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L'art féministe et la traversée de la pornographie : érotisme et intersubjectivité chez Carolee Schneemann, Pipilotti Rist, Annie Sprinkle et Marlene Dumas

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Academic year: 2021

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UMI

(2)
(3)

Par Julie Lavigne

Département d'histoire de l'art et d'étude en communication Université McGill, Montréal

© Julie Lavigne, 2004

Une thèse soumise à l'Université McGill en vue de l'obtention du diplôme doctorat

en histoire de l'art

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Published Heritage Branch Direction du Patrimoine de l'édition 395 Wellington Street

Ottawa ON K1A ON4 Canada

395, rue Wellington Ottawa ON K1A ON4 Canada

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Remerciements

l'aimerais, en premier lieu, remercier la directrice de thèse, Christine Ross. Sa rigueur intellectuelle, son sens critique et ses commentaires avisés et généreux m'ont permis d'affiner chacun de mes arguments pour exploiter le plein potentiel des idées soutenues.

Je tiens également à remercier Élisabeth Rousseau et Brigitte Malenfant de leur lecture minutieuse de la thèse et pour leurs judicieux conseils linguistiques. Merci à Jarrett Rudy pour la traduction du résumé de la thèse. Je voudrais remercier Michel Lacroix de m'avoir fait partager son expérience humaine et intellectuelle de thésard. Mes remerciements à Jocelyn Maclure pour nos nombreux échanges théoriques et pour sa générosité intellectuelle. Je suis également redevable à Geneviève Simard pour son soutien moral indéfectible et précieux tout au long du processus doctoral. Merci aussi à Thérèse Saint-Gelais pour avoir attisé mon intérêt à cette discipline qu'est l'histoire de l'art féministe. Et enfin, un merci tout particulier à Stéphan Gervais, pour ses nombreuses (re)lectures de la thèse, pour son soutien et pour sa confiance contagieuse .

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Table des Matières

Liste des illustrations Résumé

Abstract

INTRODUCfION

CHAPITRE 1

L'EROTISME CHEZ CAROLEE SHNEEMANN

Introduction

1. Eye Body: 36 Transformative Actions:

L'érotisme comme objectivation sexuelle positive

2. Interior SeroU:

L'essentialisme et l'érotisme. 3. Fuses:

Quand l'érotisme naît de la pornographie Conclusion

CHAPITRE 2 .

LA PORNOGRAPHIE COMME ELEMENT CONSTITUTIF DE L'EROTISME.

Introduction

1. La distinction entre l'érotisme et la pornographie 2. La pornographie selon Linda Williams.

3. Réarticulation de la dynamique entre l'érotisme et la pornographie. Conclusion

CHAPITRE 3

TESTER LES LIMITES: LA PORNOGRAPHIE DANS L'ART VIDÉO.

Introduction

1. Pornographie et vidéographie

1.1. La vidéo: médium par excellence de la pornographie 1.2. Historique et spécificités du médium.

1.3. Transgression et imitation comme stratégies féministes.

2. Pickelporno de Pipilotti Rist: La vidéo au service de l'excès.

2.1. Description de l'œuvre. Pickelporno: une bande narrative? 2.2. Dévoiler le médium derrière la vidéo: la pornographie et

le mythe de la transparence.

2.3. Imitation ou parodie: la position de Pickelporno

par rapport au genre pornographique.

2.3.1. L'expérience de réception: le choix du dispositif.

v vii viii 1 11 14 30

47

69

78

80 92 112 119 123 125 126 131 134 139 139 143 145 145

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2.3.2. Style et humour. ..

2.3.3. Respect de l'ontologie: vers une diversification de l'aveu et une pornographie multisensorielle.

2.3.4. Vers une féminisation de la convention rhétorique. 2.3.5. Quand la technique affirme le caractère fantasmatique

de la pornographie.

3. The Sluts and Goddesses Video Workshop or How to be a Sex Goddess in 101 Easy Steps d'Annie Sprinkle:

3.1. Description de la bande.

3.2. La quatrième section: Pornographie ou vidéo éducative? 3.2.1. Une subversion queer de la convention hard core.

3.2.2. Ontologie du hard core:

l'éjaculation féminine et la figure money shot.

3.3. La bande comme un tout: entre la scientia sexualis et l'ars erotica.

3.4. Féminisme, identité et sexualité. Conclusion

CHAPITRE 4

GEORGES BATAILLE ET L'ÉROTISME: POUR UNE TRAVERSÉE DE LA PORNOGRAPHIE.

Introduction

1. Le siège de la souveraineté humaine ou l'érotisme selon Georges Bataille 1.1. L'origine de l'érotisme: le début de l'humanité

1.2. L'érotisme comme un jeu entre l'interdit et la transgression. 1.3. L'expérience intérieure de l'érotisme.

1.4. L'évolution de la transgression au sein d'une histoire religieuse. 2. Pour une réactualisation de l'érotisme de Bataille: le sort des interdits sexuels

148 151 154 158 161 161 169 169 171 177 179 181 189 194 194 196 202 208 dans la société actuelle et l'érotisme selon les féministes. 213 2.1. Michel Foucault entre l'interdit sexuel et le concept de limite. 213

2.2. Les femmes dans l'érotisme bataillien. 219

3. Porno Blues et Porno as Collage de MarIene Dumas:

quand la pornographie se fait érotique. 227

3.1. Porno Blues et Porno as Collage: description. 227 3.2. De la photographie au lavis d'encre:

un transfert médiatique de la pornographie. 231

3.3. De l'abjection à l'érotisme: déchirure des images pornographiques. 234

CONCLUSION 248

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Liste des illustrations

Illustration Page

1. Schneemann, Carolee, Eye Body: 36 Transformative Actions for Camera,

1963, photo: Erro 73

2. Schneemann, Carolee, Eye Body: 36 Transformative Actions for Camera,

1963, photo: Erro 73

3. Schneemann, Carolee, Eye Body: 36 Transformative Actions for Camera,

1963, photo: Erro 74

4. Schneemann, Carolee, Interior SeroU, 1975, photo: Anthony McCall 75 5. Schneemann, Carolee, Interior SeroU, 1975, photo: Sally Dixon 75

6. Schneemann, Carolee, Fuses, 1964-67, plan fixe 76

7. Schneemann, Carolee, Fuses, 1964-67, plan fixe. 76

8. Schneemann, Carolee, Fuses, 1964-67, plan fixe. 77

9. Schneemann, Carolee, Fuses, 1964-67, plan fixe. 77

1O.Pipilotti Rist, Pickelporno, 1992, 12 min., couleur, son, plan fixe. 187 Il. Pipilotti Rist, Pickelporno, 1992, 12 min., couleur, son, plan fixe. 187 12. Pipilotti Rist, Pickelporno, 1992, 12 min., couleur, son, plan fixe. 187 13. Pipilotti Rist, Pickelporno, 1992, 12 min., couleur, son, plan fixe. 187 14. Pipilotti Rist, Pickelporno, 1992, 12 min., couleur, son, plan fixe. 187 15. Annie Sprinkle et Maria Betty, couverture de la vidéo The Sluts &

Goddesses Video Workshop or How to be a Sex Goddess in 101 Easy Steps,

1992,52 min., couleur, son. 188

16. Annie Sprinkle et Maria Betty, The Sluts & Goddesses Video Workshop,

52 min., couleur, son, 1992, plan fixe. 188

17. Annie Sprinkle et Maria Betty, The Sluts & Goddesses Video Workshop,

52 min., couleur, son, 1992, plan fixe. 188

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III ustration Page 18. Annie Sprinkle et Maria Betty, The Sluts & Goddesses Video Workshop,

52 min., couleur, son, 1992, plan fixe. 188

19.MarIene Dumas, Porno Blues, 1993, lavis d'encre et aquarelle

sur papier, 30,5 X 22,5 cm chaque dessin 246

20. Mariene Dumas, Porno as Collage, 1993, lavis d'encre sur papier,

39,5 X 30,5 cm chaque dessin 246

21. Mariene Dumas, A Noir, 1998, installation de 5 lavis d'encre

et aquarelle sur papier, 125 X 70 cm chaque dessin 247

22.MarIene Dumas, Josephine, 1997, lavis d'encre et aquarelle

sur papier, 123 X 70 cm 247

23. Mariene Dumas, Supermodel, 1995, lithographie sur papier,

66,5 X 51,5 cm 247

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Résumé

L'importance croissante de la pornographie depuis sa commercialisation vers la fin des années soixante-dix modifie le paysage artistique de la représentation de la sexualité. On assiste alors à une transformation de l'horizon d'attente de l'image pornographique, de la définition de l'érotisme et du rapport entre ces deux notions. Dans cette perspective, la présente thèse se concentre sur l'analyse de l'appropriation de certains traits distinctifs de la pornographie hard core dans la pratique artistique féministe. Plus spécifiquement, il s'agit d'une recherche qualitative sur les interrelations entre l'érotisme et la pornographie dans l'art féministe des années quatre-vingt-dix. La thèse procède à l'analyse approfondie de certaines œuvres de Pipilotti Rist, d'Annie Sprinkle, de MarIene Dumas auxquelles s'ajoutent trois œuvres d'une précurseure de la représentation de la sexualité explicite, soit Carolee Schneemann. L'analyse des œuvres vise grande partie à redéfinir les notions de pornographie et d'érotisme, en s'inspirant principalement des travaux menés par Linda Williams pour la première notion et par Georges Bataille pour la seconde. Le contexte théorique de la thèse, qui s'avère être également le contexte historique des œuvres, est constitué par les approches disciplinaires qui ont le plus contribué à comprendre le débat autour de l'érotisme et la pornographie, à savoir: l'histoire de l'art, la philosophie, les études féministes, la théorie queer, la sémiologie et la psychanalyse.

Les résultats de la thèse sont de plusieurs ordres. D'abord, la dynamique entre l'érotisme et la pornographie ne doit plus être comprise comme une relation d'opposition; les deux modalités d'expression sont en fait souvent coprésentes dans une même oeuvre. Par ailleurs, les femmes ne sont plus uniquement victimes de la pornographie (elles sont de plus en plus nombreuses à assumer le rôle d'auteure pornographique) et les analyses d'œuvres confirment que les féministes s'approprient le genre pour explorer une diversité d'érotismes de femmes et proposer une forme de pornographie féministe de nature intersubjective. Finalement, l'utilisation de traits propres à la pornographie par les femmes artistes concourt à la revendication d'une subjectivité de femme plus complexe et plus complète, qui ne serait plus uniquement politique, mais également sexuelle .

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Abstract

The increasing importance of pornography since its commercialization at the end of the seventies modified the artistic landscape of sexual representation. What has occurred is a transformation of the horizon of expectations of pornographie images, the definition of eroticism and the relationship between the two notions. In this perspective, the thesis concentrates on the analysis of the appropriation of certain distinct traits of hard core pornography in feminist art. SpecificaIly, it is a qualitative analysis of the interrelations between eroticism and pornography in feminist art during the 1980s. The thesis proceeds to an in-depth analysis of several works by Pipilotti Rist, Annie Sprinkle, and MarIene Dumas as weIl as adding three earlier works of sexually explicit representation by Carolee Schneemann. Theanalysis of these works aims to redefine notions of pornography and eroticism, drawing on the work of Linda Williams for the first definition and Georges Bataille for the second. The theoretical context of the thesis, which also turns out to be the historical context of the works, is made up of disciplinary approaches that have most contributed to the debate around eroticism and pornography: art history, philosophy, feminist studies, queer theory, semiology and psychoanalysis. The thesis makes several conclusions. First, the dynamie between eroticism and pornography does not have to be considered oppositional; the two methods of expression are frequently both represented in the same work. AIso, women are no longer uniquely victims of pornography (they are increasingly in the role of pornographic auteure) and the

analysis of these works confirms that feminists have appropriated the genre to explore a diversity of female eroticisms and propose a form of feminist, intersubjective pornography. Finally, the use by female artists of syntaxes and features typical of pornography helps to bring about a demand for a more complete and complex female subjectivity which is no longer only politieal, but also sexual.

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La suprême interrogation philosophique coïncide, je le pense, avec le sommet de l'érotisme.2

Georges Bataille

INTRODUCTION

La sortie à quelques années d'intervalles des films Romance de Catherine Breillat (1999) et Baise-moi de Virginie Despentes et Coralie Trinh-Thi (2000), du récit La vie sexuelle de Catherine M. de Catherine Millet (2001) et du roman Putain de Nelly Arcan (2001), laisse croire à une nouvelle mouvance esthétique. La mouvance n'est cependant pas si nouvelle, car une vague similaire d'artistes exploitant certains traits de la pornographie s'est amorcée dix ans auparavant en art visuel, une vague qui perdure encore aujourd'hui. La décennie qui sépare l'émergence artistique de son succès littéraire et cinématographique représente possiblement le temps qu'il fallait pour qu'une nouvelle énonciation féministe prenne de l'ampleur. Cependant, on est en droit de se demander s'il s'agit de la même mouvance. À la lumière du dernier hors série de la revue française

art press qui se consacre à la pornographie artistique et commerciale faite par les femmes3, il semble que oui, et ce, en dépit du fait que le phénomène revête des formes de

plus en plus diverses. Dans la présente thèse, c'est le début du phénomène de la pornographie féministe en art que nous désirons analyser

Comment et pourquoi un travail artistique utilise-t-il la pornographie à des fins non seulement féministes, mais aussi érotiques? Voilà la question que pose le corpus d'œuvres que nous avons choisi d'analyser dans la thèse. Les œuvres d'Annie Sprinkle, de Pipilotti Rist, de MarIene Dumas et celles plus anciennes de Carolee Schneemann traitent toutes de la représentation de la sexualité de manière explicite. Bien que la

1 Walter Kendrick, The Secret Museum: Obscenity and the Origine of Modemity, 1500-1800, New York, Viking Penguin, 1987, p. 31.

2 Georges Bataille, L'Érotisme, Paris, Éditions de Minuit, coll.« Argument »,1957, p. 303.

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sexualité, à des degrés divers certes, soit un thème des plus récurrents en histoire de l'art, il n'en demeure pas moins qu'il devient plus complexe et plus litigieux lorsqu'il est traité de façon pornographique par des femmes artistes. À titre d'exemples: quel sens prend une production artistique de type pornographique lorsqu'elle inclut le corps même de l'artiste? Pourquoi des artistes femmes choisissent-elles de traiter de la pornographie en art visuel? Quels avantages féministes, esthétiques, artistiques ou conceptuels peuvent-elles en tirer?

Pour amorcer la réflexion, il faut rappeler que la relation des femmes avec la pornographie a fait couler beaucoup d'encre depuis sa commercialisation sous forme cinématographique vers la fin des années soixante-dix. Au cours des années quatre-vingt, une forme de consensus s'installe au sein des différents mouvements féministes, particulièrement aux États-Unis avec le Women Against Pornography (W AP) de New

y ork et le Women Against Violence in Pornography and the Media (W A VPM) de la côte

ouest, à l'effet que la pornographie exploite les femmes, les dégrade, les déshumanise. Certaines féministes radicales, dont Catherine MacKinnon et Andrea Dworkin, iront jusqu'à affirmer que la pornographie tue littéralement les femmes. À ce sujet, rappelons seulement l'expression d'Andrea Dworkin très révélatrice de la rhétorique antipornographie : « the erotization of murder is the essence of pornography ... 4 ». Il faut

dire que la pornographie commerciale, prise au pied de la lettre et surtout sans son contexte sexuel, alimente une image de la femme-objet qui peut aisément être perçue comme dégradante. En effet, les scènes d'éjaculation sur le visage, de soumission et parfois même de simulation de viol ne peuvent que concourir à la mauvaise presse du genre. Mais justement, la pornographie prend sa source et se destine au domaine du fantasme sexuel. Il s'agit là d'une donnée d'une importance capitale qui contribuera à l'émergence d'une certaine dissidence au sein des féministes. À partir du début des années quatre-vingt, un féminisme plus libéral - les féministes les plus connues de cette tendance étant Gayle Rubin5, Pat Califia6, Judith Butler7 et Jessica Benjamin8 - militera

4 Adrea Dworkin, « Pornography and Grief », dans Take Back the Night : Women on Pornography, éd. par Laura Lederer, New York, William Morrow and Compagny, 1980, p. 288.

5 Gayle Rubin, « Thinking Sex: Notes for a Radical Theory of the Poli tics of Sexuality » dans Carole S. Vance (éd.), Pleasure and Danger: Exploring Female Sexuality, New York et Londres, Routledge, 1984, p.267-319.

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contre la censure de la pornographie. La majorité de ces féministes, à l'exception de Benjamin, sont d'ailleurs à l'origine de l'intégration de la théorie queer. La recherche

d'une liberté d'expression pour une sexualité plus marginale - à la base de la théorie

queer - partage plusieurs objectifs avec la revendication de la liberté d'expression pornographique. Le cas de Pat Califia est exemplaire à ce sujet: féministe queer et

écrivaine de pornographie sadomasochiste, ses écrits, tant fictionnels que théoriques, furent longtemps censurés au Canada bien que l' auteure considère la pornographie comme un moyen d'expression de sa différence et une manière de vivre pleinement sa sexualité.

Une question s'impose alors: qu'est-ce que la pornographie? Cette notion souvent tenue pour acquis est rarement définie de manière exhaustive. Pourtant, en présence d'un film ou d'une photographie montrant explicitement un acte sexuel, toute personne se forge très rapidement sa propre opinion à savoir si oui ou non le produit est de nature pornographique. Mais, en l'absence d'une définition claire, il est difficile de juger objectivement si une œuvre est pornographique ou non. Au moment où des pourparlers sont bien amorcés au sujet du remaniement de certains articles de la loi canadienne c-20 sur la pornographie infantile9, il est important de se poser des questions sur les idéologies

qui alimentent nos critères de discrimination de ce qui est pornographique et de ce qui ne l'est pas. La position officielle du Parti Conservateur tenue pendant la campagne fédérale du printemps 2004 prône, par exemple, une tolérance zéro par rapport à la pornographie infantile au Canada, c'est-à-dire l'élimination pure et simple de la clause du « mérite artistique ». Mais cette position est bien peu étofféelO, ne définissant pas les concepts

d'art et de pornographie. S'il est complexe de déterminer où se situe la frontière entre l'art et la pornographie, il est encore plus litigieux d'établir le type de sanction juridique à attribuer à la pornographie. La question est d'ordre moral et nécessite un questionnement

7 Judith Butler, « The Force of Fantasy : Feminism, Mapplethorpe, and Discursive Excess », Differences: A Journal of Feminist Cultural Studies, vol. 2, n° 2, (1990), p. 105-125.

8 Jessica Benjamin, « Sympathy for the Devi! : Notes on Sexuality and Agression, with Special Reference to Pornography », dans Jessica Benjamin, Like Subjects. Love Objects. Essays on Recognition and Sexual

Difference, New Haven et Londres, Yale University Press, 1995, p. 175-221.

9 Voir le site de la Conférence canadienne des arts: http://www.ccarts.ca/fre/Olnewlloic20info.html et le site officiel de la Chambre des communes du Canada:

http://www.parl.gc.ca/37/2/parlbus/chambus/house/bills/governmentlC-20/C-20_1/90207bF.html

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impartial juridique, non pas politique. En fait, peut-on seulement délimiter de manière objective les champs sémantiques de l'art et de la pornographie? Et doit-on le faire? Dans le cas de la pornographie infantile, il est essentiel de faire une distinction, mais dans le cas d'une représentation entre des personnes adultes et consentantes, la réponse s'avère moins claire.

Dans le discours contre la pornographie, les féministes utilisent fréquemment le terme

« érotisme» pour qualifier toute représentation à caractère sexuel qui ne répond pas à leurs critères de la pornographie. Cependant, il appert qu'aucune de ces féministes ne définit concrètement ce que représente l'érotisme, ni ce qui est du ressort de la pornographie. Il est évident que l'érotisme est un concept flou utilisé afin que les féministes puissent affirmer que ce n'est pas la représentation de la sexualité en tant que telle qui est néfaste pour la femme, mais bien le type de représentation. De cette manière, les féministes indiquent que toute représentation qui porte préjudice aux femmes relève de la pornographie alors que l'érotisme les célèbrell

. Une distinction qui semble à

première vue légitime, mais qui suppose que l'on sache ce qui est bon pour toutes les femmes. Le domaine de la sexualité étant plus complexe, et surtout, distinct de la subjectivité sociale des femmes, suggère qu'il est difficile sinon périlleux d'avancer ce qui est bon ou nocif pour elles. Une telle distinction ne peut advenir à moins d'y faire intervenir un jugement moral qui brime par ailleurs la liberté sexuelle.

En histoire de l'art, la notion d'érotisme s'avère aussi difficile à cerner. Entre une sensualité dans les œuvres et une représentation jugée pornographique, comme celle de Robert Mapplethorpe ou de Andres Serrano, l'érotisme est une notion galvaudée. Même si pour Étienne Souriau, l'érotisme constitue une catégorie esthétique reconnue12

, il reste

qu'il est très subjectif de déterminer si une œuvre est érotique ou non dans un contexte esthétique. Est-il possible de définir ce qu'est l'érotisme? Comment le faire le plus objectivement possible? Nous tenterons également de répondre à ces questions, d'abord indirectement par la relation qu'entretient l'érotisme avec la pornographie puis de front à

llL'article de Gloria Steinem est un exemple parfait de ce type de distinction, « Erotica and Pornography : A Clear and Present Difference », dans Take Back the Night. Women on Pornography, éd. par Laura

Lederer, New York, William Morrow and Compagny, 1980, p. 35-39.

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l'aide des théories développées par un des auteurs ayant approfondi la compréhension de la notion d'érotisme: Georges Bataille.

En réalité, le débat féministe en histoire de l'art a moins été mobilisé par la question de la pornographie et de l'érotisme que dans les domaines des études cinématographiques et de la philosophie. En histoire de l'art, c'est la problématique de la représentation du corps féminin qui est l'enjeu majeur. Le débat vient en grande partie d'une réaction à une pratique artistique féministe qui, très tôt dans son histoire, met en scène le corps féminin nu de l'artiste. C'est surtout à travers la performance que s'exprime la tendance, que l'on nomme aussi le Body Art13• La pionnière de cette pratique est sans aucun doute Carolee Schneemann, car dès 1963, l'artiste américaine utilise son propre corps nu dans une installation in situ, Eye Body: 36 Transformative Actions. L'œuvre de Schneemann, mais aussi celle d'Hannah Wilke, de Judy Chicago et de Lynda Benglis influencent grandement le discours féministe en art. Rapidement, soit dès la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, la pratique du Body Art est vivement critiquée.

En particulier, les théoriciennes et historiennes de l'art anglaises utilisant le poststructuralisme et les théories freudiennes et lacaniennes, telles que Laura Mulvey, Griselda Pollock, Mary Kelly et Lisa Tickner, rejettent d'emblée toute légitimité d'une prise en charge de la représentation du corps féminin par les femmes. L'autoreprésentation ou la représentation du corps féminin sont alors remises en cause comme une stratégie féministe valable, car pour les théoriciennes anglaises, même en tant qu'autoportrait, le corps féminin ne peut éviter l'objectivation sexuelle ou l'essentialisation comme Autre. Pendant presque deux décennies, ce type de discours domine le champ de l'histoire de l'art féministe. Il demeure encore très fréquent aujourd'hui. Mais au même moment qu'une dissidence s'installe au sein du mouvement féministe au sujet de la pornographie, un colloque charnière tenu le 24 avril 1982 au Barnard College, The Scholar and the Feminist IX Conference, expose clairement qu'une

tendance nouvelle s'installe en histoire de l' artl4• En théorie comme en histoire de l'art, la

tendance se manifeste par une relecture plus positive de la pratique du Body Art et de la

13 Voir à ce sujet l'ouvrage d'Amelia Jones, Body Art: Performing the Subject, Minneapolis et Londres,

University of Minnesota Press, 1998,349 p.

14 Les actes du colloque sera édité par Carole S. Vance, Pleasure and Danger: Exploring Female Sexuality,

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nouvelle génération d'artistes qui reprend les thèmes similaires de la sexualité, du corps féminin et de l'autoportrait. Mais c'est dans les années quatre-vingt-dix que l'on assiste à un véritable retour au corps. On réfère d'ailleurs souvent, à la suite de l'exposition de Marcia Tucker au New Museum of Contemporary Art, à une attitude de Bad Girls'5.

Notre corpus se situe exactement dans cette mouvance. Comme repère plus commun, on peut citer l'évolution de l'œuvre de Cindy Sherman qui représente en quelque sorte la pointe de l'iceberg de cette tendance en art. Amelia Jones, Johanna Frueh, Harmony Hammond et Peggy Phelan représentent, quant à elles, cette nouvelle génération d 'historiennes de l'art, souvent considérée à tort de postféministe, qui nuance davantage les notions d'essentialisme et d'objectivation sexuelle, notamment en prenant en considération le contexte de création des œuvres. Nous l'affirmons: cette thèse s'inscrit dans cette génération d'historiennes de l'art et fait état des différents débats autour de la question de la sexualité, de la représentation du corps féminin, de l'érotisme et de la pornographie.

Comme nous l'avons déjà précisé, la pornographie en art n'a pas été abordée de front en histoire de l'art dans une perspective féministe. C'est ce manque que nous tenons à combler avec cette thèse. Il est vrai que la pornographie dans l'art féministe n'est pas une thématique très commune, mais il existe une pratique qui s'avère très porteuse. Malgré la contradiction qu'il peut y avoir à première vue entre la production artistique et la pornographie et entre le féminisme et le genre pornographique, l'intégration de caraCtéristiques propres à la pornographie hard core existe dans l'art féministe depuis ses

débuts et se poursuit sous une forme plus ou moins marginale tout au long de sa courte histoire.

Afin d'étudier les enjeux et les significations de l'utilisation de traits distinctifs de la pornographie, nous avons fait certains choix méthodologiques. La première de ces décisions fut de restreindre notre corpus à quelques œuvres très significatives afin d'en faire des analyses substantielles plutôt que de dresser un tableau plus descriptif de toutes les œuvres qui peuvent traiter du sujet. Autrement dit, nous avons pris le parti de faire une recherche qualitative plutôt que quantitative. La sélection des œuvres a été d'une

15 Marcia Tucker (conservatrice), Bad Girls, Catalogue d'exposition (New Museum of Contemporary Art, New York, 14 janvier au 27 février 1994) Cambridge, MIT Press, 1994, 144 p.

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grande importance et motivée d'abord et avant tout par la présence d'éléments propres à la pornographie. Nous avons tenu néanmoins à ce que les œuvres aient été faites durant les années quatre-vingt-dix à quelques années d'intervalle et à prendre des œuvres d'artistes déjà reconnues par le système (galeries, revues, musées et biennales). Le sujet portant déjà à controverse, souvent à mi-chemin entre le « Grand art» et l'art populaire, la décision de choisir des artistes reconnues en art visuel s'imposait. Mais surtout, nous voulions un corpus d'œuvres d'artistes qui se sont intéressées régulièrement et de façon spécifique à la question de la pornographie et de l'érotisme, ayant aussi une réflexion artistique pertinente et élaborée sur le sujet. Ainsi, The Slut & Goddesses Video

Workshop or How to Be a Sex Goddess in 101 Easy Step (1992) d'Annie Sprinkle,

Pickelporno (1992) de Pipilotti Rist ainsi que Porno as Collage (1993) et Porno Blues

(1993) de Mariene Dumas correspondent parfaitement aux critères que nous avons fixés. Pour analyser les œuvres, nous n'avons pas suivi de méthode à la lettre, si ce n'est que de respecter les trois niveaux de l'analyse iconologique d'Erwin Panofsky tout en les adaptant largement à' des œuvres contemporaines: une description minutieuse des œuvres, suivie d'une analyse et d'une interprétation16

• Par contre, il serait plus juste de

dire que plutôt que de suivre une méthodologie ou une grille d'analyse rigide, nous avons intégré différentes approches théoriques dans l'analyse des œuvres. Ainsi, la sémiologie, la psychanalyse, le féminisme, la théorie queer, la philosophie, l'esthétique et l 'histoire de l'art ont alimenté notre réflexion sur les œuvres du corpus. En fait, comme ces approches théoriques sont contemporaines des œuvres, elles en constituent le contexte historique. Elles s'imposent également comme lignes directrices pour l'analyse car elles font partie intégrante du débat sur les relations entre les femmes, l'art, l'érotisme et la pornographie. Il est évident qu'étant donné notre but - l'analyse de la signification des emprunts à la pornographie dans le travail artistique féministe contemporaine- l'étude des œuvres se base principalement sur une délimitation sémantique de la pornographie et de l'érotisme que les œuvres elles-mêmes alimentent. Ces différentes définitions structurent concrètement notre approche des œuvres.

16 EIWin Panofsky, Essais d'iconologie. Thèmes humanistes dans l'art de la Renaissance, Trad. par Cl.

Herbette et B. Teyssèdre, Paris, Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines,1967, 396 p. Voir aussi le texte de René Payant,« De l'iconologie revisitée », dans Vedute : Pièces détachées sur l'art. 1976-1987, Laval, Trois, 1987, p. 31-49.

(19)

À

la source de cette thèse, nous avions plusieurs hypothèses de recherche. D'abord, nous croyons que l'importance considérable que prend la pornographie dans la société occidentale au cours des trois dernières décennies ne peut que transformer 1 'horizon d'attente de celle-ci, la conception de l'érotisme et la relation entre ces deux concepts. Plus encore, nous croyons que, depuis les années quatre-vingt, l'érotisme ne peut que tenir compte de la pornographie, que ce soit par opposition ou en adhérant plus ou moins à ses préceptes. Cette nouvelle réalité est d'autant plus aiguë chez les femmes car, d'une part, la société et une majorité de féministes les considèrent comme victimes de la pornographie et, d'autre part, on associe l'érotisme aux femmes comme on associe la pornographie aux homme. Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, une mutation s'opère, à notre avis, dans une fraction de la pratique féministe plus libérale qui refuse la victimisation des femmes comme postulat et qui tente d'exprimer une autre voix au sujet de la sexualité et du désir des femmes. La déconstruction d'une essentialisation de la sexualité féminine comme étant nécessairement reliée à l'amour ou la tendresse pousse plusieurs féministes et artistes femmes à se tourner vers la pornographie. À mi-chemin entre la déconstruction de ce mythe et d'une exploration d'une diversité de sexualités plus libres, brutes ou crues, la pornographie offre une avenue porteuse pour redéfinir l'érotisme des femmes. Rejetant une version édulcorée de la pornographie hard core, des artistes - Pipilotti Rist, Annie Sprinkle et MarIene Dumas en sont les exemples les plus pertinents - travaille une forme de pornographie artistique souvent plus obscène que sa version commerciale. C'est la problématique de la relation érotisme/pornographie en conjonction avec la mutation au sein du mouvement féministe que nous désirons étudier dans cette thèse.

Or, en retraçant la généalogie de la représentation de la sexualité en art féministe afin de déterminer le contexte d'émergence de cette nouvelle énonciation pornographique ou érotique, nous nous sommes rendue compte qu'elle s'amorce en réalité dans l'œuvres de Carolee Schneemann. Nous débutons ainsi cette recherche par une étude de trois œuvres majeures dans le travail de cette artiste. Qui plus est, l'analyse des œuvres de Schneemann permet de passer en revue les différentes écoles de pensée féministe en histoire de l'art sur la représentation de la sexualité de manière explicite, l'objectivation sexuelle, le féminisme essentialiste, l'érotisme et la pornographie.

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Ensuite, pour bien comprendre le contexte théorique et historique dans lequel s'inscrivent les œuvres du corpus, nous faisons état des différentes distinctions qui existent entre l'érotisme et la pornographie tout en tentant d'analyser les idéologies qui les fondent. Puis, nous allons tenter de délimiter le champ sémantique de la pornographie par le recours aux écrits de la théoricienne américaine du cinéma, Linda Williams, du philosophe français, Michel Foucault et aux les essais sur l'histoire de la pornographie de Walter Kendrick et de Lynn Hunt. De même, nous allons insister sur les liens qu'entretiennent la pornographie avec le fantasme défendus par Judith Butler et Jessica Benjamin, car nous croyons qu'il s'agit d'une dimension essentielle pour comprendre l'utilisation de la pornographie à des fins artistiques, mais surtout féministes. Cette définition de la pornographie nous permettra également d'émettre notre hypothèse quant à la relation entre les concepts d'érotisme et de pornographie dans un contexte actuel.

Les outils théoriques que nous proposent la délimitation sémantique de la pornographie et sa relation avec l'érotisme rendent possible l'analyse concrète de la matière pornographique et possiblement érotique dans les œuvres du corpus. Nous débutons l'étude par les œuvres vidéographiques du corpus, car elles sont plus près formellement de la pornographie commerciale et enrichissent sa compréhension. Nous tenterons plus spécifiquement d'interpréter ce que les œuvres expriment en utilisant certains aspects de la pornographie et vers où elles dirigent le genre. Par exemple, est-ce que les œuvres manifestent une féminisation de la pornographie? Critiquent-elles le genre? Est-ce que les œuvres émettent une opinion favorable envers le hard core et

jusqu'à quel point? Les œuvres érotisent-elles la pornographie et dans quel sens?

À cette étape, nous devons définir notre conceptualisation de l'érotisme. Pour ce faire, nous aurons recours à l'appréhension de la notion la plus complète et la plus riche que nous ayons rencontrée, soit celle de Georges Bataille. En fait, il s'agit de la seule définition qui permette d'interpréter et de comprendre la signification des œuvres du corpus et du phénomène artistique de la pornographie féministe. Nous devons néanmoins actualiser la définition bataillienne par le biais des critiques ou interprétations formulées par Michel Foucault, Julia Kristeva et Jessica Benjamin. Enfin, nous avons tous les outils théoriques nécessaires pour analyser les nouvelles interrelations entre l'érotisme, la pornographie et l'énonciation féministe dans les œuvres MarIene Dumas. De plus, ces

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œuvres offrent des éléments afin compléter l'actualisation de la notion d'érotisme et son adaptation au contexte artistique et féministe.

En terminant, si la pornographie devient un objet d'étude sérieux vers la fin des années quatre-vingt avec des ouvrages comme ceux de Walter Kendrick et de Linda Williams17

, le phénomène de l'utilisation de certains traits du genre en art visuel n'a fait

l'objet d'aucune recherche sérieuse jusqu'à maintenant. Il y a les travaux d'Amelia Jones, de Lynda Nead et de Rebecca Schneider sur la représentation de la sexualité en art visuel chez les femmes artistes, mais aucun de ces ouvrages ne s'attaque directement à la problématique de l'utilisation de la pornographie en art contemporain. Afin de mener à terme ce projet, la thèse offre une définition concrète de la pornographie en prenant en considération son histoire, ses critères ontologiques, ses conventions et ses liens avec le fantasme. Bien que la définition que nous proposons s'inspire grandement des résultats de l'étude de la pornographie de Linda Williams, nous l'avons adaptée aux spécificités propres à l'art féministes des années quatre-vingt-dix. Nous avons aussi poussé plus loin les aspects que nous jugeons cruciaux pour comprendre de manière novatrice le phénomène hard core, notamment en relation avec le fantasme. De même, nous avons adapté la notion d'érotisme telle que Georges Bataille la conçoit à un contexte à la fois féministe et d'histoire de l'art, ce qui est en soi un projet inédit. En effet, en histoire de l'art, c'est surtout le concept d'informe chez Bataille qui a retenu l'attention et non pas la notion d'érotisme qui a plutôt l'attention des chercheurs en littérature. Nous croyons que l'adaptation de l'érotisme bataillien en histoire de l'art est une avenue pertinente pour comprendre la problématique de l'appropriation de la pornographie en art et qui permet de concevoir un relation entre érotisme et pornographie qui ne soit pas une relation d'opposition. Plus généralement, la thèse sera l'occasion, par le biais d'analyse d'œuvres, de présenter de nouveaux angles d'analyse féministe sur les thèmes de l'objectivation sexuelle, de la dichotomie essentialisme / anti-essentialisme et de la tension entre érotisme et pornographie.

17 L'ouvrage de Walter Kendrick The Secret Museum: Obscenity and the Origin of Modernity, 1500-1800

sort en 1987 et celui de Linda Williams, Hard Core, Power, Pleasure, and the« Frenzy of the Visible»

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CHAPITRE 1:

L'érotisme chez Carolee Schneemann.

Introduction

Compte tenu de l'importance de la production artistique de Carolee Schneemann, l'étude de son travail s'impose dans une généalogie de la représentation de la sexualité explicite dans l'art des femmes. Presque trois décennies séparent le début de la production de Schneemann des œuvres du corpus, soit celles de Pipilotti Rist, de MarIene Dumas et d'Annie Sprinkle. Malgré cet écart de temps, plusieurs rapprochements pertinents peuvent être faits entre les œuvres choisies et la production de Schneemann. En fait, le travail de cette dernière est celui d'une défricheuse dans la production d'œuvres féministes traitant explicitement de sexualité, de pornographie et d'érotisme. Jay Muphy, dans un article reliant le travail de Schneemann à celui d'Antonin Artaud, attribue à l'artiste américaine un rôle de pionnière, tout en émettant une importante nuance :

Schneemann's assertions of female power and sexual pleasure, often based on an archetypal feminine, have an overwhelming positivity compared to the works of many young feminist artists who engage an erotic ambivalence that frequently and aggressively invites the abject. For these artists, as weIl as for feminist art in a more general sense, Schneemann remains a problematic pioneer. 1

Le travail de Schneemann peut effectivement être complexe, particulièrement en ce qui concerne la question de la sexualité. Le problème réside dans la manière de traiter de sexualité. À prime abord, le traitement direct voire utopiste du sujet dans le travail de

1 Jay Murphy, « Assimilating the Unassimilable : Carolee Schneemann in Relation to Antonin Artaud »,

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Schneemann peut sembler naïf. Toutefois, son traitement de la sexualité s'inscrit parfaitement dans les balbutiements de la révolution sexuelle qui s'opère en Amérique de Nord comme en Europe à cette époque. Comme l'analyse des œuvres en témoignera, la naïveté apparente du traitement de la thématique sexuelle implique un questionnement épineux autour de trois enjeux bien précis, qui découlent tous d'une quête d'érotisme: l'objectivation sexuelle, les positions essentialistes autour du corps féminin et de sa sexualité (l'archétype féminin auquel réfère Jay Murphy dans la citation ci-dessus en fait partie) et la représentation explicite d'actes sexuels. Ces enjeux nous interrogent véritablement. En effet, la discipline féministe en général, comme l'histoire de l'art en particulier, cherchent plutôt à abolir l'objectivation sexuelle, à rejeter l'essentialisme ainsi qu'à combattre la pornographie. Or, le travail de Schneemann propose de nouvelles voies qui vont souvent à l'encontre des positions traditionnelles et permettent de sortir de certaines impasses féministes. Il n'est donc pas étonnant de voir Schneemann se faire coller une étiquette de « problematic pioneer ».

À ce sujet, il est intéressant à noter qu'avant le milieu des années quatre-vingt-dix, la production de l'artiste ne figure que parcimonieusement dans les écrits touchant la représentation de la sexualité dans l'art des femmes. Nous croyons qu'il y a deux raisons à cela. La première est une question de découpage historique: une grande partie de la production de Schneemann provient des années soixante alors que les anthologies sur l'art féministe ou l'art des femmes débutent avec les années soixante-dix. La deuxième raison est d'ordre idéologique: son travail controversé ne s'inscrit pas dans le courant du discours dominant féministe durant les deux décennies cruciales où s'élabore l'histoire de l'art féministe.

Par exemple, le texte le plus important portant directement sur le thème de la sexualité dans la production féminine en art est sans aucun doute «The Body Poli tic : Female Sexuality and Women Artist since 1970 », écrit en 1987 par Lisa Tickner, et paru dans

Framing Feminism : Art and the Women's Art Movement 1970-1985. Dans ce texte,

Tickner analyse et critique la production contemporaine, qu'elle sépare en quatre rubriques: «the male as motif» ; «vaginal iconology» ; «transformation and processes » ; « parody : self as object ». Ce texte contribue certainement à une étude sur la thématique de la sexualité dans les œuvres de femmes. Toutefois, une adaptation

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s'avère nécessaire compte tenu des différents changements dans la production artistique féministe mais surtout parce que la prémisse de notre travail diffère considérablement de celle de l'auteure. En effet, Tickner considère que

Paradoxically then, the most significant area of women and erotic art today is that of the de-eroticizing, the de-colonizing of female body; the challenging of its taboos ; and the celebration of its rhythms and pains, of fertility and childbirth. Narcissism and pas si vit y must be replaced by an active and authentic sexuality ... 2

Or, notre but est justement d'analyser la production qui garde un aspect érotique. Il faut alors se poser la question suivante: Tickner appuie-t-elle la désérotisation dans le travail des femmes? Il semble que oui. Mais surtout, c'est que Tickner réussit à identifier le processus de désérotisation à l' œuvre dans l'art féministe traitant de sexualité. C'est précisément pour cette raison que le texte de Tickner est un texte-clé en histoire de l'art féministe. À cet égard, « The Body Politic» est possiblement à l'origine du désintéressement féministe face à la notion d'érotisme.

Par ailleurs, on est aussi en droit de se poser les questions suivantes: qu'est-ce que l'érotisme chez Tickner ? Pourquoi a-t-elle gardé ce terme alors qu'il est vidé de son contenu sémantique, même le plus général et le plus englobant possible? Cela dit, il n'est pas surprenant qu'une œuvre aussi chargée d'érotisme que celle de Carolee Schneemann ne soit qu'à peine mentionnée, et ce, sous la rubrique « parody ; self as object» avec le travail d'Hannah Wilke, de Lynda Benglis et de Cosey Fanni Tutti. Qui plus est, ladite rubrique pose visiblement problème selon l'auteure, car on peut y lire:

The depiction of women by women (sometimes themselves) in this quasi-sexist manner as a political statement grows potentially more powerful as it approaches actual exploitation but then, within an ace of it, collapses into ambiguity and confusion. The more attractive the women, the higher the risk, since the more closely they approach conventional stereotypes in first place.3

Ainsi, compte tenu de l'aspect physique de Schneemann plus que conforme aux standards de beauté occidentaux, il n'est pas surprenant que cette artiste ne soit pas une figure si importante dans le texte. Bien que l'artiste ait produit, une décennie plus tôt, de nombreuses œuvres pouvant s'inscrire dans trois des quatre rubriques répertoriées dans ce

2 Lisa Tickner, «The Body Politic : Female Sexuality and Women Artists since 1970 », dans, Framing

Feminism: Art and the Women's Art Movement 1970-1985, éd. par Rozsika Parker et Griselda Pollock

Londres et New York, Pandora, 1987, p. 266.

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texte, pour Tickner, Schneemann ne constitue qu'une artiste parmi d'autres. Or, la précocité de son questionnement au sujet de la sexualité nous pousse à affirmer que Schneemann doit être considérée comme une pionnière à la fois en art féministe, en performance ainsi que pour son discours sur la sexualité.

Mais plus intéressant encore, les œuvres de Schneemann comportent un aspect érotique. Fuses, premier film de l'artiste (qui fera ici l'objet d'une analyse particulière), s'avère polysémique, cumulant à la fois souci politique et désir sexuel. C'est d'ailleurs cette double tâche qui pose problème auprès des théoriciennes féministes de l'époque. Comme nous le démontrerons, l'apport politique féministe par le désir rend son travail très pertinent pour analyser l'apport des femmes en arts visuels et pour redéfinir les notions de pornographie et d'érotisme.

Le présent chapitre analysera trois œuvres de Schneemann, soit les pièces Eye Body:

36 Transformative Actions, Interior Seroil et Fuses. Eye Body: 36 Transformative Actions permettra d'aborder l'épineuse question de l'objectivation de la femme en art.

Avec Interior Seroil, c'est le caractère essentialiste souvent reproché à l'œuvre de Schneemann et les liens avec les théories féministes françaises de l'écriture féminine qui seront abordés. Finalement, la question du métissage entre l'art, l'érotisme et la pornographie, traitée de manière exemplaire par le film Fuses terminera cette étude sélective de l'œuvre de Schneemann. De plus, grâce aux thématiques complexes et controversées choisies par Schneemann, nous pourrons faire état des différentes positions féministes autant au sujet de la représentation de la sexualité par la femme en art que de l'érotisme.

1- Eye Body: 36 Transformative Actions: L'érotisme comme objectivation sexuelle

positive

Déjà en 1963, avec Eye Body: 36 Transformative Actions Schneemann travaille de manière novatrice la notion du corps et même de l'érotisme. Bien que la performance soit un médium avant-gardiste pour l'époque du début des années soixante, l'apport le plus intéressant d'Eye Body se situe dans l'utilisation du corps de Schneemann en tant que femme artiste et dans la manière de l'intégrer comme un matériau dans une installation ou

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une performance4• Il faut aussi préciser que Schneemann avait déjà participé à des

performances, dont Store Days 1 de Claes Oldenburg en 1962. Au même moment, elle

incarnait aussi le rôle de l'Olympia dans la fameuse performance de Robert Morris intitulée Site (19635), performance qui présente d'ailleurs toutes les caractéristiques d'un

tableau vivant.

Eye Body: 36 Transformative Actions commence en 1962 par un « loft environment »,

que nous franciserons par installation in situ. Elle est composée de grands panneaux

peints, de morceaux de verre et de miroir brisé, de lumière, de parapluies motorisés, le tout à échelle humaine. C'est après avoir réalisé une partie de l'installation, que Schneemann décide d'y inclure son propre corps comme matériau à part entière: « a further dimension of the construction6 ». Or, le choix d'utiliser son corps comme matériau devient par la même occasion le sujet central de l'installation transformée en performance par ajout du corps de l'artiste. Manifestement, son propre corps polarise l'attention aux dépens de l'environnement, ayant pour conséquence de renverser la conceptualisation de l' œuvre. Le corps incarne plutôt le nœud matériel et sémantique. D'ailleurs, les documents qu'il nous reste pour analyser l'œuvre, soit les photographies de Err6,7 que Schneemann intitule Eye Body: 36 Transformative Actions for Camera,

démontrent clairement que la figure de Schneemann constitue le motif central de l'installation-performance (il!. 1 et 2).

La nudité de l'artiste s'avère aussi une donnée politique et artistique de premier ordre dans Eye Body: 36 Transformative Actions. D'abord, la nudité féminine en soi constitue

un motif important, voire imposant, dans l'histoire de l'art et il s'agit d'une réalité avec laquelle l'artiste joue. En effet, Schneemann s'impose à la fois comme motif traditionnel

4 Le but n'est pas ici de faire un débat sur la spécificité des différents médias, entre l'installation et la performance, par exemple, mais bien d'étudier l'aspect novateur et pertinent du travail de Schneemann pour la recherche; nous n'entrerons pas donc dans les méandres des différentes définitions à propos de chacune de ces disciplines artistiques.

5 Plusieurs dates circulent au sujet de cette performance de Morris: Dan Cameron parle de 1965 dans « In

the Aesh », Dan Cameron, Caralee Sehneemann: Up ta and Including her Limits, Catalogue d'exposition ( New York, The New Museum of Contemporary Art, 24 novembre 1996 au 26 janvier 1997), New York, The New Museum of Contemporary Art, 1996, p. 10. Dans le même ouvrage, David Levi Strauss indique 1964 et dans le plus récent livre de Schneemann, on précise 1963 ; voir Imaging her Eroties : Caralee

Schneemann : Fssays, interview.~, Projects, Cambridge et Londres, The MIT Press, 2002, p.122.

6 Schneemann, Imaging her Eroties, p.55.

7 Carolee Schneemann nous présente Err6 simplement comme un ami et peintre islandais vivant à Paris.

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et comme créatrice de l' œuvre. Voici la description que fait Schneemann de son corps pour cette œuvre:

Covered in paint, grease, chalk, ropes, plastic, 1 established my body as visual territory. Not only am 1 an image-maker, but 1 explore the image values of fIesh as material 1 choose to work with. The body may remain erotic, sexual, desired, desiring, and yet still votive- marked and writteri over a text of stroke and gesture discovered by my creative female wil1.8

Son corps nu correspond donc à un territoire visuel sur lequel Schneemann intervient comme sur une toile intégrée dans un plus grand ensemble. Ainsi, bien plus que le motif traditionnel, le corps nu féminin de l'artiste est simultanément le fond et la forme. De plus, le corps se transforme par des actions artistiques, d'où le choix du sous-titre- 36

Transformative Actions - s' autoproclamant conséquemment maître d' œuvre de l'installation. Se détachant nettement des représentations conventionnelles du nu féminin conçues par des hommes, Eye body s'inscrit plutôt dans une tradition d'autoportrait tels que ceux de Paula Modersohn-Becker (par exemple Self-Portrait with Amber Necklace de 1906) ou même une tradition plus ancienne de l'autoreprésentation de l'artiste femme peignant: soit celle de Sofonisba Anguissola (Self-Portrait [at the Easel] de 1556), d'Artemisia Gentileschi (La Pittura de 1630) ou d'Elisabeth-Louise Vigée-Lebrun

(Autoportrait de 1790). Seulement, l'installation de Schneemann pousse la logique de l'autoportrait plus loin. Dans Eye Body, l'artiste se représente ou plus précisément, se présente elle-même nue par le biais de la performance. À travers sa présence réelle et son corps transformé par sa performance artistique, Schneemann manifeste plus directement sa subjectivité artistique que le ferait un autoportrait de l'artiste en action. C'est donc par la nudité et par l'imposition directe du corps de l'artiste que Eye Body se démarque de la production des femmes en art déjà existante. Le résultat de cette mutation dans l'autoportrait aura pour but de réduire davantage la possibilité d'objectivation9

univoque de l'Autre. C'est-à-dire que par la performance, la femme en chair et en os s'impose en tant qu'être humain réel, avec qui il est possible d'interagir (durant la performance initiale), doué d'une capacité imaginative nécessaire à la création d'une œuvre d'art, alors qu'un autoportrait restera toujours une représentation, une image de l'artiste donc plus

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facilement objectivable. En d'autres mots, contrairement à la présence de l'artiste, la représentation imagée de celle-ci demeure sous la forme d'un objet même s'il s'agit d'un objet d'art. Politiquement, l'artiste femme, par cette pratique que l'on qualifiera de body

art, revendique plus directement son statut de sujet, ou comme le dit Schneemann, son

« creative female will ».

Par contre, le cas de Eye Body s'avère paradoxal puisque Schneemann s'impose en tant que sujet créateur mais conserve également certains traits coutumiers de l'objet sexuel, comme en témoigne la description de son corps dans Eye Body: «body may remain erotic, sexual, desired ». Autrement dit, elle s'affiche à la fois comme sujet et objet sexuel, à la fois désirante et désirée. C'est cette même complexité qui rend le travail de Schneemann particulièrement intéressant dans une étude sur l'érotisme. En effet, en revendiquant le désir de conserver une charge érotique lors de la présentation de son corps à l'intérieur de l'installation, non seulement elle fait preuve de lucidité car l'objectivation est presque un processus inévitable mais elle l'encourage par sa volonté, par sa subjectivité créatrice. Ainsi, Schneemann revendique d'une certaine manière les deux côtés de la médaille, soit d'être à la fois objet sexuel et sujet désirant. Il est possi ble aussi d'interpréter la charge érotique du corps de Schneemann comme une revendication du subjectivité sexuelle, c'est-à-dire d'un sujet qui ne serait pas seulement politique mais aussi sexuel. De cette façon, Eye Body explore la possibilité de proposer une œuvre politique et érotique inédite pour l'époque et rare même encore aujourd'hui.

Par contre, cette double revendication rencontre une réception pour le moins divisée chez une grande majorité de féministes. Il faut souligner que c'est la question de l'objectivation que Eye Body pose plus spécifiquement. Avant d'analyser plus en profondeur cette facette de l' œuvre de Schneemann, nous proposons de mieux définir le terme d'objectivation. Dans ce but, nous utiliserons principalement le texte intitulé « Objectification » de Martha C. Nussbaum paru dans Sex and Social Justice en 1999. Il s'agit d'un texte précis et singulièrement pertinent qui définit le concept d'objectivation de façon rigoureuse\ nuancée et novatrice. En fait, Nussbaum retrace la généalogie de la

9 Le Grand dictionnaire terminologique de l'Office de la langue française et de Semantix,

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notion d'objectivation, permettant de faire ressortir les enjeux politiques que sous-tend une telle notion et de la décortiquer de manière plus objective.

Pour cette auteure, la notion d'objectivation sexuelle, que l'on utilise aujourd'hui fréquemment dans le langage courant, fut au départ un terme spécialisé de la discipline féministe, et particulièrement, du féminisme antipornographie de Catherine MacKinnon et d'Andrea DworkinlO• C'est donc du débat autour de la pornographie que la notion naît.

L'objectivation revêt dès ses débuts un caractère péjoratif et s'applique surtout au champ sexuel. Bien que Nussbaum soit en accord avec les positions de ces deux féministes au sujet des effets néfastes de la pornographie soft et hard core, elle s'applique à nuancer

l'objectivation indépendamment de celle-ci. Pour Nussbaum, l'acte d'objectiver une personne, soit de traiter un humain comme s'il s'agissait d'un objet, n'est pas en soi un comportement nécessairement négatif, il peut même être souhaitable, notamment dans les rapports sexuels. II faut dans un premier temps contextualiser la notion - « ... we must observe one fundamental point: in the matter of objectification, context is everythingll »-mais aussi différencier les différents types d'objectivations. Pour Nussbaum, il existe en fait sept manières d'objectiver un être humain:

1. Instrumentality. The objectifier treats the object as a tool of his or her purposes 2. Denia! of autonomy. The objectifier treats the object as lacking in autonomy and

self-determination

3. Inertness. The objectifier treats the object as lacking in agency, and perhaps also in

activity

4. Fungibility. The objectifier treats the object as interchangeable (a) with other

objects of the same type and/or (b) with other types

5. Vio!ability. The objectifier treats the object as lacking in boundary integrity, as

something that it is permissible to break up, smash, break into

6. Ownership. The objectifier treats the object as sQmething that is owned by another,

can be bought or sol d, etc.

7. Denia! of subjectivity. The objectifier treats the object as something whose

experience and feeling (if any) need not be taken into accoune2

La distinction entre les types d'objectivation s'avère par elle-même très utile. Cette grille de différenciation sert entre autres à mieux définir le type ou les types

10 Martha C. Nussbaum, Sex and Social Justice, New York et Oxford, Oxford University Press, 1999, p. 213.

11 Ibid., p. 227.

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d'objectivation dont il s'agit dans une situation donnée, en l'occurrence dans le cadre artistique. Chez Nussbaum, cette grille permet aussi de mieux évaluer la gravité morale du geste d'objectivation en jeu tant dans l'acte de représenter que dans le comportement représenté13• Pour l'auteure, l'instrumentalisation de l'humain semble être le type

d'objectivation le plus problématique moralement. Cependant, l'instrumentalisation n'est pas néfaste dans tous les contextes, seulement lorsqu'on traite l'autre en soi et exclusivement comme un instrumene4• C'est pourquoi la connaissance du contexte de

l'objectivation est d'une extrême importance lors d'un jugement. Or, dans les analyses autour de la pornographie, MacKinnon et Dworkin omettent souvent le contexte de l'objectivation. C'est essentiellement ce qui pose problème à Nussbaum pour qui même d'infimes détails peuvent changer notre perception de la différence entre une objectivation néfaste ou bénigne15

• En effet, si un élément de la narration, par exemple,

nous précise que la relation entre deux adultes respecte la condition humaine de l'autre, son pour-soi, alors le texte ou l'image peut contenir à peu près n'importe quelle objectivation lors du jeu sexuel sans pour autant devenir néfaste pour l'un ou l'autre des partenaires. Le contexte sexuel est assez singulier pour Nussbaum dans ce texte, et ce, à cause de l'origine pornographiqlle du terme. Rappelons-le, MacKinnon et Dworkin ont utilisé originalement le terme d'objectivation dans le contexte de la pornographie. Selon Nussbaum, les deux féministes auraient inféré le concept d'objectivation des écrits de Kant sur la sexualité et sur le mariage16• Par contre, les deux féministes ne croient pas,

contrairement à Kant, que l'objectivation puisse être mutuelle, désirée par les deux parts et intrinsèque aux ébats amoureux. Pour elles, l'objectivation est construite socialement et constitue un prolongement des relations de pouvoir sociétales et, qui plus est, elle est souhaitée par les hommes qui veulent affirmer leur pouvoir alors que les femmes doivent s'y soumettre. Toujours selon MacKinnon et Dworkin, le désir d'être traité comme un objet chez la femme s'avère nécessairement nocif puisqu'il est une introjection des

!3 Ibid., p. 217, Il faut préciser que le texte de Nussbaum s'attarde à définir l'objectivation à l'aide

d'exemples tirés de six extraits de différents littératures, de James Joyce à Playboy.

14 Ibid., p. 223.

15 Ibid., p. 227.

16 Plus précisément, Nussbaum affirme que: « central to Kant's analysis of sexuality and marriage is the

idea that sexual desire is a very powerful force that conduces to the thing-like treatment of persons, by which he means, above ail, the treatment of persons not as ends in themselves but as means or tools for the satisfaction of one's desire.» Ibid., p. 224.

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fantasmes masculins véhiculés par la société patriarcale. Par ailleurs, pour Kant, la solution au problème d'objectivation sexuelle s'incarne dans le mariage17• C'est donc

dire que la structure du mariage garantit un certain respect mutuel et une considération de l'autre comme être humain à part entière. En d'autres mots, la solution à l'objectivation sexuelle se trouve dans le contexte conjugal. C'est la position du mariage chez Kant qui incitera Nussbaum à considérer avec importance la variable contextuelle dans l'étude de l'objectivation.

En somme, Nussbaum apporte trois éléments qui changent fondamentalement la conception de l'objectivation sexuelle. D'abord, l'auteure démontre que 1 'objec~ivation n'est pas un phénomène monolithique mais qu'il se subdivise en sept formes d'objectivation d'autrui: l'instrumentalisation, le déni d'autonomie, l'inertie, l'interchangeabilité, le droit de violer, le droit de propriété, le déni de subjectivité. Ensuite, l'auteure prend en considération le contexte de l'objectivation sexuelle afin d'en évaluer la gravité morale. Et, surtout, elle distingue une objectivation bénigne voire positive d'une objectivation nocive pour l'être humain. Ainsi, Nussbaum considère la possibilité d'une objectivation sexuelle positive, donnée novatrice qui permet de mieux comprendre ce qui est en jeu dans Eye Body comme dans plusieurs autres œuvres de Schneemann et dans le phénomène de l'érotisme.

Est-ce que Eye Body constitue une œuvre qui suscite l'objectivation du corps féminin, ici le corps de l'artiste? À la lumière de l'article de Nussbaum, la réponse à cette question peut être affirmative et également négative. D'une part, si l'on adhère à l'idée kantienne que l'une et l'autre des parties se voient comme un moyen d'atteindre la jouissance lors d'une situation à caractère sexuel, alors le désir de Schneemann d'être à la fois désirante et désirée relèverait d'une certaine objectivation sexuelle. Autrement dit, en désirant rendre son corps érotique, Schneemann se place dans une position de satisfaire un plaisir visuel d'ordre sexuel propice à l'objectivation. L'artiste devient l'objet de désir qui permet la jouissance du spectateur. Toutefois, il s'agit d'un type bien précis d'objectivation, soit l'instrumentalisation de l'autre afin de satisfaire un besoin de voyeurisme et un désir sexuel. D'autre part, en étant orchestratrice du tableau vivant incluant son corps nu, Schneemann réduit au maximum le pouvoir objectivant des

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