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Objet, langage et (re)présentation

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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© Eloïse Foulon, 2019

Objet, langage et (re)présentation

Mémoire

Eloïse Foulon

Maîtrise en arts visuels - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Objet, langage, et (re)présentation

Mémoire

Eloïse Foulon

Maîtrise en Arts Visuels

Sous la direction de :

Marcel Jean

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Résumé

J’ai commencé par regarder les objets et les murs. Je me suis demandée à quel point ces objets et ces murs, en fait, toutes les choses matérielles, étaient vraies. J’ai pensé qu’elles trouvaient leur vérité dans une double existence : une existence matérielle et une existence par le langage. Mais il y a quelque chose de factuel et d’acquis qui nous fait requestionner ces deux vérités. Alors, j’ai voulu déconstruire, comme on regarderait chaque timbre dans une collection de timbres. Et c’est par l’art que je m’applique à cet exercice-là, déconstruire pour être la plus proche de ce qui existe vraiment, et pour comprendre l’existence, aussi, par la représentation. Pour cette déconstruction je parlerai sans hiérarchisation d’espace, d’étendue, de grille, de maison jaune, d’image mentale, de lieu, de cuisine, de tapis, d’objet, de chaise, de table au milieu de la route, d’Idée, de « monde des idées », d’acquis, d’utilité, de traduction, de langage, de mots, d’intellectualisation du concret, d’observation contemplative, d’inutilité, de (re)présentation, d’image, de peinture bien sûr et, de forme.

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Table des matières

Résumé ... ii

Remerciements ... iv

Introduction ... 1

Développement de la réflexion ... 2

Conclusion ... 27

Œuvre dans l’espace / Exposition de fin de maîtrise ... 28

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iv

Remerciements

Merci à mon Directeur de recherche, Marcel Jean, pour son savoir, son accompagnement, son enrichissement, ses généreux partages, pour le temps précieux qu’il m’a offerts Merci à Julie Faubert pour m’avoir lancée sur la voie de l’approfondissement de la pensée et pour son merveilleux enseignement

Merci à Delphine Hébert-Marcoux pour sa présence, son amitié, sa générosité et son appartement Merci à Myrtille Breton, Olivier Hébert et Fanny H.Lévy pour les bons moments de rédaction Merci à la fenêtre de l’atelier, la rue des Oblats, la grille sur la rue St-Vallier, la chaise, la table, le frigo, la maison jaune à Toulon

Merci à Edouard Monet pour m’avoir dit qu’il était évident qu’il fallait que je parle d’espace Merci à Raphaëlle Pauper-Borne pour la peinture

Merci à mon père, ma mère, et mes sœurs

Merci à Gabriel Iacopini pour sa pertinence et ses études en philosophie Merci à Margaux pour le soutien

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Introduction

Incarner un corps c’est avoir accès à une réalité concrète. Par mon corps, j’ai accès aux choses. Par l’intellect, j’ai accès aux idées de ces choses. Il y a donc les idées et les choses puis il y a la question : quel événement est arrivé avant l’autre ? Nous tournerons autour de cette question mais avec l’évidence que nous n’aurons pas la réponse.

Le rythme de ce texte sera celui de la pensée continue. Ce qui fera revenir certaines notions plusieurs fois afin de les replacer dans différents contextes. Je chercherai à déconstruire les processus de reconnaissance d’une chose afin de me rapprocher de l’objectivité. Cette réflexion sera personnelle mais, je crois et l’espère entre dans une intellectualisation du monde dans lequel nous sommes.

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Développement de la réflexion

Pour commencer, j’aimerais définir l’idée. Quand je parle d’idée, je ne parle pas de cette spontanéité qui nous mène à exécuter quelque chose. Par exemple « j’ai une idée, je vais faire telle chose ». Non, ici je parle du « monde des idées », des définitions, du sens. Mais l’idée, c’est surtout le langage. Par exemple, quand on parle de l’idée de la chaise, on parle de la signification de la chaise, ou en tout cas, de sa dimension matérielle. L’idée est abstraite et générale. L’idée générale se rapporte à la nomination et à l’identification d’une chose. Quand je parle d’idée je parle de quelque chose qui réfère à un objet. D’une part, on peut dire que les objets incarnent les idées ; et d’autre part, une idée, c’est la compréhension de l’expérience concrète et factuelle par le langage. Je séparerai deux choses : l’idée générale et la spécificité de l’idée. Par exemple, pour expliquer l’idée générale, reprenons l’exemple de la chaise : tous les humains occidentaux sont d’accord pour dire qu’ « une chaise est une chaise » : c’est un objet utile dont on a tous une image mentale. Et à partir de cette image mentale vient la spécificité. Par notre expérience quotidienne de la chaise, on la pensera colorée, en bois, en plastique, ou autre chose encore.

Revenons à l’idée générale. Elle serait la transcendance universelle. Nous retiendrons qu’en philosophie, transcender c’est ce qui est au-delà de l’expérience. Partant de cette définition, nous pouvons donc nous demander si l’idée générale est celle qui est la plus objective, la plus proche de la vérité. C’est celle qui fait que, d’un certain point de vue, nous aurions tous la même vision d’une chose ; une vision globale.

En bref, les idées sont les mêmes pour tous. Mais quand elles passent par l’expérience individuelle, il y a une multiplication des spécificités, et donc sont de l’ordre du subjectif et donc du moins vrai puisque cela touche à un point de vue plus personnel. Et c’est peut-être par la transcendance universelle que nous avons accès à la vérité. Je préciserai ici que la notion de vérité sera un des enjeux de ma recherche.

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Entre l’idée générale et la spécificité personnelle, je proposerai trois étapes pour parler du processus d’identification d’une chose.

1- L’idée générale, c’est donc celle qui n’est reliée à aucune expérience personnelle et individuelle. Elle est au-delà de la sensation et au-delà de la traduction. C’est celle à laquelle on a accès, par son essence, pour établir ensuite notre propre définition d’une chose à laquelle on ajoute instinctivement ses spécificités. J’emploie le mot « instinctivement » pour parler de cette impulsion de toujours vouloir nommer le plus possible une chose.

On accède à l’idée générale par notre utilisation du langage, mais on ne pourra pas la modifier, car elle existe justement au même niveau que le langage ; et celui-ci est construit, stable, inébranlable, puisqu’il constitue un noyau, une base sur laquelle tout le reste va s’établir. 2- La spécificité matérielle, c’est quand on applique l’idée au concret, quand le concept agit dans la matérialité pour devenir factuel. On peut parler ici du rapport au corps et donc de l’utilité, de l’objet pour le corps. C’est quand l’idée, une fois incarnée matériellement devient acquise. J’y reviendrai. 3- La spécificité personnelle, c’est notre propre expérience de la chaise, notre rapport intime à l’objet. Notre corps en relation à l’objet. Peut-être que notre image mentale de la chaise existe par notre première expérience de la chaise. Je dirai aussi qu’ici, il existe un rapport qui relève plus de la sensibilité de chacun ou même encore du souvenir.

Pour revenir à la question de l’acquis, je pense qu’il réside dans l’incarnation matérielle de l’objet. C’est l’idée qui est figée dans une forme. C’est le noyau ; là où se place l’essence d’une chose, son origine. Le langage est la forme qui permet d’activer le noyau par notre usage, il est notre lointain accès à la vérité. Je dis lointain car par-dessus l’essence d’une chose, on y ajoute les spécificités (matérielles et personnelles) ; et c’est par la spécificité matérielle que l’acquis existe. On ne requestionne pas l’existence de la chaise, on ne se dira pas que la chaise devrait exister seulement dans l’idée et donc abstraitement. On ne refuse pas l’incarnation matérielle de la chaise. Donc : c’est acquis. Et c’est grâce à cet acquis que la contemplation peut être expérimentée.

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On comprendrait mieux la contemplation si on parlait d’admiration d’une belle architecture ou d’un paysage grandiose. Mais j’aimerais mieux ramener cela à quelque chose de plus objectif. Ce serait plutôt être attentif à quelque chose de plus complet, qui renvoie à une totalité. Mais encore là, il y a quelque chose de sublime qui subsiste. Alors, quelle est la manière d’être attentif à un phénomène de manière objective, ou plutôt universelle ?

Ce serait peut-être dans une expérience universelle d’une chose. Par exemple, tout le monde expérimente la sensation de distance. C’est quelque chose de commun à tous puisque c’est le corps (n’importe quel corps, du moins, celui de l’adulte, celui que je connais en ce moment) qui est confronté à l’espace. Ici, je parle d’espace au sens architectural. Par exemple, si je suis dans la rue et que je marche, ma sensation de distance va se modifier au fur et à mesure que j’avance mais il y aura toujours un objet qui me provoquera cette sensation (un bâtiment, un arbre, une auto). Que ce soit horizontalement ou verticalement (au loin ou en hauteur). Mais ici, il s’agit d’une expérience, d’un phénomène. Alors, comment notre expérience d’un objet peut-elle être universelle ?

D’après la définition du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, un phénomène c’est « Ce que l'on observe ou constate par l'expérience et qui est susceptible de se répéter ou d'être reproduit et d'acquérir une valeur objective, universelle. »1. Mais comment peut-on nommer cette valeur objective et universelle ?

Si un phénomène est quelque chose qui se répète, on parle donc de plusieurs contextes, de plusieurs personnes. C’est alors qu’on atteint la valeur objective, sa vérité. Si par exemple on prend un groupe de personnes et qu’on les place sur une plage, tous à 16 pieds d’un parasol ; ils vont tous affirmer qu’ils ne peuvent pas le toucher juste en étirant leurs bras. Tous diront qu’ils sont trop loin et ceci peut donc être considéré comme une vérité.

1

« Phénomène », dans Portail lexical, http://www.cnrtl.fr/definition/phénomène (page consultée le 4 mars 2019).

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Peut-être que notre rapport à l’objet pourrait être universel justement parce que tous les corps prennent place dans une réalité concrète et factuelle et donc par l’expérience se crée un phénomène qui lui, renvoie à une universalité.

Bref, revenons à la contemplation. Mon désir premier concernant cette notion serait de l’inscrire dans cette sensation universelle. Dans le sens où l’observation contemplative d’un objet est accessible pour tout le monde.

Observation contemplative : bien que ces deux mots soient presque des synonymes je préfère les

employer ensemble parce que l’observation relève plus de quelque chose d’objectif, sans jugement alors que la contemplation peut plus facilement aller dans le sens de l’affect. A partir de là, l’observation contemplative ferait appel à notre capacité de non-définition d’un objet. Prenons à nouveau l’exemple de la chaise. Je prends le risque de l’épuiser mais la chaise est l’objet le plus utilisé dans notre quotidien, ou du moins, le plus présent. (Je parle bien ici d’un individu répondant à la généralité dans un pays occidental). Son utilité est acquise et sa forme matérielle est prédominante. Aussi, elle répond parfaitement à une position de notre corps donc c’est d’abord notre corps sur la chaise que la chaise avec notre corps posé dessus. En fait, j’aimerais que l’observation contemplative de la chaise soit une observation formelle et matérielle de la chaise. J’aimerais que l’observation contemplative serve à apprécier son incarnation concrète plutôt que les spécificités qui s’en dégagent. Une fois que c’est acquis on peut aller au-delà de l’utilité.

Alors, qu’est ce qui est au-delà de l’idée ? Je pose cette question dans le but de réunir l’utilité et l’idée dans la même famille.

Il faudrait préciser aussi que lorsque le phénomène d’observation contemplative se présente, il n’est pas conscientisé et donc intellectualisé, il s’intellectualise par la suite.

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L’acquis est donc une question qui se pose à ce moment-là. Je vais tenter de définir l’acquis. Dans ce contexte, je dirais que l’acquis est une attitude que l’on a face aux objets de notre quotidien. Par notre habitude d’utilisation, on ne requestionne pas nécessairement l’objet et donc l’idée de cet objet, ou plutôt, je dirais ici son utilité. Je parlerai plus tard de la nuance entre l’idée et l’utilité. Quelque chose d’acquis c’est quelque chose qui n’est pas sujet à la modification. C’est un fait. Ici on peut donc parler de factuel. Quand c’est factuel, c’est attesté, on peut en faire un témoignage, il y a une entente générale sur une chose. Parfois, je parlerai du monde factuel, c’est le monde dans lequel les choses sont donc acquises (objets et idées de ces objets).

L’idée c’est l’essence d’une chose. On peut chercher l’essence mais peut-on la modifier ? Peut-on modifier la nature propre d’une chose et en faire un acquis ? Je ne crois pas. Parce que justement, on ne pourra pas redéfinir la chaise et dire que cette chaise n’est plus une assise mais un garde-manger par exemple.

Nous pouvons dire que nous avons une première affirmation : notre attitude face aux objets ne se requestionne pas dans le sens où nous ne cherchons pas à modifier son essence pour qu’elle soit universelle.

Ensuite pour parler de l’utilité, je dois d’abord évoquer deux sortes d’idées : - L’idée spontanée. C’est celle qui surgit pour l’utilité. Par exemple : « Nous allons créer un objet pour que l’Homme puisse s’asseoir ». C’est l’idée au sens le plus commun. - L’Idée. C’est la définition, le sens universel. Elle est détachée de l’utilité pour se concentrer sur l’essence, la nature profonde. Elle dépasse l’utilité et l’incarnation matérielle. Elle existe dans le langage.

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d’une chose. Le noyau réside dans le langage et il inclut tout ce qui gravite autour d’une chose mais ne contient que son essence.

Il faut donc définir le langage, qui plus tard, sera mis en relation avec la représentation.

Le langage c’est l’expression de la pensée dans la parole ou l’écriture. C’est un ensemble de signes cohérents entre eux qui révèlent des idées, au sens large. Si le langage n’est pas circonscrit dans l’écriture, il existe sous forme abstraite. Il existe dans le monde immatériel et appartient au « monde des idées » dont je parlais au début de ce texte ; ce « monde des idées » que l’on pourrait qualifier aussi d’espace abstrait.

L’espace abstrait c’est celui qui est en différence de l’espace concret qui lui, regroupe toutes les choses matérielles et palpables. L’espace abstrait, lui existe dans l’Idée, la pensée, le langage. Et aussi, on y reviendra, il existe par l’image (la représentation).

L’espace concret est factuel, et j’aurais tendance à dire que c’est cette factualité qui le relie à l’espace abstrait. Puisque, si l’on prend l’exemple du langage, celui-ci appartient à l’espace abstrait qui structure la relation à la matérialité : c’est quand il définit quelque chose de très concret. Par

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exemple, définir une table c’est amener l’objet matériel dans l’espace abstrait (« le monde des idées »).

Finalement, je pense que l’on peut affirmer que le langage et l’Idée ne peuvent être distingués l’un de l’autre. L’idée n’existe pas sans le langage, et le langage existe par les Idées. Mais, qu’est-ce qui est au-delà des idées et du langage ? Ou plutôt, qu’est-ce qui agit autrement que le langage ?

Je commence ici à parler de représentation.

La représentation cherche-t-elle la vérité absolue ? Elle imite le langage qui est l’outil pour communiquer ses pensées. La représentation elle, donne à voir une idée par des signes et par la déconstruction (la ligne, le dessin).

La déconstruction c’est faire sortir et décortiquer, par l’analyse, ce qui a été construit. La construction c’est, dans le sens le plus commun, bâtir ou faire émerger matériellement ; mais je l’entends, abstraitement, comme considérer l’ensemble des éléments comme un tout et nommer ce tout.

Je m’explique : construire c’est la relation entre tous les éléments. Par exemple la maison serait ce qui montre la construction et les briques, les portes, les tuiles, les fenêtres, etc seraient ce qui montre la déconstruction. Une phrase fait sens : « Ils sont en train de construire une maison à côté de la maison jaune ». Cette phrase est un ensemble, elle forme un tout, une pensée complète, construite. Si on prend chaque élément séparément, ils ont chacun leur propre sens ou leur propre évocation. Je dirais qu’en peinture, ou plus largement, dans la représentation, le fonctionnement est le même, ou presque.

La déconstruction permet une analyse plus précise et détaillée d’un tout. C’est prendre chaque élément comme un cas à part ; c’est une manière d’extraire l’essence.

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Ainsi, pour revenir à la représentation, c’est par la construction de plusieurs lignes (en dessin) que l’on obtient un ensemble qui nous permet d’identifier ce que l’on regarde.

« Chaise » = Je comprends grâce à mon expérience de la chaise et à la dimension acquise du mot et de sa signification.

Les mots sont des signes qui appartiennent au groupe du langage. Agencés entre eux ils font du sens. Mais les mots en eux-mêmes, individuellement ne font pas totalement sens. Il en est de même pour les lignes en dessin.

Par exemple si je dis « j’ai entendu », il n’y a pas d’image mentale qui se forme mais éventuellement une idée d’une sensation. Mais si je dis « j’ai vu une maison jaune » j’ai une image mentale de la maison jaune puisque c’est quelque chose de concret et factuel. Les deux phrases existent dans l’espace abstrait puisque ce sont des signes et ça existe dans le langage. Si on déconstruit la phrase « j’ai vu une maison jaune » : « j’ai vu » ne dit rien concrètement, cela évoque une expérience, un phénomène, c’est abstrait et ça ne parle pas vraiment d’une idée, tandis que « maison jaune » réfère directement au concret, à la matérialité et au factuel. Ça parle d’une idée de quelque chose. Mais que se passe-t-il quand la représentation entre en jeu ? Et quelle est la différence entre voir l’image d’une chose et la voir réellement ? (Ici quand je dis chose, je parle d’une chose matérielle : un objet, j’y reviendrai).

= Je peux comprendre par les liens visuels que je fais entre objet et représentation ; et je peux établir ces liens seulement grâce à l’idée de la chaise.

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Je vais tenter de répondre à cette question en mettant en différence deux phénomènes : lorsque l’on regarde une maison et lorsque l’on regarde l’image (un dessin par exemple) d’une maison. Quand je regarde une maison « en vrai », je fais l’expérience concrète et factuelle de la maison, je peux affirmer que c’est une maison par mon expérience du monde. Ça n’implique pas la représentation mais ça peut évoquer quelque chose (ce sont les spécificités personnelles). Etant donné que notre rapport au corps est impliqué lorsque nous sommes face à la maison, il est plus facile de comprendre cet objet comme étant utilitaire. Notre rapport est immédiat, parce qu’il est factuel. Il ne s’agit pas de se demander ce que c’est ; c’est acquis que lorsque je suis face à cette maison, je peux affirmer que c’est bien cela. Alors que lorsqu’il s’agit d’une représentation (d’un dessin par exemple), l’image est abstraite. La maison n’est pas là sur la feuille, il s’agit d’une construction de plusieurs traits qui, par notre connaissance et reconnaissance, forment un ensemble.

Et donc, comme cette image est abstraite, elle parle de l’idée et non pas de l’utilité. Il y a d’abord le fait de reconnaître ce que c’est, par notre connaissance du monde des objets. On peut donc mettre un sens sur cette image. On peut alors dire que la représentation donne un accès plus direct à l’essence (puisqu’on disait que l’Idée est ce qui est le plus proche de la vérité par la transcendance universelle) ; tandis que l’objet concret fait d’abord référence à l’utilité et donc à l’expérience ce qui est subjectif. On parle d’un rapport immédiat avec le corps.

Pour parler d’objet, et d’images de ces objets (dont la représentation), il faut inclure l’espace. Parce qu’il est inévitable de traiter ce sujet pour comprendre l’objet : les objets sont toujours dans des espaces. Des espaces qui peuvent parfois, être des lieux.

Pour parler d’objet dans un espace, je vais donc commencer par définir l’objet. L’objet, au sens très large, c’est une chose, matérielle et palpable, évident, présent, je peux le saisir. Un objet peut être une roche, une plante, un arbre, un morceau de plastique, une voiture, une chaise, un mur, une brique, une fenêtre, etc.

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Il y aurait quatre types d’objets :

- L’artefact : l’objet fabriqué par l’homme, artificiel - L’objet de la nature (roche, arbre, sable, etc.) - L’objet de la pensée

- L’objet en peinture (j’y reviendrai pour parler de l’image et de représentation)

Ici, l’objet sera considéré dans son sens le plus large. J’aimerais même pouvoir considérer que le corps, dans ce contexte, soit un objet par sa dimension matérielle et palpable. Ensuite les objets se classent dans des catégories moins larges qui comprennent leurs spécificités, s’ils sont fabriqués ou naturels, s’ils ont une utilité ou pas. Il sera question ici, d’objets fabriqués.

Les objets sont des choses faites par l’Homme, pour l’Homme. Mais qu’est-ce qui distingue un objet utile d’un objet non utile ?

Je regarde dans le quotidien, dans un rapport rapide au monde, je suis dans un café et je répertorie les objets qui m’entourent ; il y a, un ordinateur, une table, une tasse, une chaise, un cahier, un stylo, une plante dans un pot de plante, une fenêtre, une colonne, un bar, des bouteilles, des sacs de café, une machine à café, des gobelets en carton, des lampes, une cloche qui contient des gâteaux, une caisse, un piano. Le point commun de tous ces objets c’est qu’ils ont une utilité. Chacun est présent pour quelque chose, il n’y en a pas un qui ne sert à rien. Et tous ces objets sont en rapport avec l’utilité de ce lieu. Les objets agissent pour et par le lieu auquel ils appartiennent.

J’aimerais maintenant séparer deux choses dans la catégorie des artefacts :

- L’artefact utile : c’est un objet fabriqué par l’Homme pour l’Homme et qui a une utilité, une fonction

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- L’artefact de la pensée : celui qui n’est pas destiné à une utilité concrète et factuelle, l’œuvre d’art qui dans un premier sens est un objet inutile. Une peinture n’est pas là pour décorer un mur ou encore pour être utilisée comme tapis. Une œuvre d’art existe dans le monde des Idées, elle nomme, comme les mots le font dans le langage.

Il y a une différence aussi dans le fait de nommer un objet selon une utilité évidente ou non. L’objet n’est pas à l’extérieur de l’espace ; il est dans le lieu ou dans l’espace ouvert, indéfini. Peut-être donc qu’un lieu se définit pour et par son utilité. Pour comprendre, je le mettrais en différence avec l’espace.

L’espace c’est d’abord abstrait dans l’idée que c’est une étendue, c’est le fait d’inclure notre corps dans un lieu. Un lieu qui peut être circonscrit (un lieu intérieur : un appartement par exemple) mais c’est d’abord l’idée que notre corps se place quelque part. Il est inévitable que, pour se situer, il faille comprendre que nous sommes placés, localisés. C’est notre première appréhension et ensuite vient la compréhension du monde. C’est le point de départ pour ensuite inclure tout ce qui gravite autour de cette idée.

L’appréhension c’est la faculté de saisir par l’intelligence ; donc la perception, le jugement, la mémoire.

La compréhension c’est le résultat ou la suite de cette appréhension.

L’espace, il nous est donné, se situer est un phénomène inévitable. Je suis née dans une pièce fermée, j’ai grandi en me déplaçant, et je me déplace grâce à la projection que j’ai de l’espace : Je suis en bas, je sais qu’en haut il y a la chambre. Pour me rendre d’un point A à un point B, je suis capable de me projeter mentalement le chemin à emprunter. Je connais les règles du déplacement : connaissance du lieu, projection mentale, marche.

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Nous savons que nous sommes à tel endroit, dans tel pays. Je sais que je suis en ce moment assise dans une cuisine, dans un appartement de Québec, à ma gauche il y a le frigo et à droite un rangement. Puis, par ma connaissance de cette ville, parce que je l’ai traversée, je peux savoir plus ou moins où je suis. Je suis en mesure d’imaginer que si je sors de cet appartement, je serai sur la rue Des Oblats et si je me dirige par là-bas, je serai dans le quartier St-Roch. Je peux me projeter parce que j’ai expérimenté par mon corps, ces différents lieux. Par contre, je ne sais pas comment me rendre dans telle maison, de telle rue, en Inde par exemple.

C’est par le déplacement que se forme le paysage ; c’est par cette prise de conscience que je peux analyser et décrire ce fait. C’est une image mentale que l’on se fait de l’espace. Et c’est de cette manière que je peux dire que je suis dans un lieu.

Un lieu, ce n’est pas comme un espace. Comme je disais, un espace serait plutôt défini comme une étendue. J’aimerais parler d’espace extérieur dans ce cas-là.

On pourrait détailler les séparations plus ou moins efficaces entre l’espace intérieur et l’espace extérieur :

- les fenêtres

- les séparations qui agissent comme des murs, sans en être et qui, nous le savons, ne peuvent être franchies parce qu’elles indiquent une fermeture, une interdiction de passage : grilles, barrières, clôtures.

La fenêtre est un drôle d’objet. Elle est en même temps fermeture et ouverture. Elle permet, depuis l’intérieur, depuis le lieu, d’avoir un point de vue sur l’extérieur. Elle agit comme un écran. Un accès à une réalité que nous ne sommes pas en train de vivre par notre corps. J’écris, je regarde par la

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fenêtre, quelqu’un passe dans la rue. Je suis dans la rue par projection mais ce n’est pas ce que je suis en train de vivre. Moi, je suis à l’intérieur, en train d’écrire.

Il y a une certaine dualité dans l’événement de regarder par la fenêtre. Il y a une séparation du corps mobile et de la tête, la boîte de la pensée.

Quand je regarde par la fenêtre mon corps est dedans et ma tête est dehors. Je reconnais la rue, l’individu qui passe, le vélo, le bâtiment d’en face. Tout cela se passe par l’intellectualisation des choses, par la tête. Je sais que si je déplace mon corps, je peux sortir et être de l’autre côté de la fenêtre.

Le corps c’est la présence, il est ancré sur le sol, la tête, la pensée, c’est l’ouverture vers toutes les autres possibilités que celle que je vis par mon corps, maintenant.

La fenêtre est une ouverture, elle fait partie de la construction architecturale. La fenêtre est une fermeture ; elle prétend être un trou mais elle est un mur transparent. La fenêtre, elle me permet d’être à deux endroits différents, dedans par mon corps, dehors par la pensée.

La grille, la clôture, la barrière, ce sont trois objets qui ferment. Ce sont des frontières concrètes, des passages interdits. Des lignes architecturales qui renvoient à des signes d’enfermement. La grille d’un parc est juste là pour délimiter, pour former un lieu. Elle ne ferme pas, je peux passer, sa consistance matérielle existe seulement pour assurer que ce parc est délimité, le jardin de cette maison est délimité, la surface de ce stationnement est délimitée.

La grilles, la barrière, la clôture, sont des objets qui ferment dans un espace ouvert, ils créent un lieu dans l’étendue, ils agissent seulement de manière abstraite. C’est très ambigu. Si je suis devant une grille, je ne suis pas devant un mur plein. Mon corps est semi-arrêté. Ma projection est active : je peux être de l’autre côté de la fenêtre puisque je vois l’autre côté.

Dans l’idée, il n’y a rien qui arrête mon déplacement dans l’espace. Ici, j’emploie le mot idée dans le sens où c’est dans la projection mentale que je me fais de l’espace que je peux affirmer ce fait. C’est dans l’abstrait et ça ne prend pas en compte les contraintes, et les limites du corps.

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L’espace est infini et n’est pas délimité. Mais l’espace c’est aussi une manière générale de parler de là où est quelque chose. Je suis dans un lieu mais je suis aussi dans un espace. Ces deux notions s’utilisent dans différents contextes.

Le lieu, lui, se trouve dans l’espace. Il se place à tel ou tel endroit de l’espace, c’est quelque chose que l’on peut localiser. Par exemple quand j’utilise un GPS, je peux chercher l’épicerie, la salle de yoga ou encore le parc Durocher. Je peux chercher précisément ces lieux parce qu’ils sont définis et délimités. Ils ont une utilité et des frontières qui peuvent être par exemple : des grilles autour d’un parc ou des murs qui contiennent (maison, commerce).

Les architectures sont des choses matérielles qui contiennent pour une utilité. Un lieu a des frontières, des limites et on peut parler de lieu lorsque l’on peut nommer un espace. Un cube constitué de quatre murs, d’un sol et d’un plafond est un espace mais il est surtout un lieu puisqu’il est délimité. Il est d’autant plus un lieu si je peux le nommer : une cuisine. Cette pièce est un lieu que je peux encore plus spécifier parce qu’il est défini par les objets qu’il contient. Ces notions agissent comme des poupées russes : ce qui englobe le tout serait l’espace, ensuite il y a le lieu, ensuite l’objet puis finalement le corps en rapport avec l’objet qui est dans le lieu dans l’espace.

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Je préciserais ici que cet emboîtement peut aussi agir en peinture mais avec des paramètres différents. En effet, toutes ces notions agissent sur un seul et même plan : celui de la toile.

On pourrait dire que l’espace est la notion la plus large qui englobe toutes ces spécificités. Les lieux composent l’espace, et les objets habitent les lieux. Le corps lui, circule à travers les espaces ; les lieux existent avec et par les objets. On passe d’un lieu à un autre tout en passant d’un espace à un autre. L’espace est en même temps abstrait et concret. On ne peut pas concevoir concrètement, dans le monde factuel, un objet sans espace, sans coin, sans hauteur ni largeur, sans notion de distance, de proche et de lointain.

Il est inévitable de situer quelque chose ou même son propre corps.

L’espace (au sens large du terme) dans lequel on vit et se déplace, est concret et factuel. Je ne pourrai pas affirmer que cette table n’est pas factuellement au sol contre ce mur. Même si cette table était au milieu de la route, elle serait quelque part, posée : c’est ainsi qu’elle existe.

L’expérience inverse (celle de ne pas situer) existe à travers la représentation en art, dans l’espace abstrait, dans l’idée avant le concret, par l’image qui serait détachée de l’expérience concrète et factuelle du corps dans l’espace. Un objet peut exister sans espace seulement dans une autre réalité qui serait, par exemple, celle de la peinture. L’espace est autre, et même s’il y a des indices qui renvoient à l’espace concret (un coin de mur dessiné par exemple), il ne s’agit pas du factuel et de la vérité matérielle et concrète dans laquelle on vit. Il s’agit de la vérité de la peinture.

En effet, il y a une différence entre le concret/factuel en peinture et le concret/factuel dans le réel. J’aimerais d’abord définir ce qui est concret. Quand je parle de concret, je parle des choses que l’on peut saisir par nos sens, le concret c’est le monde matériel dans lequel on vit. Et ce mot se complète avec la notion de factuel car le factuel c’est ce qui est nommable et acquis. Augustin

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Berque l’explique bien dans le chapitre II de Médiance : de milieux en paysages : « l’orange est une orange, quel que soit mon point de vue. Telle est la réalité factuelle du monde physique ».2 Les faits sont reconnus par tous. On peut distinguer deux réalités concrètes et factuelles : celle dans laquelle on vit et celle de la peinture.

J’aimerais comprendre la différence entre le dessin d’un frigo situé et non situé : disons que le frigo situé est la réalité concrète dans laquelle nous vivons et le dessin du frigo non situé est la réalité de l’espace abstrait en art.

- L’objet non situé existe par la réalité abstraite en art.

Dans un espace abstrait, on peut parler de factuel, parfois. Si par exemple nous sommes devant une peinture d’une nature morte on pourrait affirmer que ce que l’on voit est une corbeille de fruits. Dans ce schéma, on peut affirmer qu’il s’agit d’un frigo. Il agit comme une représentation schématisé de l’objet concret que l’on connaît. Mais il est ici comme une indication, un indice et il est rattaché à ce mot qui n’est pas relié à d’autres pour former une phrase.

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« Frigo »

On peut nommer la chose représentée. Mais ici, sa seule vérité est-elle son nom ? Et à quel point on peut affirmer que c’est un frigo ?

Un objet non situé, un objet sans espace connu est seulement un objet que l’on peut nommer. On peut l’identifier par notre expérience du réel puis le nommer : « C’est un frigo ».

- L’objet situé (dans ce cas-ci, il faut se mettre en situation : mon corps devant le frigo dans la cuisine, le schéma évoque cette expérience mais j’entends que le fait d’avoir un dessin détourne la vérité du phénomène). Quand un objet est situé c’est-à-dire qu’il est localisé à tel endroit dans un lieu (une cuisine par exemple), il est non seulement nommable comme on le disait plus haut, mais on peut aussi lui attribuer des spécificités : par son existence réelle, concrète et factuelle mais aussi par le fait que l’on peut le mettre en différence avec les autres éléments de la réalité concrète : objet, murs, corps. On peut : le décrire matériellement, nommer ses différentes utilités si on le manipule, on peut le situer et affirmer : « ce frigo est contre le mur, sur le sol, dans le coin gauche de la cuisine. ».

Donc, un objet situé dans un espace est un objet que l’on peut définir en différence des autres éléments matériels : on peut lui attribuer des spécificités.

Ensuite, nommer la chose c’est la faire devenir objet défini : c’est la vérité par le sens.

Si l’on regarde une peinture et que, d’après ce que l’on voit, on affirme « c’est une baignoire », il ne s’agit pas de la vérité factuelle et concrète dans le sens où ce n’est pas une baignoire dans l’expérience immédiate de mon corps physique mais c’est une vérité dans la reconstruction mentale de tous ces signes qui me sont donnés et qui me permettent d’affirmer « c’est une baignoire ». C’est une autre vérité, une autre réalité, celle de l’image. Et celle-ci existe par notre expérience du monde et donc des idées que l’on a du monde. Donc ce sont deux vérités qui se complètent : la

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vérité de la baignoire matérielle et factuelle et la vérité de l’Idée de la baignoire qui peut exister avec et grâce à l’expérience que l’on a du monde. Il y a aussi, la vérité de l’image ou plutôt, de la représentation. Dans l’image, ce n’est pas seulement la construction matérielle de l’image qui prime (support, papier ou toile) mais plutôt l’Idée qui agit comme une reconstruction.

La reconstruction est l’événement qui regroupe toutes nos connaissances, traductions et interprétations du monde. Il s’agit donc de traduire une image par la connaissance que l’on a du monde et donc d’être en mesure d’affirmer une vérité qui serait la vérité de l’Idée par le biais de l’image. Quand on dit « C’est la peinture de la baignoire », ce n’est pas vrai dans la vérité de l’expérience concrète et factuelle. Il s’agit alors d’une autre vérité s’affirmant dans une autre réalité. Les lignes ici sont l’intermédiaire entre le factuel et l’abstrait (« le monde des Idées »). Elles existent comme construction graphique en vue d’une autre traduction.

On peut maintenant se poser la question : une chose a-t-elle une vérité si on ne la nomme pas ? Ou plutôt, quelle est la vérité d’une chose qui n’est pas nommée ? Si l’on regarde une image et que l’on ne nomme pas ce que l’on y voit : que se passe-t-il ? Ou même s’il ne s’agit pas d’une image, si l’on regarde un objet que l’on ne nomme pas, quelle est sa vérité ? Faut-il impérativement lui donner un sens bien défini pour qu’il puisse exister dans le monde des faits et des définitions? Revenons à l’utilité. L’utilité est-elle liée au sens ou à la définition ? Je tenterai de répondre à cette question par le schéma suivant :

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- L’objet utile a une définition, on peut le nommer rapidement : « c’est un frigo ». Il ne sera pas nécessaire d’en dire plus pour comprendre toutes les spécificités du frigo. Son seul nom lui suffit, il englobe toutes les spécificités qui le définissent. Notre rapport aux objets utiles du quotidien est immédiat et facile.

- L’objet inutile ou inconnu (l’objet d’art, peut-être). L’objet inutile est difficile à nommer. Pour le nommer, il n’est pas suffisant d’employer qu’un seul nom puisque souvent, il n’a pas de nom. Il faut d’abord l’analyser puis faire état de ce qu’il est matériellement pour ensuite essayer de mettre du sens sur cette chose matérielle qui nous est présenté. « C’est une construction, une forme, etc ». Il peut aussi y avoir une interprétation symbolique de l’objet inutile mais je crois que ce serait une surcharge de sens qui ferme toutes les possibilités. - L’objet qui n’existe pas. Je cherchais quel objet n’était pas nommable. Il n’existe pas. Tout

ce qui existe et qui est à la portée de l’Humain est nommé ou peut être nommé (objet d’art).

Les choses existent deux fois : matériellement et par leur nom.

Elles existent : par la présence physique, matérielle et concrète et par la nomination. L’existence par l’idée ou le langage qui s’incarne dans la forme matérielle.

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Je repose à nouveau la question : est-ce que quelque chose qui n’est pas nommé n’existe pas ? Prenons l’exemple du nouveau-né : quand un enfant naît, il existe d’abord concrètement. Même quand il est en développement dans le ventre de sa mère, il existe concrètement : c’est un fœtus. Quand il naît, à quel moment existe-t-il de la manière la plus complète ? Suffit-il qu’il soit un corps pour qu’il existe ? Puis, la question immédiate lorsqu’un enfant naît est « Comment s’appelle-t-il / elle ? ». Alors on peut se dire que le fait de donner un nom à un être vivant ou à un objet lui donne une autre existence. La chose matérielle, dans le sens large, a une existence double. Je me demanderai maintenant si cette existence double existe l’une avec l’autre, en différence ou totalement séparée ?

Je pense qu’on peut totalement les séparer pour comprendre d’une part l’existence matérielle et d’autre part l’existence par le nom mais, par l’acquis et par l’utilisation immédiate, ces deux existences existent l’une avec l’autre, sans savoir laquelle existe plus que l’autre ou laquelle est arrivée avant l’autre. Doit-on se poser la question : quelle existence est la plus importante, la matérielle ou celle donnée par le nom ? Peut-être que nommer quelque chose lui donne une valeur ajoutée et appuie son existence matérielle.

Nomination immédiate et nomination multiple : la construction de la pensée autour d’une chose.

Il s’agit de ce dont je parlais plus haut concernant l’objet utile et l’objet inutile. Je pourrais réajuster ma pensée en parlant d’objet acquis et d’objet non-acquis. Et je suppose que l’objet non-acquis existe seulement dans l’art. L’objet acquis est celui du quotidien. Il est celui que l’on reconnaît immédiatement : la tasse, le lit, la bouteille d’eau, l’ordinateur, le cadre, la fourchette, etc. Il y a aussi l’objet que l’on ne connaît pas par manque de connaissance (un moteur de voiture ou une

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pièce d’un circuit électronique par exemple). Ce sont des objets qui nécessitent une connaissance dans un domaine précis pour qu’ils puissent être identifiés.

Quand la reconnaissance d’un objet n’est pas immédiate ou n’a pas d’utilité précise dans le quotidien, on peut parler du monde de l’art, il nécessite une nomination plus complexe ; son sens est beaucoup plus ambigu et nuancé que le sens de l’objet chaise.

L’objet d’art, (ici je parlerai seulement de ce que je connais le mieux : les objets que je fais) demandent plus de possibilités, plus de nuances.

Un objet d’art ne se nomme pas facilement et immédiatement comme on pourrait le faire avec le mot « table ». L’objet d’art est la chose matérielle et palpable qui nécessite plus de qualificatifs. Il pourrait être nommé par autrui comme étant une roche ou un cône de signalisation, mais il s’agit d’une évocation et non pas de la vérité de l’objet. Alors, peut-on dire qu’une évocation est une vérité ?

Quand un objet nous évoque quelque chose, c’est que, par un phénomène d’association, il nous est rendu présent à l’esprit une idée ou une image. C’est un mécanisme intuitif et instinctif mais qui peut être maîtrisé pour avoir accès au noyau (la vérité). Il s’agit de déconstruire notre expérience du monde factuel pour ouvrir d’autres possibilités aux objets inutiles.

Alors, quand on se trouve devant une installation en art les objets forment un tout ;« installation » est le nom qui regroupera ces objets sous le même toit. Dans le contexte de l’installation, les objets entrent dans un espace de représentation délimité. C’est le passage de la pensée vers le concret, c’est comme faire une peinture dans le réel. L’espace concret devient alors un lieu de (re)présentation et les objets le composent. Ils font image. Ce qui n’est pas le cas dans une chambre par exemple où les objets ont une utilité, empreints de quotidienneté. Dans l’espace de galerie, dans le cube blanc, les objets en relation font image. Le cube blanc est l’espace où les idées s’inscrivent dans le concret, où l’image n’est plus seulement l’évocation de plusieurs idées mais où elle est en plus, active dans le monde factuel. L’installation c’est la rencontre des idées et du factuel/concret. Tandis que la peinture est un espace abstrait où les idées peuvent agir à l’intérieur de l’image mais ne sont pas matérielles et palpables.

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Alors, les objets inutiles dans le cube blanc sont des présences matérielles, résultat de l’Idée. Je me demande maintenant quelle est la vérité d’un objet inutile. Ici, je parle d’une forme en papier mâché.

Il y a donc d’abord sa vérité matérielle : il s’agit d’un objet construit sur une base en fer et modelé à partir d’un processus d’agglomération de pâte de papier. On peut donc affirmer que c’est un objet matériel.

Il y a ensuite sa vérité par le sens : j’aimerais ne pas l’approfondir, l’objet inutile peut ne pas être nommé. Mais on peut dire que c’est une construction, une forme. En revanche, ces deux mots n’évoquent pas facilement et immédiatement ses spécificités.

Nommer, (re)présenter.

J’aimerais parler finalement d’un glissement et d’un aller-retour entre le sens et la représentation. Quand on parle de représentation, on parle plus globalement, d’image. Représenter c’est présenter une deuxième fois. Alors, nous pourrions peut être dire qu’avant cela il y a la présentation qui est la définition, le sens.

La représentation, dans ce cas-ci est réfléchie par rapport à la représentation dans l’image. Représenter c’est l’action de faire glisser une chose concrète dans le support abstrait de l’image pour devenir impalpable.

Une image peut être mentale : c’est un objet de l’esprit.

Ensuite, il y a l’image didactique qui est l’image photographique ou schématique d’une chose. C’est l’image qui documente ou qui témoigne de l’incarnation de l’idée dans l’objet. Par exemple, dans une publicité pour céréales, il y a toujours un bol avec des céréales mis en contexte. C’est une image qui témoigne de l’existence matérielle de la chose et de son usage. Elle est une deuxième preuve de son existence ; en plus de son nom, son sens et sa définition. L’image didactique peut aussi indiquer quelque chose : les panneaux de signalisation, un logo d’un magasin. Elle est un repère visuel dans le paysage. Elle apporte peut-être aussi une compréhension plus directe. Puis, il y a l’image fictionnelle. C’est celle qui renvoie à un espace et à une réalité autre. C’est celle

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qui est rattachée au réel mais qui n’est pas le réel (factuel). Elle ramène en un même lieu, le langage et l’objet. Dans l’image fictionnelle de la peinture il faut différencier l’image qui représente plus ou moins réalistement un objet factuel et l’image qui présente un espace où sont présentées des formes abstraites.

L’image est impalpable, et elle est accessible seulement par la projection, cela agit comme une fenêtre. On est devant l’image et on peut accéder à l’espace de l’image, cet autre monde, cet autre « tout », par la projection, mais on n’est pas à l’intérieur de l’image. Je parle de projection et non pas d’imagination bien que l’imagination, c’est la capacité de se représenter ce qui est immatériel ou abstrait.

La projection, elle, d’après moi, implique le fait d’accepter la réalité de l’objet abstrait : la peinture, l’espace fictionnel, tout en étant présent dans la réalité du corps. Il s’agit alors d’un mélange entre l’imagination et le déplacement mental de sa propre réalité. C’est-à-dire, être en mesure de déplacer son corps, dans l’idée d’effacer le corps pour n’activer que l’esprit. On pourrait comparer cette expérience à la fonction d’un projecteur. L’image que diffuse l’objet qui projette n’est pas dans l’objet mais projetée sur le mur. C’est une image impalpable donc, qui existe par l’activation d’un objet matériel. Image / projecteur, Image / Corps.

Une forme abstraite c’est l’objet dans l’espace abstrait. Les formes qui, dans l’espace de la peinture agissent comme des objets dans l’espace concret. Elles ont une présence, une construction, une facture.

J’aimerais catégoriser trois types de représentations en peinture. 1 – La représentation d’un objet et d’un espace ou lieu que l’on peut facilement reconnaître. 2 – La représentation d’un espace contenant une forme (objet abstrait)

3 – La présentation d’une forme dans un espace sans indication, dans l’espace plan

Ces trois types de représentations ont chacun des degrés différents de ressemblance au réel (factuel). Que l’objet représenté soit reconnu ou abstrait, il appartient, dans tous les cas à la fiction de la peinture ; il ne s’agit pas du concret, matériel et palpable. Il s’agit d’une image d’une chose définie ou non.

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Son fonctionnement est le même que lorsque l’on est au cinéma, devant un film. C’est un dispositif qui demande d’exclure notre environnement factuel pour plonger dans une autre réalité. C’est une réalité dans laquelle notre corps ne peut pas s’inscrire concrètement mais il y a un lien possible et même évident qui s’effectue par notre connaissance du monde et les idées que l’on en a. C’est par la reconstruction et les processus mentaux que cela peut se produire. On se place devant un écran (celui du cinéma ou le support de l’image). Par le phénomène de la perception, notre attention reste devant et dans l’objet visuel. A ce moment-là, notre corps est « oublié », seul le mental agit. Il y a comme une séparation de notre pensée et de notre corps matériel. Mais par la mémoire, chaque élément présenté peut être reconnu et/ou assimilé de telle ou telle manière. On peut alors distinguer la pensée active dans l’espace concret et factuel et la pensée liée à l’observation dans l’espace fictif. Je nommerais cette pensée la pensée contemplative.

L’observation contemplative, j’y reviens, est celle qui permet de se mettre dans une situation d’observation et de plonger dans un monde. Un monde c’est ce qui fait un tout ; qui est complet avec tous les paramètres qu’il contient. Ensuite, succédant à la pensée contemplative vient l’analyse. Ce qu’on peut donc nommer la pensée analytique.

La pensée analytique intervient comme instinctivement, par un processus naturel de l’Homme : faire sens. Se demander ce que c’est, ce que ça implique, d’où ça vient, comment c’est fait. C’est la mémoire et l’expérience de notre corps qui rattrape notre observation contemplative. Cette période de non-jugement où nous sommes seulement observateurs est reliée dans un second temps à cette quête de sens.

Je projette cette idée dans la peinture maintenant. Je distinguais donc trois types de représentations dans ma pratique en art.

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Les images ci-dessus sont des images qui représentent des peintures.

1 – La représentation d’objet concret dans l’espace concret est facilement nommable, il y a une reconnaissance immédiate. Par notre expérience factuelle, je reconnais.

2 – La présentation d’objet abstrait dans un espace concret est moyennement nommable : « c’est une chose dans une pièce ». L’espace est indiqué mais l’objet est inconnu. Peut entrer en jeu la reconnaissance de symboles, des interprétations.

3 – La présentation d’objet abstrait dans un espace abstrait est difficilement nommable. C’est sur un seul plan, par superposition de forme et couleur il peut y avoir un devant / derrière, en haut / en bas mais il n’y a pas de renvoi direct à l’espace que l’on connaît par notre corps. Dans une idée très large et abstraite c’est un peu la base de la réalité dans laquelle on vit. Si on s’en tient au mot, sans plus de spécificité : espace, objet.

C’est, je crois, avoir accès au point de départ des choses : leur existence première, là où on se situe et en regard de quoi : espace, objet.

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Conclusion

Il n’y a, je crois, pas de nécessité à nommer plus que ça. Espace, objet, corps. La représentation ou la présentation en art est peut-être le seul moyen d’accéder à cela. C’est une manière de ne pas juger, d’observer et d’être neutre. Je sais qu’il est évident que l’on n’en reste pas là puisque nous vivons dans le langage. Mais j’aime le faire exister dans une sorte d’utopie. Ou peut-être que notre désir de faire sens peut circuler dans plusieurs degrés d’iconicité. S’arrêter à ce qui est présenté sans trop nommer, sans trop vouloir définir précisément. « C’est une forme ».

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Œuvre dans l’espace / Exposition de fin de maîtrise

Mon exposition de fin de maîtrise diagonale des grilles a été présentée en mai 2019 à la Galerie le 36 dans le Vieux Québec.

Des dessins, des peintures, des objets, une chaise. Bleu, rose, rouge fluo, jaune, blanc. Des grilles, des espaces superposés, du papier mâché, une chaise.

Par la grille, les couleurs et les formes il y a des aller et retour entre les images et les objets. Les œuvres dialoguent les unes avec les autres, ce qui vient en complexifier la lecture. Elles engagent en même temps l'espace de notre corps et celui du lieu.

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Bibliographie

BERQUE, Augustin, Médiance : de milieux en paysage, Montpellier, Reclus ; Paris, Belin, 2000, 156p.

PEREC, Georges. Espèces d’espaces, Paris, Denoël-Gonthier, 1976, 141p.

« Phénomène », dans Portail lexical, http://www.cnrtl.fr/definition/phénomène (page consultée le 4 mars 2019).

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