non seulement des conclusions hâtives d’agression, mais aussi de limiter l’exercice du droit à la légitime défense prévu à
l’article 51 de la Charte123. Selon le président du Comité spécial pour la Défi nition de
l’agression124, l’article 5(1) devrait être lu en conjonction avec l’article 2 : une fois
qu’un acte d’agression a été constaté, il ne peut être justifié125.
(c) Élément subjectif : l’existence d’une intention hostile ou délibérée de
causer des dommages126
Bien que rien ne soit spécifié à ce sujet dan s la Défi nition127, la jurisprudence de la
CIJ128 et la pratique des États129 démontrent que la présence d’une mens rea est l’un
d es éléments de l’acte d’agression130. Elle est particulièrement importante pour
121 Broms, supra note 116 à la p 344 (selon Broms qui fû t le pré sident du comité spé cial pour la Défi nition
de l’agression, cette seconde partie de l’article 1 souligne l’importance de la détermination de
l’inten-tion du présumé agresseur dans l’analyse faite par le CSNU). Voir aussi Dinstein, « Aggression », supra note 116 au para 18.
122 Broms, supra note 116 à la p 354.
123 Ibid à la p 346 ; Dinstein, « Aggression », supra note 116 au para 22.
124 Broms, supra note 116 à la p 355.
125 Défi nition, supra note 9, art 5(1) (il n’existe aucune raison de déroger à la prohibition contre
l’agression. La note explicative relative à cet alinéa stipule que les rédacteurs de la Défi nition ont notamment eu en vue le principe de non-intervention contenu dans la Résolution 2625, supra note 30).
126 Ruys, supra note 29 à la p 177. Voir aussi Paul Cornish et al, « On Cyber Warfare », en ligne : (2010) Chatham House à la p 11 <https://www.chathamhouse.org/sites/files/chathamhouse/public/ Research/International%20Security/r1110_cyberwarfare.pdf> [Cornish et al].
127 Dinstein, « Aggression », supra note 116 au para 18. 128 Plates-formes pétrolières, supra note 44 aux para 61, 64.
129 Ruys, supra note 29 aux pp 161–63. Voir par ex « Article 2(4) », dans Répertoire de la pratique suivie
par les organes des Nations Unies, vol 1, supp n° 3, NU, 1959-66 aux para 50–51 [« Article 2(4) » dans Répertoire] (le CSNU a considéré que le survol de l’espace aérien soviétique par un avion de
reconnais-sance américain ne constituait pas un acte d’agression, encore moins une violation de l’article 2(4), car cette reconnaissance n’avait pas été faite dans un but agressif ; l’avion n’était pas armé et surtout les États-Unis s’étaient engagés à ne plus recommencer).
l’évaluation des actes hostiles de moindre envergure, car elle permet, en cas de
doute, de prouver l’intention malveillante de l’agresseur131. Pour les attaques de
grande échelle, l’intention se dédui t souvent de l’acte matériel de l’attaquant132 à
moins qu’il n’existe des éléments avérés tendant à prouver le contraire133. Quelque
soit le type d’acte étudié, la mens rea doit être évaluée en fonction du contexte global
de celui-ci134.
2. L’agression indirecte, la forme la plus fréquente d’agression, depuis 1945135
Alors qu’elle a été rédigée afin de définir l’agression directe, qui est un « emploi
de la force qui se vérifie à un moment déterminé »136, la Défi nition n’a jamais été
interprétée à cet effet par la CIJ137. La Cour s’en est plutôt servie pour définir
l’agression indirecte138 et illustrer ce que recouvre la notion d’agression armée de
l’article 51 de la Charte. La CIJ a déclaré que l’article 3(g) de la Défi nition représente
la règle coutumière internationale de la prohibition de l’agression indirecte139.
L’agression indirecte est
[l]’envoi par un Etat ou en son nom de bandes ou de groupes armés, de forces irrégulières ou de mercenaires qui se livrent à des actes de force armée contre un autre Etat d’une gravité telle qu’ils équivalent aux actes énumérés ci-dessus, ou le fait de s’engager d’une manière
substantielle dans une telle action [nos italiques]140.
Il s’agit donc d’« actes d’ingérence extérieure n’impliquant pas l’emploi direct ou
manifeste de la force armée »141, mais qui sont d’une gravité similaire à celle d’une
131 Plates-formes pétrolières, supra note 44 aux para 61, 64. Voir aussi Ruys, supra note 29 à la p 174 ; Karl
Zemanek, « Armed Attack » dans Max Planck Encyclopedia of Public International Law, par Rüdiger Wolfrum (Oxford University Press, 2009) au para 9 [Zemanek].
132 Dinstein, « Aggression », supra note 116 au para 18 ; Ruys, supra note 29 à la p 122. 133 Ruys, supra note 29 à la p 177.
134 Ibid.
135 Voir notamment Schwebel, supra note 7 à la p 458 (l’agression indirecte est l’une des formes les plus pernicieuses de l’agression moderne) ; Arangio-Ruiz, supra note 35 à la p 533. Voir aussi Charles de Visscher, Théorie et réalités du droit international Public, 2e éd, Paris, Pedone, 1955 à la p 368, tel que
cité dans Pancracio et Peton, supra note 42 à la p 33.
136 Cassese, « Article 51 », supra note 70 à la p 1343. Voir aussi « Paragraphe 4 de l’article 2 » dans
Répertoire de la pratique suivie par les organes des Nations Unies, vol 1, supp n° 2, NU, (1955-59) au
para 52 [« Para 4 de l’art 2 » dans Répertoire] (l’agression directe, tangible, ouverte, telle que Ie passage des frontières par des troupes régulières) ; Randelzhofer, « Article 2(4) », supra note 29 au para 22 (les agressions directe et indirecte sont les types d’agressions visées aux articles 39 et 51 de la Charte).
137 Dinstein, « Aggression », supra note 116 au para 33. 138 Randelzhofer, « Article 2(4) », supra note 29 au para 22. 139 Nicaragua, supra note 24 au para 195.
140 Défi nition, supra note 9, art 3(g).
agression directe142. Deux types d’agression indirecte sont compris dans l’article 3(g)
de la Défi nition : les actes agressifs directement imputables à l’État agresseur et ceux
où l’implication substantielle de l’agresseur doit être prouvée143. La caractéristique
principale de l’agression indirecte est que l’État agresseur, sans commettre lui-même des actes hostiles, agit par l’intermédiaire de tierces parties qui ne sont pas
des agents de jure ou de facto144 de l’État et qui semblent agir de leur propre chef145,
d’où la problématique de la preuve de l’implication substantielle dudit État. Cette
implication substantielle peut s’exprimer par un soutien financier146, mais il faut
que cette assistance soit telle que l’autorité qui en découlerait et qui serait exercée par l’État soit manifeste dans chacune des actions incriminées, entreprises par le
groupe privé147. L’approche de la CIJ n’est pas surprenante puisque la pratique
internationale révèle que l’agression se fait de façon plutôt progressive148 et
consiste presque toujours à l’organisation, l’assistance, l’incitation, le financement,
l’encouragement ou la tolérance d’« activités [...] subversives ou terroristes »149
dirigées contre un autre État.
Une autre distinction fréquente en matière d’agression est l’opposition entre
« agression déclarée » (overt aggression) et « agression secrète » (covert aggression)150.
L’agression secrète est une agression directe commise de façon clandestine par des
actes tels qu’une invasion terrestre151 menée par des soldats non en uniforme.
À l’heure actuelle, les cyberattaques étatiques prennent soit la forme d’agression indirecte comme dans le cas des attaques par saturation dont ont été
victimes l’Estonie152 et la Géorgie153, soit d’une agression secrète telle que l’infection
142 Nicaragua, supra note 24 au para 195. Voir gé né ralement Schwebel, supra note 7 à la p 455 (lorsque
l’on parle d’agression par voie indirecte, il est trè s important de distinguer ceci des autres formes d’agression telles que l’agression é conomique ou idé ologique de même que d’autres types d’agres-sion qui n’impliquent pas l’usage de la force armé e).
143 Nicaragua, supra note 24 au para 195. Voir aussi Broms, supra note 116 à la p 353.
144 Il est important de ne pas confondre le fait d’être un agent de facto d’un État, notion qui intervient dans le concept d’agression indirecte (voir Nicaragua, supra note 24 au para 195) avec celle de l’emploi indirect de la force (voir Nicaragua, supra note 24 aux para 205, 209). Tandis que tout emploi de la force par des agents de facto peut être directement imputable à un État (voir Nicaragua, supra note 24 aux para 109–10), l’emploi indirect de la force fait référence à un soutien de l’État à des agents privés qui décident de faire usage de force de leur propre chef (voir Nicaragua, supra note 24 aux para 205, 209 ; Melzer, supra note 86 à la p 11). Par conséquent, l’État peut voir sa responsabilité internationale engagée pour son assistance, mais non pour l’usage de la force en soi-même (voir Nicaragua, supra note 24 aux para 115 et s, 205, 247).
145 Schwebel, supra note 7 à la p 455. 146 Nicaragua, supra note 24 au para 107.
147 Nicaragua, supra note 24 aux para 106,109–11. 148 Cassese, « Article 51 », supra note 70 à la p 1343. 149 Nicaragua, supra note 24 au para 205.
150 Schwebel, supra note 7 à la p 456.
151 Défi nition, supra note 9, art 3(a) ; Nicaragua, supra note 24au para 195.
152 Akoto, « Les cyberattaques étatiques constituent-elles des actes d’agression en vertu du droit inter-national public ? : Première partie » (2015) 46:1 RD Ottawa 1 à la p 13 [Akoto].