-, Robert Giroux
DES ESSEINTES SELON HUYSMANS ET SELON MALLARME
Essai d'interprétation synthétique de la poésie
".,,~
,
Thise de . .I."1&L.tr1ae es Arts,
sous la direction de Monsieur Henri Jones,
Paterson Hall, le 11 août 1967. Université Mc Gill Montréal 1967
@
Robert Giroux 1968 1\Il __
~_____ _
C)
\.{
Lorsque J.es formes de J.a nature refusent à J.'homme de satisfaire ses aspirations profondes, U
demande alors au monde des formes subjectives, J.
'in-tensi té dont U éprouve J.e besoin.
Mais comment fixer J.' état actif de ces for-mes inventées? Là se pose le probl~e d'un J.angage capable de co.ncrétiser ce désir, de J.ui, conférer une garantie ontologique, permettant ainsi a J. 'artiste de s'en ressouvenir et de J.e col1lIlIW'liquer s'U J.e peut.
Pour J.e po~te qui se sert de l ' écriture" ment trouver J.es images adéquates et pleinement com-municables des états affectifs qui J. 'habitent. Son
"vécu" ne saurait être enti~rement extériorisé tel que senti. Et" par J.~ toute communication risque d'
ê-tre imparfaite.
DeF-s J.es po~tes symbolistes, la poésie ne se prête guere aux interprétations rationnelJ.es. Voi-J.à pourquoi i l faut se méfier de la critique qui con-ceptualise ce qui renvoie
à
notre sUbjectivité pure.DePlits Rimbaud et Mallarmé, J.a PQésie ne se réduit plus
à
ce qui est dit. Par un système d'images suggestives, el.le nous renvoieà
ce qu'il y a d'indi-· cible en nous,à
ce que le quotidien ne nous permet guère de vivre.C'est par cette appréhension qui se veut synthétique, globale, grâce à un effort d'attention
o
~,JIntroduction
"Sait-on oeqt..le c'est qu'éorire?
Uneancienne et
tr~sv8gl1e mais jalou.se pratiqa6, dont g1t le
SBIIS 811lII\V'sth-e
du.oom. QD.i
l'ac-complit intégralement, se retrauohe." (1) Ces mots qui ou.vrent le.
oonféren-ce de
Malla.rm~ BIlrVilliers de l'Isle-Adam, poa.rraient servir d'épigraphe
lr.
l'oeu.vre de Mallanlé lui-m&le. Durant plue d'une
viDgtained'années, ses
lec-teurs se limit?œent l une poignée d'a.dmiratea.rs fanatiques.
Etm&le l l a fin
de sa vie, son oeuvre n'intéressa tou.jOll1'S qu'une élite assez étroitei jElllnes
poVtes, amis personnels, petites revues...
Lagrande presse,
dallason
ensem.-ble, se montra le plus sOU,vent hostUe lune .torme d'art qui lui restait
to-talement étrangà-e.
Il Y a, certes, chez Mallarmé un goat personnel
pourune
vie
"1
l'écart", mais il
ya plus. PQI.21" lui, le retrait est un état exigé par
une fonctions
cel~e du. po~te.0' est cette vocation volontairement pou.rsuivie
qui l'écarte d'une société qui ne saarait le satisfaire et qui semble
s'obsti-ner l ne
pasle comprendre. Cette société va lui permettre de gagner sa. vie
et de faire vivre sa. famille - modestement d'ailleurs - mais la. poésie,
parl
'asc~sequ'elle exige et les jOl1issa.nces qu'elle entra!ne, lui réservera une
vie intérieure des plus intenses.
C'est surtout en 1884, avec la p.1blication des
Po~tesmau.-,
ç ...
~,DY
o
20
~
de Paul Verleine et celle diA Rebours de Joris-Karl
Huysm.e.ns, que
Me.lle:r-mé a' est vu entOllré d'une grande partie de la.
jeu.nesse littéraire de l'époque
en
qu~ted'un maS.tre capable dt endiguer ses inBpiratiollS en une m&le
recher-che lucide. On se retrou.ve alors, tou.s les mardis,me de Rome. On se presse
comme autou.r d'un mâ1tre attentif aux possibilités créatrices de ses
fid~les.Mais
d O M f tCStt3 lente
évo~tionsymboliste,quel a été le
véritable rOle de ,la pi1blioation d'A RebOllrs de
B~sma:ns? OnSQit que ce
der-nier avait consacré quelques pages
l.
Mallarmé,
po~teque son héros prisait
par-dessu.s tOllt. Mallarmé ne manqua pas de répondre
parun poœe qu'il dédia
l
des Esseintes. il s'agit de la. Prose
pourdes Esseintes
quisemble beau.cou.p
plus un art poétique qu'un poœe de circonstance.
Les multiples interprétations qu'a su.scité
laProse
suffi-sent
l.
montrer tou.te sa. richesse. C'est cette ambi@1ité
fOllCi~e,CBraotéri-sant presque tOllt l'art de Mallarmé, qui
DOUSinvite
l
poser la nécessité
d'u-ne interprétation "synthétique" de
lapoésie moderne.
Etcette dédioace de
Prose
à
des Esseintes DOUS
p~ettrad'éolairer
d~xattitudes
poét~esfon-damentales, puisque, en dépit des méthodes dit'férentes
qu 1elles utilisent pOl1r
arriver
l
leur fin, la oonséquence est la m&1elune plus grande attention sur
le plan de
la.conscience.
Cette approche d'une poésie synthétique nous entra1nera
l
nOlls poser le problmne
dulangage, pIlisqu' elle le suppose, et par le fait
m~me) celui de la oonnaissance poétique. POllr l'instant,
es~onsde savoir ce
que représente des Esseintes
pour
HUysmans, son importance
dansl'évolution
spirituelle de son
~tearet
dans l·orientation
au
mouvement B,Ymboliate
l
l'é-poque.
~
U"
(1)
HISTORIQ.UE D' A REBOURS ET DE LA PROSE POUR
pES
ESSEINTESDes Esseintes: esthète névrosé
en quête d' excentri.ci té et d'
ar-tifice: vo1onté de
durer enjouissant •••
Le 22 octobre 1882, Mallarmé regoit
uiBl.lettre de Huysmans
qui. lui annAJIoe qu'il est
Ilen train de faire éclore une
siDgu.li~ellOI1velle don.t
voioi, en. gros,le sa.jetl le derIlier rejeton. d'une grande race se réfugie,
pal."dégoG.t de
lavie amérioaine,
parmép;r:isde l' aristocratie
a'
a.rgent qui nous
en.-vahit,
dansune définitive solitude... C'est
un.lettré,
widélicat des plus
raffinés.. •
EnlaDgUe f'rangaise, il raffole de Poe, de B8I1delaireeo. Théodore
Bannon., Tristan Corbittre, Pau.l Verlain.e... Ponrriez-vous me proourer la
Mortde
l'AntépéDD.l.t;l~...
et l'Hérodiade
dontj'aurai
grandbesoin,
08Z' mon.héros
possédera chez lui l' admirable
aqua.re~ede Gustave Moreau a1Dsi que les
stu-péfiantes r&veries d'Odilon. Redon.... Je vou.drais aussi ••• "avoir plus de vers
du
Faune ••• " Un mois plus ta.rd,
~aVOlle, ce
quine poa.va1t déplaire
l
Malla.'rmél "Je sa.is
pourl'instant plollgé
jUsqu'su.col
dansma terrible DOI1velle
qui me donne un terrible
mal.et de reoherches et SI11'tout de vooables un pea.
ra-res, Comme consola.tion., ce sera compris
pal." dixpersonnes ••• "
Selon le témoignage de l'au.tear lui-m.@me, alors que le bruit
fait
parles articles de Verle,jne oommençait l peine, A. Re'Wours tombait oomme
"un aérolithe
dansle ohamp de foire littéraire, et oe
fu:~une stupear, une
co-îà-~,
la. presse se désordonna, jamais elle ne
divaguaen. tant d'a.nicles ••• un
sEllll écrivain vit clair, Barbey d'Aurev'il17." (1) Oe dernier avait écrit
qu'''a-pr~s un.
tel livre, il ne reste plus lliantear qull choisir entre la bouohe d'un
pistolet
O\lles pieds de la croi%'
~Barbey avait dit presque la m&1e chose l
propos des Flenrs
du MaJ..Baudelaire ne 8I1ivit aucun de ces oonseils, tandis
(1)
Huysmans, Préface ultérieare diA. Rebours, Bibl. Charpentier, Faquelle, Pa.1.'ia,
que Huysmans répondra,
viIIgtans plus tard.
"e'
est tait".
Des Esseintes représente,
Em:
eftet, une étape capitale
dans1
iévolution de llgysmans.
e'
est le moment
ca.
i ltransforme son sellSU8J.isme
naturaliste en:une sensualité raf'tinée et taisandée d'un
~stic~smedécadent.
e
=est l'époque
ca.
il prend conscience des tristesses de la cha.:lr,
oa.
i l éprou-.vale besoin d'8I1tre chose,
ru
il pressent, par delà le monde étroit des
na-turalistes, une réalité surnaturelle. Des Esseintes, par contre, est encore
hésitant, inquiet et désemparé. Le grossier présent l'accable. Il partage le
pessimisme de Schopenbsner et il ne sait trop que taire des solutions
rel1gim-ses qui aollicitent son adhésion spirituelle.
Dég06.té "des tracas de la vie et des moeurs américaines de
son temps",
i lse réfugie
dansla plus grande solitude possible. Il cherohe
d.a.ns
le
:t"~e, dans"l 'illusion d'extravagantes téaries", de quoi
compeœer~i'son emm.i en tace d'une réalité insa.ftisante et décevante. Une tortune assez
considérable lui permet d'acheter et de mea.bler une maisoDllette
ca.
i lse
pr~pose de se taire une vie nea.ve, une vie qui répondrait enf'in
a
ses aspirations
protondes. Il aménage alors,assez loin de la ville
pourque le tumlte de
Paris ne l'atteigne plus, assez
pr~s,cepeJldant,
pourque cette prox:imité de
la capitole le conf'irme
danssa solitude. "D' ailleurs, le bonheur existe-t-il
sur cette terre? demandait Mallœ-mé
à
son
amiCazalis,
d~s1863.'
Etfaut-il le
chercher sariellSement 8I1tre pa:rt que
dansle r3ve? C
test le fawc but de la
vieJ le vrai, c'est le Devoir ••• qu'il s'appelle l'art, la lutte ou vomme on
vent...
Lasottisla d'un
po~temoderne a été
jusqu'ase désoler que tl'Action
ne fB.t pas la soeur
duR3ve'... 0 mon Henri, abrea.ve-toi d'Idéal. Le bonheur
d'ici-bas est ignoble...
ouiici-bas a une odeur de cuisine".
Voill une attitude qui s'apparente fort
a
celle de des
Es-seintes. Il n'y a certes là rien de bien original. Presque tous les écrivains
de l'époque om profondément ressenti l'impI1reté fonoitrI-e de notre
nséjour"
et n'ont pas manqué de 1e condamner.
Ettous ont aspiré
l
un ciel,
l
un
pa-radis, emérieu:r
ail. postérieur,
ca.
les choses redeviendraient "œthentiques".
~'est
1l
unetendance platonicienne qu'ont partagée depù.s fort loJJgtemps
les arts occidentEDlX, comme
en
philosophie, l'autre tendance étant
aristo-télicienne.
, Mais alors, comment des Esseintes,
deson c&té, va-t-U trouve]
, sati.on
'
'
cc~
l
lasolitude qu'il vient
des'imposerl Selon
lui,cette solitude
lui
p~ettraune expansion sans bornes de
11 ime.gi!lati~nC$pable
detous les
artifices et de tOlls les possibles.
n
slefforcera désarmais de centrer son
atre sur
lasenss.tiona mi-afl'ectif, mi-intellectuel, mais sartOl1t seDSl1el,
i ltentera de se créer un monde exceptionnel que se partageront une lucidité
pé-nétrante et
~..,aexaltation bien vite délirante.
Dans sa JlOl1vell.e maisOn, aménagée avec une baroque
somptuo-'sité - Malla:rmé avait
déjl conté l
HuyBID8lISles mravegances
à11.comte de
Hon-'tesqu1ou. - des Esseintes fait,
~exEIII.ple, le triage des couleurs
pourl'her-·monie des tOnsl
il.ne garde en l'ait que "le rouge, l'ore.ngé et le jaune", mais
l'orangé a sa préférence, "couleur :irritante et
malediVe"qui seal.e tlatte "les
y~
des gens afl'aiblis et -nervEWt... sc,rexcités
et
éti~es.1I (1)
En l'ait de
meubles, "le sœl luxe ••• devant consister en des livres et des t'leurs ra-res",
il s'entoure d'objets anciens et ra-res, autant profanes que religieaxa
ainsi,sur
ia
cheminé~,
"entre deax ostensoirs ••• de style byzemin",
i linstalle
-"un merveilleux canon dl ê8lise ••• ouvragé comme une dentelle", contenant
dansson triptyque, au milieu, le polmle en prose de Baudelaire
Anywhere out of the
Wor1d, l droite
La.mort des amants.
à gau.che,
L'ennemi,polmles sur lesquels
6.
Retiré comme 11 est, le mouvement lui paratt désormais inutile et l'imagination semble pouvoir "aisément suppléer a la vulgaire réalité des
faits"~)Un
adroit mensonge dans le monde de "l'intellect" peut facilem ment réaliser les désirs les plus bizarres de la vie normale et permettre de jouir de "chimériques délices semblables, en tous points" aux vraies". Ne peut-on pas voyager grâce' a la "suge;estive lecture d'un ouvrage"racon-tant de lointaines explorations où grâce a la présence d'objets dont les odeurs et les bruits permettent "par le souvenir" de se transporter d'un milieu ~ un autre par le jeu d'analogies multiples? De mime, telles
dispo-si t.ions~ prises par son archi tecte.ll ui donnent l'impression d'être tantôt
dans l'entrepont d'un navire" tantôt dans un cloftre. Nous verrons plus 10in en quoi diffèrent ces voyages imaginaires provoqués par des sensations
mul tiples ou des 1ectur.es suggestives"
J:i~,
"ce délicieux et artificiel. voyage qui manque dans A Rebours". (~)VoUa une belle occaiion pour Huysmans" a propos des pouvoirs de 1 'imagination créatrice" de répudier le naturalisme. "Au reste" l'arti-fice paraissait
à
des Esseintes la marque distinctive du génie de l'homme". L'artifice doit remplacer 1a nature, "cette sempitemelle radoteuse" qui a"maintenant usé 1a débonnaire admiration des vrais artistes ". Même si 1e naturalisme nous a débarrassés des fantoches du romantisme en si tuant des
"personnages réels dans des milieux exacts, (cette école) était condamnée a se rebâcher" en piétinant sur place. Elle n'admettait guare, en théorie du moins, 1'exception" et elle risquait d'aboutir a une impasse. IIJe cher-chais vaguement a m'évader d'un cul-de-sac où je suffoquais". (B) Le 2 fé-vrier 1890, Huysmans écn vai t a l'abbé Boull an qu'il voulait IIfaire une
oeu-vre d'art (1) Huysmans" A Rebours!. p.SO
(2) Lettre de Htwsmans a Mallarmé" 14 janvi.er 1885" en guise de remercie-ment pour la Prose.
dlun réa.lisme surnaturel, d'un naturalisme spirituali'ste". (1) Avec de telks expressions, H~ tentSit de synthétiser l'orientation JlOl1velle de son oeu.vre après A Reb01l1's.
Mais des Esseintes n'est encore qu'une êbsu.ohe de cette tendance su. ~sticisme. En fait, Huysmans restera tO\1j011rS le sensuel dont nous parliOns plus hsu.t, comme la plupart des naturalistes d'ailleurs. Et l'attitude de son h~os rappelle étrangement oelle d'un 13su.dela:Lre qui avait déjl con~ ses "paradis art1:riciels". 13su.delaire n'était-il pas également
-un "olfactif" l l a recherche d'-un -univers mécomm.! Dans ses S1m11itudes, Huysmans avait proposé une gamme de parfums dont i l établit les
correapon-4ances avec les sons et les couleurs, telles que 13su.delaira et Novalis avant lui, les avaient ~es.
n
partage, donc une orientation poétique qui était celle de l'époque, une tendance que Mallarmé appellesLe Visible et serein souffie artifioiel De l'inspiration qui regagne le ciel (2)
Comment le sensualisme de des Esseintes saurait-il se satisfaire de celui des naturalistes? Ses études de la sensation sont bien ex,périmenta.les, mais el-les ne sont que prétextes en vue dt BIltre chose.
Si~sma.ns oultive l'art des par1ùms,par exemple, c'est p01l1' le retentissement qu'ils ont sur sa vie spirituelle. Les déb8llches ol-factives qu'il prémédite, déterminent en lui d'atf'reu.x eouven:irs d'enfancet , d'étra.nges visions, des ex:t;ases tO\1jours plus déJ.irantes, jusqu' l ce qu'un
jour 11 s f zU:faisse, :l.m,pI1issant l eJl8OU1"dir sa névrose. Il:1 ex,périmente 8Ilssi
tO\1tes les gammes des sensations gustatives. Il est fier de sa collection de "barl.ls l liqueurs" qu'il appelle son "orgue l bouchait. 1 des moments choisis,
-i l se joue des Il symphonies intérieures" et i l pe.'rVient l se "procurer, dans le .
( 1)
Cité pa;rH. 13aohelin, J .-K. ~, librairie académique Perrin, LesContemporains d'hier, Pa.r.'""ie, 192 , p. 205
8.
gosier, des sensa.tions s.naJ.ogues l ceU~ que la musique verse l l'oreille",
chaque liqueur correspondant, selon lui, "comme goO.t, au son d'un instrwnent".( 1) C'est l cela qu'il occupe sa. vie présente. Pour l'avenir, il lui reste l'empreinte de son éducation premik-e ,'et i l en vient l se per-suader "que ses agissements, pendant sa vie mondaine, dérivaient de l'éduca-tion qu'il avait ,reçue. Ainsi ses tenda"llces vers l'artifioe "n'étaient-elles pas, en somme, des spéculations quasi théologiques; c'étaient au fond ... des
aa.us
vers un idéal •• ~ vers une béatitude lointaine, désirable comme celle quenou.s permettent les Ecritures". (2) Il songe que Il 1 'Eglise .a Seille recueilli
l'art, la. forme perdue des si~les". Il se sent comme un ermite mflr pour l'i-solement et "tel qu'un moine SIlssi, 11 était accablé ••• d'un besoin de
recu.eil-.
lement".
(3)
En son for, 11 discute théologie, il dresse Satan en :race de Dieu et r~e sacril~ges.n
revoit l'Eglise "désolée et grancliose, énonçantl l'homme l'horreur de la vie, l'esprit d.e sacrifice".
n
se détourne de la musiqUe profane poar savourer la. lecture des partitionsan
plain-chant, "1'11,-me du Moyen Agdl • Pour l'instant, i l e~ encore SI1X prises avec l'artificiel et 1.' étrange dont i l :rait ses dieux. . Il s' imPr~ du pessimisme qui n'offre.. aucun espoirl mais qui est "la grande consolatrice des intelligences choisie sil • Cependant, . i l ne peut oublier "ce catholiciSllle si poétique ••• dans lequel 11
avait baigné ••• ;;
(4)
En proie l ses doutes, des Esseintes s'efforce de "parer sa solitude". Il s'entoure :-.:!.-;':'ü:j; d'oeuvres d'art et, complaisamment, i l nous fait part des extases qu'elles provoquent en lui et des méditations qu'elles lui inspirent. Dans un chapitre assez ~eux mais révélateur de sa. psy-chologie, cet esth~te névrosé nous révttle ses préférences pour la littérature décadente romaine. Voyons plut8t les auteurs contemporains qulil jugeait
di-Huysmans, A Rebours,
p.77
Ibid., p. 114 Ibid., p. 99 Ibid" p. 119
@)
,~~.gnes de· figurer sur les rqons de sa bibliothçe. Son admiration pour Ban-de laire est sans borne, lui qui avait été le premier
-
l explorer .. oes distriots de l'Amecm
se ramit'ient les végétations mon.stJ.'UeIl.ses de la pensée...n
a-..
vait révélé la psychologie morbide de l'esprit qui a atteint l' ootobre de ses sensations ••• sondé les plaies ••• crell.sée par la satiété, la désillusion, le mépris, dans les bes en ruine que le présent torture, que le passé réplgne,
.
que l'avenir e1'fra;ye et désespllre".( 1) La parenté est bien étroite avec des Esseintes. De mtme Les diaboliques de Barbey d'Aurevilly est le selil volume qUi"témoigne de oette situation d'esprit tout l la fois dévote et impie, vers laquelle les revenez-y dl1 catholicisme, stiml1l.és pœ" les 8co~s de la név:rose,avaient souvent poussé des Esseintes". (2) Ce dernier admire encore Corbilœe,
-Hannon et surtout Verlaine qui "avait pI1 laisser deviner certains m-dell
troublants d'be, des clm.chotements si bas de pensées ••• coulant 11'lme des la1JgUears
avi~ées
par le~lIre
de ce sou:rne plus dev:lné quesentin{~).
D'~ Poe, ce "ma1tre de l'indnction", des Esseintes aimait les créatures. ~
-
. .-"convulsées par d'héréditaires névroses", brisées . . . dans une "atmosphlœe
étœr-. -
-fante" qui faisait
"craquer'
la volonté jusqull llB.l'lgOisse.(4)
-
-Parmi ces i'r~es spirituels, 11 raffole ans si de MaJ.l.a.'rmé
qu'il aime souvent rel:lre, "ce po~te qui, dans un si~ole de su.!f'rage
univer-- .
-sel et dans un temps de lucre, vivait l 11 écart des lettres, abrité de la sottise. enV'h'onnante par son dédain".(5) Selon lui, Mallarmé sait peroevoir
-les analogies -les plus lointaines. Il prise oette "littérature oOndensée", ce Il coulis essentiel", ce .. sublimé d'art". Plaintes dt antomne et Frisson
... . . .
-d'hiver lui semblent non seu.lement les chef's-dloeu.vre de Mallarmé mais aussi
1 Huysmans, A Rebours, p. 182 l 185 2 Ibid., p. 204
~ Ibid., p. 2~0
4
Ibid., p. 2~610.
;parai les chefs-d'oeu.vre du po~e en prose car ils unissent "une langu.e si magnjfiquement ordonnée ...
t..
des pensées d'une suggestion de sensUifs" quisont pou.r lui "le suc concret, l'osmazome de la littérature, l'lmile essen-tielle de l'art". Selon lui, sa bibliothl!que ne s'ausmenterait probablement jamais plus PIlisque Mallarmé inoarne "la décadence d'une littérature, irré-parablement atteinte dans son organjsme ... et pressée de tOllt exprimer
t..
son déclin".Emmi, névrose, décadence. ces mots reviennent constamment sous la pluae de Huysmans pou.r cerner l'attitude de son héros et, peu.t-ttre m&1e, celle d'une collectivité. On retrouve partOl1t chez des Esseintes ce mbe complexe psychologiquea dans !Ja passion, par exemple, pour le préraphaé-lisme, pour une "peinture SI1btil~, exquise, baignant dans un rave ancien, dans ililG cûrr:ü.ption antique, loin de nos jou.rs", pour des "oea:vres suggestives le
jetant dans un monde inoomm.... lui ébranlant le syst~e nerveux par d'
éru-dites hystéries, par des cauchemars compliqués, par des visions noncbaJantes et atroces". (1) Entre tOlls, Bustave Moreau
et
la danse lubrique de sa Salomé le ravissent en de longs transports; Les persécutions religieu.ses de Jan w.v-kem, art:iste fantasque et lugubre, lui donnent, ,"la chair de poule" et lera-~k.
'
tiennent "Slli'foqué" (2); il se passionne en:f'in'" "fantastique de maladie e"â de déli:re\\ d' Oailon -Redon.
Ses goQ.ts pour les fiea.rs malsaines, perverses
et
monstmeu.-ses, ne sont pas moins révélateurs de son état névrotique, ,'l!lt . comble de ~'A;;mystification, son go6.t pœr "les fiea.rs naturelles imitant les fiea.rs faussestl( ,
celles qui tendent des chairs livides, celles qui empruntent aux membranes intériea.res des andmanx "les magnjfiques hideurs de leurs gangrlmes"
1
Mais, nous l'avons déjà. pressenti, A Bebou.rs dépasse le sadisme d'une sensibilitéH~ms.ns, A Rebou.rs, p.
8,
Ibid., p.9,
11.
ép1isée, car la vie imaginaire
au
héros s' a.chlwe non selllement sar un cride révolte - etj soit dit en passant, U semble bea:l,lcrup plus dég6(ité dlau.~
t1'lli que de lui-m'&ne - mais au.ssi sur un espoir,- ,.,'":; espoir que ne gofltait.
gu~e Zola. Des Esseintes se rend compte que les raisonnements du. pessÏDlis- ' me sont impuissants A le soulager, "que l'impossible croyance en une vie
iUtu-re serait sElllle apa.:isante'° (1) et, libérant enfin ce ~stioisme que dissi-mlIlait l'oeuvre entiœ:e/U s'écries "Seigneur, prenez pitié àIl. chrétien qui dOllte, de l'incréàll.le qui voudrait croire".
Il s'agit bien 11 de la confession d'un mau.dit, ou qui se oonsidk-e comme tel, et qui s'exaspœ:e de l'3tre avant de soup~onner enfin une petite tissure dans le couvercle de plomb qui l'étOl1ttel l'art, sous toutes ses tomes, ne lui a
ottert
qu'une médioation temporaire, qu'une is-sue provisoire. Confession i.Dd1re~te de l'au.tear, au.tant qu'oeuvre pam,phlé-taire, A Rebours c~~i:ie Wie seœibilité que l'on' qualifie de "déoadente"et des Esseintes devierr'~ alors le représentant, Al' état
aigu,
de ces Ames dé-semparées dans une société Chancelante, or~eUleuses et dégoaté~s, lasses et pessimistes, quicultiv~l.a
sensation d'uneta~n
trutemal.~ve
et quis'éplis/A l'anaJ.yse des
~~s
da l'Ame. Prisonnier de l'enmi et de lanostalgie d'un ailleurs impréois, des Esseintes est le représentant-type de la déliquescenoe.
A Reboars élargit au.ssi le retentissement des Polrtes maudits
~
en révélant Corbiœ:e, Verlaine, Mallarmé, contondns" d'ailleurs, sous )S·mtmle appellation de·décadents~ liant sinsi leur sort pour bon nombre d'années, A celui m~e de des Esseintes.
Il est difticUe de savoir ce que pense Mallarm.é des éloges que Huysmans lui a renàll.es. Il le remercie dans une lettre datée àIl. 18 mai
1884, qui semble beau.coup plus étudiée que spontanées " ••• c' est cela, rien ( 1 ) Iluysmans, A Rebours, p. 268
12.
n'y ma:nque, parfums, DDlsique, liqueors et les livres vieux ou presq~e futurs; et ces neursl vision absolue de tout ce quipeu.t, ~ un individu placé devant la jouissance barbare ou moderne, ouvrir Ôll paradis la sensation seule ••• vo-tre ouvrage prend, ~ l'esprit un aspect eftra.vaut; posant quelque chose de dé~ f'initit ••• " Pour le moment, Mallarmé s'eü tient à. l'émotion de se voil; "lec-tear d'un livre exceptionnellement aimé, soi-lI1&1e appara1tre Ôll fond des
pa-ges"; il s'en tient sima doute aussi ~ l'anecdote des Esseintes~ontesquiOil
dont les salons n'ont pas manqué de s'emparer.
-Mais le po~te n'est pas Ôllpel il n'est pas sans scurire de quelques annotations sommaires et faciles, cODDlle loo:.osque des Esseintes quali-f'ie son style de "f'aisandé" et sa langue d'"adhésive". Que pense-t-il de ce portrait qui le montre lise complaisant ••• aux surprises de l'intellect, aux visions de sa cervelle, rat'f'inant SI11' des pensées déj~ spéciwses, les gref-f'ant de f'messes byzantines, les perpétuant en des dédu.ctions légtlrement
in-diquées ••• " (1)
n
n'y a pas de doute que Mallarmé prisera beauooup plus les Taches d'encre de Barr~s et qu'il· souscrira ~ la définition Ôll cléoad:i.sme - trop brlNe d'ailleurs - que Verlaine donnera en 1891' liMais le symbole c'est la
-métaphore, c'est la poésie m&!.e •• ~ Le décadisme n'a pour but que de réagir contre le naturalisme".(2)
~
Quoi qu'il en soit, SIl début de 1885, pa;t'a1t, dans la Revue indépendante, Prose,qui est sans doute un des po~es les plus obscurs de MSllar.mé. Le po~e est dédié ~ l'esth~te des Esseintes qui l'aurait àans
doute inséré, pense Mallarmé, dans l'anthologie personnelle que ce lettré s'était constituée.
( 1) Huysmans, A Rebours, p. 241
(2) Réponse de Verlaine aux journalistes dans le F~o Ôll
4
f'évrier 1891, citée par Henri Mondor, Vie de Mallarmé, nrf', Gall., 17e éd. Pin-is, 1941, p. 595\
PROSE
pour des Esseintes.
B;rperbo1.e! de ma mlsnoire Triomphalement ne sais-tu
Te lever, aujourd1hui grimoire Dans un livre de fer v8tu ::
Car j'installe, par la science, "L 'lJiymne "des coeurs sp1r.l. tuel.s
En l. 'oeuvre de ma patience,
.. A~as, herbiers et rituels. Nous premenions notre visage
(Nous "f6m.es
deux,
je 1.e maintiens):: .. "Sj:Ïi"maints charmes de' pqaage.. ":
o
soeur, Y' comparant l.es tiens.L'~re d'autorité se trouble Lorsque, sans nul. motif; on dit De ce midi que notre double Inconscience approfondit
Que, sol. des cent iris, son site, ns savent .s'il. a bien été,
Ne porte pas de nom que cite L'or de l.a trompette d'Sté.
Oui, dans une ne que l.'sir charge De· vue et non de visions
Toute f1eur s'étalait plus 1.arge Sans que nous en devisions.
Tell. es , immenses ~ que chaeune Ordinairement se para
D'un lucide contour, lacune,
Qui des j~ la sépara. Gloire du long désir, .Idées Tout èn moi s 1 exal. tait de voir
La famille des iridées Surgir
à
ce nouveau devoir,Mais cette flOe'.lr sa .. ·wée =t t:mdre Ne porta son regard plus loin Que sourire· et, comme
à
l'entendre J'occupe mon antique soin~Ohlsache 1 'Es~ri t de litige, AJ,ette heure ou nous nous taLsons,
~ede lis liiültiples la tige . Grandiss ait trop pottr_ no_s_raisons
Et non comme pleure la rive, Quand son j eu monotone ment
A. vouloir que 1 tampleur arrive
Parmi monj eune étonnement
D'otdr tout le ciel et la carte . Sans fin· attestés
sur
mes pas,Par le .f'J.ot mine qui s t écarte,
Que ce pqs n' exista pas.
L' enfmlt abdique son extase Et docte déj ~ par chemins .
Elle
dit
lemOt :
Anastasel Né pour d'éternels parchemins. Avant qu'un sépulcre ne rie Sous aucun climat, son ~eul,De porter ce nom : Pulchériel Caché par le trop grand gl~eul.
. ''Née probableme.t de Baudelaire ~t de la Préface
deGaat~er, reprise par Verlaiae,~car.née ea MORtes~OU,
formulée par Huysmans, l'attitude décadente ••• ne siest transformée ••• en force positive ~e lorsqae ••• elle est de-venue ••• un phénomène collectif, portant en lui-mime son efficacité et sa puissànce explosive ••• sous le sadisme et les amours tristes, une mélancolie profonde; sous le. ~s-. ticisme exaspéré" une aQif de vérité et de certitude."
: . ''Ma:I,..s si,
à
l ' ana1.~se des Décadents"lesSymbo-.listes 'VOnt pouvoir substituer une synthèse, ... a.l.eur poésie instinctive une. po&d.e_c.oll$.ciented' el.ie-même,
à
leurin-quiétude, une foi DOuville, c'est parce ~'alors toutes les influences de l'extérieur, latentes jusque là, se
ma-nifestent et cristallisent. Un :flot d'idéalisme déferle,
qui d'abord se mêle inextricablement au scepticisme et au
pessimisme négateurs, pour les éliminer ensuite peu à peu. Il
Guy- Michaud; Le message poétique du Molisme; Nizet; Paris,
(2)
PBOSE POUR DES ESSEINTES
-L'ascèse de 1'art poétique. ,
-L'idée d'être toujours au-del.a du pmssab1.e
(réalisas ontol.ogique de PJ.aton) •
La Prose pa1.Ut su.ccessivement en 1685, 1887, et 1893, sans vœoiantes notables. Notre intention est d'en dégager la dialectique générale, tOllt en évitant de chercher une interprétation unilatérale qui ne pSllt qu'ap-pauvrir la signification du. poàe. Un tel mode JlSZ'ratit est urie exception chez Mallarmé, mais rien n'emp&chequtU ait 'Voulu en m&le temps 'lui ooDf'érer un caractlfre liturg.i.qu.e qui s'accorde bien avec sa oonception de la poésie. :N'OIlS allons tOllt de m&le en faire l'e~se pour en reten:ir une esthétique'
,
générale, bien mallarméenne p!1isque la Prose nous a~a1t cODDlle un bel exem-ple, chez le pottte, de l'ascllse de l'art poétique,
a:rt
à la fois possible et. ~
impossible. :N'OIlS verrons par la' su.ite que la dédic~e à des Esseintes nt est pas ind:i.fférente à uae meilleure compréhension d'attitudes poétiques différen-tes; nou.s Y' déCOllWOns, par oontre, une m@me volonté de
"àarer'J
de faireœ1-tre une oonscience de plus en plus profonde.
• \ J
, :N'OIlS pasSOnssOllS silence l'effort de certains critiques 'fj- )L cV~
.+- ~\. .
~""" .
ae
ne voir dans la Prose qu'une lIItYstification géniale. Dans les lignes qui sui.v.ront, llOI1S tenterons de protlver tOl1t le contraire. NOIls prenons plut&t, avec Henri Mondor, le mot "prosetl selon l'acception qu'en donne Littré. tI~e latine rimée que· l'on chante immédiatement avant l'Eva.tlgile dans les.
grandes solennités, ainsi dite paroe qu'on y observe seulement le nombre des Syllabes, sans avoiréga;rd à la quantité prosodique." (1) Le mot "prosetl
est aussi appliqué par Huysmans aux OIlwages si condensés que Mallarmé a-vait cOlltume de rédiger. Il est dit que des Esseintes eB.t aimé un polmle en
~ose "l l'état d'of-meat .... roman concentré en quelques pbrases~~ de sens
... " .
dO' tout l la fois précis et DIIlltiple et sur lesquelles U aurait pu. rber des
semaines entihes. Le roman ainsi convu "deviendrait une coDlIlllnion de pen-sée entre un màgique éorivain et ~ idéal lecteur ••• une délectation offer-te 8l1X délicats." 0' est probablement cet "idéal lecteur" qui a fait croire
... - . . .
l bon nombre d'exéglJtes que la compagne du. potlte dans la Prose devait 'tre
-une . lectrice idéale. Mais na\1S y reviendrons plus loin.
Les deux premihes strophes sont d'un ton et d'un ordre différents de l'ensemble du. polm1e. Elles disent "je" alors que les tmtres disent "na\1S". . Elles formem donc une sorte de
~(h~BUe
que la version' orî-giDaJ.e~épar~t
c1u, reste pa:l' un petit trait. Selon Mme iioulet, elles amlOD.-cent que le récit qui mit n'est que la mise en images d'un labEUr habituel •.
Ne serait-ce pas plut8t une élévation du. plan c1ulabE!l1r quotidien l celui d 'une méta~sique explioative? Les deux premihes strophes ne seraient a-lors qu'un souhait, Une sorte de présage
ca
le "je'f de l'Brtisa:n, seul. avec sa"science" et sa "patience" se demande si le polm1e, l'EfyJ?erbole, va. enfin~
nattre de sa "mémoire'l.
Hyperbole' de ma mémoire Triompb.alemem ne sais-tu Te lever, tmjourdllmi grimoirE~
Dans un 11 vre de fer ~tI1s
o
t est un appel l l '~erbole, comme si tout le pome était-
-pla.oé sOus son évocation. "Le pome est le développement dlune exclamation" dira Valéry.' Pla.oé tm tout début, le mot caractérise donc le récit propre-ment dits c'est l'oeuvre poétique, telle que la conçoit Mallarmé, mpérieare
-
-au réel sensible dont i l ne vea.t conserver qu'une image sans détails mais
ma.-gnifiée. 0' est la passage du. hasard au nécessa:i.rE~, l'amplifié selon l'art et qui doit surgir de la "mémoire" pour s' élever. 0' est justement la
mémoi--
fondamen-15~
tale puisqu'elle donne tout son sens au potmle.
Le modllle idéal qu'il lui taut recréer, c'est en e:t:tet une vie antérieure et comme pour Platon, la mémoire est ici la "soeur des Idées" qu'elle a commes "au oiel antérieur 011 tleuri t la Beauté". ( 1 ) L'art n' est-il pas, selon Malla:rmé, "quelque devoir de t011t recréer, avec des réminisOemi ces" (2); le pollte ne vit-il pas "antérieurement se~on un pacte avec la Beau-té qu'il se chargea d'apercevoir de son nécessaire et compréhensit regard, et dont il connait les transtormations".
(3)
Mais ces moments sont fugitits. Comment les taire revivre? Comme chez Platon, "aujourd'lmi", en exil sar la terre et incarnéCdans un
~ - '
corps sènsible, l'Ame ne conserve plus des Idées
cm
"ciel intelligible" qu'el-le a quitté, que qu'el-leurs réminiscences Qtt~ées; l'homme ne les connait plus qu ' l travers les yeuxcm
corps et elles restent encore mal. déchi.t'trées daDa un demi-ou.bli. Pour le poMe, il n'en reste plus que "grimoire.dalls
unli-.
--vre de ter ~tu" (4). L'espo:i:r de tout poMe - et le ba.t de l'Art - c'est de les voir "triOmphalement" re-na1tre.
Mais cette renaissance ne sera possible que grlce lune ascllse que le potrte s'impose pour concilier les " coeurs spirituels" dans l' é-tude des" atlas, herbiers et rituels".
Csr j'installe, par la science L'hymne des coeurs spirituels En l t oea.vre de ma patience. Atlas, her1riers et rituels
Le pollte "instaJ.le" - notons li e:t:tort que S1lgghe le mot - ~ un travail 1 Malla.1."JD.é, Les Fe~tres,
M.
la Pléiade, p.33
2 Ibid., Villiers de li Isle-.1dam, p. 481
3 Ibid., Qu.a.p.t au liVre, Etalages, p.
378-4 Le mot "grimoire" a ici un sens péjoratit. Quand Mallarmé psrle dlune CQll-verture.protectrice
cm
d~t sacré, i l la rtve en or et non enter.
"6termoirs d'or des viea.xmissels" (LiArt pour tcmos) (cf. :::;ussi ~:lgitur,
H01l!IDa€je à W8B'Jlerj Le Livre. instrument spirituel). N011S verrons plus loin qu'il devient li indice quasi-religieux d'un dépSt silencieux qui en tait une sorte de tombeau de l'Ame.
16.
lent, obstiné et contr8lé qui s'oppose au. haeard de lIinspiration, une sorte de systhe qu:i. cons:i.ste en la tr8JlSIlll1tation d'un ~age en "site" (Atlas), de fleurs réelles en Idées-fleurs (Berbiers) et d'une lanaue quotid:i.eIlDe en lBJJeage magique (celu:i. des rituels), de man:ï.k-e 1 posséder "civilisé,. édéni-que, au-desws d'autres biens, l'élément de félicités, ~e doctrine en mtme
-
-temps qu'une contrée". (1) Soience ici ne veut pas dire connaissanoe
métho-1
d:i.que des phénom~nes contingents, pu.isque ceux-c:i. ne sont que des apparences,
ma3.S de l'absolu, des Idées ou. essenc~ Nous reviendrons plus loin
sur
le problbe de la connaissance poétique. Science ici, c'est exactement ce "la-beur linguistique par lequel quotidiennement sanglote de s'interrompre ms.noble fa.cul.té poétique" .(2) Cette sc:i.ence est "un acte momentané de
l'es-pr:i.t répondant au besoin de notion" et "le moment de la Notion d'un objet est ••• le moment de la ré:rJ.exion de son présent pur en lui-m'ême ou. sa pu'eté
pré-sente" .(3) En elle se réalise ce tlprésent absolu des' choses" r&vé
p8r
19itur.L'effort de la science,pense-t-il, c'est de métamorphoser le monde en un vo-cabulaire, moyen infaillible de wggérer irrésistiblemen"ii un monde JlOI1veau par son chant, en une "réciprocité de preu.vestl •
(4)
- .
Avec la troisibe strophe, le pohe change de ton. Apr~s
sa résolut:i.on de travail et de patience, le po~te effectue une sorte d'expé-rience métaphys:i.que et JlOI1S découvrons qu'elle se fa:i. t l deaxs désormais, le
"IlOIlS" remplace le "je" des deux premik-es strophes.
Nou.s promenions notre visage
(Nou.s fames deux, je le maintiens)
Sur maints cha:t"mea de PS\Y'sage,
o
soeur, y comparant les tiens.Quelle est cette Il soeur" detlX fois nommée, .. sensée et tendre" qui accompagne
-
.le regard du po~te
sur
"maints charmes de PS\Y'sage"? Les interprétations deMallarmé, La Mus;gue et las Lettres,
" ,Le Démon de l'anaJ.ogie. '1 , igtes, " , Richard Wagner, éd. La Pléiade, p.
"
Il If , p. , p. , p.646
273
as,
545
cette énigme varient dlun exé~te à 1I811tre. A l'époque de Mallarmé, "soeur" était sOllvent syno~e d'amante. Et pour A.Thib8l1det, cette soeur serait une femme aimée, une lectrice. Paar Guy Del:te1 et B. Charpentier, ce serait "la
compagne
au.
po~te, la ma1tresse spir:i.tuelle, la lectrice unique," commeéveil-" .
lée d'un songe, mais 1nst1'l1ite, docte (qui) va par le monde réel" ( 1). Selon G1.ly' Michaud ce serait une ma1tresse réelle et C. Mauron voit égaJ.ement en el-le une femme de cha:ir, Méry Laurent. Elel-le serait donc celel-le dont, 8I1tre part,
~
MallS."t'lIlé a chanté la chevelure et la "torse et ~e me". Eve retroa.vée, mais bien peu. "docte" ici, esquivant avec un sourire la méditation esthéti-que de son compagnon •••
TOIlte:tois, plus nous lisons Mallarmé, plus i l nous para1t douteu.x que le po~te, ennemi de tOllt reportage, ait pu faire intervenir une telle anecdote galante claus un arl poétique traitant du. Bean et de la ooDDais-sance. En dépit des découvertes de Charles Chassé sur l'érotologie voilée d'un grand nombfe de polmes de Malla:rmé, i l nOlls pppara1t peu probable que la
Prose mette en sc~e quelque jolie femme comme le fait par exemple Feuillet d'album, m&le si, comme claus Prose, on"y enregistre que la parole, "ce vain sou:t:tle", avoue un échec devant le charme de la dame. Il semble plut8t que cette "so~' soit la personnification d'une réalité abstraite et d'autres exégètes n'ont pas manqué de chercher dans cette voie b98l1cOllp plus probable. PO\lr Camille Soula, elle serait la personnification de l~ conscience; pOIlr Jacques Gengoux, . "la race du. po~te, son passé, la vie dans sa spontanéité
in-consciente". (2) PO\l1' Mme Noulet, c'est "la patience ••• cette partie de
lui-m~e, fraternelle à son esprit, cette disposition selon laquelle i l penChe
à donner :importance à ce qui seconde, favorise 0Il compense l'inspiration, sagesse de 8hinois qui sait que la mimtie et le temps combinés sont force aussi ~stérieuse que le génie". (3)
( 1) B. Charpentier,
éd.
de la. Pléiade, p. 1473(2) J. Gengoux, Le Symbolisme deMaJ.l~é, Nizet, Parls,
1950.
p.,0
~''''-'''718.
Quarid on ea.:Lt llimportance,en effet, que MaJ.la:rmé acoordait ~ la patience, oette interprétation est tentante. Il faudrait donc lirel UNous promenions notre visage ••• su.r maints oharmes de I>S\1sage 0 :patience
-Y' oomparant les tiens." Elle explique le possessif "les tiens" oomme "le PS\Y'-sage décrit ou plutat le décrit du PS\Y'sage. ainsi, en oompagnie de sa patien-ce, le po~te a tenté une oeuvre qui lui permet de comparer la beauté du réel et la beauté de llart." (1) Or, il semble que le texte exprime plutat la com-paraison entre les charmes du pa.ysage et oeux de la Il SOea.r'1 qui est
elle-m~-me pqsage, un des termes de la comparaison et non pas seu.lement un moyen teeh-nique de oom;paraison. D' aillel1rs, la version plus ancienne que Mondor pu.blia en 1954, vient confirmer notre interprétatioIU "Aurais-je su aire. les siens'"
Il semble que cette "soeu.r'ique Mallarmé vient de nommer - If je
le maintiens" - et avant la patience, so!U;~'", la "mémoirell, terrain dloa naS.tra
.
-lIHyberbole.(2) Il s'agit ioi de la mémoire platonicien.19 et non pasGde la
" .
mémoire psyohologique et temporelle. La mémoire n'est pas alors la revivisoen-ce totale dlune impression primitive, la restitution des ~ances de llémotion
- .J.t,
ou de llimage partioulilœe des objets qui la provoqulœent. EUe dit1"~e ~ cel-le de Proust par ex~le. Olest une mémoire Ifnotionnelle".(3) C'est la umé_
moire" dont les réminisoences acoompagnent le po~e et auJa].uelles il va com-parer "maints oharmes de pa.ysage'l. Il va comcom-parer le pa.ysage réel de l' ne
et oelui du souveIlir méta~sique.
Llhe d'autorité se trouble Lorsque, sans ml motit, on dit De oe midi que notre double
Inconscience approfondit E. Noulet, p. 76
Nous partageons ici enti~ement 11 explication de Daniel Boula.y, Llobsou-' rité esthétigu.e de Mallarmé et la. Prose ;pour des Esseintes, Exemplaire #0611, Paris, 1960
Q\i.6,
sol des cent:.. iris, son sitel'
Ils savent s'il a bien été,
Ne porte
pasde nom que cite
L'or
dela trompette d'Eté.
Ces deux strophes constituezrt une seule phrase, complexe mais
compréhensi-ble. IIL'ke d'au.torité se trouble lorsqu'on dit, de ce midi ••• que son site •••
ne pane
pasde
:nœlque cite l'or de la trompette d'Eté'I. Nous pœrrions &1cf1rs
rapprocher la Prose de Toast f'untlbreJécrit en 1874,
oa.
Mallarmé invite le
po~te
à
unommerlt;pour créer la beau.té,
desorte que vues et nommées par lui,
les fleurs
acc~entà
une vie noa.velle et supérieure. Mme Noulet dirait·
~j,&o7 •.••• '-;
que "la parole
du.poMe qui crée ce qu'elle dit, régit
ainsiun univers
-verbal et authentique •••
II(1) Elle penserait ainsi retrOilver une conception
semblable
dansProse tout· en notant qu'ici "Mallarmé rétrécit la place de
l'artiste nOn plus ma1tre
du.monde; mais d'une ne probable ••• "
_
Mais
i lsemble qu'il
Y'ait ici plus qu'un simple
rétré-cissement.
liEneffet,
siToast
iUn~bre constitue une psy-ohologie et une
mo-rale de la création artistique", Prose est une recherche ontologique. "Elle
affirme résolument un réalisme platonicien des Idées existant en soi et ce
réalisme est irrédnctible
~
un nom:inalisme créant l"tre par le mot" .(2)
Ain-si, les t'eJttes qui confirmeraient la Prose seraient plu.tet ceux
dans lesqu~s~larmé
se refu.se désormais' nommer et préf'à-e SIlggérer, voire se taire.
"Nommer un objet, c'est supprimer les trois-quarts de la jouissance
du.po~-. .
me qui est faite de deViner peu.
à
peu. le suggérer, voilà le rêve."
(3)
Et
encore. IIParler n' a trait à la réalité des choses que commercialement. en
littérature, cela se contente d'y faire allusion ou de distraire lear
quali~té qu'incorporera quelque idée. A cette condition s'élance le chant, qu'une
jOie allégée.
n(4)
Et nous verrons par
lasuite que d'autres textes tenteront
1
E. Noulet, p. 62
2
D.
Boul~,p.
35
3
Malla:rmé, Enquête de Jules Huret, éd. de la Pléiade, p. 869
20.
dl instituer une esthétique d1l silence.
Il fant alors comprendre. l'he d'autorité se trouble
quand"on" - ma cODq>agne
etmoi - dit que le site des Idées ne porte pas de
~mque
... ~ ..
cite llor de la troDq>ette d'Eté. Notans la majuscule de l'Eté, comme plUS
loin celle de llEsprit de litige - ou oelle de
B~tise dansLes
Fe~tres-.
Cette majuscule est péjorative et dénonce une éloquence prétentiEll1Se et
sté-rile devant le site des Idées-flears.
Mais
quelserait alors le sens de ce "midi" dont le "sitall
est ce "sol des oents iris", oe "midi que notre dou.ble
inconsoienceapprofon-dit
l l•C'est précisément oette "double inoonscience" qui le définit, oelle d1l
potlte et de sa mémoire, de sorte que , de m&me que le regard
quiperçoit la
Bvauté est double, \ie mbe, son site métaphysique,. oe
"midi",est double.
Lavéritable conscience sera
lacODq>lémentarité de la peroeption
etde la
rémi-niscence platonioienne, chacune n
iétant qu'une demi-oonscience. La vision
étant double, chaque regard n'atteint qu'une demi-vision. Toutefois, le
potl~te est persuadé que oe
"midi"existe
~ Ci.'Yûù'besûin
ù.' ~trenommé.
Oui,
dansune ne que l'air charge
De vue et non de visions
Toute flear s'étalait plus large
Sans que nous. en devisions.
Oui, c'est .. sans que nous en devisions", ma soeur et moi, que
danscette ne
-
."toute fleur s'étalait
PLus
large"; et MaJ.l.armé insiste sur l'objectivité de
. .
ces be:::atés
pa.isqu'ilprécise qu'il .'agit de "vual' réelle et non de "visions"
illusoires. C'est la réalité non
paspensée et disséquée
parl'intelligence,
mais la. réalité "vécue", telle que ll:intuition permet de la saisir. Quatre
-ans aprtls la pu.blication dè la Prose, Bergson s'efforcera de montrer que Cl est
l'intuition qui nous permet d'entrer en comnnm;cation
iJDmé~teavec les
cho-. .
ses et
avecnou.s-~e\Il invitera llhomme, en effet,
l
déoouvrir "les
don-nées immédiates de la conscience",
et ildema:ndera
l
cette conscience de s'
i-21.
soler
du.monde extérieur
parun vigoureux ef'fort d'abstraction. Et
d'a-bord et. avant tout, cette conscience bergsonnienn.e sign:i.1'ie mémoire.
l'at-titude nécessa:Lre alors
pouratteindre en soi la réalité pure, c'est de se
dérober
811présent pour nous absorber
dansle passé,
dansla contemplation
de la spiritualité pu'e.
Pour .Mall&'l"Dlé, en effet, la poésie est émotion, mais elle
est 8I1ssi prise de conscience de cette émotion. Elle devient alors un moyen
de découverte; elle porte en elle une certaine maniœ:-e de connattre qui est
l'intuition. Cette intuition, c'est la contemplation des objets, la saisie
su.bjecti:ve d'une unité analogique de l'esprit et
du.monde. Bet"gson
propo-sera une dé.t'inition
du.symbole fort semblable l celle
du.potlte en le disant
Une "image analogique
SQ%'le
cheminde l'intuition.tt
Mais
poilropérer ce dépassement vers les réalit's
supérieu.-raB qu'il pressent, le poète ne dispose que d'un instrument imparfait. le
laDgage. A la fin de Solitude. Mallarmé fait une ironique
~sede
l'im-possibilité de oOlDDDlniquet"
p&1:'la parole. Il y a
I I
une grande nostalgLe
durapport immédia3i et silenciea.x. Voill pourquoi il se rej ette sOIlvent sur
les moyens immédiats de relations le "regard
lt ,le
Usourire
ltet
danssa
cor-respoJldsnce,la poignée de main. Mais il sait bien qu'il lui fendra rompre
le silence
afinde le Itperpétuer", et passer
pa;rles IlOts pour po11voir
dénon-1 ~." ""
oer leur :inanité. Une réalité s'enfermera
dansles mots
afind'y
JIOUrir 1l
elle-m&1e, et d' en
~ejaillirautre, orig.lnelle. "tout y rentre
pou.rtant8t
sourdre princip&t
o(1) Mais n'anticipons pas et revenons
l
la Prose
pour
des
Esseintes.
Le
po~teaffirme que It sans que nous en q,evisions
u ,la
Beau-té s'est montrée
l
nous. De
m&1e que Bergson dénoncera le langage comme un
22.
obstacle
~oette sorte de saisie de so:l:; ·le
po~teet
sa. oompagne savent bien,
iOi,qutl'évoquer,
dansune ombre
expr~s,l'objet
tu,
par des mots allusit's,
ja.-mais direots, se réduisant
à
ànsilence, oomporte tentative
prooh~.de oréer ••• " (1:
Telles, immenses, que ohacune
OrdiDairement se
para.D'un
luoide oontour, lacune,
Qui des . jardins la sépara.
Chaque t'le\lr "ordj
nairament", selon la loi
d~l'lle, selon l'ordre de leur
nature, peu.t alors s'épanOllir
danstoute son amplEUr hyperbolique.
Sansa.-voir besoin de se oonsulter, ils ont oontemplé des a:rohétypesde neurs,
cha-cune
de ces images se détachant de plus
enplus la.rge
surl'horizon. Le
oon-tour de chaque t'leur était
sinet qu'il so détachait de l'ensemble
àn jar~.d1n
avec un extraordiD&ire relie!'. Ce n'est
passeulement
laplante qui
é-tait visible, mais
la"lacune" qui la séparait des
jardins.Ce que le
po~tedésirait dePlis longtemps se manitestesOils
8es
y~les Idées se concrétisent en oes fleurs
~erboliquestant espérées
~,
eD1'in vues,
l'exalténi;~
.lIinatant t'ugitif' d'élus"(2h
Gloire
ànlong désir, Idées
TOilt en moi s'exaltait de voir
La t'amille des iridées
Surgir
A.
ce !lOQ.veau devoir.
Mme Noulet
nOlISfait
a.dmil:'erioi l'e!'fort de Mallarmé pour ooncentrer le plus
possible son by.mne - oe que des Esseintes n'aurait
pasmanqué d'appréoier -.
"Rien n'est plus loin de l'amplifioation et de
la.paraphrase ••• ;
au lieu
d'é-largir son vooabulaire, il s'ingénie.
A.
le restreindre. Cette belle strophe •••.
est aussi la
synth~sede son systbe, et le rappel
ànvooabulaire qui
l'ex-primel 'loD6;désir' rappelle la patience; •
voir' rappelle 'de vue et non
vi-sions'; 'irridées' rappelle les t'leurs trop grandes".{3)
1
Mallarmé, Magie, éd. de la Pléiade, p.
4002
ta ,Solitud2"
" ,
p.
406Les Idées sont la gloire et la récompense
an
po~te,A
~orcede les rappeler
dansson long désir de remémoration,
i lpEUt
enfinles "voir".
Mallarmé reprend,
":<,
oomme
dansToast
.tù.n~bre,sa conception bn»erbolique
du
"voyant" dont "l' oeil
pro~ond!'arrache les choses
A
leur destinée
péris-sable, les
~ixedànS·leu.r 'tre essentiel et éternel, les ma.e en notions paree.
De la "confusion perverse et inconsciente des choses"(1),
i lcherche
A
décou-vrir
"un aspect nécessaire, évident, simple, qui serve de type"
.(2)
Daniel
Boul~
a raison. de constater que tou.te omvre est
~aitede la
"complémentari-té d'une essence mnémonique intelligible et d'une Fésence sensible". Ainsi,
le dou.ble regard promené
BI11'"ma1nts oharmes de pç-sage" est une
vision~.mnémo-perceptive.
Pouvons-nous rencontrer,
dansun texte quelconque de
Mallar-mé, une définition de l'Idée, moteur de la tranSIDl1tation idéalel Nous
cher-cherions en vain car elle ne semble exister pour lui que par ses
e~~ets,c'
est-l-dire l'état anquel justement la tra:".'wlltation veu.t abOlltir. Il y a,p&r
exemple, Le Némphs.rblanc qui parle de "résumer
d'un regard la vierge
absen-Oe éparse en cette solitude".(3) L'Idée pEUt anssi s'animer, s'incorporer et
devenir en mbe temps un symbole. C'est ce que révUe
la.danse qui,
toa.tcom-me la musique, par l'abolition de tetoa.t appareil
an
soribe"(4), est alors ttins_
-
-trument direct d'idéett .(5) Selon Charles Chassé, Mallarmé se serait beau-·
C01l.pservi de Littré. Qu.elle
dé~:inition'fdonn:l-t-onde l'Idées ttldée, terme
de philosophie. Type,
mod~leéternel des choses ••• Les idées de Platon, les
archétypes qui ••• sont le
mod~le des choses terre~trestt
.(6)
Nous ne croyons donc
pas ~aire ~ausserou.te en donnant
1i.
1
Mallarmé,
19itur,
éd. de la Pléiade,
p.450
2
Ibid., Un spectacle interrompu.,
p. 2763
Ibid., Le némphal; blanc, p.
2864
Ibid., Ballets, p. 304
5
Ibid.,
Mimique,
p.312
(6)
C. Chassé, Les
ol~sde Mallarmé, Aubier,
éd.
Monta.:igne, Paris, 1954,
p.175
24·
la Prose une interprétation à tendance platonicienne. Le terme "idée" n'a
pas
dans 1&platonisme le mhle sens que
à.ansla. philosophie moderne. l' t(dée,
pour nous,
Clest le concept, un objet mental, une représentation,
paroppo-sition à l'3tre formel de la Chose, à la réalité, supposée extérieure à
lJ.s-prit. Pour Platon, l'idée n'est
pasun simple objet de pensée, un "no3me";
elle est la réalité m3me, subsistant indépendamment de l'esprit qui la
con-na1t, transcendante
~Choses sensibles, dont la connaissance n'est
possi-ble que par elle.
Sans nous étendre davantage, disons que l'idéalisme
mal-la;rméen se contente d'afi'irmer qu'il
ya quelque Chose de supérieur à
lluni-vers matériel et qu'au-delà des apparences, quelque
~tâ-ese ca.ohe,
qutilappartient au
po~tede déchittrer. C'est là son
IldevoÙ''' • On ne parle
pasde poésie philosophique. Contrairement à celui qui "spéC'llle", le
po~techer-che non seulement à conœ.1tre les Idées, mais à les éprOllver pour
flUlelles
~-~~.
prodnisent(' C'est alors que le monde acquiert une signii'ication pour le
po~-te qui, saisissant "l'Idée qui en la vie est éparse", l'éprOllve en son sens
profond. En apercevant ainsi "le sens
~stérie\lXdes aspects de
.1'existence" ,
le
po~tes'éprOllve comme "un des centres conscients de
lavibration 1nf'inie".
Selon Jean Rayâ-e, les strophes
6-7
et 8 seraient
\1œL"pa-rapbrase'1 de l'abstraction
parl'image et
parle désir "pour manifester la
-geœse verbale de lIIdée'I.(1) Il cite en&Ilite Mallarmé qui dit que "penser
étant écr:il:'e sans accessoires,
nichuchotement mais tacite encore
11immortel-le paroimmortel-le". Lorsque immortel-le
po~e s'él~eassez haut pour que le poète "cède lii_
-nitiative aux mots", Mallarmé parvienàrait à concevoir une sorte d'écriture
pure qui serait une véritable
"magie'1 ~Jean RD\Y'â-e n'a pas tort de penser
ainsi"
mais
i lsemble qu'avec la Prise" l'auteur doute de pouvoir fixer sa
"native illumination".
A ce moment de "gloire "" en ef'f'et" le po';te est sur le point
d'oublier qu'fi est un double regard" comme l'indique le retour au "je"; 11.
va perdre sa réserve;
i l s'eJ.~alt·edevant ce
qu':U voit" c'est-1-dire qu'il
sent le besoin de parler" de nommer. Mais juste
à
temps"
i ls'av:l.se de
l'at-. titude en lui de sa "soeur sensée et tendre"l'at-.
Mais cette soeur sensée et tendre
Ne port@..
son regard plus loin
Que sourire et, connne
à
l'entendre
"occupe mon antique soin.
ALors que X'homme va s'exprimer" sa compagne est assez avertie pour ne pas
aller plus loin que la suggestion. D'un sourire allusif'" elle a la
délica-tesse de ne pas briser le lien
quiest alors "d'autant pluscompréhensibl.e
que
tu".
(1)Le
po~teretrouve son attention silenaieuse et" nous
dit-il""comme
à
l'entendre comme pour comprendre l ' attitude de ma mémoire
-j'occupe mon antique soin"" antique comme l'attention platonicienne
à
l'é-coute de la
voix de la réminiscence. n.;s lors" le
po~teretrouve le "nous"
que son exaltation a f'ailli f'âcheusement désunir.
Mais de nouveau 11.s doivent af'f'ronter l'incrédulité"
"l'Es-prit de litige"
CFù
ne semble pas comprendre leur modération et leur
contem-plation silencieuse.
Ohl sache l'Esprit de litige,
A
cette heure où nous nous taisons,
Que de lis multiples la tige
Grandissai t trop pour
nosraisons
Et
non connne pleure la
4;ig~rive
Quand son jeu monotone
mentA
vouloir
quel ' ampleur arrive
Parmimon jeune étonnement
(1) Mallarmé, Crise de vers, éd. de la Pléiade" p. 367
D' oo.!r too.t le ciel et la carte
Sans,~in
attestés
surmes pas,
Pa;r
le fiot mtme
qu
i Siéoarte,
Que ce pqs nI exista
pas.26.
Oh' que "l'Esprit de litige" sache bien que si ma mémoire platonicienne
in-néli et moi-même,
Ilnoue nou.s taisons
ll ,c'est parce que "l'ampleur" des
Idées-Ileurs dépasse objectivement linos raisons" et nos paroles, et non parce que
ce
"p~S", leurl~ite:' n'exist~~.
Bien
sar,
llétroitesse d'esprit de ceux
qui sont restés sur la "rive" vOlldrait faire croire que llobjet de ma cont==
plation n'est qu1une hallucination de mon "jeune" étonnement - c'est-l..djre,
de mon étonnement
premier 0\1instantané - d1entenare ceux qui scrutent le
Il
ciel" et ceux qui cherchent
SI11"une
ftca;rte", mime lorsque la mer "s 1 écarte" ,
nier II existènce de l'11e,
dupa;ys de Beanté.
Non, ce n'est pas llincertitude qui
~aitque nou.s nous
tai-sons, et les riverains ,ont raison de plev.rer pu.isque ni les cartes, ni leur
regard tourné vers le ciel n
iattestent la présence d' au.CIlne Ue. Que
ll~-dre popu.laire se moque, s'attriste
O\lgémisse d l envie, nous sommes bien deux
à
nous taire, mon antique regard et moi; la Callse de notre silence, c'est que
réellement, les Idées, ces lys, grandissaient trop
pOIlrnos raisons et notre
langage.
C'est
danscette intuition que
CODDDl1D:ient, au. plus
hautde
Ue:tr
iiiinéra:i.re, le
po~teet sa mémoire. LI élévation poétique s'est réalisée
sans qu'il
:~.;1yait un mot de
pro~éré.C'est
l'acc~sà
un monde
métaphysi-que,
àun
n~hen,sorte d'épopée éternelle d'un véCll paradisiaque. TOIlte
poésie se dégage donc d'une envolée originelle. Ma.is sa véritable
~onction,Cl