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De nouveaux espaces publics urbains?<br />Entre privatisation des lieux publics et publicisation des lieux privés

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HAL Id: halshs-00078584

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00078584

Submitted on 6 Jun 2006

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De nouveaux espaces publics urbains?Entre privatisation

des lieux publics et publicisation des lieux privés

Arnaud Gasnier

To cite this version:

Arnaud Gasnier. De nouveaux espaces publics urbains?Entre privatisation des lieux publics et pub-licisation des lieux privés. Urbanisme, Publications d’architecture et d’urbanisme, 2006, pp.70-73. �halshs-00078584�

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De nouveaux espaces publics urbains?

Entre privatisation des lieux publics et publicisation des lieux privés

Par Arnaud GASNIER Maître de Conférences de géographie sociale GREGUM-UMR ESO (Espaces et Sociétés) CNRS 6590 Université du Maine, Le Mans Plus qu’assister à la fin des espaces publics, il semble que nous vivons une nouvelle mutation de leurs conception et vocation. Reflets de la société d’aujourd’hui dans la manière de construire de l’interaction et de la vie collective, ces espaces représentant l'institution du commun par un système de règles implicites de propriétés mutuelles, jusqu’ici ouverts, supports d’usages sociaux, parfois de détournements d’usages et de pratiques polymorphes, se redessinent, d’une part à travers les logiques institutionnelles de régulation sociale, de redynamisation économique, de transformation urbaine des acteurs décideurs et concepteurs d’espace et, d’autre part, à travers les perceptions, représentations et aspirations des individus et des groupes qui fréquentent ces lieux collectifs et qui génèrent ainsi de l’urbanité. De cette mise en rapport entre acteurs institutionnels et usagers résultent trois processus à l’œuvre dans la reconfiguration de l’espace public aujourd’hui : les processus de normalisation, de privatisation et de marchandisation qui se construisent à la fois dans l’offre urbanistique et dans la demande sociale d’urbanité.

1 – Trois processus de changement

Tout d’abord, les espaces publics font l’objet de mises en normes et de contrôles de plus en plus importants : Caméras de surveillance omniprésentes dans les métropoles, lois anti-mendicité, interdiction d’accès aux SDF à certaines villes françaises pendant la saison touristique ou à certains quartiers de centre ville, règles de comportement adoptées sur les espaces publics par les TCM (Town Center Management), interdictions municipales de marcher et de s’allonger sur les pelouses d’un jardin public, de pratiquer le roller sur les places piétonnes, etc., participent de cette recherche de normalisation1, de vie urbaine sans conflit ni transgression, sans confrontation directe, comme si l’enjeu était bien d’aménager et de fréquenter un espace public animé mais préservé de tout danger ou risque, un espace a-social déconnecté de l'action et de la réaction pourvu qu’il soit lisse et esthétiquement beau2. C’est aussi aujourd’hui toute une partie de la population qui demande un contrôle social plus virulent aux pouvoirs locaux en réclamant par exemple plus de vigiles, un éclairage plus important la nuit ou encore l'enlèvement d'un mobilier urbain faisant l'objet de modes d’appropriation peu désirés par certains acteurs et groupes sociaux, comme si l’imprévisible, la différence, le non maîtrisable n’avaient plus leur place dans nos sociabilités.

Le processus de privatisation des espaces publics devient donc logiquement complémentaire à la normalisation ambiante et on ne peut s'empêcher de rapprocher ce phénomène de la question de l'enfermement résidentiel, de la sécurisation de l'habitat, du séparatisme et de la sécession sociale3.En effet, à l'image des communautés résidentielles plus ou moins fermées, de nouveaux espaces collectifs, mais de gestion privée, émergent dans la ville, accessibles et

1 M. Parazelli, 1995, L'espace dans la formation d'un potentiel de socialisation chez les jeunes de la rue. Cahier

de géographie du Québec, vol.39, n°107, pp.287-308.

2 M. Gravari-Barbas, 1998, Belle, propre, festive et sécurisante : l’esthétique de la ville touristique, Norois, tome 45, n°178, pp.175-193.

3 G. Billard, J. Chevalier, F. Madoré, 2005, Ville fermée, ville surveillée – la sécurisation des espaces résidentiels en France et en Amérique du Nord, coll. Géographie sociale, PUR, 232 pages.

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ouverts aux publics à condition de respecter les règles d'usage en vigueur et de se conformer au règlement du centre commercial, récréatif ou touristique géré par des entreprises privées de promotion immobilière ou de distribution commerciale.

D’un espace de consommation au sens large (consommer de la ville), les nouveaux espaces publics et la multiplication des espaces collectifs privés deviendraient des lieux de consommation stricte (consommer un produit scénographié) : parcs ludiques et récréatifs tel Odysséum à Montpellier, market places issus d’opérations de régénération urbaine (Bercy Village à Paris, Covent Garden à Londres, etc.), centres commerciaux de mall ou à ciel ouvert au façadisme exacerbé (Vallée Village du Val d’Europe) ou jardins issus de programmes de requalification ou de rénovation urbaine (Bordeaux, Sénart), illustrent les nouveaux lieux de consommation urbaine pour lesquels les notions d’espace public et privé s’imbriquent, deviennent floues et emmêlent dans un grand tourbillon la vraie ville et le pastiche, la réalité et l’artefact, le local et l’exotique. Peut-être est-ce d’ailleurs le vécu de ces contrastes que les citadins et péricitadins recherchent aujourd’hui dans leur manière de pratiquer la ville ?

2 – Les nouveaux lieux de chalandise, témoins des mutations comportementales et spatiales des consommateurs

Les consommateurs, au sens large, citadins – citoyens, articulent la relation besoins/plaisirs sur des aspirations nouvelles, reflets de modalités d’appréhender le rapport aux autres, à la cité, à la société qui passent tout d’abord par la recherche de nouveaux univers de chalandise puis par la fréquentation, l’attrait de nouveaux lieux de consommation.

En effet, la recherche de ces nouveaux environnements de consommation s’appuie sur trois points particuliers : la sécurisation des espaces ouverts au public, la maîtrise de son environnement récréatif, la diversité des choix et des ambiances.

La demande de contrôle des lieux publics ou des espaces collectifs privés des citadins - consommateurs, par le biais politique des contrats locaux de sécurité ou technique des caméras de surveillance, des agences privées de gardiennage ou des conceptions de lieux très ouverts et très éclairés, participe à la fois d’un double mécanisme de sécurisation, par rapport aux peurs des autres et des maux largement médiatisés de la société, mais aussi de socialisation. Effectivement, fréquenter un espace collectif vidé de tout risque d’agression, de violence ou seulement de gênes diverses, représente un gage de réassurance et de régulation qui permet de mieux contrôler son environnement de proximité, son univers de chalandise et de loisirs tout en ayant l’impression de mieux maîtriser ses relations d’interconnaissance. Certes, pour certains centres commerciaux couverts et fermés physiquement ou à ciel ouvert mais aux entrées-sorties régulées par des grilles pouvant se refermer à tout moment, de plus en plus d’individus et de groupes sociaux participent de ce mouvement, non pas d’auto-enfermement, au sens résidentiel du terme, mais de confinement de pratiques récréatives et de chalandise dans un lieu aux rôles et aux fonctions clairement établies. Face à cette liberté d’usage consignée, seuls la pluralité des ambiances plus ou moins artificielles évoquant des évasions géographiques, historiques, la mixité des fonctions (chalandise, services ludiques, sportifs, culturels), les environnements architectural, écologique ou patrimonial permettent d’apporter aux néo-consommateurs l’évocation de mises en scène multiples et d’une urbanité ancrée dans le cadre de pratiques sociales de l’espace public de plus en plus standardisées. Alors, ce rapport social à l’offre d’espaces collectifs publics et privés dessine trois types d’espace de consommation porteurs de valeurs spécifiques, reflets de niches marketing et géographiques très ciblées aujourd’hui : les valeurs patrimoniales, théâtrales et écologiques appliquées aussi bien aux centres anciens que dans les récents pôles de centralité suburbains et périurbains.

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2 – 1 – La vocation patrimoniale : Bercy Village à Paris

L’environnement et la localisation du centre commercial en centre ancien deviennent de plus en plus des facteurs de différenciation et de distinction intégrés par les promoteurs et recherchés par les enseignes à l’exemple de la galerie du Louvre à Paris ou du centre commercial de Meadow Hall implanté dans une ancienne friche industrielle à Sheffield. Aussi, sur la rive droite de la Seine, l’opération de Bercy, achevée en 1998, vise à réintégrer 51 hectares de friches d’entrepôts vinicoles dont la Ville de Paris était propriétaire dans la dynamique du centre parisien. Le projet se décomposait en trois parties : un parc de 13 hectares, un ensemble résidentiel de 1200 logements et une cité d’affaires dont les 92000 m2 de Bercy Expo et le centre commercial récréatif de Bercy Village figuraient parmi les principaux moteurs du projet. A cet égard, le groupe de promotion commercial Altaréa a conservé, dans le douzième arrondissement de Paris, le long du cours Saint-Emilion, les 39 chais d’origine, autrefois destinés à stocker le vin distribué ensuite sur la place de Paris, qui donnent à l’ensemble un air de place de village. Par son traitement architectural et son ancrage dans l’histoire locale, le centre commercial de Bercy Village, ouvert en 2001, n’est pas sans rappeler les fondements des festival market places américaines : architecture ancienne restaurée, mise en valeur d’éléments d’historicité (pavés du cours Saint-Emilion, façades en pierre) et rajouts de fantaisies pour mieux appuyer encore l’idée d’un haut lieu du patrimoine parisien (disposition de barriques en bois rappelant le stockage des fûts de vin, présence d’un wagon rappelant la vocation de lieu d’échanges et de négoce du site, salles d’exposition de scènes urbaines parisiennes anciennes évoquant le riche passé parisien. Les enseignes présentes ici doivent jouer le jeu et ne proposer aux « bobos » (bourgeois bohèmes) que des produits spécifiques, copies d’anciens ou non, que l’on ne trouvera qu’à Bercy Village. D’ailleurs, la nouvelle chaîne de magasins « Résonances » fonde l’originalité de l’enseigne sur son offre de produits issus « du patrimoine ou inspirés des métiers et des

traditions d’autrefois ». Ce centre commercial privé, aux amplitudes d’ouverture très larges

en semaine et restant ouvert le dimanche jusqu’à ce que les grilles d’entrée se referment tard le soir, reste organisé sur la reconstitution d’une rue animée par les terrasses de cafés restaurants, les enseignes et les services de loisirs mais néanmoins très surveillée par caméras et vigiles interposés. Enfin, multiplexe, et Club Med Word permettent de s’évader à moindre coût et de côtoyer les « GO » (Gentils Organisateurs) sans voyager !

2 – 2 – La vocation théâtrale : Roubaix 2000, Val d’Europe et Ville-Port à Saint-Nazaire

En 1995 est lancée une étude d’orientation d’un projet de requalification face à la déshérence commerciale du centre ville de Roubaix (perte de plus de 30000 m2 de surfaces de vente) d’une part, à la désindustrialisation et à la crise de l’activité textile d’autre part. Les objectifs principaux de l’opération roubaisienne consistent alors à lutter contre la dégradation du bâti, à recréer de l’emploi (tertiaire), à faire revenir de la population solvable dans le centre ancien et à changer l'identité négative de la ville. Le schéma de référence, actuellement en cours, s’organise sur deux volets, l’un basé sur des aménagements et des équipements publics, l’autre sur des équipements commerciaux :

Cette opération de régénération urbaine est le résultat d’une réelle politique incitative des pouvoirs publics capable d’attirer des investisseurs privés : une ligne de métro Lille Roubaix Tourcoing draine plus de 50000 voyageurs par jour, des espaces publics retraités, végétalisés (plantation d’arbres de 30 ans d’âge et de 12 mètres de haut), l’ouverture du musée du textile dans une piscine Ardéco (musée La Piscine) à la gloire de la symbolique économique de la ville et le projet du quartier des modes (mise à disposition de boutiques à de jeunes créateurs) montrent le réinvestissement des acteurs publics suivi par les promoteurs immobiliers de commerces, de bureaux et de logements.

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Le volet commercial, quant à lui, a tout d’abord pour finalité de démolir une friche commerciale des années 1970, une ancienne grande surface bunker (Auchan) de 60 mètres de long sur 15 mètres de large, un centre commercial qui avait complètement bouché la rue de Lannoy, vieille rue commerçante du centre roubaisien à l’emplacement de laquelle, en zone franche, un mail commercial à ciel ouvert de 15000 m2 (Mac Arthur Glen), réalisé en 1999, offre un espace privé, contrôlé par des caméras de surveillance et des équipes de police municipale, à des clientèles aisées de la conurbation nordiste et de Belgique. Un peu plus loin, un gros supermarché (Géant Casino) et un multiplexe cinématographique complètent ce dispositif d’équipement. Si ce factory outlet center Mac Arthur Glen demeure, comme Bercy Village, une reconstitution de la rue fermée par des grilles à partir de 20 heures du soir mais prolongeant l’espace public dans la journée, il se différencie de celui-ci par l’application des principes du façadisme et du décor avec ses copies de maisons flamandes en carton pâte, ses faux premiers étages et faux balcons. Ces mêmes principes de reconstitution théâtrale se retrouvent dans les galeries marchandes du Val d’Europe à Marne-La-Vallée où l’on cherche à recréer l’ambiance des passages parisiens et des serres d’Auteuil. Le mall de 63500 m2, ouvert en 2000 et financé pour partie par la Disney Company ne représente que la première partie du programme d’aménagement d’un nouveau pôle de centralité pour la ville nouvelle de Marne-La-Vallée après l’installation d’un factory outlet center (La Vallée Shopping Village) et d’un aquarium (Sealife). Alors, en centre ville ancien requalifié ou en ville nouvelle, les nouveaux espaces collectifs semblent bien être conçus comme des théâtres dans lesquels décors et figurants prennent place, ces derniers étant invités à représenter le meilleur spectacle d’eux-mêmes en consommateurs silencieux, dociles et soumis. La mixité sociale de fréquentation de ces lieux ouverts de gestion privée est cependant visible, il s’agit même d’un objectif à part entière pour Roubaix, mais sous contrôle permanent d’autant plus que le centre d’usine Mac Arthur Glen reste proche de quartiers sociaux sensibles environnants.

Enfin, la vocation théâtrale d’une opération de requalification urbaine, pour laquelle la maîtrise d’œuvre reste publique, peut déborder largement le cadre d’une action de reprise d’espace intra-quartier ou de cœur d’îlot et concerner des territoires plus vastes. D’ailleurs, la première étape du projet de revalorisation du secteur portuaire de Saint-Nazaire autour de la base sous-marine consiste depuis 1983 à recréer du lien avec le centre ville et à régénérer un secteur industriel en crise par la fixation sur le front de mer d’animations touristiques et culturelles. Parmi ces dernières, on peut citer les fêtes de la mer devenues les Escales, la mise en lumière du port par Yann Kersalé (appelée nuit des docks), l’Ecomusée, la visite du sous-marin Espadon, la terrasse panoramique au-dessus de la base et la visite des chantiers de l’Atlantique. Il s’agit bien encore ici de donner la ville en spectacle sur fond de grues et de paquebots illuminés mais surtout en intégrant la base sous-marine, jusqu’ici désaffectée, dans le plan de régénération urbaine de Saint-Nazaire à partir de 1994. La base sous-marine devient donc l’emblème de l’opération Ville-Port puisqu’elle sert d’infrastructures d’accueil à de nouveaux équipements culturels et de loisirs, commerces, cafés, office du tourisme, services publics récréatifs. A ce sujet, « Escale Atlantique », équipement public inauguré au printemps 2000, vise à mettre en scène la vie et de la légende des paquebots construits dans les chantiers navals locaux : à côté du spectacle de reconstitution, décors, sons, images réinventent la vie maritime des croisières transatlantiques, comme pour mieux imprégner les esprits de repères identitaires formels aux perceptions positives et les mémoires du savoir-faire de Saint-Nazaire dans la construction navale.

2 – 3 – La vocation écologique : Le Carré Sénart et les jardins des quais de Bordeaux

Au cœur de la ville nouvelle de Sénart, à 30 kilomètres au sud est de Paris, un carré végétal d’1.4 kilomètres de côté a tout d’abord été dessiné sur la commune de Lieusaint avant qu’un vaste mall commercial d’inspiration écologique, d’après les discours institutionnels, ne

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s’y implante depuis 2002, premier élément d’un nouveau centre dans une ville nouvelle éclatée qui en était jusqu’ici dépourvue. D’ailleurs, l’ensemble du périmètre de 22 hectares est totalement arboré ; 1200 arbres dont 500 de plus de 10 ans, 50000 plantes et arbustes ont été plantés sans compter les 2500 tilleuls qui ceinturent le Carré. Un verger, une allée des senteurs, un arboretum implanté le long des parkings du centre commercial et le creusement d’un canal (et prochainement d’un second) le long de l’allée royale Louis XV, dont on ne cesse de mettre en avant l’historicité et la grandeur patrimoniale, complètent ce dispositif. Enfin, une éolienne de 40 mètres de haut et un module de cogénération permettent l’autoproduction d’électricité et la récupération de chaleur. L’éclairage des espaces ouverts au public est réalisé grâce à 2600 points lumineux par fibre optique et, pour le traitement des déchets, 3 compacteurs et un broyeur éliminent les déchets quotidiens tandis que le carton est trié et valorisé par trois presses à balles, le verre collecté et recyclé par l’intermédiaire d’une benne de 15 m3. Si les discours sur les valeurs de la consommation vantent le traitement écologique et environnemental du site, il n’en demeure pas moins que ce mall et le traitement des espaces collectifs demeurent de facture architecturale et conceptuelle très classique et standard.

Dans un autre contexte urbain, à l’échelle du centre ville et d’une partie du péricentre bordelais, « les jardins des quais » à Bordeaux dont la fin des travaux est prévue, selon les tronçons, entre fin 2006 et fin 2007, résultent d’une volonté politique de requalifier les berges de la Garonne en choisissant quelques hangars patrimonialisés, l’art des jardins et l’espace public comme éléments de transition urbaine entre la ville et le fleuve. Avant le lancement d’un concours architectural en 2000, de nombreux hangars furent démolis (le dernier en 2001) afin de dégager l’espace des quais et mieux circonscrire les nouveaux projets de réappropriation urbaine sur les 3.5 km. de la rive gauche bordant le centre ville : à de nombreux parcs paysagers bordant les nouvelles lignes du tramway, skate parc, restaurants, terrasses, guinguettes, espaces de promenade et d’exposition, succéderont bientôt activités commerciales, tertiaires et culturelles dans la dernière partie qui s’étend du cours du Médoc aux bassins à flot. Ces dernières sont liées à la réhabilitation des hangars 15 à 19 donnés en concession par le port autonome, après transfert de gestion à la CUB et à un développeur immobilier (EFAG) pour y aménager des espaces de bureaux, de commerce et des parkings. Nous sommes ici en présence d’une succession linéaire permanente entre un espace public végétalisé ou minéral à caractère hygiéniste dont certaines sous-parties sont données en concession à des établissements privés pour des usages spécifiques, tel celui de la restauration, et des espaces collectifs de gestion privée occupant sur du long terme d’anciens entrepôts de stockage de marchandises.

Conclusion : Quels risques et dérives ?

D’une opération à une autre, le traitement des espaces ouverts aux populations demeure assez identique qu’ils appartiennent aux domaines publics ou privés. Dans une même opération d’aménagement, la distinction des espaces collectifs entre eux devient de plus en plus difficile tant ils sont imbriqués, successifs et continus. Pourtant, la confusion s’atténue brutalement lorsque les portes des rues ou allées privées se referment et interrompent le cheminement continu des usagers, piétons, cyclistes, flâneurs et résidents du quartier. Parmi les principales menaces observées, nous pouvons noter trois grands risques et deux dérives : les risques de ségrégation sociale, de fragmentation et de standardisation urbaines d’une part, et les dérives liées à des volontés fortes de chercher à déterminer l’urbanité et à mythifier les mémoires, d’autre part.

Tout d’abord, la ségrégation sociale dans l’accès à ces nouveaux espaces de consommation tend à se renforcer en raison, pour les populations captives, de l’impossibilité d’accéder à ces lieux de vie collective autrement que par l’automobile (corridors commerciaux aux entrées de

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ville ou le Carré Sénart par exemple), et de l’émergence de lieux de consommation élitiste pour populations aisées et « bobos », à l’exemple de Bercy Village ou de la Vallée shopping Village du Val d’Europe. Cette tendance à la ségrégation est très bien illustrée par l'opération des Docklands de Londres, où le phénomène de gentrification a été radical, les quartiers populaires du East-End londonien ayant souvent été transformés en quartiers résidentiels haut de gamme. Il en est de même pour les quartiers des Chartrons et Saint-Pierre situés le long du waterfront bordelais requalifié.

La connotation idéalisée et porteuse du village est prégnante aujourd’hui dans la redéfinition des lieux de consommation. Elle favorise sans doute la fragmentation intra-quartier en séparant, à l’exemple de Roubaix 2000, le paysage urbain requalifié du centre ville et celui du centre d’usine au décorum vaguement flamand. Aussi, le stéréotype gagne ces nouvelles générations de centres. Le risque de construire des bulles aseptisées, normées et contrôlées est bien réel tout autant que la déconnexion du quartier dans lequel elles sont implantées ; le Club Med World de Bercy Village n’est pas conçu pour attirer les résidents riverains qui, pour une partie d’entre eux, ont formé une association de défense, Bercy 2000, pour demander un pôle de centralité de quartier et non un pôle touristique régional, voire international.

Quant aux côtés marchand et artificiel de ces aménagements dits standardisés, souvent décriés d’ailleurs, il convient de nuancer quelque peu ces ambivalences. En effet, même si nous vivons sous le règne de la ville franchisée4, il convient de bien mesurer le fait que la logique commerciale a toujours imprégné la cité et a continuellement prolongé l’espace public. Alors, plus qu’à une marchandisation à outrance de la ville, n’assistons-nous pas peut-être davantage à une humanisation, à une resociabilisation et à une redynamisation de zones urbaines monofonctionnelles afin de les rendre plus qualifiantes et agréables à vivre : intégration de services ludiques dans les zones commerciales, de commerces « de transit » dans les aéroports, dans les gares et sur les aires d’autoroute, d’activités marchandes dans les quartiers en déshérence et dans les campagnes en perte de vitesse ? En fait, le véritable problème est lié à la recherche d’équilibre entre le marchand et le non marchand, entre le public et le privé, l’ouvert et le fermé, le civil et l’incivil, le réel et l’artificiel, etc. Quant à l’artifice, s’il concerne certes le décor architectural de certains équipements de consommation qui copient la vraie ville, il ne s’applique pas au champ bien réel des pratiques urbaines et des espaces vécus par les populations sans doute plus diversifiés qu’il n’y parait au premier abord. Aussi, loin de se cantonner dans les univers de la consommation de luxe, les nouvelles spécialisations de ces lieux de consommation incluent, en certains points et équipements, des offres à prix moyens et bas prix, pourvu qu’elles soient connotées aux valeurs recherchées par certains groupes sociaux, d’âge et de classe : les jeux de l’apparence – imitation, évitement, compétition – se sont élargis, parallèlement à l’extension des consommations de masse, à de nouveaux groupes sociaux dont le champ spatial des pratiques n’est pas indifférent à la fréquentation de ces nouveaux espaces publics pourtant de plus en plus normés.

Enfin, les véritables dérives sur le plan social demeurent liées aux actions qui consistent à penser l’urbanité dans la centralité5 en limitant au maximum la liberté d’usage spatial et social dans les nouveaux espaces collectifs urbains où la transgression, le détournement d’usage voire l’appropriation deviennent quasiment impossibles ou automatiquement réprimés. Cette vision obtuse d’une certaine conception de l’urbanité générée sur les espaces publics tend à devenir alors un principe politique et économique de régulation écrasant et de refondation

4 I. Barraud-Serfaty, 2005, Capitales et capitaux : l’entreprise urbaniste ? Urbanisme, n°344, sept.oct, pp.68-70.

5A. Gasnier, 1994, Centre ville, urbanité et jeunes : de la conception de l’aménagement à son usage spatial.

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identitaire remarquable. En effet, réaménager l’espace public, réutiliser des lieux désaffectés, en friche ou non, pour y implanter de nouvelles activités commerciales et de services, participent à gommer parfois des siècles ou des décennies d’enracinement, d’espaces vécus au sein de quartiers populaires et industriels qui ne correspondent plus aujourd’hui à l’image que l’on se fait d’un pôle de centralité digne de ce nom. Le marketing de la mémoire6, souvent revisitée et idéalisée, devient alors un moyen redoutable de réappropriation urbaine et sociale, à Saint-Nazaire, Roubaix, Bordeaux ou ailleurs.

6 V. Veschambre, 2000, Une mémoire urbaine socialement sélective, réflexions à partir de l’exemple d’Angers, Annales de la recherche urbaine, n°92, pp.65-73.

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