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J Ci l'~ elLA FiGURE Dq JUSTE CHEZ CAMUS
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, ,~- • -= P,reparedby
,
\ Jean-Joseph J . Ismé.
, . ~ ,~ .y " ... .'Thesis submitted to the
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Fpculty of Graduate Studles and Research
As part of the r qUlrements
..
F®r the egree of Maste Arts AUGUST 1987 - ---~ 1)
..
\ , l'o 0 '"...
\ -1Î
<,
Permission has- been granted to the National Library of
Canada to mi cro film th
1.
sthesis and to lend or sell copies of the film.
-The author (copyright owner)
h a s 'r e s e r v e d o t h e r
publication rights,_ and"'
neither the thesis nor
extensive extracts from i t
may be printed or ot~erwise
reproduced
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without, . .
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".
L'autorisation a été accordée
à
la- Bibliothèque nationaledu Canada de microfilmer
cet te thèse et de prêter ou de vendre des exemplaires du film.
L'auteur (titulaire du droit
d'auteur) se rés~rve les
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ni la thèse ni de longs
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doi v-ent être imprimés ou
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)
ISBN
0-315-44347-2
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.~ --, ~ ,j o <).
No'us 'tenons
à
ténoigner notre profonde grat;\-tude
à
Monsiéur André Smith qui a bien vouJudiriger nos travaux de recryerches'et qui nous a prodigué ses meilleurs conseils topt au long de notre projet.
Nos remerciements vont aussi
à
l'endroit de MmeGabrielle Pascal, Directrice de l'Ecole
Fran-çaise d'été, po~ so~ encour~ement à
complé-ter la mait=ise par un mémoire.
o
1
fJ .,
,f
.... , "
.
/RÉSUMÉ
, , \ .' 1 .. Il,''Ce' mêmoi.re 'a
~pour
objet "êtude de la notion de justice chez .... Alb.ert
'Camus.
Imprégnê de l'idêe de justice, si rare
t ~ - .son êpQque, Albert Camus
s'est consacré
~
sa défense en dênonçant ceux 2iui .
i'
ont mêconnue, en qmdamnant
l'oppression, et l'exploitation du peuple algérien et en réc)amant un. juste
châ-'timent con-Ete les crin'1i ne 1 s dé· guerre qui ont tant fa i t souffri r 1 e peuple
,français.
1
0;
1
S'il s'est servi du journalisme pour secourir la veuve et l'orphèlin,
ses oeuvres romanesques, par
~ontre,sont dominées par ,un type de juste qui
~ ... !
,est, en quelque sorte, une projection d'e lui·'/lIêrne.
Il combat l'injustice sous
toutes ses formes,
mé~aphysiqueou historique." Il a trBp aimé
être t'ami de Dieu; les pauvres lui sont trop chers pour qu'il
r'
les 1'!nmmWS pour
l
~\
}
les lai s sema 1
-traiter par la minorité privilégiée; la bonté et la simplicité lui tiennent
tant
a
coeur qu'il
n~peut
le~·laisserdétruire par la duplicitê.
t 0;: ~ ~
r, ' t .
Mais
l~ne s'arrêtent pas ses
~réoccupations;son bût est d'essayer de
\
hanger les hommes et de les rendre meilleurs dans leurs relations avec leurs
ttemblables. C'est pourquoi, en créant cette sorte de juste, il laisse
entre-/1voi r la poss. i bi 1 ité pour tous d'être bons, gênéreux, ami s du pauvre et défense'ur
des causes nobles.
Il n'a pas 'créé de saint, mais il a qonné naissance
àune
~ - 1 •
•
1
catégorie d'hommes qui oeuvrent dans le but bien êvident d'atteindre une
s~rtede sainteté sans Dieu.
t,
.
, /
/
. ,
•
\ .•
'" - \,
.. -"ABSTRACT (This' dissertation contemp'1ates the thought of Al bert Camus on the
concept of justice. It first seeks to identify the elementJ' which aided
~
perceptibly or imperceptibly in shaping his own sense 9f this co'ncept. Imbued with the idea .of justice, so r-are'. in his time, Albert Camùs
- ,
dedicated himself to ·its defence. He denounced those--who turned a' blin)j
~y~ to justi~e, condemned the op~ession and expJoitation of the Algeria~
people and demande~ just pun.ishment for the war cr1minals who had visited
such terrible affliction on the people of FraQce.
..
.
.
While Camus made use of Journal!sm to succor. the downt~odden, his
literary'works are dominated by the ideal of a just man, who can be viewed
asti a projtction of the authqr
hi~sel.f.
He fights jnjustlce in a11 itsforms, be they metaphysical or historical.. He l~ves man,toQ deeply to be
the friend of God. He cherishes the poor tao much to suffer their abuse
by the mi no l"itY. He ho l ds goodness and puri ty so dear that he èannot ~
st~nd by ~1Td see them de.stroYed by deceit. \,-.!
But the bounds of his conCern extend still far~her. Camus undertakes
to change humankind, to improve fhe interaction of men with their fellow (lJ> ,
men. Thus, his creation of a jùst"man -holds out the possibility for à'll
l
men to be good and generous, ta befriend the poor and to champion noble
.
~causes. 'Camus created no saints, but he did 'ca11 forth a class of
~umanity
whîch' strives towards a kindoi
sainthoodwitho~t
God •1
)
"
\ o-/
/
\•
\.
/ //
,T A B','L E DE.S MATIERES Introduction.. . .
. .
.
. .
.
.
. . .
.
. .
,
Première -Partie:Qui est Al bert bllTLUS?
"
ï ~- .\
Chapitre A- L'homme et sa passio~ po~ la justice .
Chapitre B- Le j~urnaliste et la Kabylie •.
Il
Chapi tre C- Le journaliste et 1:' Algérie.
Chapitre D- Au nom des victimes de
1939-45.
Deuxième Partie: , 1
\
\ "'i, niLe juste dans leslromans.
Chapitré A- Le juste joyeux. "
éhapître B- Le juste intransigeant.
Stepan justicier ...•. ...
K~liayev , l e revo utlonnalre. ' 1 \ ' -. Annenkov, l'organi,sateur.". Dora, la femme forte.
Voinov, le réaliste.
...
.'
.
. . . 1• • • • • • • • • • •• .5
. . . .. . . . .. 5
1119
J1
62
72 • 82... 89
95
La nouvelle convertie:...
• • • J • • • • • • • • • • • • •98
Chapitre C- Lo juste autocri~ique.
.
-- ~'.
:..,...--\ Ses succès. • • 1 • • • • , • • • • • • • • • Ses -mobiles....
Clamence tourmenté .....
.
'..
t - La duplicité de Clamence. - Le souci de confdrmité. • 9 . . . .- Le vrai Jn-Baptiste ClamenceA •.•... - Ses révélations.
...
.
100 101105
113
• . . . • • 0..-:115
117 120 122 1 '.
-4 /1
, ,
Chapitre', E- La soli tude du juste •••••.••.•••...•••
~
• .- •...
126
Le dilemme d'une conscience .. • • • • • • • • • • • • • • • • • • Î •
128
(
= Un.silenëe vengeur ••.•••.
...
134
- Le missionnaire converti.
,
• .... 139
\ - Des larmes. de bonheur ..
.
. . . .
. .
.
. .
. . .
.
. . . .
.
.
-' Conclusion. • • • IL.JI • • • • • • • • • •
150
\ 0 -Bi bHographie.159
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,
1
•
' . qLe titre., que' nous avons - choisi pour notre mémoire, -"La Figure llu ,
" I!
Juste chez Camus", nous oblige à faire un tour -d 'horizon de 1 tidée de
.-justice afin qu'on soit bien imbu de l'aspect qu'elle revêt dans
l'~nsemble
de~tre
projet. Qu'il soit"bien ou mal intentionné, chacun"\
a de la justice une idée conforme à sa propre faç,on dEf pens.er . . C'est
ainsi qu'au moyen âge, la justise se voit concéder un aspect divin dans
là mesure" où ~'Qpinion p~blique pense () que, Dieu lui-même en est
l'insnirateur. Evidemment, nous savons que cette conception n'était que
.:!.../'
le résultat de la manigance des grands e,o<. des' pontifes qü:i tentaient
ainsi de,jus~ifier leur mépris de toute justice. Mais les abus étaient
~ ~
si criants qu'on ne pouvait faire autrement que de revenir au fondement rationnel de la justice même si ce revirement devait prendrè longtemps
avant de s'effectuer: Amorcé'avec le commencement du déclin du systèm~
mon~rchiq~e, ce retour'au concept de la raison comme base de la justice
-
.
devint. réalité quand la tête d'un roi tomba en France. Depuis lors,
libre cours ~st donné aux tenta~ives ~'améliorer Ja définition qu'on lui
'\ ~"
donnerait. Les théologiens prétendent qu'elle vient de Dieu;
les-\
philosophes affirment qu'elle est une fille du .ciel, une lumière pour
tout homme venant au monde, la plus ~elle prérogative de notre nature,
ce 'qui nous distingue de~ .bêtes~ et nous rend semblables à Dieu. Mais,
,J, ..,
, dans
.
la foulée de la Révolution ~çüS& , c'est peut-être.,;,.Pierre-Joseph Proudhon qui cerne le mieux l'idée de
..
just~ce:La justice est l'astre central qui gouverne les sociétés, le pôle sur lequel tourne le monde politique, le principe
.et la règle de toutes l~s transactions. Rien ne se fait
entre les hommes qu'en vertu du droit; r~en sans
q'invocation de la justice. La justice n'est point
f
.
•
\--•
..
\ - -2- .l'oeuvre de la 10:[: au contraire, la loi ri'est jamais qu'une
e déclaration et une application du juste, dans tou1;es les
circonstances où les hommes peuvent se trouver en rapport
d'intérêts. l ".
Malheureus~eht, , les hommes du 20e siècle n'ont certainement pas tenu·
'.
compte de ce rôle si important que doit jouer la j~stice parmi eux, si
nous considerons les troubles sod,aux et ,intèrnationaux qui, éclatent
partout comme en font fo~ les plaid,:,ieries pour un mieux-être des
•
'musulmans algériens et les cris de vengeance .lancés par ) Albert Camus
, \
au nom des victimes françaises de la
i
e guerre mondiale.' Depuis lesannée,s 30, la ~ustice n'était en fait que la manifestation du droit du
li\...-plus fort" c'est-à-dire de la classe bourgeoise au pouvoir, comme
.
l'aurait dit Marx a~ siècle
" 1
Il apparaît clairement
précédent.
de 'ce qui précède, qu'au temps de Camus la
, ,
( '
justlce était dflns le mauvais camp et comme telle, elle ne pouvait être
la bonne parce <LU 'égoiste et muette. I l faut donc lui donner la bonne
orientation et 1 '.e:ciger pour ceux qui en ont réellement besoin; i l f~ut
, '
\
po.tnter du doigt tous les secteurs oi:). elle est méconnue; toutes les fois
qu'elle est bafouée, il est nécessaire qu'on crie à l'injustice si fort
..
que l'opinion publique ~n soit alarmée. C'est il cet d1vrage de titan'
'-que va se livrer l'a~teur de l'Etranger chaque fois qu'il parlera dé la
Kabylie et de ses
habit~nts
et qu'il se servira d'Alger Républicain pourdéfendre les faussement accusés ou pour > montrer l'inutilité de
-l'isolement des bagnards exilés en Amérique du Sud. Et lorsque
l'injustice matérialisée par Hitler et son armée frappera la France en y
~ '}
..
..apportant la falm, la souffrance et la mort de ses fils et filles, i l
!)
brandira le glaive de la justice dans Combat. Que ce soit dans~la
/ ," "
J
•
1.",
" ".
~ ~ -3-..
La Chute, l'Exil e't le Royaume, Les \Justes ou, dans 1 'Homnie ....
, .. ~" ,
Révolté, Camus traite 'toujours, d'une manière ou d
t~ne ~ut-rel\:nJ
thème, ..
..
de la justice. Dans La~P~ste, par exemple, que nous étudierons-d'abord,
Pane10ux brandIt). 'épidémie comme le gJ:aive de la justice divine. Dans
l '
un deuxièm~ temps, 'nous' ferons' l'analyse du juste autocritique qui se
,
.
~ivre à un examen· de cqnscience désespérant, pour cela La Chute est tout
•
indiquée. Puis viendront les larmes de regrets ~ la femme adultère, le
,
-choixosurprenant du miss~nnaire catholique, l'isolement de Darù et 1ê
détournement volontaire de l'ingénieur français, tout ceci se trouve
dans l'Exil et le Royaume que nous étudierons en trois~ème lieu. Par la
suite, nous aborderons le juste intransigeant -des Justes avant
d~atteindre cetui qui appartient à la ligrve dure de L'Homme Révolté.
,
,
Si nous ~:r; 1 vilégions ces cinq oeuvres, Cl est que chacune présente de
larges dévèloppements sur l~ thème de la justice.
Cependant, nous ~onsidérons qu'il serait tout-à-fait ano~al de
n~-tenir compte que des héros qui sont seul~nt des projections de leur
~ ri • C
créateur au !1\épris de Camus
~ constituent une force
.,r "
-C'est pourquoi notre
dont les interventions directes dans sa lutte pour la just.ice.
montrer que les positions
,.,
qu'il fera prendre 'à s personnages auront été vécues par lui. En
effet, i l sera toujours à l'avant-garde pou-r dén9ncer l~s prop~èmes
des Kabyles ou ceux de l'ensemble, du pkup1e algérien. Il se jettera
\ '
volontairement dans l' arène
co~~'re
le pohvoir publicch~e
fois qu'un(\
6 pauvre musulman sera faussement accusé. Chaque/fois que la mauvaise foi
•
.
.c
r-a
"-,•
1
-4": idu plus fort, pour protéger ses acquis; fera appel à la liberté que la
déclaration de la Révolution française reconnatt dans son article IV
-
.cgnune "le po~voir de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui" sans se
demander si' les autres peuvent jouir des mêmes droits, Camus se dressera'
• J 0'
-'pour crier à l'injustic,e. Toutes les' fois qu.'un Fr~nçais se~a menacé
dans sa séc'urité e secours. en compréhension 4e la p~rt la pi~e incompréhension. \ 1. P .-J. Proudhon,
,.
'.,<'
"
ou sur la térre algérienne, il volera à son
contre l'envahisseur ou plus de
ceux q~i, hier e~core, étaient victimes de
\
;
"
Référence
Qu'est-çe que la
'propriété?,p.
69.-.../.
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1
•
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i PREMIERE PART];EQUI.EST ALBERT CAMUS?
, ci \
--" a8
•
C-I
•
/ /-5-l Qui est Albert Camus?
En littérature, il arrive souvent que la pensée d'un auteur est étudiée à partir du moment où elJe commence à se manifester chez lui. c'est aussi un fait que certaines pensées exigent qu'on recule beaucoup
prus loin dans le temps antéri~ur à leur apparition pour que l'étude
qu'on en fait soit plus complète. Parfois aussi, il faut "retourner
jusqu'à l'enfa~ce de l'auteur parce que le jeune âge est souvent
déterminant dans la vie d'un homme, Nous croyons que c'est ici le cas
.
quand, parlant de Camus, on évoque" l'idée de justice', C'est pourquoi
.
nous avons décidé de faire une courte promenade à Belfort et à Alger et
de jeter~un coup d'oeil sur la situation qui y prévalait afin de tenter
de comprendre comment la notion de justice est .devenue l'un des pivots les plus importants de la pensée camusienne. •
,
A) L'HOMME ET SA PASSION POUR LA JUSTICE
Sans vouloir écrire la .~iograph:ie d'Albert Camus que ,d'autres .
beaucoup plus compétents que nous ont rédigée dans de nombreux ouvragès,
no~s tenons toutefois à souligner ce qui, dans sa prime jeuness~ et dans
son environnement physique immédiat, a pu créer chez .lui un goût s).
~
~
prononcé pour la justice au point d'en faire la source d'inspiration' d'un fort pourcentage de ses écrits. L'histoire nous enseigne que,
...,..
. é • .
---~---
.
,.
s-1
\
•
, • ( ) -6-,généralement, les bien nantis s'abstiennent .d'évoquer le mot justice à
moins qu'ils appar~iennent à ces quelques exceptions dont la sensibilité
est plus aiguisée ou à ces quelques fils à papa des années 60 qui se
révoltaient contre leur famille. Ces rares cas mis à part, c'est
toujours les démunis, les humbles qui réclament: des droits. C'est
précisement dans cette dernière catégorie qu'on retrouve CafD-us. Car,
jusqu'au/moment ~~ il réussira à se tailler une place enviable dans la
société, i l restera profopdément marqué par l' injustic-e. Ironie du
sort, c'est même Ct;tte injustice, qu'il tente de vaincre, qui
(
aiguillonne son ambition et le supporte dans sa lutte. Comme tous, il
avait le droit deo - descendre d'une famill,e facilement retraçable
généalogiquement parlant, de grandir normalement sous la protection d'un père, de jouir de la tendresse d'une mère possedant toute sa présence
d'esprit, ou d'être débordant d'une s'ante parfaite. Mais' privé de tous
o ,
ces avantages dont la nature dote chacun de nous, ,il res tera longtemps un handicapé aux yeux de son entouragé Plarce qu'une certaine justice
s~pposément égale pour tous ne' s'est pas exercée en sa faveur. Et - lorsque le père Paneloux martelera aux Oranais'cette phrase véhémente:
"Mes frères, vous êtes dans le malheur, mes frères, vous l'avez
mérité," (2) il ne s'adressait sûrement pas au '-petit Albert qui venait
..
d'être orphelin à l'âge de quelques mQis. Qu'avait-il fait pour que son Q
père se fasse tuer dans la bataille 'de la Marne? Rien, sinon que
l~injustice s'acharne contre Lucien Auguste Camus jusque dans sa
progéniture. Et' "ce petit éclat d'obus retrouvé dans les chairs de
Lucien et gardé par la veuve,,(3) continue l'oeuvre de destruction
•
•
-7-ocommencée par une guerre inj~ste qui amena son père au front. Desormais,
-sa mère est privée d'une partie de son entendement et de la facilité de \
s'exprime~. Ces deux malheurs avaient pour effet de 1~ placer dans le
cercle vicieux de la pauvreté avec tout ce qu'elle suppose. Plus tard,
Albert Camus résumera le contexte où il gran~it en des termes qui
semblent ridi~uliser la défaite de l'injustice que le sort voulait faire
triompher de lui:
Il Y avait une fois une femme que la mort de son mari avait
rendue pauvre avec deux enfants. Elle avait vécu chez sa
mère, également pauvre, avec un frère infirme qui était
ouvrier. Elle avait travaillé pour vivre, fait des ménages,
et avait remis l'éducation de ses enfants dans les mains de sa
mère. Rude, orgueilleuse, dominatrice, celle-ci les éleva à
l~ dure. L'un se maria. C'est de l'autre qu'il faut parler.
Ecole communale puis lycée, demi:""pensionnaire, retour à la
maison, dans une atmosphère sale et pauvre, repoussante, chez une grand-mère sans bonté et une mère bonne et douce mais qui
ne savait ni aimer ni caresser, par suite indifférente.
4
Sur le plan de la santé, la si~uation n'était pas me"illeure et
commençait à se détériorer au moment où il espérait se faire justice
par
le football. Son expression ~'Justice paf les sports" ne devait jamais
s'accomplir et' faisait de iui un tuberculeux. En effet un compagnon se
souvient" qu,'un jO\lr Albert Camus bloqua sur la poitrine un shoot d'un
5
avant ~;\l~.e::t'Se ets'évanouJt entre les poteaux du but qu'il gardait," et
H. R. Lottman de conclure: "En vérité, la tuberculose ne pouvait guère
être contractée yar un refroidissement ou par u~ exercice violent, mais
1
elle pouvait fort bien être déclenchée par l'un ou l'autre, de même par
6
des conditions, de vie et d'alimentation insuffisantes". Il porterait
désormais en lui toutes les séquelles de c~tte maladie difficilement
"
• 1"
•
..
• e
':'8- \
curable à l'époque. Il ne pouvait plus briller par son talent de
gardien de but, et pour comble de malheur, sa carrière de professeur
....
était à jamais compromise parce qu'il ne pouvait satisfaire physiquement
"
~ toutes les_ .cpnditions exigées par la préparation des examens de
1 'agrégat<ion~ même la joie de. servir militairement son pays lui était refusée: sa santé ne lui permettait pas de faire son service militaire.
Q
,
On peut dire que toutes les formes de~ l'injustice s'étaient liguées
contre lui pour briser sa résistance et finalement l'emporter: "Quand'
, '
une grave maladie m'ôta provisoirement la force de vie qui, en moi
transfigurai t tout; malgré les infirmit€s invisibles et
IdS
nou~ellesfaiblesses que j'y tro\lvais, je pus connaître la peur et le
déçouragement".
7
Il 'livrait ainsi, dans l'Envers ~~~--~~~~~~~~ et l'Endroit,l'impression que créait en lui le fait d'être sur un lit d'hôpital.
<.fusqu' ici, i l n'a rien à reprocher directement aux hommes. Toutes
ses souffrances sont imp'utables à' Dieu et à Dieu seul. "Pour
se-défendre, il s'attaque à son 'existence même. Dans l'Homme Révolté, il
écrit: "t'existence de Dieu supposerait chez lui indifoférence,
• - 8 '
méchanceté et cruauté". Nous avons là des fruits diamétralement opposés
à ceux produits par la justice qui est le respect de la dignité humaine.
IJ rejette le paradoxe qu'un Dieu tout-puissant soit malfaisant. Il
étend ses accusations jusque sur ses disciples qui prêchent "une
doct-.:-ine d'injustice'" parce que "fondée sur le sacrifice de 1 '>înnocent et l'acceptation -de çe sacrifice".
Démuni comme i l est, même d'une bonne santé, il est donc logique~
-que le mot justice se trouve répété si souvent dans son oeuvre.' Mais,'
,
•
c
•
---~~~~--,--~~--~-~---~---~. \-9-si, les douleurs subies dans son enfance ont pu créer un certain < gotit
.
.
pour cette vertu morale, l'environnement peu propice à l'existence de la
justice va changef ce goût en volonté bien arrêtée de lutte,r contre
l'injustice. En effet, nous sommes en Algérie coloniale où se coudoient
.
blancs et musulmans, colonisateurs et colonisés, administrateurs et
"1
administrés. L'expérience prouve q~ 'en de pareilles situations
l'arrogance des uns ne ménagent pas les autres, l'exploitation pratiquée
1 . ~
l>'
•
par le plus forftlll"ne fait pas de quartier aux plus faibles. Dans de
semblables cas, on invente mêmer,/ des raisons du genre: 'Citoyens de
,,)
deuxième classe, ils sont mieux traités par nous que s'ils étaient
livrés à eux-mêmes. Albert Camus ne pouvait. tolérer un tel état de_
chose. "J'ai un si fort désir de voir diminuer la somme de malheur et·
d'amertume qui empoisonne les 9
c
hommes" . C 'es t en ces termes qu'il 0
avertissait son ami et son "Maitre" Jean Grenier, qu'il' suivrait son
conseil et s'incrirait au parti communiste. Convaincu qu'il était de
pouvoir travailler plus efficacement à la diminution de l'écart -entre
les hommes, i l entreprit des actions
cl'
envergure pour le bien desmasses •• Herbert R. Lottman, dans sa biographie d'Albert Camus, décrit
Ses activités au sein du Parti: "Camus commença donc à "approfondir sa
communion" en -rassemblant ses amis dans un groupe théâtral qui allait
également constituer une forme d'action politique. Ils allaient
l'appeler I.e Théâtre du Travail et leur première pièce serait une
10
adaptation par Camus du Temps du mépris". C'est encore lui qui rapporte que Camus dirigeait une "université populaire", Collège du Travail pour
l
',Ii'
.r
les communistes, en vue d'assurer. la formation des adultes.
JI
s'applique même, avec sa troupe, à faire la répresentation publique de Révolte dans les Astueries dans le but de iaire avancer l'éducation du
peuple et de soulager quelque peu sa ~isère. Car, au dire de Lottman,
les' bénéfices étaient destiné~ aux enfants nécessiteux d'Algérie,
indigènes aussi bien qu'européens.
Il est hors de cdoute, l'adhésion d'Albert Camus au communisme n'est
o
nullement motivée par une conviction personnelle qu'auraient pu créer en lui les difficultés éprouvées dans son enfance.
~Jean Grenier, il s'y convertit parce qu'il
auxquels i l s'identifiait, c' est-a-dire
CQlonie qul ne bénéficiait d' a'ucun des droits c
Comme il le confiait à
-
.
rester proche de ceux i té indigène de la fondamentaux des
colons eur'opéens. Il Y souscrivit parce qu'une des conditions
d'admi~sion au sein de la troisième Internationale communiste stipulait que tout parti communiste devait promouvoir la libération des colonies et réc~amer l'expulsion des "impérialistes" à destination de leur pays
r
d'origine. Mais lorsque Pierre Laval, ministre du gouvernement du Front populaire aux Affaires étrangères, publia, de concert avec Joseph
Staline, le communiqué officiel déclarant l ' apll.robation en~ière de la
politique de défense française, ce qui était une invitation aux
communistes à rejeter leurs positions anti-colonialistes, l'idéal de justice de Camus n'était plus assez fort pour' lui faire \garder la
confiance dans le Parti. Puisque les indigènes algériens venaient
d'être trahis par ceux de qui ils espéraient au moins le soutien,moral, .
•
c.
•
l---~--~
~---.---~--cafflus s'Lndigna de
~soussignés
opportunistes et préféra désormais fairebarrle à part. Dorénavant, i l sera s~ul contre tous sans auctme possibillté
de poursmvre, sa ffilssion. C'est à ce rrarent précis que s'ouvre toute grande
pour lm la porte du journalisrœ. C'est l'Occasion en or qui s' ofW.e à lui
qui préterrl canbattre l'injustlce et lnstaurer la justice.
~ \t
Références
2 - A. camus, La Peste, NRF, Galhmard, P. 91.
\
3- Herbert R. Lottman, Albert Céirm.ls, Editions du-, Seuil , p ~ 29.
4- ~pporté par.,. H. IDttman, Albert
camus,
Edi tions du- Seuil, P. 31.5- Ibid., P. 56.
..
"6- Ibid.,
7- A. Camus, L'Envers et l'Endrolt, Gallimard, ·P. l~.
8- Albert
camus,
L'HOItlITe Révolté, Galllmard P. 55.9- lettre à Jean Grenier pour annoncer \'on adhésion qU parti cornnunlste.
10- Herbert IDttman, Albert Céirm.ls, Editions du Seuil p. 105 .
et •
\
-1
-11-,
-B) U; JOURNALISTE ET ll\ KABYLIE
Les é1~ ItS U blograpfuques que llÜUS VOIlOllS cie> reppeler nOus penœt te.nt
de prévolr que 1 problèJœ de le: Ju.stl~'2 Oècupera ulle place de p:>rnuer plan
dans la Vle pubhque ?e Camus et surtout dêlI1S l 1 l ntllTU té de ses reflexlons.
\
\
\
D'ores et déJ21., nous [ûUVOllS, à la lUffilère de l'f'11VHOll.llem:;nt matérlel où il
grandtt et des slCJI,es avant-éOureurs~ son engage"",nt dans le a::mnumsne et
sa rupture avec les COl1TlWUstes qu '11 consldère ~Cl1lt"€ des d?pr.ôrtwlistes, WllS
pouvons, diSOlls-nous, ...x:>mrellœr à r IOUS habltuer ~ W1f' sorte d' llltrêlIlsigeance
.'v
(?
chez ~""''-lU' 11 aura à débattre toute queSLl011 ~ouchant la Justll-'e sur la
~ ttJ..bW1e p Sl ces prenuères llgnes de Ilotre tr,:lVail flOUS rrettent en
tace
de CertaulS rrotltÉS d' al..:tlollS futures, Cf'p?.Ilddllt rleIl Ile nous dlt jusqu'lci
d \
\
/
cament se pratlquera cet te justll..X'; pour cela 1I0US devons frapper' à d'autres
portes.
lOrsque Pascal Pla créa le qwudlen Alger R§publicain, le destin
c::amença ~ de\Tel1.lI favorable à Albert camus dans la poursulti de sa
"
.'
..
'.-12-o
pour présenter à l'opinion publique les vi.ctimes de cette injustice.
"
Sous la rubrique de Misère de la Kabylie, i l signe toute une série àde
reportages sur la S'ouffrance qui frappe un peuple d' innocent.s qui n'ont
1
rien 'fait pour se l'attirer et à qui d'autres l'ont imposée par la
en plus i~s~,;et morbide. Camus
présente la situation de la façon la plus simpleïpour que tous puissent pratique d'un sadisme de plus
en
1 saisir la gravité et l'inhumanité.
\
Conscient du caractère trop
éphémère d'un journal' pour la postérité, Ca~us a condensé dans Actuelles
\
III ses articles de journaux parus dans Alger Républicain,. C'est en ,
effet cet .duvrage qui, nous livre sa position sur les événements de
l'époque qui sont tous imprégnés de l'injustice dont s'est rendu
responsable le système colonial. Couvrant la période de 1939-1958, les
Chroniques Algériennes nous font voir la situation sous deux aspects't l'un en temps de paix où une masse nombreuse de gens sont accablés par ,une minorité qui leur dénie tout droit et où les quelques privilégiés du
système, pour mieux assoir leur pouvoir et leur
domin~tion,v
intimident..
la masse par une répression violente; l'autre en temps de trouble, au moment où le verre de la patience déborde de son trop plein et où les
exploiteurs commencent à recevoir la monnaie de leur pièce,
o
Dans le premi.er cas ~ Camus nous. laisse conclure que la justice a
été complètement bafouée par tous ceux qui sont en position de la ,
pratiquer ou de la faire respecter. Sans jeter la pie~re à quiconque-en
particulie!, il se borne à ·peindre le lot de malheurs qui frappent la
Kabylie. Loin d'indiquer qui devait faire son mea eulpa, il écrit
o
•••
\
/
---"
..
, --'
-13-simplembnt: "Avant de ~rcourir l'itinéraire de la famine qu'il m'a été
donné de faire pendant ces longs jour~, je voudrais dire quelques mots
su:: les raisons économiques de cette misère" l A considérer certains- de
.'
ses points de vue, nous sommes portés à croire qu'ils dépassent les
attributions de l'homme,' En effet,-que la Kabylie ait une forte densité au, kilomètre carré, que la productivité du sol y soit si faible n'est
pas directement attribuable à 1 'homme, Mais on est coupable
d~ inj ustice, 1:orsqu' 6'h revalorise les céréales qui constituent la base
de l'alimentation de la région et qui sont importées à prix d'or alors
que la figue et l'olive qui sont les seules productions majeures sont
laissés au même prix, On est coupable d'injustice quand on multiplie
les traèasseries administratives pour freiner l'immigration des Kabyles dan's la Métropole après les avoir chassés de chez eux par la misère
qu'une mauvaise gestion des ressources a instaurée, Il y a injustice
- ~
quan~ le rapatrié est obligf de payer son rapatriement et quand toute
personne' qui porte le même nom que l'émigrant est obligée de payer lës
impôts, arriérés de ce dernier, Ce serait toutefois un demi-mal si,
i:'etourné sur sa terre natale, 1 ',émigrant trouvait du travail qui lui
permet d,e subvenir à ses "besoins ,et à ceux des siens, M&me ce luxe lui
était refusé car "on lui a ôté aussi le travail et i,l reste sans défense 2
contre la faim"; et' ses enfants n'ont d'autre choix que "de disputer à
des chiens kabyles' le contenu d'une poube
IJe.
Et lorsque certains de cesindigents tentent par un suprême effort de sauvegarder le dernier signe
/
•
•
)
c
..---T.~.-~---.
..
a-14-partir du bois mort, ils se font saisir le charbon. ainsi que l'âne
-croûteux et décharné qui le. transporte. Pour comble de malheur, "la
contrainte par corps l'enverra en prison parce qu'incapable de payer
~
l'amende et les frais de
f~urrièr~
où son âne a séjourné",3
Privés detout ce qui pOUl:rait leur permettre' de rester en:vie;~ ces gens sont
.~~~~. 't
réduits à la merci de la cha;itéa publique Iqui'" 'leur "distribue tous les
J "'~ 1
deux ou trois mois la pitance de 10kilos de blé,alors qu'il en faut 120
.
4
seulement pour faire le pain pendant un mois". Certains pourraient
néanmoins interpréter ce geste commme une mesure de justice sociale ~doptêe par l'administration, mais ceux-là oublient que Chamfort a écrit
r·
"qu'il faut', être
<! .. avant d'être
~ ~
,,'5
genereux , Camus lui-même
désapprouve cette p~atique qui fait parcourir 30 à 40 kilomètres à des
indigents mal nourris et en loques et de,ce fait incapables de combattre
~
les rigueurs de l'hiver, "Je savais, écrit-il, que les distributions de
grains ne suffisaient pas à faire vivre les Kabyles, Mais je ne savais
::-r-pas qu'elles les faisaient 0 mourir et qùe cet hiver quatre vieill,e,s
femmes venues recevoir de l'orge
.
6
du retour". Pressés de toutê)
~
\
sont mortes dans la neige sur le chemin
parts par une famine qui
r:
établison empire sur toute la Kabylie, ces miséra~les disputent aux bêtes les
herbes, le gland, les racines et les tiges de chardon ironiq\fument
- appelé "artichauts cl' âne". 11ais ils ~ sont poursuivis jusque bout par
l'injustice quJ leur est faite et le prix ~ payer est élevé; car "'l'an
passé, cinq petits Kabyles ,sont morts à la suite d'absortion de racines
vénéneuses"
?
Plus ~'un nous diront que jusqu'ici personne n'est1 1 1
**1.
\
\
\•
,
l
\
\ \ Or::-' 1 \ \-15-resP.s,able de la famine qui fait périr ies Kabyles. Nous leur
f répondrons~ de ne pas oublier que l'Algérie est une colonie où,
•
\
à aucun moment, l ' a\,\teur n'a fait allusion â une telle situation dont
sont victimes les colonisateurs. Si parfois, il a pensé à rejeter la
responsabi1it&de cette injustice sur l'absurdité de la vie, il n'hésite
"pas à écrire dans Actuelles III: "Il est méprisable de dire que ce
-r
nous. •• il est curieux de voir • . peuple n'a pas les mêmes besoins que
!
comment les qualités d'un peuple peuvent servir à justifier.
...
'
l'aba:l,ssement où on le tient et comment la sobriété proverbiale du
~
. 8
paysan kabyle peut légitimer la faim qui le. ronge". N;,.est-ce pas de
l'injustice que de considérer les besoins d'autrui comme
~nf;rie~r~
• 1
-'nôtres? Qu' es.t-ce qui justifie que certains soient mieux traités que
d'autres? Quel être vivant n'a pas besoin de nourriture pour rester en
vie? Ce "ON LE TIENT" ne dénote-t-il l'inexistence même de toute
justic,e?/ il nous apparait clairement que Camus' dénonce, par cette simple phrase, le sort qH'on fait subir au peuple kabyle.
Nous avons souligné plus haut que la 'misère où la Kabylie était
-
~'
-maintenue se faisait sentir dans tous les domaines. On conçoit aisément
~
qu'en période - de ~ri~e, le chômage frappe partout. Mais là où i l y
~
,
injustice c'est dans le fait qit'il existe deux catégories d,'ouvrier.s: les Européens qui sont bien rénumérés et les Kabyles qui reçoivent des
'"
salaires de crêve-faim. Bien
~ue
l'estimation officielle de lajourn~e
• " 1
de
p~station
soit de17
francs, on arrive à payer 6 francs lajourn~e
(
de travail parce.que le chômage permet la concurrence.
J
"-Pour prouver qu~
J
•
' 0
~16-"l'exploitation seule est la cause' des bas salaires" Camus relève 1
l"exemple de Beni-Lenni Où une politique de grands travaux a fait;
reculer le chômage'et fait gagner 22 'franc~ par jour aux ouvrièrs. Aux
o . '
piteux salaires que reçoivent les ouvriers kabyles viennent s'ajouter
des journées de travail d'une longueur interminable, ~
"
tcar i l faut àusai
tenir"com~te.du long trajet parcouru par eux.
9u
elle est cette justice1
, qut= recommande de voler le courage d'un homme qui, "rentré à
10
heures 0du 'soir chez lui, en repart .à 3 heures du matin, après quelques heures
- , ( 9
d'un sommeil écrasant", sans oublier' le ' tait "qu'il parcourt 10
. . , ~ )
kilomètreS'à l'aller et au retour". A. On nous dira' que 1 'ho~e est fait
o pour' travailler fort~ puisqu ''il doit "gagner son pain à la sueur. de son
front". Mais comment c~ra~tériser6ns-nous ce ,
-
comportement des.
propriétar1res kaby1es qui faisaient travailler les femme~ (communément
0;)
.,
..
appelées le Qsexe faible)- 12 heures par jour, alors "qu'elles sont payées
c-o
qu~ trois francs cinquante". Jusqu'ici c'es exploiteurs qui sont des
o .
particu~iers peuveont se dissimuler derrière la fallacieuse défense de
Cain ,qui consiste", , -. à demander si on est' responsable de son frère. Les' 0
\
espr~ts légers 1 peùvent presqu,e accepter l ''idée d' ~rès laquelle' i l 'n' y a
pas de sentimtlnt dans les affaires. Mais lo~sque cette absence de,
sentiment se f~it remarquer chez un gouvernement dont le rôle premier _ 0
est de protége'r le bien-êtr~ 'et la vie ge ses sujets, on 'ne comprend
!
plus rien. Lorsque l'Etat 'fait travailler Qles' indigents et retient à la
source la tota!ité du salaire en ~ paiement des arriérés d'impôts, on se
retrou>ve devant la plus intolérable injustice; car on" "fait travailler
a
o
----~~---~ ~.*
•
...
,"
..
..
l
"
-17-e~ continuant à les "laisser. crever de 'fa~ des gens q4i ~usqu'ici
crevaient de faim sans travailler". 10 De plus on dirait que cette
injustice est devenue la seule loi que respectent les adminis!rateurs,
depuis qu'elle a vu le j our avec' la domina tion des f aib les par les
puissants'~ Car, qu'ils le veulent ou non, ils tombent toujours dans le
Jl •
w
êmeo cercle vicieux. ,Ils sont incapables de poser d'es actes quipuissent régler le problème une fois pour toute. Même en faisa{lt travailler par roulement, le plus grand nombre de Kabyles qu'ils
o
r~numè~ent en argent et en grain, ils privent les infirmes de la portion
o .>
qui 1eurcétait distribuée. Nombreux sont les millions qu'ils dépensent
à cette fin, mais Camus nous dit que c'est pour "faire des ronds dans l'eau" •
Souffrant d'un dénuement total, privé du m~nimum vital de
nourriture,
'1:1
chômeur iorcé, le peuple .kabyle se voit même refusec
.
,l'espoir d'en sortir un j~ur. E~ retard de deux ou trois siècles, les
1
.
Kabyles con~i4èrent l',éco"le comme un instrument d'émancipation qu'ils
cO
pourraient rapidement mettre à profit grâce 'à leur soif' d'apprendre et à
leur goût pour l'étude. Mais ils sont enchaînés par une politique
discriminatoire combien séculaire qui consiste à placer la grandeur de
\
.l'Etat dans des m~:muments grandioses au lieu de la' faire dépend~ des
• Q
actes de justice en faveur' des démunis. C'est pourquoi rapporte Camus
"900,000 enfants indigènes qui auraient été scolarisés se trouvent sans 1 ~ , , ' 11 ,
eco1e. Il n a pas dit des enfants algériens ce ,qui inclurait les
.
petits Buropéens. Le petit Kabyle à quf on refuse l'épanouissement par
,
..
"
,
•
.'
-18-l'~du,cation n'a-t-i1 pas le même droit~ fondamental à l'instruction?
~
Pourquoi détourner de leur vrais buts les millions qui ont été votés
,
"pour l'enseignement indigène afLn d'assurer du piaisir aux
métfopoli-tains et aux étrangers qui ne manqueront pas d'admirer ces étab1is~
Qsements qui font la gloire des architectes au coût de 700,000 à un
"'-million, de francs? . Que des sommes monstres se fassent engloutir sans
que les éventuels bénéficiaires en profiten~, l'administration s'en
désintéresse. Elle n'a même pas la décence de sauver les apparences,
car sa "politique consiste à donner une poupê'e de 1000 francs à un
.
enfant qui n'a pas mangé depuis trois jours,,l2 écrit l'auteur' des
Chroniques Algériennes. Et i l continue à dénoncer" le ridicule du
,système en définissant les établissements scolaires comme "des
écoles-palais qui sont faites pour les touristes et les commissions
d'enquête et qui sacr.ifient au - préjugé du prestige les besoins
~
élémentaires du peuple indigène" ,13 Pour concrétiser cette allégation, i1
cj>te l'exemple "de la somptueuse école
cf'
Aghrib qui s'élevait au milieu,de ce d'ésert sans homme comme l'image même de l'inutilité". 14 Cette injustice d'Etat qui prend des enfants en- otage' fait juger du niveau
\
d'évolution de la société qui 'la pratique. C'est de ce ~oint que vient
la différenc.e entre Camus et ses contemporains. Car, en étant le
,
premier à découvrir la misère de la Kabylie et à~éc1amer justice en son
nom~ il dépasse son temps de mille coudées .
_" _---...-t
-
---~---~---~----
-o
'
•
l
l
,)...
..
"1- Albert Camus, Actuelles JII, N R F Gallimard, P. 33.
l'
..
2- Ibid." P. 35 3- Ibid., P. 45. \ 4 - Ib~ 'd ., _ P. t' 37 •5- Définition du justei
.
citation rappùrtée par le Petit lbbert.,
6- Albert Çamus, Actuelles III, N R F Ga l lima.rd , P. 43.· '
7
Ibid., P. 42. ,8- Ibid. ,P. 49.
II " .~ .;'" 1) P, 9- Ioid. ,P.
54 10- Ibid. , ~. 48. , , ,11-, IblG. ,P.
58.
..
12- /!h;!4. ,P.
63 13- Ibid. ,P.
9
3..
.
, 14- Ibid. ,P.
62. Co o' , '...
J , 'fi' cS-19-•
C)
LE JOURNALISTE
ETL'ALGERiE
En 1939 Albert Camus s'est effprcé de réveiller la conscience
, "
'.simplement humaine de 1 ~ ensemble de l'administration algérienne et des
profiteurs du régime en leur révélant la misère crue qui ronge la
Kabylie. Mais là ne s'arrête pas son action qui s'étend à l'ensemble de
la colonie. Dans un premier temps, il se sert des médias locaux pour
-tenter de réduire l'injustice et l'inégalité dont souffre toute la
,
popul~tion indigène. Il s'applique à dénoncer ce miséralisme qui
manifeste une si 'grande p~éférence pour tout ce qui est arabe. Il ne
marchandeè pas ses mots pour taire connaître à qui veut l'entendre sa
position face à cet état de chose. "Je ne pense pas, écrit-il, qu'on
'supprime la pauvreté en un seul jour. Mais je dois dire aussi que je
n'ai jamai'S vu une population européenne aussi misérable que 'cette
population arabe et cela doit bien tenir à quelque chose. C'est à
supprimer cette disproportion et cet excès de pauvreté qu'il faut'
s'attacher. On ~e peut croire du moins que cela soit utopique". . 1 Oui,
"cela doit bien tenir à quelque chose", quand on refuse aux travailleurs
1
algériens en congé chez eux ainsi qu'à leur famillè tQut droit aux
assurances sociales alors qu' ils ~ont obligés de cotiser à la Caisse
d'assurances. Il est en effet conplètement injuste de garder par devers
soi des cotisations sans donner les services qui en découlent.
Toutefois Camus, devant la' misère où croupisse?t huit millions de
défavorisés, ~demeure confiant dans l'utilité de<t)sa démarche et I\~rlant
,
"
-
,
•
de son" enquête, :lrl la termine' - par-cette-20-
note de solidarité~
inconditionnelle: "Peut-être permettra-t-elle de rendre plus efficace la
justice qui sera rendue aux travailleurs arabes dont nous sommes
solidaires Il •
.
)Nous avons dit plus haut que Camus se projette dans ses héros et
nous considérons que rien n'est plus vrai quand il fait taire tous ses ,
autres àspects personnels pour ne laisser paraitre que le juste qu'il
est. En effet tel se revè1e-t-il quand il ne peut supporter que des
("
déshérités se fassent opprimer. Peu -importe le groupe qui est
impliqué, il est toujours _ là avec ses articles pour fustiger
l"oppresseur. Augustin Ro~is 1'apprendra, à ses dépens lorsque, au
- 0
mépris de tout code d'éthique, il congédie
\
municipaux pour avoir tenté de rappeler
-et m-et à pied des empl~yés
au maire ses promesses
électorales. Cette conduite de Rozis sera qualifiée de "grotesque" et
Ild 'odieuse" par Camus qui profite de l'occasion pour défendre l'homme
caché SÇ>us l' apparen~e de
<> l'ouvrier contre l'injustice ct, la. "misère
.
o instaurées par le pouvoir. Loin d'abandonner ces malheureux à leur
sort, il reviendra à la charge à trois reprises dans les colonnes
d' Alger Républicain afin de bien révéler à tous l'arbitraire - ct les
co~séquences tragiques des mesures de la munici~alité. Tour à tour, il
nous fait sentir la prc':gression lente mais sûre de la misère dans Bon '\
oeuvre destructrice. A chaque article, il nous fait faire un pas plua
en avant vers la généralisation des dommagea- causés" par Roz! g. A choque
fois, il laisse à ses messages le temps nécessaire pour bien p(.nétrer
- - - c - o -"-. j
\
---,---~---•
..
•
-21-Q
1~s esprits af'tn. que les effets fassent sentir davantage
.
à la masse.
musulmane la condition dégradante où elle est maintenue. Sa il' première
prise de position, il la fer~ le 7 décembre quand i l écrit:
Ce qu'on retiendra de son arrêté, (parlant de Rozis) c'est la
vo10ntâ concertée de détruire un syndicat - qui l'a gên€ à
partir du moment où i l a cru voir en lui le dénonciateur de
certaines combinaisons - et l'intention avouée de punir par la
misère et le dénuement ~es ouvriers coupables de n~ pas avoir
s~r la dignité la même conception que M. Rozis.2
Jusqu'ici, il n'y a rien de dramatique à son geste dont les conséquences
semblent être insignifiantes; car si misère et dénuement i l y a, ils ne
paraissent pas si évidents. On peut facilement vivr)e avec cette
décision du maire parce que le nombre de personnes atteintes est réduit.
Mais, lorsque 14 jours plus tard, soit le 21 du même mois~ il publie un
• 0
autre t~xte sur le même sujet avec cette fois des" chiffres à l'~a.ppui, on
o ~ 1.J
commence "à se poser d,es questions; notre conscience d'homme v'iyant en
société commence â se réveiller devant ces huit jours
de mise à pied qui représentent une privation de 320 francs,
156 semaines de salaires qui font 49920 francs. Sans doute,
~ cela représente une économie pour le budget de la Ville
d'Alger qui en a bien besoin, Mais cela représente aussi
bien, pour 156 familles, 156 fins de mois où la misère fera ijuelques pas de plus dans la maison.J
Il résulte des effets dramatiques de cette perte de salaire, car de
cette façon, on ~n1ève de la bouche du nécessiteux le peu de pain dont
Q
il dispose. Comment accepter cette révoltante injustice" qui est
.infligée à
ce~x
qui essaient de faire valo.irl~urs
droits par des moyens~lUS que timides? Nous avons là une qû~stion que tout homme, à qui il
1 1 1
1.
! : .1
-22-
" \reste encore quelques notions d 'humanisme, devait sE; poser en face de
telle situation. Mais là ne. s'arrête pas l'action .de Camus qui lutte
jusqu'au bout pour que justice soit faite à qui justice est due. C'est
,
pourquoi le 8 février 1939, il relapce le problème des victimes de Rozis
en
pu~liant
dans le même journal un article susceptible de sénsibiliserdaV~age
l'opinion publique.Les clnq employés révoqués par M. Rozis pour leur activité
'syndicale totalisent seize enfants dont la plupart en bas âge.
L'un d'eux est père de sept enfants. Trois.autres ont, par
surcroit, une vieille à leur charge. Tous ces êtres seront dans la
misère. Mais M. Rozis, qui ne l'à jamais connue ignore que la
misère n'a pas de parti.
4
Il résulte de ce fait que du jour au lendemain Rozis augmente le nombre
âes indigents ,de 24. Une fdis de plus l'innocent est bafoué et
l'injustice règne.
Si jusqu'à présent, sous la subdivision: "Le JO,urnaliste et
l'Algérie", nous n'avons parlé que des causes de gronpe qu"il défend,
nous ne saurions passer sous silence les cas individuels qu'il Il fait
siens. Jamais il ne refuse de voler au secours d'un innocent qui
sollicite son aide. c'est pourquoi il a il son actif um' pléiade
'd'affaires où il est personnellement intervenu. Et nous devons
mentionner tout de suite qu'à chaque fois il est guidé uniquement par la
volonté de faire régneor la justice qui doit être une pour tous. A cc
sujet Abbou écrit:
Avec l'ardeur des révoltés, il' n'a pas ménagé fH!S !orc~6 ct fiCS
engagements, témoignant ajnsi de l'étenâue des atteintes au droit
et aux personnes. Question indigf!ne, proc~6- des mcmbrl'fJ du l'. P. A ••.
affaire Prialfd et BouhaI1, relégués en partllnCf' pour le bap,nc,
droit et justice dans lcs Territoires du Sud, affaire Hodent,
affaire El Okby, Incend1ai~e6 d'Auribeau, exp~di~nt8 du pouvoir
~---•
•
-23-colonial et manipulations électorales, le nombre des
impostures que l'écrivain décida de dénoncer démontre quelle importance il accorda aux problèmes de 111 jus tice et qu'elle
énergie il ~ut trouver pour y faire face, sans prendre garde à
sa santé et à sa sécurité.5
De tout ce qui précède, il ressort que Camus a toujours eu
à
coeurla question indigène. Car, qu'i~ s'agisse des paysans de la Kabylie ou
de l'ensemble des ouvriers de toute l'Algérie, i l est toujours à pied
d'oeuvre pour exprimer son exaspération devant "l'état d'infériorité" ;ù les musJ,1lmans sont maintenus et qui fait d'eux,
libres et conscients, mais de véritables serfs'P et .r'
"non pas des hommes qui ne sont bons qu'à
servir de rempart à la France quand elle est menacée . .
La défense des ouvriers municipaux d'Alger ne constitue pas la
seule préoccupation d'Albert Camus. Peu importe te crime dont on
\
accable l'innocent, il est toujours là pour-crier à l'injustice et pour
rappeler que "la force d'un Etat réside dans une saine administration de-la justice".7 Aussi endosse-t-il de-la cause des membres du Parti Popude-laire
Algérien (P. P. A) en consacrant ses articles à leur défense lorsqu'ils
o
sont inculpés et condamnés sur de simples soupçons et de grossières
médisances. Il s'en prend "aux juges qui sont conditionnés dans leurs
décisions et qui ne tiennent compte que des apparences des actes
,
reprochés sans jamais en considérer les motivations. Ce que Camus
qualifie d'injuste dans ce procès, c'est' q u ' i l n'a nullement lflé'riti6nné
que les adhérents
"
du l'Administratidh leur P.P.A. voulaient \ réprobation "contre simplement signifier à la misère matérielle,physiologique et intellectuelle, où est laissée la majorité du peuple algérien".8 Ce qu'il désapprouve, c'est la tendance colonialiste qui
-)
l
""_.
J
-24-tient il "oir en eux des autonomistes qui combattent les intérêts de la
France et qui refuse de les considérer comme des hommes en quête de
conditions de vie décentes auxquelles ils ont droit tout en étant l~,1
décidés il. continuer à vivre dans la démocratie français~: Camus
s'évertue donc à.mettre en évidence l'illogisme des accusations dont c~s
inèulpés pâtissent;.~ la volonté de l'administration à intimider par le
déPlfiement inutile d'une force policière i~pressionnante, le mépris et
la répression dont les musulmans sont abrè'uvés. ..Il s' ind igne que' les propos subversifs des fascistes français demeurent imp\lnis malgré te
.",
grave danger .auquel ils exposent le pays en partageant lcs idées
d'Hitler, pendant que les ~cadilles des opprimés d'outre - Méditerranée
.
.
sont sévèrement réprimées. C'est cette politique de deux poids, deux
...
mesures qui suscite son.opposition.
Après avoir vigoureusement combattu pour sauver les partisans du
groupe P.P.A. de la machination machievé1ique des colons ct des
administrateurs, une affaire syndicale sollicite son intervention.
Encore une fois Albert Camus va continuer à se servir d'Alger
.
Républicain pour a1erte'r~ et sensibiliser l'opinion pub1 iquc devant
l'iniquité du procès des "incendiaires" d'Auribeau. Par le truchement
de ce quotidien, il veut faire" sentir au peuple frnnçaiA au nom duquel
"
on "distribue soixante ans d~ travaux forcés" la .diflproportion
.
monstrueuse qui existe entre la faute conunifi't et la p('inc 1ncfligé(>. En
effet, dans le numéro du 25 juillet, il écrit:
1
Nous voulons dire ce que nous p~n6on8 d'une.accusation d'prdrc
poU tique, où des innocents sont devenus des 1ncend1Bires,
où
des
•
• 0..
" , 'c
c
" /
, ,-25-gourcUs de. paille ont été transformés en "édifice,s" et où, par un singulier artifice juridique, un délit justifiable de la
prison s'est mué en un crime puni des trav?ux forcés. 9
Que pouv~it-o~ attendre d'autre de ces juges qui sont complètement
à la solde de l'injustice, si ce n'est la bénédiction légale qu'ils
1
. donnaient aux. actes les plt~s humainement condamnables en vue et de
dtS'nner ainsi aux mauvaises consciences la fau'sse impression de non
culpabilité. Ce ton sarcastique que pren~ Camus pour'çommenter ces faits
ne manque pas d'indiquer le malaise qu'il ressent à
,
être français en lacirconstance. C'est·pourquoi il emploie toute son ~n~rgie à fus~iger la
"justice coloniale" qu'on. aurait tout int~rêt à nonnner "l'injustice
·coloniale" si on voulait respecter l'exactitude des évé.nements. Il met
tout en oeuvre pour tenter de sauver "ces innocents' qui prendront le
10
chemin .du bagne et n'en reviendront plus". Devant de telles sévérités
f
..
de l'administration, on s'attend à ce qu'on nous dise que ces futurs
bagnards ~nt commis les crimes les plus abjects de l'humanité. Mais tel
n'est pas le cas puisque Camus déclare que "ceci les punit"à la vérit~,
d'avoir gagné 4 f.rancs par jour" pendant des années et d'avoir un jour
osé dire que ce salaire ne convenait pas à la dignité d 'un honnne,,~1 Pour
avoir osé tenter de dire non à la volonté de l'infime minorité "dix
malheureux ont été condamnés ( ••• ) Tous sans exception laissent des
12 .
familles de 5 à 8 enfants dans une effroyable, misère". Tout au long du
..
mois de juillet, Camus mène 1 'offensive ~n faveur des "incendiaires" par
--toute une série d'articles où il s'efforce de combattr~ non seulement
l'injustice que pratiquent ~outes les branches du pouvoir, mais encore
la méchanceté pure et simple qui matérialise la haine du nanti contre le
••
1
, ,
,.
-26-pauvre qui a osé' réclamer "son dû et la colère du colon contre la
revendication de l'esclave. Pour ~voir osé, ces condamnés ont_attir~ la
-'
foudre sur tous les leurs. Car, "avant l'affaire, écrit Camus le 31
juillet, les familles de ces hommes cOilOaissaient la misère, elles
connaissent maintënant la fail!l'"
l\e~ant ta~e,
,drames, onréagir à l ' indifféren'ce des uns et au sadisme des autres
assiste sans qui sont de
plus en plus excités par la souffrance des faibles. Ici, l'auteur de ~a
Peste ne se retien; plus et il déclare que" nous' "avons t~us trahi Il parce
que nous avons accepté le règne de la bête et de l'absurdité par notre insouscience; nous sommes coupables parce que nous n'avons pas réagi quand, "en face de ce-déni de justice, nous voyons des misérables qui ont travaillé toute une vie pour des.salaires insu1ta9ts et qu!on envoie
au bagne sans scrupule". Cette expression "sans scrupule" cache une
-
14
volonté ferme de considérer comme normale la situation qui prévaut,
"alors qu'telle a suscité chez Camus la plus profonde indignation qui se
concrétise par un vocabulaire très précis propre à l'injustice. En
effe.t:, les article publiés du 25 juillet au 8 août regorgent de termes
tels que "scandal~u6es méthodes"," "méthl?des abjectes" , "den! ,1 de
justice" , "jugement révoltant", "mons t rueux verdict" , plus
dégradante des accusations", ",in jus t ice consommée" t l'brutal! tés
1, i i' " " f f i i d i ib 1 f 0 cl ~ ~ 1 "II 11) L
po c eres, a a re na m se e et pro on cment r<-,va tante. cs
1
c qua,lificatifs qu 1 i l utilise ne constituent pas un artifice de
('"
rhétorique; leur but est dl alerter tout un chacun du danger qu'! le
guette d'après le mot de Camus du ~6 juillet: "Aucun homme libre n'est