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Le moralisme féministe de George Sand dans son oeuvre romanesque entre 1837 et 1849.

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L'objet du présent mémoire est d'examiner la "pensée contes-tataire" qui a fait juger scandaleux par l'Eglise et ses contemporains, les romans que G. Sand a publiés de 1837 à 1849. Son féminisme et son socialisme paraissaient fort dangereux à l'époque. L'étaient-ils vraiment?

Le socialisme de l'auteu~ est inexistant: le Chapitre l montre qu'elle n'a pas appliqué le concept de classes sociales à son analyse de la société : elle n'y voit que des individus. Quant au féminisme, il prend d'abord la forme d'une révolte contre l'institution du mariage dont elle a été victime. Mais les réformes qu'elle propose n'ont rien de juridique : un grand amour partagé suffit à résoudre le problème, ainsi que le montre le Chapitre II. Les deux chapitres suivants analysent le rôle que G. Sand entend voir jouer à la femme dans la société : elle la voit douée d'une nature plus raffinée que celle du sexe

fort, et lui réserve l'éducation des enfants, la pratique de la charité, la formation morale. Est-ce une position révolutionnaire? Certes non. C'est du Rousseau romantique Toutefois, la foi de G. Sand dans la perfectibilité de l'homme et le combat qu'elle mène pour le progrès des lumières par l'instruction universelle sont en opposition avec la philosophie bourgeoise de la société louisphi1ip-parde. Par sa générosité de coeur, son idéal de fraternité chrétienne, et la confiance qu'elle place en son propre sexe, G. Sand fait avancer, même si ses romans sont litté-rairement médiocres, l'idéal démocratique.

Diane Hodgson-Verdon Master of Arts

(3)

SON O~VRE ROMANESQUE ENTRE

1837

ET

1849

Diane Hilary Hodgson-Verdon

Thesis submitted to the Faculty of Graduate Studies and Research, McGill University, in partial fuliilment of the degree of lriaster

:leœrt::ent of ?re::c!l

La..~~ a.~è. Li te~ t".u-e

of Arts.

(4)

TABLE DES rUTIERES l NTRODUCTI ON •••••••••••••••••••••••••••••• 2 CHAPITRE l • . • , • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

15

CHAPITRE II ••••••••••••••••••••••••••••••• 42 CHAPITRE III •••••••••••••••••••••••••••••• CHAPITRE IV ••••••••••••••••••••••••••••••• CONCLUSION •••••••••.•••••••••••••••••••••• 122 BIBLIOGRAPHIE •••••••••••••••••••••••••••••

133

(5)
(6)

J

~évoltée contre son milieu, contestant par la plume et par l'action, Geor~e Sand redevient d'actualité. Cette thè-se a comme but de réexaminer une partie de l'oeuvre roma-nesque sandienne afin d'en dégager les éléments socialis-tes et féminissocialis-tes. George Sand était-elle vraiment révo-lutionnaire? L'ima~e la plus répandue d'Aurore Dudevant par-venue jusqu'à nos jours la représente comme femme émancipée, vivant en marge de la société louis-philipparde, et n'ac-ceptant pas ses normes. Cette description s'applique-t-elle à George 3and ou est-ce plutôt une légende qui s'est créée autour de cette femme si énigmatique?

La vie mouvementée de cette femme de lettres semble soutenir ce mythe. Née le 1er ~uillet 1805 à Paris, Aurore Dupin a une double ascendance, noble et roturière. Son père, iyiaurice Dupin, de famille noble, est le fils d'Aurore de

Saxe et Claude Dupin de Francueil. L'arrière-grand-père de George Sand était donc Maurice de Saxe, fils naturel du roi de Polo~ne, Auguste II, et d'Aurore de Koenigsmark, futur r.laréchal de France.

Gr, si mon père était l'arrière-petit-fils d'Auguste II, roi de Pologne, . • • , il n'en est pas moins vrai que je tiens au peuple par le sang, d'une manière tout aussi intime et directe.

l.:a mère était une oauvre enfant du vialx pavé de Paris; son père, Antoine Delaborde, était ~itre uaulmier et maître oiseleur

1)

.

. .

~eorge Sand attribue donc en partie son amour pour le peuple

(7)

obli~e Aurore à résider chez sa grand-mère paternelle, à Hohant. A partir de 1817, Aurore est envoyée au Couvent des Augustines anglaises, rue des Fossés-Saint-Jacques, à Paris, où elle subit une crise de mysticisme dont elle gar-dera la réminiscence toute sa vie. Sortie, elle s'éprend de Casimir Dudevant, qu'elle épouse en 1822. Son premier enfant, liiaurice, naît l'année suivante. Les joies de la maternité effacent pendant quelques temps l'ennui con.iugal. George Sand prend son rôle de mère au sérieux et elle porte toute son attention à ses enfants. Son rôle de mère passe même avant sa carrière littér~ire et ses nombreuses aventu-res amoureuses. Cette attitude maternelle ne sera pas sans influence sur son oeuvre.

Bientôt déçue par le mariage, Aurore Dudevant cherche des compensations ailleurs. Elle fait la connaissance d'Aurélien de 3èze pendant un voyage dans les Pyrénées. D'après sa correspondance, cette amitié fut entièrement pla-tonique. Tel ne semble pas être le cas de celle qu'elle par-tagea avec Stéphane Ajasson de Grandsagne, qu'elle rencon-tre en 1827. Désormais, Aurore Dudevant connaîtra une longue suite d'amants, ·Jules Sandeau, r.:érimée, Alfred de

~usset, le Docteur Pagello, Michel de ~ourges • • • Ce der-nier l'aide à engager une procédure en séparation avec son mari, laquelle est prononcée le 1er août 18;6.

intre 1837 et 1847, ~eorge Sand mène une vie relative-ment calme et littérairerelative-ment féconde. ;,~aitresse de rrédéric

(8)

Chopin, elle le soutient et le soigne maternellement pendant neuf ans. L'année 1847 marque un tournant dans la vie de George Sand. La rupture définitive avec Chopin (juillet 1847) et la révolution manquée de 1848 la déçoivent. Elle se tourne de plus en plus vers la retraite tranquille à Nohant où elle continue à écrire des romans champêtres et des pièces de théâtre. A cause de sa grande générosité pour les pau-vres, on la surnomme "la Bonne Dame de Nohant". Elle passe

les dernières années de sa vie à Nohant, entourée de ses petits-enfants qui feront la joie de leur grand-mère, qui meurt à Nohant le 8 juin 1876.

Ce rapide survol nous a permis de signaler les événe-ments les plus importants de la vie de George Sand. Pour une biographie plus détaillée, nous renvoyons le lecteur à

l'étude d'André Maurois 1 Lélia ou la vie de ~eorge Sand

(Parisl Hachette, 1952).

Cette vie mouvementée fut accompagnée d'une production littéraire abondante. Dès 18)1, George Sand publie son premier roman, Rose et Blanche. en collaboration avec .Tules 3andeau. A partir de cette date, George Sand vit de sa plume. Pendant quarante-cinq ans elle ne cesse d'écrire. L'étendue de son oeuvre littéraire ne nous permet pas

d'ana-lyser tous ses écrits:

L'édition des Oeuvres comnlètes com-prenà 109 volumes, publiés sans ~o­

maison, d'abord chez ~etzel-:ecou

(1853-1855) en ce qui concerne les 21 premiers volumes, puis chez ~:ichel

Lévy (aUjourd'hui Calmann-~é~:) (le56-(2) 1897), pour les 88 volumes suivan~s.

(9)

I-ious avons choisi pour notre étude une douzaine d'années que nous avons estimées particulièrement intéressante~ du point de vue des idées. De 1837 à 1849, George Sand s'in-téresse aux doctrines socialistes. Ses opinions se reflè-tent dans ses romans et, vers 1845, ses croyances socialis-tes y occupent une très large place.

La séparation d'Aurore Dudevant, le 1er août 1836, marque un tournant dans ses écrits aussi bien que dans sa vie. Avant cette date, George Sand condamne le mariage à cause de la position inférieure que la femme y occupe.

Ses romans plaident pour les droits de la femme dans le mariage, et ses réflexions semblent dues à son expérience conjugale personnelle. r.:ais ;.~uprat, publié en août 1837, montre qu'un changement s'est opéré dans l'orientation de sa pensée. Se tournant vers les questions sociales, elle est moins vindicative. Elle vise maintenant à construire et non à détruire. Cette tendance se montre de plus en plus, au fur et à mesure qu'elle subit l'influence de ses diverses connaissances.

C'est qu'en effet, aux environs de 1836, ~eorge Sand commence à fréquenter des intellectuels d'allégeances di-verses. C'est l'époque où elle se lie d'amitié avec l'abbé }'élici té de Lamennais. ~lle fait aussi la connaissance des

chefs du parti républicain: ;::arie ::;arnier-Pagès, Larbès, Carnot, Ledru-Rollin, etc. bientôt, ~lle considère les

(10)

républicains comme ses amis, ses maîtres, ses frères."

(3)

~lle s'intéresse aussi aux doctrines socialistes de Pierre Leroux, et fait de lui son idole en introduisant ses idées dans ses romans pendant dix ans.

Il est important de souligner que Lamennais, les ré-publicains et les socialistes apportent à ~eorge Sand au-tant d'inspirations diverses et même, quelquefois, contra-dictoires. EClectique, elle puise ici et là les idées qui viennent à l'appui de ses intuitions, tout en y ajoutant une saveur personnelle. En ce qui concerne toutœ ces in-fluences "progressistes" qui ont agi sur la pensée san-dienne, il est malheureusement impossible de séparer l'ap-port personnel de la masse des emprunts. Elle était répu-blicaine sous Louis-Philippe, comme tous les gens de gauche, mais elle était en même temps séduite par la générosité

nébuleuse des socialistes. plais ce ne fut jamais une so-cialiste désirant une révolution. C'est une évolutionniste, qui cherche encore l'Age d'Cr dans le perfectionnement des

individus.

Les romans publiés entre 1837 et 1849 ~t ~ombreux et présentent plus ou moins d'intérêt littéraire. :'ous en avons choisi un certain nombre qui sont particulièrement intéressants pour les idées qu'ils contie~~ent. ~auprat

(aoat 1837) est le pre~ier roman où ~ransparait

*

Les àates en~re narenthèses se refèren~ à la àa~e à~

(11)

l'influence des républicains que George Sand rencontre en 18)5-)6. L'emprise républicaine apparaît de nouveau dans Horace (avril 1842) où l'action est centrée sur l'insurrec-tion de Saint-I,ierry en 18)2.

~ntre temps, elle a écrit Le Compagnon du Tour de France (décembre 1840), où elle décrit les moeurs des com-pagnons et défend l'existence des sociétés secrètes. Ce livre fait pressentir La Comtesse de Rudolstadt (184)-44). Consuelo (février 1842 - mars 184)) et sa suite, La Comtesse de Rudolstadt (juin 184) - février 1844), apparaissent en feuilleton dans la Revue Indépendante. Ce long roman est peut-être celui dans lequel George Sand se livre le plus, bien qu'on y détecte toujours la présence de Pierre Leroux.

Le Meunier d'Angibault (juillet 1845) et Le Péché de Monsieur Antoine (1er octobre 1845) font la transition entre

les romans à fond socialiste et les "romans champêtres". Dans ces deux romans, l'intrigue est située à la campagne mais les thèmes socialistes gardent leur importance. A par-tir de La j,lare au Diable (mars 1846), l'aspect champêtre do-mine le récit. i-:ous avons cru nécessaire d'inclure ce ro-man dans notre étude, ainsi que François le Chamni (décem-bre 1847), car nous y retrouvons les mêmes idées socialistes qu'auparavant, mais sous une forme atténuée.

Plusieurs articles écrits entre 1837 et 1849 ont atti-ré notre attention. Ainsi les Lettres à l·:arcie (février-mars la)?); "Les Dialogues familiers sur la poésie et les

(12)

prolétaires" (parus dans la Revue Indépendante en 1842): et tous les articles écrits pendant la Révolution de 1848

(réunis en 1879 sous la rubrique Questions politiques et sociales), ont servi à C!orr-oborer certains thèmes étudiés dans les romans.

Cette liste n'épuise pas les romans publiés entre 1837 et 1849. Nous avons limité notre étude aux titres cités ci-dessm, car ils contiennent le plus d'éléments socia-listes. ~ous avons omis Spiridion (février 1839), roman qui présente certains aspects religieux intéressants, car nous retrouvons les mêmes idées plus tard dans Consuelo

(1842-43). De même Jeanne (décembre 1844) ne fait qu'énon-cer les thèmes présents dans Le Meunier d'Angibault (juillet 1845) et Le Péché de il.onsieur Antoine (1er octobre 1845).

Ce choix de romans nous permettra d'analyser la pensée sociale de George Sand entre 1837 et 1849. Le roman, devenu instrument de propagande sous la r.:onarchie de .Juillet, con-naît une popularité .;usqu' alors inconnue. Les romans de George Sand perpétuent cette oeuvre de vulgarisation des doctrines socialistes. 211e prête des aspects religieux à ces doctrines arides, et son oeuvre romanesque est, pour cet-te raison, fondanentalement moraliscet-te.

~n même te~ps, les romans de ~eorge 3and continuent

u~e longue tradition de romans féministes:

La littérature féMinine est sans doute plus abo~dante à l'époque de Louis-Philippe qu'à n'i~PQrte quelle autre

., ~~)

(13)

Peut-on vraiment comparer les écrits de George Sand à ceux des féministes de l'époque? Afin de répondre à cette ques-tion, nous analyserons les doctrines féministes qui appa-raissent dans ses romans.

Notre approche du féminisme sandien se divise grossiè-rement en quatre parties. La première sera d'analyser la vision que George Sand a de la société. Cette analyse nous âmènera à découvrir un manichéisme inhérent à sa pensée so-ciales une opposition morale entre les bons (paysans et aris-tocrates) et les mauvais (les bourgeois). Toutefois, George Sand ne saisira jamais le concept de "classe sociale" et elle présente la société comme une somme d'individus. Cette découverte nous poussera, dans le deuxième chapitre, à exa-miner un deuxième niveau d'oppositions celui de l'homme con-tre la femme. Nous y serons amenés à comprendre que George Sand conçoit les relations sociales sur le modèle des rap-ports entre hommes et femmes (des ~pports au niveau de l'in-dividu). ~lle fonde ainsi sa pensée politique sur un senti-ment (le don de soi, l'abnégation) et non sur des réalités

sociales.

Ces deux premiers chapitres forment un tout, en ce qu'ils dessinent, ou tentent de dessiner, l'espace dans le-quel se meut la pensée sociale sandienne. ~n fait, ~eorge

Sand saisit la réalité sociale comme une série d'oppositions entre deux oôles: l'individu et la collectivité. Ainsi, non

(14)

se retrouvent des oppositions majeures: l'homme contre la femme au niveau individuel et les riches contre les pauvres au niveau collectif. Toutefois, contrairement aux dogmes de la sociologie moderne, la collectivité (ou société) san-dienne n'est pas qualitativement différente de l'individu. Et cette conception permet le passage de l'un à l'autre niveau en termes de psychologie individuelle (l'amour, la solidarité, etc.) •

Notre troisième chapitre amorcera une deuxième étapes celle de comprendre le passage, la transition entre les ni-veaux individuel et collectif. L'examen des différentes

fonctions qu'assume la femme, à mesure que l'oeuvre sandienne évolue, apportera une réponse à ce problème. Ce chapitre nous placera ainsi au coeur de l'analyse du féminisme san-dien.

Toujours à l'intérieur de cette seconde étape (dia-chronique), notre quatrième et dernier chapitre tracera le rapport entre l'évolution des fonctions assignées à la per-sonne féminine et la naissance du sentiment religieux chez George Sand. Le portrait de la ?emme COnt1'fie lliessie d'une religion nouvelle, le socialisme, nous conduira au problème de l'éducation. L'éducation sandienne sera l'instrument ultime de la révolution socialiste, dont la Femme éclairée sera le principal agent. ;~ous terminerons sur un bref exa-men de la notion sandienne de Progrès, notion qui résume toutes les théories qui auront été soulevées. ~nfin, la

(15)

conclusion jugera de l'oeuvre de George Sand à la lumière de ce que Marx et la sociologie moderne ont apporté. Cela nous permettra de prouver que le message de George Sand n'était pas politique, mais essentiellement moral.

(16)

NOTES 1 INTRODUCTION

(1) George Sand, (2) André Maurois,

(3 ) Pierre Salomon, (4) David-Owen Evans,

Histoire de ma Vie,I (Parisi

Calmann-L~vy,

1876 ,

p. 14.

Georye Sand (Paris: Hatier-Boivin,

1953 ,

p.

42.

Le Roman social sous la Monarchie de Juillet (Parisl P.U.F.,

1930),

p.

103.

(17)
(18)

Les critiques classent, en général, la plupart des ro-mans que George Sand écrivit entre 1837 et 1849 sous la ru-brique ·romans sociaux". Sans refuser cette classification, nous aimerions y apporter quelques retouches. George Sand, dès Indiana (1832), a choisi le genre romanesque comme vé-hicule de ses ·idées". Et ces "idées" se glissent dans toutes ses oeuvres. Si elles se retrouvent davantage dans les "romans sociaux·, on n'en découvre pas moins dans les romans dits "romanesques· et les romans dits ·champêtres". Et les "idées" d'Aurore Dudevant impliquent presque toujours une réflexion personnelle sur le domaine social. des droits de la femme opprimée à une redistribution des richesses, notre romancip-re déploie tout l'éventail des opinions

"avancées· de son temps, qu'elle expose et défend avec pas-sion. On ne peut donc s'en tenir, en ce qui la concerne, à une classification rapide. les idées sociales apparaissent partout. Mais elles ne sont pas au premier plan de toutes les oeu~s.

Une évolution toutefois se manifeste dans la présenta-tion de ces ·idées". Au début de sa carrière, George Sand les ·plaque· s~r son intrigue sans les incorporer à la tra-me romanesque. On les trouve sous la forme de longues

di-gressions qui coupent le fil de l'intrigue -- et que le lec-teur pressé peut sauter sans dommage. Au fur et à mesure qu'elle acquiert plus de métier, les idées, sociales ou au-tres, sont introduites avec plus de finesse et sont intégrées

(19)

dans le récit. Au cours des années sur lesquelles porte le présent mémoire, les progrès de la romancière sont évidents. Elle finit par aboutir à des récits dont l'intrigue même

sert d'illustration à ses "idées sociales", et où elle de-vient en quelque sorte, et comme aurait dit Balzac "une ro-mancière à idées" ou, comme il sera dit vingt ans plus tard, "une romancière à thèses". Quelques exemples précis suffi-ront à éclairer cette caractéristique permanente de l'oeu-vre sandienne. Vouloir la diviser avec rigueur en romans

sociaux, romans champêtres et romantiques (ou romanesques), est une simplification abusive.

Si, par exemple, nous lisons Indiana (1832) de près, nous nous apercevons que ce "roman romantique" contient des idées sociales. L'auteur y mentionne déjà les "espérances chimériques des républicains." (1) Elle y évoque à plu-sieurs reprises le "rêve d'égalité", qui devient un thème prépondérant de ses romans après 1837. Elle fait appel à Dieu pour réaliser ce rêves "S'il daignait descendre jus-qu'à intervenir dans nos chétifs intérêts, il briserait le fort et relèverait le faiblel il passerait sa grande main sur nos têtes inégales et les nivèlerait comme les eaux de la mer." (2) Plus tard, elle soulignera dans la préface écrite en 1851 pour une nouvelle édition de La Petite Fa-dette (1849), "roman champêtre", que:

La mission de l'artiste est de célé-brer la douceur, la confiance, l'ami-tié, et de rappeler ainsi aux hommes

(20)

endurcis ou découragés que les moeurs pures, les sentiments ten-dres et l'équité primitive sont ou() peuvent être encore de ce monde.

Il serait donc difficile d'arrêter des divisions nettes dans l'oeuvre de la Dame de Nohant. Pierre Salomon le sou-ligne avec raisons

Le Meunier d'Angibault et Le Péché de Monsieur Antoine, catalogu~s comme mans socialistes, sont aussi des ro-mans champ~tres. Toutes ces oeuvres tendent au même buts exalter le peuple,

le faire a~,; par ceux qui le connais-sent mal.

On ne peut nier cependant qu'entre 18)7 et 1849, la

pensée sociale prédomine dans l'oeuvre de George Sand. Dans les romans de cette période, tout tourne autour d'un thème centrals le socialisme. L'intrigue, les personnages, l'action, le lieu tout contribue à exposer ou illustrer les théories sociales de notre romancière. Trop de criti-ques ne consacrent pas à ces oeuvres une étude approfondie. Ils se contentent d'en donner un bref résumé, ou m~me de ne citer que leurs titres en disant qu'ils sont "mauvais·; c'est, par exemple, ce que fait Emile Faguets

Elle prit goût au rôle de penseur qu'on lui attribuait bien gratuite-ment, ne songea plus qu'au roman à thèse et la thèse g4~ ses romans pendant dix années. (5)

La plupart des critiques cherchent les éléments de la doc-trine de George Sand dans sa correspondance et ses écrits pOlitiques, sans étudier ce qu'elle prône dans ses romans. Mais n'est-ce pas par ses récits fictifs et romantiques

(21)

qu'elle va atteindre le plus vaste public? Ces oeuvres ne sont-elles pas plus importantes pour la diffusion de ses idées que des essais théoriques?

Un dénombrement rapide des réimpressions et éditions des romans de George Sand répond à cette questions il prouve la popularité de ces écrits aupr~s du grand public. Il exis-te, par exemple, au moins treize éditions et réimpressions de Mauprat

(183?)

publiées avant

1939.

Quatre romans con-sidérés comme ayant le plus de "contenu socialiste" Horace

(1842),

Le Compagnon du Tour de France

(1840),

Le Meunier d'Angibault

(1845)

et Le Péché de Monsieur Antoine

(1845)

ont tous eu au moins six éditions ou réimpressions avant

1869.

L'oeuvre romanesque de George Sand a donc connu un succès continu au XIXe siècle, et ses "romans à thèses", même les moins réussis, ont touché des milliers de lecteurs pendant longtemps -- alors que ses écrits purement politiques n'ont é'té lus que d'un public restreint. C'est donc par le roman surtout que George Sand a 'pu avoir une action sur le

monde de son époque.

D'ailleurs, l'ampleur de sa prOduction romanesque et son assiduité au travail l'ont fait connaître dans toute l'Europe, et jusqu'en Russie, où Dostofevsky disait d'elle dans son Journals [George Sand brought to Russia] • • • "an enormous sum of thought, of love, of noble enthusiasms and deep convictions." (6) Cette fécondité servit admirable-ment à répandre ses idées et celle de ses amis. Il nous

(22)

semble donc qu'une étude approfondie des romans que George Sand publia sous la Monarchie de Juillet permet de mieux cerner l'influence qu'elle a exercée sur ses contemporains. Sa correspondance (qui fut publiée seulement après sa mort et que Georges Lubin réédite aujourd'hui chez Garnier) ne fut jamais connue de ses avides lecteurs. Cette correspon-dance permet aujourd'hui de préciser les idées de la roman-cière mais ne peut être utilisée pour juger de l'influence de ses romans sur l'évolution des idées et des moeurs au milieu du XIXe siècle.

Nous nous proposons dans le présent chapitre de rele-ver quelques caractéristiques des romans de George Sand pu-bliés entre 1837 et 1849. Les deux premiers chapitres ten-teront d'esquisser le cadre dans lequel les idées sociales de George Sand ont évolué. Les deux derniers chapitres s'attarderont à l'étude de cette évolution. Dans ce pre-mier chapitre, nous nous attacherons premièrement à la

des-cription que fait George Sand des classes sociales. Le por-trait qu'elle en trace nous permettra de souligner la dicho-tomie qui lui est propre car sa vision sociale semble reposer sur le fossé séparant les classes laborieuses de la bou~geoi­

sie. Après avoir examiné ces deux degrés de la hiérarchie sociale, nous nous pencherons sur la façon dont George Sand

juge sa propre classe, l'aristocratie. Cette analyse des classes soci~les nous permettra de co~prendre l'ambiguité qui règne autour de la notion sandienne d'Wégalitéw•

(23)

Toutefois, avant d'aborder cette question épineuse, il faudrait tenter de distinguer quelles étaient, à l'époque de

la Restauration, les différentes classes sociales. Nous avons extrait de La Restauration, de G. Bertier de Sauvigny, des faits historiques de base. Sauvigny ne peut, toutefois, distinguer que deux classes "dont il soit possible de définir l'individualité en termes à la fois assez précis et assez généraux pour s'appliquer à toute la France: la noblesse et les ouvriers de l'industrie." (7) La bourgeoisie "existe,

• •

.

,

mais comment cerner ses limites dans une société où

elle se grossit rapidement de tous les éléments qui échap-pent au travail manuel?" (8) Les classes sociales traver-saient une période de transformation au milieu du XIXe S1e-., cle, ce qui rend une rigoureuse classification difficile.

Sauvigny distingue néanmoins parmi les ouvriers trois catégories existant sous la Restaurations celle des "métiers artisanaux", celle des "prolétaires de la grande industrie" et celle des ·ouvriers-cultivateurs des campagnes".

(9)

Dans ses romans, George Sand se préoccupe plus parti-culièrement de deux de ces groupes 1 les artisans et les

ouvriers-cultivateurs. Eh~re 1840 et 1845, elle place l'ar-tisan au premier plan. Plusieurs des personnages principaux appartiennent à cette catégorie. Pierre Huguenin ei }~ury

le Corinthien (Le Compagnon du Tour de France, 1840) sont tous deux menuisiers. Dans Le Péché de r~onsieur Antoine

(24)

que Monsieur Antoine qui, bien que d'origine noble, a dû,

à la suite de sa ruine, travailler de ses mains pour gagner sa vie.

Me voyant dénué de toutes ressour-ces je [Monsieur Antoin~me résolus à travailler pour vivre. • • J'ai été apprenti charpentier, aide

char-pentier au bout de quelques années. • • (10) Monsieur Antoine n'a pas honte de pratiquer le métier hono-rable d'artisan.

A partir de

1845,

George Sand se livre

à

une étude plus approfondie du cultivateur. Ses romans champêtres lui sont presque entièrement consacrés. Ainsi, dans Le Meunier d'An-gibault

(1845),

le Grand Louis moût le grain pour la région d'Angibault. Dans La Mare au Diable

(1846),

Germain est un cultivateur-laboureur tandis que Marie, sa future épouse, est pastourelle. Le portrait du meunier revient dans Fran-çois le Champi

(1847),

où Monsieur Blanchet et sa femme pos-sèdent un petit moulin à Cormouer. François, leur garçon de moulin, est obligé de "se louer" dans une ferme comme domestique; mais

On fut bientôt si content de lui qu'on lui confia la gouverne de bien

des choses qui étaient au-dessus de son emploi. On se trouvait bien de ce qu'il savait lire et écrire, ~t Qn lui fit tenir des comptes. •• ~ll)

L'image du cultivateur réap~rait dans La Petite Fadette

(1849),

où le père Barbeau de la Cosse "avait deux champs qui lui donnaient la nourriture de sa famille et du profit

(25)

George Sand cherche donc à peindre l'artisan et le cul-tivateur dans son oeuvre romanesque. Dans les romans que nous étudions, le prolétaire de la grande industrie n'appa-raît pas. La socialiste berrichonne n'ignore pas toutefois la misère qui règne dans le milieu industriel. Dans sa pré-face à La Mare au Diable

(1846),

elle souligne que son but n'est pas de dépeindre la misèrel

Certains artistes de notre temps, je-tant un regard sérieux sur ce qui les entoure, s'attachent

à

peindre la dou-leur, l'abjection de la misère, le fu-mier de Lazare. • • ; mais, en peignant

la misère si laide, si avilie, parfois si vicieuse et si criminelle, leur but

::i~~!i~::e~~~eeil;'~~f~~u~~a~:~t~l

(13)

George Sand croit qu'un tableau des moeurs paysannes, même idéalisé, serait plus utile qu'une peinture trop crue des ouvriers de l'industrie naissante.

Ainsi, dans ses romans sociaux

(1837-1845)

et dans ses oeuvres rustiques

(1845-1849),

nous pouvons relever à chaque page des détails qui prouvent combien George Sand a observé la classe laborieuse dans sa vie quotidienne, ce qui nous permet d'approcher avec plus de sûreté sa conception de la

réalité sociale. Notre romancière ne voit pas le peuple comme une entité collective, une "classe sociale" (au sens marxiste), mais plutôt comme un ensemble d'individus qui ont

chacun des traits de caractère particuliers.

C'est qu'en effet, pour ~eorge Sand, le peuple n'était pas un mythe litté-raire; il était pour elle une réali-té et, si elle a su les comprendre,

(26)

c'est qu'elle est d'abord une ru-rale, une rurale qui vient de la province à Paris et qui, lorsqu'el-le est à Paris, éprouve la

nostal-gie d~ ce Berry ou elle a passé les meilleures années de sa vie et de ce NOhant(où)s'épanouit sa vraie nature. 14

Les romans sandiens sont truffés de scènes rurales qui visent à exploiter l'aspect pittoresque de la vie de

cam-pagne. Elle évoque les détails de la vie du laboureur, du paysan. Les danses au village après la messe du dimanche, les concours de cornemuse, la tranquillité de la pastourelle qui garde ses bêtes, George Sand les capte et nous en trans-met le charme, trop naivement peut-être, ainsi que son atta-chement à ces coutumes qu'une grande partie de ses lecteurs ignorent.

Dans Consuelo

(1842-43),

elle décrit une scène rusti-que à laquelle elle a certainement assisté dans les campa-gnes de la Vallée Noires

Une famille de bons laboureurs man-geait en plein air devant la porte, sur une table de bois brut. • • Ces braves gens, fatigués d'une longue et chaude journée de travail, pre-naient leur repas en silence, livrés

à la béate jouissance d'une ~li~en­

tation simple et copieuse. ~15)

Cette peinture des moeurs paysannes, parfois idéalisée com-me dans la scène citée ci-dessus, n'est pas dénuée d'élé-ments réalistes. Et seul ce réalisme rachète la fadeur des descriptions.

(27)

George Sand est cependant pleinement consciente de la

pauvreté dans laquelle vivent beaucoup de ses amis rustiques. Elle souligne toutefois qu'à la campagne "la pauvreté ne weJ

cachait pas honteuse et souillée sous les pieds de la riches-se." (16) Ainsi, même si le paysan ne possède rien, il a de quoi gagner sa vie quotidienne. George Sand nous décrit la cour de la maison chétive d'un "prolétaire rural" a

Cette cour était longue de vingt pieds sur six, fermée d'un côté par la mai-sonnette, de l'autre par le jardin, à chaque bout par des appentis en fagots recouverts de paille, qui servaient à rentrer quelques poules, deux brebis et une chèvre, c'est-à-dire toute la

richesse de l'homme qui gagne son pain ( ) au jour le jour et qui ne possède rien. 17 A ses yeux, la propreté enlève à la pauvreté son caractère de misère. Et, semble-t-elle dire, les campagnards sont encore capables de propreté. A l'intérieur de cette maison misérable 1

Le sol inégal et raboteux n'avait pas un grain de poussière, les deux ou

trois pauvres meubles étaient clairs et brillants comme s'ils eussent été vernis; la petite vaisselle de terre dressée à la muraille et sur les

plan-ches, était lavée et rangée avec soin. (18) George Sand souligne les qualités du paysan et aussi, quelquefois, les défauts qui lui sont légendaires. Ainsi, dans Mauprat (1837), elle dépeint l'attitude du paysan face à l'argent. Elle montre son inaptitude à gouverner ses fi-nancesl

(28)

Ils [les paysans] ont de la vanité, ils aiment la braverie, mangent le peu qu'ils ont pour paraître, et n'ont pas la prévoyance de se pri-ver d'un petit plaisir pour mettre en réserve une re~so~rcecontre les grands besoins. t19)

Ils aiment mieux acheter "une chenevière ou un mobilier afin que les voisins s'étonnent et soient jaloux." (20) Ces achats se font le plus souvent à des taux d'intérêts très élevés et le paysan, criblé de dettes, vit dans la crainte du créancier ("qui est toujours l'un d'entre eux") qui vien-dra tôt ou tard saisir ses meubles.

Il est intéressant de noter qu'après ~~uprat (1837), les passages tels que celui cité ci-dessus deviennent de moins en moins fréquents. A partir de 1846, dans les ro-mans champêtres, George Sand s'attache plus aux côtés

idyl-liques et pittoresques de la vie rurale. Le paysan est beau-coup plus idéalisé que dans ses premiers romans.

C'est que George Sand s'intéresse alors plutôt à la description de "l'aristocratie du monde du travail." (21) Dans les romans sociaux publiés entre 1840 et 1845, elle dé-sire faire ressortir les mérites de cette partie de la popu-lation en l'opposant à la classe bourgeoise. Elle obéit en ceci à une tendance des romanciers romantiques et républi-cains de son temps. Elle tente de "dénigrer les classes

(29)

Ainsi, dans Le Compagnon du Tour de France (1840), George Sand fait le panégyrique du peuple. Pierre Huguenin

(menuisier), à l'opposé d'Isidore Lerebours (employé aux

ponts et chaussées), est "un homme très précieux à employer". Il est surtout sans affectation et c'est ce qui le rend sym-pathique aux yeux de l'écrivain nohantaisl "Ce qu'il y a

d'admirable dans le peuple, c'est la simplicité du coeur.

(23)

Cette simplicité caractérise sa façon de travailler. Modeste, il n'impose pas ses idées comme le fait Isidore. C'est un menuisier "intelligent et habile". Isidore, au con-traire, petit bourgeois, s'occupe trop de sa personne et fait de graves erreurs dans son emploi aux ponts et chaussées. Huguenin est consciencieux et, fier du travail qu'il fait, désire avant tout qu'il soit bien fait.

Le contraste entre le peuple et la bourgeoisie réappa-raît dans Horace (1842). Ici, George Sand oppose Horace Dumontet à Paul Arsène. Tous deux viennent de province mais Horace est paresseux et préfère gagner sa vie par le jeu. Il refuse de travailler régulièrement ou de prendre un em-ploi de garçon de café, situation qu'il considère au-dessous de sa position. Paul Arsène, au contraire, accepte tout em-ploi, depuis celui de peintre jusqu'à celui de garçon de café pour faire vivre ses soeurs et Marthe. Sa grande générosité s'oppose à la cupidité d'Horace.

~ous pouvons constater le même contraste dans Le Yleu-nier d'Angibault (1845), où Louis (le meuYleu-nier) est sage et

(30)

généreux, tandis que Monsieur Bricolin (fermier général) est dépeint comme égo1ste et même brutal. Le G.rand Louis croit que "le bonheur qu'on peut procurer aux autres est le plus

certain et le plus pur qu'on puisse se procurer à soi-même."

(24)

Sa vie reflète ce principe. Il est toujours prêt à se

porter au secours des autres: ainsi, lorsqu'l la tombée de la nuit, la patache de Marcelle, propriétaire du château de Blanchemont, s'embourbe dans un marécage, il la secourt et l'héberge à Angibault. Plus tard, lorsque Marcelle a des difficultés financières, il s'engage à vendre la calèche dans laquelle elle est venue de Paris, afin de lui procurer de l'argent.

De même, dans Le Péché de Monsieur Antoine

(1845),

Jean Jappeloup (charpentier) est toujours prêt à secourir ceux qui sont dans le besoin. Parfois, sa générosité a pour lui de graves conséquences: nPour avoir envoyé trois bouteilles de vin de ma vigne à un camarade qui était malade, j'ai été pris

par les gabelous comme vendant du vin sans payer les droits

" (25)

• • • Comme il soutenait qu'il n'avait pas vendu de

vin on le condamna à payer une amende de cinq cents francs. Puisque Jean ne gagne pas cette somme en un an, il doit fuir la justice et ne peut plus pratiquer son métier de charpen-tier. Indépendant, c'est un homme:

Qui ne fera jamais rien de bon que de son plein gré; mais qu'on s'empare de son coeur, qui est le plus grand coeur que Dieu ait formé, et vous ver-rez comment, dans les occasions impor-tantes, cet homme-là ~'ét~ve au-dessus de ce qu'il parait. {26

(31)

Homme de coeur, Jean Jappeloup s'oppose à Monsieur Cardon-net, l'industriel endurci par le désir de s'enrichir.

La peinture que fait George Sand de la classe laborieu-se a un but précis. celui de susciter la sympathie du lec-teur pour les artisans et les paysans. Elle le fait tantôt par les scènes qu'elle nous présente, tantôt par le carac-tère qu'elle prête à ses héros. Cet appel à la sympathie à l'égard des ouvriers est renforcé par la peinture défa-vorable que fait George Sand de la classe bourgeoise. Elle vise, et cela est très significatif, le parvenu, celui pour qui l'argent et le pouvoir ont plus d'importance qu'une vie

simple et saine:

J'ai connu quelques jeunes avides, qui à force de vouloir s'élever au-dessus de leur position sont restés au-dessous de ce qu'ils eussent été avec plus de ~implicité et de rési-gnation. (27)

L'ambition "bourgeoise" d'améliorer sa position socia-le pousse socia-les pauvres à commettre des actions que George

Sand trouve ridicules, souvent odieuses et nuisibles. Ainsi, dans Le Compagnon du Tour de France (1840), l'orgueil de sa position rend Monsieur Lerebours ("économe, régisseur, inten-dant, homme de confiance des Villepreux·) vain jusqu'k l'ex-cès. Son fils, Isidore, est peint comme un être grossier, ignorant, impertinent. George Sand ne leur épargne pas les termes péjoratifs. Nous avons relevé les suivants appliqués

(32)

borné, bruyant, emporté et intempérantn

; ·vanité insupporta-ble·; "déplaisant, impertinent, vulgaire".

Un incident du Compagnon du Tour de France (1840) ajou-te encore à l'aspect ridicule d'Isidore. Les Villepreux ar-rivent au village, de retour de Paris, et Isidore se presse à leur rencontre. Il désire se faire valoir aux yeux

d'Yseult, petite-fille du comte dE Villepreux, et de la mar-quise Joséphine de Freynays, nièce du comte, en leur mon-trant ses talents de cavalier. Il porte un costume très voyant mais sans goût, qu'il salit en tombant dans la boue. Il doit rejoindre le cocher pour le reste du trajet (Chapi-tre VI).

Ce type de bourgeois, qui agit de façon vaniteuse et ridicule et qui est le plus souvent dépeint comme odieux, apparaît dans la plupart des romans à thèses de George Sand publiés entre 1840 et 1845. Dans Le Compagnon du Tour de France (1840), Isidore est détestable, mais il ne réussit pas à nuire à Pierre Huguenin et à Amaury le Corinthien qui reconstruisent la chapelle du château de Villepreux. Isi-dore tente de persuader le comte que les deux menuisiers font du mauvais travail, mais le comte ne l'écoute pas, car il est très satisfait de la reconstruction (Chapitre XV1I).

Dans Horace (1842), le personnage principal, Horace

Dumontet, vient de province étudier à Paris. Par son esprit, il s'intègre dans un milieu au-dessus de sa position sociale. Au début, il gagne au jeu, ce qui lui permet d'amasser une

(33)

petite fortune. Il renie alors ses anciens amis étudiants et se lance dans le monde. Bientôt, toutefois, il perd son argent et se tourne vers ses vieux amis pour qu'ils l'aident. Théophile et Paul, ses camarades, lui pardonnent ses folies, comprenant sa nature faible, qui ne peut résister aux ten-tations de la richesse. Horace, comme Isidore du Compagnon du Tour de France (1840), ne nuit pas à ses amis, sauf à Marthe qu'il maltraite de façon abominable.

Ce n'est pas le cas dans Le Meunier d'Angibault (1845), où Monsieur Bricolin, bourgeois de campagne, fermier géné-ral, a recours à n'importe quels moyens pour s'enrichir au détriment de ceux qui l'entourent. Sa propre fille devient folle lorsqu'il lui interdit de se marier au-dessous de sa condition. Le bourgeois de campagne est impitoyable dans ses négociations financières, car "aucune idée sociale, aucun sentiment de progrès ne le soutient." (28) La situation de Monsieur Bricolin ressemble à celle de beaucoup de bour-geois car "la vanité les précipite dans des spéculations au-dessus de leur crédit; si bien que tous ces riches sont pres-que toujours ruinés au moment où ils font le plus d'envieux."

(29)

Dans Le Meunier d'Angibault (1845), c'est ce qui arrive à Monsieur Bricolin lorsqu'il achète les terres de Madame de Blanchemont.

<

Aux yeux moralistes de George Sand, les bourgeois de campagne sont portés à l'égoïsme et à la gourmandise, voire

(34)

Tandis que le paysan est toujours maigre, bien proportionné et d'un teint basané qui a sa beauté, le bourgeois de campagne est toujours, dès l'âge de quarante ans, affligé d'un gros ventre, d'une démarche pe-sante et d'un coloris vineux qui vul-garisent et enlaidissent l~s plus belles organisations.

(31)

Ainsi, Monsieur Bricolin ne sait pas vivre, comme le paysan, de façon simple et frugale. Son intempérance cause sa rui-ne. Car, lorsque "la folle" met le feu près de la grange, le fermier général, qui est couché ivre-mort, ne peut pas donner l'alarme.

La critique du bourgeois devient plus véhémente dans Le Péché de Monsieur Antoine (1845). Monsieur Cardonnet, l'industriel, construit une usine sur la rivière ~argilesse,

"avec l'intention non pas à~en tirer un intérêt honnête et raisonnable, mais de doubler et de tripler son capital en peu d'années." (32) Le capitaliste comprend qu'il va ruiner toutes les petites industries de la région. Il commence donc par amadouer les gens en leur payant un bon salaire. Il met "les prix un peu au rabais; mais quand tout est dans ses mains, il éiève les prix à sa guise." Bientôt, il devient "le maitre de l'argent qui est la clé de tout." Il rend "tant de services qu'il est le créancier de tout le monde et tout le monde lui appartient."

(33)

Monsieur Cardonnet dé-sire trahir les intérêts de tous les habitants de la vallée de la Gargilesse.

(35)

du bourgeois, qui devient de plus en plus détestable à tra-vers le s romans. Dans Le Compagnon du Tour de France (18L~O)

et dans Horace (1842), George Sand souligne combien il est ridicule et vain. Mais à partir de 1845, dans Le rvleunier d'Angibault (1845), le parvenu commence à vivre au détriment du petit cercle de ses associés. Finalement, dans Le Péché de Monsieur Antoine (octobre 1845), ce cercle s'étend pour inclure toute une région.

L'évolution du bourgeois suit une pente parallèle mais opposée à celle du paysan. Au fur et à mesure que la pein-ture de la classe bourgeoise devient défavorable, celle de la classe laborieuse devient idéalisée. Cette idéalisation est mise en valeur par le désir constant d'opposer l'ouvrier vertueux au bourgeois corrompu. En 1845, George Sand sem-ble avoir une vision manichéenne de ces deux classes socia-les. Le paysan est sans défaut, tandis que le bourgeois n'a aucun trait vertueux.

Il nous reste maintenant à cerner l'attitude de la Dame de Nohant envers sa propre classe, la noblesse. A cause de sa situation d'écrivain et de ses ancêtres d'origine noble, elle a l'occasion de fréquenter les cercles aristocratiques. Elle ne manque pas d'intégrer ceux-ci dans ses romans et elle

leur donne un rôle ma~eur dans l'intrigue. L'aristocratie n'est plus dépeinte comme la classe bornée d'avant la Révo-lution. C'est une classe assez jeune qui vient de traverser la révolution de 1830 et qui a su hériter des idées libérales

(36)

prônées au dix-huitième siècle~

Ainsis dès

1827,

les Français qui avaient eu vingt ans en

1789,

et qui auraient pu regretter l'ancien régi-me ou souffrir de ses abus ne repré-sentaient plus que

1/9

de la nation; et à cette date, un quart de ceux qui avaient(cPQnu l'Empire n'étaient déjà plus. 34)

Les nobles que peint George Sand sont éclairés. Ils acceptent (intellectuellement) les nouvelles idées de liber-té et tentent de les inliber-tégrer dans leur vie quotidienne. Le meilleur exemple se trouve dans Mauprat

(1837),

Mon-sieur Hubert de ~iauprat est pieux et charitable. Il garde toutefois son orgueil de rang: ·Comme chez la plupart des gentilhommes, les préceptes de l'humilité chrétienne ve-naient échouer devant l'orgueil du rang."

(35)

Edmée, la fille d'Hubert de Mauprat, représente la nou-velle génération noble. Elle est "bonne, honnête et franche", "naturellement gaie et brave". Par bonté, elle désire ar-racher Bernard de Mauprat, son cousin, à son ignorance. Son ambition est de l'éduquer, de lui enseigner les princi-pes de la liberté et de la charité. Quelle différence entre cette jeune noble et les bourgeoises comme Madame Bricolin du lt~eunier d'Angibault

(1845),

et .Joséphine de Fréynays du Compagnon du Tour de France

(1840):

Dans chacun des romans sociaux

(1837-45),

nous pour-rions relever un personnage noble et ami du peuple. Dans Le Compagnon du Tour de France

(1840),

le comte de

(37)

sort du peuple. Il aide les artisans du village à trouver un emploi et les paie bienl

En peu de temps, le comte de Ville-preux se popularisa dans le village d'une manière merveilleuse. Il fai-sait beaucoup travailler, et payait avec une libé~1t'té qu'on ne lui avait pas connue. l30

Il n'est pas toutefois assez détaché de son rang pour per-mettre à sa petite-fille, Yseult, d'épouser un simple me-nuisier, Pierre Huguenin.

Dans Horace (1842), c'est au tour de Théophile, fils de noble, étudiant en médecine

à

Paris, de mettre en pratique les idées libérales de défunt son père. Il vit en union li-bre avec Eugénie, accueille chez lui avec grande générosité Marthe et les deux soeurs de Paul Arsène lorsque celles-ci sont sans gîte et sans emploi. Il les aide à s'établir et les loge. Pendant l'épidémie de choléra à Paris, il passe ses jours et ses nuits à secourir les malades. Et, lorsqu'il apprend que l'épidémie a atteint sa province, il quitte Pa-ris pour soigner les paysans malades qui, sans lui, n'au-raient pas eu les soins d'un médecin.

Dans Consuelo (1842-4), le comte Albert de Rudolstadt continue la lignée de nobles éclairés. Dernier héritier vivant de sa famille, il se marie sur son lit de mort avec Consuelo, fille du peuple, dont la mère était bohémienne et le père inconnu. Pendant toute sa jeunesse, Albert montre un grand amour pour ïes pauvres et veut leur donner tout son argent. Sa famille s'effraie de ses prodigalités~

(38)

Il (Alber~ eût voulu qu'l l'exemple des premiers chrétiens, ils (les pa-rents d'Albert] vendissent leurs biens, et se fissent mendiants, aprè~ l~s avoir distribués aux pauvres. • • t31J

Albert souffre d'une étrange maladie et entre dans un coma. Sa famille croit qu'il est mort et l'enterre. La So-ciété des Invisibles (franc-maçons) vient l'arracher à sa tombe et le ramène à la vie. Il peut donc continuer ses oeu-vres de charité en association avec les Invisibles et Con-suelo (La Comtesse de Rudolstadt, 1843-44).

Le noble éclairé réapparaît dans les deux derniers ro-mans sociaux que George Sand écrivit en 18451 Le Meunier d'Angibault et Le Péché de Monsieur Antoine. Dans le pre-mier c'est une femme, Marcelle de Blanchemont, qui continue

les bonnes actions d'Edmée. Lorsqu'elle apprend qu'elle est ruinée, Marcelle se sent libérée des contraintes que la ri-chesse impose. Elle peut maintenant se marier avec l'homme de son choix, un jeune plébéien qui méprise l'argent.

Au point de vue des idées sociales, le marquis de Bois-guilbault, dans Le Péché de Monsieur Antoine (1845) est le plus avancé des nobles que nous étudions. Il se déclare com-muniste et lègue sa fortune

à

Emile et à Gilberte afin qu'ils puissent établir une Commune. Ce don s'inspire du désir de Fourier de trouver une fortune afin de fonder un phalans-tère.

L'évolution du personnage noble suit donc celle de la classe laborieuse. Attaché à son rang social dans Mauprat

(39)

à l'autre extrême, le communisme fouriériste dans Le Péché de Monsieur Antoine

(1845).

Le noble sandien s'améliore en se détachant de l'orgueil de sa position sociale.

Nous avons tenté de démontrer, dans le présent chapitre, la vision manichéenne que George Sand a de la société. Mais il est impossible de dissocier cette vision de sa pensée so-ciale en général. L'aristocratie et la classe laborieuse

(les possédants par excellence et les non-possédants selon une terminologie marxisante) rassemblent en leur personne toute la bonté et toute la simplicité du monde. Les bour-geois (c'est-à-dire les ouvriers qui cherchent à sortir de leur classe pour participer à l'abondance de l'aristocratie) sont condamnés pour leur ambition et leur cupidité.

En d'autres termes, la société sandienne idéale consis-terait d'une part e~travailleurs et d'autre part

~aristo-crates pour profiter du labeur ouvrier~ Comment introduire alors ce désir d'égalité si cher à George Sand? Et comment comprendre la liberté qui ne peut naître que de conditions égales pour chacun? Comment réaliser enfin ces "rêves de conciliation et d'harmonie"

(38)

entre les classes?

Ces utopies, on ne peut douter un moment que George Sand les soutie~~e et les propagez

L'égalité est sainte • • • , la volonté du nère des hommes et. • • le devoir des-hommes est de chercher à l'établir entre eux. Lorsaue les Deunles étaient fortement attachJs aux c~rémonies de leur culte, la communio~ renrÉsen-tait pour eux toute l'égalit~ dont les

~oi7 SOCt·~l~S leur perrnettaie~t de

(40)

Elle donne même au concept d'égalité une extension qui est loin de lui être propre. Elle va jusqu'à parler d'une jouis-sance naturelle des biens

à

laquelle chaque homme a, de par sa nature, droit de participer. Elle donne ainsi

à

une no-tion sociale une racine instinctuelle, mais d'origine toute-fois divine.

••

Ce besoin de jouissance que l'Eternel a mis dans le coeur de l'homme comme un droit et sans doute comme un devoir, constitue-t-il un(çr~me dont il faille le punir. • . ? 40)

La vision sandienne de la société d'une part, et ses exigences sociales d'autre part) semblent essentiellement an-tinomiques. Cette contradiction s'évanouit si l'on se rap-pelle que George Sand ne traite pas de "classes sociales·

(elle est d'ailleurs incapable de conceptualiser de cette façon la réalité sociale) mais d'une somme d'individus. Si l'on accepte cette prémisse, l'analyse change de plan. On ne parle plus de réformes politiquesl suffrage universel, droits égaux pour tous, abolition de la propriété Drivée; on se tourne plutôt vers des réformes individuelles, d'ordre es-sentiellement moral et caractériel. Si l'abolition des iné-galités sociales doit se faire par l'individu, on doit donc négliger Jranalyse des classes sociales pour chercher, au ni-veau de l'individu, les sources possibles d'une réforme

socia-le. Et cela nous mène directement à l'étude de l'amour et

(41)

NOTES: CHAPITRe: l (1) Pierre Salomon, (2) George Sand, (3 )

"

(4) Pierre Salomon, Emile Faguet, (6) David-Owen ~vans, (7) G. Bertier de Sauvigny, (8)

"

(9)

"

(10)

George Sand,

( 11)

"

(12)

ft

( 13)

"

(14)

~douard Dolléans, ~eorge 3anà,

(16)

"

(17)

"

Introduction à Indiana

(Parisl Garnier,

1962) ,

p. xlii. Indiana (Parisl Garnier,

1962) ,

p.

243.

La Petite Fadette (Paris 1 Garnier,

1958) ,

p.

16.

George Sand (Parisl Hatier-Boivin,

1953)

"George Sand", Dixneuvième siècle -~tudes littéraires (Paris. Société d'imprimerie et de librairie,

1887),

pp.

393-94.

Romanticism in France

18

0-1 Oxford. The Clarendon Press,

1951),

p.

50.

La Restauration (Parisl Fla~arion,

1955),

p.

246.

ibid.

ibid. p.

249.

Le Péché de t'Ionsieur Antoine (Paris. Calmann-L~vy,

1909),

p.

103-04.

}lran}ois le Champi

1962 ,

p.

304.

(Paris. Garnier, La Petite Fadette (QP. cit.), p.

19.

La tlIare au Diable (Pari s. Garnier,

1962),

p.

9.

?éminisme et mouvement ouvrier. George Sand (Paris. Editions ou-vri~res,

1951),

p.

46.

Consuel0,II (Faris. Garnier,

1959),

p.

131. •

Le Péché de ;r~onsieur Antoine (Paris:

Calmann-~évy,

1909),

p.

291.

Le ;.;eunier d'Ane-ibault (?arisl Cal~ann-Lé~y, s.d.), p.

2?5.

(42)

(18)

George Sand,

(19)

ft

(20)

n

(21)

G. Bertier de Sauvigny,

(22)

David-Owen Evans,

(23)

George 3and,

(24)

"

(25)

ft

(26)

ft

(27)

ft

(28)

ft

(29)

ft

(30)

"

(31)

ft

(32)

ft

(33)

"

(34)

,.. J . Bertier de Sauvigny,

( 35)

George Sand,

(36)

ft

(37 )

n (38) David-Owen ~vans, ibid.

Maunrat (Parisl Garnier-Flammarion,

1969),

p.

200.

ibid.

2E.

cit. p.

250.

Le Roman social sous la Monarchie de Juillet

(2E.

cit.), p.

68.

Le Compagnon du Tour de France,l

(Parisl Calmann-L~vy,

1885),

p.

96.

Le f/ieunier d'Angibault (Parisl Calmann-L~vy, s.d.), p.

215

Le Péché de Monsieur Antoine (Parisi Calmann-L~vy,

1909),

p.

65.

ibid. pp.

90-91.

Le compa:yon du Tour de France,I

(2E.

cit. , p.

82.

Le r.:eunier d'Angibault (Parisi

Calmann-L~vy, s.d.), p.

18.

ibid. ibid. ibid. p.

77.

Le Péché de Monsieur Antoine (Paris 1 Calmann-L~vy,

1909),

p.

39.

ibid. pp.

39-40.

2E.

cit., p.

237.

Maunrat

(2E •.

cit.), p.

98.

Le Comna~on du Tour de France,I (on. cit.), n.

-

--

-

238.

·

Consuelo l (2E. cit.), p.

190.

Le Roman social SOUE la !·:onarchie

(43)

George Sand,

(40)

n

Consuelo II (2E. cit.), p. 15. (c'est nous qui soulignons). Le compa

75

on du Tour de France,II

(44)
(45)

L'amour n'est en fait que la traduction, au niveau du couple, du sentiment de don de soi et d'altruisme qui s'ap-pelle "solidarité" ou "fraternité humaine" lorsqu'appliqué au groupe social. Notre étude doit tenir compte de ces

deux niveaux, quoique George Sand elle-même soit assez obs-cure dans le domaine des définitions, surtout lorsqu'il s'a-git de définir un sentiment tel que l'amour. Mais que

l'amour naisse entre deux individus de sexe différent ou comme amitié entre des individus d'un groupe social, son analyse est d'une importance cruciale dans la pensée sociale sandienne; elle nous met directement sur la piste de la

pensée féministe de George Sand puisque c'est

à

travers le personnage de la femme que les deux niveaux (analytiquement séparés), le couple et la collectivité, peuvent se rejoindre. Nous allons donc brièvement passer par le domaine de la "so-lidarité" pour aboutir aux idées sandiennes sur le mariage et sur la femme. l~otre dernière tentative sera de soulever

le caractère foncièrement romantique de ces idées.

George Sand a en effet une confiance presque aveugle dans les pouvoirs de l'amour et de la solidarité.

L'amour rend tout possible. sûre, ma bonne mère, qu'une qui aime est plue forte que les obstacles. tl)

Soyez femme tous

Or, ce n'est pas uniquement la femme aimante qui peut sur-monter tout obstacle, mais toute l'humanité, quand elle ac-cepte la fraternité et pratique l'entr'aide. George Sand

(46)

pousse l'enthousiasme jusqu'à croire que la solidarité seule a le pouvoir d'effacer les différences qui existent entre les classes, de supprimer la misère et mener l'homme vers l'âge d'or de l'égalité.

Cette conception foncièrement romantique est sous-jacente à toute l'oeuvre sandienne. On peut lui reprocher, comme l'ont fait ses contemporains, de vouloir fonder une nouvelle société sur ce qu'il y a de moins sûr au monde

-- l'amour --. Eusèbe Girault de Saint-Fargeau souligne que c'est une "folie de fonder le bonheur sur ce qu'il y a en général de plus mobile au monde." (2)

Cet amour sandien, il est même quelquefois difficile de le dissocier de la pitié. En effet, George Sand a toujours ressenti un besoin d'aider les faibles et

C'est cette bonté, cet amour des faibles qui lui a inspiré toute sa politique confuse

t

çhimérique

et attendrissante. ))

La pensée sociale de George Sand est obscure parce qu'elle se refuse à voir qu'une théorie sociale ne peut êt~e assise sur un sentiment, et d'autant plus lorsque ce sentiment est aussi précaire et aussi flou que la solidarité, ou l'amour.

Cette ambiguité et ces objections n'empêchent pas notre romancière d'émettre quelquefois certaines idées précises sur la solidarité et l'amour. Comment cerner ce mot qui revient si souvent sous sa plume? L'a~our sandien à l'égard de l'hu-manité (solidarité) semble être synonyme de bonté, d'un désir présumé i~érent à l'homme d'aider ses semblables et surtout

(47)

ceux qui sont plus faibles que lui. Aimer, au plan social, veut dire s'oublier pour faire partie d'une collectivité;

c'est, autrement dit, l'humanité qui exprime le désir de progresser vers un perpétuel bonheur. On pourrait presque dire que pour George Sand, l'amour fraternel est une néga-tion de soi pour que l'humanité atteigne le bonheur.

Pourquoi donc voit-on tant de misère, d'hypocrisie, d'égoisme qui détruisent ce bonheur tant désiré? Pour des yeux sandiens, c'est parce que l'amour et la solidarité ne se manifestent pas toujours spontanément. Il faut que cette qualité humaine soit mise à jour. Et c'est à ce niveau que George Sand croit que la femme a le don naturel d'accomplir cette tâche.

Ainsi, dans François le Champi (1847), elle nous donne l'exemple d'une femme qui par sa bonté engendre l'amour chez un enfant mis à la crèche. George Sand met en scène une meunière qui accueille un ·champi" (enfant trouvé dans les champs) baptisé ultérieurement François. Elle le soigne et l'élève. Les campagnes françaises entretenaient à l'époque le préjugé que les enfants trouvés étaient méchants et sau-vages. Dans le cas de François, tous les soins qui lui furent prodigués pendant son enfance lui permirent de deve-nir un modèle de bonté et de charité. Lorsqu'il va se louer dans une ferme son maître, Jean Vertaud, s'étonne lorsqu'il apprend qu'il est champi et lui explique pourquoi &

(48)

ment et non l'avarice. Tu ne te laisses pas duper comme moi, et

pour~ant tu aime~ com~~)moi se-cour1r le procha1n. ~4

Voici un cas où l'amour mène

à

la vertu. Car il a le pouvoir de changer la vie de quelqu'un et le rendre meilleur. René Doumic souligne cette croyance lorsqu'il dit que George Sand croit "que l'amour mène à la vertu et qu'il y mène par

le changement." Cette conception est capitale dans la pensée sandienne et nous aurons l'occasion d'y revenir. le changement social est essentiellement une longue marche vers la vertu.

Nous avons vu dans François le Champi

(1847)

que la femme a le don presqu'inné de propager l'amour. Le mariage offre une première occasion pour la femme d'utiliser ce don pour le bien de l'humanité. En effet, le mariage et la famille constituent le premier champ de bataille de la pen-sée sociale sandienne car ce sont les unités sociales les plus petites où peut agir l'amour. En deçà du couple (ma-riage), l'amour cède le pas

à

l'égoisme; au-delà, l'amour mènera, croit-elle fermement (pour ne pas dire religieuse-ment), à un amour fraternel qui fera disparaître les

inéga-lités sociales entre les hommes.

Le mariage est d'une importance stratégique; c'est le premier niveau où se rejoignent le sentiment sur lequel

(49)

sociale (la famille et l'inégalité sociale entre les sexes). Il est encore plus intéressant de noter que chacun des ro-mans que nous étudions se termine par un mariage, et que ces mariages ne sont jamais fondés sur des convenances. Qu'attend donc George Sand du mariage et quels changements

désire-t-elle y apporter?

Le mariage, aux yeux chimériques de notre romancière, doit être fondé sur l'amour partagé et non sur les conve-nances. Elle méprise une société qui "s'efforce, • • • , de rabaisser cette institution sacrée Lie mariage] , en l'as-similant à un contrat d'intérêts matériels • •• " (6) Sui-vant le courant romantique, George Sand désire réhabiliter le mariage d'amour, et ses romans tendent à ce but!

George Sand voulait fonder le maria-ge sur l'amour; c'est la morale défi7 nitive de son oeuvre de romancier. \7) La Dame de Nohant semble donc s'intéresser plut8t au côté spirituel du mariage et négligerle côté matériel. Cette attitude romantique pose certains problèmes. Le mariage de convenance a l'avantage de tenir compte des conditions sociales des deux époux. Il vise à unir deux personnes qui viennent du même niveau social, qui ont

à

peu près la mIme éducation, les mêmes habitudes et les mêmes désirs de con-fort matériel. George Sand n'admet pas que ces faits soient

importants pour fonder un mariage heureux. Son seul critère est que l'amour existe entre les conjoints. Cet amour a le pouvoir de résoudre toutes les difficultés qu'un couple doit affronter.

Figure

TABLE  DES  rUTIERES  l  NTRODUCTI ON ••••••••••••••••••••••••••••••  2  CHAPITRE  l  •
TABLEAU  Il  Caractère  des  principaux  personnages  dans  le  roman  sandien  entre  1837  et  1845
TABLEAU  lIa  Classe  sociale  des  héroines  des  romans  san- san-diens  publiés  entre  18)7  et  1845

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