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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Ouvrages scientifiques et diffusion des connaissances

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Academic year: 2021

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OUVRAGES SCIENTIFIQUES

ET DIFFUSION DES CONNAISSANCES

Bertrand LABASSE

Sciences Presse; Groupe d'études sur la Vulgarisation scientifique (GeV) - Université Lyon 2 ; Institut des Sciences et Pratiques de l'Éducation et de la Formation (I.S.P.E.F.)

MOTS.CLÉS : ÉDITION SCIENTIFIQUE - CONTRAINTES PRAXÉOLOGIQUES-VULGARISATION

RÉSUMÉ:Àtravers l'ex:amen d'un corpus d'ouvrages de différents niveaux:, et dans la limite du champ des sciences expérimentales, sera soutenue la proposition selon laquelle tous les ouvrages scientifiques relèveraient d'une démarche commune, distincte de celle de la recherche scientifique. Cette démarche implique une altération volontaire des informations originelles qui peut être analysée globalement comme un acte de vulgarisation. Elle est soumise à un faisceau de tensions pouvant refléter une divergence profonde entre la pratique de la science et celle de sa diffusion.

SUMMARY : Via the examination of a collection of books of varying levels, and within the scope of the ex:perimental sciences, we shall suggest that ail scientific books are the product of a similar process, different from that of scientific research. This process implies the wilful alleration of original information, which canbeglobally considered as an act of popularization. Il is subject to pressures which may reflect a profound divergence between the practice of science and its ex:pression.

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I. INTRODUCTION

Il est très difficile de penser aux rapports entre sciences et citoyens sans les penser en termes de séparation. Pour qu'une telle question puisse se poser - et elle le peut, à l'évidence - il faut qu'ilYait un monde qui soit celui de la science, un autre, qui soit celui de la cité, et, entre les deux, une frontière plus ou moins nelle. L'endroit où chacun situe la limite implicite entre «eux» et «nous» influe directement sur les échanges qu'il juge possible entre ces deux logiques, réputées antagonistes. Toute frontière est, par définition, un enjeu de pouvoir et le lieu où se cristallisent les incompréhensions. La question na'tve qui s'impose -Oùfinil la science et où commence la société?-en sous-tsociété?-end donc beaucoup d'autres, notammsociété?-ent celle de la légitimité des différsociété?-ents processus de médiation. Nous nous proposons d'effectuer un rapide survol de cette démarcation, à travers le cas d'un vecteur particulier, le livre scientifique, considéré comme un modèle épuré des processus en jeu dans la diffusion des savoirs.

2, LE LIVRE, ERSATZ DE SCIENCE?

On ne peut parler d'ouvrage scientifique sans ressentir l'imprécision apparente de celte expression qui peut aussi bien évoquer un traité savant qu'un livre dit de "vulgarisation". Celle ambiguïté heurte l'idée commune selon laquelle un ouvrage de haut niveau serait - en tout cas dans le domaine des sciences expérimentles - d'une nature fondamentalement différente de celle d'un livre destinéàun large public, l'un étant, comme chacun le sait, rempli d'équations et l'autre de métaphores. L'existence d'ouvrages intermédiaires, comportant les unes et les autres, constitue une première difficulté. Mais il est plus intéressant encore de se demander ce que ces livres, savants ou populaires, ne comportent pas.

En effet, un livre scientifique, quel qu'il soit, peut remplir de multiples fonctions mais il est un rôle dont il esta prioriexclu: celui d'accroîtrelesavoir humain, c'est-à-dire de contenir des informations nouvelles. Kuhn (1983/1962) l'a déjà souligné: si une science est une science, alors elle ne progresse pas par les livres. Le traité n'est plus, depuis longtemps, un moyen de communication entre pairs:

"C'est seulement dans les domaines où le livre, avec ou sans articles, reste un moyen de communication pour la recherche, que les exigences de la projessionnalisation sont encore assez vagues pour que le profane puisse espérer se tenir au courant du progrès en lisant les textes originaux des spécialistes".

Un ouvrage ne peut contenir que du déjà publié, du déjà connu, déjà jugé; il est, par définition, en deçà, ou au-delà, de la recherche et de ses règles de validation. Il serait, de ce fait, hors de ce que le Comité d'éthique pour les sciences du C.N.R.S. a récemment délimité comme étant «l'espace propre» des scientifiques «où la qualité de ce qui est livré est contrôlée» (COMETS, 1996).A contrario,un livre scientifique qui prétendrait contenir «quelque chose de nouveau» a toutes les chances d'être un

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ramassis d' afftrmations farfelues. Présentant le plus récent d'entre eux, l'un des auteurs précisait sans sourireàune journaliste qu' «un livre équivautà250 publications» (Conte, 1996). Quantitativement douteux, qualitativement absurde...

Dans un registre plus sérieux, le genre de l'essai, celui où l'on avance des idées, une analyse originale, occupe une position marginale, et souvent contestée, dans le domaine des sciences. L'approche kuhnienne pennet en effet de reconnaître une démarcation essentielle entre ce qui relève de l'échange scientifique (publications primaires, colloques ) et ce qui relève de la diffusion scientifique (enseignement, valorisation industrielle, presse ). Dans cette perspective, tout livre savant, étant destinéàun public moins savant, serait forcément une entreprise de vulgarisation, ou, selon la belle fonnule de Jeanneret (1994), <<la pratique d'une transgression obligée •• : l'altération d'un «savoir., en fonction du non-su du destinataire.

3. L'EMPIRE DE LA NÉCESSITÉ

Cette possibilité nous a amenés à parcourir avec un intérêt nouveau un échantillon d'une trentaine d'ouvrages rédigés par des scientifiques, dont vingt choisis parmi les plus austères dont nous disposions. Notre propos était d'examiner ce qu'on lit trop rarement: leurs préfaces, introductions, présentations et autres préambules, afin d'observer si les auteurs eux-mêmes notaient une distance entre la science qu'ils connaissaient et celle qu'ils se proposaient d'exposeràleurs lecteurs, et si cette distance était foncièrement différente de celle que connaissent les praticiens de la vulgarisation. C'est, curieusement, dans les ouvrages les plus savants que la réponse nous semble la plus nette. Il sufftt en effet d'entrouvrir quelques livres qui n'incitent pas àla rêverie, comme Optique des milieux compositesouTechnologies pour les composantsà semi-conducteurs, pour reconnaître l'aveu, parfois la revendication, d'une dégradation des savoirs initiaux:

«L'auteur (...) présuppose que le lecteur connaît les éléments de base sur les propriétés des disposirifs reis que ( .. .) mais qu'il n'a pas obligaroirement une connaissance approfondie de la physique du solide...».Les experts, eux,«trouveront peUl-êrre que leur spécialiré esr décrire trop simplement ( .. .) mais cela esrl' abourissement d'un choix»(Favennec, 1996).<<Je m'en excuse auprès des chercheurs er enseignants donr j'aurais pu malrraiter la spécialiré>,(Pelmont, 1993).«Présenter, sous un volume réduir, l'érar aeluel de ce secreur de recherche ne peUl se faire qu'au prix d'un cenain nombre de limirarions er de scizémarisarions»(Caron, 1995/1989).«Volonrairemenr, il sera fair appel plusà l'inruirion ( ... ) qu'à de longs développements marhémariques» (Arnould et Merle, 1992).«Les résulrats plus réalisres, mais demandanr des développemenl.s théoriques qui n' onr pas leur placeici, soni donnés sans démonsrration» (Berthier, 1993).«L'ouvrage ne s'appesanrir donc pas sur le formalisme marhémarique»(Craveur, 1996).«Les choix les plus difficiles concernenl roUi ce qu'on esrime avoir le droir de ne pas dire, rous les dérails jugés imporlants par cenains spécialistes (.. .) l'aUieur en assume seul la responsabiliré»(Revillard, 1994).,J'ai préféré privilégier (les références) plutôr quede donner des justificarions relarives à chaque poinl exposé»(Sève, 1996).

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On le voit, le manque de place conduit tout naturellementàrogner sur l'édification des théories, leurs démonstrations et leurs limites, donc à «durcir» les propositions. Tel raisonnement originel, nuancé par d'autres et toujours provisoire, cède la place àl'affirmation. Cette dérive inévitable est une caractéristique de la vulgarisation. On pense seulement transmettre moins; on transmet plus dogmatique. On transmet également autre chose, et cet autre chose est, lui aussi, le signe d'une transgression.Lelivre contient en effet des informations différentes de celles qui seraient proposées aux pairs. Dans la sphère de l'échange, expliciter des notions admises par touS (les piliers du paradigme) semblerait ridicule, presljue obscène. Des indications comme«les cellules procaryotes diffèrent des cellules eucaryotes par (. ..) l'absence de noyau»(Maillet, 1975) ou«dans un solide. la notion de température traduit/' énergie cinétique des atomes»(Favenec, op. cit.) n'auraient«pas leur place»dans une publication primaire. On pourrait en dire autant de certains des procédés rhétoriques utilisés ici ou là pour animer le discours, lui conférer plus de sens et d'intérêt pour le lecteur... De façon générale, l'auteur d'un ouvrage savant rencontre ce que beaucoup d'analyses de la vulgarisation s'astreignent à négliger: la nécessité impérieuse de deux arbitrages, forcément mutilants.Lepremier, d'ordre technique, consisteàaffecter des ressources limitées - ici le nombre de pages -àun ensemble de connaissances beaucoup plus développé.Lesecond, d'ordre cognitif, consiste àsubordonner ce que l'on voudrait direàce que l'on pense pouvoir faire comprendre, voire apprécier.

4. UN BASCULEMENT NORMATIF

On ne pourrait donc passer de l'état de «producteur de science»àcelui de «diseur de science», même en restant dans un cadre académique, sans opérer un basculement de priorités et de normes, la loi des pairs s'effaçant devant la contrainte du média et, surtout devant le principe d'adéquation au lecteur. C'est sans doute parce qu'ils mesurent malle caractère inéluctable de cettetransgression didactique que certains auteurs de traités décrivent ce changement de référentiel (véracité<->pertinence) comme un déchirement personnel:«C'est un bien pénible travail (...) de réduire certains développements...» (Seguier et Notelet, 1994/1977).

Dans un livre destiné au grand public, en revanche, on chercherait généralement en vain l'expression d'un quelconque scrupule, ou d'une réticence, même de pure forme. Pourtant, ces ouvrages sont, le plus souvent, rédigés par des chercheurs aussi renommés - et parfois plus - que ceux qui commettent des traités ou des manuels. Mais les contraintes de l'exercice deviennent suffisamment évidentes pour que l'auteur n'éprouve plus le besoin de les involjuer. Le savoir-dire prime sans discussion sur le Savoir,àmoins ljue le «sens commun» n'assujettisse l'<<esprit scientifique». Cette transformation ne peut s'opérer que si l'auteur renonce temporairement à ses normes usuelles: on n'est pas simultanément chercheur (véracité)etauteur (pertinence), mais tantôt l'un, tantôt l'autre, selon le système de contraintes auquel on se soumet.

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Le problème fondamental du passage entre deux systèmes également légitimes est peut-être le moteur profond de la plupart des débats sur la diffusion des connaissances, mais il est masqué par les divergences classiques (claniques?)entre scientifiques et vulgarisateurs professionnels. Pour les premiers, par exemple, il est urgent«de ne pas laisser le champ libre aux médias et de contrôler, en la leur livrant ( ...) l'informationàdiffuser» (COMETS, 1996), pour les seconds, «les principales difficultés de la vulgarisation scientifique viennent du milieu scientifique lui-même»(Barrère, 1985). Posées en ces termes, et nourries dans chaque camp par d'innombrables exemples et une solide incompréhension mutuelle. les positions ne peuvent que demeurer figées de pitn et d'autre d'une frontière picrocholienne.

5. CONCLUSION

Les ouvrages scientifiques, considérés comme un cas particulier dans le processus global de la diffusion des connaissances, permettent d'approcher cette question à travers la production «à froid» des seuls scientifiques. Or la transgression minimale que constitue la rédaction d'un livre, si austère soil-il, recèle déjà la plupart des contradictions et les tensions de la vulgarisation. La rupture. si ruptureily a, ne passe sans doute pas entre la science et la cité (ou les médias), mais entre l'habitus de la recherche et les impératifs de pertinence de toute communication. La vraie frontière pourrait se résumer en dix mots:la science produite ne peut pas être la science dite.Lereste est une question de degrés... et d'appréciation que seule une analyse sérieuse des contraintes effectives des acteurs et de leurs publics permettrait d'éclairer.

BIBLIOGRAPHIE

BACHELARD G.,Laformation de l'esprit scientifique,Paris: Vrin, 1938.

BARRÈRE M., Les principales difficultés dans la vulgarisation scientifique viennent du milieu scientifique lui-même, in S. Aï! El Hadj etC. Bélisle, (Eds.),Vulgariser: un défi ou un mythe ?, Lyon: Chronique sociale, 1985.

COMETS - Comité d'éthique pour les sciences du CNRS,La diffusion des savoirs,Paris, 1996. CONTE R. R. CiL in Cognat, C.Le secret de l'homéopathie,Le Progrès, Lyon, 21 octobre 1996, pp. l, 4. [à propos de : Conte R. R., Berliocchi H., Lasne Y.et Vernot G. ,Théorie des hautes dilutions et aspects expérimentaux,Paris: Polytechnica, 1996.]

JEANNERET Y.,Écrire la science,Paris: Presses Universitaires de France, 1994.

KUHN T., Lastructure des révolutions scientifiques(2e ed.)(L.Meyer etC. Savary, Trad.), Paris: Flammarion. (Édition originale: 1962, rev. 1970), 1983.

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CORPUS

Le corpus retenu rassemble essentiellement des livres scientifiques adressés en service de presseàla rédaction du mensuelRecherche& Industrie(composition aléatoire). L'ensemble est destiné à illustrer l'analyse proposée: il ne saurait être considéré comme une base «probante», mais nous semble significatif, et est représentatif de la production éditoriale reçue par la rédaction. 20 ouvrages «académiques» et techniques» et 12 ouvrages destinés au grand public ont été examinés (seuls ceux cités dans le texte figurent ici).

ARNOULDJ.,MERLE P.,Dispositifs de l'électronique de puissance,Paris: Hermès, 1992. BERTI-IIER 5.,Optique des milieux composites,Paris: Polytechnica, 1993.

CARON J.,Précis de Psycholinguistique,Paris: Presses Universitaires de France, 1995. CRAVEUR 1.-C.,Modélisation des structures .. calcul par élémenrsfinis,Paris: Masson, 1996. FA VENNEC P-N.,Technologies pour les composantsàsemiconducteurs,Paris: Masson, 1996. MAILLET M.,Biologie cellulaire,Paris: Masson, 1995.

PELMONT 1.,Enzymes,Grenoble: Presses Universitaires de Grenoble, 1993. REVILLARD 1.-P.,Immunologie, Bruxelles: De Boeck, 1994.

SÉGUIERG.,NOTE LET F.,Electrotechnique industrielle,Paris: Lavoisierffech & Doc, 1994. SÈVE R.,Physique de la couleur,Paris: Masson, 1996.

Références

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