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La ville de science-fiction au prisme de la bande dessinée : le futur des sociétés urbaines, entre fiction et regard réflexif

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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HAL Id: dumas-01842512

https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01842512

Submitted on 18 Jul 2018

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Copyright

regard réflexif

Paul Leroux

To cite this version:

Paul Leroux. La ville de science-fiction au prisme de la bande dessinée : le futur des sociétés urbaines, entre fiction et regard réflexif. Sciences de l’ingénieur [physics]. 2015. �dumas-01842512�

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Président de TFE : François DUCHÊNE Maître de TFE : Thierry COANUS Expert de TFE : Vincent VESCHAMBRES

L

A VILLE DE SCIENCE

-

FICTION

AU PRISME DE

LA BANDE DESSINEE

Le futur des sociétés urbaines, entre fiction et regard réflexif

Auteur : Paul LEROUX

Promotion 60 – VA APU

Mercredi 1

er

juillet 2015

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(4)

3

N

OTICE ANALYTIQUE

N

OM

P

RENOM

A

UTEUR Leroux Paul

T

ITRE DU

TFE

La ville de science-fiction : l’évolution des sociétés urbaines au prisme de la bande dessinée

O

RGANISME D

'

AFFILIATION ET LOCALISATION

N

OM

P

RENOM

M

AITRE DE

TFE

Laboratoire RIVES au sein de l’ENTPE

COANUS Thierry

C

OLLATION Nbre de pages du rapport

121 p Nbre d'annexes (Nbre de pages) 4 (11 p) Nbre de réf. biblio. 57

M

OTS CLES Sociétés urbaines, prospective, individu, changement, contrôle, violence

T

ERMES

GEOGRAPHIQUES

Europe, Amérique du Nord

R

ESUME La science-fiction est un genre artistique qui puise dans le contemporain

pour ensuite dresser le portrait de sociétés futuristes. De l’avis de plusieurs acteurs du milieu, le genre peut ainsi être considéré comme un témoin des préoccupations sociales d’une époque. A la lumière d’un corpus de bandes dessinées judicieusement choisi, et des outils adaptés pour son analyse, cet aspect prospectif de la science-fiction, appliqué aux sociétés urbaines, est étudié. Il en ressort deux grandes problématiques. Enfin, pour garantir une démarche prospective complète, son impact sur le lecteur sera étudié en parallèle des intentions des auteurs.

ABSTRACT

The science-fiction is an artistic style which gets inspiration from the current era, and then describes futuristic societies. According to several actors from this environment, the genre can be then considered as a witness of the social preoccupations of a particular time. Through a wisely chosen corpus of comics, and thanks to the correct tools for its analysis, this prospective aspect of science-fiction, applied to urban societies, is studied, so that two general problems are dug up. Finally, to guarantee a complete prospective, its impact on the reader will be studied at the same time as the authors’ intentions are.

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Table des matières

Table des matières ... 5

Liste des figures et illustrations ... 7

Introduction ...10

Chapitre 1 : Les clés de lecture d’un corpus de science-fiction...15

A. Un choix réfléchi d’œuvres marquantes ...15

i. Le corpus principal, des œuvres complémentaires balayant le paysage artistique franco-belge ...15

ii. Le corpus annexe, une ouverture vers d’autres visions du futur ...19

B. Un questionnement des œuvres selon les codes de science-fiction ...22

i. Les codes de la science-fiction… ...22

ii. … au prisme des corpus ...27

C. Démarche de travail et méthodologie ...32

i. Choisir ses clés de lecture ...32

ii. L’analyse d’une planche : l’exemple de Brüsel ...32

Chapitre 2 : Les évolutions de la société urbaine : contrôle de la population et recrudescence de la violence...38

A. Le fort contrôle de la population ...38

i. Une ségrégation socio-spatiale synonyme d’injustice ...38

ii. Régime totalitaire et cités autonomes ...43

iii. Le besoin d’un leader absolu et arbitraire ...49

B. La violence en ville omniprésente et surdéveloppée...54

i. Les formes de la violence urbaine...54

ii. La quête de liberté confrontée au contrôle des populations...61

iii. La valeur accordée à la vie humaine dans les villes de science-fiction ...66

Chapitre 3 : L’inclusion du lecteur dans la démarche prospective ...71

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i. Des références réfléchies permettant de donner des repères au lecteur...71

ii. A la lumière des œuvres, une vision des sociétés contemporaines ...80

B. Le pari de l’impact sur le lecteur ...91

i. Des réponses en images à des questions omniprésentes ...91

ii. Une identification du lecteur qui permet la réflexion ...97

Conclusion ... 102

Remerciements... 105

Bibliographie ... 106

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7

Liste des figures et illustrations

Figure 1 : Plan de Brüsel issu du Guide des Cités obscures, p106-107. ...16

Figure 2 : Vue de Berlin issue de Berlin Strasse, p 7 ...17

Figure 3 : Double page issue de Civil War. ...21

Figure 4 : Chronologie du cinéma de science-fiction, en nombre de films sortis par an ...23

Figure 5 : Captures d’écran du film Metropolis de Fritz Lang. ...24

Figure 6 : Tableau des critères de science-fiction contenus dans le corpus principal. ...27

Figure 7 : Vue de la Brüsel moderne, page 89 de Brüsel. ...29

Figure 8 : La présentation du K.K.D.Z.O., planche 15 de Froid Equateur. ...30

Figure 9 : Tableau des critères de science-fiction contenus dans le corpus secondaire...31

Figure 10 : Page 29 de Brüsel, faisant l’objet d’une analyse approfondie. ...34

Figure 11 : La Foire aux Immortels, planche 26...39

Figure 12 : Plan d’Urbicande, Le Guide des Cités, p 146-147...40

Figure 13 : La Foire aux Immortels, planche 10...41

Figure 14 : L’Incal Noir, planche 27. ...43

Figure 15 : La Foire aux Immortels, planche 5...44

Figure 16 : Berlin Strasse, page 19. ...46

Figure 17 : L’Incal Noir, planche 20 ...48

Figure 18 : La Foire aux Immortels, planche 4...51

Figure 19 : Parabole, planche 3 ...52

Figure 20 : L’Incal Noir, planche 22. ...54

Figure 21 : La violence urbaine sous différentes formes...56

Figure 22 : Froid Equateur, planche 49...62

Figure 23 : L’Incal Lumière, planche 21 ...63

Figure 24 : Planches issues de The Hard Goodbye ...64

Figure 25 : The Hard Goodbye...66

Figure 26 : Froid Equateur, planche 14 ...67

Figure 27 : Pages 386 et 387 de Watchmen...69

Figure 28 : La Foire aux Immortels, planche 28...74

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8

Figure 30 : La Foire aux Immortels, planches 7, 10 et 17 ...76

Figure 31 : Berlin Strasse, page 18. ...78

Figure 32 : Berlin Strasse, pages 19 et 29. ...79

Figure 33 : Vue intérieure de l’hôtel Grand Hyatt de Shanghai ...79

Figure 34 : Watchmen, page 118 ...81

Figure 35 : Berlin Strasse, page 62. ...83

Figure 36 : La Fièvre d’Urbicande, page 20 ...83

Figure 37 : Brüsel, page 80 ...84

Figure 38 : La Foire aux Immortels, planche 50...87

Figure 39 : L’Incal Lumière, planche 8 ...90

Figure 40 : Illustrations des évolutions de la morphologie des villes ...92

Figure 41 : Illustrations des menaces environnementales et de leurs conséquences...94

Figure 42 : Illustrations des avancées techniques et de leur impact sur l’homme ...96

Figure 43 : Tableau des caractéristiques des héros ...98

Figure 44 : L’Incal Noir, planche 15. ...99

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Introduction

Depuis maintenant près de 150 ans et les premiers récits de Jules Verne, la science-fiction est un genre populaire décliné sur de nombreux supports : littérature, cinéma… Sous chacune de ces formes, certaines œuvres ont marqué les esprits par la vision de l’évolution du monde qu’elles exposent, cette vision ayant elle-même évolué au cours de l’Histoire. Au départ pleine d’optimisme envers les technologies, la science-fiction a pris un tournant suite à la Seconde Guerre Mondiale, lors de laquelle les progrès techniques étaient synonymes de projet Manhattan. Ce tournant a d’ailleurs à l’époque marqué une première différence flagrante entre Etats-Unis et Europe, les premiers n’ayant pas vécu de près les horreurs de la guerre, et ayant donc conservé une vision exclusivement positive des sciences et des progrès qu’elles symbolisent.

Ainsi, que ce soit le roman 20 000 lieues sous les mers de Jules Verne, publié en 1869, ou le film Metropolis de Fritz Lang, sorti en 1927, des standards culturels porteurs d’opinions sur les avancées scientifiques se sont imposés dans la culture générale. Depuis 1929 et le précurseur Buck Rogers, la bande dessinée est elle aussi devenue l’un des supports de la science -fiction toutefois bien moins intégré à cette culture collective, en partie car la crédibilité de cette forme d’art n’est pas encore tout à fait affirmée, contrairement au cinéma.

Pourtant, le neuvième art offre des œuvres de science-fiction tout aussi complexes et intrigantes que certains films considérés comme des classiques. En Europe, la production de bandes dessinées de science-fiction est même plus soutenue que celle de films, pour des raisons, entre autres, de coûts. La bande dessinée européenne vient donc combler un manque dans un genre pourtant crucial dans le paysage culturel.

Pourquoi crucial ? De l’avis de plusieurs artistes et acteurs du genre, la science -fiction apporte quelque chose qu’aucun autre genre ne peut aussi bien apporter. L’écrivain H.L. Gold explique ainsi : « few things reveal so sharply as science fiction the wishes, hopes, fears, inner stresses and tensions of an era, or define its limitations with such exactness » (cité dans Feuer 1990 : 15). Ainsi, selon Gold, le genre permet de mettre en valeur les caractéristiques et les préoccupations sociales d’une époque, plus généralement de l’époque contemporaine à l’auteur. Mieux, la précision et l’exactitude que permet le registre est un atout peu commun. Il faut de plus considérer que cette démarche est faite à travers une œuvre littéraire ou cinématographique, et donc accessible en notre temps par un public quantitativement appréciable.

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11 Ces caractéristiques contemporaines à l’auteur sont alors traitées dans un monde futur au sien, ou en tout cas au moins différent du sien. Comme le résume Hugo Gernsback, éditeur du magazine Amazing Stories – The Magazine of Scientifiction, « par scientifiction j’entends des histoires du type de celles qu’écrivaient Jules Verne, H. G. Wells, E. A. Poe, c’est-à-dire des histoires où l’intérêt romanesque est entremêlé de faits scientifiques et de visions prophétiques de l’avenir » (1926). La science-fiction permet ainsi de traiter de phénomènes contemporains, le plus justement possible selon Gold, mais dans un univers futur imaginaire. Ce monde pourrait d’ailleurs être qualifié d’irrationnel, étant donné que des progrès scientifiques ou techniques le différencient radicalement du nôtre, mais reste pourtant acceptable. Ces flagrantes différences sont effectivement justifiées par la science, ou tout du moins par un propos qui emprunte sa crédibilité à la science.

Selon Thierry Paquot, co-auteur de l’encyclopédie La Ville au Cinéma, certaines œuvres de science-fiction versent même dans la satire. C’est le cas par exemple du film L’An 011 sorti en 1973 et justement

adapté d’une bande dessinée. Pour le théoricien de la bande dessinée Harry Morgan, cet aspect satirique est même caractéristique des œuvres dont le récit se déroule dans le futur (2012 : 3). Contrairement aux voyages dans le passé, qui sont l’occasion de conter des récits épiques, romanesques, les voyages dans le futur sont selon Morgan sujets à la mise en place d’une satire, d’une critique de la société contemporaine à l’auteur. La « vision prophétique » dont parle Gernsback se voit donc doté d’une valeur réflexive, il ne s’agit pas de créer des univers ayant subi des transformations aléatoires en regard du nôtre, mais de donner un sens à ces modifications afin de porter un message. Si l’on résume donc ces différentes observations, la bande dessinée serait un moyen efficace d’obtenir une vision des préoccupations sociales d’une époque, traitées selon le point de vue des auteurs, à travers des récits se déroulant dans des sociétés futures marquées par des évolutions scientifiques importantes. L’auteur construit ainsi une vision prospective, dont le Larousse des noms communs de 2008 donne la définition suivante : science portant sur l’évolution future de la société, et visant, par l’étude des diverses causalités en jeu, à favoriser la prise en compte de l’avenir dans les décisions du présent.Grâce à la bande dessinée, ces prévisions revêtent un aspect graphique qui rend l’analyse plus lisible et surtout qui fournit un exemple concret. Mais si le but des auteurs est d’établir une satire de la société ou du monde à un moment donné, il est important de donner les moyens au lecteur de la déchiffrer. Les œuvres de science-fiction ont aussi pour vocation de divertir, leur forme doit donc parler au plus grand nombre, tout en permettant l’établissement de la satire. Le cadre donné aux

1 Film français coréalisé par Jacques Doillon, Alain Resnais et Jean Rouch, scénarisé par Gébé, l’auteur de la

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12 évolutions présentées de la société doit donc être accessible tout en permettant de mettre en place les problématiques que l’auteur souhaite aborder.

A ce propos, Pierre-Jacques Olagnier, maître de conférence en géographie à l’Université de Picardie Jules Verne, écrit : « cependant, les sociétés urbaines apparaissent alors comme le moyen le plus adapté, le cadre privilégié pour rendre compte des transformations les plus générales de l’Humanité » (2008 : 5). Placer les récits de science-fiction dans un décor urbain constituerait donc un premier pas dans cette démarche de lisibilité vis-à-vis du lecteur. Mais il va de soi que la prospective, pour qu’elle soit appréhendée par le lecteur, n’est pas seulement soumise à cette condition. La question suivante entre donc en jeu :

Dans quelle mesure la bande dessinée de science-fiction permet-elle d’entreprendre une démarche prospective, proposée par l’auteur et saisie par le lecteur, sur les possibles évolutions de nos sociétés

urbaines ?

Afin de répondre à cette question, un choix doit être fait sur les bandes dessinées qui seront analysées. Bien évidemment, ce rapport est le fruit d’un Travail de Fin d’Etudes (TFE), et celui-ci est limité tant dans le temps que dans les ressources dont dispose son auteur. Il faut donc se poser la question de la constitution du corpus en prenant en compte ces limitations. A ce stade, la seule condition néce ssaire pour qu’une bande dessinée soit intéressante à étudier dans le cadre de ce TFE est son appartenance au genre de la science-fiction. Serait-il alors judicieux de se définir d’autres règles pour limiter le corpus ? Une autre possibilité serait de piocher dans la totalité d’œuvres lues les arguments dont on a besoin. Mais alors, l’analyse du corpus serait bien superficielle. La constitution du corpus engendre donc une réflexion sérieuse sur les choix à faire. Justement, quels sont ces choix ? Doit-on se concentrer sur un style précis ? Une école ? Un groupe restreint d’auteurs ? Est-il souhaitable de se restreindre rigoureusement à un corpus bien défini, ou est-ce qu’une ouverture est souhaitable ? Ce qui est certain à partir de ce qui a été expliqué plus haut, c’est que les volumes retenus devront présenter un décor urbain suffisamment fouillé.

Mais une fois le corpus choisi se pose la question de son exploitation. En effet, comment peut-on exploiter une bande dessinée de science-fiction afin d’en extraire une argumentation suffisante pour répondre à la problématique posée ? Il est nécessaire donc de se choisir des outils. Tout d’abord, des clés de lecture du genre doivent être définies. La science-fiction est un genre à part entière, et possède donc ses propres ressorts scénaristiques, ses propres codes graphiques et narratifs. Et puis, ne possèderait-elle pas aussi des thèmes privilégiés ? Des angles d’approche qu’aucun autre genre ne saurait exploiter ? Les codes et les thèmes propres à la science-fiction doivent donc être appréhendés, mais il faut aussi garder à l’esprit le besoin d’outils propres à l’analyse d’une bande dessinée, quel que

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13 soit son genre. Comment peut-on analyser le graphisme d’une bande dessinée ? Sa construction narrative ? Est-il d’ailleurs nécessaires d’étudier les deux ? Une planche seule doit-elle être l’objet d’une analyse plus poussée ? C’est en se choisissant les bons outils que la lecture du corpus permettra de révéler les évolutions des sociétés urbaines envisagées par les auteurs.

En particulier, deux problématiques urbaines communes à la science -fiction sont mises en valeur par le corpus. Tout d’abord, le contrôle de la population et la restriction de ses libertés sont quasiment omniprésent. Mais par quelles mesures ce contrôle se pratique-t-il ? Les régimes politiques actuels, en ce qui concerne la situation géopolitique donnée par le corpus, ont pourtant à cœur de garantir les libertés de leurs citoyens. Si l’univers créé par l’auteur doit être crédible, alors comment un contrôle aussi fort de la population peut-il se mettre en place en partant de la situation actuelle ? Les régimes politiques sont-ils justement à mettre en cause ? Ou bien s’agit-il d’une toute autre raison, plus intrinsèque à l’homme lui-même ? La deuxième problématique récurrente est l’apparition de la violence quasi systématique en ville. Les ambiances qui règnent dans les villes étudiées sont lourdes de menaces, et bien souvent celles-ci sont de sources humaines. Quelles sont exactement les formes que revêt la violence urbaine ? S’agit-il uniquement de violence physique ou verbale entre protagonistes ? Cette thématique en particulier appelle à considérer le graphisme et la narration d’une œuvre, et justifie ainsi l’étude de planches spécifiques, portant en elles le style graphique propre à chaque dessinateur.

Le corpus ayant été analysé, des réponses peuvent enfin être apportées à la problématique que l’on se pose. Le cadre urbain est donc, comme mentionné plus haut, crucial pour l’accroche du lecteur à la prospective de l’auteur. Sa construction ne peut pas être le fruit du hasard, et les intentions des auteurs devront être décryptées. Une œuvre comporte forcément des influences, alors quelles sont-elles ? Signifient-sont-elles des références directes à des époques précises, des lieux précis ? Quels avantages peut se procurer l’auteur en les choisissant ? La prospective passe par l’étude de phénomènes contemporains, par la suite accentués. A la lumière des deux problématiques exposées précédemment, quelles sont ces phénomènes contemporains qui inspirent les auteurs ? Le dernier point à discuter à ce stade est l’accroche du lecteur amorcé par le travail effectué sur le cadre du récit, c’est-à-dire la ville. Quels autres moyens sont employés par les auteurs, scénari stes et dessinateurs, pour pousser le lecteur à la réflexion ? Cette réflexion ne s’oriente-t-elle que vers l’espace urbanisé, ou bien vers l’homme lui-même ?

Toutes les questions soulevées sont au cœur des chapitres qui suivent. Le premier expose les deux corpus retenus, et explique quels choix ont été effectués quant aux ouvrages retenus. Ce sera aussi l’occasion d’explorer le genre de la science-fiction, et les codes qui la composent, ainsi que de

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14 présenter la méthodologie retenue. Le deuxième chapitre met en lumière les deux problématiques les plus récurrentes des corpus : le contrôle de la population, qui passe par une ségrégation socio-spatiale inégalitaire et un leader absolu, et l’omniprésence de la violence en ville, qui apparaît sous diverses formes et pour plusieurs raisons. Enfin, le dernier chapitre sera l’occasion d’analyser en détails les visions prospectives des auteurs, qui doivent entre autres guider le lecteur pour qu’il puisse lui aussi participer à cette réflexion.

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Chapitre 1 : Les clés de lecture d’un corpus de

science-fiction

Afin de répondre aux questions précédemment posées, il est important de constituer un corpus de bandes dessinées de science-fiction judicieux. Cela passe par la lecture de nombreuses œuvres, mais aussi par la recherche des impacts qu’ont eu ces œuvres à plusieurs niveaux : artistique certes, mais aussi à une échelle plus large, preuve d’un message parlant à un public étendu. Enfin, le choix du corpus n’est rien sans sa lecture approfondie, et cela passe par l’appropriation des codes du genre.

A. Un choix réfléchi d’œuvres marquantes

i. Le corpus principal, des œuvres complémentaires balayant le paysage

artistique franco-belge

Six volumes composent donc ce corpus principal, correspondant à quatre œuvres non complètes, puisque seuls les tomes permettant de répondre aux problématiques posées ont été retenus. Six volumes pour presque autant d’auteurs, qu’ils s’agissent de scénaristes ou de dessinateurs. Des grands noms, tous issus du milieu franco-belge, mais avec des styles différents, et qui offrent de cette manière des façons différentes de répondre à nos questionnements.

Prenons Brüsel de François Schuiten, dessinateur, et de Benoît Peeters, théoricien et scénariste. Le volume est le cinquième du cycle Les Cités obscures, traduit dans plus de dix langues différentes, et titulaire du Grand prix manga en 2012, preuve du succès de son exportation au Japon, fait assez rare pour une bande dessinée franco-belge. L’œuvre est composée de seize volumes bâtissant le monde du continent obscur, un monde parallèle au nôtre, semblable en de nombreux points au nôtre, mais aussi profondément différent. Les Cités obscures marque surtout par la cohérence de son organisation, la logique avec laquelle s’agence le moindre détail.

Et justement des détails, il y en a. Le continent obscur a été pensé sur nombreux niveaux, à de nombreuses échelles, certaines villes allant jusqu’à posséder leur propre plan, comme le montre la figure 1. Les auteurs ont intégralement inventé les mœurs de ses habitants, les faisant aimer les livres pour l’objet et non pour ce qui y est écrit, les faisant pratiquer la cartographie comme passion absolue. Cette grande inventivité et ce désir de créer leur univers jusque dans les moindres détails donnent donc naissance à des villes aux caractéristiques bien tranchées. Peeters précise d’ailleurs à propos de leurs premiers tomes : « L’architecture est devenue notre héros » (conférence URBS n°3, 2015), montrant à quel point la création de leurs cités requiert leur attention artistique. Brüsel fait partie de

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16 ces tomes, et le volume a particulièrement marqué, puisqu’il a engendré une polémique politique à l’échelle bruxelloise. La ville est largement inspirée de Bruxelles, comme le peut laisser entendre la sonorité de son nom, et plus précisément d’une époque assez sombre pour la capitale belge. Brüsel constitue l’occasion pour les auteurs de justement montrer leur opinion sur cette période, sur les choix qui ont été faits, tout en offrant au lecteur un décor de science-fiction imaginaire.

D’une manière semblable, les œuvres retenues d’Enki Bilal et de Daniel et Alex Varenne s’inspirent de villes existantes elles aussi. Leurs travaux diffèrent toutefois de ceux de Schuiten et Peeters sur plusieurs niveaux. Dans les deux cas, il ne s’agit pas de créer un univers entier logique et cohérent. Les frères Varenne racontent le périple que vit Ardeur, dans le cycle du titre éponyme. Périple qui le pousse à traverser plusieurs villes dévastées par une troisième Guerre mondiale atomique. C’est en particulier le cas de Berlin, au centre du tome 4 Berlin Strasse, dont la morphologie a certes été relativement épargnée par les affres de la guerre, mais dont la population a largement été traumatisée. En ce qui concerne la trilogie Nikopol d’Enki Bilal, dont les tomes 1 et 3 seulement ont été retenus, Paris et

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17 Equateur-City ne constituent elles aussi que des étapes à l’histoire, et n’ont pas pour but de dessiner un monde cohérent dans les années 2020-2030.

Cependant, le cycle Ardeur et la trilogie Nikopol ont eux aussi marqué le monde de la bande dessinée européenne. Alex Varenne, connu désormais comme l’un des meilleurs auteurs de bandes dessinées érotiques, produit alors 6 albums dont les graphismes jouent sur les nuances de gris pour un résultat des plus impressionnant, et dont la figure 2 propose un aperçu. Quant à Froid Equateur, le troisième tome de la trilogie d’Enki Bilal, le magazine Lire l’élit meilleur livre de l’année, une véritable première dans la sphère de la bande dessinée. Les Varenne et Bilal figurent donc dans les grands noms des auteurs de BD des années 1980 en France, côtoyant d’autres grands noms, comme Tardi ou Moebius.

Ce sont d’ailleurs deux albums dessinés par Moebius et scénarisés par Alejandro Jodorowsky qui viennent compléter le corpus énoncé jusqu’ici : les deux premiers tomes de L’Incal, respectivement titrés L’Incal Noir et L’Incal Lumière. Ici, aucune inspiration directe tirée d’une ville qu’un lecteur non averti pourrait connaître. Le monde dans lequel évolue le héros John Difool est une cité-puits immense, s’enfonçant loin de la surface terrestre. Contrairement à Schuiten et Peeters, la cohérence de la ville n’est pas une priorité, ce qui n’empêche pas la cité d’être munie de nombreux détails.

Les villes présentes dans les œuvres du corpus sont donc plus ou moins inspirées de cités connues dans notre monde, mais les décors fictifs sont aussi marqués, comme présenté dans l’introduction, par des progrès technologiques et scientifiques variés, tant dans leurs formes que dans leur valeur. Berlin Strasse, et plus largement le cycle complet d’Ardeur, présente un monde ravagé par la bombe atomique, et les évolutions technologiques par rapport aux années 1980, date de création de la série, ne sont pas particulièrement notables. Ainsi, puisque ces progrès se limitent à l’utilisation de la bombe

Figure 2 : Vue de Berlin issue de Berlin Strasse, p 7. La Fernsehturm se distingue particulièrement du reste de la ville.

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18 atomique, leur connotation est assez négative. Dans L’Incal au contraire, les innovations sont légions, et une valeur ne peut leur être attribuée aussi facilement que dans Berlin Strasse. Les innovations technologiques forment un point central dans Brüsel, mais revêtent un aspect bien moins futuriste que dans L’Incal. Sur ce plan aussi donc, le corpus possède des caractéristiques variées qui, touche par touche, dessinent un aperçu large du monde de la bande dessinée de science -fiction franco-belge. Bien évidemment, la différence la plus flagrante est celle du graphisme, variant d’un tome à l’autre. Les traits sont parfois durs et droits, parfois légers et courbes. Le noir et blanc alternent avec des couleurs vives, et les détails sont dosés en fonction du style propre au dessinateur. Le graphisme de Moebius est ainsi bien moins strict que le style de Schuiten dans les Cités obscures, et les couleurs sont de rigueur contrairement à Berlin Strasse. Mais la définition d’un style ne se cantonne pas aux graphismes de la bande dessinée. A titre d’exemple, le noir et blanc choisi par Varenne permet d’imposer l’ambiance lourde et noire du monde que traverse son héros Ardeur, garantissant au voyage initiatique de l’ancien soldat des expériences traumatisantes. Le dessin n’est pas sans rapport avec la narration de l’œuvre. Les traits réalistes de Schuiten permettent de bien mettre l’accent sur la ville, rejoignant ce qu’expliquait justement Peeters sur l’architecture et sa place dans les bandes dessinées du binôme. Enki Bilal, dont la production artistique touche aussi grandement le cinéma, possède une vision et un style conférant justement à ses œuvres un côté cinématographique, la preuve étant qu’il adapte lui-même sa trilogie au cinéma en 2004 sous le titre Immortel (ad vitam).

Ainsi donc, les six bandes dessinées retenues pour constituer le corpus principal proposent des styles, des visions futuristes et des villes différentes, et viennent apporter un regard au large spectre sur les possibles évolutions de nos sociétés, dans des futurs plus ou moins proches. Ces œuvres, ainsi que leurs auteurs, ont marqué le monde de la bande dessinée, et continuent à marquer à chaque nouvelle génération de lecteurs.

Mais il est aussi nécessaire de préciser que l’ensemble formé est cohérent et partage des caractéristiques communes. Les six bandes dessinées ont été écrites et dessinées par des auteurs français, sinon belge dans le cas de François Schuiten, et permettent donc d’apporter des réponses aux questions posées en prenant en compte un contexte géographique bien défini. D’autant plus que les volumes retenus ont été publiés entre 1979 et 1993, et qu’ainsi ils partagent un cadre non seulement spatial, mais aussi temporel. Cette période historique est par ailleurs marquée par de nombreux événements, et a été caractérisée par un climat social très influencé par la fin de la guerre froide et la crise économique due aux chocs pétroliers consécutifs.

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19 Toutefois, le simple fait de préciser ce cadre montre la principale faiblesse de ce corpus : les réponses apportées par l’analyse croisée des ouvrages ne seront valables que pour un lieu donné, à une époque donnée. De plus, d’autres œuvres auraient très bien pu être incluses dans ce corpus, mais cela aurait requis des moyens techniques et temporels plus importants, dont l’auteur de ce mémoire ne dispose pas. Le nombre de volumes qui composent le corpus se devait ainsi d’être limité, et par conséquent le cadre commun à ces volumes est lui-même limité. Les analyses effectuées n’en demeureront pas moins pertinentes dans leur qualité.

ii. Le corpus annexe, une ouverture vers d’autres visions du futur

La constitution du corpus principal a requis la lecture de plus d’une trentaine d’ouvrages, présentant tous des qualités qu’il aurait été intéressant d’étudier au même titre que celles des volumes retenus. Ainsi, quatre autres bandes dessinées ressortent particulièrement du lot et peuvent former un autre corpus, qui sera qualifié de secondaire. L’intérêt principal de ce corpus est de pouvoir ouvrir les analyses à un terrain plus vaste, et ainsi résorber la limitation exposée dans la partie précédente. Parmi ces quatre ouvrages, trois sont des comics américains, et permettent ainsi d’élargir le terrain sur les plans géographique et social. The Hard Goodbye, le premier tome de la saga Sin City, écrite et dessinée par Frank Miller, est sorti en 1994. Miller est un auteur particulièrement marquant pour le milieu des comics américains. En particulier, ses interventions sur les séries de super-héros Daredevil et Batman ont renouvelé le genre en l’assombrissant, la mort d’un personnage aussi important qu’Elektra dans l’univers du premier étant une grande première. Après quelques projets au cinéma, Miller décide de rompre avec Hollywood et de se consacrer à un projet qui lui fait plais ir, affranchi des codes obligatoires à l’industrie du cinéma : il créé Sin City, où des « tough guys in trench coats » côtoient de « beautiful women » avec des « vintage cars » en fond, le tout dans un style dur et cru. Sin City porte ainsi en elle l’opposition au tout-puissant Hollywood. S’approcherait-on des satires dont parle Thierry Paquot dans son article sur la science-fiction ?

Les deux autres comics retenus sont Watchmen, d’Alan Moore et Dave Gibbons, sorti en 1986, et le premier recueil Civil War, de Mark Millar et Steve McNiven, sorti en 2006. Là encore, les auteurs sont des grands noms du milieu. Mais ce n’est pas le seul point commun des deux tomes. Les deux récits sont peuplés de super-héros, et donnent ainsi une certaine vision des prouesses technologiques qui peuvent possiblement survenir dans nos sociétés. Certains héros ne méritent effectivement ce titre que grâce à l’emploi qu’ils font de technologies avancées. Le héros masqué questionne de plus la place de l’individu « normal » dans la société, non confronté à une menace manichéenne, mais à celle de ses propres protecteurs. Une telle configuration est moins évidente à trouver dans la bande dessinée

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20 européenne. La figure du super-héros relève effectivement bien plus de la culture américaine que de la culture européenne, et ces considérations n’auraient donc pas pu être abordées si le corpus complet se limitait au corpus principal.

Watchmen formule une particularité qui n’est pas non plus présente dans le premier corpus. Il ne s’agit pas tout à fait de science-fiction pure, mais plus d’une uchronie. Le dictionnaire Larousse des noms communs 2008 en donne la définition suivante : reconstruction fictive de l'histoire, relatant les faits tels qu'ils auraient pu se produire. L’uchronie est ainsi un sous-genre de la science-fiction, mais son décor se situe dans le passé plutôt que dans le futur, et les questions qu’elle soulève ne sont donc pas exactement les mêmes. Watchmen reste toutefois pertinent à sélectionner pour figurer dans un corpus, car le comic est réellement l’une des pièces fortes de la culture américaine dans le monde de la bande dessinée. Ainsi, le magazine Lire, dans son hors-série n°15, intitulé « Un siècle de BD », classe Watchmen comme cinquième BD essentielle. Il classe par ailleurs la trilogie de Bilal en 24ème position

et La Fièvre d’Urbicande de Schuiten et Peeters en 29ème position, sur un total de cinquante ouvrages.

C’est d’ailleurs ce dernier titre que nous retiendrons pour clore ce corpus annexe. Ce volume est le deuxième tome des Cités obscures, dont Brüsel a été retenue pour le corpus principal. La présence de La Fièvre d’Urbicande dans le corpus secondaire permet tout d’abord d’élargir notre vision vis-à-vis de l’œuvre de Schuiten et Peeters, et ainsi de mieux apprécier leur démarche. Ce volume présente aussi des caractéristiques du genre de la science-fiction assez flagrantes, et dont l’exposition sera analysée dans la suite de ce mémoire.

Il faut noter que là aussi, les styles de graphismes sont variés. Les dessins de Gibbons sont d’une sobriété sans pareille, tandis que les graphismes de Civil War regorgent de détails, de couleurs et de vitalité, caractéristiques typiques de la plupart des productions Marvel des années 2000. La Fièvre d’Urbicande et The Hard Goodbye, quant à eux, sont exclusivement en noir et blanc, mais leurs styles sont en comparaison tout à fait différent de celui de Varenne, Schuiten gardant des traits droits et durs, rappelant le style de gravures, et Miller n’ayant pas recours aux nuances de gris pour jouer sur la luminosité de ses décors. Autant de styles graphiques qui correspondent à des modes de narrations différents.

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21 En ce qui concerne le cadre spatial de ce deuxième corpus, il reste heureusement cohérent avec celui du premier. The Hard Goodbye n’est sorti qu’un an après Froid Equateur, quant à Watchmen et La Fièvre d’Urbicande, ils ont eux aussi marqué les années 1980. Le cas de Civil War ne correspond toutefois pas à cette période. Mais cette entorse au cadre défini reste pertinente, car les questions abordées dans le volume n’ont jamais été abordées aussi frontalement auparavant : cela montre bien une évolution des problématiques en fonction des époques, ce qui pourrait illustrer les propos de H.G. Gold présentés en introduction de ce rapport. Par la sui te, cette concordance sera plus finement analysée.

Enfin, ces quatre œuvres supplémentaires placent bien leurs récits dans un cadre urbain travaillé, recherché. Les New York de Watchmen et de Civil War sont le théâtre de traumatismes découlant de la présence des super-héros ; Urbicande, dont le nom signifie ville des villes, présente une cité où le moindre aspect de la vie de tous les jours est réglementé ; Basin City, devenue Sin City, constitue une vision portée à son paroxysme de la violence urbaine. Chacune de ces villes permet d’agrémenter le corpus principal d’exemples riches d’originalité. Le corpus secondaire apporte donc une ouverture et de la diversité au corpus principal, afin de garder à l’esprit que les analyses menées et les exemples

Figure 3 : Double page issue de Civil War. La prolifération de héros et l es graphismes de qualité aux couleurs et effets visuels riches forment la marque de fabrique des éditions Marvel.

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22 présentés ne sont heureusement pas des cas uniques. Il reste cohérent avec le cadre spatio-temporel choisi, tout en l’élargissant.

Ponctuellement, d’autres œuvres pourront être citées, car elles apportent un regard intéressant sur les questions abordées, ou bien parce qu’elles permettent de mieux appréhender la carrière d’un auteur. En particulier, deux autres tomes serviront à illustrer certaines analyses. Parabole de Stan Lee au scénario, et Moebius au dessin, est une aventure du Surfeur d’Argent parue en 1988. L’ œuvre correspond bien au cadre spatio-temporel, et a de plus été réalisée par deux géants du milieu, pourtant issus de deux mondes distincts : Stan Lee est considéré comme l’un des pères du comics américain, ayant créé une multitude de héros dont Spider-Man par exemple ; Moebius est l’une des figures les plus emblématiques de la bande dessinée française, ayant entre autres produit des œuvres comme Arzach (1975) et Major Fatal (1979). Triton, sortie en 1985, a été dessinée et écrite par Daniel Torres, l’un des maîtres de la ligne claire : « Nous sommes ravis d’accueillir les précurseurs, les acteurs, un peu les évangélistes de la ligne claire postmoderne » (Pierre Pulliat, 2015). La ligne claire est par ailleurs un style marquant de la BD européenne, dont le créateur n’est autre qu’Hergé, le père du héros emblématique Tintin. Quant à Triton, il s’agit de la première aventure de Roco Vargas, le héros phare de Torres.

Ainsi, en variant les provenances des illustrations données à l’argumentation, la crédibilité de cette dernière s’affranchit de la limitation que représente la définition d’un corpus restreint.

Le terrain sur lequel repose ce TFE est désormais bien défini. Il faut maintenant se donner les outils nécessaires et suffisants pour pouvoir l’analyser, et ainsi apporter des réponses aux questions soulevées en introduction.

B. Un questionnement des œuvres selon les codes de

science-fiction

i. Les codes de la science-fiction…

La science-fiction est aujourd’hui un genre qui a su s’imposer comme une référence che z un large public, tout du moins dans le cadre spatial défini par les corpus. Certaines œuvres du genre, qu’elles soient littéraires ou cinématographiques, se sont imposées comme des références sérieuses dans la culture générale, contrairement à d’autres genres encore mal connus du grand public.

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23 Comme tout genre artistique, la science-fiction possède ses propres codes, codes assimilés par le public plus ou moins consciemment. Certains éléments sont, de même, récurrents à travers plusieurs œuvres. Depuis plus d’un siècle, le rythme de parution des films de science -fiction est régulier, et depuis les années 1980, leur production est en constante augmentation, comme on peut le constater à la lecture de la figure 4. Sans le savoir, et à force d’être exposé aux mêmes schémas récurrents, le public a assimilé ces codes de science-fiction. Or, les auteurs de bandes dessinées font tout autant partie de ce public que leurs lecteurs. Leurs œuvres se trouvent donc forcément influencées par certains classiques du genre. En déchiffrant ces codes, il devient donc possible de comprendre ce qui fait d’une œuvre, une œuvre de science-fiction.

Un film en particulier sert de précurseur à de très nombreuses œuvres, dont par exemple La Fièvre d’Urbicande, selon les dires de Benoît Peeters lui-même : il s’agit de Metropolis de Fritz Lang, sorti en 1927. Ce chef d’œuvre est le premier film à avoir été inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, et a inspiré quantité d’autres films considérés comme cultes, tels que Blade Runner de Ridley Scott, sorti en 1982, et Brazil de Terry Giliam, sorti en 1985. Par l’étude de Metropolis, en parallèle à plusieurs articles sur le sujet, il devient possible de dégager les codes et thématiques de la science-fiction.

Figure 4 : Chronologie du cinéma de science-fiction, en nombre de films sortis par an. Source : Wikipédia, consultée le 03/06/2015. La fiabilité de la source est toute relative, il ne faut donc pas prendre le graphique au pied de la lettre. Celui-ci permet simplement de donner une image globale du développement du cinéma de science-fiction

0 5 10 15 20 25 1900 1904 1908 1912 1916 1920 1924 1928 1932 1936 1940 1944 1948 1952 1956 1960 1964 1968 1972 1976 1980 1984 1988 1992 1996 2000 2004 2008 2012

Nombre de films SF sortis par an

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24 Selon Thierry Paquot, dans son article Science-fiction et utopie, Metropolis est « un film culte, il figure systématiquement dans tous les programmes des ciné-clubs ou festival qui associent « ville » et « cinéma » » (2005 : 202). Cette citation permet de mettre l’accent sur la ville et la façon dont la science-fiction l’exploite. Pour Paquot, les mégapoles du genre sont « irrespirables et invivables », leurs dimensions sont démesurées, et bien souvent, elles se développent plus verticalement qu’horizontalement. De l’opinion de Pierre-Jacques Olagnier, plusieurs critères définissent le paysage de telles cités : les villes neuves font preuve de monotonie architecturale, une ségrégation socio-spatiale forte y règne, l’industrie y est omniprésente et la surpopulation entraîne une forte promiscuité. Tous ces critères se retrouvent bien dans le film de Fritz Lang, dont la figure 5 donne un aperçu. Olagnier rajoute que les villes au cinéma sont semblables à celles présentes sur d’autres supports, ce qui justifie ainsi notre démarche : « La graphie de la ville de science-fiction à l’écran offre ainsi d’évidentes connivences avec la bande dessinée (la figure d’Enki Bilal, dessinateur avant d’être réalisateur est, à cet égard, significative), la littérature (puisque la plupart des films de science-fiction sont des adaptations d’œuvres littéraires, comme Fahrenheit 451 adapté de l’œuvre éponyme de Ray Bradbury parue en 1953) et l’architecture (Fritz Lang) » (2008 : 7). Les codes de science-fiction sont ainsi bien transversaux aux supports. Quant à la figure de la ville, il semble qu’elle ne corresponde plus du tout à l’échelle humaine des grandes villes que nous connaissons en Europe.

Un autre élément récurrent, admis jusqu’ici sans vraiment le justifier, est la place que les sciences et les technologies occupent dans les univers d’anticipation. Les progrès qu’elles ont engendrés dans les sociétés au début du XXème siècle, époque à laquelle naît la science -fiction, fascinent et poussent les populations à croire en ces prouesses technologiques. Au fur et à mesure, le rapport des hommes aux technologies évolue, comme l’explique Jacques Goimard, anthologiste de science -fiction et de Figure 5 : Captures d’écran du film Metropolis de Fritz Lang.Omniprésence de l’industrie et villes démesurées font partie de l’univers du chef d’œuvre.

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25 fantastique français. Il écrit, à propos de la bombe atomique larguée sur Hiroshima : « il était difficile de ne pas se dire que les hommes, qui venaient de faire un si curieux usage d'une belle innovation scientifique, risquaient de faire un usage plus curieux encore des innovations scientifiques plus belles encore qu’Astounding promettait depuis longtemps à ses lecteurs » (1988 : 13), Astounding étant l’un des tout premier magazines à publier des récits de science -fiction. La question des évolutions technologiques et leurs impacts sur les sociétés est donc au centre du genre, et par conséquent, les villes sont impactées par l’exploitation faite des techniques. Dans Blade Runner par exemple, qui se situe par ailleurs dans un Los Angeles gigantesque, l’intrigue repose sur la traque de robots faits pour imiter l’homme, les Replicants. Les innovations de la robotique questionnaient déjà il y a 30 ans, et c’est finalement aujourd’hui encore le cas. Et il ne s’agit que d’une facette de l’exploitation de ces questionnements. Paquot liste ainsi des formes que peuvent revêtir ces innovations, et les impacts qu’elles ont sur les sociétés : « C’est la littérature de science-fiction qui va nourrir un cinéma d’anticipation, conjuguant à la fois la critique sociale, le déploiement technologique, la mutation génétique, le chaos urbain, la robotisation des humains, l a conquête spatiale, la colonisation de la Terre… » (2005 : 202).

Pour résumer dans les grandes lignes, la science-fiction plonge les hommes dans des univers imaginaires, face à des innovations technologiques qui sont remises en question, le tout dans un monde urbain démesuré par rapport à ce que nous connaissons. Une question persiste toutefois quant aux délimitations de ces univers inventés. Comment les différencier exactement de ceux issus d’autres genres, comme le fantastique, le merveilleux ou la fantasy ? Tous ces mondes paraissent irrationnels, il s’y passe des événements qui ne peuvent pas se passer dans notre monde actuel, comme on le connaît. Ce qui différencie la science-fiction, c’est que le spectateur, ou le lecteur, est capable d’accepter ce qu’il voit, car ces éléments à priori illogiques ont l’air justifiable par les sciences. Comme l’explique le philosophe Karl Popper : « il n’y a que deux types de théories scientifiques : celles qui n’ont pas résisté à l’épreuve des faits et celles qui leur ont résisté jusqu’à présent ; celles-là sont à jamais hypothétiques, sauf si elles venaient à être réfutées un jour. La science ne sait pas, elle peut seulement conjecturer ; c’est ce qui la distingue des pseudo-sciences, qui peuvent tout expliquer » (1935). On en conclut qu’effectivement, la science-fiction fait appel à des pseudos-sciences, mais la conclusion se fait surtout qu’un doute éternel existe quant à ce que l’on connaît de scientifiquement possible ou non. Les auteurs peuvent ainsi considérer des problèmes contemporains et les accentuer dans leurs œuvres, créant un écart entre leurs mondes imaginaires et le nôtre. Cet écart implique donc que les villes ou mondes imaginaires sont inspirés par des éléments concrets et réels.

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26 Un dernier élément commun aux œuvres de science-fiction est la question de la place de l’homme dans ces sociétés futures, vis-à-vis des évolutions techniques, mais aussi de lui-même. Goimard continuait ainsi : « Dès lors, le problème se déplaçait. Il n'était plus d'assurer à l'homme la maîtrise de la matière, mais d'assurer d'abord à l'homme la maîtrise de l'homme ou tout au moins de garantir qu'il ferait bon usage de sa liberté. La S. F. rencontrait les sciences humaines » (1988 : 13). L’utilisation de la bombe atomique à la fin de la Seconde Guerre Mondiale prouve que l’homme peut être capable de choix inhumains. Cette question de l’humanité est abordée de plusieurs façons dans les œuvres de science-fiction. Tout d’abord, les sociétés apparaissent souvent partitionnées, contrôlées. Chaque individu, en fonction de son appartenance à une certaine classe de la population, possède un rôle à jouer bien défini. C’est le cas dans Metropolis, où la masse d’ouvriers assurent aux rares nantis une vie luxueuse et insouciante, sous la direction du chef de la ville, une figure autoritaire unique. Ensuite, la menace humaine n’est bien souvent pas la seule à planer au-dessus de certaines sociétés. Les Replicants de Blade Runner forment ainsi une menace contre l’humanité entière, et contre l’identité de chacun. Qui est Replicant ? Qui est humain ? L’homme se perd dans sa quête de connaissance de lui-même. A défaut de robots, les invasions extraterrestres ou le clonage en masse sont souvent au cœur des intrigues où l’identité de chacun est mise à mal par une menace extérieure, comme l’explique Thierry Paquot (2005 : 209).

Ces questionnements sur l’homme interrogent aussi son recours à la violence. Pour Pierre -Jacques Olagnier, la recrudescence de la violence fait partie intégrante des thématiques de la science-fiction. Et on peut effectivement le constater à travers de nombreux films : les ouvriers se font dévorer par la machinerie de Metropolis, les habitants de la mégapole fictive de Brazil peuvent se faire enlever à tout moment par les fonctionnaires de la ville sans aucune explication…

Les œuvres de science-fiction mettent donc l’accent sur un monde fortement lié aux progrès des sciences et technologies, tout en gardant aux centres de leurs intrigues la question de l’homme, et de sa place dans ces nouvelles sociétés, qui font parfois le grand écart avec celles que nous connaissons. Maintenant que les codes du genre ont été décryptés, il est temps d’y confronter les deux corpus retenus.

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27

ii. … au prisme des corpus

Cette partie va permettre de vérifier que les ouvrages analysés dans le cadre de ce TFE correspondent bien aux critères qui en font des œuvres de science-fiction. Il ne s’agit pas de creuser chacune des thématiques rencontrées, mais simplement de savoir quelle bande dessinée présente telle ou t elle problématique. Des analyses plus poussées seront ensuite exposées dans le chapitre 2.

Chaque bande dessinée a fait l’objet d’une première lecture, voire de plusie urs lectures mais sans essayer d’analyser en profondeur l’ouvrage. Des articles de Thierry Paquot et Pierre -Jacques Olagnier ont été retenus plusieurs critères et thèmes, récurrents dans la science -fiction. Le tableau suivant (figure 6) permet de présenter quelle bande dessinée du corpus principal présente quels critères.

Critères La Foire aux Immortels (Ni kopol T1) Froid Equateur (Ni kopol T3) L’Incal (T1 et T2) Brüsel Berlin Strasse

Mégapoles invivables et irrespirables

Verticalité des villes

Partition de la population

Surpopulation synonyme de forte

promiscuité

Innovation technologiques au cœur de

problématiques

Ecart identifiable vis-à-vis de

problèmes contemporains aux auteurs

Menace supérieure vis-à-vis de

l’identité de l’homme

Recours à la violence

Irrationalité scientifiquement

explicable

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28 Les résultats de ce tableau ne seront pas exhaustivement détaillés, par manque de temps, mais plusieurs observations peuvent être faites.

D’une manière générale, les codes de la science-fiction sont bien respectés par le corpus, et en particulier le type d’imaginaire correspond bien au genre. Pour les quatre œuvres, les protagonistes évoluent bien dans un monde irrationnel mais scientifiquement acceptable. La trilogie Nikopol présente une Terre dans les années 2020, et où les progrès scientifiques ont entre autres permis le voyage dans l’espace. Les dieux égyptiens présents sont donc des extraterrestres, et ce qui était au départ d’une irrationalité absolue (l’existence de dieux antiques) se justifie. L’Incal se situe dans un type d’univers assez semblable, les innovations technologiques et les voyages interplanétaires ont provoqué un mélange des populations terrienne et extraterrestre. Les cas de Berlin Strasse et Brüsel sont un peu différents. Le premier se déroule dans un monde dévasté, où les villes sont devenues indépendantes et sont en proie aux seigneurs de guerre. Mais cet univers post-apocalyptique se justifie par un terrible conflit armé, où les camps en opposition ont eu recours aux bombes atomiques. Le volume s’ouvre d’ailleurs sur ces deux phrases : « tout a vacillé sous les bombes, même le pouvoir des fauteurs de guerre. Leur puissance est sinistrée, à l’image d’une simple ville ou d’une région de la planète » (p 7). Dès le début du tome, le lecteur obtient la réponse à « comment un tel monde peut-il exister ? » et considère par conséquent ce monde comme crédible. Enfin, Brüsel présente une ville très semblable aux villes européennes telles que nous les connaissons, et les exagérations qui y prennent place sont toutes dues aux techniques et à leurs acteurs.

Le deuxième critère à être respecté par l’ensemble des œuvres est la présence dans le récit d’une « mégapole invivable et irrespirable ». Le corpus paraît donc adéquat pour répondre à la question posée sur les évolutions urbaines envisagées par les auteurs de bandes dessinées, d’autant plus que les villes présentées ne sont pas toutes semblables. La cité-puits de L’Incal est une ville entièrement futuriste, ne possédant aucune ressemblance (à première vue) avec une quelconque référence de notre monde. Ce n’est pas le cas de Paris dans La Foire aux Immortels par exemple, qui présente clairement son lien avec le véritable Paris. Le Berlin d’Ardeur n’est pas véri tablement démesuré, et la ville reste à taille humaine, morphologiquement parlant. Ce qui la rend invivable, c’est son atmosphère, son ambiance lourde, noire et violente. Quant au futurisme de Brüsel, il reste tout relatif comparé aux œuvres de Bilal et Moebius : ici, pas de forme alambiquée ou de vaisseaux spatiaux, mais des lignes droites de buildings immensément hauts, comme on peut le voir sur la figure 7. Cette pluralité de décors permet de supposer que le corpus aura différentes réponses à apporter aux questions posées en introduction de ce rapport.

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29 Enfin, la thématique de la place de l’homme dans ces sociétés futuristes semble elle aussi suffisamment abordée pour que le corpus soit bien justifié. La partition de la population, la densité des villes, l’identité menacée de l’humanité et le recours à la violence sont tant de critères plaçant l’homme au milieu d’interrogations quant au devenir de nos sociétés. Chaque œuvre répond à ces questions à sa façon, et avec des intensités de critères différentes. La partition de la population dans Berlin Strasse ne saute ainsi pas aux yeux, mais elle est bien là : Berlin ouest est habitée par une classe de population plus aisée et moins miséreuse que celle de Berlin est, confirmant par la même occasion la présence du critère de l’écart avec des éléments contemporains (Berlin Strasse est paru en 1979). La partition des populations demeure bien plus marquée dans Nikopol et L’Incal, prenant la tournure d’une véritable ségrégation socio-spatiale dont le gouvernement lui-même assure le respect. En ce qui concerne Brüsel, l’angle de réflexion n’est pas le même : les hommes se heurtent directement aux innovations technologiques qu’ils soutiennent.

D’autres problématiques n’apparaissant pas aussi clairement dans les critères reviennent aussi, et en particulier celle du contrôle de la population par une entité unique, personne ou groupe de personnes. Comme expliqué plus tôt, c’est le cas dans Metropolis où la ville et les installations industrielles sont dirigées par le père du jeune héros, John Fredersen. Dans les six bandes dessinées du corpus, la position de leader fait partie intégrante de l’intrigue. La ville d’Equateur dans Froid Equateur, est par exemple dirigée par un organisme mafieux du nom de K.K.D.Z.O. Finalement, même si ces personnages sont relativement secondaires, leurs décisions sont cruciales pour l’intrigue et les répercussions sur l’ensemble des protagonistes.

Figure 7 : Vue de la Brüsel moderne, page 89 de Brüsel. Le Palais des Trois Pouvoirs n’est autre que le bâtiment central, le bâtiment le plus imposant de la ville avant ses travaux.

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30 Le corpus principal correspond donc en tout point aux critères dégagés dans la partie précédente. Il est bien composé d’œuvres de science-fiction, et leurs intrigues et villes diégétiques comportent des problématiques qui correspondent au sujet de ce TFE.

A titre de vérification, le tableau suivant (figure 9) réitère la même démarche pour le corpus secondaire. Là encore, le corpus présente des villes variées par leurs formes et les problématiques qui les animent, que ce soit vis-à-vis des technologies ou de l’individu, mais où les conditions de vie sont fortement dégradées, en grande partie à cause de la taille des villes.

Une remarque doit être faite sur les résultats que font apparaître ce tableau. The Hard Goodbye, le premier tome de Sin City, ne correspond pas au dernier critère. Cela est dû au fait que le monde créé n’est pas vraiment irrationnel, en dehors de l’ultraviolence qui ne peut s’expliquer par les sciences. Sin City n’est effectivement pas tout à fait une œuvre de science -fiction, tout comme Watchmen par ailleurs. Cette dernière est une uchronie, comme expliqué précédemment, et puisque l’uchronie est un sous-genre de la science-fiction, l’appartenance de Watchmen au corpus n’est pas remise en question. Sin City relève plus quant à elle du registre noir et policier. Pour autant, comme le montre la figure 9, l’œuvre possède plusieurs critères communs aux autres ouvrages, et elle expose en particulier une ville invivable où l’homme se laisse aller à des pulsions de sauvage brutalité. La relation entre Sin City et les problèmes de violence urbaine contemporains est de plus évidente, et l’écart nécessaire à la création d’un monde d’anticipation est bien respecté. Ainsi, bien que la bande dessinée manque

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31 d’irrationalité pour être considérée comme un véritable ouvrage de science-fiction, l’appartenance de The Hard Goodbye au corpus secondaire est justifiée.

Critères The Hard

Goodbye Civil War Watchmen

La Fièvre d’Urbicande

Mégapoles invivables et irrespirables

Verticalité des villes

Partition de la population

Surpopulation synonyme de forte promiscuité Innovation technologiques au cœur de

problématiques

Ecart identifiable vis-à-vis de problèmes

contemporains aux auteurs

Menace supérieure vis-à-vis de l’identité de

l’homme

Recours à la violence

Irrationalité scientifiquement explicable

Les deux corpus choisis sont donc bien adéquats comme terrain d’étude pour la démarche entreprise dans le cadre de ce TFE. Il faut désormais se munir des outils nécessaires à leurs analyses.

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C. Démarche de travail et méthodologie

i. Choisir ses clés de lecture

Chacune des bandes dessinées lues dans le cadre de ce TFE a fait l’objet d’une première fiche de lecture, même si elle ne fait finalement pas partie de l’un des deux corpus. En particulier, ces fiches ont servi à faire ressortir quels sont les critères de la science -fiction que ces bandes dessinées présentent, et à rédiger un bref résumé pour chaque ouvrage, afin de faciliter par la suite leur exploitation. Ces résumés sont présentés en annexe 1, afin que le lecteur puisse obtenir quelques repères face aux œuvres.

De ces fiches ressortent plusieurs récurrences, qui ont pu être regroupées sous plusieurs grandes thématiques. En particulier, les thématiques de l’environnement et des excès de l’industrialisation sont peu présentes dans les œuvres lues, elles ne peuvent donc pas constituer des clés de lecture. Ce n’est en revanche pas le cas pour les questions du contrôle des populations et le recours à la violence par exemple. Des clés de lecture sont donc déduites de ces thématiques. Chacune des clés de lecture est ensuite fragmentée en questions qui interrogent chaque bande dessinée. La grille de lecture ainsi obtenue permet d’étudier en détails le travail de l’auteur vis-à-vis de problématiques générales, liées à la science-fiction. La grille de lecture permet aussi de lister quelles sont les illustrations utiles pour justifier telle ou telle réponse. Les résultats de cette grille de lecture sont présentés dans le chapitre suivant.

Toutefois, cette grille dans sa globalité n’est appliquée qu’au corpus principal, car sa mise en œuvre représente un travail assez lourd et chronophage. Par conséquent, en ce qui concerne les œuvres du corpus secondaire, la grille est allégée en fonction des critères qu’elles remplissent, puisque ceux-ci sont moins nombreux.

Un tel travail permet d’exploiter l’ensemble de l’ouvrage, sans pour autant creuser dans les moindres détails. Afin d’y remédier, certaines planches sont choisies pour être analysées plus en profondeur, case par case.

ii. L’analyse d’une planche : l’exemple de Brüsel

Le travail réalisé avec la grille de lecture permet de faire ressortir certaines planches, qui mettent, pour la plupart, plusieurs problématiques en valeur. Afin de quantitativement limiter le nombre d’analyses de planches réalisées, il est décidé de se cantonner aux planches qui mettent en scène le décor urbain, puisque nous nous intéressons surtout aux évolutions des sociétés dans un contexte urbain. Il est également décidé de s’attaquer en priorité à celles répondant au maximum de questions de la grille

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33 de lecture. Dans le cadre de ce rapport, une seule analyse est rapportée, dans le but de ne pas perdre de temps à lister de nombreuses observations non agencées les unes par aux autres.

La planche qui sert donc d’exemple à la démarche d’analyse est la page 29 de Brüsel, dessinée par François Schuiten et Benoît Peeters, et qui est représentée en figure 10. Le choix de cette planche s’impose plus ou moins de lui-même. Tout d’abord, comme expliqué précédemment, Les Cités obscures constituent un travail impressionnant tant du point de vue du neuvième art que du point de vue urbanistique. Le père de François Schuiten était lui -même un architecte reconnu, à l’origine du Pavillon d’aéronautique de l’Exposition universelle de Bruxelles en 1958 et du premier héliport européen à Bruxelles. Schuiten fils a donc baigné dans le milieu depuis son plus jeune âge, et cette influence transpire sur le continent obscur, marquant chacun des tomes de façon originale : « les Cités obscures forment ainsi un univers multiforme dans lequel la narration détermine l’architecture des lieux, à moins que ce ne soit l’inverse » (Vincent Bernière, 2010 : 63). Par ailleurs, la diversité et la rigueur présentes dans le cycle font de ce dernier une pierre angulaire de la science -fiction, selon Pascal Ory qui explique que « la différence avec la production courante du genre est dans la double rigueur intellectuelle et graphique qui préside à ce récit, devenu, avec les années, un vaste système culturel complexe, un labyrinthe d’histoires et de savoirs » (Lire, 2012 : 49).

Le tome de Brüsel présente un intérêt tout particulier : il s’agit d’un album très personnel, où les deux compères, amis depuis l’enfance, et ayant longtemps vécu dans la capitale belge, établissent une critique forte à l’encontre des travaux que subit Bruxelles dans les années 1960-70. Depuis cette époque, le terme « bruxellisation » a d’ailleurs été adopté pour désigner de grands travaux dont les principales motivations sont de l’ordre financier, quitte à négliger les conditions de vie des habitants. Peeters ajoute qu’une destruction méthodique du patrimoine culturel est aussi sous-entendue dans ce terme. L’album a de plus provoqué une certaine polémique, un responsable de l’administration bruxelloise accusant les auteurs de nuire au tourisme. Cela n’a pas empêché l’ouverture d’une librairie au nom de l’album.

Le choix de Brüsel est donc très intéressant car sa portée est multiple, et son message est clair. La page 29 présente la première vue que le lecteur a de Brüsel dans son ensemble, avant la période des grands travaux que va entamer le conseil échevinal, qui dirige la ville, mené par l’entrepreneur De Vrouw. L’analyse se déroule en deux temps. Les deux cases sont d’abord déchiffrées séparément, en listant les observations des éléments diégétiques en parallèle aux procédés artistiques, puis en les interprétant. C’est ensuite la planche entière qui subit le même traitement, afin d’obtenir une interprétation globale.

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34 Figure 10 : Page 29 de Brüsel, faisant l’objet d’une analyse approfondie.

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35 La planche intervient alors que Constant Abeels, le fleuriste avide de progrès et qui croit au plastique, se rend à l’administration centrale pour faire rétablir l’eau et le téléphone dans sa boutique. La première case de la page 29 fait suite au début de l’itinéraire d’Abeels pour se rendre au Palais des Trois Pouvoirs, l’équivalent du Palais de Justice de Bruxelles dans notre monde. Sur cette case, le plan s’est élargi pour englober le tram qui transporte Abeels dans son décor urbain, une ruelle de Brüsel, flanquée de part et d’autre d’immeubles aux façades faisant penser aux vieilles villes d’Europe occidentale. Sur l’une de ces façades, une affiche du promoteur De Vrouw, intitulée « Brüsel » et représentant des gratte-ciels. La rue est occupée par quelques piétons et véhicules, peu détaillés. La pluie tombe abondamment, les gouttières sont pleines et des flaques se sont formées. Du point de vue du dessin en soi, on constate que les couleurs utilisées sont assez froides, à l’exception des fenêtres éclairées des habitations et du tram, qui découpent des rectangles jaunes dans la case. Les lignes de fuite portent le regard du lecteur dans le fond de la case, là d’où vient la lumière forte et blanche qui projettent des ombres sur les immeubles. Cette case permet au lecteur d’appréhender u n peu mieux la ville, la figure d’Abeels, le personnage principale, disparaissant au profit du décor. Une ville qui apparaît froide, légèrement glauque, en raison des couleurs utilisées et des ombres placées. Les fenêtres font savoir au lecteur que l’électricité est une énergie que la ville exploite déjà, mais sans démesure. Les façades et le tram placent Brüsel dans les années 1980, et l’affiche de De Vrouw est ici pour dire que tout va changer. Les lignes de fuite servent à guider le regard du lecteur ver s la destination du tram, augmentant ainsi l’envie de découvrir la suite du parcours d’Abeels.

La deuxième case s’ouvre alors, avec un plan encore plus large, englobant une grande partie de Brüsel. Cet aperçu de la cité semble encore plus important grâce à la taille de la case, et au rôle mineur désormais endossé par le tram. En ce qui concerne la diégétique de l’image, c’est-à-dire ce qui fait partie intégrante du récit, ce que les protagonistes sentent et ressentent, on observe en arrière -plan un ciel lourd de nuages gris, qui déverse une pluie drue sur la cité belge. Le Palais des Trois Pouvoirs, bâtiment monumental, trône au-dessus des quartiers historiques de Brüsel et de leurs méandres. La case nous permet de savoir que la source lumineuse précédemment observée est un éclair qui souligne l’imposant Palais, en plongeant dans l’ombre les maisons immédiatement environnantes. Il n’y a plus vraiment de lignes directrices fortes, mais les ruelles de Brüsel se dirigent toutes vers le Palais, guidant l’œil du lecteur vers l’œuvre de l’architecte Joseph Poelaert. A l’exception de cette dernière, qui est d’un blanc éclatant, les couleurs sont toujours froides, ternes. La case ne comporte aucun espace vide, elle est chargée de dessins, de détails urbains, de pluie, de nuages menaçants. En un coup d’œil, Brüsel est décrite comme étant irrespirable, étouffante, et ce sans

Figure

Figure 1 : Plan de Brüsel issu du Guide des Cités obscures, p106-107.
Figure  2  :  Vue  de  Berlin  issue  de  Berlin  Strasse,  p  7 .  La  Fernsehturm  se  distingue  particulièrement du reste de la ville.
Figure  3 :  Double  page issue  de Civil  War. La prolifération de héros et  l es graphismes de  qualité aux  couleurs et effets visuels riches forment la marque de fabrique des éditions Marvel.
Figure 4 : Chronologie du cinéma  de science-fiction,  en nombre de films sortis par an
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