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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Le désir de savoir

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Academic year: 2021

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LE DÉSIR DE SAVOIR

Bernard PIETTRE

Professeur de philosophie au Lycée Thuillier, Amiens Action culturelle du rectorat d'Amiens

MOTS-CLÉS: DÉSIR - AMOUR - PASSION - SCIENCE - ENSEIGNEMENT - RECHERCHE

RÉSUMÉ: La question du "désir de savoir" est généralement absente de la réflexion pédagogique et épistémologique. Cet aspect psychologique du désir de savoir ne doit cependant pas être ignoré si l'on veut bien comprendre que l'élève n'apprend avec profit que si l'on stimule et satisfait son désir de savoir et que l'enseignant n'enseigne avec plaisir que s'il parvient à transmettre sa passion pour une science plus que son savoir. Le principe moteur de la recherche scientifique elle-même reste, pour l'essentiel, et ceci pour le meilleur comme pour le pire,ledésir de savoir.

SUMMARY : The question of "the desireto know" is generally absent from epistemological or pedagogical reflexions. However this psychologie al aspect of the desire to know should not be ignored as we would understand that a student only profits by learning if his desire to know is being stimulated and satisfied, and that a teacher finds pleasure in teaching only if he manages to transmit his passion for a subject before transmilting some particular knowledge. The driving principle of scientific research itself essentially remains - whether it is for belter or worse - the desire ta know.

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1. INTRODUCTION

Le désir de savoir est un élément moteur de l'activité scientifique et technique. Son principe actif. Un principe obscur rarement mis au jour, qui prend racine dans notre inconscient psychique, et n'est pas sans rappon avec notre activité désirante en général, avec notre sexualité par exemple. S'il est rarement mis au jour, c'est que la psychanalyse a encore mauvaise presse et passe toujours - à ton à notre avis -, et peut-être plus maintenant que dans les années 70, pour une discipline non scientifique, voire pour du charlatanisme. Mais de façon plus générale s'il est rarememnt mis au jour c'est qu'il est délicat, dangereux peut-être, de parler des soubassements irrationnels d'une activité rationnelle - celle des sciences et techniques -, d'une activité qui a ses exigences de méthode, de précision, de rigueur, d'objectivité. Et ce sont bien ces exigences de rationalité qui la définissent et non ses mobiles subjectifs irrationnels.

Seulement à adopter une approche trop rationnelle de l'activité scientifique elle-même (en épistémologie), voireà la modéliser, de même qu'à vouloir modéliser d'une façon (prétendument) rationnelle des stratégies d'apprentissage d'une discipline scientifique (en didactique de cette discipline), on passeàcôté d'un élément essentiel, de l'élément dynamique de l'activité scientifique du chercheur et de l'activité d'apprentissage des sciences chez un élève: le désir de savoir.

2. LE DÉSIR DE SA VOIR

2.1 Le désir de savoir ongme et non fondement de l'activité scientifique

Si on s'offusque de ce que l'on s'intéresseà l'origine psychologique, obscure, du désir de savoir, c'est qu'on a tendance à confondre deux plans qui doivent être tenus distincts: l'activité scientifique telle qu'elle~,et l'activité scientifique telle qu'elle doit se faire;leplan des faits et le plan du droit. Que l'activité scientifique soit animée

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par le désir ne retire rienàla rigueur rationnelle avec laquelle elleQQi!par ailleurs être menée. On a tendance à confondre l'origine psychologique de l'activité du chercheur ou de la curiosité scientifique de l'élève, et les fondements théoriques de telle ou telle science, de la géométrie, de la mécanique quantique ou de la biologie moléculaire. Parler de cette origine de l'activité scientifique - le désir du savoir - n'entache en rien les fondements rationnels de la science.

Établissons une comparaison. Une comparaison entre l'activité musicale et l'activité scientifique. Prenons un individu qui s'initieàla musique, qui s'initie au violon par exemple, et qui devienne un violoniste interprète professionnel. Un tel individu est devenu musicien violoniste parce qu'il en avait le désir. Ceux qui ont essayé de faire apprendre un instrument de musiqueà leurs enfants savent qu'ils ne peuvent aller complètementàl'encontre du désir de l'enfant, ni en faire abstraction, même si ce désir est stimulé, voire plus ou moins façonné par les parents. On ne devient pas un bon musicien, ni un grand interprète, si l'on n'a pas~le devenir, en un mot si l'on n'aime pas la musique. Cela est un fait. Un fait psychologique. Un fait simple à constater, plus difficile en réalité à analyser (quelle est la nature de ce désir? d'où vient ce désir? qu'est-ce qui l'encourage ou l'inhibe?

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préexiste-t-il d'ailleurs vraiment à toute incitation?).Ce fait doit être tenu distinct de l'autre aspect de l'apprentissage et de la pratique d'un instrument de musique: celui des règles auxquelles est soumise cette pratique, des règles qui la nomlent, et sans lesquelles elle n'aurait aucune consistance effective. Règles qui, pour l'apprenti-violoniste en l'occurence, sont celles, fort contraignantes, de la tenue de l'archet, du violon, et, bien sûr, celles de solfège qui lui permettent de maîtriser le sens du rythme, de l'harmonie, de la mélodie.

De même l'activité scientifique aussi est soutenue par un désir, une passion. Elle est une activité humaine qui s'enracine tout autant dans une subjectivité. Enseigner la physique ou les mathématiques à un enfant qui n'en a pas le désir, tout professeur de sciences peut en faire la triste expérience. Mais nous savons que ce désir peut et doit être stimulé, plus ou moins façonné, amplifié. Cela est une chose. Le désir de savoir n'empêche pas qu'il faille par ailleurs se plier aux règles de l'activité scientifique, à la rigueur du raisonnement mathématique, de la démonstration d'une solution en géométrie, de la démonstration d'un théorème, aux exigences de la démarche expérimentale en physique ou en biologie, à ce que doit être l'activité scientifique, mathématique, physique, biologique..., "les règles du jeu" changeant selon les spécialités.

Si on n'a pas en vue cette distinction, on va placer de l'irrationalité là où il ne doit pas en y avoir, et de la rationalité là où il ne doit pas y en avoir. Par exemple c'est une erreur de vouloir trop psychologiser l'activité scientifique, ainsi l'activité mathématique. Husserl, sous l'influence du Frege, disait qu'il fallait savoir distinguer les lois naturelles (de la nature du fonctionnement de notre psychisme) qui permettent de comprendre la genèse de la pensée scientifique ou mathématique, et les lois idéales (logiques du raisonnement scientifIque ou mathématique) qui permettent d'apprécier la justesse et la vérité de notre pensée. Les lois mathématiques ne dérivent pas des lois du fonctionnement psychologique de notre cerveau. Les objets mathématiques ont une consistance propre, une indépendance propre par rapport aux aléas de la vie de notre subjectivité.

C'est pourquoi il y a toujours un saut que tout élève doit faire pour accéder au monde des mathématiques. De même en physique ou en biologie on ne saurait tirer un quelconque enseignement scientifique de l'expérience ordinaire que les enfants ont des choses. L'on sait au contraire que cet enseignement exige qu'on lutte contre des représentations imaginaires qu'un enfant (et l'enfant que l'adulte continue d'être) se forme spontanément, par exemple à propos de la pesanteur, de l'inertie, de la résistance des matériaux, de la poussée d'Archimède ... sans parler de celles qu'on peut se faire du monde vivant, des ponts que l'on établit entre le minéral et le végétal, entre le végétal et l'animal, et de tous les fantasmes possibles qui consistent en général à anthropomorphiser la nature. L'enseignement des sciences ne consiste pasà partir des opinions des enfants ou des adolescents, maisà les réformer, voire à les annihiler.

De ce point de vue, des erreurs, je crois, ont été commises dans l'enseignement élémentaire à vouloir ne pas assez couperlelien qui relie encore le monde imaginaire de l'enfant et celui de la science, de crainte de violenter la psychologie de l'enfant - alors que c'est précisément l'empêcher de devenir adulte, de devenir l'adulte qu'il désire devenir. Mais les adultes, regrettant le temps de leur enfance, projettent sur le monde de l'enfance leur nostalgie et leurs propres ressentiments et ainsi sont conduits à infantiliser l'enfant, à sous estimer son désir de savoir. Un bon exemple en pédagogie en

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est donné par l'apprentissage des langues: on a pensé bon, dans les années 70, de faire apprendre une langue étrangère par imprégnation, par imitation, sans jamais traduire les mots... sans demander de faire l'effort d'apprendre des règles de grammaire et de traduire explicitement le vocabulaire rencontré. Appliquer rigoureusement et uniquement une telle méthode, c'est considérer un enfant de sixième comme s'il était un bébé, lequel a en effet appris sa langue maternelle par imitation et imprégnation. C'est infantiliser l'enfant de 10-12 ans. En le spoliant de son désir de savoir.

2.2 Il en est du désir de savoir comme de l'amour

Car, paradoxe, le désir de savoir est d'autant plus fort, chez l'enfant, comme chez l'adulte, qu'il l'arrache à sa subjectivité. Qu'est-ce qui est fascinant dans les mathématiques, sinon précisément qu'elles constituent un univers que je ne saurais dériver de l'expérience psychologique que je fais des opérations de calcul élémentaire, ou de l'observation de formes géométriques que je peux faire dans la nature? Les rapports entre les nombres, entre des grandeurs semblent possèder des secrets qui dépassent toujours mon imagination. Et c'est cela qui stimule précisément mon imagination. De même, en physique, la vérité dépasse toujours la fiction, et, comme le dit Bachelard,"elle n'est jamais ce qu'on aurait pu croire, mais toujours ce qu'on aurait dû penser".Qui aurait pu imaginer au début du siècle que la réalité d'une particule est en même temps celle d'une onde? Il a bien fallu le penser, malgré toutes les résistances de l'imagination commune. Est-ce de telles leçons d'humilité de la physique qui découragent le désir de savoir? Non, bien au contraire, elles l'aiguisent et l'avivent. Le monde est toujours plus complexe et plus merveilleux que celui que l'on imaginait. Voilà de quoi exciter le désir de savoir.

Ainsi le désir de savoir ne procède pas d'un arbitraire de la subjectivité, mais, paradoxalement, de la nature même de la science, mieux, de son exigence d'objectivité. De ce que la science estàmême de m'aider à dépasser ma subjectivité. Il en est ainsi du désir de savoir comme de l'amour. C'est ce que disait Platon il y a plus de deux mille ans dans un dialogue fameux:Le Banquet.L'amour de la sagesse est une forme d'amour. Pour Platon, la forme plus élevée. Mais entre l'amour d'un beau corps, d'une belle âme, d'une belle oeuvre d'art, d'une belle action, et l'amour d'une belle science, il n'y a que des différences de degré. Toute la philosophie, selon Platon, consiste à détourner l'amour que l'on peut avoir pour la beauté des corps ou d'une âme vers la beauté de la vérité. Freud ne s'y est pas trompé et a reconnu dans Platon un des précurseurs de sa conception du pansexualisme - on devrait dire du "pan-amour", ou de sa conception "panérotique" de la vie psychologique, c'estàdire d'une sexualité qui dépasse de loin le cadre strict de la relation physique entre deux êtres de sexe différent. Mais attention, si le désir, si l'amour de savoir est si puissant, si enthousiasmant, cela tient à ce que son principe, sa cause n'est pas en moi (ou pas seulement en moi), mais (aussi) dans un objet extérieur: l'autre corps ou l'autre âme quand il s'agit d'un être aimé, la vérité quand il s'agit de science ou de la philosophie. L'amour ne serait pas aussi excitant, aussi grisant, aussi enthousiasmant, si c'était moi-même que je devais aimer en l'autre. Certes j'aime égoïstement le plaisir de l'amour, ou plus banalement le plaisir sexuel. Mais le bonheur n'est pas le plaisir, et le bonheur, je le trouve dans une richesse inconnue, un monde inconnu que l'autre me fait découvrir. De même en science il y a du bonheur à découvrir un monde de vérités qui dépassent les bornes de

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ma subjectivité, à pénétrer davantage les arcanes des mathématiques, à comprendre et à maîtriser un peu mieux les mystères de la nature, du cosmos, du monde vivant, etc.

Si on ignore cela en pédagogie, si on ignore que le désir de savoir chez l'enfant consiste en quelque sorte à s'arracher à son enfance, alors on sera mauvais pédagogue. On connaît la formule assez creuse selon laquelle, pour être un bon professeur de mathématiques de Pierre ou Paul,ilne faut pas connaître les mathématiques, mais bien connaître Pierre ou Paul. Malheureusement Pierre et Paul désirent être autre chose que simplement Pierre et Paul, ils désirent devenir autres, devenir grands: ils désirent savoir. Savoir ce que c'est que le monde des grands, savoir autant et même plus que les grands. Et si l'adulte pédagogue ne leur transmet pas la passion qu'il a lui même pour telle ou telle science, parce qu'ils n'en possède aucune, alors il ennuiera ses élèves. Car on ne transmet pas précisément un savoir. On transmet une passion. Quand on exige des élèves qu'ils apprennent des leçons, ou qu'ils entendent le cours, on doit en même temps leur donner le désir de les apprendre ou de nous entendre. Comment? En s'intéressant à leurs problèmes personnels? Non, mais bien plutôt en les intéressant à notre passion, et à ses exigences. Si on laisse croire aux enfants que l'activité scientifique est agréable sous prétexte qu'elle serait sans règle stricte, qu'elle serait "cool", alors on la rend présicément fade et ennuyeuse, incolore, inodore et sans saveur.

Mais il ne suffit pas d'enseigner avec passion sa science pour la transmettre. Il faut encore garder constamment le souci didactique de nous assurer que la difficulté de ce que nous enseignons ou l'obscurité de notre propos n'ont pas déjà tué chez les élèves le désir de nous entendre, le désir de savoir. Ce qui suppose une incessante remise en question de soi dont tout enseignant exigeant fait la difficile expérience. Nous devons continuer d'être nous-même habité par le désir de savoir, sans jamais être assuré de savoir. Car l'assurance de savoir se transforme vite en désir de pouvoir, et d'un pouvoir mortifère. Là-aussi retenons la leçon socratique: "Ce que je sais c'est que je ne sais rien". Si en effet l'on était déjà savant, pourrait-on encore désirer savoir 7 Je dirais enfin que l'on n'enseigne pas ce qu'on a - la science que l'on possède - mais ce qu'on est, et si l'on est amoureux de la science, alors c'est cet amour que l'on va enseigner.

Certes, voilà une vue un peu idéaliste de l'enseignement. On connaît les contraintes des programmes et des examens. Mais encore une fois pas d'enseignement de science - et de tout ce qui la rend passionnante - sans l'enseignement de ses exigences. Le problème est plutôt qu'il faudrait que les programmes des études scientifiques cessent d'occulter complètement l'histoire des sciences: c'est à dire l'histoire de la passion d'hommes pour la science (ou plutôt pour une science déterminée), l'histoire d'un désir du savoir, source d'erreurs autant que de découvertes - l'histoire de la recherche scientifique. Bien entendu cet enseignement d'histoire des sciences ne pourrait être que très modeste. Mais il convient de ne pas faire croire aux élèves que la science constitue la vérité pour l'éternité. Un professeur de mathématiques (de Math-Sup) me racontait la surprise des élèves quand, alors qu'il leur parlait hors programme des équations non linéaires de Poincaré et des mathématiques du chaos, ceux-ci lui ont alors demandé: " Mais ilya encore des choses à découvrir en mathématiques 7" Remarquable naïveté des élèves qui en dit long sur les souffrances qui ont dû être les leurs en étudiant les mathématiques!

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2.3 Les dangers d'un désir de savoir sans borne

Le désir de savoir est un fait, un fait humain, bien humain. Cela même qui fait l'humanité de la science, qui fait que la science est une activité humaine comme les autres, l'art, la religion, la sexualité. Que la science (et les techniques qu'elle commande) n'est (ne sont) pas neutre(s). Jamais neutre.

De ce fait, tout comme l'amour, le désir du savoir peut même être dévastateur. En s'investissant avec passion dans une recherche, on peut y perdre sa liberté. Être aveuglé par son désir de savoir. Au point de n'attacher de valeur qu'à sa recherche. Comme ce savant fou del'Étoile Mystérieusede Hergé qui se réjouit d'avoir correctement prévu la catastrophe imminente qui va s'abattre sur la terre. Au nom du désir de savoir, on se prostituera pour avoir des crédits et se faire l'allié d'acteurs économiques ou politiques qui ne sont pas nécessairement très recommandables; on commettra des expérimentations plus ou moins monstrueuses, ou, du moins, on refusera d'arrêter les expérimentations commencées (pensons à la position de 1.Testart à propos des avancées de la biotechnologie appliquéeàl'homme). Sans le désir de connaître l'intimité de la matière et l'énergie contenue dans le noyeau de l'atome, pas d'expérimentation de la bombe atomique. Le désir de savoir est aussi ce qui perd Faust ou le docteur Frankenstein...

Bref le désir de savoir, tout en étant aiguisé par l'exigence de rationalité de la science, est aussi ce qui la marque inévitablement d'irrationalité. Si on ne comprend pas cela, si on ne l'admet pas modestement, alors on ne comprendra jamais que l'activité scientifique et technique pourra toujours servir les fins plus déraisonnables et plus insensées. Servir le nazisme, et n'importe quelle folle entreprise collectiviste ou libérale. Non pas qu'elles les serve nécessairement, cela va de soi. Le nazisme n'est pas une conséquence de l'activité scientifique et technique comme telles, mais d'abord de la responsablité d'hommes politiques. Il n'empêche que des savants, qu'on aurait pu croire éclairés, ont participé àson oeuvre destructrice, n'hésitant pas àmener des expérimentations inhumaines, parfois par désir d'en savoir plus sur l'homme ...

Oui le désir de savoir est un fait, un fait de psychologie, non un devoir. Merveilleux quand on regarde l'enfant toujours étonné de tout, l'enfant émerveillé par un maître qui sait l'émerveiller. Merveilleux quand on écoute certains chercheurs qu'une passion a habités toute leur vie. Effrayant quand on voit que le désir de savoir peut rendre inattentifà la souffrance humaine qui est à côté de soi, indifférent aux exigences morales les plus élémentaires de la conduite humaine. Il est vrai que le désir de savoir n'est pas de même nature chez l'enfant et l'adulte. Chez l'enfant il est la manifestation de son désir de devenir un homme et de son aspirationà l'autonomie. Comme tel il doit être respecté, encouragé. Le chercheur ou le savant adulte resteàbien des égards un enfant et réalise souvent, au moins en partie, des rêves d'adolescence. Et il doit rester capable de s'étonner s'il veut encore chercher. Mais au désir de savoir se mêle chez l'adulte un désir de reconnaissance, voire un désir de pouvoir. C'est pouquoi il doit être tempéré, à l'âge mûr, par un désir de sa&esse.

Le désir de savoir, comme tout ce qui est Désir, se heurte en effet àdes limites; celles de la Loi au sens fort de ce terme; au nom du désir de savoir on ne saurait transgresser des valeurs sociales de la conduite humaine, des valeurs de civilisation. C'est pourquoi l'activité scientifique et technique, aussi nobles que soient les mobiles qui l'animent et la font progresser, doit rester dépendante de la

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morale, du droit, voire de la religion ... Même si les valeurs morales, juridiques ou religieuses peuvent être toujours suspectées par le savant d'être irrationnelles, ou dénuées de toute vérité justifiable par la science."Mais vouloir la véritéàtout prix,disait Nietzsche,c'est peut-être vouloir secrètement la mort."

3. CONLUSION

Ignorer le désir de savoir c'est ignorer la dynamique de la science, ou de son apprentissage, et rester dans une vision étroitement rationnelle, ou prétendument scientifique, de la science elle-même.Ors'il est possible et pour le moins souhaitable d'avoir un regard scientifique sur la pratique de son activité scientifique, quandils'agit de considérer son objet et sa méthode, il devient en revanche impossible d'avoir un regard réflexif également scientifique sur celle pratique, quand il s'agit de porter ce regard sur les mobiles profonds (psychologiques, personnels, mais aussi sociaux, professionnels etc.) de son enseignement ou de sa recherche. Rien n'est plus utile à cet égard que le regard del'~sur son activité de professeur ou de chercheur dans telle discipline scientifique:le regard du collègue d'une autre spécialité, le regard du psychologue, du sociologue, du philosophe ou du citoyen ordinaire. La science - est-il nécessaire de le rappeler 0 - est une activité qui n'appartient pas aux seuls scientifiques. Une activité humaine caractéristique d'une civilisation, et plus particulièrement de la civilisation occidentale contemporaine, dont les effets sur la société sont devenus considérables. Celle activité s'enracine dans une histoire de l'humanité dont je crains, contrairement à ce que pensait par exemple Hegel, qu'elle soit bien peu rationnelle. Ne renonçons pas cependant à la raison - la raison ne s'arrête pas là où la science s'arrête. Ne renonçons pas à un regard critique, lucide et raisonnable sur une activité dont la rationalité cache des mobiles souvent irrationnels - irrationalité qui fait à la fois la profonde humanité, et l'inquiétante inhumanité, de la science.

BIBLIOGRAPHIE

PLATON,Le Banquet,lntr., trad. B. Piellre, Paris: Nathan, 1983.

FREUD S.,Cinq leçons sur la psychanalyse,P. B. Payot, fntroduction àla psychanalyse,P.B. Payot,Essais de psychanalyse,P. B. Payol.

BACHELARD G., La formation de l'esprit scientifique (Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective), Paris: Vrin, 1969.

DOREY R.,Le désir de savoir (Nature et destin de la curiosité en psychanalyse), Paris: Denoël, 1988.

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