L'ENSEIGNEMENT DE LA TAXONOMIE VÉGÉTALE
RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES ET PRÉSENTATION
D'UN PROJET DE RECHERCHE
Pierre CLÉMENT·, Fatma GRIM**
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L.I.R.D.H.I.S.T., Université Claude Bernard - Lyon 1**
Cellule Didactique, I.S.N.- U.S.T.H.B., Alger, , i
MÛTS-CLES : DIDACTIQUE DE LA BIOLOGIE - SYSTEMATIQUE - TAXONOMIECONCEPTIONS DES CHERCHEURS CURRICULA
-1RANSPOSITION DIDACTIQUE
RÉSUMÉ: La Taxonomie est la science de la classification des êtres vivants, animaux ou végétaux. Une analyse des conceptions des chercheurs en Biologie montre qu'ils jugent cette discipline comme ancienne, conservatrice. Mais elle connaît depuis peu un regain d'intérêt avec la systématique phylogénétique moléculaire. Ces variations d'intérêt de la communauté scientifique nous ont poussésà lancer une recherche sur son enseignement dans le Secondaire.
SUMMARY : The taxonomy is the science of the classification of animais or vegetais. An analysis of BioIogy researchers conceptions show that they judged it as old and conservative. Nevertheless. there is a recent renewal of interest for it with the molecular phylogenetic systematics. This ,hanginp interest of the scientific community decided us to begin a research about its teaching in se('()nrlary school.
1. BREF SURVOL HISTORIQUE
Avant d'aborder les questions posées par l'enseignement de la taxonomie, nous commencerons par un bref historique des connaissances relatives à la systématique des êtres vivants, puis par une interrogation sur les fonctions de ces connaissances.
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Aristote (4e siècle av.1.c.)considérait qu'il y avait un ordre naturel des êtres vivants, avec une gradation conduisant jusqu'à l'homme. Ces idées n'évoluèrent guère jusqu'à la Renaissance, jusqu'aux grands voyages du l8e siècle et leur florilège de découvertes d'êtres nouveaux, qu'il fallut classer.*
Les premiers grands systématiciens étaient fixistes, notamment Linné (1707-1778) qui définit la nomenclature binaire (en latin: genre et espèce) et proposa un système de classification qui reste la première et grande référence des systématiciens (Systema natume, 1758). Le comte de Buffon (1707-1788) marqua aussi celte époque avec la publication des nombreux tomes de son HistoireNaturelle.
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Lamarck (1744-1829) édita une Flore française en 1778 et posa les bases du transformisme (première théorie de l'Évolution: Philosophie zoologique, 1809).*
Cuvier (1769-1832) fut un grand spécialiste de l'Anatomie comparée, surtout du règne animal (1817), et Geoffroy de Saint Hilaire, qui fit partie de l'expédition Bonaparte en Égypte en 1798, découvrit un plan d'organisation commun à tout le règne animal.*
Darwin (1809-1882) est bien sûr connu pour sa théorie de la sélection naturelle, mais L'originedes espèces (1859) contient aussi une première phylogénie: la classification des êtres vivants devient
désormais un outil essentiel de l'analyse des relations phylogénétiques.
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Depuis la fin du 1ge siècle, la Biologie évolue elle-même très vite. La théorie cellulaire avait mis 2 siècles avant de s'imposer (de Hooke, 1665, à Virchow, 1855). La génétique ira plus vite, malgré l'oubli momentané des lois de Mendel (1865), redécouvertes par Weissman (1834-1914) qui décrivit la continuité du plasma germinatif (1883), puis Morgan, etc. La systématique n'en reste pas moins une discipline reine de la Biologie et sa place dans l'enseignement est restée très importante jusque dans les années 60.*
Parallèlement, cependant, sont nées deux disciplines qui vont devenir dominantes en Biologie, et les laboratoires universitaires de Botanique ou de Zoologie vont progressivement disparaître en France, pour se re-orienter vers l'un de ces deux pôles: la biologie moléculaire, depuis Watson et Crick bien sûr, mais surtout Monod, Lwoff et Jacob (1965) et leur prix Nobel sur la synthèse des protéines; et l'écologie depuis la définition d'un écosystème par TansIey en 1937.*
Si bien que, actuellement en France, la Biologie animale et Biologie végétale ne sont plus enseignées en tant que telles à l'Université : or c'était dans ce cadre qu'étaient enseignées la Systématique animale et la Systématique végétale. Elles restent quand même nécessaires pour former à l'écologie, ou à la paléontologie, et elles n'ont donc pas complètement disparu des labos ou enseignements universitaires; c'est surtout le Museum National d'Histoire Naturelle qui a continuéà afficher un intérêt pour des recherches centrées sur l'organisme animal ou végétal, sur leur taxonomie et leur phylogenèse.*
Génétique des populations*
Éco-éthologie ;*
Cependant. au niveau international, la taxonomie est l'objet de débats passionnés au sein de la communauté scientifique. L'ouvrage coordonné par P. Tassy(l986) en dresse un panorama fort intéressant. Les nouveaux types d'analyse multivariées ont fondé une école. la phénétique numérique, qui tente de fonder sans a priori (autre que la paramètres introduits) des classifications. En revanche le cladisme,à
la suite de Hennig (1949, 1966, ...), fonde la classification sur les relations phylogénétiques entre taxons (ou clades), et rejoint la systématique phylogénétique proposée par Mayr(l965). Le cladisme s'est progressivement imposé. avec des courl\nts en son sein, et nombre de logiciels sont actuellement disponibles pour fonder des classifications phylogénétiques basées sur le principe de la parcimonie (le moins possible de branches dans les arbres. les "cladogrammes". ainsi constitués). Ce qui renouvelle parfois profondément les classifications et phylogénies jusqu'ici acceptées par la communauté scientifique.*
La phylogénie moléculaire connaît depuis peu un renouveau spectaculaire. rendu possible par les techniques modernes de séquençage d'A.D.N.• ou d'identification de gènes de développement. Les recherches sur la biodiversité, la chimio-taxonomie et la systématique phylogénétique en sont redynamisées et il est possible de parier que l'image poussièreuse de la taxonomie. démontrée par exemple par la recherche rapportée dans la partie suivante de ce texte. va s'en trouver prochainement fort modifiée. Les débats entre phénéticiens, cladistes et autres écoles de et/ou de phylogenèse n'en sont que plus vifs.2. LES FONCTIONS DE LA TAXONOMIE
Le champ de la taxonomie. ou systématique, des espèces animales et végétales s'inscrit dans différentes perspectives que nous allons tenter de lister. Elles concernent aussi bien les chercheurs que les enseignants et leurs élèves ou étudiants qui s'intéressentà ce type d'activité.
2.1 Catégoriser les êtres vivants
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Établir et utiliser des catalogues. des classifications, en explicitant leurs critères.*
Établir et utiliser des clefs de détermination des espèces connues (flores, faunes: qui peuvent être limitéesà un pays, ou à une zone géographique précise, voire à un écosystème très précis, tel que les fleurs d'altitude dans les Alpes).*
Identifier des espèces non encore répertoriées (doncàcomparer avec les description et herbiers de référence... ).2.2 Analyser les peuplements, les écosystèmes, leurs dynamique
L'organisme vivant n'est plus ici l'objet d'étude, mais un des éléments qui constituent des ensembles plus vastes qui sont, eux l'objet d'étude:
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Biologie des populations*
Écologie2.3 Étudier l'Évolution des espèces • Espèces fossiles / espèces actuelles • Théories de l'Évolution
• Systématique phylogénétique (basée sur l'anatomie comparée,la chi mio-taxonomie, ... ) • Séquençage d'A.D.N. / grands plans d'organisation, gènes homéotiques ; ou pour des démarches
classiques de systématique phylogénétique.
2.4 Domestiquer, ou créer, des espèces utiles à l'homme
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Cultures végétale: agriculture (pour alimentation, médecine, ...) ; plantes décoratives;*
Élevages d'animaux (pour avoir des compagnons, où pour la nourriture, ou pour des recherches de laboratoire, ou pour la lutte biologique, ou pour les loisirs: zoos, ...)Avec, pour chacun de ces cas, des processus de sélection, hybridation, manipulations génétiques, etc. qui conduisentàla création de variétés nouvelles, voire d'espèces nouvelles.
3. CONCEPTIONS ET JUGEMENTS SUR LA TAXONOMIE 3.1 Protocole expérimental Tableau 1 LISTE DES DISCIPLINES 1 - Cytologie 2 -Eùwlugie 3 - Ecologie 4 - Sc. Evolution 5 - !,wtistiques 6 - Psychiatrie 7 - Systématique 8 - Chimie organique 9 - Biochimie 10 - Génétique Il - Immunologie 12 - Embryologie 13 - Physiologie 14 - Bio. moléculaire 15 - Neurobiologie Tableau 2
LISTE DES PAIRES D'ADJECTIFS
FORT1--+--+-1----1'---1FAlB LE SÉRIEUX FANTAtSISTE SUBJECTIF OBJECTIF ANTIPATHIQUE SYMPATIIIQUE GAI TRISTE INUTILE UTILE FAUX VRAJ NOUVEAU ANCIEN FÉMININ MASCULIN IMPRÉCIS PRÉCIS PROGRESSISTE CONSERVATEUR INOFFENSIF DANGEREUX FERMÉ OUVERT DUR MOU DÉSAGRÉABLE AGRÉABLE
Une analyse des jugements que portent des enseignants chercheurs biologistes sur différentes disciplines scientifiques, incluant la systématique, a été entreprise il y a quelques années
à
l'Université Lyon 1 par P. Clément. La méthode est celle du différenciateur sémantique, complétée par une analyse factorielle des correspondances appropriée (Clément et al, 1988).L'échantillon était composé de 33 universitaires ou chercheurs, tous biologistes ou biochimistes,à l'exception d'un physicien. Chacun d'eux avaitàremplir, pour chacune des 15 disciplines suivantes,
une grille composée par 15 paires d'adjectifs antonymes. Ces adjectifs ont été choisis
à
la fois parmi les adjectifs les plus courants, et par leur pertinence possible pour juger des disciplines scientifiques. L'ordre des disciplines, ainsi que l'ordre des deux adjectifs dans la paire et l'ordre de la liste des 15 paires, ont été déterminés par une procédure aléatoire: l'essentiel est qu'ils soient les mêmes, pour contrebalancer les effets d'ordre inévitables. Entre les deux adjectifs de chaque paire, il y a 5 cases, et chaque personne interrogée doit obligatoirement cocher une des 5 cases (tableaux 1 et 2).Les résultats ont été traités par analyse factorielle des correspondances. Seul le graphe FI-F2 a été retenu, et sa lecture est brièvement commentée plus loin (résultats). La projection des points correspondant aux 15 x 5 nuances d'adjectifs permet de voir la signification de ce plan, et notamment des axes: la place, dans cet espace, de la projection des 15 points représentant les 15 disciplines testées permet alors de voir comment chacune de ces disciplines a été jugée
3.2 Résultats
Nous n'avons pas la place de reproduire le graphe, mais nous en commentons les principaux résultats. Seules 5 des 15 paires d'adjectifs ont fortement été structuré le jugement des personnes interrogées: 3 sur l'axe FI, avec à gauche "subjectif', "fantaisiste" et "faible", et à droite "objectif', "sérieux" et "fon" (et aussi "nouveau" et "progressiste", qui caractérise aussi le hfIut de l'axe F2). Le bas de l'axe F2 est caractérisé par "conservateur" et "ancien".
Les disciplines sont classées ainsi sur l'axe FI : les plus proches du pôle "objectif' etc. sont, très groupées: Génétique, Biologie moléculaire et Immunologie. Un peu moins à droite: Biochimie et Chimie organique (groupées), puis Neurobiologie. Au centre : Statistique, Embryologie, Physiologie. Légèrement à gauche (pôle subjectif, ... ") : Écologie, Sciences de l'Évolution, et Systématiquerraxonomie ; puis Éthologie. Et enfin, franchement à gauche vers le pôle subjectif: Psychiatrie. Sur l'axe F2, une seule discipline se détache nettement des autres vers le pôle "conservateur", "ancien" : la Systématique/Taxonomie. Physio., Embryo., Statistiques, Chimie orga. et Biochimie sont très légèrement décalées vers ce pôle, et toutes les autres disciplines sont regroupées plus vers le pôle "Nouveau", "progressiste".
Le jugement des chercheurs et universitaires biologistes est donc clair: la première caractéristique de la Systématiqueffaxonomie est d'être ancienne, conservatrice: une image poussiéreuse, sans doute liée aux T.P. qu'ils ont subis, étant étudiants,àobserver des animaux naturalisés ou formolés en bocaux, ou des herbiers ...
4. LA TAXONOMIE VÉGÉTALE DANS L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE LE PROJET DE RECHERCHE DE F. GRIM
L'histoire mouvementée de la taxonomie en France, et de son image, telles que nous venons de les présenter brièvement, constituent un cadre historique particulièrement favorable pour analyser sa transposition didactique (telle que définie par Chevallard, 1985) durant ces 30 dernières années. Cette recherche, actuellement en cours, porte
à
la fois sur les programmes et sur les manuels scolaires, enFrance et en Algérie. Elle se limite volontairementàla taxonomie végétale. Ce travail est fondé sur deux hypothèses:
<4<D'une part le déclin de l'image de la taxonomie dans les milieux scientifiques, tel que nous venons de le constater, s'accompagne-t-il ou non d'un déclin, voire d'une disparition, de l'enseignement de la systématique dans l'enseignement secondaire? Et le regain récent de recherches dans ce domaineà partir d'une approche moléculariste, commence-t-il àse traduire dans les programmes les plus récents? L'analyse des programmes devrait donner un premier niveau de réponseàcelle question. <4< D'autre part, malgré la diminution éventuelle de cet enseignement, n'y a-t-il pas eu persistance d'enseignements dispensant des bases de la taxonomie (éléments de nomenclature) ou d'autres connaissances (morphologie et anatomie des plantes par exemple) qui permettraient malgré tout aux enfants d'avoir une autonomie minimale ensuite dans, par exemple, l'usage de flores? L'nalyse des manuels devrait apporter des réponsesàcelle question, en recensant les notions qui y sont présentes (analyse lexicale, et analyse des illustrations).
Àtitre d'exemple, voici l'évolution du programme de la classe de 6e en France, depuis 1958. Les parties de programme concernant la taxonomie sont indiqué en gras: ils ont explicitement disparu depuis 1977, et ne réapparaissent qu'indirectement dans le nouveau programme de 1996 :
1958-1976 : 1 - Le corps humain. II - Les Vertébrés (dont leur classification) III - Les plantesà fleur:(1)Morphologie et biologie; (2) Reproduction; (3) Utilisation de nores.
1977-1985 (6e et Se) : 1 - Biologie des fonctions et Organisation: (A) Animaux: comportements, fonctions/milieu.11-Interdépendance des êtres vivants.
1985-1995: 1 - Comportements alimentaires. II - Respiration des êtres vivants. III - Besoins nutritifs des végétaux (avec ou sans chlorophylle). IV - Signification de la nutrition et de la respiration. V - La reproduction sexuée: (A) animaux: Vertébrés; (B) Végétaux: Plantesà fleurs.
1996 - ... :1 -Nqtre environnement: (A) Caractéristiques; (B) Diversité, parenté et unité des êtres vivants. II - Organisation: (A) Peuplement d'un milieu; (B) Relations alimentaires. III - Des pratiques au service de l'alimentation humaine: (A) Un élevage ou une culture; (B) Une transformation biologique.
BIBLIOGRAPHIE
CLÉMENT P., NDIA YE V., ROUBY C., Comment des chercheurs en Éthologie se représentent-ils et hiérarchisent-ils des disciplines scientifiques?, Homme-Anima/-Société, 1988,1, Presses de l'I.E.P. de Toulouse, 265-298.
MAYR E., Numerical phenetics and taxonomy theory,American Zo%gy,1965,5,73-97.
TASSY P. (sous la direction de ),L'ordre et/a diversité du vivant,Paris: Fayard / La fondation Diderot, 1986.
