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L' apparence de nous de Valeria Narbikova ; suivi de, La traduction, une ouverture à l'Autre

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aUllwa.OnltulO Ollilwa (Onlmio)

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(2)

L'Apparence de nOlis

de Valeria Narbikova

SlIivi de

La traduction: une ouverture

àl'Alltre

par

Annie Pénélope DUSSAULT

Mémoire de maîtrise soumis

à

la Faculté des études

supérieures et de la recherche en vue de l'obtention du

diplôme de Maîtrise ès Arts

Département d'Études russes et slaves

Université McGill

Montréal, Québec

Mars 1996

(3)

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395 Wellington Street Ollawa, Ontario KIA ON4 395.rueWellington Oltawa (Ontano) K1AON4

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ISBN 0-612-12020-1

(4)

RÉSUMÉ

Le présent mémoire est constitué de deux parties distinctes. La première est une traduction du texte de Valeria Narbikova BHJJ.HMOCTf> H8C. La deuxième partie est un commentaire composé d'une présentation de l'auteure, de son oeuvre et des caractéristiques propres à son écriture, de même que d'une réflexion sur le processus de traduction. Nous exposons donc notre approche de la traduction littéraire, inspirée des conceptions de deux principaux auteurs: Antoine Herman et Henri Meschonnic. Les notions d'ouverture et de respect de la langue et de la culture de départ constituent deux aspects fondamentaux de notre vision de la traduction littéraire. Afin d'illustrer notre approche, nous examinons le problème des références culturelles trouvées dans le texte de Valeria Narbikova. Nous incluons une classification des références culturelles et expliquons comment nous avons abordé ce problème de traduction.

(5)

AB5TRACT

This thesis is made up of two distinct parts. The first part is a translation of Valeria Narbikova's text BHmIMOCTJ, IUlC. The second part is a commentary constituted of a presentation of the author, of her work and of the characteristics distinctive of her writing, as weil as of a reflection on the process of translation. The approach developed for this translation of litcrary translation is presentcd; it is inspired mainly by the conception of two authors: Antoine Berman and Henri Meschonnic. The concepts of openness and respect of the source language and source culture arc two fundamental aspects of this approach. The approach is illustratcd through the examination of the problem of cultural references. A classification of the refcrences found in Valeria Narbikova's tcxt and a discussion of the diffcrent methods used to translate them is also presented.

(6)

REMERCIEMENTS

Je désire remercier le Fonds pour la Formation de Chercheurs et l'Aide à la Recherche (FCAR), sans J'aide de qui ce projet de maîtrise n'aurait pu arriver à terme. Je veux aussi exprimer ma gratitude envers Valeria Narbikova, qui a eu Ja gentillesse de m'accorder une entrevue et de m'éclairer sur utilisation de certains termes, et sans qui je n'aurais pu arriver à une traduction satisfaisante. Je tiens à remercier tout particulièrement Lidia et Sacha, qui ont été une source constante d'inspiration et de réconfort et Marie pour ses commentaires pertinents et son encouragement. Enfin je désire exprimer ma reconnaissance aux professeures Laura Beraha et Dora Sakayan pour leur patience et leur dévouement.

(7)

Table des matières

Note sur la translittération i

INTRODUCTION 1

L'APPARENCE DE NOUS de Valeria Narbikova 5

CHAPITRE 1

Valeria Narbikova : subversion d'une écriture 44

Introduction 45

Contexte culturel: Valeria Narbikova et la «nouvelle» prose 46

Valeria Narbikova bouleverse, dérange, émeut 51

Jeu de langue 58

Les niveaux de langue dans L'Apparence de nOl/s 64

Conclusion 65

CHAPITRE 2

La traduction de la lettre et du sens et les dangers de l'ethnocentrisme 67

Introduction 68

La lettre ou le sens? 70

Antoine Berrnan et Henri Meschonnic : vers une nouvelle

conception de la traduction 75

Henri Meschonnic : Poétique de la traduction 75

Antoine Berrnan et la traductologie 78

La traduction ethnocentrique 84

(8)

Le problème des références culturelles dans L'Apparel1ce de 110l/5 90

Introduction 91

Définition 92

Dans la continuité d'Antoinp Berman 92

Public cible 93

L'École russe et les peaJ1HH 94

Classification des références culturelles dans L'Apparence de

1/0115 101

Les noms propres: reflets d'un style 104

Sur l'utilisation des notes du traducteur 106

Conc1usion 107

CONCLUSION 109

(9)

Note sur la translittération

Le système de translittération que nous avons utilisé est celui de L'Organisation des Nations unies. Toutefois, il certaines reprises, nous nous sommes conformée il l'usage en vigueur en français, comme par exemple dans le cas de noms d'écrivains connus tels que Dostoïevski et Gorki.

(10)

Introduction

La lillératllrc IIC //lOdific pas l'ordrc établi, lIIais lcs !JOIII//lCS qui établisscl/t cct ordrc.

(llya Ehrenbourg, À la rCI/COl/trc dc Tc!JckllOlJ)

On assiste présentement, au sein de la société occidentale, à un bouleversement des valeurs et à une redéfinition des paramètres qui ont servi de guides au cours des dernières décennies. La situation qui prévaut aujourd'hui en Russie illustre particulièrement bien le malaise qu'entraîne cette incertitude face à une société en ébullition. La littérature reflète bien souvent ce fait. Valeria Narbikova représente justement cette «nouvelle vague» d'auteurs dont les écrits dérangent autant le public que la critique.

Le présent mémoire est constitué de deux parties distinctes. La première est une traduction d'un texte de Valeria Narbikova, intitulé L'Apparence de nOl/S, publié pour la première fois en 1989 dans la revue Strdets1. Ce texte est tiré d'un roman (PBBHDBecIie CBeTB /lHeBHblX Ii HD'IHblX 3/1'~311) qui parut en entier en 1990.2 Bien que L'Apparence de nOlis forme.:!n

fait le quatrième chapitre de ce roman, sa publication séparée, et sous un titre n'ayant aucun lien avec le titre du roman publié ultérieurement, prouve son indépendance par rapport au roman. De plus, Narbikova nous a confirmé en entrevue qu'elle considérait L'Apparence de nOlis comme un texte complet en soi, c'est-à-dire n'ayant pas besoin du reste du roman pour exister. Ce texte, comme nOlis le verrons plus en détails, reflète bien le style de Valeria

1 BBJJepHli Hop6HKOBO, .BH.!!HMOCTb HOC,» CTpeJlCU 1989: 3.

2 Hop6HKOBO, PaBHoBccllC CBcTa JlHCBHblX 11 HO'lHblX 3Be.:lll (MOCKBO : BCCCOlO3HbIA MOnO.!lelKHblA KHHlKHblA UCHTP, 1990)

(11)

Narbikova de par sa thématique et 8es particularités stylistiques.

La deuxième partie de ce mémoirl' est composée d'un commentaire portant sur l'auteure et plus spécifiquement sur le processus dt: traduction de L'Appare/lce de 1101/S. Ce commentaire, comportant trois chapitres, se veut

une présentation de Valeria Narbikova et du texte traduit, de même qu'une réflexion sur le: traduire.

Nous avons cru important de consacrer un chapitre à la présentation de l'auteure et de son oeuvre, afin de familiariser le lecteur avec les contextes littéraire et culturel russes actuels de même qu'avec son écriture unique. Nous situerons donc l'auteure parmi les courants littéraires contemporains et préciserons en quoi son oeuvre résiste à toute classification traditionnelle des oeuvres li ttéraires. C'est pourquoi le qualifica tif de pos tIIIoderu e est

sûrement celui qui convient le mieux à sa prose. Le caractère résolument actuel de l'oeuvre de Narbikova présente selon nous un intérêt certain, ses écrits reflétant bien l'époque tourmentée que traverse présentement la Russie. L'intérêt que suscite l'écriture de Narbikova vient aussi de sa nature subversive, de sa volonté de remettre en question les valeurs reçues. Tantôt ludique, tantôt dramatique, parfois incompréhensible, sa prose laisse rarement le lecteur indifférent. Nous nous attarderons en outre sur les particularités stylistiques de L'Appare/lce de /lOI/S, afin de donner une idée

des problèmes qu'elles ont pu engendrer lors de la traduction.

Le chapitre suivant se veut une réflexion sur le processus de traduction et sur l'approche que nous avons privilégiée pour traduire L'Appare/lce de

1101/5. Nous nous sommes intéressée particulièrement aux conceptions

d'Antoine Berman et d'Henri Meschonnic. La globalité de leur approche nous est apparue novatrice et digne d'intérêt. Nous exposerons donc, dans un premier temps, leurs conceptions de la traduction en les situant par

(12)

rnpport aux théories tmditionnelles. Le concept de tmduction ethnocentrique, c'est-à-dire de ln tmduction comme mmennnt tout à ses propres vnleurs, n pnrticulièrement nttiré notre nttention, puisqu'il constitue un des principnux pièges que nous nvons voulu éviter. À ce type d'nttitude, vestige d'un coloninlisme que nous souhniterions nrchnïque, Bermnn oppose une éthique de ln trnduction visnnt à respecter l'Étrallger dans ce qu'il est. C'est précisément dnns cette optique de respect de la Inn gue et de la culture de dépnrt que nous nvons nmorcé ln tmduction de L'Apparellce de 1I0l/5, et que nous nvons abordé le problème des références culturelles, qui constitue le sujet du dernier chnpitre.

Ce problème survient à ln tmduction de toute oeuvre littéraire et mérite une attention spéciale, d'nutant plus que ln mnigreur des études (en français) consncrées à ce problème est regrettable. C'est dans la continuité de ln réflexion amorcée précédemment que nous aborderons le problème des références culturelles, problème qui, selon nous, non seulement illustre bien ln vision d'Antoine Berman, mais nous permettra de mettre en pratique les concepts théoriques présentés. Les questions que soulève le problème des références culturelles sont multiples: comment les traduire sans éclipser l'originnl? Cumment éviter de filtrer l'oeuvre et d'imposer au lecteur ses propres références? Sans tenter d'apporter une solution unique à ce problème, nous expliquerons dans quel esprit et, de façon plus concrète, à quels moyens nous avons eu recours pour traduire les références culturelles. Pour faciliter notre démarche, nous résumerons les approches de quatre linguistes russes et bulgares, qui ont abondamment traité ce problème, et effectuerons une comparaison de leurs classifications des références culturelles de même que des différentes méthodes qu'ils recommandent. Enfin, nous établirons notre propre classification des référenc:t:;; trouvées dans

(13)

L'Apparence de nOlis et exposerons, 11 l'aide d'exemples, comment nous avons tenté de résoudre ce problème fondamental. Le camctère très référentiel de l'écriture de Narbikova et de l'écriture post moderne en généml, de même que le nombre impressionnant et la diversité des références répertoriées montrent la pertinence d'étudier L'Apparencc de nOliS pour aborder cette question .

(14)

L'Apparence de nous

de

Valeria Narbikova

(15)

avec nous afin de nous immortaliser dans un monument 11 notre mémoire.Il reste de nous l'apparence de nous, Tchyachtchyajychyn a fait fortune Défense de nous toucher des mains, de pincer, de nous arracher, nous regarder, nous étudier. Il reste de nous un monument 11 notre mémoire, 11 qui il est impossible de nous quitter, il nous appartient. Et celui qui est pour nous sera pour nous même sans nous, et celui qui est contre nous ne sera pas pour nous. Qu'on nous parle de nous, qu'on dise que nous ne sommes pas dans le monument 11 notre mémoire, qu'on nous injurie, qu'on nous viole par des graffiti sur nous, qu'on nous tranche les extrémités, pour que nous soyons méconnaissables, qu'on nous en ajoute des nouvelles, qu'on nous brosse les dents et qu'on nous arrose au boyau; les couronnes en or, le cou et la poitrine de marbre et les pantoufles de plâtre nous conviennent, et que trois mètres et deux tonnes de nous puissent nous servir, génial, qui ne voit pas que cette abîme de nous nous pousse hors du monument 11 notre mémoire; ni couronnes, ni fleurs artificielles ne sont pour nous, ni paniers, bourrés de merde de chiffons, nous n'avons pas besoin d'eux; n'est pas pour nous non plus la joyeuse image de la ronde des bancs, avec ce classique des colombes perchées sur la caboche, ce négatif des masques de neige. On peut nous reproduire 11 l'aide d'un daguerréotype, ou quoi que se soit d'autre, faire de nous des hologrammes, nous photographier et nous imprimer, pour qu'on vous étouffe, que vous nous couvriez de baisers dans le monument 11 notre mémoire, qu'est-ce qui vous a pris 11 vous précipiter sur nous, alors qu'il ne reste de nous que la forme, qu'est-cc qui vous a pris à nous importuner avec vos pelouses et vos fontaines; afin que le ruisseau des fontaines nous coulent dans la bouche: défense de se laver les mains, défense de boire, de laisser des détritus sur nous. En revanche les chiens nous lèchent, nous, parce qu'on est toute une foule dans ce monument 11 notre

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mémoire, et quels autres monuments les chiens viennent-ils sentir et lécher? Ils ne sentent ni ne lèchent aucun autre, et que celui qui nous a créés se débrouille avec nous, on se fout de là où on n'est pas. Les flics nous

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protègent, nous; les limitchikjl, tous, sans exception, ne veulent pas vivre à Moscou, dans la Troisième Rome, ils se vendent comme esclaves à Rome pour plus tard racheter leur liberté et pouvoir dans cinq ans vivre dans un appartement privé. C'est ça, ils veulent nous protéger ou vivre à Moscou, dans la Troisième Rome, quand même? Voilà le printemps qui fonce: les feuilles sortent à vue d'oeil, chaque feuille met mille ans à sortir, ce processus englobe et la vie d'Ivan le Terrible, déjà le quatrième en terreur, et les autres, qui ont laissé passer la maturité et le dépérissement et les phénomènes saisonniers dans la vie des oiseaux et des bêtes. Notre appartement n'est pas le nôtre, c'est un appartement-musée, ouvert sans relâche, tous les jours, aujourd'hui, même le lundi, jour de congé, car tous les grands spécialistes qui étudient notre vie peuvent seulement aujourd'hui : demain ils ne peuvent pas, demain chacun d'eux doit prendre l'avion pour retourner dans son pays, ou le train: voyage d'une nuit, ou le train de banlieue: seulement quelques heures, ou à pieds: dix minutes de marche; ils parlent notre langue, car pour étudier la vie de l'objet en question il est préférable de parler et penser dans sa langue, dans la langue de Pouchkine, de Tourgueniev, de Tolstoï et de Dostoïevski; ils boivent jour et nuit à la santé de la toute-puissante langue russe2 afin de conserver sa pureté. La littérature russe est une chose; la vie

russe, un phénomène. Vous voulez savoir pourquoi? C'est seulement chez les Russes que la littérature et la vie sont mélangées du passif à l'actif, et les

1Sous le régime communiste, seuls les gens enregistrés à Moscou (moscovites de souche ou par mariage) avaient le droit d'y habiter et d'y travailler. Les limitchiki sont des gens de l'extérieur de la ville qui ont obtenu un contrat de travail (temporaire) à Moscou. 2 L'expression est de Tourgueniev.

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écrivains, c'est toujours l'actif; alors que les héroïnes, c'est toujours le passif:il n'y a pas de femmes vivantes, Dès le jardin d'enfants tous les hommes voudraient avoir à faire seulement avec des Nataeha, Sonetchka et Tanya LarinaJ, avec le petit poisson d'or,4 avec la femme idéale et les femmes, en revanche, avec Pouchkine lui-m(lme, ou Tolstoï ou Dostoïevski. La nuit nous nous promenons, d'amis en amis, en se faisant tremper sous la pluie, de monument en monument, qui sont assis, debout, se faisant tremper sous la pluie, chacun se promenant en face de son propre appartement-musée, non, plutôt en face d'appartements particuliers, ou de restos entourés de kiosques à cigarettes, coupés des rues par la chaussée, en face des feux de circulation, pour que se soit plus facile de traverser la rue à la lumière verte, M(lme sous terre, dans le métro, on est parmi les nôtres et là aussi, il y a des monuments, en culottes et maillots de sport, des sportifs, des athlètes, des grands écrivains, dont la t(lte dépasse, qui 11 partir de la taille, qui pleine grandeur,

Il fait froid. Un homme est passé et a jeté un coup d'oeil sur le petit couple, ça ne se fait pas se promener comme ça dans les rues, en s'enlaçant comme ça. Sana et Demateyan se promènent dans les rues depuis le matin, en s'enlaçant comme ça; leurs mains pétrifiées par le froid peuvent tomber, - Appelle encore une fois.

Sur les vitres de la cabine téléphonique il y a des fleurs en neige, sur celle d'à côté, les mêmes fleurs, mais un peu plus sales.

- Ils ne sont pas arrivés? -Eh non.

JHéroïnes de romans de Tolstoï, DostoJevski el Pouchkine, Natacha Roslova (CllrT" ri lPaix),

Sonia Marmeladova(Crime el c1lûlimml)el Taliana Larina (Ellgflle Olll'gllillf).

4 Le pelit poisson d'or fait référence auCOllle du I,écilfllr el du I,flil l,oi55011 de Pouchkine, dans lequel un pauvre pêcheur attrape un jour un pelit poisson d'or qui, pour retourner 11 la mer, promet d'exaucer tous les voeux du pêcheur.

(18)

Là où ils appellent, on devrait arriver, pour les laisser entrer, pour ensuite repartir et les y laisser.

- On aurait dû prendre la clé tout de suite. - On aurait dû.

Ensuite un pont et une rivière. Au-dessus, le ponti en dessous, la rivière. Une rivière longue et sinueuse, toute glacée. On ne peut pas y boire, eUe est toute pleine de taches de graisse, tiens, des ordures se sont mises à flotter. L'ombre d'un oiseau vient de passer.

- Appelons encore une fois.

Personne. Les mains de marbre à cause du froid, les pieds de bois. Alors on rentre. Là-bas il y a Tchytchtchyajyshyn : il pense à nous. Il pense si bien à nous que cela fait une semaine qu'il ne mange que des macaronis, parce que le monument à notre mémoire bouffe tout son argent. C'est plein de monde qui se rassemble sous les lampadaires et dans les magasins, ils se réchauffent. - On peut encore essayer un autre endroit, dit Demateyan, mais je ne garantis rien.

- Est-ce qu'il faut appeler là-bas? - Bah! Allons-y comme ça.

- Dis-moi au moins c'est quoi comme endroit. - Ça fait drôle à dire.

- Qu'est-ce qui est drôle? - Tu verras par toi-même.

Pendant qu'Us marchaient ça n'était pas si drôle, parce qu'on voulait vite arriver, ils sonnèrent à la porte du semi sous-sol, et là, ça n'était plus drôle du tout, personne n'ouvrait, entre le jardin zoologique et le planétarium, des animaux artificiels en cage, nulle part où aller. Mais non, quelqu'un remue derrière la porte, un quelqu'un a piétiné et demandé: «Qui?» «Ouvre», dit

(19)

Demateyan. On leur ouvrit. Le maître des lieux le scrutait, sans le reconnaître. Sans compter qu'en plus il faisait noir.

- Tu ne me reconnais pas? demanda Demateyan. - Ah, ah..., dit le maître des lieux,- entre.

- Je ne suis pas seul, dit Demateyan, et il fit entrer Sana. - Entrez, dit le maître des lieux.

Il alluma la lumière, et ça a commencé à être drôle. Des sportifs d'argile dépassaient de partout: leurs bras et jambes cassés étaient étendus sous les cadres des portes; un ours, à moitié couvert d'un chiffon, et l'inévitable buste de Voltaire, qu'est-ce que Voltaire a à faire ici? Des spermatozoïdes, pas encore arrivés au stade de sportifs, d'ours et de Voltaires, grouillaient dans une bassine contenant du plâtre humide.

- Passez là-bas, dit-il, alors que lui alla se laver les mains.

La pièce où ils entrèrent n'était pas mal, et ici, ça ne sentait pas du tout la création; un lit, une bibliothèque, une cuvette de w.c., pas branchée, recouverte d'une planchette et servant de table de nuit. Le maître des lieux apparut à temps, jeta une nappe sur la cuvette et se passa le bras à travers le carreau de la fenêtre pour aller chercher des provisions. Il sortit du filet à provisions de la galantine, cristallisée par le froid, légèrement remplie de viande, et d'après laquelle on pouvait étudier la structure de la glace.

- Non, nous n'avons pas faim, dit Demateyan.

On peut aller faire un tour au magasin, là il Y a du champagne, mais pas du cinq étoiles. Alors vaut mieux de la bière, et la bière alors, elle est c'est de la cinq étoiles, elle? Bien sûr le maître des lieux a un prénom, que lui a donné sa maman, pourquoi donne-t-on des prénoms au chauffeur de taxi et au contrôleur, au maître des lieux chez qui nous sommes venus en visite, afin de mieux se rappeler d'eux? Alors nous ne donnerons de prénoms ni au

(20)

chauffeur d'autobus qui nous a conduit ici, ni au maître des lieux, afin de mieux les oublier. Mais il est toujours ici, même sans prénom, il est assis et mange sa galantine, qui lui étincelle dans la moustache. Il est allé mettre de l'eau à bouillir, il est aHé chercher la théière et Demateyan l'a suivi. Demateyan lui murmura une parole magique et le maître des lieux se mit vite à tourniquer, il se trouve qu'il y a longtemps qu'il aurait dû être à un autre endroit, où on l'attend depuis longtemps, il est embarrassé, mais il doit maintenant nous laisser.

- Une minute. Le maître des lieux appela Demateyan. - Compris, dit Demateyan - sur le petit clou.

Et quand nous quitterons, nous laisserons la clé dans la boîte aux lettres; il n'a pas besoin de son atelier avant demain soir, il n'en aura pas besoin pour trois jours, en fait, il n'en aura plus jamais besoin de sa vie. De toute façon, nous ne sommes venus que pour cinq minutes, alors le maître des lieux n'est sorti que pour cinq minutes, se balader, -un petit aller-retour à la boulangerie. On s'est dit au revoir.

- Ça ne t'as pas pris de temps à lui régler son compte. Le coeur bat, à en bondir, gros comme le poing de chacun. - Ça alors! Quel coeur tu as, comment tu le fais bouger!

Le soleil a éclaté, quand? Toujours, l'explosion nous éclaire et réchauffe, ce boum éclaire déjà des milliards d'années lumière; tu ne t'approcheras pas même avec la vitesse de la lumière, avec la vitesse du regard seulement, dont la vitesse est bien plus grande,

- Il Ya du rouge sur ta culotte. - Laisse.

La forêt originelle, c'est comme ça que la vie est née, dans des bassinets, sous des chiffons humides, c'est comme ça, pour que demain on puisse encore

(21)

retaper le ventre de l'objet, si tu n'aimes pas ça, tu peux t'enduire la jambe, te débarrasser avec une pelle du gras en trop.

-Onyva. -Où?

- Viens, je vais te montrer.

Un bassin, un simulacre de bassin, pour travailler l'argile ou pour prendre des bains de boue, ni l'un, ni l'autre, le cagibi muni d'un bassin s'est rempli de vapeur à cause de l'eau chaude, qui a vite rempli le bassin, de l'cau jusqu'au cou, toutes les conditions pour se pétrir l'un l'autre et sc coller comme il faut; se donner de la peine pour soi, rapprocher ses mains et ses pieds comme il faut, produire toute une descendance, féconder tous les bassinets et les pots.

- Mets-toi debout ici. - Quoi?

- Debout, ici.

- Ferme complètement l'eau chaude.

L'environnement résiste, l'eau résiste, si on essaie de se rapprocher, l'environnement s'oppose.

- Nage vers moi. Plus d'opposition, - J'ai envie de fumer. - J'ai toujours envie. - Vas-y, rapporte m'en.

Demateyan est sorti sur la terre ferme pour en rapporter, bien recouvert d'un duvet d'argile, s'est débarrassé de son millier d'années, dont il n'avait pas besoin maintenant.

(22)

- Regardé qui? - Cet athlète. - Quel athlète?

Dans le coin il y avait un athlète, proportionné jusqu'à la moelle des os avec sa moelle et ses os.

Demateyan s'est rentré le ventre pour que son torse devienne proportionnel à ses jambes.

- C'est avec lui que tu veux? - Avec qui?

- Tu as envie... avec l'athlète? - C'est toi qui veux avec l'ours. - Juste avec toi.

- Avec l'ours.

Dema teyan a tiré Sana hors du bassin, afin qu'elle mûrisse sur la berge, qu'elle sèche; la voilà, branle-bas sur la terre ferme,

- Je vais expulser de toi l'athlète et l'ours, compris? - Arrête.

- Toi, tu as une passion pour les hommes en général, pour n'importe lesquels, y compris pour moi.

- Ça suffit.

- Je ne suis qu'un des objets du sexe masculin. - Tu vas me tuer comme ça.

- Je vais te tuer comme ça. Tu aimes le sexe en tant que tel, généralement masculin, et moi comme son représentant.

- Seulement toi. - Tu mens. - C'est la vérité.

(23)

- Tu n'aimes pas cet athlète? - Je le déteste. - Et l'ours? - Aussi. - Moi seulement? - Oui. - Quoi, oui?

- Je t'aime seulement toi. -Tu mens!

sur le plancher de céramique, dans sa propre mare, où toute l'humanité pousse à vue d'oeil, comme dans de la levure.

Demateyan commençait à s'échauffer, il poussa l'athlète et le lança dans le bassin, dans son milieu, duquel il était sorti il y a une semaine, l'athlète fondit, comme du sucre, après avoir tout éclaboussé, après avoir rendu l'âme, et la même chose avec l'ours, avec tous, Voltaire y compris, - Ils vont nous tuer pour avoir fait ça.

- Demain on façonnera les nôtres,

ça ne sera pas pire, on en refaçonnera d'autres et on les étalera au soleil pour les faire sécher, et Sana aussi, - dans le bassin avec les cellules vivantes, et lui aussi; tout le monde ensemble.

- C'est à qui cette jambe? - C'est à l'ours.

elle n'a pas encore fondu, - Et celle là?

- C'est la tienne.

Tout est à moi, ici, tout est à toi, à tout le monde, tout ensemble. - C'est ta main?

(24)

- À qui alors?

- Je pensais que c'était la sienne.

La tête a été arrachée, elle flotte, ne coule pas, pourquoi est-ce qu'elle ne coule pas? Parce qu'elle est sèche.

- La tête de qui?

On ne saillrop, s'embrasser, on en a assez, on est fait de la même chose. - En as-tu assez?

On dirail qu'elle est partie vers le fond. - Qui?

Comme ça on peut la faire couler. Plus de visage, lui casser la figure. Où est la figure? Une ébauche, heureusement que nous ne sommes pas en sucre.

- Quoi?

On est plus durables, qui va déloger qui, on est à l'étroit, ça glougloute. - Ne porte pas attention.

-Moi non, et toi oui? - Et maintenant vers où?

- Quoi?

ail

aller maintenant, nous sommes partout; on déplace le volume d'eau et on ne coule pas, comme les bateaux sur l'eau.

-- Quoi?

-- Comme les bateaux sur l'eau. -- Comme ça, ça va?

-- Aïe.

Voltaire s'est mis à nous couler sur le dos. -- Qui?

Il sc raccroche àia vie. -- Viens ici.

(25)

-- aü?

aü es-tu? C'est toi? Regarde, on va maintenant s'enliser en eux, dans notre simulacre, la bouche est peinte.

- De qui?

L'ours a du rouge sur les lèvres. - Qui?

Une bouche d'argile rouge. - Qui?

Du rouge à lèvres. - Toi?

- Tout barbouillé de ro1.!ge à lèvres.

Celui de qui? - De l'ours. - Du mien?

Dans de l'argile rouge. - Qu'est-ce que tu veux? - Toi. - aü es-tu? - Me voilà. - Et moi? -Ici. - Et là, c'est qui? - Il n'y a personne? - Et là bas? - Tout le monde. - Et ici?

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-Oui? - Oui. - C'est du p~il? - Oui.

Du poil d'ours sur les jambes, sur la moustnche, sur les cheveux. -- On sonne. - Quoi? - Le téléphone. - Quoi? ' - À la porte. -Où? - On n'est pas là. - Je vais voir.

Il est all~ voir qui appelait, Demateyan est allé voir, dans sa peau de chêne, qui cela pouvait bien être, qui est-ce qu'i! nous manque? Un bonhomme de neige, bien sûr, et une bonne femme de neige; du même sexe, de même température. Et hop! le bonhomme de neige dans le bassin, et la bonne femme avec lui, sa carotte lui est sortie de la bouche, elle flotte dans un coin, il fait froid avec un bonhomme de neige, commeil est froid! Manger un bout de carotte, la bonne femme de neige nous donne la chair de poule, l'imbécile, elle s'est défaite en trois boules.

- Qu'est-ce que t'as à te coller sur elle comme ça? - Qui?

- Toi, sur la bonne femme de neige. - Oups, attends.

On peut attraper froid à cause du bonhomme. -On peut.

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Le bonhomme a écrasé Sana dans le coin, a perdu son poids en trop, les petits morceaux de charbon lui sont tombés des yeux.

- Ne suce pas la glace.

Les organes vivants, encore tièdes, nagent. - Comme il est froid.

- Qui? Toi, qui d'autre!

Ils ont tous fondu, ils sont tombés au fond, à cause de tous ces corps de neige, il y a plus de tirant d'eau que nécessaire, ils vont nous tirer sur la berge, ils nous y ont déjà tirés, du robinet, un ressac remonte. On se décompose sur la berge, un bâillon dans la bouche; 1" langue ne remue plus; on s'est avalé la langue... La voilà la vie, tout est vain, où elle est la descendance, qu'on a produit il y a une minute pour la vie; pourquoi est-ce qu'elle ne grouille pas, qu'elle ne se traîne pas à quatre pattes pour la vie, qu'elle ne tombe pas en arrêt? Quelle prodigalité. Mais ça ne se fait pas de travailler comme ça pendant deux heures à une descendance, pour la voir sécher comme ça en cinq minutes, mais pourquoi est-ce qu'elle ne parvient pas à maturité à notre grande joie, sur-le-champ, toute entière, pourquoi est-ce qu'il n'yen a qu'un sur un milliard qui parvient à maturité, et encore pour qu'on le balance au troisiè.me mois; pourquoi notre descendance ne se disperserait-elle pas aussitôt par les maisons, portant tout de suite chapeau et manteau, dans sa coquille, un sac sur le dos, avec les quelques provisions que maman lui a léguées à la naissance, pour les premiers temps, non, ils vont tous crever ici même; asphyxiés sur la terre ferme : incroyables funérailles : ensevelir des milliards de spermatozoïdes en terre humide, dans un bassinet d'argile humide, enterrer ici l'humanité future, qui s'élèvera dans une toute autre vie; qui ne s'élèvera jamais, jamais! Même si on la fertilisait, et qu'on

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l'arrosait, elle ne fleurirait jamais, jamais, Quel ennui. En vain on levait les bras et les jambes jusqu'au plafond,

- Quoi, en vain? - Tout en vain,

- Qu'est-ce que tu veux dire? -Tout.

- Ça ne va pas?

- Ne me demande même pas,

Alors mieux vaut avaler toute cette humanité sous-développée, la lécher de sur le plancher; lécher chaque carreau jusqu'à ce qu'il brille, et tout avaler, c'est la meilleure chose à faire, que l'humanité se développe dans l'estomac, qu'elle ne devienne pas des humains, mais des calories, de toute façon, ce sont des humains, Ah! Que c'est nourrissant et bon pour la santé: quand cette humanité se promène dans les intestins jusqu'au rectum et ressort vers l'astre, Dieu Notre Père, si c'est juste un processus et de la simple mécanique, alors donne-nous un coup de poing droit au coeur, pour que ça n'arrive pas une autre fois; Dieu Notre Père, c'est que nous aussi on est tristes à l'idée que des tonnes de notre liquide, dans lequel grouille la vie, sont, à la buanderie, emportées avec les draps dans un déluge commun.

-T'es devenu tout vert. Ça ne va pas? - C'est le ventre.

Tu verdis, tu fais la cour jour et nuit, en vain. - Et toi, tu es toute blanche, ça ne va pas? - J'ai la nausée.

Tu blanchis quand l'humanité ne se digère pas dans l'estomac, et lèche le dehors, avec la carotte du bonhomme et ses petits yeux charbonneux,- au charbon activé. Sana s'est purgée de l'humanité, y'a pas de place pour elle

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là-•

dedans: les intestins, ce n'est pas un endroit pour se promener; les intestins témoignent de l'activité des étoiles ou du fait que l'on mange, mais les intestins mangent tout ce que l'humain introduit dans ses intestins et qui est né de la force des étoiles, c'est ce qu'enseigne Bohme.

- Quel homme heureux il était ton maître, Sana, il t'a enseigné il avaler et il te purger.

- Qui?

- Ton premier maître.

Qui, Bohme, ou un membre de l'Union des maçons, des compositeurs, s'étant permis bidets et vomitoriums, il présent cours entre la salle de bains et la cuvette étant donné que les vomitoriums, ornés de marbre et décorés de petits poissons d'azur, n'ont pas été prévus dans les semi-sous-sols, entre la salle de bains et la cuvette, comme te l'a enseigné ton premier maître : compositeur et maçon de première classe.

- Comme tu a repris des couleurs! - Ferme-la.

Demateyan a avalé un comprimé d'intestopane et s'est mis il implorer la grâce de Dieu. Ça passera, ça ne passera pas

- Et ton maçon, il ne prenait pas d'intestopane, hein, Sana? Et le compositeur?

Il était simplement assis sur son pot et implorait la grâce de Dieu, Bohme, on ne peut pas tout faire à la fois, et avaler de l'intestopane, et implorer la grâce de Dieu: on ne peut faire qu'un des deux: ou avaler ou implorer, voilà, ça a passé, où sont ces montagnes, derrière lesquelles est la fin, pas si loin?

Demateyan a essuyé Sana avec un chiffon, avec la serviette pour les ours et les athlètes, celle que le sculpteur utilise tous les jours pour les essuyer après la douche.

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- Tu vas m'égratigner comme ça. - Pardonne-Moi.

Voilà qu'ils ont rassemblé leurs forces, est-ce possible qu'ils se lèvent et se mettent à marcher?

- Lève-toi et marche.

Ils se sont levés et se sont mis à marcher: ils marchent d'un coin à l'autre, ils cherchent, qu'est-ce qu'ils cherchent? un petit quelque chose pour faire passer l'alcool. Avec quoi est-ce qu'on pourrait bien le faire passer? Grignoter et boire le processus; ils se déplacent en silence, se heurtent sur le seuil de la porte.

- Excuse-moi.

À travers toutes les ouvertures, un courant d'air, la poussière remue. - Tu n'as pas vu mon sac?

Plus de forces, toutes les forces sont aIlées à la création du monde, mais où il est ce monde qu'on a créé, c'est celui-ci ou quoi? Ce sont ces sportifs d'argile? QueIle joie ce serait, après deux heures de labeur, que de voir surgir le monde; de voir s'incarner ce monde qui nous résonnait dans les oreilles et nous brouillait la vue; avec ses animaux, ses humains, ses petites rivières et ses cris d'oiseaux, c'est qu'ils nous retentissaient dans les oreilles, ces cris, où sont-ils? Les rivières nous coulaient sur les bras. L'athlète a le bras cassé. Sana l'a mis dans le plâtre pour qu'il se rétablisse correctement, où sont-ils tous passés?

Autour, il n'y a plus rien de ce qu'il y avait dans les yeux et les oreilles; tout est là, grossièrement et tridimensionnel, tout est figé. Il ne reste plus qu'à aider l'autre à reprendre ses sens jusqu'à la prochaine fois, et la prochaine fois le créer ce monde, pour sûr, et comme ça d'une fois à l'autre, pour qu'une bonne fois il surgisse, pour sûr, ce monde, c'est que ça ne peut

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être absurde au point qu'il ne surgisse pas la prochaine fois, peut-être bien que cette fois-ci il y a quelque chose qu'on n'a pas fait comme il fallait, la prochaine fois on fera tout comme il faut, et il surgira, ce monde, parfaitement apparent, il s'incarnera et une humanité nouvelle se traînera et se promènera à notre grande joie; il y a seulement la joie de la création qui nous dopera jusqu'à la prochaine fois, les bas à l'envers, les bottes enflammeront l'imagination, et cette fois-là sera une fois absolument incomparable, et non pas un «un, deux, et hop!», et comme ça chaque fois,

Sana est descendue dans le bassin, s'est étendue sous la couverture, sous l'eau; pas de vagues, pas de couverture, pas une onde, non, la couverture s'est mise à bouger, il y a un geyser sous elle, une fontaine, toute mignonne, que tu ne pourras arrêter du doigt, qui tremble sous la pression. Demateyan plongea la tête sous la couverture.

- Évacue l'eau.

La couverture s'en ira dans les tuyaux de canalisation, tout comme l'eau; le bouchon sous le pied; il faut se débarrasser de cette descendance, dont nous sommes couverts de la tête aux pieds. Çay est presque, ça va; tout le mauvais a été emporté à la buanderie dans le déluge du savon, il est parti avec la neige fondue, dans la terre, dans la Mer Noire... et la table ancienne, exemplaire numéroté, qui se dresse, recouverte de la tête aux pieds du nom que lui a donné sa maman: table, c'est qu'elle est desk, mesa, zigmesh, duntun, où les noms s'interexcluent les uns les autres. Et le nom de l'objet disparaît, comme la neige de l'an dernier disparaît de l'objet; elle part dans la terre, se jette dans la Mer Noire, voilà pourquoi ily a tant de langues, voilà pourquoi! Afin de donner des noms dans des centaines, des milliers de langues, afin que les noms(Ies langues) interexcluent les uns les autres, et que l'objet demeure à nouveau sans nom, c'est que s'il n'y avait qu'une seule langue pour tous et

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que tout le monde appelait une table «une table», alors ça serait beaucoup trop sérieux; que précisément cette combinaison de sons - ta-ble - caractérise cette matière sur quatre pattes, et étant donné qu'il y a un millier de langues et qu'une table, comme matière est et stole, et table, et mouk-mouk, alors on peut accepter la condition du jeu que dans notre tribu ce bidule se nomme table, mais seuleme:lt comme condition du jeu, et seulement dans notre tribu! Et ainsi tous les noms dans un millier de langues excluent tous les autres noms et les milliers de verbes; et le monde demeure sans verbe, ni nom, impénétrable, il exercera une pression sur l'ouïe et le cerveau par la pureté du son et la pureté de la matière; il sera à la fois l'ouïe, le goût et le regard! Une sonnerie, ou est-ce que ça nous résonne dans les oreilles? Une sonnerie.

- Il faut ouvrir. - Mais non.

- Habille-toi, je vais ouvrir.

Il y a tant de langues, pour que dans chaque langue on puisse dire la même chose en parlant du soleil, des étoiles et de la lune, la même chose, pour comparer et s'apercevoir que la même chose a été dite à propos de la même chose, qu'une chose pour tous, si au moins ce qui n'est pas le produit de l'homme -le soleil, les étoiles et la lune - se ressemblait dans différentes langues, si ça sonnait de la même façon, si au moins c'était constitué de quelques sons identiques, c'est-à-dire si ça possédait, initialement, un nom (une appellation) précis, et que l'humain ne le modifiait pas de manière indéterminée, à sa façon, et que le produit de l'homme, table, lit, sonne comme bon lui semble, dans n'importe quelle langue. Ça, ça serait sérieux, on pourrait penser sérieusement au nom; et même le soleil, comme nom, serait pour les uns sun, pour les autres cou-cou, ou encore mou-mou, c'est

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donc, dès le départ, l'humain qui nomme l'objet, et pas seulement un humain, mais bien une tonne d'humains, et la langue est le produit de l'humain; il dort et rêve dans la langue, pour sûr- il réfléchit, mais l'oiseau, lui, réfléchit en mélodie; il chante; la mésange du moins, le moineau, les écureuils se sont envolés vers le sud; c'est clair que ce sont aussi des humains qui enseignèrent les langues à l'humain, mais quelques amateurs-inventeurs, pas une maman; la langue n'est absolument pas naturelle à l'humain, et si l'humain restait seul pour toujours, alors il oublierait complètement la langue, mais tant que l'humain vivra parmi les humains, parmi les siens et non parmi des étrangers, il se frayera un chemin à travers sa propre langue afin de pouvoir parler du coeur de la façon la plus précise possible, et ce, en utilisant une combinaison précise de sons, afin que chaque humain comprenne tout de suite avec les yeux et les oreilles et le coeur, qu'il est question du coeur. Demateyan est en train de causer sur le seuil de la porte. Qui est là? Quelque lyaïter avec sa toufta,5 qu'est-ce qu'ils veulent? Ils sont gelés, ils sont la même chose, ça leur fait la même chose; ce sont tout de même des gens, des gens étranges; s'il y a un lieu, alors les mêmes gens sont dans ce lieu au même moment; d'autres gens, pas les nôtres, pas que ce soient des étrangers, mais pas des «gens», comme nous, plutôt des objets non identifiés, ils parlent notre langue, dans laquelle, bien sûr, on peut comprendre chaque mot séparémellc. Llemateyan ne parle même pas, il se débarrasse en utilisant les interjections «ougou», «aga», et tout est clair parce qu'il n'est pas «autre», n'importe qui, mais bien un des nôtres, et nous ne voulons pas redécouvrir l'Amérique,6 apprendre à connaître ces êtres «nouveaux», comment ils sont constitués, où vit leur âme: dans le cerveau,

5 Toufta désigne une chose (et par extension une personne) sans valeur, insignifiante. Lyaïter cst

son équivalent masculin. .

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dans le coeur, ou bien est-ce qu'ils ont eu la trouille et que leur âme est allée se terrer dans les talons? Nous ne voulons pas, mais ils se tiennent là, debout, ces objets non identifiés, taches blanches sur la neige, ils ont avec eux de la bière, stérilisée, fraîche du jour, 12 degrés; conserver cent quatre-vingts jours, six mois, et dans six mois alors on boira de la bière si elle est pour être fraîche du jour dans six mois, non aujourd'hui déjà nous disons ... nous y sommes allés, oui, nous avons vu, oui, et ça nous a plu et ils sont allés et ils ont vu et ça leur a plu, de bien beaux tableaux, ils sont du même avis, et il n'y a pas de temps, et il n'y a pas de bonheur; mais il y a la sérénité et la liberté? eux aussi ils sont du même avis, qu'il y a, qu'il n'y a pas, et fumer est mauvais pour la santé; le plomb se loge dans la poitrine, comme la balle de D'Anthès,B et tous nous mourront d'une balle, pendant six mois on est là à boire de la bière du jour, de la «Chipka», en cinq minutes on a bu six mois, en une heure, à l'amitié, on peut encore en acheter aujourd'hui et continuer comme ça un autre six mois, pendant qu'on en vend tout près d'ici, la toufta montrera où, et Demateyan en rapportera, et Sana, en attendant, montrera au Iyaïter les sportifs. Salut! Les voilà partis. Nous sommes ensemble, séparés, chacun à côté d'un objet non identifié, pourquoi? Afin que l'objet devienne identifiable et bien-aimé? Est-ce possible que dès qu'on arrin à identifier un objet on se mette à l'aimer? Et n'importe quel objet pourrait devenir identifiable et donc bien-aimé, et le Iyaïter et la toufta? Jamais! Il vaut mieux qu'ils ne remuent pas trop, et qu'ils ne montrent pas leur meilleur profil, de la queue. Même dans un million d'un millionitch d'années et dans un million d'un millionitch de fois, tous les a.N.1. se précipiteront dans l'obscurité, comme les chauves-souris, chacune avec son ultrason; ils se

7 Allusion à une célèbre phrase de Pouchkine.

BO'Anthès: baron français contre qui Pouchkine se battit en duel, en 1837, à la suite dequoi ce dernier perdit la vie.

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frotteront dans l'obscurité, tout comme les hirondelles à la lumière, mais dans l'obscurité nous aurons peur à cause des cette souris non identifiée, et à la lumière nous serons ravis par l'hirondelle bien-aimée, la toufta est là, devant Demateyan, plus haute d'une demi-tête, plus basse d'un talon, sous le point de lumière, sous l'éclairage d'une ampoule de 100 watts, reluisante de propreté, elle scintille, elle brille tellement qu'on en est aveuglé; elle a voltigé par-dessus toutes les flaques d'eau dégelées-regelées. Elle gazouille. Ce n'est pas qu'il ne comprenne pas, il écoute attentivement. Mais ne comprend pas. Elle pourrait bien être reine de France, championne du monde, une grande poétesse, elle pourrait s'élever jusqu'à une hauteur si vertigineuse, comme une étoile, et là-haut scintiller, elle pourrait bien, mais elle ne pourrait, d'objet non identifié, se transformer tout à coup en objet identifié et bien aimé, car si un objet non identifié ne devient pas d'emblée identifié et bien aimé pour toujours, alors, il ne le deviendra jamais, supposons qu'elle amène Demateyan dans son berceau et qu'il la dénoue et s'aperçoive qu'elle est la même qu'à l'extérieur, reluisante de propreté à l'intérieur aussi; qu'elle a un nez bien droit, le nez le plus droit de toute l'histoire de l'humanité; que l'ovale de son visage est long, mais qu'elle ne peut s'insérer en longueur dans sa longueur à lui, et sa largeur à lui recouvre la sienne à tel point qu'il ne peut être question d'aucune profondeur de sentiment. Mais tout le superficiellement superbe, comme une superbe superficie, réjouit l'oeil avec toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, couleurs qui sont au nombre de sept.

Sana a conduit le lyaïter à travers la forêt vierge des sportifs, Voltaires et ours, elle les lui montra encore tout mouillés, mûrissant sous les chiffons. - Ça, c'est un ours.

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Et elle enfonça son doigt dans l'ours, où vit l'âme de l'ours? Là-même où vit celle de Voltaire? Là-même, et leurs âmes ne font plus qu'une? Le lyaïter s'enhardit jusqu'à toucher Sana de la main, se mit à lui tambouriner dessus avec les mains et les pieds, c'est parce qu'elle est à l'épreuve des chocs qu'elle ne s'est pas fracassée, ou quoi? Peut-être bien qu'elle est à l'épreuve des chocs : les mains et les pieds du lyaïter bondissaient d'elle avec un tel fracas que tout craquait, enfin, l'important c'est que le lyaïter cherchait les lèvres de Sana et ne les trouvait pas; elle ne lui a pas soufflé mot d'où elles se trouvaient, même si elles étaient là où elles se trouvent chez tous les êtres humains, mais à cc moment-ci, elles n'étaient pas à leur place, elles n'étaient pas non fardées, elles nageaient, fardées, dans le bassin, et suçaient la carotte; le lyaïter est devenu furieux parce qu'elle ne voyait carrément pas ses mains à lui, malgré qu'elles aient été fixées comme il se doit, et ses jambes collées, et sa tête bien en place, il se mit à lui démontrer grossièrement avec ses mains et ses pieds comment ceux-ci étaient dans leur bon droit, il était entièrement le sexe opposé, qui attire comme la charge opposée, et son visage s'empourpra comme une flamme; il était en nage sous ses chiffons, comme le sportif sous les siens, gonflé d'air ou par quelque folie, parce qu'il passait son temps à aspirer de l'air, sans jamais expirer.

- Ça suffit, implora Sana. Mais il n'était pas de fer. - Mon coeur! dit le lyaïter.

- Tu n'as jamais mis les yeux sur mon âme, dit Sana.

À la place des yeux, il avait deux brouillards, et ses pupilles nageaient, comme dans un brouillard.

- Mais pas tout de suite! dit-elle.

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- Bah, demain, par exemple.

C'est la première chose que Demateyan entendit à travers la porte. Il se tenait debout, une tour de bière en cristal à la main et un palais en forme de bouteille dans un sac.

- Et qu'est-ce qu'on fait pour la clé, demanda le lyaïter. - Elle sera avec moi, mais il ne sera pas là.

Demateyan s'est tout embrouillé dans la réponse de Sana; qui sera avec elle, et qui ne sera pas, c'est que ça ne se peut pas que lui-même ne soit pas avec elle, ça veut dire que lui, il sera avec elle, et la clé non, mais c'est qu'eUe a clairement dit que lui, il ne serait pas là, mais que la clé, oui. La clé est sur le petit clou, eUe se multiplie, par division dans chaque atelier. Demateyan a poussé la toufta vers la porte, avec le sac devenu vitreux, et s'est précipité dehors avec la clé, il faisait un froid de canard, un de ces froids qui vous glace la peau. Pourquoi est-ce que les yeux ne gèlent pas au froid et que les larmes gèlent? Parce que les yeux sont chauds? Parce que Îes larmes sont froides? Parce que les yeux ne sont pas en eau? Parce que les yeux sont profonds? Parce que les larmes ne le sont pas? Le serrurier était un maître à toutes mains: pendant que Demateyan attendait que la clé se multiplie, le serrurier lui ajusta les fixations de ses skis et de ses patins, répara la fermeture éclair de son sac, farta, aiguisa, rajusta, Demateyan s'en retournait. .. parce que les yeux bougent? Parce que les larmes restent en place?

Ils étaient assis, tous les trois, et roucoulaient; le Iyaïter et la toufta ensemble, Sana à part, le sac était à moitié vide, la bière moussait de chaque bouteille, de la mousse apparaissait Aphrodite, c'était très amusant.

- Où étais-tu, demanda Sana.

- Je me promenais, répondit Demateyan, -je suis aUé prendre l'air. - Mais tu es tout gelé, dit Sana.

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Elle s'~pproch~ de lui et le prit p~r I~ m~in, Dem~tey~n ét~it gelé jusqu'~ux

os, comme un oise~u qui se couvre de gl~cc en plein vol et tombe, comme un bout de bois. Et, comme un bout de bois, il s'~ssit.

- Tiens, bois ç~, dit S~n~.

Idiote, pens~ Dem~tey~n, elle me donne de I~bière gl~cée. - C'est du thé, dit-elle, il est bien ch~ud.

Elle ten~it réellement d~ns ses m~ins une t~sse de thé bien ch~lld qui s'él~nç~ à l'intérieur et se mit à fondre cette congélation éternelle. Et une fois que Demateyan eut fondu, il s'épanouit et se mit à regarder autour de lui et vit qu'il n'y av~it personne, qu'ils étaient tous les deux, lui et Sana, que les étoiles s'enfuyaient au-dessous de l'horizon et que le soleil ~ccourait.

Où est la nuit, où est-elle partie, au-delà de l'horizon, avec les baisers, les étreintes et les larmes; les baisers sont partis au-delà de l'horizon? Avec les étoiles, la lune et le sommeil; et le sommeil est parti au-delà de l'horizon? Non, le sommeil vient justement de se pointer à l'horizon avec le soleil, la fraîcheur matinale et la vivacité, tout est inversé: s'endormir vivement, se réveiller mollement, être affamé le ventre plein, être rassasié de faim, ah, et puis non, rien n'est inversé, il ne suffit que de bien calculer la marche de la terre autour du soleil, autant de rotations, autant de jours, et ainsi, c'est à cause d'un mauvais calcul que nous ne pouvons tout faire en une rotation, et que nous reportons une partie de cette rotation à la rotation suivante, il faut arriver à trouver le début de la rotation et, à partir de là, calculer rotation après rotation, et dès que le soleil se mettra à briller à l'horizon nous aussi nous nous mettrons à briller à l'horizon, et dès qu'il ira se coucher nous le suivrons, et ça ne sert à rien de regarder la lune, ça ne sert à rien de l'attendre, ou bien elle est grosse, ou bien elle est petite, ou bien elle est tout simplement absente, mais elle est bien belle, c'est bien la plus belle là-haut dans le ciel,

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comment ne pas l'attendre, comment ne pas la regarder, et voilà, tu attends pendant toute une rotation, que sa Luminance se montre, et sa Luminance se montre. Votre Luminance, ne vous jouez pas des gens, laisse:f.-nous dormir, faire un petit somme au moins! C'est bien qu'il y ait la force d'attraction de la terre, sinon la lune attirerait tout le monde vers elle, même si elle est plus petite et plus faible que la terre et que la terre est plus grosse et plus forte que la lune, sa Luminance possède le doux privilège de s'éloigner de la terre, alors que la terre a la douce dépendance d'attirer la lune, étant donné que sa Luminance est au-dessus, et que la terre est au-dessous; elle est au-dessus de notre tête, alors que la terre est sous nos pieds, et ce qui est au-dessus de notre tête semble toujours plus grand et plus fort, malgré qu'en réalité, c'est plus petit et plus faible, encore une fois, tout est inversé. Tout est sur le plancher: les oreillers et les couvertures sont sur le plancher; il fait froid et c'est effrayant d'être aux côtés d'un bien-aimé qui est plus grand et plus fort, alors que lui est bien au chaud et s'amuse près d'une bien-aimée qui est plus petite et plus faible... C'est que s'il est plus grand et plus fort et que ses organes d'attaques sont particulièrement bien aiguisés: talons et bec, il ne devrait pas frapper de ses talons et de son nez celle qui est plus petite et plus faible, puisqu'il est plus vieux et plus fort. Non, il doit frapper parce qu'il est plus grand et plus fort, seulement, au-dessus, comme la lune, mais sa Luminance est plus petite et plus faible, mais au-dessous, comme la terre, alors que lui, c'est le contraire: il attire, comme la terre, alors qu'elle, elle s'éloigne, comme la lune, il frappera tant qu'il y aura un haut et un bas, et pas de la kacha; la kacha, ça c'est quelque chose! Elle se cogne contre son amant, contre la kacha, comme un chiot aveugle, jurer éternellement son amour, pleurnicher dans sa morve et ses larmes, tituber, comme une petite hermine enceinte d'une semaine dont le pavillon auriculaire n'est pas encore développé et qui

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n'entend rien des obscénités que crache son papa hermine de quarante ans, qui s'est collé contre le mur ct a attaqué par derrière, qu'est-cc qu'il a, il est complètement aveugle, qu'il ne voit rien? Peut-être qu'à quarante ans son pavillon auriculaire ne s'est toujours pas développé, peut-être que c'est un vieux chiot, mais aveugle, qui ne voit rien, ses petits yeux ne sont pas encore sortis. JJ 'mit tout, il entend tout, mais il aime bien lécher la morve et les larmes après. Qu'est-cc que c'est que cette passion qu'a l'être humain d'en faire pleurer un autre pour ensuite lui lécher les larmes sur les joues et lui faire un suçon sur chacune, ça ne pourrait pas être tout simple? Qu'est-ce que c:'cst que cette passion de tout faire sortir en une sojrée ce qui s'est <:ccumulé dans les pochettes à larmes en six mois, mais c'est que les larmes, c'est fait pour aider les grains de poussière et les cils à sortir de J'oeil, pas pour étendre de J'aquarelle sur du papier, y'a d'l'eau pour ça, mais les larmes, c'est bien mieux, et comment! Et c'est mieux pour mélanger J'argile. Et la langue de veau est Ull produit de luxe, et la cervelle et les yeux d'agneau, et le foie d'oiseau, et le caviar ::le saumon, tous des produits de luxe; et les larmes, et la morve sont aussi des produits de luxe.

Sana s'est endormie au zénith, le soleil dans les cheveux, le maquillage a commencé à lui dégouliner sur les joues, emportant avec elle les contours des continents, qui étaient dans une dimension, alors que le nez, lui, était dans une autre: il jaillissait, comme une montagne tridimensionnelle, dam un océan de larmes entre J'Afrique et l'Australie; les ailes de la montagne nullement touchées par le maquillage des cils, à peine recouvertes de poudre, légèrement gonflées; la montagne respirait. Demateyan l'a laiss~e dormir comme ça, dans son milieu initial, parmi sa descend'lnœ d'argile, vide à l'intérieur, qu'elle a produite pendant la nuit, et ne se mit pas à étudier l'image vide de J'Afrique et de J'Australie, il n'avait pas pitié d'elle, et il laissa

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ln clé sur le petit clou et filn 11 ln mnison. Ln mnison étnil pnrmi des mnisons, l'nppnrlement pnrmi des nppnrlements. Tchynchtchynjychyn dénmbulait dans ïnppnrlemenc, ne portnnt qu'un slip, et mâchouillnit une espèce de kachn desséchée, impossible 11 mnstiquer.

- Et Clrnn, eUe est où? - che rencheignn Tchynchtchynjychyn enlre deux bouchées de knchn.

_. EUe ch'est nchoupic. répondit Demnleynn.

- Et où est-ce qu'eUe dort? demnndn Tchynchtchynjychyn, nprès nvoir nvnlé. Dp''',nteynn picom dnns ln poêle, et se rendit compte que ce n'étnit pas du tout de b kncha que Tchynchtchynjychyn mnngenit, mnis des pommes de terre ct de ln vinnde, et que tout .;n étnit si bien rôti nvec des oignons, qu'on numit dit nvec des chnmpignons.

- Où est-che qu'eUe dort? redemnndn Tchynchtchynjychyn, snns même ouvrir ln bouche.

- Ci,é pns.

- Comment çn, tu ne snis pns? un peu plus et Tchynchtchynjychyn s'étouffait, - je te demande où est-ce qu'eUe dort.

- Ché pas.

Tchynchtchyah'chyn prit la poêle avec les pommes de terre et se dirigea vers l'autre pièct:. Demateyan finit de mâcher et partit 11 ln poursuite de ln poêle. - Où est-ce qu'eUe dort? dit Tchyachtchyajychyn.

- Ben, je ne sais pas, moi, et Demateyan lui monta dessus, un arme blanche à la main: une fourchette contre la poêle. Tchyachtchyajychyn se servit de ln poêle, comme bouclier, et fit dégringoler les pommes de terre. Demateyan lais~a tomber son arme et sortit un drapeau blanc de sa poche, s'essuya la bouche avec, et s'en retourna à la cuisme arroser la bataille.

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Tchyachtchyajychyn balaya le champ de bataille et se ramena, en héros, à la cuisine.

- Où est-ce qu'elle dort? demanda Tchyachtchyajychyn.

Demateyan mit son manteau et sortit au froid, qu'il y avait, malgré le fait que le jeûne était terminé, mais, malgré que la saison n'était plus jeune, il faisait froid.

Il se tenait là, debout, seul en ce jour de froid de béton, sous le soleil, se moucha dans son drapeau blanc et partit se rendre; en plus du drapeau blanc, il y avait dans sa poche un numéro de téléphone, qu'il avait, pour une raison ou une autre gribouillé hier, et voilà qu'une raison fut trouvée, Demateyan appela, la toufta était à la maison; il «peut venir faire un tour», elle sera «bien sûr contente», et dans le fond de sa poch'? il y avait aussi un double de la clé, pourquoi est-ce que les clés et les téléphones se multiplient avec une telle facilité, et les cellules vivantes avec tant de difficulté?

Un bien-aimé ne peut pas être polygame, il peut même être un crocodile, mais pas polygame, c'est le crocodile qui peut être polygame, et le rat-pédé, et le cygne-monogame, mais le cygne, l'écrevisse et le brochet sortent des fables de Krylov, mais un bien-aimé ne peut être monogame s'il n'est pas un cygne. Mais alors, qu'est-ce qu'il peut bien être le bien-aimé? Tout ceb à la fois-de la kacha: poly-mono-cy-co-crodile.

La toufla ouvrit la forteresse d'un seul doigt. Demateyan entra et se rendit sur-le-champ, sans résister, pourquoi résister? Ses vêtements lui glissèrent de sur le dos et volèrent de tous côtés. Demateyan s'accroupit. Comme il n'a pas envie d'être «ailleurs», le cerveau ne fait pas le moindre effort pour dire quel ennui que d'être ailleurs qu'à la maison, de l'autre côté de l'ncéan de larmes. Ailleurs, par essence, dans ce pays, on change de régime avec la régularité des saisons, avec cette irrégularité des saisons, lorsque

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l'hiver règne à l'approche de l'été, et le pays, par essence le régime, raccompagne la monarchie absolue et accueille joyeusement l'été; raccompagne joyeusement l'hiver et accueille joyeusement la démocratie, et se bat pour le printemps, saluant la constitution, raccompagnant le printemps, choisissant de toutes les saisons la saison préférée-l'anarchie totale et sa récolte funeste en ces magnifiques journées automnales, et le matriarcat, par essence un régime, et l'été des Indiens, par essence la température. Et le régime, par essence le pays, se trouve aux confins du monde, de la famille, par essence la patrie, s'étalant comme dans la paume de la main, avec ces mêmes configurations de rives que le pays. Mais ces rives, on ne les voit pas au pays à cause de la mer de monde, de la forêt de têtes, mais elles sont bien visibles au pays, outre-mer, outre-forêt. De toute façon, la vie intime n'est possible qu'à l'intérieur des limites de la famille (de la patrie); l'a.N.1. ambulant ou bien devient tout de suite papa et maman, beau-père et belle-mère, belle-soeur et beau-frère9 ou bien demeure tout

simplement a.N.1.

Demateyan reprit haleine et partit se promener au pays; de la fenêtre à la porte, tout est absolument comme au pays: le même asphalte, c'est-à-dire du linoléum, la table d'avant le déluge, les mêmes montagnes d'étagères, mais ça parvient difficilement jusqu'au coeur, au pays, tout s'enfonce si stupidement dans les yeux, c'est pas comme dans son pays natal où tout vous tombe tellement droit au coeur. Et quel joyeux pays! que n'importe quel étranger peut envier: c'est pas comme chez eux-tu arrives, tu achètes, ici, il faut aller à la chasse de tout, tout se procurer avec difficulté, ce n'est pas simplement une chasse, comme chez les bêtes, c'est aussi un sport. Et voilà, bientôt il y aura un nouveau style; les Français le qualifieraient de <cà la

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l'urss»lII, où tout est mal coupé, coloré, cousu; mais si c'est «médiocre», alors conséquemment ce «médiocre» peut être un style? Il n'y a rien à faire dans ce pays, seulement mettre de l'ordre, construire et reconstruire, commander à la baguette, ah non, pas question. La toufta s'étala de A à Z. Demateyan la contourna de côté, pour ne pas l'effleurer. Mais eUe se répandait partout. Il n'y avait plus un endroit où elle n'était pas. Il s'est éloigné d'eUe. Mais dès le tout début, eUe s'était disposée de teUe sorte que la victoire aUait être de son côtéàeUe. Dans ce cas, ilfaut que ça se fasse tout de suite et rapidement, pour ne pas y penser, mais c'est qu'il faut y penser; on ne peut pas faire ça avec tout le monde, et il n'y a rien de moins certain, est-ce qu'on peut faire ça avec une seule personne, mais avec plusieurs personnes, ça, vraiment pas.

- Je vais seulement rendre la clé, dit Demateyan,- AppeUe-moi dans une heure.

La toufta s'écarta et le laissa ..Iler vers la table. Il transcrit soigneusement le numéro de téléphone et se mit à parler longuement du propriétaire de l'atelier, qui J'attendait au froid près de la porte, et qu'il devait faire entrer afin de tout de suite le mettre dehors, et que c'était justement impossible de nc pas le faire entrer, mais que justement c'était possible de le mettre dehors.

Au froid, il faisait même chaud à cause du froid. Demateyan pouvait prendre la clé des champs.

Il prit vers la porte de l'atelier et se mit à faire bouger la clé. La clé tourna, mais la porte ne s'ouvrit pas; Hia fit tourner d'un côté et de J'autre, en vain: la clé de son côté et la serrure du sien. Enfoncer la porte du pied; coup de tonnerre dans un ciel clair, quand les copeaux volent, quand on change de gouvernement, parade des décabristes par un froid de loup, la chute de la monarchie, la nouveUe constitution! Pas besoin d'enfoncer la

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porte, pas besoin d'un nouveau gouvernement, et puis que tout reste comme avant, mieux vaut faire tourner la clé lilliputienne de la serrure géante, la petite clé enfant de la serrure adulte, Même un doigt pourrait pénétrer avec la clé dans une si énorme fente. Demateyan se fourra dans le trou en même temps que son doigt et que la clé et oh! miracle, la serrure céda. Est-ce que c'est son doigt qui a réussi à ouvrir, ou quoi? Ça a bien l'air que oui. Ça veut dire que n'importe qui peut, du doigt... non, mais un doigt comme ça, personne d'autre en a un; le Iyaïter n'en a pas de doigt comme celui-là, il est faible du doigt, le lyaïter, Demateyan pourrait couvrir de baisers son doigt avec un goût métallique sur le doigt, un doigt comme ça, ça ne se commande pas dans un atelier: un double de ce doigt, il est unique en son genre, ce doigt, il n'a pas d'égal au monde, il est le tout premier doigt, le premier et le dernier.

Demateyan n'avait pas peur de grogner, de quoi avoir peur quand de toute façon il n'y a personne. Mais il aurait fallu avoir peur. Il aurait fallu s'envoler et voler dans la pièce, pas se frapper la cervelle à coups de sabots. Il frappait et grognait. Et il aurait pu frapper et s'efforcer cent fois plus fort, c'était égal- Sana dormait. Elle dormait dans le hache-viande commun des coups, au tintement du tramway, de l'orgasme automobile. Un avion est passé, elle dormait. Il n'en aurait pas cru ses oreilles s'il avait appelé et qu'elle n'avait pas entendu, mais il en crut ses yeux-elle dormait en fait avec fracas. Il portait des bottines en pierre, presque de l'âge de pierre, et tant qu'il n'eut pas grondé à satiété avec ses gros cailloux, il ne les enleva pas. Finalement, il enleva tout et s'assit, nu, sur le lit, totalement nu, sans rien, sans la moindre petite plume. Il était assis comme sur le bord d'un lac. Devant lui il y avait l'eau, précisément pas H20, mais l'eau, précisément ceUe surface qui est «comme l'eaw>, et même plus que l'eau elle-même, car à ce

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moment cette surface ressemble à de l'cau plus que l'eau elle-même peut se ressembler, même que la plupart du temps l'cau-même ne se ressemble pas, mais ressemble, par exemple, à l'asphalte ou à une clôture, ou à du gazon. Bien sûr, ça arrive, une telle beauté, quand l'eau elle-même ressemble à l'eau, mais en ce moment il n'y avait qu'une apparence absolue de l'eau. C'est là la sensation la plus agréable; quand on peut à tout moment plonger tête la première dans l'eau, mais c'est précisément à ce moment-là qu'on en a le plus envie, parce qu'on a envie plus que tout au moment suivant, et c'est ça, on a tellement envie de s'asseoir et on a envie d'avoir envie du moment suivant; c'est comme si chaque moment présent devenait le suivant, le plus véritable bonheur. Mais le bonheur a une fin, comme tout a un début et une fin. Le bonheur prit fin dès que Sana se fut retournée et qu'elle eut troublé la surface de l'cau, c'était comme si l'eau elle-même s'était retournée. L'eau ne peut se retourner, en fait, elle le peut aussi: un éclairage inadéquat l'effraiera, quelque petit vent, un bruit inapproprié. Avec le petit vent et l'éclairage, tout était en parfait état. Mais en revanche de bruit -pas une trace! Une légère absence de bruit l'effraya. Le bruit ne venait ni de la patrie, ni d'aucun côté, tout s'éteignit, et les tramways avec leurs sabots, et les voitures, absolument tout! Il y avait une absence complète même du moindre son, non pas de bruit, mais on n'entendait rien, d'aucune fente - ni piaulement, ni fracas, simplement un démembrement complet du son en tintement dans les oreilles à cause d'un tel silence. Demateyan attrapa son barda, en essayant de ne pas faire trop de bruit, mais justement de lui se répandit du bruit, et avec bruit, fers et pantalon, il sortit de la pièce. Mais il n'alla pas bien loin, car le téléphone retentit comme un déchaîné. Demateyan se plaça sculpturalement derrière le rideau, avec l'ours, Voltaire et Cie.

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