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,
4A CREATION D'UN MYTHE DANS LES MEMOIRES D'OUTRE-TOMBE
- - - _ . . . . S;'diiilllioEIIiiIiIIII[J _ _ _ ... e;; _ _ _ .. _ ; i , . _ _ _ _ _ ~ _ _~ _ _ _ - .... __._
",
, ,
LA CREATION D 'UN ~THEr
LA RECONSTI'rUTION ESTHETIQUE DU MOI DANS LES MEMOIRES D 'Otrl'RE-roMBE
by
Bianca Zagolin-Blandford
A Thesis
.ubmi t ted to
The Faculty
of
Graduate Studies and Research,
McGill University,
In partial fulfilment of the requirements
for the
deqree of
Doctor of Phi1osophy
Department of French Language
and Literature
August. 1975
~
BIANCA ZAGOLIN-BLANDFORD
t
~~
....
_---
-,_
... -'-~ _ .... _... ...ABST RA CT
At the heart of Chateaubriand's Mémoires d'outre-tombe
lies man's fundamental anguish:
reality decays, every moment
that passes destroys the self and hiatory ia lost in the
fli9ht of tim@.
Cha~eaubriandwill seek the roots of his
being in his pest,
par~oxiCally
finding permanence in what no
"'-,
longer exists.
The reyival of time lost centers on the image of the
castle of Combourg which holds the Key to his "former self"
and of which the Mémoires, monument to universal death, will
he
an actual recreation. Translating his anguish into a vast
metaphor of mortality, Chateaubriand gives rise to a myth of
/
Fa te , in which an exaltad haro, his 'character', succeeds in
\.,. 1
•
. . . ' . . _ - _ ... 1 _ _ _ _ _ _ _ _ _ . _ ••~
•• _ . _ . -,:1 ,>RESUME
Lea M'moires d'outre-tombe sont entiaroment ex's
sur l'anqoisse de la finitude--la r6alitê s'effrite, le moi
."parpille avec chaque instant et le Temps ne cesse
d'engloutir l'histoire. Se tournant r6solument vers le
pasBê, Chateaubriand
ycherche les racines de son être,
fondant sa permanence sur la disparition même.
Au sein de ce passé privilégié qui détient la clé de
son identité s'élève l'!maqe de Combourg dont les Mémoires,
vaste sépulcre, seront la reconstitution esthétique.
En
donnant l Bon angoisse la forme d'une vaste imaqe, Chateaubriand
cr'e un v6ritable mythe de la destin6e dans lequel un héros
humain, aon 'personnage'. triomphe de la Mort.
-" o • . .
A
..
_.;~
..
'~l.w.Ie.
_ _ _ 1 . . U _ . . . _ _ _",
-..o':.::'\, ... ...: ____ . _.~~~~
.
-Je tiens A exprimer ma gratitude A
M. Jean
E~ier-Blai.,dont l'inspiration a fait q.rmer
CG
travail,
~urses conseils 'clair's et sa
bienveil-lante attention. J'!drease 'galement mes remerciements
A M. Jean-Claude Morisot et A M. David Steedman pour
oleurs précieuses suggestions.
F
-- 1 - - .. -.---~---_...
--,
.. tt.·.)'.7 III' . . 't _ _ _ . . . . _ _ _ _ _ _ _ _ _ ,;,..· ..;.' _ _ _ ... _ _ _ _ _ ... _ •..
.-._~ ...-
..._-
~ ...-
.. ~...
•
•
~EDES MATIERES
1l'r'fac:e. CHATEAUBRIAND ET LE PROBLEME
DE
LASINCERITE
Bi.torique et ori9ina1it6}
INTRODUCTION..
..
. .
• • • • • • • • • • • •LA PRISE DE
OONSCIENCE~ORIGINES DU
MYTHE.. •·
.
.
.
·
..
. .
LA REAC'l'UALISATION PAR L'ART . . .
.
.
'l
1
8
57
Chap;tre premiêr - SOLITUDE ET
MORT • • • .. • • • ...64
Chapitra II
- LB NPI
ETERNEL • • .. .. • .. • .. .. •
111
Chapi ua
III - MADAME RECAMIER OU LA VICTOIREDE L'ANGE. • • .. .. • • .. .. • .. .. .. CONCLUSION. • • • • • • • • • •
•
• • • • • • •..
..
..
211
,BIBLIOGRAPHIE
• •• • •
• • • • • J• • • •
• • • • • •222
vi
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1 •l " / . ' , •• \ - , . . •~. \ L \ , l ' ~"1 .1IIiII __ ... 7 . . . _ _ _ _ _ _ ..:..._~' ..,l'j ...:../ ..;.';... ... _::"'_._ ... _~_---=--
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•
PREFACE
Chatea~riand
et le prob16me de la aAnc'rit'
Si lea M'moires d'obtre-tombe aont
a
la foia un
t'moi-gnage
historiq~ed'un int'rlt indiscutable et un r'cit qui
rivalise de couleur et d'int'rlt dramatique avec le. conte.
les plus c'16bre., ila noua touchent par-deaaua tout car
Chateaubriand en a fait l'oeuvre suprême de son
inq~~6tudeet
qu'il
yaffirme, au nom des homme., l'in6puisable rêve de ne
pas mourir. -Or, de tout temps, le problème de la sincérité
.~
a'est
po.'
comme la pierre d'achoppement du critique et le.
"mensonge." de Chateaubriand ont la.rgement.diacr6dité ses
"
M'moires dans ce
qu~nous
con~idéron.leur signification
'''"
.saentielle.
~
D'jl en l850,t. Sainte-Beuve, qui a.vait commencé le
l'
.
jlI---travail de vérification, 'crivait que ce. Mémoirea."peu ..
ima-bles" n'avaient pas grande valeur en ce qui eat de la " r i t '
r6elle et positive. 1 A une époque
o~
la notion de beaut' ae
'"
l'~ r ...
C.-A.
sai~be-Beuve.Cause%ies du lundi, 3e 6d.,
Garnier Frères,
pa~s,1862-1870,
,,~,.l, pp. 432-452 •
vii
" .- ~' , , ' , ,
.•••
-... ______
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._,~__ .
~~... _ .... _ _ _ _ _ _ _ _ _ .. , ... .10 ... _ _ .... 1.::
•
•
d'wageait
enco~emal de celle de v'rit. au .en. le plu • •
trict,
une oeuvre
co~ele. M'moire. manquait pre.que de .6rieux.
1
Pour un Lamartine, dont la crit1que e.t par ailleur. d'une
t.r'.
grande p4n'tration, la "der-rii're
.oe~vre"
de Chateaubriand, ,
:,
ce .ont le. Martyr., le. M'moire •.
d'outre-tombe 'tant, .elon
•
- lui,
compl'tem.n~glch'. par l'ince •• ant effort de parade et
! ~ ,
lan9~ge.l
l'àb •• nce de "nalvet' vra1e" dan. le
Et, mime .' il
/j
fut le pr.emier l reconnattre le g6ftie de
Chatea~riand,Sainte-Beuve n'en fut pa. moine l'initiateur d'une longue tradition de
aarcasme. a. l"gard du "vicomte" (on,.e souvient de s.a notes
malveillante. dans la marge d.a manuacrita) qui
~ou.
m'ne tout
droit l Guillemin, pour qui les M6moires sont un "festival de
menterie ... !2
Apraa un obscurcia.ement de pr'. de cinquante ans
1'>
(l'6ch6ance prévue
p~~Chateaubriand), une g6nêration
nou-velle .e reprenait d'enthouaia8me pour l'art de Chateaubriand
.
,au d6but de notre sièele, maia en revanche, elle .", attaquait
-de façon encore plus
syst'matiquë~a. ,l'homme et l
~asinc6rit6.
_ _ _ _ _ _ _ _ _ ... 1 . . • _ '.
• ' - - - t
lA. de
La~artine,Cours familier
~ekhtt6rature, On
a'abonne ehez
l'.u~eur,Paris,
1860,
Entretien XLIX.:
2Benri Guillemin, L'homme dea"Mêmoires d'gutre-tombe",
Gallimard, 'ar ia ,
1964,p.
56 •viU
•
•
fai.ant ain.i 'cho aux premier. critique., l'homme d ••
!!-moire. e.t r'duit au rel. d'un com'dien, .ublime, il eat vrai,
dana
l'orcheat,at~Qnde. mota et dea
,
image~,maia habile l
traveatir la v'rit'. A partir du Voxaqe en Aln'rique·, qU'on
\...
eut vite fait de d'noncer, une ,"aort. dè au.picion pr'ventive" ,
.,' 'tendi t .ur l' o.uvr.' entilre de Chat.eaubr,iand.
1
Or '.' ce lui"': ci
,
' ,a 'crit d •• m'meireat voila le
poin~d.
d'pa~td. la
contro-Il a'agit donc, 'au nom de l'hiatoire.
e~d./la v6rit'
ver.e.
.
t!
obj.cti"., de r.dr •••• r 1.. faita que Chateaubriand • fauaa'.,
cac:h'., ou auppri.m'..
Ensomme, tout en lui accordant',
\
non san. une c.rtaine conde.c.ndance, .on talent "aublime",
on le traite d'avance de dllinquant. Aprla d'innombrable •
• nquetesjet pourauite., on dut pourtant reconnattre qu., .i
chat.aUbriand a .ouvent parl' avec pa •• ion, .'il .'e.t parfois
- 2
trèmpl,· il n'a point tromp,", aciemment • ' SUr certain.
poin~a,il
ea~vrai. il n'a pas tout dit, le. M6moire •. d'outre-tombe
aont un choix •. il faut .e r'.ign.r aux ailenc •• d. l'aut.ur.
1
o
Il arrange,
emb~llit, tr~napoae,d'cant • • • • •
ouv.nir •• mais
o
la
v~rit'•••• nti.ll.
ye.t toujoura
re~pect.'e.c.lle qui
~efl.t. l'e.prit d •• t.mpe et qui traduit 1 •• 'motion. du coeur.
lMaurice Levaillant, Le Vlritable Chateaubriand,
Clarendon press. Oxford, 1951, p. 4 •
,
1x
.~
' f
•
•
,
le.
~ublication.occa.ionn'e. par le'centenaire, et .i, ,
,
~elque.
exception. pr'., le temp. de. iradie • •
emble r6volu.
l'.ffort. louable en .oi. au nom de la. v6rit' objectiva a
.u.-cit' autant
~de probl~me. dtinterp~tationqu'il
a 'clairc! de
- ' '
..
my.t~re..
Bn premier lieu, 1 • •
oUéi
d'obj~ctivit'a
~ontribu', mettre en
lumi~r.un certain pet.onnaqe\ celui du po.eur.
du hlbleur, d. l'opportuni.te fàbriquant,de b.aux •• ntiment.
pour ,chaque occa.ion et du
h~ro.romantique •• p.nchant .an.
-"
c ••••• ur .on imaqe
to~rrt.nt'eet 'coutant avec trop d.
com-plai.ance 1 • •
'on m61.odieux d.
sa
compiaint~.
Il n. fait
'
+'
aueun doute que Chateaubriand souffre d.pui. longtemp. aupr"
~
du public d'un manque d.
popul~rit'notoire, dont 1 •• cau •••
• ont .an. doute m\ltiple. et complexe., mai. parmi l ••
qu.~le.,
la
pr'.e~cedudit
'p~r.onnage~n'e.t pa. la
m~indre.·Tout ce
que Chat.aubriand est cen.' repr' •• nter n'e.t plu. l la mode:
"
le. id'e. d'o;dté, de l'gitimit'._ quelle qu'elle loit, de
r ,
\religion. aurtout lor.que celle-ci trempe dan. l'hypocri.ie
officielle.' .ont 'videmment bannie. de tout milieu qui •• veut
, ,'clair'.
,t
Quant au romantiame. on
~'en-m'fieavec uh t.l
achar~.m~nt
que la di.tinction-n'e,t plu. po •• ible
.~re" )
-
..
\
J 1 , .'-....
~"'","' ---~--_..::._._-".
1
l'exaltation des sentiment. et des pa •• ions de l'homme et leur exploitation.On s'obstine donc, d'une part, A emprisonner
Chateaubr'iand dan.s le texte des idées qu'il a proclamées officiellement au cours de sa longue carrière, comme si celles-ci pou~ient l elles seules le définirr et, d'autre part, A le figer sous les traits'du romantique échevelé qui nous est apparu pour la première fois A la lecture de
!!n!,
"-un René souvent transplanté comme si de rien n'était en plein modernisme. Plus tard, les "mensonqes" qu'on a agités 'sous nos yeux ont réduit René au qrand poseur et le préjugé est long A mourir. Même eeux qui avec émerveillement découvrent les Mémoires d'outre-tombe se disent constamment choqués par ,!8 pr"êeence ~ 8ussitOt qu'il apparatt, parce que le personnage est là, bien sQr, on se ferme les yeux et l'esprit et on passe outre, sans chercher l comprendre pourquoi il existe; il est ·de rigueur de s'en méfier et surtout de ne pas être dupe de
ses mensonges.
D'autre part, la hantise de d~asquer le 'vicomte' à
tout prix a créé un curieux malentendu. Trop souvent on a cru que les artifices des Mémoires en dêtr1isent ou du moins en diminuent grandement la valeur intrinsèque; en prouvant,
._.t .... ' ..
r . . . ' _ _ _ _ _ _ _ " _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ __ _ _ ~ __ ._r __ ._ r._
•
,
•
documents en main. que,Chateaubriand d'figure ou force les
limites de la v6rit6 objective. on lui refuse automatiquement
acc~s
A la vêritê tout court et on ne lui laisse que son
fameux ti tre d' "Enchanteur".
Cette attitude risque une fois de plus de nous cacher
le "véritable Chateaubriand".
Elle repose sur la primisse
-suivante,
àsavoir, que l'intérêt principal des Mêmoires
rêaide dans le récit des faits appartenant
lla vie de
l'homme lui-même. de ses amis et de ses contemporains, des
6v6nements de son temps, des courants idêologiques et
esthê-tiques. Mais.
au-del~de la véritê historique. celle,qui
mesure
lakêalit~dansses manifestations extêrieures. le
vrai a bien d'autres dimensions dont les
crit~resde
vêrifica-tion sont différents et sans
lesquel~la signification des
~en
t~ouve
psychique, celle qui a son
faussée.
Par exemple, la vérité
~
point de départ et son
aboutisse-ment en l'homme et dont le rapport avec l'événeaboutisse-ment est
accidentel:
et la vérité esthétique, puisque les Mémoires
sont en définitive une oeuvre de création: toutes deux.
quoi
quto~veuille bien prétendre. se prêtent mal
àdes
cri-t~res
inflexibles et universels •
1
•
•
Dans le cas de la
premi~re,il importe de souligner
d'abor~ qu'~
travers les entorses
àl'objectivité, les apprêts
et même par le truchement des artifices, Chateaubriand nous
dévoile le plus intime de lui-même, l'être dont les
motiva-tions
secr~tesse cachent souvent A ses propres yeux:
derri~re
l'homme qui pose et s'affiche. il
ya celui qui se
trahit. Lorsqu'il dramatise ou transforme un 6vênement, un
sentiment, Chateaubriand répond
àune nécessit6 int6rieure
qui nous aurait
compl~tementéchappé dans la transcription
exacte des faits.
D'autre part. et ceci nous paratt encore
plus important. même lorsque la transcription
d~cette v6ritê
objective semble être
fid~le,il est essentiel d'aller
au-del' des faits concrets et de chercher la signification'de
l'oeuvre prise dans son ensemble afin d'en
mesu~ertoute la
portée. Un exemple du premier point:
116pisode
o~Chateaubri~nd
passe la nuit dans l'Abbaye de Westminster qui,
d'ap~s
l'argumentation serrêe de Guillemin, serait inventé
de toutes
pi~ces,l
non
seulement inspire-t-il un des plus
beaux récits des M6moires. ce qui suffirait
larg~ènt len
lGuillemin. L'Homme des "M6moires d' outre-tombe",
p. 21 •
NI
•
•
_ _ _ ~I _ _ _ _ _ _
---1---lustifier l'invention, mais encore est-ce un passage des plus
rêv61ateurs.
Eneffet, en renouvelant sous forme poétique
le "comportement mythologique" de la descente aux enfers,l
Chateaubriand
yexprime son obsession de la mort, FantOme
omniprésent des Mémoires, si essentielle
a
la compréhension
de Chateaubriand, homme et esthète.
un
personnage comme Madame Récamier illustre, mais
àrebours, le même phénomène. De toutes les
per~~nnesdécrites
par Chateaubriand, elle est peut-être celle dont l'image,
dans son ensemble, est le plus fidèle
àla réalité objective.
On pourrait en conclure que Chateaubriand 'dit la vérité',
mais l'essentiel nous échapperait une fois de plus.
Eneffet, une analyse en profondeur des préoccupations
personnel-,
les et esthétiques de l'auteur révèle que, cette adhésion
àl'objectivité n'est en elle-même que d'un intérêt secondaire,
ai ce n'est pour quelqu'an
~
n'aurait jamais entendu parler
de Madame Récamier. Celle-ci, comme les autres figurants des
Mémoires, existe, au niveau de l'oeuvre, uniquement dans les
correspondances mystérieuses qui la relient A Chateaubriand,
c'est-A-dire en fonction du rOle qu'il lui assigne dans la
lMircea Eliade, ASpects du mythe. Gallimard, Paris,
1963~ p. 232 •r
1
..
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•
vaste "basilique". Oue cette image qu'il nous en donne res-semble à la véritable Madame Récamier est une colncidence historico-psychologique: Mme Récamier, dans les Mémoires, signifie esthétiquement.'1
Le péché de na!veté n'est pas toujours d'être dupe des mensonges de Chateaubriand, mais plutôt de penser que tout ce qui adh~re à la vérité objective dans les Mémoires constitue leur principal intérêt: c'est dans la dramatisa-tion et la mythisadramatisa-tion des faits que Chateaubriand atteint sa Vérité, une vérité qui, au-delà du concret, vise tout droit à l'essence de l'être.
Ce procédé de transfiguration rel~ve aussi d'un prin-cipe fondamental de l'esthétique libtéraire: pour être fid~le
à une émotion que l'on veut faire éprouver au lecteur, il faut, par exemple. grossir l'événement qui l'a provoquée. le charger ou encore forcer certains rapports entre des événe-ments éloignés ou des faits disparates. L'objectivité en
souffrira. mais l'émotion ou le sentiment associé à l' ,événe-ment en question en acquerra la dtmension nécessaire pour
franchir la l~ite qui sépare la réalité objective de la réalité esthéti~e. La vérité dans la nature et la vérité
r
M' • • . : . . _ _ _ _ _ _ _ _~
_ _ _~_·,_"
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_ _ _ _ - _ -_ _ _ _ _ _ _--~~---~---~---"'---
- 1 -i.
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•
peut transposer l'une dans l'autre sans lui faire subir la aublirnation requise. Mauriac avoue que tout est "mensonge" dans les livres. que le "littérateur" habite le mensonge, qu'il arrange tout, agrandit tout, "embellit" tout et que ce
réel dont il s'est emparé pour en faire l'objet de sa
créa-1
tion est sans commune mesure avec elle. Dans les Mémoires, Chateaubriand est avant tout poète.
Victor Giraud qui, au début du siècle, fut un des premiers à consacrer à Chateaubriand ses recherches minutieu-ses et qui affirme d'ailleurs que les Mémoires "sont, en géné-ral, beaucoup plus véridiques qu'on ne le dit d'ordinaire", reoonna1t néanmoins leur valeur avant tout esthétique. PlutOt qu'en mensonges, les Mémoires abondent en "transpositions
imaginatives". Le mot est heurewè. En somme, ce qu'on peut reprocher à cet homme qui vécut avant tout par l'imagination, homme du rêve jusqu'au bout, c'est une habitude de
"déforma-tion romanesque", qui fait qu'on ne sait jamais oü "finit l'écriture et oü commence la vie.,,2 Chateaubriand en semble
•
lFrançois Mauriac, Ce que je crois, cité in Guillemin, L'hoimne des "Mémoires d'outre-tombe", p. 269 ..
2victor Giraud, Passions et romans d'autrefois, Champion. Paris, 1925. pp. 188, 233. 244 •
xvi
r .. :.
•
1 J_-
.--.--- -- ~~~--~---__ J ~---__~---__~---___ ----'--_ _
_
1" ,~'ailleurs parfaitement conscient puisqu'il se laisse guider par sa propre légende et cet être qu'il place au coeur de ses Mémoires, s'il correspond à la réalité, n'en reste pas moins une création littéraire dont il faut chercher l'origine dans René. Louis Martin-Chauffier donne une analyse très intéres-sante de ce phénomène d'auto-création:
Chateaubriand a été entièrement déterminé, non certes par René, mais par ce qu'il a découvert et exprimé de lui-même à travers René. Il arrive ainsi que des hommes, d'une vitalité supérieure et qui ont un
sentiment vif de leur légende, se conforment à cette première révélation éminente d'eux-mêmes, et tentent ou bien de vivre, ou bien de se représenter selon ces données remar-quables ou inusitées qu'ils découvrent dans
leur propre nature, encore mal dégrossie. Nulle feinte; bien au contraire, 'un attrait. Mais auquel ils cèdent d'autant plus volon-tiers qu'il répond à leur voeu le plus profond: ils se simplifient en choisissant le plus vif d'eux-mêmes. Il semble qu'on puisse dire que Chateaubriand a trouvé ou a mis, dans les
Natchez et dans René, sa figure légendaire. Et qui, naturellement, était vraiment la sienne. Il était lui-même avant d'exister comme auteur. L'auteur a simplement trouvé le mot: il a choisi sa ressemblance. l
C'èst donc une nécessité intérieure qui a participé l l'élaboration des Mémoires et qui en a dicté les exigences
lLouis Martin-Chauffier,
"te
romancier: des Natchez àl'Abencerage", dans Chateaubriand. le livre du Centenaire. Flammarion, Paris', 1949, p. 64 •
~ii
. . . ? . . .
---~~---.--_--,_
• •_----._---~
. . .-•
..th6tiques: ce que l'oeuvre d'art a de permanent et d'uni-versel monte des forces intuitives et affectives de l'homme de génie. A certains niveaux. on pourrait certes reprocher l Chateaubriand d'avoir appelé son oeuvre M6moires: i1 n'y a pas là de quoi lui intenter un éternel proc~s. Faisons donc comme si Chateaubriand nous avait proposé sans détours la découverte de son moi.Une derni~re remarque sur le probl~e
e.)
la sincéritéque nous nous devons. sinon de résoudre. du moins d'écarter. Ce moi. on le voudrait. lui aussi. pétri de mensonges
pui~'il se contredit. Le rêveur. l'incurable mélancolique
qui ne vit que de silence et de solitude. convaincu de la vanité de toute chose. dévoré par l'ambition. briquant les plus hauts postes? Le perpétuel ennuyé jouissant des plaisirs et poursuivant la gloire? Le défenseur de la religion qui mêle Dieu
à
tous ses discours ne se souciant qu~re de morale chrétienne? Loin de nous de vouloir nier ou excuser ses humeurs. ses dépits. ses rancunes. infid€litês et autres bassesses. Mais tout en fai~ant la part des faiblesses hu-maines dans le comportement de Chateaubriand. i l ne faut pas oublier qu'il est l'homme des paradoxes plut8t que desmensonges et que les contradictions sont le fait d'une nature
•
f.
" f•
- -\.
..
aB ••changeante, passionnée et toujours insatisfaite de son état. C'est René lui-même qui nous donne encore une fois la clé de l'énigme:
"
• je cherche seulement un bien inconnu, dont l'instinct me poursuit. Est-ce ma faute, si je trouvepartout les bornes, si ce qui est fini n'a pour moi aucune
l
valeur?" Cette "chose inconnue" dont il parle encore, à soixante-quinze ans, dans une lettre de Londres à Juliette2 au souvenir de son passé, il continuera de la réclamer ardem-ment jusqu'à la fin, quitte à se heurter à l~satisfaction A chaque nouvelle tentative, et dans cette angoisse qui est au fond de toute son agitation fébrile, i l faut chercher le
véritab~hateaubriand--nam~ instable, parce qu'elle est
insatiab~e, i l lui faut désirer tout bien désirable, ou plutOt tout bien qu'illuminent les feux de son imagination: un pays lointain, une fonction, une femme. C'est le premier temps; mais à peine atteint, l'objet de la convoitise commence de se décolorer".3 S'il ne guérit jamais de ses illusions, c'est que l'arëreur amoureuse ou ambitieuse le délivre pour un temps
lRené, Oeuvres romanesques et voyages, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1969, T~ If p. 128.
2Lettres à Madame Récamier, éd. Maurice Levaillant, Flammarion, Paris, 1951. lettre du 26 novembre 1843, p. 505.
MlfIn,"
•
•
de son spleen et la force de ses ardeurs ne diminue pas parallàlement avec la conviction de la vanité de ses désirs
l
et de ses actions; s ' i l a compris la vanité des passions, i l ne cesse de les regretter; i l sait la vanité de la gloire, et ne peut renoncer à l'espoir d'une gloire posthume. I l .
éprouve le sentiment profond de l'inutilité de tout et, en même temps, i l regrette tout. Sincérité douloureuse et ultime, Chateaubriand lui-même n'est pas dupe de son jeu; en plein théatre, la pensée de la vanité de tout ne le quitte pas: "Le temps ( . • • ) m'emportera avec toutes mes futilités et toutes mes fOlies.,,2
Ce paradoxe de sa nature se résout, b~en snr, par l'art: si la conquête tarit du même coup la source d'exalta-tian, celle-ci reprend le dessus, et cette fois, de façon
permane~te, le jour oü le regret et le souvenir en transfi-gurent l'obJet et donnent essor à l'élan créateur.
Ainsi, si les vérifications m~nutieuses effectuées sur les textes de Chateaubriand nous portent à croire qu'il
la. Le Savoureux, "Introduction à Wle psychologie de Chateaubriand", dans Le livre du Centenaire, pp. 253-254.
2correspondance générale de Chateaubriand, éd. Louis Thomas, Champion, Par~s, 1912-1924, Lettre à la Duchesse de Duras, janvier 1813, T. l, p. 274 •
1
..
e
y a beaucoup de "littérature" dans le portrait qu'il trac, de lui-m&me. elles ne devraient pas nous aveugler ~ la véritable détresse qui se trahit , chaque page. Si. par exemple. les 'lans passionnels de ces pages détachées connues sous letitre de "Confession délirante" ou "Amour et vieillesse". 'les cris devant l'horreur de vieillir victime de passions
inassou-vies~ si ces pages extraordinaires ne collent pas exactement , la réalité de 1829 où Chateaubriand ne résistait gu~re , la tentation de succomber à la belle Hortense Allart qui,. elle. n'était que trop ravie de recevoir les hommages de cet homme
~l~re. elles n'en expriment pas moins
une
véritable angoisse chez Chateaubriànd. celle de vieillir. de se consumer encore, d'espérer toujours en une possession ultime qui le combleraitenti~rement.
Pour nous, lecteurs modernes, c'est justement cette ~ détresse qui nous émeut, le paradoxe d'une recherche aussi
éternelle que l'insatisfaction qui l'inspire et la couronne
~anquablemént. La légende est née avec ~ et elle s'entre-lace à la vie dans les Mémoires d'outre-tombe. Si Chateaubriand est René sans conteste, René doit néanmoins être dépassé car. de personnage romantique il devient, dans les Mémoires, le représentant des hommes au sein d'un grand mythe esthétique.
La hantise de la sincérité, ou du mensonge, a momentanément
Q( uuz&.
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---r----voilé ce visage-lA de Chateaubriand, le seul qui aurait pu percer, de par sa propre force, jusqu'à notre époque. Nous,
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.'dont l'univers a été marqué l jamais par les concepts d'absurde et d'angoisse, le problème de la sincérité nous
laisse étrangement indifférents. Derrière le personnage, nous sentons l'amertume, l'insatisfaction et surtout l'infi-nie tristesse de vivre et de mourir. Dans ce grand poète de
l'inquiétude humaine nous sommes en mesure de recannattre un des précurseurs d'une longue lignée de héros modernes et, dans son oeuvre mattresse, notre époque aux prises avec les bouleversements d'une société nouvelle peut trouver le miroir de son coeur et de son destin.
Selon Manuel de Diéguez, Chateaubriand pose le problème fondamental de la poésie moderne--le rOle du poète face à
l'Bist~ire lorsque se sont effondrées toutes les cosmogonies. Comment OrJ;?hée "nautonier de 1 'abtme" , aux prises avec la Mort, pourra-t-il remonter vers la clarté du ciel?l Dans les Mêmoires d'outre-tombe, Chateaubriand se d€bat au coeur d'un effondrement universel et sa descente dans l~s régions obscures du passé et de la mort marque la naissance d'un mythe nouveau esthétiquement résurrectionel.
IManuel de Diéguez, Chateaubriand ou le poète face à l'histoire, Plon, Paris, 1963, pp. 80-81.
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Historique et oriqinalit6 \Maurice Levaillant, dont l'oeuvre reste inégalée pa~
l"tendue de l'érudition et la finesse de la critique, est peut-êtr& celui qui, mieux que quiconque, a compris et
tr!--
1duit pour le lecteur tout le cOté lyrique de Chateaubriand tel qu'il s'exprime par les grands thèmes du ~egret, du passé et de la mort. Jean-Pierre Richard, dans son Paysage de
_.-Chateaubriand, a donné une brillante analyse des "objets
mémo~atifs" doni est formé ce paysage et des figures de la
~mort
qui l ~habitent:pourriture des chairs, effrite~nt àes choses, éparpillement des certitudes,
labilité des temps, creusement des espaces, recul~de l'être loin du champ actuel de la sensation et de la cons-cience: à travers tous ces thèmes
l'imaginat~on de Chateaubr~and se livre (. , .) à une grande mise en scène de
•
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Selon Manuel de Diéguez, l'affrontement de la poésie avec l'Histoire, qui cQPstitue l'essence des Mémoires
d'outre-tombe, se révèle comme l'a~frontement essentiel du verbe avec le meurtre; Chateaubriand aurait défini son art à partir
1Jean-Pierr~ Richard, paysaqe_dè Chateaubriand, Editions
du seuil, paris, 1967, p. 29 • xxiii
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•
d'Une Révolution meurtrière qui -avait profondément marqué sa vie et son siècle. Pour Diéguez, la contemplation de la mort serait justement au coeur de toute poésie. DansChateaubriand et le temps~perdu, André Vial s'intéresse au passé comme recherche des moi successifs dans un perpétuel
--devenir mais, selon lui, toute véritable tentative de perma-nence est vouée à l'échec car le souvenir, comme le langage
lui-même, est une constatation de l'absence.
Cette thèse tente de faire ressortir le lien qui existe entre la hantise de la mort et le subjectivisme omn1-prés'ent, à notre avis les deux pOles de l'oeuvre. Cette han-tise, "qui donne l'essor à la quête du passé, est justement à la source de l'affirmation du moi: si la mort détruit
l'homme, l'idée de la mort le sauve; Chateaubriand "rena.,tt" par sa descente aux enfers et la mort contemplée, pleinement assumée, devient créatrice. Ainsi, bien que les Mémoires soient effect1vement le bilan des morts successives, ils contredisent la fin1tude par le concept du mdi permanent. Nous avons introduit l'idée de mythe car la glorification du
per~onnage des Mémoires, la présence constante de certà1ns types et de certains motifs et la réactualisat10n rituelle d'une situation primordiale reprennent des procédés classiques
•
du mythe. Se servant indiscutablement d'un grand nombre de xxiv.
.
---clichés romantiques, Chateaubriand a donné à son angoisse la forme soutenue d'une image qui se déploie à l'échelle des siècles et de l'humanité: dans les Mémoires d'outre-tombe, vaste tombeau qui incarne le passé même, son héros revit à
jamais l'acte de son acceptation de la mort et de son triom-phe sur elle.
Nous sommes conva1ncue que toute formalisation méthodo-logique exceSS1ve était incompatible,
ni~
seulement avec notre sujet, ma1S avec l'oeuvre étudiée et aurait risqué de réduire l'entrelacement infini des mobiles psychiques et esthétiques des Mémoires à des processus linéaires. La vie intérieure y est d'une flu1dité déconcertante: de plus, l'interpénétration constante de divers niveaux de réalité et l'identificat1on du moi à cette même réalité empêchent une étude axée sur unethématique ou des catégories trop rigides. A l'encontre d'une critique vouée aux "dissections formalistes" nous nous sommes proposé comme but ce que Gilbert Durand affirme être "la tache essent1elle des commentateurs": "augmenter le plaisir que procure l'Qeuvre par une résonance humaine plus grande, par une compréhension plus séduisante. ,,1
lGilbert Durand, Le Décor myth1que de la Chartreuse de Parme, José Corti, Paris, 1971, p. 7.
xxv
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INTRODUCTION
Les Mêmo~res d'outre-tombe sont une recherche de
permanence au coeur du temps pass~. Par ce titre ddnt cha-cun des mots est révélateur. non tant dans ~a s~gn~ficat1on histor1que que dans sa portée inconsciente. le poète identif~e
le monde à son moi. l'histoire d'une époque se confondant à l'histo1re de sa vie. S'il nous parle des autres, c'est pour leur 1nsuff1er une vie nouvelle en les fa~sant
part~-ciper à la sienne: s'11 relate les ~vénements de son temps, c'est pour s'en serv1r comme cadre ou pour s'y opposer; s ' i l évoque le déroulement des siècles et la grandeur de l'univers,
" "
c'est pour y placer au centre son mqi immortel.
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Il nous faut chercher dans cette oeuvre une vérité intime et non seulement toute extér1eure et apparente. Il suffit de nous rappeler les déclarat10ns de l'auteur chaque
f01S qu'il reprend son ouvrage ou qu'11 exprime le désir de
s'y remettre. C\est aux moments difficiles de sa vie et de sa carrière polit1que que les Mémoires ont vu le jour et c'est encore à ces moments-là que Chateaubr1and en continue la
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- - - ~ ~ - -._-~-~---"1 l" t ) b 2~êdaction • Ils sont un refuge, une sorte de ~ou~nal intime, marne .si leur forme n'a rien du journal; ils constituent pour Chateaubriand la replongée au-dedans de lui-même qui lui permet d'oublier les vicissitudes de la vie et surtout de ressaisir son être véritable: ils représentent, en
défi-nitive, un ultime effort pour recapter, s~non le bonheur même, un rêve de bonheur. Chateaubr~and écr1t pour qu'on le regarde et qu'on l'écoute. pour que le monde ent1er nous paraisse
insign1fiant auprès de son coeur; afin de nous captiver, i l déploie toutes les incantations verbales dont 11 est capable et de son inquiétude fait son chant le plus beau. "Et ma vie solita1re. rêveuse, poét1que, marcha1t au travers de ce
monde de réal1tés, de catastrophes, de tumulte, de bru~t,
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enveloppêe d'un cortège de songes; Fa1sant abstract1on, en autant que cela est possJ.ble, de ce "monde de réalités", nous nous attacherons donc à Chateaubr~and en tant que rêveur et poète et nous analyserons la façon dont les hantises qu'il attribue â son personnage s'expriment au n1veau de la compo-sition.
LP concept10n et la structure dramatiques des Mémo~res
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s'expliquent par une tentat1ve de faire reV1vre le passé:
lMémoires d'outre-tombe, Edition du centenaire, inté-grale et cr1t1que, en part1e inédite, établie par Maur1ce Levaillant, Flammarion. paris, 1948, l, p. 3.
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ils en sont la reconstitution poétique et l'expressioncon-cr~te d'une vision personnelle de l'univers. Pour comprend re cette v1sion et toutes ses man1festat10ns. il faut remonter à ses sources. à la prise de conscience initiale et aux cadres
o~ elle eut lieu--Saint-Malo et surtout Combourg. Ceci const1tuera l'étape prélimina1re du travail. Si Combourg
joue un rôle oap1tal. c'est qu'il réveille à un moment crucial la sensibi11té latente de l'adolescent. Il est vrai que
Chateaubriand exalte ses souvenirs. qu'il superpose aux images du passé les émotions du présent; i l reste que. quelle que soit l'authenticité des faits ou des sentiments, Combou~g
dans les Mémoires. tout comme René pour son auteur. sert à résumer et à fixer une disposition fondamentale de son
tempé-rament. Les sent~ents de solitude. de mort. de fatalité et le besoin exaspéré d'affirmation de S01 qui dominent l'oeuvre entière seront surimposés après coup à l'enfance et à l'ado-lescence; Chateaubriand fera émaner sa vie littéraire de cette première prise de conscience.expériencè inoubliable que les Mémo1res tenteront de recapter dans un véritable rituel de remémoration dont le but est de rappeler l'homme à ses origines.
Au long de sa grande oeuvre, l'artiste recréera le décor qui a vu naître le héros de la légende: dans la
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4recherche du temps perdu. tout se pare ainsi des couleurs de combourg--clair-obscur quasi irréel. hurlements du vent.
mugissements d'éternelles tempêtes oü se complatt notre insatiable ténébreux, noirs corbeaux qui passent et repas-sent dans un rayon de lune. Ses préfêrences le portent au mystère, à l'exaltation. à cette fascination voisine à la
fois de la terreur et de la volupté, rejoignant par là un ~
certain gothique à la mode. Chateaubr iand se ! ervira donc
des éléments clé de son passé, éléments visuels et affectifs, pour le réactiver et le récapituler dans san oeuvre; ils deviendront le cadre par excellence de l'expression de so~ car
ce~le-ci est inséparable chez lui d'une certaine ambiance. Envisagés dans cette optique, c'est-à-dire comme la recherche d'une expérience lointaine oü le vrai moi se retrouve et se révèle, les Mémoires nous apparaissent comme étant soumis avant tout aux exigences d'un univers intérieur--événements, personnages. décors, tout est recréé par l'auteur pour servir ses aspirations inconscientes et ses desseins artistiques. A ce sujet, l'on remarque que la recherche de l'effet théatral dans le personnage que Chateaubriand érige en héros de ses Mémoires répond elle aussi au besoin, non tant de rejoindre un certain idéal, mais à celui de s'iden-tifier â une ombre farouche sortie du passé. Par ses
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Mêmoires d'outre-tombe. Chateaubriand donne libre cours au 5 jeune homme de Combourg qui se voudrait le protagoniste de pêripêties fantastiques et qui. enivré de solitude, s'enve-10ppe de drame à tout bout de phrase. Sa descente vers le passê se solde par le triomphe du hêros romantique--dans1'oeuvre. celui-ci absorbe enti~rement le moi. Chateaubriand assimile ainsi le prêsent à son passê et. par ce processus de transfiguration. s'y replonge et le revit.
L'architecture des Mémoires. oeuvre suprême qui
deva~ le contenir tout entier. est fondêe sur le postulat d'un conflit rêpétê à l'infini dans toutes les manifestations de l'activitê humaine. Au niveau de l'individu. les M~oires
nous rêv~lent un homme dêchirê par des tendances contradic-toires: les contradictions restent sans solution. au point que Chateaubriand. le personnage-hêros en quête d'êpreuves. s'identifie avec tout ce qui est conflit. contraste et qu'il ne se sent vraiment lui-même qu'au coeur d'une opposition. Au drame intêrieur correspond l'épopêe historique: dans les Mémoires se cOtoient-deux époques irréconciliables; une 1utte sanglante s'engage entre deux siècles géants qui
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s'affrontent; au centre. un homme seul cherche à comprendre. incapable d'opter pour un côté ou pour l'autre. perpétuelle-Dent partagé entre l'amertume du regret et la lucidité
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'1;~ .. , , , , ., . 6impitoyable de sa vision prophétique. L'opposition de
Chateaubriand à son époque semble d'ailleurs être voulue et
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soigneusement cultivée; l'honneur et la légitimité de ce dernier paladin d'un temps révolu se buteront aux tourbil-lons de l'ère moderne. Tel est du moins le personnage que Chateaubriand adopte dans ses Mémoires: une fois de plus, l'élément de mise en scène ne doit pas nous aveugler
a
la sincérité foncière de cette appartenance au passé, dictée1
par l'orientation de tout son être vers un monde
qui
n'est plus. Enfin. à un niveau qu'on pourrait qualifier de cosmi-que, le poète érige ses Mémoires en une affirmation suprême du moi devant l'univers, de l'individu vis-à-vis du genre humain tout entier, de l'homme seul face à son destin.Les images. tout autant que les données de la struc-ture, sont le fruit d'un tourment inassouvi; Chateaubriand combine et transfigure les éléments primordiaux du monde qu'il porte en lui. ce que Georges Poulet appelle nl'étrange
l
et habituelle demeure de [la] pensée n du poète, et ceux-ci s'expriment dans un ensemble de figurations déterminées. Il inaugure ainsi un style tout fait d'ombres. d'éclat et de
lGeorges Poulet, Trois essais de mythologie r9man-tique, José Corti, paris, 1966, p. 11.
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coups de vent. Dans l'invention stylistique. ce qu'il Y a peut-être de plus remarquable est un type d'image-vision.c'est-à-dire une image que Chateaubriand fait surgir brusque-JIlent et qui s' ;impose avec force à notre perception. reléguant
au deuxième plan de la composition le reste de la ~alïté.
Les images-visions ou plus proprement encore. les appari-tions résument cette réalité dans sa quintessence.
l'empri-~onnent pour ainsi dire dans des contours précis et
fulgurants. toujours contrastants. où sa force d'impression augmente proportionnellement à sa qualité elliptique. On peut presque dire que les Mémoires sont construits autour d'un certain nombre d'apparitions c:;lé. Elles manifestent
toute une façon de percevoir la réalité. comme si Chat~~riand
ne lui était sensible que dans ses aspects les plus dramati-ques: en fait. les apparitions nous révèlent comment
Chateaubriand crée ~ réalité pour la subordonner à la révélation de soi.
L'éternel retour transfigure le temps présent: par l'assiœilation de toute chose au cycle de sa vie intérieure. Chateaubriand fait surgir une réalité transcendante. une dimension extra-temporelle dans laquelle se perçoivent. à l'encontre de la finitude. la continuité et le sens de l'existence--celle du moi érigé en mythe littéraire.
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Première partie
LA PRISE DE CONSCIENCE: ORIGINES DU MYTHE8'
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La fonct1on du mythe est de donner une s1gnif1cat1on au monde et à l'ex1stence huma1ne: grâce à lU1. le monde se
laisse sa1sir en tant que cosmos parfa1tement 1ntelligible ~
et surtout. supportable. Les mythes prLmit1fs racontaient une histo1re sacrée. celle des origines qui. en donnant des racines à l' homme, imprimait un sens à sa vie et lU1 proposa1 t des modèles d'action.l La tentative d'apporter cohérence et validité à l'aventure de l'homme au sein d'une oeuvre d'art
rejoint cet aspect "sacré" du mythe et c'est dans ce sens-là -que nous emploierons le tenne plutôt que dans le sens de
Chateaubriand dispose d'une donnée irréfutable: sa propre finitude et celle du monde. Source d'angoisse et de certitude à la fois. tourment et fonction de son humanité. la mort va conduire Chateaubriand à la "sublimation mythique et
2
-littéraire", c'est-à-dire à sa transformation en héros, ÙJIDlortel et triomphant. privilégié parmi les hOlllD.es. La
lEliade. Aspects du mythe. pp. 15. 117.
2Durand• Le
Décor
mythique de la-Chartreuse de Parme. p. 30.:' , ri ~ ~, ~
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situation myth1que peut alors être interprétée comme la project1on de conflits psycholog1ques et le héros, comme celle de l'1ndiv1du lui-même, "image idéale de compensation
l
qui colore de grandeur son fune humil1ée". "Le héros est ( . . . ) celui qu1 résout le conflit où
l'individ~
se débat. n2 Déchu. lim1té, mais plein de rêves, Chateaubriand confie à son héros myth1que la lourde épreuve de descendrepour triompher de la mort; la notion
~ête
etaux enfers de ,con-quête est inséparable du mythe: son protagoniste, représen-tant de tous les hommes, doit être surhumain. Chateaubriand procèdera donc à la ~agnificationn systématique de son
personnage des Mémoires.
Le dédoublement auteur-personnage correspond exacte-ment
à
la différénciation vie-art. Dans la transpositionmyth~que, la hantise de la mort est dépassée par le moi éternel qui se dégage de lloeuvre:
t~phe
du héros.!!!
sein des Mémoires, t~iomphe par les Mémoires dans la vie même. puisque ceux-ci vaudront à Chateaubriand la postérité.
Le mythe, par sa nature. à II encontre de l'évas'ion. "est
laoger Caillois. Le Mythe et II homme. Gallimard, Paris. 1912. p. 24.
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suscept~ble de provo~er l'acte,,;l intégré à la vie, il se
transforme en façon d'être. S1 le dédoublement subsiste dans les Mémoires. Chateaubr1and l'auteur ne cesse de
s'identif~er à son personnage. de se dramat~ser pour se conformer à son mod~le, et, en dernière analyse, de se con-fondre avec lui.
C'est par "l'éternel retour" que s'accompl~ssent ces retrouvailles avec cet "autre soi-même" qui lui assure une identité permanente: après avoir créé son propre mythe--celui d'un être sacré qui descend parmi les ombres à la recherche de son âme--Chateaubriand le réa~ualise tout au long de ses Mémoires dans un véritable rituel de ~ora
tion grâce auquel i l peut revivre l'aventure initiale.2 C'est ce que nous avons appelé la reconstitution du passé pat: les
~moires.
qui équi vau t pour Cha teaubr iand à lareconstitution de son moi. Ceci nous amène à l'''essentiel de la pensée mythique: I" éternel retour des choses. la vision cyclique de la vie cosmique et humaine .. 3 qui sera effectivement
lCaillois. Le Mythe et l'homme, p. 169.
2Mircea Eliade. Le Mvthe de l'éternel retour. Gallimard. Paris. 1949. p. 19 et seq •
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-12un des grands principes Bes Mémoires. Cecl. implique le
besoin de l'homme de se rattacher aux origines merveilleuses du monde et de ses héros, à l'''histoire sacrée" qui détient la clé de l'existence. Ce désir de "retrouver l'intensl.té avec laquelle on a vécu, ou connu, une chose pour la première
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de récupérer le passé lointain, l'époque béatifl.qUe des commencements"l provoque ce queEliade~~~e
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portement mythologique", c'est-à-dire la récapi~ulation rituelle des origines. Par cette réactQalisation, le mythe
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confère sa pbissance: la répétition continuelle d'un geste primordial révèle quelque chose de fixe et de durable dans le flux universel.
Pour Chateaubriand, i l s'agira de revivre, ~s les Mémoires, les moments privilégiés de son existence par
l'évocation de figurations ou d'ambiances détenninées. Son
1
-comportement mythologique" "e déploie donc sur le plan esthétique et son mythe est évidennent un mythe littéraire qu'il a lui-même suscité mais dont la fonction reste de
rêvêler la source de l'extstence et d'aider l'individu à
~"n/
,4 retenir le réel.
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Nous all~s maintenant tenter de tracer la "situation mythl.que" d'où seront tirés les thèmes et les motifs du
rituel et de montrer comment le héros des Mémoires s'y est formé.
Chateaubriand nous décr1t son premier voyage à Combourg comme le "premier pas d'un juif errant qui ne se devait plus arrêter".l Nous assistons à la première appa-rition capitale des M~oires: Combourg se profile à l'hori-zon avec force et netteté.
A l'extrémité occidentale de cette bourgade. les tours d'un château
~odal montaient dans les arbres
d'une futaie éclairée pa~le soleil
couchant. \
,--.,. ,
J'ai été obligé de
m'arrêt~r:
mon coedr battait au point de repousser la tabl~ sur laquelle j'ée~is. Les souvenirs qui se réveillent dans ma mêmoire m'accablent de leur fOrCe et de leur multitude.2Cette vision que Chateaubriand nous transmet on ne peut plus dramatiquement'au début de ses Mémoires est la clé des sou-venirs: l
~émotion
en est si vive que l'auteur intervientlMé!n., 1:, p. 62.
2
-~id •• pp. 62-63 •
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dans le récl t; tout un lOIntaIn passé surgIt, déclenché par l'apparItIon soudaIne de ce château dont l'âme se sent prIsonnl.ère. Cette premIère apparItIon nous Ind1que à elle seule l'Importance qu'assume Combourg, comme souven1r et comme symbole, dans le dynarn1sme psychIque de l'homme aInSI que dans le processus créateur de l'art1ste. La prIse de consclence, cet affrontement InItIal de l'être à la réalIté quI l'entoure, aura lIeu à Combourg et il sera caractérIsé par un sent1ment voluptueux de frayeur et de mystère,
t10n clé des Mém01res d'outre-tombe. Le protagonIste l'aventure se défInIt en fonctIon d'un contexte fabule dramatIque, ou du mOIns d'un décor quI lU1 apparaît co
~)
un château médIév91 qu'll voudraIt hanté, à la Ils ère tel:
d'une forêt chuchotante; dans le clImat surnaturel, 11 VIt une VIe d'extase, entouré de ces fantômes qUI l'accompagne-ront à travers son oeuvre sous des vIsages touJours chan-geants.
Chateaubr.iand 'réussIt ùn vér1.table tour de force
poétlqu~: le monde de l'enfance et de l'adolescence, SI présent tout au long des MémOIres et 51. essentIel à la com-préhenSIon du personnage, cet unIverS que ChateaubrIand porte en lu~ et quI transparaît à chaque nouvelle lnventlon semble
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pourtant retranché du monde actuel par des s1ècles et des
sl.ècles, comme 5'11 appartena1t à d'autres espaces. t) Le
passé, dont les tra1ts se sont f1gés dans le souven1r, a franchl du Vlvant de l'auteur les 11IDltes de la réal1té pour
s'enfoncer dans la légende. Il en découle une 1IDpression
d'lrréel qul donne le ton à toute cette prem1ère partie des
Mémo1res. Au seln d'une réallté crlstallisée que le temps
ne touche plus se Jouent éternellement renouvelés malS
tou-jours semblables à eux-mêmes, les drames de sa V1e, tout
comme dans les antlques chansons du moyen âge les cheva11ers
refont à jama1s leurs gestes glor1euses, poussés par leur
destln poét1que à des quêtes fantast1ques sans lssue. Dans
les Mémolres d'outre-tombe, chaque ~uvelle phase de la
révé-1atlon de 501 se modèlera sur la prem1ère rencontre avec Combourg--le monstre de la mytholog1e chateaubr1anesque,1 dont les Mémo1res représentent, dans une large mesure,
l'exor-cisme; Jusqu'au bout l'homme et l'artiste se débattront au
sein des mêmes conflits, s'entourant de mystère et s'aff~~ant
dans le paradoxe; ils éprouveront les mêmes passions et
angoisses et contl.nueront de lancer le même crI. mélancol1que
lL'adject1f\"'.chateaubrlanesque" a été employé pour
la prem1ère f01S par Jean-Pierre R1chard dans son Paysage
de Chateaubr1and.
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et contestata1re à la fOlS. Le mythe, nous l'avons vu, n'est pas une solution mais une projectl0n de ces conf11ts et, comme tel, une tentat1ve de déf1nit1on de soi. Le mythe du passé apporte à Chateaubrland 1'~ob1llté réconfortante de ce qu1 n'est plus où le moi se retrouve enfln, au-delà de ses ldentltés succeSSIves, ré1ntégré et compréhensLble.
Il nous faut donc remonter aux grèves de Saint-Malo et aux bOlS de Combourg, tels qu'lIs se desslnent dans les Mémoires, après aVOlr subi leur "sublllIlatlon mythlque" et être devenus le décor, c'est-à-dlre "l'accompagnement
sym-l
bollque de l' expresslon purement 11ttéra!.!:"e". Dans cette étude des éléments prllIlordlaux du mythe--personnages, données du paysage, émot10ns domlnantes--il ressortIra un faIt éVl-dent: Chateaubrland a incorporé dans son mythe un grand nombre des ClIChés que lUI avait légués le préromantisme. La prédilection pour la nuit et ses clairs de lune, pour le paysage automnal et ses tempêtes, vents, feuilles mortes, ses brouillards et ses fantômes: la flnitude pressentie à travers les tombeaux et les ruines--tout cela avait été mis
lDurand, Le Décor mythique de la Chartreuse de Parme, p. 21.
72
17
à la mode en France surtout par les poètes anglais et
alle-l
mands. A l'aide de cet arsenal poétique s'était précisée une esthét1que du sublime--la recherche du beau dans le frisson du mystère et de la volupté dans les "saintes terreurs" qu'inspirent les forces indomptables de la nature et des pass1ons. A la f1n de notre travail. nous tirerons des
conclus1ons pert1nentes sur la sublunation que Chateaubr1and f1t sub~r à la sens1hi11té nouvelle. Pour le moment. l'étude des 11gnes de force psych1ques et descriptives du décor
primord1a1 ne nous intéresse que dans la mesure où ce décor surdétermine notre héros littéra1re. Notre propos est donc un1quement de les relever pour pouvo~r montrer ensu1te com-ment les Mémo1res en sont l'écho et la façon dont 11s dev1en-nent les moti~s dominants du mythe.
Le cadre des enfances de Chateaubr1and est la Bretagne. pays de forêts et de ru1nes qu1. enveloppées de brume. murmurent d'antiques légendes. "cadre où les
enchan-lAndré Monglond, Le Préromantisme français. nouv. éd., José corti, paris, 1969. T. l .
F. Baldensperger, "Les influences étrangères: le Nord". dans Le Romantisme et les lettres par F. Brunot et alii, Editions Montaigne. Par1s, 1929.
Madame de Staêl, De la littérature. Chez Maradan, ,paris, 1800, T. l, pp. 210-224.
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18 ltements seront encore possibles pour quelque nouveau Merlin.-Enti~rement tourné vers le passé et fasciné par le mystère, Chateaubriand ne reste pas insensible au umerveilleuxu
qu'il respire dans l'air des bois et le vent du large de son Armor l.que • Après avoir décrit le printemps en Bretagne, 2 Chateaubriand nous invite lui-même à percer le réel pour nous enfoncer dans la légende en évoquant la Bretagne enchan-tée, avec sa célèbre forêt de Bréchéliant et sa fontaine de Barenton, ses fabuleux chateaux, ses chevaliers et ses fées. Les allusions A la matière de Bretagne ont pour but de créer le climat fantastique dans lequel se dérouleront ses aventures avec la sylph~de.3 De fait, le passage se termine al.n~:
IMerete Grevlund, paysage intérieur et paysage exté-rieur dans les Mémo~res d'outre-tombe, A.G. Nl.zet, Paris, 1968, p. 31.
2 Mém., l, pp. 59-61.
3 L 'Essai sur la 11ttérature anglaise contient ce pas-sage qui met en luml.ère le procédé par lequel chateaubrl.and évoque les légendes celtiques pour dégager le cOté "enchanté" de ses propres aventures: "Dans cette forêt de Bréchéliant, murmure la fontaine Barenton. Un bassin d'or est attaché au vieux chêne dont les rameaux ombragent la fontaine: il suffit de puiser de l'eau avec la coupe et d'en répandre quelques gouttes pour susciter des tempêtes. ( • • • ) j'ai vu la fée Horgen et rencontré Tristan et Yseuti j'ai puisé de l'eau avec ma main dans la fontaine (le bassin d'or m'a tOUJours manqué), et en Jetant cette eau en l'al.r, j'ai rassemblé les orages: on verra dans mes Mémoires, à quoi ces orages m"ont servi." Essai sur la littérature anglaise, Oeuvres COmplètes, Garnier, Paris, 1859-1861, T. XI, p. 514.
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• .' • c'était le séjour des fées. et vous allez voir qu'en
effet j'y ai rencontré ma sylphide. ul Celle-ci est peut-être la m1eux connue mais i l y en a bien d'autres; tous les personnages des Mémoires ont une dtmension féerique: que sont la mer et la lune sinon des fées bénéfiques qui accom-pagnent Chateaubriand tout au long de ses pérégrinations?
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Lucile est un "Génie funèbre". Madame Récamier. un "ange céleste": tous ceux qui sont admis dans la grande "bas1li-quen• s'ils ne sont au départ fantômes ou magiciens, sont
réduits à l'existence éthérée d' "ombres Il.2
AinS1. conscient de Son art, Chateaubriand a su exploiter son héritage pour faire de sa propre vie un conte; son langage ne nous laisse là-dessus aucun doute: "Une
vieille châtela1ne armoriée, un vieux baron blasonné gardant
lMém .• I. p. 60.
2NOUS reviendrons dans la deux1ème partie sur cette
transformation des êtres qui d01vent mour1r à la réalité avant d'accéder au mythe, celui-c1 se définissant dans les Mémo1res comme le passé qui se perpétue dans le présent. Soulignons que, d'une part, les appar1tions aériennes et esp~its
céles-tes. toutes les "nueuses idoles" d'Ossian que Chateaubriand conna1ssait bien, influencèrent sans aucun doute la créat10n de personnages tels que la Sylphide ou Lucile; et que, d'au-tre part, 115 correspondent également au type d'héroïne à la mode du temps: tendre. rêveuse. évanescente et exaltée. Monglond, Le Préromant1sme frança1s. t. l, pp. 202-203.
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dans un manoir féodal leur dernière fille et leur dernier 20 lfils, ft Il est absolument nécessaire que le poète, donne des proportions surhumaines à ce personnage qui devra triompher pour lui; Chateaubriand procède à la pré-sentation de son héros comme à la création d'un personnage romanesque: afin de le distinguer de lui-même et de le privilégier au départ. ~l se sert de tous les éléments
my-thiques susceptibles d'accentuer sa stature et son dest~n
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héroïques: la naissance prodigieuse à laquelle sont
co2viés les grands génies de la nature, la formation du jeune
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héros en vue de la mission d'élu qu~ l'attend. les augures qui dévoilent petit à petit son destin, le monstre à va~ncre,
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l'enchanteresse toujours présente.
Ce climat fantastique qui fait reculer le passé dans le temps et l'espace est renforcé par la dimension sonore toute particulière qui caractérise le décor. En premier lieu,
un grand s~lence: les sons de la vie réelle se sont tus depuis longtemps déjà. Il est intéressant de remarquer à ce sujet un
curieux phénomène: la description de l'enfance à St-Malo
lMém .• 1, p. 175.
2 Durand, Le Décor mythique de la Chartreuse de Parme, pp. 23-25.
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