CONSTRUIRE QUELQUES GRANDS
CONCEPTS TOUT AU LONG
DE LA SCOLARITE
Gérard DE VECCHI LN.R.P. Section Sciences et L.D.E.S.
MOTS CLES : Concepts interdisciplinaires, Programmes.
RESUME: Plutôt que de définir des "programmes d'enseignement" pour chaque niveau et dans chaque matière,il serait préférable de faire s'approprier aux élèves un petit nombre de grands concepts interdisciplinaires que nous proposons ici. Cela permettrait de mettre en place une véritable construction du savoir, celui-ci étant abordé par des chemins très différents mais complémentaires.
Dans l'enseignement, chaque année scolaire est couverte par un programme défini et très détaillé ; voilà une conception qui fait pleinement partie de nos habitudes, de notre culture même, et que l'on songe rarement à remettre en cause (on ne revendique que des allègements). Pourtant, dans les années 70, aussi bien à l'école élémentaire que dans les collèges français, une certaine "liberté" avait été laissée à ce sujet.On avait préféré définir un "cadre" dans lequel les enseignants pouvaient faire des choix. Mais que proposait-on à l'intérieur de ce cadre? Pas grand chose. On a donc fait marche-arrière.
Plutôt que d'imposer un programme strict de connaissances, ou seulement de vagues directions quant aux contenus, ne vaudrait-il pas mieux définir quelques grands concepts, et cela d'une manière interdisciplinaire ? Ceux-ci pourraient être construits tout au long de la scolarité, à travers des approches successives, en les abordant par un ensemble de voies très différentes.
Dans notre esprit, il n'est pas question d'éliminer les différentes disciplines. Chacune pourrait, en relation avec ces grands concepts, toucher des champs spécifiques qui confIrmeraient leur identité. 11 est vrai que l'ensemble des matières enseignées ne pourraient plus être considérées comme des buts mais seulement comme des moyens, ce qui, à notre avis, correspond à leur réelle vocation. Reconnaissons que cette approche constitue en elle-même une petite "révolution ". Pourtant, il serait ainsi possible d'aboutiràune véritable construction du savoir qui serait réalisée par des mises en relation régulières et nombreuses, au lieu d'assister à la transmission d'un simple "empilement de connaissances" le plus souvent très vite oublié ou totalement inefficace.
Nous allons tenter de résumer ce que sous-tend notre proposition; nous prendrons des exemples pratiques pour en illustrer les différents aspects.
1. QUELS GRANDS CONCEPTS INTERDISCIPLINAIRES POURRAIT-ON CHOISIR?
Leur nombre doit être limité afIn qu'une véritable démarche de construction progressive puisse être mise en place dans la pratique pédagogique.
Nous proposons ceux qui nous paraissent essentiels dans le tableau de la page suivante.
Plusieurs remarques s'imposent.
Ces différents concepts ne sont pas isolés les uns des autres. Ainsi, en biologie, on pourrait dire, par exemple:
"Un organisme vit dans un ESPACE défini, dans lequel il matérialise un certain flux de MATIERE et d'ENERGIE. Il est l'objet d'un transfert d'INFORMATIONS d'origine interne (qui lui permettent de réguler ses différentes FONCTIONS) et d'origine externe (qui le mettent en RELATION avec son ENVIRONNEMENT). A un moment donné, cet environnement pourra correspondre à un certain EQUILIBRE qui sera susceptible d'EVOLUER dans le TEMPS".
LES GRANDS CONCEPTS INTERDISCIPLINAIRES
MATIERE ENERGIE INFORMATION
STRUCTURE: FONCTION ,y> RELATION '1,0 <5', ~~ ..-<> 7' EQUILIBRE r.., 0 ~ EVOLUTION ENVIRONNEMENT
Ces concepts sont très généraux et en intègrent chacun un certain nombre. On pourrait les qualifierd'ENGLOBA~'TS. Dans une même discipine par exemple, ils peuvent toucher des domaines très variés.
Ainsi le concept d'INFORMATION en BIOLOGIE:
information se pro~ système nerveux
pageant dans
l'orga-hormones n1.-sme
médiateurs chimiques en général
informations comportements
instinc-programmées t i f s immunologie informations génétique regroupées mémoire informations vieillissement dégradées ou certaines maladies perturbées
(cancer, SIDA. affections du système nerveux ou
COMPLEMENTARiTE ENTRE LES DIFFERENTES DISCIPLINES
C'est l'un des intérêts principaux de cette approche. Aujourd'hui les différentes matières abordent un ensemble de connaissances indépendamment les unes des autres. Chacune utilise son propre langage et un même mot a souvent des significations différentes suivant les spécialistes qui l'emploie.
Il s'agit donc de mettre en relation, de rendre complémentaire une somme d'apports à partir desquels se réalisera la construction progressive de quelques concepts. Prenons un exemple pour illustrer cette idée.
APPROCHE INTERDiSCIPLINAIRE DU CONCEPT D'EQUILIBRE
diff6rentes mati~reB physique chimie histoire géographie géoLogie mathématiques français éducation physi-que arts pLastiques musique etc . ..
angLe sous LequeL Le concept peut être abordé écosystème unité de L'organisme force réaction chimique pouvoir démocratie démographie tectonique égaLité équivaLence phrase structure de texte mouvement prise de risque composition harmonie
3. QUEL EST L'INTERET DE CETTE PROPOSITION?
Elle va dans le sens d'une cerrtaine cohérence, aussi bien au niveau des disciplines prises isolément que dans le cadre de tout enseignement. Elle incite lesenseignant~ à structurer les connaissances qu'ils proposent par la prise en compte de nombreuses mises en relation. A plus ou moins longue échéance, cela pennettrait de limiter l'apport d'un savoir plaqué et accumulé, en le remplaçant progressivement par un savoir construit (2).
Cela obligerait les chercheurs en didactique et les enseignantsàanalyser dans le détail leur propre matière. Cela permettrait aussi de dépasser un ensemble de "pièges" qui induisent ou consolident des conceptions fausses chez les élèves (en voulant dépasser un obstacle dans un champ donné, on en construit d'autres ailleurs (2)). Cela permettrait enfin de se pencher sur le fait que l'on assiste, aujourd'hui, à l'éclatement" de certains concepts. Le concept d'Espace est un "concept éclaté" : pendant longtemps, il est resté essentiellement liéàla géométrie euclidienne et à une approoche "géographique". Aujourd'hui, on est arrivéàparler "d'espace de vie" dont la définition est essentiellement d'ordre psychologique; ce serait une sorte de "climat" (encore une métaphore !).
Une remarque resteàfaire. Les concepts que nous avons proposés sont très généraux et les enseignants, sur le terrain, ont besoin de plus de précisions, de points de repères. Il faudrait donc, dans chaque discipline, définir un ensemble de NIVEAUX d'exigences, ou plutôt DE POSSIBILITES, adaptés àchaque tranche d'âge, dans le même style que les "niveaux de fonnulation" élaborés par l'enseignement scientifique. Cet article a pour objectif de proposer un point de départ àune réflexion qui nous semble importante aujourd'hui. Il est évident que cela demanderait une recherche interdisciplinaire beaucoup plus poussée et mériterait sans doute que l'on s'y attèle sans trop tarder.
(1) A. GIORDAN, G. DE VECCHI - Les origines du savoir Neuchâtel, Paris -Delachaux& NiestIé - 1987
(2) G. DE VECCHI, A. GIORDAN - L'enseignement scientifique : comment faire pour que "ça marche" ? - Nice - Z'éditions - 1988
(3) LN.R.P. - Procédures d'apprentissage en sciences expérimentales - ASTER, coll. rapports dE recherches nO 3 - 1985
