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Les conditions d'émergence de la gestion collective - Enseignements tirés d'une revue de littérature et de deux cas concrets

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Les conditions d’émergence de la gestion collective

-Enseignements tirés d’une revue de littérature et de

deux cas concrets

Marielle Montginoul

To cite this version:

Marielle Montginoul. Les conditions d’émergence de la gestion collective - Enseignements tirés d’une revue de littérature et de deux cas concrets. [Rapport de recherche] irstea. 2009, pp.39. �hal-02591603�

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Convention 2007 Ministère de l’Agriculture et de la

Pêche - Cemagref

« Action 6 : Quels instruments d’allocation ou de réallocation de l’eau d’irrigation pour une gestion équilibrée de la ressource en eau souterraine ? »

Les conditions d’émergence de la

gestion collective

Enseignements tirés d’une revue de littérature et

de deux cas concrets

Marielle Montginoul

Janvier 2009

Unité Mixte de Recherche G-EAU / Cemagref

Département Equipements pour l'Eau et l'Environnement

Cemagref

Délégation régionale du Languedoc-Roussillon

361, rue Jean-François Breton, BP 5095 34196 Montpellier Cedex Tél. : 04 67 04 63 00 - Fax : 04 67 63 57 95 CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

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Table des matières

1. Introduction 4

2. Préliminaires : définition de différentes notions 5

2.1. Qu’est-ce qu’une ressource commune ? 5

2.2. Qu’entend-on par gestion collective ? 7

3. Les conditions d’émergence : revue de littérature 10

3.1. Une possibilité d’améliorer la situation 10

3.2. Une ressource aux caractéristiques particulières 10

3.2.1. Une ressource (relativement) connue 10

3.2.2. Une ressource prédictible 11

3.2.3. Une étendue spatiale suffisamment petite 11

3.3. Des usagers aux caractéristiques particulières 11

3.3.1. La forme des gains ou de la fonction de production 11

3.3.2. Un faible taux d’actualisation 13

3.4. Un lien fort et reconnu entre la ressource et les usagers 13

3.4.1. Une forte dépendance par rapport à la ressource 13

3.4.2. Une ressource perçue comme rare 13

3.4.3. Une dépendance pour la ressource durable et de durée inconnue 13

3.5. Des usagers constitués en groupe social 13

3.5.1. Une petite taille favorise la gestion collective ? 13

3.5.2. Un groupe homogène favorise la gestion collective ? 14

3.5.3. Une vision commune de la ressource 15

3.5.4. Une relation de confiance et de réciprocité 15

3.5.5. Une autonomie comme condition d’émergence et de succès à une gestion collective ? 16

4. Les conditions d’émergence : enseignements tirés de deux cas d’étude 17

4.1. L’ASA du Lendou 18

4.1.1. Une gestion collective favorisée par la connaissance des points de prélèvements et des volumes prélevés 18

4.1.2. Une répartition de la ressource en fonction de la contribution de chacun et laissant de la souplesse

au système 19

4.2. Le bassin de la Lizonne 20

4.2.1. Un bassin, objet d’un conflit d’usages entre agriculture et zone humide, et reconnu comme

fortement déficitaire 21

4.2.2. Un bassin avec des objectifs de gestion approuvés par tous mais ayant des difficultés à être suivi

d’actions 22

4.3. Synthèse des enseignements 25

5. Conclusion 31

6. Bibliographie 33

Annexe 1 : Contenu de l’action 6 de la convention 2007 MAP - Cemagref 35

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Annexe 2 : Résumé des deux principales revues concernant les conditions d’émergence théoriques à la

gestion/action collective 36

Annexe 3 : Description de la gestion quantitative de l’eau d’irrigation en vigueur dans le bassin de la

Lizonne 37

Table des figures

Figure 1 : Typologie des biens ... 5

Figure 2 : Différents modes de gestion d’une ressource en eau... 7

Figure 3 : Les trois composantes pour une gestion collective d’un système complexe... 8

Figure 4 : Exemple d’un prélèvement inefficient non coopératif ... 12

Table des tableaux Tableau 1 : Tarification de l’eau en 2008 dans l’ASA du Lendou (€ H.T.) ... 20

Tableau 2 : Synthèse des conditions d’émergence de la gestion collective... 30

Table des cartes Carte 1 : Localisation géographique des deux bassins étudiés ... 17

Carte 2 : Hydrographie et sites Natura 2000 sur le bassin versant de la Lizonne... 21

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1. INTRODUCTION

L’article 21 de la LEMA du 31 décembre 2006 prône la mise en place de gestion collective des prélèvements d’irrigation. Si cette gestion collective est déjà opérante dans des situations où une infrastructure a été construite pour apporter de l’eau à des agriculteurs, son émergence pose davantage de questions quand une telle infrastructure n’existe pas et que les agriculteurs disposent d’une ressource en eau indépendante, comme dans le cas d’un prélèvement en nappe par forage individuel. Ces nappes ou des cours d’eau faisant l’objet de tels prélèvements tendent parfois à être surexploités, nécessitant la mise en place d’une gestion collective.

La première question, avant d’envisager éventuellement la mise en place d’instruments de gestion collective, est alors celle des conditions d’émergence d’une telle gestion, ce qui est l’objet de ce rapport. Plus précisément, après avoir repris dans une première partie, les définitions des expressions « ressource commune » et « gestion collective », nous présentons dans une seconde partie une revue de littérature sur ces conditions d’émergence. La troisième partie est consacrée à l’étude de ces conditions d’émergence sur deux terrains particuliers situés dans le sud-ouest de la France.

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2. PRELIMINAIRES : DEFINITION DE DIFFERENTES NOTIONS

Avant de réfléchir aux différentes conditions d’émergence d’une gestion collective, il est important de définir deux notions : ce que l’on entend par ressource commune et par gestion collective.

2.1. Qu’est-ce qu’une ressource commune ?

Les économistes distinguent classiquement entre les biens privés et les biens publics (ils définissent également une autre catégorie, celle des biens libres qui ne sont pas l’objet de transaction, comme l’air que l’on respire) (Figure 1).

Si les premiers sont appropriables, ce n’est pas le cas des seconds, qui sont à disposition de tous, sans possibilité d’exclusion ou de restriction d’usage pour les autres. La caractéristique essentielle d’un bien public pur est que la consommation d’un individu n’affecte nullement celle d’un autre.

Figure 1 : Typologie des biens

Entre ces deux extrêmes, il existe des biens mixtes, que nous nommerons ici bien en propriété commune et bien en accès libre.

Un bien en propriété commune, par extension une ressource en propriété commune, se

caractérise par une appropriation collective : pour accéder à une ressource en propriété commune, les individus doivent être des propriétaires communs, dans le sens où ils appartiennent à un ensemble plus ou moins fermé (Helm et Pearce, 1991), à la différence des ressources en accès libre. Ils sont ainsi mieux définis et identifiés, donc il peut exister une expérience d’interaction (ou de marchandage) plus ancienne entre eux.

Les membres du groupe peuvent donc interdire l’accès à ce bien aux non membres mais la consommation entre les membres du groupe reste rivale (Roemer, 1989)1. Une ressource en bien commun est ainsi un ensemble de biens privés (principe de rivalité) pour lesquels l’accès

1 Roemer, J.E. (1989) “A public ownership resolution of the tragedy of the commons”, Social Philosophy and

Policy, 6(2), pp. 74-92 cité par Jourdain D. (2004) Impact des politiques visant à réduire la consommation

brute en eau des systèmes irrigués : le cas des puits gérés par des collectifs de producteurs au Mexique.

Sciences Economiques, CIRAD, Université Montpellier I, Montpellier, 341 p..

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à la ressource est limité et pour lesquels il est difficile de mettre en œuvre un droit de propriété individuel (Faysse, 2001). Et comme les ressources privées, les ressources en propriété commune génèrent une quantité finie d’unités de ressource et l’utilisation par une personne soustrait autant du nombre d’unités de ressources disponibles pour les autres (Ostrom and al., 1994)2. Comme de multiples acteurs peuvent simultanément utiliser la ressource, les efforts pour exclure certains bénéficiaires potentiels sont coûteux : les appropriations faites par un individu peuvent alors créer des externalités négatives aux autres (Ostrom, 2001). En effet, les usagers agissent indépendamment et ne communiquent pas ou ne coordonnent leur activité d’aucune façon (Ostrom, 2001).

Il y a un continuum entre la ressource en propriété commune et la ressource en accès libre : si aucune règle collective n’a été définie et surtout si la taille du groupe est importante, alors la ressource en propriété commune est très proche du cas des biens communs en accès libre (Roemer, 1989, op.cit.).

Cette ressource en propriété commune est supposée traditionnellement être une ressource uniformément distribuée, étant prélevée à l’aide de technologies identiques et faisant l’objet d’appropriation par des usagers agissant individuellement. Ces hypothèses peuvent être toutefois relâchées (Ostrom et al., 1994, op.cit) :

• Une ressource uniformément distribuée : mais les ressources peuvent être davantage productives dans certaines zones que dans d’autres et des problèmes d’externalité peuvent apparaître (Schlager, 2005) ;

• Des technologies de pompage identiques quels que soient les utilisateurs de la ressource … mais les technologies peuvent différer : un pompage profond de forte capacité peut mettre à sec un forage de surface (Ostrom et al., 1994) ;

• Les problèmes de fourniture (développer, maintenir et/ou accroître la capacité productive de la ressource en propriété commune) nécessitent que les usagers de la ressource coopèrent et contribuent à la production des biens publics (et les problèmes d’appropriation exigent que les utilisateurs des ressources se coordonnent dans leur activité de prélèvement) (Schlager, 2005). Enfin, dans le cas de l’eau, notons que la ressource en propriété commune peut être très différente, selon que l’on s’intéresse à de l’eau de surface ou de l’eau souterraine (Schlager, 2005). Les problèmes posés sont donc également très différents :

• La construction et le fonctionnement d’un système d’irrigation de surface nécessitent des coûts de production et de transaction très élevés : les irrigants sont ainsi immédiatement confrontés au problème de la fourniture de l’eau. De plus, des règles d’allocation de l’eau doivent être établies. Ainsi les dilemmes concernant la fourniture et l’allocation sont reliés ensemble : les règles d’allocation de l’eau seront d’autant plus efficaces que le système est bien maintenu. Les agriculteurs peuvent également facilement contrôler et observer les comportements des autres et déterminer si les règles d’allocation ou de contribution en terme de travail sont généralement respectées ;

2 Ostrom, E.; Gardner, R. & Walker, J.M. Rules, Games, and Common-Pool Resources. Ann Arbor. MI: University of Michigan Press, 1994, cité par Ostrom E. (2001) Reformulating the commons. Ambiente &

Sociedade, vol. 10, p. 1-21.. CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

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• L’entrée dans des bassins d’eau souterraine est par contre très minimalement restreinte (il faut seulement être propriétaire ou locataire dans la zone concernée). L’eau souterraine est en plus souvent largement adoptée du fait de sa forte valeur (plus sécurisée, disponible au bon moment et en adéquation avec les besoins, plus pratique car il y a moins d’obligation associée). Les coûts de production peuvent être limités et supportables pour un individu ou une famille. Les coûts de transaction sont également faibles (pas besoin de s’organiser, de marchander, de négocier, de contrôler, de faire respecter les engagements). Toutefois :

o Il est difficile de bien connaître la capacité de cette ressource invisible.

o Il est également difficile de déterminer le nombre de préleveurs, les capacités de leurs forages, la quantité d’eau utilisée, l’effet de leur pompage sur la productivité de l’eau souterraine ….

Les utilisateurs d’eau souterraine sont donc confrontés à un environnement informationnel pauvre qui peut rendre difficile le développement de normes autogérées (Rose, 2000).

La facilité d’accès et l’information limitée se combinent pour créer des barrières significatives à l’émergence de gouvernances locales des bassins d’eau souterraine. S’attaquer aux problèmes d’appropriation et de fourniture n’est pas aisé :

• Du fait des problèmes d’information ;

• Parce que les solutions nécessitent souvent que les agriculteurs limitent la construction de forages et la quantité d’eau pompée ;

• Parce que le contrôle est coûteux et difficile. 2.2. Qu’entend-on par gestion collective ?

Différents termes parcourent la littérature : action collective, gestion collective, gestion négociée de l’eau, cogestion …

Figure 2 : Différents modes de gestion d’une ressource en eau

Face à une ressource en propriété commune (ou une ressource en accès libre), différents modes de gestion peuvent être adoptés (Figure 2) : aux deux extrêmes, on a la privatisation (par exemple par la définition de droits individuels transférables) et la nationalisation. Ce sont les seules solutions que propose (Hardin, 1968) au problème de la tragédie des communaux. Faysse critique cette restriction des possibilités offertes (Faysse, 2001) : Hardin ne prend pas en compte la capacité de créer des règles, ce que permet des approches de type plutôt « gestion collective ».

Et la gestion collective d’un système complexe a trois composantes (Maurel et al., 2005) (Figure 3) : CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

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o Une communauté d’intérêt, qui comprend « l’ensemble des acteurs qui a un intérêt à agir ensemble pour gérer un territoire, une ressource ». C’est elle qui définit les objectifs de gestion.

o Une communauté d’action, qui peut être différente de la première, mais qui regroupe « l’ensemble des acteurs qui vont mettre en œuvre les mesures qui vont permettre d’atteindre les objectifs définis par la communauté d’intérêt ».

o Une réalité partagée (selon John Searle : « la réalité sociale » (Searle, 1995)), donc « ce à propos de quoi la communauté d’intérêt va discuter » et « ce à propos de quoi la communauté d’action va agir »

Source : (Maurel et al., 2005)

Figure 3 : Les trois composantes pour une gestion collective d’un système complexe

Cette gestion collective peut prendre différentes formes qui vont d’une autogestion à une cogestion. L’Etat est alors en retrait, laissant faire les groupes qui s’auto-constituent. Mais il peut être aussi en appui pour favoriser l’émergence de la gestion collective et aider à garantir sa durabilité.

Ainsi, par gestion collective, nous entendons deux types de gestion : une autogestion stricte de la part des usagers d’une ressource en propriété commune (Ostrom, 2001) et une cogestion entre ces usagers et l’Etat (Baland et Platteau, 1996). Ce sont deux situations types, avec une multitude de cas intermédiaires.

L’Etat peut alors jouer plusieurs types de rôle (Baland et Platteau, 1996) :

- fournir une assistance technique aux groupes d’usagers et les guider :

o en les aidant à bien comprendre les évolutions qu’ils ont vécues durant les précédentes périodes (impact de leurs prélèvements sur l’état de la ressource actuelle et sur les autres usagers) ;

o en les convainquant que leur action commune peut avoir un impact positif sur la ressource ; CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

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o en leur proposant des solutions pour atteindre l’objectif recherché (par exemple par l’information sur de nouvelles pratiques) ;

o en suivant l’application des règles qu’ils ont décidé d’adopter et en évaluant le degré d’appropriation des nouvelles pratiques.

- donner des incitations économiques aux groupes d’usagers, pour les inciter à aller vers une gestion durable de la ressource ;

- clarifier les droits du groupe d’usagers et donner un cadre légal qui reconnaîtra les décisions prises localement ;

- résoudre les conflits qui ne peuvent trouver une solution à l’échelle du groupe ;

- assurer un soutien technique et financier pour les activités de contrôle et de sanction, en particulier quand celles-ci nécessitent l’utilisation de technologies coûteuses et la mise en place d’équipements pour être efficaces ;

- promouvoir la compétition entre un grand nombre d’unités de gestion autonomes et en assurant une diffusion rapide de l’information sur les meilleures pratiques et les règles de fonctionnement. CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

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3. LES CONDITIONS D’EMERGENCE : REVUE DE LITTERATURE

Pour décrire les conditions d’émergence d’une gestion collective d’une ressource commune, nous sommes partis de deux travaux de synthèse principaux (Faysse, 2001, 2005; Ostrom, 2001). Nous avons ensuite compilé le résultat de ces travaux de recherche avec d’autres – antérieurs ou postérieurs -, ce qui nous permet de décrire les conditions d’émergence d’une gestion collective de la manière suivante.

Pour qu’émerge une gestion collective, il est nécessaire en premier lieu qu’il soit possible, grâce à elle, d’améliorer la situation de la ressource et/ou des usagers. Il est également requis que la ressource réunisse certaines caractéristiques : une ressource connue, une ressource prédictible, une ressource aux contours bien délimités. Les usagers doivent aussi être particuliers, concernant leurs fonctions de production ou d’utilité et leur préférence pour le présent. De plus, les liens entre les usagers et la ressource doivent être forts. Enfin, la gestion collective nécessite la formation d’un groupe social aux caractéristiques particulières, qui n’est pas que la simple juxtaposition des individus.

L’ensemble de ces caractéristiques va être maintenant détaillé. 3.1. Une possibilité d’améliorer la situation

La mise en place d’une gestion collective de la ressource doit conduire à des perspectives d’amélioration (Ostrom, 2001) (1) de cette ressource (exploitation « durable » - moins de situation de crise) et/ou (2) des usagers (diminution des externalités négatives – augmentation du bien-être collectif).

Et une solution pourra être adoptée que si elle est acceptable. Une définition de l’acceptabilité proposée par (Ambec et Ehlers, 2007) nécessite de réunir deux conditions : 1. le partage ou l’allocation de l’eau doit être stable : aucun utilisateur ou groupe n’aurait

préféré un autre partage ;

2. il doit être perçu comme équitable selon certains principes de justice, tels que : un partage égalitaire (chaque agent doit recevoir au moins le bénéfice qui serait issu d’un partage égal des ressources) ; « envy-free » ; un partage des externalités négatives entre tous, chacun devant faire un effort (Moulin, 1991).

Ainsi, l’action collective a d’autant plus de chances de se produire et d’être efficace que les individus perçoivent qu’il est meilleur pour eux d’agir de manière coordonnée (Cernea, 1989).

3.2. Une ressource aux caractéristiques particulières

Pour qu’une ressource en propriété commune soit l’objet d’une auto-organisation, différents attributs de cette ressource doivent être réunis.

3.2.1. Une ressource (relativement) connue

Des indicateurs sur le niveau de la ressource et ses caractéristiques doivent être disponibles à faible coût (Ostrom, 2001).

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3.2.2. Une ressource prédictible

La ressource doit être prédictible (Ostrom, 2001). 3.2.3. Une étendue spatiale suffisamment petite

La ressource doit être bien délimitée géographiquement et l’étendue spatiale doit être suffisamment petite (Ostrom, 2001) : cela permet aux usagers de développer une connaissance juste des frontières extérieures et des microenvironnements internes.

3.3. Des usagers aux caractéristiques particulières 3.3.1. La forme des gains ou de la fonction de production

L’individu, par définition égoïste (qui souhaite maximiser son utilité individuelle) ne cherchera la maximisation de l’intérêt collectif que s’il y trouve un intérêt personnel : « en réalité, le cas des très petits groupes mis à part, à moins de mesures coercitives ou de quelques autres dispositions particulières les incitant à agir dans leur intérêt commun, des individus raisonnables et intéressés ne s’emploieront pas volontairement à défendre l’intérêt du groupe » (Olson, 1978)3. L’individu aura ainsi tendance à se comporter en passager clandestin.

Il est donc important de connaître ses caractéristiques pour déterminer s’il a intérêt à une gestion collective de la ressource ou si, en desserrant certaines contraintes, il peut y trouver un intérêt. En effet, la forme des gains ou la fonction de production a un impact sur le niveau

de coopération (Faysse, 2001, 2005). Son niveau de richesse peut également être un facteur facilitant comme limitant l’action collective (Cardenas, 2003) : « plus votre ferme est petite, plus vous voyez et avez besoin de vos voisins ; […] moins les personnes sont riches, plus elles sont dépendantes de la ressource commune et sont familières à agir dans de tels contextes ». Ainsi, il y a une différence entre les agriculteurs riches et pauvres, les premiers vivant davantage le problème de la tragédie des communs.

De plus, l’apparition d’une structure autogérée est favorisée par la taille des bénéfices espérés et des coûts qu’ils génèrent tels que les perçoivent les participants (Ostrom, 2001).

Ainsi, si naturellement l’individu ne trouve pas intérêt à une gestion collective, ce qui est souvent le cas dans les ressources en propriété commune, cet intérêt peut être avivé par la mise en place d’un corps de règles de gestion qui permet de transformer un dilemme du prisonnier en jeu de coordination dont l’optimum de Pareto est l’un des équilibres du jeu et est stable (Ostrom, 1990b4). Ces règles peuvent être de différents types, comme :

- L’obligation, avec la mise en place de contrôles et de mécanismes de sanction ;

3 Olson, M. (1978), Logique de l'action collective, Paris, PUF, Collection Sociologies, Traduction M. Levi, cité par Petit O. ; Corcos B. (2001) Appropriation Sociale du Problème de gestion durable de la nappe de Beauce

(APRO). Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 90 p..

4 Ostrom, E. (1990b) « Governing the commons: the evolution of institutions for collective actions”, Cambridge University Press, citée par Faysse N. (2001) L'influence des règles collectives d'allocation de l'eau sur les choix

stratégiques des agriculteurs - Des petits périmètres irrigués tunisiens aux prélèvements en rivière dans le bassin de l'Adour. Doctorat en économie, Université de Paris X - Nanterre, 281 p..

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- L’instauration d’un marché qui permet d’améliorer la solution de Pareto dans une situation avec une quantité de ressource disponible fixée et lorsqu’un individu peut s’approprier davantage d’eau qu’un autre. On démontre que toutes les parties ont intérêt à collaborer : le bien-être collectif est supérieur à la situation antérieure, s’il existe un marché.

Reprenons, pour illustrer ce deuxième type, l’article de (Ambec et Ehlers, 2007) qui décrit une situation dans laquelle plusieurs agents partagent de l’eau d’une rivière. Chaque agent a une fonction d’utilité concave jusqu’au moment où il arrive à son niveau de satiété. Le prélèvement dans la rivière non coopératif est inefficient car, avec une compensation monétaire, on arriverait à une situation dans laquelle tous les agents auraient un bénéfice individuel plus élevé : dans la Figure 4, les individus 1 et 2 auraient tout intérêt à s’échanger la quantité , puisque la perte supportée alors par l’individu 1 est bien plus faible que le gain obtenu par l’individu 2. Il y a donc une possibilité d’amélioration de la solution de Pareto lorsque l’on permet les transferts entre les agents.

En résumé, l’allocation efficiente de l’eau (à savoir celle qui maximise le bénéfice total suite au prélèvement de l’eau) nécessite que les usagers situés en amont de la rivière réduisent leurs prélèvements. Si personne ne peut les obliger à faire cela, ils n’accepteront que s’ils reçoivent une compensation monétaire qui couvre au moins la perte due à leur moindre consommation.

Source : (Ambec et Ehlers, 2007)

Figure 4 : Exemple d’un prélèvement inefficient non coopératif

En conclusion, chaque préleveur doit se poser la question de son opportunité à changer de comportement (Ostrom, 2001). Si uniquement certains d’entre eux ont intérêt à changer, ils doivent estimer trois types de coûts :

• les coûts en temps et en effort dépensés pour les prises de décision et d’accord concernant les nouvelles règles ;

• les coûts de court terme d’adoption des nouvelles stratégies d’appropriation ;

• les coûts de long terme de contrôle et de maintien du système autogéré à travers le temps.

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3.3.2. Un faible taux d’actualisation

Les usagers doivent pouvoir se projeter dans l’avenir en valorisant les bénéfices futurs à des niveaux assez similaires aux bénéfices actuels : cela se traduit par la condition d’un faible taux d’actualisation (Ostrom, 2001).

3.4. Un lien fort et reconnu entre la ressource et les usagers 3.4.1. Une forte dépendance par rapport à la ressource

Les usagers doivent dépendre de la ressource (Cardenas, 2003; Ostrom, 2001). Dans le cas inverse, s’il y a des substituts (« exit options », selon (Faysse, 2005)), ils n’ont aucun intérêt à la maintenir dans un bon état, pouvant s’en détourner lorsqu’elle sera trop dégradée ou épuisée.

3.4.2. Une ressource perçue comme rare

Les organisations autogérées peuvent apparaître uniquement après que des usagers aient observé une rareté de la ressource substantielle (Ostrom, 2001).

3.4.3. Une dépendance pour la ressource durable et de durée inconnue

On constate que lorsque la durée pendant laquelle des usagers ont besoin d’une ressource est inconnue ou infinie, les stratégies coopératives sont plus nombreuses (Faysse, 2001).

3.5. Des usagers constitués en groupe social

Les usagers se regroupent pour former un groupe social capable de mettre en place une gestion collective. Ce groupe a davantage de chance d’arriver à l’objectif recherché s’il réunit un certain nombre de caractéristiques particulières concernant la taille, la diversité des individus appartenant à ce groupe, la vision que les individus partagent de la situation, la relation de confiance, le niveau d’autonomie par rapport à l’Etat, ...

Nous allons présenter l’ensemble de ces facteurs. Notons que les deux premiers (la taille et l’hétérogénéité du groupe) sont l’objet d’âpres débats pour déterminer leur influence sur le succès d’une gestion collective : ils sont ainsi qualifiés de puzzles théoriques (Ostrom, 2001), leur influence sur la stratégie de coopération étant très fortement discutée.

3.5.1. Une petite taille favorise la gestion collective ?

Plus le groupe est petit, plus la coopération devrait être importante (Faysse, 2001) ; les stratégies coopératives ont davantage de chance d’émerger et d’être durables dans les groupes de petites tailles plutôt que dans les gros (Ostrom, 2001). Ainsi, les systèmes avec des gouvernances auto-organisées de la ressource sur le terrain sont généralement des systèmes d’irrigation de petites ou de moyenne taille (Ostrom, 2001).

Mais :

• il n’y a pas de taille optimale dans l’absolu : des études réalisées jusqu’à des tailles de 300-475 irrigants ne permettent pas de statuer définitivement (Ostrom, 2001). Si les coûts pour fournir un bien public relié à l’utilisation d’une ressource en propriété commune (i.e. un système de sanction) restent relativement constants lorsque la taille du groupe augmente,

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augmenter le nombre de participants apportent des ressources supplémentaires qui peuvent contribuer au bénéfice perçu par tous (Isaac et al., 1994) et

• il n’est pas possible de faire des prédictions quant aux conséquences d’une variation de la taille du groupe, car cela influe sur de nombreux paramètres (coût de transaction, de contrôle, part de chacun des agents, …) (Ostrom, 20015 d’après (Faysse, 2001)).

3.5.2. Un groupe homogène favorise la gestion collective ?

La question de l’hétérogénéité du groupe sur l’action collective est très vivement débattue (Faysse, 2001; Ostrom, 2001).

Cette hétérogénéité peut porter sur de multiples attributs (Ruttan, 2008) : culturels ou économiques (en matière de santé, de revenu, d’accès au crédit). L’hétérogénéité économique peut concerner quatre éléments (Faysse, 2005) :

- Sur la position sociale et le type d’intérêt porté à la ressource, ce type d’hétérogénéité aurait plutôt tendance à diminuer les capacités à coopérer ;

- Sur la capacité à effectuer un effort (i.e. fournir un investissement initial) ; - Sur la capacité à profiter de la ressource (position amont/aval) ;

- Sur la possibilité d’avoir des solutions de substitution.

Les hétérogénéités de type culturel (en matière de croyance sur la manière dont la ressource devrait être utilisée) ou socioculturel (des groupes sociaux bien distincts au départ) semblent plutôt avoir un effet négatif sur la possibilité d’émergence d’une gestion collective (Ruttan, 2008).

L’hétérogénéité économique ne permet pas non plus nécessairement d’améliorer l’action collective ; en termes de théorie des jeux, si la coopération peut devenir une stratégie dominante pour un individu, la défection peut être simultanément la stratégie dominante pour les autres individus (Ruttan, 2008). Par contre, des groupes sociaux hétérogènes économiquement peuvent, dans certaines circonstances, favoriser l’émergence d’une gestion collective (Janssen et Ostrom, 2006; Ruttan, 2008), en particulier :

• L’hétérogénéité peut faciliter l’émergence d’une gestion collective (Marwell et Oliver, 1993)6 : elle augmente en effet la probabilité qu’une masse critique de contributeurs hautement motivés initient l’action (Olson, 1965)7. Cet effet positif est d’autant plus discernable que l’on se situe donc dans un cadre dynamique (Ruttan, 2008).

• Certains individus privilégiés peuvent ainsi souhaiter fournir un bien collectif parce qu’ils gagnent une large part des bénéfices et sont plus à même d’internaliser aisément les coûts (Ruttan, 2008).

5 Ostrom, E. (2001) « What we have learned about common pool resource problems?”, in 4ème Journées de l’Economie de l’Environnement de Toulouse.

6 Marwell, G., & Oliver, P. (1993). The critical mass in collective action: A micro-social theory. Cambridge, UK: Cambridge University Press, cité par Ruttan L.M. (2008) Economic Heterogeneity and the Commons: Effects on Collective Action and Collective Goods Provisioning. World Development, vol. 36, n° 5, p. 969-985.. 7 Olson, M., 1965 The Logic of Collective Action. Public Goods and the Theory of Groups. Harvard University Press, Cambridge, Mass, cité par Srinivasan J.T. (2006) The differential impact of user heterogeneity in resource management: A case study from India. Ecological Economics, vol. 59, n° 4, p. 511-518..

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• L’action d’un ou de peu d’individus peut procurer suffisamment d’externalités positives pour fournir le bien à tous (Ruttan, 2008).

Mais l’impact positif de l’hétérogénéité fait l’objet de débats (Baland et Platteau, 1999). Ainsi, la revue de 5 études consacrées à des grands périmètres irrigués conduite par (Bardhan et Dayton-Johnson, 2002) montre que les inégalités économiques sont essentiellement neutres, parfois négatives ou ont une corrélation en forme de U avec les différentes mesures du succès. De même, sous certaines circonstances, l’hétérogénéité conduit à polariser un groupe dans différents camps opposés (Heckathorn, 1993) : l’hétérogénéité augmente le nombre d’acteurs qui sont motivés pour contribuer volontairement du fait de la forte valeur du bien public mais elle accroît également le nombre d’acteurs qui souhaitent bloquer la création d’un système de sanctions (i.e. composé de normes, de lois interdisant la défection ou obligeant la participation). L’effet de polarisation dépend donc de la manière dont l’action collective est organisée.

De plus, si dans la phase d’initiation de l’action collective l’hétérogénéité être bénéfique, elle peut être un frein ensuite à la participation (Marwell et Oliver, 1993 ; (Heckathorn, 1993). Dans certains cas, il pourrait toutefois être possible de motiver la coopération entre des utilisateurs non organisés, hétérogènes et géographiquement distants et d’engager une action collective en fournissant certaines informations (comme la distribution des bénéfices issus des différentes formes de coopération) (Srinivasan, 2006).

3.5.3. Une vision commune de la ressource

Les usagers doivent partager une compréhension commune (Ostrom, 2001) : ils s’accordent sur la manière avec laquelle le système ressource fonctionne et ont conscience des impacts de leur action sur les autres et la ressource. Les différences culturelles en matière de croyance sur la manière dont la ressource devrait être utilisée peut en effet empêcher un accord sur la meilleure manière de gérer les ressources ou sur celle d’allouer les bénéfices de la ressource (Singleton, 2001), même s’il y a des études contradictoires à ce propos.

Cette vision commune est facilitée si l’ensemble des individus partage des valeurs communes (Reynaud, 1982)8.

Cela rejoint la vision de (Faysse, 2001), lorsqu’il définit les trois étapes à la mise en place d’une gestion négociée de l’eau : (1) les acteurs se réunissent et s’accordent sur une vision commune de la ressource ; (2) ils négocient une règle d’allocation et de taxation ; (3) chacun agit individuellement en fonction de la marge de manœuvre dont il dispose compte tenu de la règle adoptée.

3.5.4. Une relation de confiance et de réciprocité

La gestion collective nécessite qu’il existe entre les usagers une relation de confiance et une réciprocité (Ostrom, 2001). Mais des différences socioculturelles empêcheraient leur formation (Ostrom et Walker, 2003)9. La communication pourrait ainsi être réduite dans les groupes hétérogènes (Cardenas, 2003).

8 Reynaud, J.-D. (1982), Sociologie des conflits de travail, Paris, PUF, Collection "Que sais-je?", cité par Petit O. ; Corcos B. (2001) Appropriation Sociale du Problème de gestion durable de la nappe de Beauce (APRO). Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 90 p..

9 Ostrom, E., & Walker, J. (Eds.) (2003). Trust and reciprocity: Interdisciplinary lessons from experimental research. New York: Russell Sage Foundation, cité par Ruttan L.M. (2008) Economic Heterogeneity and the

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Une relation de confiance sera d’abord facilitée par le fait qu’ils se connaissent mutuellement depuis longtemps (Lam, 1998)10.

Elle pourra aussi plus facilement s’instaurer si l’individu est intégré à une communauté et a une place dans un ensemble social et dans un réseau d’échanges (Reynaud, 1982)11. En effet, pour agir comme un groupe, les individus doivent être un groupe social et non uniquement le regroupement d’individus sans lien les uns avec les autres (Cernea, 1989).

Enfin, des expériences d’organisations antérieures et de leaderships locaux favoriseront l’émergence d’une gestion collective (Ostrom, 2001). L’organisation sociale qui est instaurée pourra ainsi émerger soit d’une structure sociale naturelle existante (comme une famille), soit d’une structure qui préexistait mais à une autre fin, soit être créée ex-nihilo pour la gestion de la ressource en question (Cernea, 1989).

3.5.5. Une autonomie comme condition d’émergence et de succès à une gestion collective ? Emerge ici un facteur de réussite de la gestion collective : celui de l’autonomie de gestion. Lam (1998) observe ainsi dans des cas népalais que les systèmes autogérés par les agriculteurs ont de meilleures performances. Selon lui, la gestion collective est plus facile à instaurer lorsqu’ils développent leurs propres arrangements, qu’ils désignent les contrôleurs et qu’ils sanctionnent ceux qui ne se conforment pas à leurs règles. Ce principe est repris par (Ostrom, 2001) qui précise qu’ils sont alors capables de déterminer des règles d’accès et de stockage sans autorité extérieure, ce qui diminue les coûts d’organisation.

Toutefois la place de l’Etat fait l’objet de débat et peut être plus ou moins importante dans la gestion collective et en particulier dans sa phase d’émergence : il peut être en retrait, laissant faire les groupes qui s’auto-constituent, ou être en appui pour favoriser son émergence et aider à garantir sa durabilité.

Commons: Effects on Collective Action and Collective Goods Provisioning. World Development, vol. 36, n° 5, p. 969-985..

10 LAM, W. F. Governing Irrigation Systems in Nepal: Institutions, Infrastructure, and Collective Action. Oakland, CA: ICS Press, 1998, cite par Ostrom E. (2001) Reformulating the commons. Ambiente & Sociedade, vol. 10, p. 1-21..

11 Reynaud, J.-D. (1982), Sociologie des conflits de travail, Paris, PUF, Collection "Que sais-je?", cité par Petit O. ; Corcos B. (2001) Appropriation Sociale du Problème de gestion durable de la nappe de Beauce (APRO). Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 90 p.. CemOA : archive ouverte d'Irstea / Cemagref

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4. LES CONDITIONS D’EMERGENCE : ENSEIGNEMENTS TIRES DE DEUX CAS D’ETUDE

En ayant comme support la littérature réalisée dans la partie précédente, nous allons maintenant analyser deux cas concrets pour essayer de dégager les conditions qui permettent l’émergence d’une gestion collective.

Les deux cas étudiés ont été choisis suite à une enquête téléphonique conduite en février – mars 2008 au sujet de la mise en place des organismes uniques de gestion de l’eau (Erdlenbruch et al., 2008). Ils ont été considérés comme emblématiques des situations de gestion collective, la première semblant bien réussir, la seconde se heurtant à certaines difficultés :

• Dans la première, la ressource en eau disponible initialement était en quantité insuffisante et non sécurisée (eau du cours d’eau ou de sa nappe d’accompagnement sujette à autorisation de prélèvement) pour couvrir les besoins en eau des cultures de ce petit bassin versant. Une ASA (l’ASA du Lendou, Lot) s’est constituée à l’initiative de certains agriculteurs pour créer deux retenues visant à disposer d’une ressource en eau en quantité suffisante et sécurisée.

• Dans la seconde, un bassin déficitaire de la Dordogne (la Lizonne) à cheval entre les départements de la Dordogne et de la Charente, un Plan de Gestion des Etiages a été instauré mais s’avère difficile à être appliqué.

Source : à partir de la carte des Zones de Répartition des Eaux, MEEDAT, 2003

Carte 1 : Localisation géographique des deux bassins étudiés

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Les deux cas sont tout d’abord sommairement décrits (pour davantage d’information, se référer à (Erdlenbruch et al., 2008)). Les enseignements sont ensuite dégagés.

4.1. L’ASA du Lendou

L’ASA du Lendou, constituée actuellement de 44 membres, est située dans le département du Lot, à son extrême sud-ouest, dans une zone à déficit structurel en eau (Carte 1). Elle a été créée en octobre 1999, elle porte le nom du ruisseau qui coule à cet endroit et qui draine les eaux du bassin versant connexe. La production agricole représente, dans son périmètre, une activité importante et la superficie irriguée par l’intermédiaire de l’ASA du Lendou s’élève à 1000 ha. Les agriculteurs adhérents produisent traditionnellement des cultures sous contrat et irriguent le melon, le tabac et la vigne (irrigation anti-gel sur le raisin de table). Une nouvelle culture irriguée se répand chez la quasi-totalité des agriculteurs de l’ASA, au détriment des premières : celle du maïs semence.

Les prémisses de cette gestion collective ont été posées dès le milieu des années 90, lors du recensement des points de prélèvement et des volumes prélevés (section 4.1.1). Elle a pu ensuite émerger grâce à l’impulsion de certains agriculteurs qui ont proposé la construction de retenues de substitution et la création de l’ASA. Elle s’est ensuite concrétisée par la mise en place d’un système de gestion original (section 4.1.2).

4.1.1. Une gestion collective favorisée par la connaissance des points de prélèvements et des

volumes prélevés

Les bases de la gestion collective dans le département du Lot ont été construites avec l’application de l’article 41 du décret n°93-742 du 29 mars 1993 qui impose que les installations et ouvrages à des fins d’irrigation agricole soient soumis à autorisation de l’administration. La DDAF du Lot décide ainsi, conjointement avec la Chambre d’Agriculture, de recenser l’ensemble des irrigants du département. Si la finalité de cet inventaire était de délivrer à chaque agriculteur un certificat d’autorisation de prélèvement dans le milieu naturel, la DDAF demandait aussi de renseigner les volumes d’eau utilisés. A ce moment là toutefois, l’administration n’a fait que retranscrire les informations transmises par les irrigants : aucune vérification des volumes déclarés n’a été effectuée et le volume retenu pour chacun d’entre eux correspondait plutôt au volume maximum prélevable.

Vers la fin des années 90, afin de pallier les problèmes liés au manque de ressource en eau des années précédentes sur le bassin versant du Lendou (rivières à sec, arrêtés préfectoraux de limitation des usages de l’eau), certains agriculteurs décident de se regrouper en une ASA et de créer des retenues de substitution. Les agriculteurs échangent donc une ressource potentiellement abondante et non payante mais pas toujours accessible (comme celle d’un cours d’eau) contre une ressource plus restreinte, payante, mais toujours accessible.

Pour dimensionner au mieux ces retenues, il a été procédé à une mise à jour de chaque déclaration, le précédent recensement ayant surestimé de l’avis de tous les volumes réellement prélevés. Deux retenues ont ensuite été construites : la retenue de Saint-Cyprien (volume disponible pour l’agriculture : 110 000 m3) achevée en août 2000, celle de Lascabanes (volume disponible pour l’agriculture : 300 000 m3) fin 2002. En 2003 l’intégralité des besoins agricoles étaient ainsi couverts.

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4.1.2. Une répartition de la ressource en fonction de la contribution de chacun et laissant de

la souplesse au système

Des volumes substitués

L’ASA est constituée de propriétaires fonciers principalement agricoles qui ont souscrit des parts dans les retenues, une part représentant un volume d’eau de 1 000 m3. Cela leur permet de bénéficier d’une ressource sécurisée en contrepartie de l’abandon d’un certain volume correspondant à d’anciennes autorisations de pompage en rivière ou en nappe d’accompagnement (condition imposée par l’Etat pour l’octroi de son aide financière).

Cette substitution s’est faite au cas par cas (l’ASA de la Barguelonne créée par la suite améliorera le système) : chaque irrigant n’a pas échangé la même quantité de droits de prélèvements contre une unité de ressource nouvellement créée. Ainsi chacun a substitué une proportion différente de ses droits de prélèvement.

Une tarification pour couvrir les coûts et inciter les agriculteurs à souscrire un nombre optimal de parts

L’achat de la première part permet ainsi à l’agriculteur de connecter ses parcelles au réseau d’eau sous pression relié aux deux retenues, par l’installation d’une borne d’irrigation. La tarification alors en vigueur poursuit un double objectif :

1. couvrir les coûts d’investissement et de fonctionnement des deux retenues et d’amenée de l’eau jusque aux bornes. Pour garantir un équilibre budgétaire, il a ainsi été décidé de reproduire la structure des coûts dans la tarification : les coûts fixes (comme l’abonnement EDF) sont couverts par des charges fixes prélevées sur chaque part et les coûts variables par des charges proportionnelles (consommation électrique et redevance pour l’Agence de l’Eau) aux mètres cube d’eau consommée.

2. inciter les agriculteurs à choisir le nombre optimal de parts pour ne pas déstabiliser le système et permettre à tous de disposer de la quantité à laquelle ils avaient droit. Chaque agriculteur a un quota correspondant au volume d’eau qu’il a souscrit et étant donc un multiple de 1 000 m3.

Une souplesse est de mise, permettant aux agriculteurs de consommer davantage jusqu’au moment où le déversoir des retenues s’arrête de couler et durant la saison si le remplissage des retenues le permet. Ainsi, un agriculteur peut consommer un peu plus d’eau que son quota mais dans certaines limites (20%), pour permettre à tous les autres agriculteurs de disposer de leur volume d’eau. Au-delà, une tarification considérée comme très dissuasive est en vigueur (Tableau 1).

Au total, pour une part (1 000 m3), un agriculteur peut disposer sans trop de contraintes de 1 400 m3 : 200 m3 avant la saison et 1 200 pendant.

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Charge fixe 68 € par part Avant saison Q quota Q > quota 0,050 €/m3 0,086 €/m3 En saison Q quota Quota < Q 1,2 * quota Q > 1,2 * quota 0,050 €/m3 0,162 €/m3 0,324 €/m3

Tableau 1 : Tarification de l’eau en 2008 dans l’ASA du Lendou (€ H.T.)

Des tours d’eau pour réduire les coûts

Le réseau d’adduction a été délibérément sous-dimensionné pour réduire les coûts, ce qui nécessite la mise en place de tours d’eau, d’une durée de 4 heures (ou d’un multiple de 4). Les tours d’eau sont donnés de manière à ce que l’agriculteur ait le temps qu’il faut pour arriver au fond.

Les agriculteurs s’auto-organisent entre eux pour les tours d’eau, en effet l’ASA du Lendou s’étend sur un territoire relativement petit, les agriculteurs se connaissent donc tous et s’arrangent entre eux pour s’échanger les tours d’eau si le besoin s’en fait sentir.

Une banque de l’eau

Enfin, il a été décidé de donner de la souplesse au système en permettant l’échange temporaire des parts : avant la saison d’irrigation (pour le 30 avril), l’Union des ASA du Lot recense les personnes du périmètre qui acceptent de céder des parts pour la saison et celles qui souhaiteraient en obtenir. Elle statue ensuite dans la quinzaine qui suit.

Ce n’est pas une banque d’eau classique dans le sens où il n’y a pas de prix associés : celui qui obtient une part de cette manière (pour une durée d’un an) ne paie que les charges afférentes (cf. la tarification en vigueur). Cela permet aux propriétaires fonciers de conserver les droits d’eau (retraite, décès, autre travail) sans que cela ne lui coûte.

4.2. Le bassin de la Lizonne

La Lizonne est l’affluent principal de la Dronne (Carte 1 et Carte 2). Son bassin versant, d’une superficie de 650 km², traverse les départements de la Dordogne (région Aquitaine) et de la Charente (région Poitou-Charentes). Il est régi par le SDAGE (Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux) Adour-Garonne, qui fixe les règles de gestion commune du bassin hydrographique.

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Carte 2 : Hydrographie et sites Natura 2000 sur le bassin versant de la Lizonne

4.2.1. Un bassin, objet d’un conflit d’usages entre agriculture et zone humide, et reconnu

comme fortement déficitaire

Le bassin versant de la Lizonne est à la fois une région à dominante agricole et à la fois écologiquement riche. La zone amont sert à l’élevage et à la sylviculture ; la zone aval est

utilisée pour la culture de céréales ; au milieu se trouve une petite zone de production laitière. La présence de sols hydromorphes favorise un écosystème riche : sur l’amont du bassin s’étend, sur 20 000 ha, le Parc Naturel Régional Périgord-Limousin hébergeant le vison d’Europe, l’une des 5 espèces les plus menacées en Europe ; le long des cours d’eau, des sites Natura 2000 ont été établis, couvrant aujourd’hui environ 4000 ha.

L’agriculture est le premier secteur économique du bassin de la Lizonne. Le maïs est la culture dominante, couvrant 50% de la SAU, à côté de l’arboriculture. La majeure partie des surfaces agricoles est irriguée. Historiquement, l’irrigation dans la région a débuté suite à la grande sécheresse de 1976. Depuis, un ensemble de réserves et réservoirs a été constitué sur le bassin de l’Isle Dronne (atteignant environ 1 million de m3 dans le département de la Dordogne répartis sur environ 87 petits ouvrages).

Au début l’irrigation se faisait de façon individuelle, sans constituer des associations d’irrigants. Aujourd’hui, il existe un réseau de gestion collective important : l’ASA du Voultron en Charente et six réseaux de gestion collective en Dordogne.

Deux associations fédèrent les agriculteurs irrigants : l’Association des irrigants de Charente et l’Association des irrigants de Dordogne. La première regroupe environ 800 des 1200 agriculteurs de Charente, la deuxième comprend environ 2500 agriculteurs, soit 80 à 90% des irrigants en Dordogne. La seconde a été créée en 1989, au départ pour défendre des irrigants face aux arrêtés sécheresse. De nos jours, elle joue aussi un rôle de conseiller auprès des irrigants, à travers ses services techniques, comme le service hydraulique et le service de production végétale.

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Les zones humides et les tourbières du bassin versant sont importantes sur ce bassin et revêtent un grand intérêt écologique par la présence de certaines plantes ou animaux qui y vivent. Or beaucoup de zones humides ont disparu au cours des dernières décennies, du fait des aménagements passés, notamment le drainage.

Les prélèvements ont également un impact sur leur état. Ainsi, une étude réalisée sur les tourbières de Vendoire « a conclu que le niveau de la nappe a baissé d’un mètre en 30 ans, c’est-à-dire depuis le début des prélèvements profonds » (selon un représentant de l’ONEMA). « C’est pourquoi la tourbière évolue vers la forêt. … La tourbière faisait 140 ha il y a une vingtaine d’années, et elle est à 60 ha aujourd’hui » (selon un représentant de la DDAF).

Ainsi, la Lizonne est identifiée comme un bassin particulièrement déficitaire en termes de ressource en eau. Il est ainsi l’objet de trois plans de gestion :

Dans le Plan de Gestion des Etiages (PGE) Isle-Dronne (bassin classé dans son ensemble en Zone de Répartition des Eaux – ZRE, cf. Carte 1), il est considéré comme un bassin prioritaire. Ce PGE, approuvé en 2004 par l’ensemble des partenaires, est porté et animé par le gestionnaire de bassin, l’EPIDOR (Etablissement Public Interdépartemental du bassin de la Dordogne). Il fixe des objectifs de gestion de crise et de réduction des prélèvements. Il « prévoit notamment une réduction progressive des autorisations de pompage pour l’irrigation visant à (1) ramener les autorisations de prélèvements pour l’irrigation au niveau des prélèvements réels historiques, (2) réduire les autorisations au niveau de la ressource disponible (objectif 2010) ». Ainsi, pour le sous-bassin de la Lizonne, si les volumes autorisés en 2007 sont de 3,1 Mm3, ils ne doivent plus excéder 1,9 Mm3 en 2010, soit par hectare 820 m3 contre 1330 en 2007. La création de réserves de substitution est prévue en cas de substitution partielle pour un montant de 1,7 Mm3.

• Il a également été retenu en janvier 2006 comme l’un des douze bassins bénéficiant d’une démarche pionnière au niveau national intitulée « Plan de Gestion de la Rareté de l’Eau » (PGRE). L’objectif de ces PGRE est double : baisser durablement la vulnérabilité de l’alimentation en eau potable à la sécheresse en lui donnant une nouvelle marge de sécurité et concilier les différents usages tout en préservant la qualité des milieux aquatiques. Ces PGRE, initiés par le conseil des ministres du 28 octobre 2005, devaient conduire une triple action : élaborer un diagnostic partagé des déséquilibres et des marges d’économie possibles, inventorier les solutions possibles en analysant aussi leurs impacts et définir un plan d’actions dont les premières mesures devaient être mises en place en septembre 2006.

Il fait enfin l’objet d’un « Plan de Gestion Collective de l’Eau » (PGCE). Ce PGCE a été mis en place par l’Agence de l’Eau Adour-Garonne depuis 2007. Il est un outil financier qui permet une majoration des aides d’animation pour des bassins prioritaires et qui propose d’autres aides comme le financement de fontainiers sur les réseaux collectifs d’irrigation.

4.2.2. Un bassin avec des objectifs de gestion approuvés par tous mais ayant des difficultés

à être suivi d’actions

L’ensemble des acteurs présents sur le bassin de la Lizonne s’accorde sur l’objectif de réduction des prélèvements dans les cours d’eau à horizon 2011. Mais l’ampleur de l’effort à consentir et les moyens d’y parvenir font l’objet d’un vif débat.

Ainsi, le volume prélevable par les agriculteurs est difficile à quantifier. Trois méthodes sont proposées (pour davantage d’information, se référer à (Erdlenbruch et al., 2008)) : la

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première, issue du PGE, est basée sur des principes hydrologiques simples : définition des régimes naturels d’étiage et des débits objectifs d’étiage, calcul des débits disponibles et enfin traduction des débits en volume ; la deuxième, présentée par EPIDOR, qui est une extension de la première en cherchant à répercuter le volume prélevable global sur chaque petite entité hydrographique ; la troisième, proposée par les agriculteurs, avec une vision plus fine.

Pour parvenir à la réduction des volumes prélevés, quatre solutions sont proposées dans les

différents plans exposés précédemment :

Rechercher systématiquement les économies d’eau à l’aide de techniques innovantes.

Des conseils à l’irrigation sont ainsi diffusés par les deux chambres d’agricultures, en Charente et en Dordogne, pour rendre plus efficace l’irrigation. Dans ce dernier département, il y a par exemple « une vingtaine de stations de pluviométrie, micro-région par micro-région, télé-transmises sur le département ; grâce à des fermes de références [des conseillers peuvent] déterminer quand il faut commencer à irriguer, quand il faut arrêter, recommencer, ré-arrêter, etc. ou arrêter définitivement », nous explique un représentant agricole.

Gérer les assolements en intégrant le facteur limitant de la ressource en eau.

La chambre d’agriculture propose ainsi d’accompagner des changements d’assolement « par de la formation auprès des agriculteurs … pour montrer aux agriculteurs comment introduire d’autres cultures irriguées dans l’assolement, par exemple des cultures irriguées de printemps comme le blé, de l’orge, du pois. Avec ces cultures, les irrigants [peuvent] étaler leurs prélèvements et adapter leur consommation à la ressource disponible ».

D’autres solutions sont également envisagées. Ainsi, une entreprise agricole expérimentale (avec laquelle 120 agriculteurs travaillent) cherche à choisir des « plantes résistantes à la sécheresse. Pour le soja, ça marche très bien, on atteint les mêmes rendements que les cultures irriguées après 8-9 ans. Pour le maïs, on arrive à des rendements similaires après 4-5 ans. Evidemment il faut respecter des rotations particulières pour mettre le sol dans de bonnes conditions. Par exemple : une prairie pendant 4 ans, du maïs pendant 2 ans, du soja pendant 1 an (ou une autre légumineuse à graine pour relancer la fertilité), puis une céréale à paille, une légumineuse à graine (autre que soja, par ex. lupin, lentille, etc.), une céréale ou le tournesol, puis de l’orge. Ce cycle, hors prairie, durerait environ 7 ans, et n’est valable que pour la région concernée ».

Créer des ressources nouvelles pour les cours d’eau déficitaires et déconnecter les

retenues existantes des rivières. L’objectif est ici de procéder à un transfert d’une

ressource exploitée en période d’étiage en basculant vers des réservoirs remplis en période d’abondance des cours d’eau (donc de créer des « réserves de substitution »

Différentes solutions sont proposées : soit un transfert total (de tous les prélèvements), soit un transfert partiel (d’une partie des prélèvements) sur ces réserves, soit un transfert « temporaire » (le prélèvement en milieu naturel reste alors possible tant que le cours d’eau a un débit supérieur à un certain seuil préalablement défini).

S’organiser collectivement pour gérer les ressources en eau.

Cette gestion collective peut émerger par la création d’ASA mais aussi par la mise en place d’un organisme unique sur l’ensemble du bassin versant, tel que préconisé par l’article 21 de la LEMA de 2006. L’association des irrigants de Dordogne s’est ainsi portée candidate pour devenir organisme unique sur l’ensemble du bassin versant (donc

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concernant l’ensemble des départements). La Chambre d’Agriculture est prête à apporter un soutien technique.

Le débat porte ici essentiellement sur la place à accorder aux différentes solutions : ainsi,

l’Agence, par l’intermédiaire des PGCE, voudrait arriver à ce qu’on n’incite pas seulement à la création de ressources mais aussi aux économies d’eau, via l’amélioration du matériel et les tours d’eau.

Les agriculteurs, de leur côté, souhaitent continuer à pouvoir irriguer : la « désirrigation n’est pas applicable car le bassin versant est essentiellement agricole … Les agriculteurs qui font de l’irrigation ne le font pas par plaisir, ils ont choisi ce système d’exploitation, et modifier un système n’est pas simple… en plus on s’aperçoit que l’irrigation est quand même une sacrée assurance et un sacré outil de travail ».

De plus, l’adaptation des cultures se pratiquerait déjà, selon la chambre d’agriculture, par les agriculteurs, même si cela induit un manque à gagner : « ils le font tous les ans de repenser leurs cultures, en fonction de la situation économique et de la situation technique du bassin. Si la réglementation leur dit qu’il faut qu’ils baissent leurs prélèvements de 40% et bien ils le feront, ils seront bien obligés de s’adapter ».

Mais pour d’autres, les adaptations ne vont pas encore assez loin : « la profession agricole sait qu’il y a des agriculteurs qui commencent à tester des choses, mais elle a l’impression qu’il reste un décalage entre les évolutions -importantes et inéluctables- et le coût actuel des céréales qui joue un rôle de frein dans cette évolution… Changer de culture, ça veut dire que derrière les coopératives d’approvisionnement doivent se mettre en place, il faut organiser les débouchés ; c’est une démarche longue » (selon une personne interrogée).

Les retenues de substitution font également l’objet d’un âpre débat et de questionnements, en particulier sur deux points :

• Il faut garantir le fait que ce soit une véritable substitution : donc pas une prise directe sur le cours d’eau et pas non plus l’occasion d’accroître les quantités d’eau consommées. Or, « lors de la [dernière] réunion de restitution de l’enquête chambre d’agriculture… [il s’est avéré que] … 22 % des agriculteurs désirent augmenter leur surface irriguée » (selon un interlocuteur de l’Agence de l’Eau).

Qui va payer ? Selon un représentant de la chambre d’agriculture, « les agriculteurs sont prêts à étudier la substitution, mais tout dépendra du coût : les irrigants ne sont pas prêts à financer plus que ce que leur coûte l’irrigation aujourd’hui, voire un peu plus mais selon un seuil ». Or, il restera toujours une part à la charge des agriculteurs, et différente en fonction de la politique régionale : ainsi, la région Poitou-Charente n’est pas favorable à ce type d’investissement et n’accompagne pas à 80 % ce type d’ouvrage, mais au mieux à 70 %.

Enfin, la mise en place d’un organisme unique est compliquée, tant par les moyens de le financer que par l’institution qui le portera. Ainsi, un représentant d’une chambre d’agriculture remarque que les agriculteurs ne sont pas unanimes quant à la candidature de l’association des irrigants : « ceux qui ne font pas partie du groupement ne le voient pas du même œil que les autres ». Parmi les irrigants il y a une préférence pour des acteurs non-agricoles, comme EPIDOR, considéré par certains comme « un organisme neutre et qui a une certaine envergure départementale pour concilier l’ensemble des usages ». Ce serait ainsi la garantie d’une certaine indépendance de l’organisme unique : « si ce sont les irrigants qui contrôlent l’irrigation, on va augmenter leur pouvoir de lobby ».

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Cela explique les difficultés à ce que les trois plans précédemment exposés (le PGE, le PGRE et le PGCE) à engager des actions significatives. Ainsi,

• Le PGE : aucune retenue de substitution n’est à ce jour créée et les autres solutions peinent à émerger ;

• Le PGRE : si des priorités d’action ont été définies, il n’y a pas eu de réelles actions mises en œuvre. Seules des actions financées auprès de la chambre d’agriculture par rapport à la sensibilisation, à l’appui de l’irrigation et aux tours d’eau, ont eu lieu, mais ne sont - somme toute - que des outils classiquement utilisés.

• Le PGCE : si ce plan semblait facile à l’Agence de l’Eau Adour Garonne à mettre en œuvre avec les acteurs concernés, il ne l’a pas été dans les faits et est toujours en phase de calage avec la profession agricole.

4.3. Synthèse des enseignements

Synthétisons maintenant les enseignements tirés de l’étude de l’ASA du Lendou et du bassin de la Lizonne à partir de la description des conditions d’émergence à une gestion collective décrites dans la partie 3 (Tableau 2).

Une possibilité d’améliorer la situation.

La solution de création des retenues est, pour les agriculteurs de l’ASA du Lendou, en tous points meilleure que la situation antérieure, augmentant le bien-être de chaque agriculteur (situation Pareto-optimale). En effet :

o C’est moins coûteux : le droit de pompage dans le milieu naturel est certes gratuit, mais les charges correspondantes étaient devenues très élevées, du fait de l’augmentation du prix du fuel nécessaire aux groupes de pompage, auquel il faut rajouter le coût de la main d’œuvre pour déplacer les pompes et les tuyaux d’irrigation, le coût lié à la maintenance et le temps de travail ainsi perdu. Les techniciens de la Chambre d’Agriculture du Lot estiment que les frais liés au pompage (hors coûts de main d’œuvre) représentent aujourd’hui près de 2,5 fois le coût de participation aux frais de fonctionnement de l’ASA. Notons aussi que les subventions de l’investissement initial ont contribué à l’attractivité de cette solution.

o C’est moins exigeant en main d’œuvre : le réseau collectif apporte une ressource sous-pression directement aux différentes bornes d’irrigation, ce qui est très confortable pour les agriculteurs n’ayant plus besoin de maintenir leur système de pompage et d’éventuellement déplacer cet outil d’une parcelle à une autre.

o La ressource en eau est sécurisée, ce qui permet de faire de nouvelles cultures plus rentables (comme le maïs semence) et de se soustraire aux arrêtés sécheresse. Le volume de substitution répond ainsi de manière très satisfaisante à la demande ainsi qu’aux périodes d’étiages difficiles. La première année de fonctionnement de la seconde retenue a coïncidé avec la sécheresse de 2003 : « ceux qui faisaient du melon étaient contents, ils ont dû amortir leur investissement dans la gestion collective dès la première année » (président de l’ASA du Lendou).

o De nouvelles terres sont devenues irrigables, notamment sur les plateaux.

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Figure

Figure 1 : Typologie des biens
Figure 3 : Les trois composantes pour une gestion collective d’un système complexe  Cette  gestion  collective  peut  prendre  différentes  formes  qui  vont  d’une  autogestion  à  une  cogestion
Figure 4 : Exemple d’un prélèvement inefficient non coopératif
Tableau 1 : Tarification de l’eau en 2008 dans l’ASA du Lendou (€ H.T.)  Des tours d’eau pour réduire les coûts
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