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Rendre effectifs les droits économiques et sociaux par le droit

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RENDRE EFFECTIFS LES DROITS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX

PAR LE DROIT

Isabelle BOIVIN

Institut de droit comparé, Faculté de droit

Université de McGill, Montréal

Août 2004

(2)

1+1

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L'auteur conserve la propriété du droit d'auteur et des droits moraux qui protège cette thèse. Ni la thèse ni des extraits substantiels de celle-ci ne doivent être imprimés ou autrement reproduits sans son autorisation.

Conformément à la loi canadienne sur la protection de la vie privée, quelques formulaires secondaires ont été enlevés de cette thèse.

Bien que ces formulaires aient inclus dans la pagination, il n'y aura aucun contenu manquant.

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Résumé

Cette thèse pose la question fondamentale suivante: Dans quelle mesure le droit peut-il servir à rendre effectifs les droits économiques et sociaux? Parce que la question est axée à la fois sur l'effectivité et sur ces droits positifs en particulier, y répondre exige une ouverture d'abord sur d'autres disciplines, ensuite sur la question du contrôle du respect de cette norme et donc de la sanction. D'entrée de jeu, une analyse préliminaire et multidisciplinaire du phénomène de la pauvreté contemporaine laisse présager qu'il faudra sans doute admettre une rupture avec la «théorie pure du droit». D'autre part, les droits économiques et sociaux sont de plus en plus tangibles dans la législation nationale, et plaidés devant les tribunaux (qui démontrent une ouverture croissante). Le droit «dur» a effectivement un rôle à jouer au niveau de cette mise en œuvre, notamment symbolique. Ainsi, la première partie est consacrée à la détermination de son rôle, de même qu'à la pertinence de l'activisme judiciaire. Face aux limites du droit «dur», la deuxième partie s'ouvre sur les possibilités des modes alternatifs d'action de l'État, plutôt que sur toute autre revendication de «droits». Deux formes de droit souple et réflexif seront alors examinées, dans l'optique de rendre effectifs les droits économiques et sociaux: Respectivement à l'interne et à l'externe de l'État. D'abord, la planification stratégique (accompagnée de la gestion par résultat) peut servir à coordonner l'appareil étatique dans le sens de la lutte à la pauvreté. Pour ce qui est du rôle du droit au niveau sociétal et dans le cadre d'une société complexe, le guidage sociétal sera préféré à une planification stratégique imposée. De cette manière, il sera possible de faire la lumière sur d'autres formes de sanctions, complémentaires à celle juridique. Enfin, il convient de mettre en place certains mécanismes de contrôle et de suivi de ces droits plus pertinents et innovateurs pour une plus grande effectivité des droits à l'étude.

Abstract

This thesis asks the following fundamental question: to what extent can economic and social rights be made effective through law? Because this question touches at once upon the effectiveness of these rights and on their status as norms of positive law, attempting to answer it requires fust, an openness to other disciplines, and subsequently, to the question of the respect and control of these norms, namely that of sanction. From the outset, a preliminary and multidisciplinary analysis of the issue of contemporary poverty hints at an undeniable deviation with "pure legal theory". Moreover, economic and social rights are becoming more and more tangible in national legislation and more frequently invoked hefore the court (who is tum are showing a growing openness). 'Hard law' does have a place in this implementation, notablya symbolic one. Thus, the fust part is dedicated to the determination of the role of 'hard law' as weIl as to the relevance of judicial activism. Given the limitations of 'hard law', the second part examines the issue of alternate courses of State action as opposed to any other demands for rights. Two forms of 'soft' and 'reflexive' law will then be examined in the interest of rendering economic and social rights effective: respectively from within the State, and from outside its framework. First, strategic planning (accompanied by outcome-based management) may serve to coordinate the State apparatus in the struggle against poverty. In what concerns the role of law at a societal level and in the context of a complex society, societal guidance will he preferred to impose strategic planning. In this way, it will be possible to shed light on other forms of sanction, which may he complimentary to legal ones. Finally, it is necessary to establish certain control and follow-up mechanisms of this category of rights, more relevant and innovative in order to gamer a greater effectiveness of economic and social rights.

(4)

REMERCIEMENTS

Je remercie en tout premier lieu le Professeur Jean-Guy Belley, sans qui ce travail ambitieux n'aurait pu être réalisé. En effet, ce dernier n'a pas hésité à endosser ma démarche particulière et à m'encourager à persévérer. Alors que je cherchais les mots, celui-ci m'a aidé à les trouver, de la manière la plus subtile qui soit. En somme, je tiens à le remercier pour sa supervision compréhensive, inspirante et rigoureuse, de même que pour ses précieux conseils, ses critiques constructives et sa disponibilité remarquable. Il n'y a pas l'ombre d'un doute qu'il s'agissait du superviseur idéal pour mon cas d'espèce. En fait, cette expérience qui aurait pu être la simple rédaction d'un travail, s'est révélée être un processus d'autotransformation très enrichissant. Le Professeur Belley m'a donné le goût d'aller jusqu'au bout de cette épreuve et de donner le meilleur de moi-même.

Je remercie également ceux qui ont été à l'origine de mon acceptation à la Faculté de droit de l'Université McGill. J'avais confiance en cette institution, mais mes attentes ont été largement dépassées. Je suis honorée d'avoir eu une telle chance.

Je tiens à remercier plus personnellement mon ami Paul Rabbat pour son soutien.

Aussi mon amie Geneviève Lafond, pour sa révision qui a contribué à améliorer la qualité linguistique du texte.

Je souhaite aussi remercier le Professeur Adelle Blackett pour sa confiance.

J'en profite également pour remerCIer du fond de mon cœur les membres de ma fantastique famille, pour leur patience, leur appui moral et leur encouragement inconditionnel.

(5)

TABLE DES MATIÈRES

Introduction ... ... ... 1

Partie 1 - Les limites du droit dur ...

7

Chapitre préliminaire - La pauvreté contemporaine et le droit ... 8

A) Une notion en rupture des conceptions traditionnelles .. ... ... 9

1- En sociologie : un processus de disqualification sociale ... ... Il 2- En économie : une insuffisance de développement humain ... ... ... ... 15

B) La pauvreté contemporaine et les droits fondamentaux .. ... ... 18

1- Une entrave au droit à l'égalité ... 19

2- Une entrave à la liberté ... 22

Chapitre 1- La consécration formelle de droits économiques et sociaux ... 26

A) Le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ... 29

1- Les obligations internationales découlant du PIDESC ... 30

2- Les sanctions internationales pour non-respect du PIDESC ... 34

B) La reconnaissance des droits économiques et sociaux au niveau national ... 36

1- La Charte canadienne des droits et libertés ... 37

2- La Charte québécoise des droits et libertés de la personne ... 38

Chapitre 2- Des effets aux limites du droit positif ... ... 40

A) Le débat sur la justiciabilité ... 41

B'l '/ es e D m 'canlS' e m SUI t'l l"s u d Ol't ' l' es le a r a el:>' ~ual't' 1 e ... .. 44

1- Les possibilités de symbiose avec le droit à l'égalité .... ... ... 44

2- La condition sociale comme motif de discrimination ... ... ... 47

C) L'arrêt Gosselin c. Procureur Général du Québec ... 50

1- Le refus de reconruu"tre une discrimination fondée sur l'âge ... 51

2- L'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ... 54

3- L'article 45 de la Charte québécoise des droits et libertés ... 58

(6)

Partie II - Les possibilités

du

droit souple ...

67

Chapitre préliminaire: une ouverture utile sur un univers de possibilités .... 70

A) L'émergence d'alternatives en réponse à des impératifs pratiques ... 71

1- Pour une vision constructive de ]a critique sociale de ]a justice ... ... ... 72

2- La notion de droit souple ... 74

B) L'état des politiques publiques: un modèle hybride ... ... ... 77

1- Des mutations décisives n'ayant pas effacé la structure classique ... 77

2- Une symbiose des normes officielles avec des mécanismes visant à les dépasser ... 79

Chapitre 1- La gestion par indicateurs pour lutter contre la pauvreté: volet interne à l'État ... 84

A) L'adoption d'une Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté ... 86

1- La manifestation d'une forte volonté d'intervention ... 86

2- L'idée d'un autoportrait ... 88

B) La gestion par objectifs et l'atteinte de résultat ... 90

1- L'apparition de nouveaux modes de gestion ... ... ... ... 90

2- La« juridicité » des plans d'action ... 92

C) L'enrichissement des indicateurs existants ... 95

D) La stratégie d'action étatique de lutte à la pauvreté ... 100

1-Une coordination orientée de l'appareil gouvernemental ... 100

2- La mise en place d'un Comité et d'un Observatoire . ... ... ... 103

3- Le plan d'action gouvernemental d'avril 2004 ... 105

4- Le fonctionnement par étapes de la Loi ... ... 106

Chapitre 2- Le guidage sociétal : volet externe à l'État ... ... 109

A) Le guidage sociétal ... ... ... ... ... 111

1- Le cadre d'une société complexe ... 112

2- Vers l'élaboration d'un droit négocié ... 113

B) Les techniques de guidage ... ... ... 118

1- Le potentiel de certaines contraintes extra juridiques ... ... ... 118

2- Le développement d'une culture de l'information ... 121

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INTRODUCTION

Le donné (social) doit, par son essence même, dominer le construit (juridique). Ce dernier (. .. ) ne saura légitimement contredire ce but (. .. ) Il faut que l'artifice s'efface devant ce qu'impose la nature et la raison. 1

Pour Mary Robinson, le XXIe siècle peut bien être le siècle des droits de l'homme, mais aujourd'hui deux visions s'affrontent: « l'une pessimiste, l'autre idéaliste»? Officiellement, les considérations relatives aux droits économiques et sociaux sont à la source de divisions paradoxales. Dans un premier temps, ces «aspirations» ne sont guère du droit parce qu'elles ne sont pas justiciables. Parmi les tenants de cette vision, plusieurs jugent injuste et injustifiable toute politique de redistribution. À l'autre extrémité de ce pôle économique, celui des droits de la personne, avec lequel les tensions s'accentuent. 3 Agissant au nom des exclus et allant à « contre-courant» des politiques actuelles, le camp adverse concentre davantage ses efforts à la revendication d'une plus grande protection au législateur et aux tribunaux, qu'aux considérations pratiques. Le ton est celui de l'accusation et de l'imposition de tous les droits fondamentaux, coûte que coûte, à l'ensemble de la société. Mais cela est-il pertinent, surtout en regard de la société de plus en plus complexe, pluraliste et mondialisée, au sein de laquelle le sous-système Droit évolue? N'est-il pas plus rationnel de trouver les moyens pour parvenir à un équilibre plutôt qu'à un idéal? L'harmonie est-elle possible, ou le paradoxe divise t-il trop ceux qui l'entretiennent?

Au-delà de cette polémique, la science juridique est effectivement interpellée de toutes parts par le phénomène de pauvreté contemporaine. D'abord, ce n'est pas seulement manquer d'argent, c'est aussi le fait que les droits fondamentaux ne sont pas une réalité pour une partie de la population.4 C'est une condition dans laquelle se trouve un être

IGeny, François. Sciences et Techniques du droit privé positif, tome 4, Paris, Sirey, 1911-1924, p.60. 2 Unesco, Communiqué de Presse, Paris Quin 1999).

3 Delmas-Marty, M. Pour un droit commun, Paris, Seuil, 1994.

4 Commission des droits de la personne et de la jeunesse, Communiqué, Montréal, 26 octobre 2004. En ligne: Commission des Droits de la Personne et de la Jeunesse <http://www.cdpdj.gc.ca/fr/communigues/docs 2004/COMM pl 57 fr.pdt>. Voir également: Bouchet, Paul. «Le droit du droit», Revue Droits Fondamentaux, 19 septembre 2004, En ligne: Revue de Droits Fondamentaux <http://www.droits-fondamentaux.org>. Cet ancien président d'ATD Quart Monde précise ce qui suit: « La Déclaration universelle des droits de l'homme, dans son préambule, considère qu'il s'agit d'un idéal à atteindre. Certains

(8)

humain qui est privé de manière durable des ressources, des moyens, des choix et du pouvoir nécessaire pour jouir d'un niveau de vie acceptable. De surcroît, la dénonciation de cette condition précaire, vient généralement de concert avec des revendications de droits. Conséquemment, nous assistons à la prolifération de consécrations formelles de droits économiques et sociaux aux échelles nationale et internationale. Ces derniers sont projetés aux plus hauts niveaux de la normativité. Le problème avec les droits à l'étude, c'est qu'ils nécessitent une construction et des aménagements. Ceci implique donc l'existence d'une volonté politique ainsi que des investissements. Dans le cadre d'une demande en justice, c'est le contenu de ces droits consacrés qui est remis en cause, parce que le tribunal se trouve véritablement «confronté à la question du tracé d'une frontière entre la découverte du droit et l'invention du droit ».5 Cela soulève un problème de légitimité.

Par ailleurs, les tribunaux nationaux, de plus en plus créateurs de normes, sont amenés à les prendre en compte progressivement. Jusqu'où peuvent-ils aller? Face à un ensemble de facteurs, force est de se demander jusqu'à quel point le droit positif ou «dur» peut contribuer à l'effectivité de ces droits. De quelle manière peut-il servir à instaurer un monde sans pauvreté, juste et égalitaire qui, au-delà des mots, permet sans discrimination, le libre développement de chacun. Et si le droit dur s'avérait insuffisant pour les fins de cette application, le droit peut-il servir au-delà de la loi?

droits sont opératoires, d'autres pas. Pour moi, les droits de l'honnne participent avant tout d'un processus, nécessaire au progrès humain en général. Je crois qu'il n'y pas de progrès acquit une fois pour toutes, mais à ma connaissance, l'honnne a tout de même progressé dans son évolution, même s'il peut lui arriver en certains domaines de régresser. Or les droits de l'honnne illustrent cette tendance vers davantage de conscience humaine et relèvent en ce sens d'une véritable lutte. Je n'apprécie pas spécialement ce genre d'abus de langage, mais je pense vraiment que ce que l'on appelle les « droits acquis» correspond à un processus en voie de s'arrêter. Je suis bien plus intéressé par les droits à conquérir, par tout ce qui fait que le processus continue. Ce qui m'intéresse est que le droit soit vivant, c'est-à-dire qu'il continue de représenter un espoir rour les vivants. Un droit qui ne serait que technique juridique ne m'intéresse pas. »

Verdier, Marie-France. «L'effectivité de la norme constitutionnelle» (2003) 4 Les Cahiers de l'AFFAAIDC. 1137. Cette dernière rajoute que «ces normes constitutionnelles déclaratives, voire incantatoires et relevant parfois du «marketing politique », posent le problème de leur garantie effective. En effet, une affirmation péremptoire de droits laisse tout entière la question de leur mise en œuvre et, par conséquent, de la protection qui leur est due, laquelle ne paraît pas s'imposer spontanément. Dès lors, la protection de certaines normes constitutionnelles s'avère aléatoire. En effet, l'absence de portée concrète de proclamations constitutionnelles, instruments de diplomatie politique mais sans réel impact juridique, leur principal office étant symbolique, peut conduire à ce qu'elles restent lettre morte».

(9)

La sanction judiciaire des règles de droit positif produit des effets sur les individus et la société en général. Ainsi, l'effectivité sera d'abord évaluée du point de vue de la sanction juridique. Quel est le rôle et quelles sont les possibilités du droit dur? C'est ce qui fera l'objet de la première partie. Son premier chapitre fera état des consécrations formelles de droits économiques et sociaux. Le second portera sur le rôle, le pouvoir et les limites des tribunaux dans l'application de ces droits.

Mais a priori, une analyse sociologique et économique de la pauvreté contemporaine sera exposée. Ainsi nous serons mieux à même de comprendre la principale rationalité associée aux droits économiques et sociaux. Dans un premier temps, nous apprendrons qu'en sociologie, la pauvreté peut être vu comme un processus de disqualification sociale, en référence à l'exclusion. Ensuite, en économie, malgré l'importance du revenu, la pauvreté contemporaine peut s'appréhender comme une insuffisance de développement humain. De plus, il est recommandé que dans l'analyse de cette problématique, la base informationnelle qui sert à la prise de décision soit élargie de manière à faire des choix plus rationnels. En somme, ces analyses insistent sur le fait que malgré l'importance d'appréhender la pauvreté en termes relatifs, on ne peut évacuer tout critère absolu dans son analyse. Le revenu en est un exemple. À ce stade, il est présumé que le droit dur peut servir de réponse à ces éléments

« absolus ». D'autre part, cela laisse aussi présager qu'il faudra également effectuer une rupture. En conclusion du chapitre préliminaire, il sera question des liens concrets entre la pauvreté et les droits fondamentaux. Plus spécifiquement, nous verrons comment une condition précaire constitue une entrave à la liberté et au droit à l'égalité.

La première partie se terminera sur les revendications actuelles de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec à ce sujet. Dans l'optique de déterminer comment rendre effectifs les droits économiques et sociaux, est-il rationnel de se limiter aux développements de la jurisprudence en cette matière, et, constatant que les juges demeurent réticents par rapport à ces droits positifs, réclamer plus de droits et des droits plus forts? Ne s'agit-il pas là d'un contexte où l'atteinte de l'objectif suppose des actions multilatérales et coordonnées? Quoiqu'un certain rôle pour le droit dur sera mis en

(10)

évidence, les solutions effectives destinées à rendre tangible un plus grand bien-être général, se situent substantiellement au-delà du ponctuel et du palliatif, soit au niveau structurel et préventif, voire au cœur des connaissances et des croyances. Les droits économiques et sociaux ne doivent-ils pas être mis en œuvre dans la société elle-même? L'État est-il le seul qui doit agir pour parvenir à leur réalisation? Ne devrons-nous pas admettre que le droit dur a ses limites et que ces dernières ne peuvent être surmontées ? Dans ce cas, il faut conclure à une «crise du modèle pyramidal et hiérarchique d'engendrement du droit », associé aux valeurs d'obéissance et de stabilité. De fait, nous assistons à l'émergence d'un droit alternatif, dont la prise en compte promet de nous fournir des clés. En effet, pour bien répondre à la question qui s'est posée en l'espèce, il faut rompre avec les conceptions traditionnelles du droit, en envisageant que la normativité ne se réduise pas à l'obligatoire et qu'elle puisse «être une qualité susceptible de graduation ». Ceci nous amènera à appréhender un droit «fait de différentes textures» (des plus dures aux plus souples).

Ainsi, la deuxième partie s'ouvre sur les possibilités qu'offrent les modes alternatifs d'action de l'État, plutôt que sur toute autre revendication de« droits ». Notons que dans la perspective de lutter contre la pauvreté, le gouvernement du Québec a adopté, en 2002, une loi pour la contrer. Cette dernière institue une Stratégie nationale et intègre des mécanismes d'application à textures multiples. Elle fera l'objet d'un examen particulier dans la seconde partie de ce travail. En premier lieu, il sera question du volet interne à l'État. Nous verrons comment celui-ci peut s'organiser et se coordonner dans le sens d'une lutte plus efficace contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Dans ce contexte, il sera question de gestion par indicateurs de résultat. Il s'agit d'un mécanisme déjà en émergence au Québec et qui peut être enrichie de valeurs qualitatives. D'autre part, l'État est peut-être un acteur central à ce niveau, mais il ne peut pas tout régler. Nous verrons que le guidage sociétal est une forme de droit réflexif qui peut être utilisée par l'État pour prendre une place prioritaire dans le cadre d'une société complexe et dans la perspective d'une lutte concertée pour la prospérité.

(11)

Il Y a une marge entre flairer le faux et le démêler. Le présent travail n'a pas la prétention de faire toute la lumière sur la question qui s'est posée, mais constitue une tentative d'y voir plus clair. Cela commande de faire preuve de la plus grande ouverture, de garder sa bonne foi et de laisser tomber certaines certitudes. Il peut être tentant de ne pas pousser plus loin le raisonnement et faire un choix à ce niveau. La tentation, par contre, doit céder le pas face aux possibilités qu'offre une telle entreprise.

***

Une précision doit avant tout être faite. Comme il s'agit d'un travail en droit, cette discipline particulière constitue le premier objet d'analyse et de considération. Toutefois, une ouverture multidisciplinaire s'impose pour plusieurs raisons. D'abord, le débat relatif à la justice sociale, en raison de son caractère multidimensionnel, est multidisciplinaire. Étant centré sur les moyens propres à garantir la cohésion sociale, celui-ci est alimenté par la plupart des sciences humaines: «De la philosophie morale et politique à l'économie politique et sociale ».6 Aussi, il ne faut pas oublier que la question porte sur l'effectivité des droits économiques et sociaux. Comme l'indique bien Guy Rocher, comprendre l'effectivité du droit, c'est à la fois :

( ... ) retracer la diversité de ses effets, voulus et involontaires, recherchés ou accidentels, directs et indirects, prévus et inattendus, sociaux, politiques, économiques ou culturels. C'est aussi tenter de retrouver les voies par lesquelles passent ces effets et les mécanismes qui les produisent. Que ce soit pas la compréhension des diverses formes d'observance ou de non observance de la loi, par l'analyse d'impact, par la recherche sur la mise en œuvre du droit ou sur son efficacité par l'observation des écarts entre la règle et les conduites, une connaissance plus raffinée de l'effectivité du droit est toujours l'objectifpoursuivi.7 De surcroît, l'analyse de la pauvreté contemporaine en tant que telle, est une entreprise multidisciplinaire.8 À ce seul stade, certains juristes pourraient réfuter la nature juridique de ce travail. Pour le positiviste « puriste », obéissant à une certaine logique binaire:

6 La diversité des points de vue - des considérations éthiques à la mise en œuvre des politiques publiques -la

multiplicité des plans socio-idéologiques, comme la dualité des niveaux d'analyse (micro social et macrosocial) en accroissent l'opacité et la complexité. Voir: Encyclopédia Universalis, France; En ligne: République <http://www.republigue.ch/archives/culture/justice-sociale.htm>.

7 Rocher, Guy. «L'effectivité de la norme», dans Lajoie, A., R.A, Macdonald, R. Janda et G. Rocher (dir.),

Théories et émergence du droit: pluralisme, surdétermination et effectivité, Montréal et Bruxelles, Thémis et Bruylant, 1998, pp. 133-136.

8 Dans son ouvrage Repenser l'inégalité ( Paris, Seuil, 2000), le célèbre économiste Amartya Sen évoque sa

longue bibliographie et précise qu'elle fera peut-être sourciller. En fait, cette bibliographie est non seulement très longue, mais elle est constituée d'ouvrages de plusieurs domaines autres que les sciences économiques.

(12)

( ... ) la science juridique doit se limiter au droit positif existant. Il ne saurait accepter que, à l'occasion de l'interprétation et de l'application des normes, soient pris en compte des contenus philosophiques ou idéologiques, ni même historiques, politiques ou sociaux à l'extérieur, en marge ou à l'intérieur du champ de la réglementation normative.9

Par ailleurs, une telle conception de la science du droit, pour Friedrich Müller :

( ... ) n'élimine pas seulement de son objet les «valeurs », les valorisations subjectives et autres «systèmes de valeurs ». Elle en élimine aussi les implications factuelles des normes juridiques et de leurs champs de réglementation.lO

Tenant compte des «données sociales» se trouvant « à l'arrière-plan de la norme et la conditionne », de même que de la « structure factuelle de son champ de réglementation », celui-ci rajoute avec lucidité:

Mais qui, sinon le juriste qui les concrétise, devrait alors prendre en considérations ces moments dans leurs rapports aux normes? La politicologie, la sociologie, l'économie politique, l'historiographie ne sont pas appelées à assurer la législation, l'administration, le gouvernement ni la juridiction dans le cadre de la Constitution et de l'ordre juridique, non plus que dans leur concrétisation. Si ce n'est pas une mission authentique du juriste que de découvrir la portée concrète des textes de normes en vigueur lors du processus matériel de mise en œuvre du droit en la tirant de ces domaines qu'abstraitement l'usage catalogue en « politique », «histoire », « réalité sociale », s'il ne s'agit pas là d'un travail authentiquement juridique, alors ce n'est la tâche de personne. 11

D'un côté, ces positivistes orthodoxes-extrêmes ont raison d'exclure du juridique les «digressions philosophiques, historiques ou idéologiques qui ne trouvent aucun point d'appui normatif». Néanmoins, ils ont tord d'exclure toute autre discipline que le droit du champs de recherche normatif et de considérer «en bloc », les prescriptions positives «pour 'non juridique', sans distinction pour 'non scientifique' ». De plus, l'avènement de Chartes des droits et libertés, ainsi que l'évolution récente de la jurisprudence qui s'y rapporte, est incompatible avec cette fermeture.

Sen croit souhaitable de faire connaître ses sources et que la bibliographie sera peut-être utile à certains lecteurs, celle-ci contenant des références utiles pour alimenter les réflexions épistémologiques. Il ajoute: "Et

je travaille de toute manière à me rendre insensible aux mouvements de sourcils".

9 Müller, Friedrich. Discours de la Méthode Juridique, Paris, PUF, collection Léviathan, 1996, pp.l 0 1-1 02. !O Ibid.

(13)

Partie 1 - Les limites du droit dur

Ici je me heurte au plus populaire des préjugés de notre époque. On ne veut pas seulement que la Loi soit juste; on veut encore qu'elle soit philanthropique. On ne se contente pas qu'elle garantisse à chaque citoyen le libre et inoffensif exercice de ses facultés, appliquées à son développement physique, intellectuel et moral; on exige d'elle qu'elle répande directement sur la nation le bien-être, l'instruction et la moralité.i2

Des analyses récentes de la pauvreté contemporaine, tant en économie qu'en sociologie, précisent que celle-ci est relative et se définit plus largement qu'en termes d'avoirs (chapitre préliminaire). Toutefois, elle comprend aussi des critères absolus. Ici, un lien peut être fait avec le droit. En effet, bien que le droit dur ait des limites évidentes quant à l'application des droits économiques et sociaux, il y a fort à parier que celui-ci peut notamment servir à rendre effectifs certains absolus. Cette partie vise à cerner le rôle du droit dur dans cette effectivité. Ainsi, le chapitre 1 fera le point sur les consécrations formelles de droits économiques et sociaux, sur les plans international et national. Le chapitre 2 mettra en lumière leur évolution jurisprudentielle. Par le fait même, nous pourrons percevoir plus précisément où se situent les limites du droit dur. La transition avec la deuxième partie se fera à partir des revendications actuelles par rapport à ces droits.

12 Bastiat, Frédéric. « Harmonies Économiques », dans Oeuvres complètes de Frédéric Bastiat, Paris,

Guillaumin, Édition originale en 7 volumes, 1863, tome VI, chapitre XXV. Bastiat est né à Bayonne en 1801, et est mort à Rome en 1850. Pour lui, la science doit être ambitieuse; Si « elle craint d'empiéter sur ses voisins, elle risque de laisser inoccupée une partie de ses domaines »! D'une grande lucidité, il fut juriste, économiste, humaniste, juge de paix et homme politique. Il est un des principaux artisans du premier traité de libre-échange entre la France et l'Angleterre. Lorsque ses Oeuvres Complètes (comprenant 7 Tomes) furent publiées, son ami Roger de Fontenay (1862) y dressa un portrait idéalisé de l'auteur (préface). En résumé, F. Bastiat était un de ces « solitaires lancés au milieu du grand monde »; Un timide devenu effronté « à force de conviction ». Caractérisé par une « ambition originale », il ne faisait pas de l'économie politique le marchepied d'une candidature politique, mais il posait sa candidature sous prétexte d'un enseignement économique. Il comptait « sur l'agitation même pour éclairer ceux qui la faisaient ». Sa plus grande œuvre fut la guerre ouverte et incessante qu'il mena à tous « ces systèmes faux, à cette effervescence désordonnée d'idées, de plans, de formules creuses, de prédications bruyantes ». Notamment, il reprochait aux grandes écoles socialistes de l'époque de « ne pas savoir assez, et de ne pas voir que le développement naturel de la société tend bien mieux que toutes leurs organisations artificielles à la réalisation de chacune de leur formule ». « Le mal », disait-il, «est dans les faits humains à côté du bien. Votre science se borne à catégoriser ces faits, sans les soumettre au contrôle préalable du droit; Par conséquent, vos formule contiennent le mal comme le bien ». Si le socialisme avait ajouté: « Nous allons vérifier nos formules à la lumière du juste », il n'y aurait rien eu à répondre. Bastiat a défmi lui-même sa ligne de conduite dans une lettre à ses électeurs: « J'ai voté, dit-il, avec la droite contre la gauche, quand il s'est agi de résister au débordement des fausses idées populaires. - J'ai voté avec la gauche contre la droite, quand les griefs légitimes de la classe pauvre et souffrante ont été méconnus. » Pour plus de détails concernant la vie de Frédéric Bastiat, voir également: http://bastiat.netlfrlbiographie/chronologie.html et www.bastiat.org.

(14)

Chapitre préliminaire - La pauvreté contemporaine et le

droit

Le nwnde social est fécond en harnwnies dont on n'a la perception

complète que lorsque l'intelligence a renwnté aux causes, pour y chercher

l'explication, et est descendue aux effets, pour savoir la destination des

h' , 13

P enomenes ...

A priori, il apparat"! utile d'élaborer sur le phénomène de pauvreté contemporaine: un survol multidisciplinaire de ses multiples facettes (A). La problématique en question constitue d'ailleurs la première rationalité à laquelle les droits économiques et sociaux visent à répondre. Comment est-il possible de traiter de l'effectivité des droits économiques et sociaux et de proposer des solutions propres à la garantir ou l'améliorer, sans d'abord avoir bien cerner le phénomène auquel lesdits droits tentent de répondre? Dans un deuxième temps, la partie préliminaire portera sur les liens entre la pauvreté et les droits fondamentaux (B). Cette section se veut générale. En effet, la pauvreté constitue une entrave à la jouissance de l'ensemble de ces droits. Plus particulièrement, cette condition précaire porte atteinte à l'égalité et la liberté. Il s'agit de deux valeurs fondamentales dans notre système juridique.

13 Bastiat, Frédéric. «Rapports de l'économie politique avec la morale, avec la politique, avec la législation,

(15)

A) Une notion en rupture des conceptions traditionnelles

La richesse, voyez-vous, ce n'est pas un peu plus ou un peu moins d'argent. C'est du pain pour ceux qui ont faim, des vêtements pour ceux qui sont nus, du bois qui réchauffe, de l'huile qui allonge le jour, une carrière ouverte à votre fils, une dot assurée à votre fille, un jour de repos pour la fatigue, un cordial pour la défaillance, un secours glissé dans la main du pauvre, un toit contre l'orage, des ailes aux amis qui se rapprochent, une diversion pour la tête que la pensée fait plier, l'incomparable joie de rendre heureux ceux qui nous sont chers. La richesse, c'est l'instruction, l'indépendance, la dignité, la confiance, la charité, tout ce que le développement de nos facultés peut livrer aux besoins du corps et de l'esprit; c'est le progrès, c'est la civilisation. 14

En 2000, une étude du Secrétariat de l'Organisation Mondiale du Commerce confirme que la libéralisation des échanges aide à réduire la pauvreté. D'une manière générale, cette dernière serait :

( ... ) un élément qui contribue de manière très positive à atténuer la pauvreté: elle permet aux individus d'exploiter leur potentiel de production, soutient la croissance économique, fait obstacle aux interventions arbitraires des pouvoirs publics et constitue une protection contre les ChOCS.15

Cette conclusion est au même effet que celle de David Dollar et Aart Kray, de la Banque Mondiale, qui confirmaient dans "Growth Is Good for the Poor'~ que l'ouverture des marchés stimule la croissance économique. Selon cette étude, la croissance globale entraîne (au même rythme) la progression du revenu des pauvres.16 L'OMC reconnaît néanmoins qu'à court terme, la libéralisation des échanges entrame des pertes pour certains. C'est pourquoi il ne faut pas négliger le sort des perdants. Dans le but d'atténuer leurs difficultés, il faut prévoir des systèmes de protection sociale et de « recyclage », « plutôt que d'abandonner des réformes qui profitent au plus grand nombre ». Ainsi, une emphase prépondérante est accordée aux avoirs, considérés « comme une source de bien-être ou

14 Bastiat, Frédéric, « Sophismes Économiques - Petits Pamphlets II », dans Supra note 12, pp.65-66. Il

rajoute: «La richesse, c'est l'admirable résultat civilisateur de deux admirables agents, plus civilisateurs encore qu'elle-même: le travail et l'échange».

15Suivant une nouvelle étude du secrétariat de l'OMC, la liberté des échanges aide à réduire la pauvreté. Voir: Organisation Mondiale du Commerce, Communiqué de Presse, PRESS/181, 13 Juin 2000. En ligne: Organisation Mondiale du Commerce <http://www.wto.org/frenchlnewsf7pres00f7prl81f.htm>.

16Dollar, David et Kray, Aart. «Growth Is Good for the POOf», En ligne: Banque Mondiale <www.worldbank.org/research/growth/absddolakray.htm>. A partir de données provenant de 80 pays et étalées sur quatre décennies, confirment que l'ouverture stimule la croissance économique et que les revenus des pauvres progressent au même rythme que la croissance globale.

(16)

d'utilité ». Dans cette optique, les personnes sont pauvres lorsque leur niveau de vie est inférieur à un seuil minimum. En conséquence, les politiques ont pour objectif premier d'accroître l'offre de biens et de services par l'augmentation préalable du revenu des ménages.

Un rapport de l'Organisation Internationale du Travail distingue cette approche (qui « considère implicitement les êtres humains comme un capital qui contribue au processus productif»), de celle fondée sur les individus. Cette dernière fut élaborée notamment à partir d'une critique adressée par l'économiste Amartya (2). Principalement, ce qui distingue l'optique centrée sur les individus, c'est la considération que ce qui compte:

( ... ) c'est la nature de la vie que les gens mènent, et en particulier leur liberté de choix pour atteindre un 'fonctionnement' hautement prisé tel que: être bien nourri, en bonne santé et alphabétisé. Cette approche perçoit la pauvreté comme une insuffisance de développement humain qui se reflète dans la performance des individus en matière de longévité, d'état nutritionnel adéquat, etc., ainsi que comme un manque de liberté quant aux choix liés à ces divers aspects de bien-être. L'insuffisance de développement humain est manifeste lorsque les choix des individus sont restreints.l7

En sociologie, Serge Paugam réfute aussi une approche de la pauvreté et du bien-être qui serait exclusivement fondée sur les revenus (1).18 Cette «notion de la pauvreté qui renvoie à la faiblesse des revenus - «est pauvre celui qui n'a pas le nécessaire ou qui ne l'a qu'à peine », présente donc un« caractère équivoque et relatif ».19

Bien sûr, cela n'élimine pas la nécessité de prendre en compte les «implications extramatérielles de cette condition sociale inférieure liée à la faiblesse des revenus (accès réduit à l'éducation, possibilité réduite de transmettre aux enfants un capital culturel permettant une véritable intégration sociale et professionnelle). D'autre part, il faut tenir compte de la relativité des critères retenus selon les lieux et les époques.

17 Organisation Internationale du Travail. « Exclusion sociale et stratégies de lutte contre la pauvreté» En ligne: O.I.T. <www.ilo.orglpublic/frenchlbureau/instlpapers/synth/socexlch3.htm>. En habilitant les individus grâce aux capacités humaines comme les compétences, le savoir-faire, la santé et un contexte favorable à la pleine utilisation de ces capacités, cela devrait entraîner un élargissement des choix.

18 Paugam, Serge. La Disqualification sociale: Essai sur la nouvelle pauvreté, Paris, PUF, 2000.

19 Commission des Communautés européennes. Pauvreté et paupérisation: la situation de la France, Paris, FORS,1982, pp. 82-83. Voir généralement: Labbens, J. Sociologie de la pauvreté. Le Tiers Monde et le Quart Monde. Paris, Gallimard, collection Idées, 1978.

(17)

1- En sociologie: un processus de disqualification sociale

Depuis longtemps, nombreux sont les chercheurs en sciences humaines qui tentèrent d'analyser et de définir « les traits distinctifs des figures traditionnelles et nouvelles de la pauvreté ».20 Traditionnellement, la conception de la pauvreté s'est essentiellement articulée autour de l'insuffisance de revenu, ainsi que de ses conséquences sur le niveau de vie (appréhendé en termes de consommation).21 Les chercheurs, en se fondant sur les définitions courantes (le sens commun), tentèrent de mesurer le phénomène et de fixer un

« seuil de pauvreté». Ainsi, les pauvres sont désignés à partir de critères quantitatifs?2 En conséquence, la pauvreté «risque de se perpétuer en un régime », où le rendement du travail et les revenus du capital détermine les revenus.23

Pour le sociologue Serge Paugam, établir un tel seuil pose plusieurs difficultés, plus spécifiquement en raison de la relativité des normes qui permettent de le définir. Celles-ci varient selon « des modèles d'existence évoluant dans l'histoire », selon l'environnement, les habitudes culturelles et les modes de vie.24

Du point de vue historique de notre société moderne, la notion de pauvreté se serait modifiée d'une manière importante au cours du siècle dernier:

En période de prospérité économique, au cours des «trente glorieuses », on parlait des clochards ou des mendiants en marge de la société ou encore des « familles lourdes» tout à la fois déracinées et surencadrées par les services d'action sociale. La pauvreté existait évidemment dans les taudis, bidonvilles ou cités de transit mais on en parlait épisodiquement, laissant aux travailleurs sociaux ou aux courageux bénévoles le soin d'aider ou de défendre «ces gens-là» à la limite de l'exclusion sociale. Le discours dominant était celui de l'inadaptation renvoyant à des aptitudes individuelles et, partant, à des handicaps sociaux. Aujourd'hui, force est de constater que le phénomène est beaucoup plus complexe, multiforme et qu'il inquiète les institutions et les élus locaux confrontés au risque de dérive des populations et des territoires dont ils ont la responsabilité.25

20 Paugam, Supra note 18.

21 Thérien, François. «Pour une politique inclusive de développement des actifs: Une approche complémentaire de la lutte à la pauvreté» (2001) Montréal-Centre, Direction de la Santé publique.p. 4.

22Klanfer, Jean. L'exclusion sociale. Étude de la marginalité dans les sociétés occidentales, Paris, Bureau de Recherches sociales, 1965.

23 Aron, R. Les Désillusions du progrès. Essai sur la dialectique de la modernité, Paris, Calmann-Lévy,

1969, p. 34.

24 Paugam, Supra note 18 à la page 18.

(18)

L'analyse de la littérature sociologique pennettrait de constater que les tentatives de constitution d'un objet d'étude reposant sur la notion de pauvreté, eurent de faibles résultats (ceux-ci étant également ambigus). Par exemple, sur «le thème de la reproduction des comportements jugés caractéristiques des pauvres », de la « sous-culture de la pauvreté» ou «plus exactement de la sous-culture des pauvres» (vision axée sur les causes internes de la pauvreté), par opposition à la thèse adverse, pouvant être qualifiée de « structurelle» (préconisant l'étude des causes externes de la pauvreté). Critique, Paugam relève que ces théories, bien qu'elles pennettent d'expliquer certaines choses, furent «élaborées au prix d'une dissociation discutable de l'univers des pauvres du reste de la société ». Et comme l'indiquait Émile Durkheim:

II faut donc que le sociologue, soit au moment où il détermine l'objet de ses recherches, soit dans le cours de ses démonstrations, s'interdise résolument l'emploi de ces concepts qui se sont formés en dehors de la science et pour des besoins qui n'ont rien de scientifique. Il faut qu'il s'affranchisse de ces fausses évidences qui dominent l'esprit du vulgaire, qu'il secoue, une fois pour toutes, le joug de ces catégories empiriques qu'une longue accoutumance finit souvent par rendre tyranniques.26

Ainsi, au lieu de fonder l'analyse sur le processus qui mène «à la désignation et à l'étiquetage des populations défavorisées dans une société ou un environnement donné »,27 ces études «ne font que légitimer sur le plan intellectuel des définitions et des interprétations du sens commun ».

Toutefois, même s'il faut admettre la relativité des nonnes pennettant de définir la pauvreté, des chercheurs peuvent trouver indispensable de fixer des balises, de restreindre le sens et la portée des notions faisant l'objet d'une analyse. On peut, à ce titre, souligner Georges Simmel (début du 20e siècle), qui soulignait (a priori) le caractère ambigu de la notion de pauvreté comme catégorie sociologique. Toutefois, celui-ci opta d'étudier la pauvreté sous l'angle de la relation d'assistance. Ainsi, sans évacuer la question sociale des notions de pauvreté et d'exclusion à laquelle il se référait, Simmel soutient que le fait qu'une personne souffre de la pauvreté ne signifie pas qu'il appartienne à la catégorie des

26 Durkheim, Émile. Les Règles de la méthode sociologique (1895),20· éd., Paris, PUF, 1981, p. 32.

27 C'est-à-dire au lieu d'expliquer les mécanismes qui participent à la construction sociale de la pauvreté.

(19)

«pauvres ». Cette personne peut bien être un pauvre commerçant, un pauvre ouvrier ou un pauvre artiste, mais celui-ci reste défini par une activité ou position spécifique. En outre:

Ce n'est qu'à partir du moment où ils sont assistés - ou peut-être dès que leur situation globale aurait dû exiger assistance, bien qu'elle n'ait pas encore été donnée - qu'ils deviennent membres d'un groupe caractérisé par la pauvreté. Ce groupe ne demeure pas uni par l'interaction de ses membres, mais par l'attitude collective que la société, en tant que tout, adopte à son égard.28

Le statut d'assisté social fait effectivement référence à une catégorie de personnes que l'on peut qualifier de «pauvres ». On dit que les personnes dépendantes de l'assistance sociale sont stigmatisées?9 Le fait même d'être «assistés », les assignent à une «carrière spécifique », altérant ainsi leur « identité préalable» et teintant l'ensemble de leurs rapports avec autrui (ceux-ci cherchant notamment à dissimuler l'infériorité de leur statut dans leur entourage). Cette sociologie de la pauvreté se ramène à l'analyse d'une catégorie réelle de personnes pauvres à laquelle la société reconnaît un statut social particulier, soit les assistés. Paugam souligne que ce changement de perspective a pour avantage «d'opérer une distance sociologique à l'égard d'une notion trop équivoque pour en faire un objet d'études », néanmoins:

Ce qui est sociologiquement pertinent, ce n'est pas la pauvreté en tant que telle mais les formes institutionnelles que prend ce phénomène dans une société ou un environnement donné. Autrement dit, il peut être heuristiquement fécond d'étudier la « pauvreté» comme condition socialement reconnue et les« pauvres» comme un ensemble de personnes dont le statut social est défmi, pour une part, par des institutions spécialisées de l'action sociale qui les désignent comme tels. ( ... ) La pauvreté est, certes, une catégorie fluctuante, relative et arbitraire mais elle constitue toutefois une propriété de la structure sociale des sociétés modernes dans la mesure où celles-ci considèrent ce phénomène de façon uniquement négative et désirent le combattre ou, tout au moins, apporter une assistance à ceux qui le méritent ou plutôt à ceux dont elles pensent que l'assistance est légitime. Dans le prolongement de l'étude de Simmel, il me paraît judicieux de relever la pluralité des catégorisations institutionnelles de la «pauvreté» et d'analyser tout à la fois les « clientèles» auxquelles la législation reconnaît le droit d'être aidées ou assistées et les populations qui, tout en étant en relation avec des services d'action sociale, se situent à l'écart du dis~ositif officiel d'assistance et pour lesquelles les réponses institutionnelles sont limitées. 0

28 Simmel, Georges. Les Pauvres, Paris, PUF, collection Quadrige, 1998, p.98.

29 Coser, Louis-A. « The Sociology ofPoverty» (1985)13 Social Problems Review, pp. 140-148.

30 Paugam, Supra note 18. De plus, il précise qu'entre un ménage touché récemment par le chômage .et dont le

revenu rend difficile l'équilibre du budget, un ménage écarté définitivement du marché du travail en raison d'un cumul de handicaps et un ménage à la limite de la désocialisation et de la survie, il existe des différences objectives que le sociologue doit prendre en considération.

(20)

C'est ainsi que le terme de « nouveaux pauvres» apparaît pour désigner des personnes qui, jusque là intégrées dans le marché de l'emploi et inconnues des services d'aide sociale (et des activités caritatives), sont désormais touchées par un phénomène dit de « disqualification sociale ».

La pauvreté ne peut plus s'appréhender « comme un phénomène résiduel, un état qui se transmet de génération en génération, mais comme un processus »?l Dans une communication présentée à Aix-en-Provence, dans le cadre d'une Conférence de 2001 intitulée «Marchés du travail et différenciations sociales: Approches comparatives », Serge Paugam décrivait ainsi le concept de disqualification sociale: un « processus de refoulement hors du marché de l'emploi de franges nombreuses de la population et les expériences vécues de la relation d'assistance qui en accompagnent les différentes phases ».32

Ce concept met donc en relief, en même temps, le «caractère multidimensionnel dynamique et évolutif de la pauvreté» d'une part, et le « statut social des pauvres pris en charge au titre de l'assistance» d'autre part. De plus en plus, le terme «exclusion sociale» tend à s'imposer dans le vocabulaire des chercheurs lorsqu'il est question des nouvelles formes de pauvreté. L'exclusion ne fait pas seulement référence aux inégalités ou à l'exploitation, mais aussi à rupture. À ce seul stade, force est de se demander comment le droit positif, sans lui nier un certain rôle en vertu de certains critères absolus, sera t-il en mesure de fournir une réponse suffisante à un tel processus.

31 Sicot, Dominique. «Inégalités et exclusion depuis la crise», Alternatives économiques, no 20 (Avril 94). En ligne: Centre Régional de Documentation Pédagogique Languedoc-Roussillon <http://www.crdp-montpellier.fr/ressourceslddalexclusionldda3 122 l.html>.

32 Paugam, Serge. «Dans quel sens peut-on parler de disqualification sociale des salariés?» Aix-en-Provence, (2001) Communication présentée aux 8e Journées de sociologie du travail, Marché du travail et différenciations sociales: Approches comparatives.

(21)

2- En économie: une insuffisance de développement humain

Selon qu'elle est «considérée comme une affaire de survie ou une affaire d'équité », « selon qu'elle est définie comme absolue ou relative », «deux grandes définitions de la pauvreté guident l'élaboration des seuils ».33 Quant à lui, le célèbre économiste Amartya Sen l'appréhende d'une manière relative, sans toutefois évacuer certains critères absolus. Ce dernier explique pourquoi la possibilité de construire une économie sociale, de faire des choix sociaux constructifs et axés sur le développement, nécessite une coupure avec l'approche traditionnelle. Ainsi, il propose un élargissement de la base informationnelle servant à faire l'analyse économique de la pauvreté. En somme, il remet en question le fait de fonder une telle analyse sur le revenu des individus et leur capacité de consommation. Pour ce dernier, il s'avère évident que le choix de l'information utilisée pour analyser la pauvreté, sa disponibilité au public et la facilité d'y accéder, ne peut se dissocier de certaines considérations pragmatiques.34

Alors que toute l'attention en matière de pauvreté est concentrée sur une base informationnelle étroite, Sen croit que celle-ci devrait permettre de mettre en lumière les avantages et désavantages réels pour le bien-être substantif des individus, en regard de leur liberté et des opportunités dont ils bénéficient.35 Au cœur du débat entourant la pauvreté contemporaine, Amartya Sen met donc de l'avant, « de nouveaux concepts sur lesquels il faut fonder l'analyse des inégalités ».36 En développant les notions de «capacités» et de « fonctionnements »,37 il permet d'aller au-delà des mesures traditionnelles de pauvreté et de répartition des richesses, «en nous ramenant aux conditions socio-économiques préalables qui empêchent les gens de vivre dignement ».38 En fait, il propose de distribuer équitablement davantage les capacités de développer des modes de fonctionnement

33 Langlois, Simon. «Les seuils de la pauvreté », dans Gauthier, M. (dir.) dans Les nouveaux visages de la

pauvreté, Institut Québécois de la recherche sur la culture, Ville St-Laurent (Québec), 1987.

34 Sen, Amartya. «The possibility of social choice» Nobel Lecture, le 8 décembre 1998. Cet article a

également été publié dans la American Economic Review (Juillet1999) 89.

35 Ibid pp. 200-202.

36 Rose, Marie-Claude. «Amartya Sen: le débat sur la pauvreté contemporaine» (2003) 27 Revue Possibles,

126.

7 Sen, Amartya. Repenser l'inégalité, Paris, Seuil, 2000. 38 Rose, Supra note 36 aux pagesI26-127.

(22)

humains fondamentaux, permettant de mener une vie digne et ayant un sens. De cette façon:

( ... ) il substitue la notion de manque de revenus, à celle de capacités, de choix et d'actions. En insistant là-dessus, on déplace en même temps l'action de l'État. À l'approche financière usuelle, en terme d'absence de revenus, correspondaient des transferts sociaux garantissant un minimum décent ou un niveau de vie qui réponde aux besoins. À une approche reposant sur l'idée de privation au niveau des choix et du pouvoir, correspondent des politiques sociales davantage incitatives et actives visant à redonner aux individus leur capacité d'action et leur autonomie.39

Dans cette perspective alternative, un tout autre diagnostique de la pauvreté peut être posé. Il en va de même des solutions pour la combattre. Par ailleurs, cela ne nie pas l'importance des revenus dans plusieurs contextes, considérant que l'opportunité d'une personne de jouir d'une économie de marché est susceptible d'être sévèrement diminuée en raison d'un trop faible revenu. Cependant, même si le revenu est un facteur important, il existe plusieurs raisons d'aller au-delà du seuil de pauvreté. Notons l'hétérogénéité des besoins, la diversité environnementale, les variations de climats sociaux ainsi que les différences entre les types de pauvreté en lien avec les habitudes de consommations dans une société en particulier. 40

La pauvreté doit également être examinée sous l'angle des actifs, parce qu'elle se traduit en termes d'avoirs. En effet, il serait impératif que les individus puissent se construire une base de développement. Michael Sherraden suggère que l'importance des actifs dépasse celle de la consommation et du niveau de vie matérielle. Ce dernier considère que le revenu est un concept insuffisant pour fonder une politique sociale parce qu'il ne tient pas compte de la dynamique à long terme du bien-être des familles. La plupart des gens ne pourront jamais sortir définitivement de la pauvreté seulement par le biais des dépenses de consommation.

La sortie de la pauvreté se fait d'abord en épargnant et en investissant dans soi-même, dans ses enfants, dans une propriété ou dans une entreprise. C'est pourquoi la lutte à la pauvreté doit être complétée par des mesures de soutien à l'accumulation d'actifs par les ménages. D'ailleurs, les actifs entraînent un ensemble d'effets sur le bien-être (ex: améliorer la

(23)

stabilité du ménage, développer une vision à long terme, donner une assise pour prendre des risques, augmenter la participation sociale).41En fait:

The idea of asset-based policy came from talking with welfare recipients about what was wrong with welfare. They said it was a trap. They said they could not get anywhere. In my view, income maintenance is correctly named- it maintains people in their poverty.42 Une politique inclusive de développement des actifs doit (1) Enlever les barrières qui, de facto, découragent l'épargne et l'investissement et (2) Inventer des mécanismes institutionnels qui visent spécifiquement à favoriser et à faciliter l'accumulation d'actifs. À

ce sujet, le professeur Sherraden propose les comptes individuels de développement (C.D.I.), destinés à subventionner l'accumulation d'actifs par des ménages pour qui les déductions fiscales n'ont aucune application pertinente.43

***

Ainsi, dans l'optique de trouver des solutions pour assurer une lutte efficace contre la pauvreté contemporaine, il est suggéré d'appréhender cette problématique en rupture des conceptions traditionnelles, mais en évacuant pas tout critère absolu telle revenu. Une telle rupture devrait-elle s'opérer en droit, afm de répondre à «comment rendre effectifs les droits économiques et sociaux par le droit»? Par ailleurs, ces contributions mettent en lumière que, pour les fms de ce travail en droit, avant d'exercer toute rupture avec les conceptions traditionnelles, il faut prendre en compte les manifestations formelles de droits économiques et sociaux, de même que de leur évolution jurisprudentielle.

40 Sen, Supra note 34 à la page 196.

41 Sherraden, Michael, « Communication au congrès du parti travailliste », Royaume-Uni, Brighton, 2 octobre

2001.

42 Ibid

(24)

B) La pauvreté contemporaine

et les droits fondamentaux

Qu'est-ce que la Liberté, ce mot qui a la puissance de faire battre tous les cœurs et d'agiter le monde, si ce n'est l'ensemble de toutes les libertés, liberté de conscience, d'enseignement, d'association, de presse, de locomotion, de travail, d'échange; d'autres termes, le franc exercice, pour tous, de toutes les facultés inoffensives; en d'autres termes encore, la destruction de tous les despotismes (. . .) Disons-le une fois pour toutes: la liberté consiste non pas seulement dans le Droit accordé, mais dans le Pouvoir donné à l'homme d'exercer, de développer ses facultés, sous l'empire de la justice et sous la sauvegarde de la loi ( .. .) Ainsi la liberté, c'est le pouvoir. 44

Il est aujourd'hui grandement admis que l'ensemble des droits proclamés dans la

Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, 45 sont indivisibles, interdépendants et inter

reliés. Intemationalement et plus récemment au niveau national, nous assistons à une reconnaissance grandissante de ce principe.46 Par exemple, dans la Déclaration et le

Programme d'action de Vienne (Partie l, § 5), est affirmé que:

Tous les droits de l'homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. La communauté internationale doit traiter les droits de l'homme globalement, de manière équitable et équilibrée, sur un pied d'égalité et en leur accordant une égale valeur.47

Les droits de la personne, parce qu'ils se renforcent mutuellement dans leur relation d'interdépendance, exigent «la prise en considération, la promotion et la protection de tous les droits simultanément ».48 L'optique de cette section se veut générale. En conséquence,

les principes d'égalité et de liberté seront appréhendés le plus largement possible. Ce qui importe, c'est de comprendre de quelle manière la pauvreté est effectivement liée aux droits fondamentaux, en ce qu'elle constitue une entrave à leur jouissance. L'égalité est au cœur même des droits de la personne. La "pauvreté contemporaine" est liée de manière multidimentionnelle à ce principe directeur, provoquant des violations à plusieurs niveaux.

44 Bastiat, « La Loi» dans Supra note 12.

45 Déclaration Universelle des droits de l'homme, 10 décembre 1948, A.Gé Rés. 217A (III), oc A/810.

46 CASHRA Research and Policy Group. "Draft Resolutions on Social Condition and Social Economie

Rights" (2001) CASHRA annual Meeting: 5th Draft (Document non-publié).

47 Déclaration et programme d'action de Vienne, A/CONF.157/24 (part 1), chap. III, par .5. Celle-ci a été

adoptée lors de la Conférence mondiale sur les droits de l'homme, le 25 juin 1993. Notons que lors de cette conférence, le Canada agit alors comme un véritable chef de fil. Ce dernier a-t-il joint l'action à la parole?

48 Commission du Droit du Canada, "Women's Rights are Human Rights". En ligne: Commission du droit du

(25)

Aussi, un homme nécessiteux n'est pas libre.49 Comme il sera démontré subséquemment et brièvement, la pauvreté contrevient bel et bien à la liberté (au sens large).

1- Une entrave au droit à l'égalité

On dit qu'une personne est pauvre lorsqu'elle est incapable de satisfaire ses besoins fondamentaux et qu'il est impossible pour elle de mener une vie décente, en fonction de «normes minimales, à une époque donnée ».50 La pauvreté est à l'origine de multiples

formes d'inégalités. Dans un premier temps, l'inégalité renvoie à la «distance qui sépare les ménages ayant différents niveaux de revenus ».51 C'est aussi une entrave à l'égalité des

chances. C'est ensuite l'exclusion du mode de vie auquel les autres ont largement accès dans la même société, parce que pour y participer pleinement, les individus doivent disposer d'un «niveau de ressources qui n'est pas inférieur à la norme de cette communauté ».52

Les personnes vivant une situation de pauvreté font l'objet de discrimination sur la base même de cet état de faits, notamment dans le cadre de la recherche d'un emploi ou d'un logement. Également, dans la majorité des cas, la pauvreté viole indirectement le principe d'égalité (et de non-discrimination, sur la base de la race, du sexe ... ), en raison de la prise en compte des groupes spécialement visés par la pauvreté et fréquemment victimes d'exclusion sociale sur la base de certaines caractéristiques. En résumé, ce phénomène complexe possède à la fois un caractère absolu et relatif.

n

est une source et le résultat d'inégalités, impliquant la nécessité de combattre plusieurs formes de discrimination. Tout est interrelié ...

Il est effectivement vérifiable que les groupes vulnérables normalement protégés par les législations sur les droits de la personne, incluant les femmes (et plus particulièrement les

49 Russel, Ruth B. et Jeanette E. Muther. A History of the United Nations Charter 1940-1945, Washington

DC, The Brookings Institution, 1958, p.786.

50 Langlois, Supra note 33.

51 Langlois, Simon. «Distinguer entre pauvreté et inégalités», Le Soleil (11 octobre 2002) A4.

52 Organisation de Coopération et de Développement Économique. «Les Perspectives de l'emploi» (Juin

(26)

mères monoparentales et les femmes âgées), les autochtones, les minorités raciales, ainsi que les personnes ayant des incapacités physiques ou mentales, sont plus susceptibles de vivre la pauvreté et de jouir d'un faible statut social (discrimination systémique). L'Association canadienne des Commissions des droits de la personne, note à ce sujet: "the growing prominence of social and economic rights in the daily work of human rights agencies», et le fait que la:

Poverty is inextricably linked with violations of equality guaranteed under the various human rights statutes across Canada. Accordingly, in order to effectively address the complex experience of those who are disadvantaged, human rights agencies must also address social and economic rights.53<

Selon des renseignements du Conseil national du Bien-être, plus de 90 % des mères célibataires de moins de 25 ans vivent dans la pauvreté. 54 Les taux de chômage et de sous-emploi, sont sensiblement plus élevés chez les jeunes que dans la population en général. On peut noter que bon nombre d'anciens patients d'établissements psychiatriques finissent dans la rue, tandis que d'autres vivent dans des logements inadéquats et ne bénéficient pas de services de soutien suffisants. De plus, il faut déplorer la situation des milliers de réfugiés canadiens, qui ne peuvent obtenir le statut de résident permanent et qui ne peuvent être réunis à leur famille avant une période de cinq ans (un état manifestement précaire). 55

De plus, alors que 20% de la population adulte du Canada est analphabète,56 « des donnés du Ministère de l'Éducation du Québec démontrent clairement que plus une personne est scolarisée, plus ses revenus d'emploi sont élevés et moins elle est susceptible de se retrouver sur le chômage ».57 De surcroît, la Commission des droits de la personne de la Colombie-Britannique spécifie que les pauvres sont rarement à l'agenda politique, qu'ils

53 CASHRA, Supra note 46.

54 Comité des Nations Unies pour l'application du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Conclusions du Comité des droits économiques, sociaux et culturels: Canada, E/C.12/lIAdd.31 4 (4 décembre 1998).

55 Ibid 56 Ibid

57 Québec. Ministre de l'emploi et de la Solidarité sociale, Stratégie nationale en matière d'éducation et de

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