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"Rapprocher l'école et la vie ?" Une histoire des réformes de l'enseignement en Russie (1918-1964)

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(1)

HAL Id: halshs-01260247

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01260247

Submitted on 2 Oct 2019

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réformes de l’enseignement en Russie (1918-1964)

Laurent Coumel

To cite this version:

Laurent Coumel. ”Rapprocher l’école et la vie ?” Une histoire des réformes de l’enseignement en Russie (1918-1964). Presses universitaires du Mirail, 2014, 978-2-8107-0313-5. �halshs-01260247�

(2)

Laurent Coumel

« Rapprocher l'école et la vie » ?

Une histoire des réformes de l’enseignement en Russie soviétique

(1918-1964)

COUVERTURE :

LÉGENDE DE L’IMAGE DE COUVERTURE :

« APPRENDRE PAR LA VIE, APPRENDRE POUR LA VIE » : affiche de propagande soviétique en l’honneur Plan septennal (1959-1965) lancé par Nikita Khrouchtchev, début des années 1960 (collection et photographie de l’auteur).

De gauche à droite, les chiffres correspondent aux effectifs en Union soviétique, en 1958 puis en 1965, dans l’enseignement primaire (à gauche) et secondaire (au centre), en millions d'élèves, et supérieur (à droite), en milliers d’étudiants.

PRÉSENTATION :

Cet ouvrage est issu d’une thèse de doctorat soutenue le 26 mars 2010 à l’Université Paris 1, devant un jury composé de Marie-Pierre Rey (directrice de recherche), Martine Mespoulet (rapporteur), Christophe Charle (président du jury), Yves Cohen et Nicolas Werth (rapporteur). Quelques ajouts et modifications ont été apportés au texte original, ainsi que des corrections mineures. Les annexes (sources, bibliographies, textes et notices biographiques) ne sont pas publiées avec le corps du texte, mais elles sont accessibles dans leur intégralité, à l’exception de certains documents iconographiques, sur le site du Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen : http://www.cercec.fr/ .

(3)

SOMMAIRE

Liste des sigles et acronymes utilisés...7 Ordre hiérarchique, traduction et équivalence de quelques grades, titres et fonctions...10 ...13 INTRODUCTION :

L’école russe et soviétique entre héritage et changement...14 I)1958, apogée du débat sur l’enseignement en URSS...15 II)Une historiographie parcellaire et parfois biaisée...19 III)L’abondance des sources,

une chance et un risque pour le chercheur...24 IV)Plan indicatif :

trois moments de l'école russe et soviétique au XXe siècle...28 PREMIÈRE PARTIE :

LES HÉRITAGES. L’ENSEIGNEMENT SOVIÉTIQUE ENTRE IDÉOLOGIE ET

PRAGMATISME (1918-1958)...33 CHAPITRE 1 :

LES BOLCHEVIKS À L’ÉCOLE :

POLYTECHNISATION ET PROLÉTARISATION (1918-1954)...36 I) La polytechnisation des années 1920,

entre chimère idéologique et controverses pédagogiques...38 II) La prolétarisation interrompue : ouvriers et kolkhoziens dans l’enseignement supérieur et technique...52 III) L’école sous Staline, une restauration pédagogique...63 Conclusion :

En Russie, la révolution scolaire inachevée...78 CHAPITRE 2 :

L’ÉCOLE SECONDAIRE A DES DIFFICULTÉS :

ACTEURS ET PROBLÈMES VUS DU CENTRE (1955-1958)...81 I)L’appareil de l’État-Parti et l’enseignement :

quelques parcours significatifs...82 II)Les autorités débordées par la massification...87 III) La crise du recrutement de la « main-d’œuvre productive », une autre conséquence de la déstalinisation ...93 III)Un premier jet khrouchtchévien : les écoles-internats ou l’utopie communiste au pouvoir ...102 Conclusion :

la tentation d’une « révolution par en haut »...113 CHAPITRE 3 :

L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR PEUT MIEUX FAIRE :

LES LACUNES DE L’UNIVERSITÉ ET LE TOURNANT DE 1956...116 I) Lieux et acteurs décisionnels : une forte inertie...117 II) Quels « cadres » pour le pays ?

L’organisation des études en question...122 III) L’agitation étudiante de la fin 1956 et sa portée...133 Conclusion :

la démocratisation du supérieur, enjeu de la déstalinisation...147 CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE :

(4)

DEUXIÈME PARTIE :

UNE DÉCISION CONTESTÉE. DISCUSSIONS ET MODALITÉS D’ADOPTION DE LA

PERESTROÏKA DE 1958...151

CHAPITRE 4 : PÉDAGOGUES ET UNIVERSITAIRES EN PLEIN DÉGEL (1955-1958)...152

I)Ouverture et débats dans la pédagogie secondaire...153

II)Des universitaires face à la « refondation »...166

Conclusion : Le réveil des « non-conformistes intégrés » et ses limites...189

CHAPITRE 5 : UN LANCEMENT COMPLIQUÉ : L’IMPULSION DE KHROUCHTCHEV ET LA RIPOSTE DES TECHNOCRATES ...191

I)Contexte et mobiles du volontarisme scolaire...191

II)La refondation, premier acte : vers un changement radical...203

III)La réplique de l’appareil du Comité central : les réunions de septembre 1958...213

Conclusion : Le projet khrouchtchévien revu et corrigé...227

CHAPITRE 6 : LA « DISCUSSION GÉNÉRALE » DE L’AUTOMNE 1958, MANIFESTATION D’UN PLURALISME AU GRAND JOUR...229

I)Le « Dégel » pédagogique s’imprime dans les journaux...230

II)L’affirmation de « groupes d’opinion »...244

III)Les « savants », acteurs majeurs de la refondation...258

CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE : UN CONSENSUS TECHNOCRATIQUE ET L’ÉMERGENCE D’UNE « OPINION »...275

TROISIÈME PARTIE : UNE APPLICATION INACHEVÉE RÉSULTATS ET PERCEPTIONS DE LA REFONDATION SCOLAIRE ET UNIVERSITAIRE EN RUSSIE (années 1960)...276

CHAPITRE 7 : L’ÉCOLE SECONDAIRE ÉCLATÉE : FAIBLE POLYTECHNISATION ET FORTE DIVERSIFICATION...277

I)Une école enfin polytechnique ?...278

II)L’essor des « écoles spéciales » : une vision alternative élitiste ...295

Conclusion : Échec du projet khrouchtchévien et apparition d’un nouveau « coin de liberté »...309

CHAPITRE 8 : UN ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ÉPARGNÉ : REPRODUCTION SOCIALE ET SUCCÈS DES SAVANTS...311

I)Une fausse démocratisation...312

II) Un « rapprochement avec la vie » illusoire et critiqué...323

II)La vision alternative des savants : renforcer le lien entre recherche et formation...333

Conclusion : Vers une « recherche et développement » à la russe ?...346

(5)

CONCLUSION DE LA TROISIÈME PARTIE :

UNE REFONDATION INABOUTIE ET AUSSITÔT DÉPASSÉE...348

CONCLUSION GÉNÉRALE : Le projet éducatif soviétique, victime du Dégel...350

ANNEXE I : SOURCES...359

ANNEXE II : BIBLIOGRAPHIE...93

ANNEXE III : TEXTES...122

ANNEXE V : GRAPHIQUES...93

ANNEXE VI : TABLEAUX SYNOPTIQUES...95 ANNEXE VII : NOTICES BIOGRAPHIQUES

(6)

Remerciements

Je remercie Luis Gonzalez Fernandez et les Éditions Méridiennes pour avoir accepté de publier ce travail universitaire, ainsi que ma directrice de thèse Marie-Pierre Rey et le Centre de recherches sur l’histoire des Slaves (CRHS) de l’Institut Pierre Renouvin, pour avoir apporté un soutien financier à cette publication...

… et je remercie le Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen pour avoir accepté d’héberger sur son site les annexes (http://www.cercec.fr/).

Je suis reconnaissant à ma directrice de recherche, et de façon générale à celles et ceux qui, en France et en Russie, m’ont permis d’aller au bout de ce travail, notamment :

- ma mère Marie-José Coumel, mon père Jean Coumel, Benjamin Guichard, Marc Élie et Valérie Pozner, mais aussi Ekaterina Pičugina, pour leurs relectures et leurs remarques précieuses ;

- Alexis Berelowitch, Alain Blum, Juliette Cadiot, Françoise Daucé, Marie-Hélène Mandrillon, Martine Mespoulet, Nathalie Moine et Nicolas Werth pour leurs conseils et leurs séminaires, en particulier au Centre franco-russe de recherches en sciences sociales et humaines à Moscou, lieu irremplaçable pour un doctorant « en exil » ; - les archivistes et les bibliothécaires de Moscou et de Nijni Novgorod, en particulier

Lûdmila Kiseleva au GARF et Galina Tokareva au RGASPI-M ; Tatiana Ossetrova au Centre franco-russe de Moscou ; Carole Ajam et Catherine Penin du secteur russe à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine de Nanterre ;

- les chercheurs des instituts d’histoire universelle de l’Académie des sciences et de l’Université de Moscou qui m’ont accueilli et aidé, notamment pour la langue russe, en particulier Elena Lâpustina et Sergej Stepancov ainsi que Dimitri Gutnov ;

- mes enseignants de russe, en particulier ceux de l'INALCO et de l’Institut Pouchkine ; - Christophe Barthélémy, Julie Bellenger, Vincent Casanova, Frédérik Detue,

Grégory Dufaud, Cristobal Dupouy, Mischa Gabowitsch, Malte Griesse,

Arielle Haakenstad Bianquis, Kostas Katsakioris, Andreï Kozovoï, Anne Kropotkine, Hervé Lemesle, Corine Nicolas, Bella Ostromoukhova, Suzanne

Pourchier-Plasseraud, Michel Tissier, Larissa Zakharova, et d’autres... avec qui j’ai partagé les moments de doute mais aussi de joie propres au travail doctoral ;

- mes collègues de l’Université Paris 1 et en particulier de l’UMR IRICE (dont Françoise Mérigot et Sandrine Maras pour leur gentillesse et leur disponibilité), du Master d’études internationales Sciences Po-MGIMO et du Collège universitaire français de Moscou (en particulier Nadejda Bountman et Ludmila Pimenova, mais aussi Angelina Choubina, Serguei Petounine, et le regretté Oleg Sabytov)

- ainsi que ceux des lycées Eugène Hénaff à Bagnolet et Eugène Delacroix à Drancy ; - enfin, tous mes proches pour leur patience et leur soutien, en France comme en

(7)

Liste des sigles et acronymes utilisés

1

agit-prop = agitation et propagande

AMN SSSR = Académie des sciences médicales d’URSS* AN (SSSR) = Académie des sciences (d’URSS*)

APN = Académie des sciences pédagogiques de RSFSR* (après 1966 : d’URSS*)

Buro RSFSR = Bureau du CC* du PCUS* pour la RSFSR* (existe de 1956 à 1966)

CC = Comité central (du VKP(b)*, du PCUS*, du Komsomol*, du VCSPS*, etc.)

CHIITMAŠ = Institut central de recherche scientifique en technologie et en construction de machines (fondé en 1929)

CSU (SSSR) = Direction centrale de la statistique (d’URSS*)

fizmatškola = école-internat spécialisée en physique et en mathématiques (créées en 1963)

FZO = école d’apprentissage de fabrique-usine (dans le système du GUTR*)

FZU = collège d’apprentissage de fabrique-usine (dépendant des sovnarhoz après 1957) GGU = université d’État de Gorki / Nijni Novgorod (fondée en 1916)

gorkom = comité de ville (du parti, des syndicats ou du Komsomol)

gorono = département de ville de l’Instruction publique (rattaché au Minpros*)

Gosplan = comité d’État au plan (d’URSS* s’il n’y a pas de précision) GUTR = Direction principale des Réserves de main-d’œuvre

Komsomol = Union des jeunesses communistes, acronyme donné au VLKSM*

LG = Literaturnaâ gazeta (« Journal littéraire », organe de l’Union des écrivains d’URSS)

LGU = université d’État de Leningrad (fondée en 1724)

MEI = Institut énergétique Molotov de Moscou (après 1957 : Institut énergétique de Moscou)

Mémorandum = note (zapiska) de Nikita Khrouchtchev au Présidium du CC du PCUS*,

publiée le 21 septembre 1958 sous le titre « Sur le renforcement des liens entre l’école et la vie, et le développement futur du système d’enseignement dans le pays »

MFTI = Institut physico-technique de Moscou (VUZ* fondé en 1951)

MGPI Potëmkin = Institut pédagogique Potëmkin de la ville de Moscou (de 1946 à 1960) MGPI Lénine = Institut pédagogique d’État Lénine de Moscou (fondé en 1930)

MGU = université d’État Lomonossov de Moscou (fondée en 1755) MID = ministère des Affaires étrangères d’Union soviétique

MIFI = Institut d’ingénierie physique de Moscou (VUZ* fondé en 1946)

Minpros = ministère de l’Instruction (de RSFSR* ou d’une autre république fédérée)

MOPI = Institut pédagogique Krupskaâ de l’oblast’ de Moscou MTS = station de machines et de tracteurs (supprimées en mars 1958)

MV(SS)O SSSR = ministère de l’Enseignement supérieur (et secondaire spécial) d’URSS*, créé en 1946, change de nom et perd une partie de ses attributions en 1959 (jusqu’en 1988) MVSSO RSFSR = ministère de l’Enseignement supérieur et secondaire spécial de RSFSR*,

créé en 1959 (prenant certaines attributions du MVO SSSR), il existe jusqu’en 1990 MVTU = Collège supérieur technique Bauman de Moscou (VUZ* fondé en 1830)

narkom = commissaire du peuple (équivalent de ministre, avant 1946) Narkompros = commissariat du peuple à l’Instruction (de RSFSR*)

obkom = comité d’oblast’ (région administrative) du parti, des syndicats ou du Komsomol oblono = département d’oblast’ de l’Instruction publique (rattaché au Minpros*)

1 NB : Les sigles désignant les centres d’archives sont indiqués dans les sources, en annexe. Certains acronymes

comme « agit-prop », « Gosplan » et « Komsomol » ne sont pas mis en italiques, en vertu de leur emploi courant en français. Les astérisques marquent les sigles et acronymes ayant une entrée dans la présente liste.

(8)

Otdel nauki = Département de la science, des VUZ* et des écoles du CC du PCUS* (existe

sous cette forme de 1956 à 1962 ; a succédé aux Départements de la science et des VUZ* (1951-1952, 1955-1956), de la science et de la culture (1953-1955) et des écoles (1951-1956), les trois étant désormais regroupés, et séparés de la culture)2

Otdel nauki RSFSR = Département de la science, des écoles et de la culture du CC du PCUS

pour la RSFSR (existe de 1956 à 1962 ou 1963)

NGU = université d’État de Novossibirsk (fondée en 1958, ouverte en 1959)

Pionniers = membres de l’organisation de jeunesse du même nom (1922-1991), dépendant du Komsomol* et ouverte aux écoliers volontaires de 9 à 14 ans

partkom = comité du Parti (dans un institut d’enseignement ou de recherche)

PCUS (ou « Parti ») = Parti communiste d’Union soviétique (avant 1952 : VKP(b)*)

Profsoûz = syndicat (voir aussi VCSPS*)

PTU = collège professionnel et technique (désigne les établissements du GUTR*)

rabfak (pluriel : rabfaki) = faculté ouvrière (existent de 1920 à 1940)

rajkom = comité de rajon (district, arrondissement administratif) du parti, etc.

RSFSR = République socialiste fédérative soviétique de Russie (la principale république fédérée composant l’URSS* de 1918 à 1991)

RU = collège de métier (dans le système du GUTR*)

SHU = collège d’apprentissage d’agriculture (dépendant des sovnarhoz après 1957) SNO ou NSO = Société scientifique étudiante (au sein des VUZ*)

SO AN SSSR = Département sibérien de l’AN SSSR* (créé en 1957)

sovnarhoz (ou sovnarkhozes) = conseils de l’économie nationale (existent de 1957 à 1965) Sovnarkom = Conseil des commissaires du peuple (nom du CM* avant 1946)

SSUZ = établissement d’enseignement secondaire spécial

Thèses = « Thèses du CC* du PCUS* et du CM* de l’URSS* sur le renforcement du lien

entre l’école et la vie », publiées le 16 novembre 1958

URSS = Union des républiques socialistes soviétiques ou « Union soviétique » (État constitué de plusieurs entités : républiques fédérées dont la RSFSR*, en théorie souveraines mais dans les faits inféodées à la tutelle centrale de Moscou, républiques autonomes, régions autonomes, qui a existé de 1918 à 1991)

VAK = Commission d’attestation supérieure (du MVO SSSR*)

VASHNIL = Académie Lénine des sciences agricoles de toute l’Union

VCSPS (ou « Union des syndicats ») = Union centrale des syndicats de toute l’Union VKP(b) = Parti communiste (bolchevik) panrusse (après 1952 : PCUS*)

VLKSM = Union communiste léniniste de la jeunesse de toute l’Union, ou Komsomol*, organisation ouverte aux jeunes volontaires de 14 à 28 ans (de 1918 à 1991)

(9)

VSSUZ (pluriel) = établissements d’enseignement supérieur et secondaire spécial VTUZ = établissement d’enseignement supérieur technique3

VUZ = établissement d’enseignement supérieur

(10)

Ordre hiérarchique, traduction et équivalence de quelques

grades, titres et fonctions

Dans les VUZ*

Recteur (rektor) = président d’université / Directeur (direktor) = directeur d’institut

Prorecteur (prorektor) = président adjoint / Directeur adjoint (zamestitel’ direktora) d’institut Doyen (dekan) = recteur de faculté

(11)

Professeur (professor) = professeur

Docent = maître de conférences

Doktor nauk = « docteur » ès sciences (grade nécessaire pour être professeur) Kandidat nauk = « candidat » ès sciences (grade nécessaire pour être docent) Aspirant = doctorant / aspirantura = doctorat pour l’obtention du grade de kandidat Dans les Académies des sciences

Président d’académie Membre du Présidium

Académicien-secrétaire (akademik-sekretar’) = chef de Département (AN SSSR) Académicien

(12)

Membre correspondant (člen-korrespondent)

Collaborateur scientifique, chercheur (naučnyj rabotnik)

Dans l’appareil central du Parti (de 1953 à 1966)

Premier secrétaire (Pervyj sekretar’) du CC du PCUS*

Membre / membre candidat (kandidat v členy) du Présidium – Politburo du CC du PCUS* Secrétaire (sekretar’) du CC du PCUS*

Membre / membre candidat (kandidat v členy) du CC du PCUS*

Chef de Département (zaveduûŝij otdelom) du CC du PCUS*, et adjoints (zamestiteli) Chef de secteur (zaveduûŝij sektorom) à l’intérieur d’un Département

(13)
(14)

INTRODUCTION :

L’école russe et soviétique entre héritage et changement

L’URSS… reste un système mal connu. Certains de ses principaux aspects, ceux précisément dont on parle le plus, comme le Parti, l’appareil du Parti, la machine bureaucratique d’État, les mécanismes de décision, sont très peu étudiés. Bien des aspects de la vie sociale, nombre de tendances sociologiques et sociopolitiques à l’œuvre dans la société et dans l’État, en surface comme en profondeur, commencent seulement à l’être, alors qu’ils ont joué un rôle essentiel dans la formation et l’effondrement du système.4

A partir du moment où le « social » n’est plus assimilé à une « portion » de la « réalité historique », il ne s’oppose ni à l’« économique », ni au « politique ». L’histoire sociale traverse tous ces domaines par la logique des questions qu’elle leur pose et reprend à son compte le souci de « construire l’objet » qui conduit le sociologue à « démystifier » les « prénotions » du sens commun et à privilégier les « problèmes » (la « distinction », « la voix et le regard », « la place du désordre »…) et non des « thèmes »...5

La perspective d’une histoire sociale de l’enseignement soviétique6 après la Seconde

guerre mondiale, au sens qu’en donne Gérard Noiriel dans la citation proposée en épigraphe, fut le point de départ de cette recherche. L’objectif initial était de mieux connaître un des aspects les moins étudiés de feu l’Union soviétique : le système scolaire et universitaire et ses transformations au sortir de l’ère stalinienne, pendant le « Dégel », moment d’ouverture et de libéralisation relatives7. La décennie 1953-1964 correspond à la tentative de mettre en œuvre

une idée consubstantielle au régime, mais revendiquée de façon très variable suivant les époques : « rapprocher l’école et la vie », autrement dit, dans les termes d’alors, forger un système éducatif conforme à la voie de développement économique, social et culturel associée à l’idéologie appelée « marxisme-léninisme ». Donner aux générations futures une instruction comprenant également l’apprentissage d’un métier concret et l’éducation au respect du travail manuel, mais aussi assurer au pays la promotion d’une élite dévouée et enthousiaste : tels sont les buts de la politique mise en œuvre par Khrouchtchev.

L’objet de cette thèse s’inscrit dans les questionnements actuels tout en comblant une des lacunes de l’historiographie existante : il s’agit de l’élaboration et de l’application des différentes mesures prises, en Russie soviétique, dans la sphère éducative8, durant la période

4 Moshe LEWIN, Le siècle soviétique, Paris, Fayard-Le Monde diplomatique, 2003, p. 8.

5 Gérard NOIRIEL, État, nation et immigration. Vers une histoire du pouvoir, Paris, Belin, 2001, chapitre 1 :

« Une histoire sociale du politique est-elle possible ? », p. 33.

6 L’adjectif soviétique renvoie ici d’abord, par convention, à l’univers propre à l’URSS, cet État hybride et

singulier né des révolutions de 1917 et de la prise de pouvoir des Bolcheviks qui en a résulté, et disparu par implosion en 1991, au terme des réformes manquées de Mikhaïl Gorbatchev. Cependant, il renvoie aussi de manière implicite dans cet ouvrage à la seule Russie, principale des républiques composant l'URSS, et terrain d’investigation privilégié dans notre recherche, malgré quelques excursions dans d’autres territoires de ce vaste empire hérité de la période antérieure (Ukraine, Biélorussie, Caucase, États baltes et Asie centrale).

7 Le Dégel est le titre d’un roman célèbre du journaliste et écrivain Ilia Ehrenbourg (1891-1967), paru en 1954 :

il raconte l’atmosphère politique et intellectuelle dans le pays, durant les mois qui ont suivi la mort de Staline.

8 Les termes « éducatif, éducation » sont employés ici dans leur sens second – présent dans l’expression

officielle, depuis 1932 en France, d’« Education nationale ». L’usage dans les travaux scientifiques en français est souvent contaminé par le terme anglais education. Sans contester cet état des choses, nous nous efforcerons,

(15)

dominée, au sommet du Parti et de l’État, par Nikita Khrouchtchev (1953-1964)9. Cette

décennie dite du « Dégel » est marquée par une réforme majeure en matière d’enseignement : la « loi sur le renforcement du lien entre l’école et la vie et sur le développement futur du système de l’instruction publique en URSS », adoptée le 24 décembre 1958 – premier grand texte normatif général dans ce domaine en Union soviétique.

I)

1958, apogée du débat sur l’enseignement en URSS

A l’origine de notre questionnement se trouve la rencontre avec plusieurs traces énigmatiques de la réalité sociale soviétique, concernant l’enseignement : en particulier l’existence, au cœur des années 1950, d’une discussion par voie de presse révélant des tensions fortes entre plusieurs groupes d’intervenants. La réforme de 1958 est aussi appelée par ses auteurs perestroïka (qu’on peut traduire par « reconstruction », « réorganisation » ou encore, notre choix par analogie à un contexte plus récent, « refondation ») : l’historien de l’URSS ne peut qu’être interpellé par cette dénomination qui évoque une tout autre période, celle des réformes de Mikhaïl Gorbatchev entre 1985 et 1991 et de leur échec, sanctionné par la fin de l’Union soviétique. Mais si la loi de 1958 a attiré notre attention, c’est d’abord parce qu’elle a été le catalyseur de nombreux débats éclairant tout un pan jusque là méconnu de la société soviétique. A partir d’une analyse socio-historique des processus administratifs et médiatiques qui précèdent, accompagnent et suivent la prise de décision de 1958, nous avons voulu reconstruire certaines évolutions sociales, culturelles, économiques et politiques de la période ; et apporter une vision inédite du « Dégel » dans la sphère scolaire et universitaire10.

sauf dans quelques expressions consacrées (« sphère éducative, politique éducative, etc. »), de distinguer nettement les termes « éducation » et « enseignement », en accord avec les sources de langue russe, qui emploient respectivement vospitanie et obrazovanie. Ce dernier terme sera parfois traduit également par « instruction », tout comme prosveŝenie, équivalent de l’allemand Aufklärung (ainsi dans l’intitulé du ministère de l’Instruction : Ministerstvo Prosveŝeniâ), et comme obučenie (l’instruction au sens pratique, ou l’apprentissage, par opposition à podgotovka, la formation au sens large).

9 Les noms communs et propres russes sont retranscrits selon les règles de la translittération ISO 9 de 1995, à

l’exception de certains très connus et d’usage courant en Occident (Khrouchtchev, Sakharov, Gorki, etc.).

10 En nous focalisant sur les étapes du decision making et sur les débats qui s’y rattachent, nous avons laissé de

côté d’autres aspects déjà balisés par l’historiographie comme la « déstalinisation » des contenus éducatifs, ou encore les aspirations politiques et culturelles de la jeunesse. Voir infra, II.

(16)

L’histoire de l’enseignement soviétique a souvent été confondue avec celle de la pédagogie marxiste, particulièrement en vogue dans les milieux de gauche des pays d’Europe occidentale, dans les années 1960-198011. Pourtant, les écrits théoriques des auteurs

soviétiques les plus connus (Krupskaâ, Pistrak, Makarenko, Suhomlinskij, etc.) renvoient très peu à la réalité précise de l’organisation de l’école primaire, secondaire, professionnelle ou supérieure en URSS. L’analyse des institutions et des politiques n’a été entreprise que partiellement pendant la Guerre froide, à une époque où les études sur l’URSS étaient prises dans des enjeux idéologiques et géostratégiques : du fait de la pénurie des sources, ni les partisans d’une vision marxiste ou prosoviétique, ni leurs adversaires ne purent interroger en profondeur le fonctionnement de ce système éducatif. La situation n’était pas bien meilleure pour les chercheurs soviétiques, qui, à quelques exceptions près, n’avaient accès à aucune documentation autre que la propagande la plus grossière, et quelques recueils statistiques assez généraux. Pourtant, dès les années 1950, certains lecteurs attentifs de la presse soviétique mirent en lumière l’existence de problèmes importants concernant la politique scolaire12. En 1958, la discussion publique de ces problèmes révéla la disparité des opinions,

en URSS même, sur les orientations à suivre en matière éducative13. Si nous mentionnons ici

ces travaux, c’est qu’ils ont, les premiers, éveillé notre curiosité : la découverte d’un débat dans les journaux et les revues d’URSS sur la « refondation » de 1958 a été le point de départ de notre recherche. Comme le rappelle Nicolas Werth,

Les années Khrouchtchev sont à la fois celles de la sortie du stalinisme – dépénalisation des relations sociales, fin des répressions de masse, déstalinisation mesurée – et celles des derniers grands mythes et des dernières mobilisations – « retour au léninisme », « construction du communisme », campagne du maïs, « conquête des Terres vierges », etc.14

Le lancement de la réforme de 1958 s’inscrit dans cette série de grandes campagnes publiques, succédant à celles de la période précédente – parmi lesquelles on peut citer la mobilisation autour du premier plan quinquennal (1928-1932), le stakhanovisme et, dans le domaine idéologique et répressif, la lutte contre le « cosmopolitisme » et les « influences bourgeoises » à la fin des années 194015. La mise en place à la mort de Staline d’un pouvoir

collégial, la fin des pratiques les plus violentes du système antérieur, le retour à la « légalité socialiste » affiché par la propagande, malgré l’épisode de la chute de Beria en juillet 1953, constituent une rupture. La société dans son ensemble réagit favorablement à la fin des mesures d’exception de l’ère stalinienne, où la coercition était érigée en mode de gouvernement, y compris pour le choix d’une orientation scolaire et professionnelle. La population soviétique aspire alors à la stabilité : elle vient de connaître plus de vingt années de

11 En France, voir par exemple le succès du livre de Theo DIETRICH, La pédagogie socialiste, Paris, François

Maspero, 1973. Cette année-là fut édité en français l’ouvrage du pédagogue soviétique Moisej Pistrak (1888-1937), condamné et exécuté lors de la Grande Terreur : Moïse PISTRAK, Les problèmes fondamentaux de

l'Ecole du travail, Paris, Desclée de Brouwer, 1973.

12 Pour le point de vue anticommuniste, citons par exemple l’ouvrage du couple d’anarchistes d’origine russe :

Ida et Nicolas Lazarévitch, L’école soviétique (enseignements primaire et secondaire), préface de Pierre Pascal, Paris, Les Îles d’Or, 1954. Voir aussi la bibliographie et les sources, accessibles comme les autres annexes

du présent ouvrage sur le site du Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen (CERCEC) : http://www.cercec.fr/ . Je remercie Marc Élie pour avoir permis cette mise en ligne.

13 Voir par exemple Sergei V. UTECHIN, « Khrushchev’s Educational Reform », Soviet Survey, n° 28, avril-juin

1959, p. 66-72 ; ses analyses sont reprises par la plupart des spécialistes de l’URSS, en Occident.

14 Nicolas WERTH, « Totalitarisme ou révisionnisme ? L’histoire soviétique, une histoire en chantier », dans

Enzo TRAVERSO (éd.), Le totalitarisme. Le XXe siècle en débat, Paris, Le Seuil, 2001, p. 894.

15 Nous laissons de côté ici, sans l’oublier pour autant, la Grande Terreur de 1937-1938 avec ses prémices et ses

sanglants soubresauts, mais aussi ses répliques après 1945 : il ne s’agit pas à proprement parler de campagnes publiques, même s’ils sont indubitablement au cœur du mode de gouvernement stalinien.

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bouleversements, de sacrifices et de violences, depuis les années de fuite en avant économique et répressive de la collectivisation-industrialisation, jusqu’aux destructions immenses de la guerre. De plus, en 1945, la pression exercée par le pouvoir ne s’était pas relâchée :

Le concept de « retour à la normalité » est souvent appliqué aux sociétés d’après-guerre. Il implique l’abandon des obligations et des contraintes du temps de guerre, le relâchement des tensions, le retour chez soi, et le retour au calme. Mais ces phénomènes, bien qu’ils aient été désirés par les citoyens, ne caractérisèrent pas la période de l’immédiat après-guerre en Union soviétique.16

A son tour, la multiplication des réformes sous Khrouchtchev vient contrecarrer cette aspiration, même si leur ampleur et leur brutalité varient suivant les domaines concernés17. Celle de 1958 a confirmé, pour l’historiographie, l’image des « limites et

dérapages du projet khrouchtchévien », proposée par Nicolas Werth18. Elle est présentée

comme une tentative peu concertée, inscrite dans la démarche « volontariste » d’un Premier secrétaire ambitieux mais maladroit, et se réduit à une mesure emblématique : l’obligation, pour tous les jeunes désirant entrer dans l’enseignement supérieur, d’accomplir deux années de stage pratique « dans la production », qui « provoqua un profond mécontentement des couches les plus larges de la population, et notamment de l’intelligentsia »19. Cette dernière en

effet se manifesta, à l’époque, dans la presse : en particulier, de grandes figures du monde scientifique critiquèrent ouvertement le projet khrouchtchévien en matière d’enseignement. Selon les soviétologues occidentaux, le désaccord portait sur les fonctions du système éducatif, et révélait l’existence de deux groupes20. D’un côté, Khrouchtchev et ses alliés

souhaitaient garantir aux secteurs productifs de l’économie la main d’œuvre indispensable à leur fonctionnement, et réconcilier la jeunesse avec le travail physique (trud). De l’autre, plusieurs « savants », avec certains responsables, souhaitaient préserver un niveau de qualification le plus élevé possible, arguant de l’accélération du progrès scientifique et technique.

L’équipe au pouvoir se trouvait en quelque sorte face à ses propres contradictions : à la fois engagée dans une vaste entreprise de compétition technologique avec l’Ouest, la « coexistence pacifique » décrétée officiellement au XXe Congrès de février 1956, elle était aussi soucieuse de réaliser le dessein philosophique qui devait garantir la supériorité morale de son modèle, à savoir la « construction du communisme ». Sur un plan idéologique, l’enjeu était de définir la place de l’héritage « marxiste-léniniste » dans la politique scolaire et universitaire, en particulier celle du principe de la « combinaison du travail manuel et du travail intellectuel », formulé par Marx et ses successeurs. En effet, la « civilisation soviétique » qui avait émergé des mutations sociales, économiques et culturelles de la période stalinienne ne saurait être appréhendée sans sa vulgate, à laquelle toute la population était tenue d’adhérer. Sheila Fitzpatrick utilise la métaphore d’une école, ou plutôt d’un pensionnat, pour décrire la société russe des années 1930 : elle résume la conception que les dirigeants avaient de leur propre rôle comme « celle d’une avant-garde accomplissant une mission civilisatrice », soulignant que l’enseignement était « une des valeurs essentielles » de

16 Sheila FITZPATRICK, « Postwar Soviet Society : The ‘Return to Normalcy’, 1949-1953 », dans Susan J.

LINZ, The Impact of World War II on the Soviet Union, New York, Rowman & Allanheld, 1985, pp. 129-156, p. 150. Les recherchent récentes nuancent, sans l’invalider, cette affirmation : voir infra, II.

17 La meilleure synthèse sur cette période est le petit manuel de Donald FILTZER, The Khrushchev Era.

De-stalinisation and the Limits of Reform in the USSR, 1953-1964, Londres, MacMillan, 1993.

18 Nicolas WERTH, Histoire de l’Union soviétique, Paris, Presses Universitaires de France, 2001, p. 416. 19 Ibid., p. 425.

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l’époque21. Khrouchtchev, un des principaux promus du stalinisme, en avait repris et défendu

tous les mots d’ordre, faisant siennes ces valeurs. Parallèlement, Nicolas Werth rappelle que, « contrairement à une opinion répandue, le facteur idéologique s’effaçait souvent devant des considérations pragmatiques »22. La question se pose pour la perestroïka de 1958 : quelles

parts accorder à la dimension idéologique et à l’efficacité pratique dans la prise de décision ? Le mot d’ordre du « rapprochement entre l’école et la vie », emprunté à la décennie des années 1920, s’est-il réalisé de la façon escomptée par le Premier secrétaire et son équipe ? Pour le savoir, nous avons entrepris l’archéologie des débats qui traversent l’espace public soviétique en 1958, et au-delà les administrations et les cercles dirigeants. En quoi les discussions, plus ou moins apparentes dans les médias de l’époque, reflètent-elles les interrogations et les revendications des groupes concernés ? L’époque du « Dégel » correspond-elle à une véritable libération de la parole dans ce domaine ? Quel est alors son impact sur la prise de décision au sommet ? Autant que possible, nous avons tenté de reconstituer le mécanisme d’élaboration de ces mesures, pour trancher un débat récurrent entre les historiens : savoir si, en régime soviétique, les politiques ne sont que le produit d’une vision imposée « d’en haut », ou si elles reflètent aussi, voire surtout, des aspirations parties de la base, « d’en bas »23. Récemment, les partisans d’une approche culturaliste, celle de la

« Soviet subjectivity », ont rétabli le rôle du sujet dans les processus sociaux, à tous les niveaux du système soviétique24. De façon plus modeste, nous avons retracé les parcours et les

profils des principaux acteurs de la réforme de 1958, à commencer par Nikita Khrouchtchev lui-même, pour mettre à jour d’éventuelles relations entre leur expérience personnelle et leur perception des réalités de l’époque.

La question fondamentale posée dans cette thèse concerne donc le rôle et la position des différents acteurs, à toutes les étapes de la « refondation » de l’enseignement de 1958. L’étude de sa genèse, de sa discussion, de sa prise de décision et de son application exige une analyse minutieuse des administrations, des relations interinstitutionnelles, mais aussi de la place des groupes et des individus dans le système soviétique. La réalité sociale en tant que telle n’est pas au centre de notre étude, mais le discours officiel et public qui la décrit, ainsi que la perception qu’en ont les cercles dirigeants. Disons-le d’emblée, nous avons préféré ne pas alourdir la problématique de recherche en laissant de côté la question dite « nationale », à savoir celle des relations de domination et souvent les tensions qui ont existé entre la Russie et les autres républiques, mais aussi entre les différentes minorités nationales constituées durant cette période, même si celle-ci n’est jamais totalement absente des débats et des décisions prises par le pouvoir central, en URSS tout particulièrement25. Nous avons toutefois

jugé bon d’en rendre compte quand la documentation le permettait : cette lacune peut nous être reprochée, mais elle n’ôte pas toute sa valeur, espérons-le, à nos principales analyses.

Une histoire politique et culturelle qui prenne en compte les changements du social, en utilisant la discussion sur la réforme de 1958 comme un « observatoire particulier », tel

21 Sheila FITZPATRICK, Le stalinisme au quotidien. La Russie soviétique dans les années 30, Paris,

Flammarion, 2002, p. 339.

22 Nicolas WERTH, « Totalitarisme ou révisionnisme ?... », dans Enzo TRAVERSO (éd.), Le totalitarisme…,

op. cit., p. 890.

23 Sur l’affrontement entre « totalitariens » et « révisionnistes », et la possibilité d’une voie médiane, voir

l’introduction de Jean-Paul DEPRETTO, Pour une histoire sociale du régime soviétique (1918-1936), Paris, L’Harmattan, 2001, p. 7-42.

24 Sur la définition de la « Soviet subjectivity » comme étude de la construction sociale du « moi » dans le

contexte du stalinisme, voir Catherine DEPRETTO, « Les journaux personnels de la période soviétique »,

Cahiers de Framespa, n°1, Le Travail, 2006.

25 C’est pourquoi nous avons choisi de ne pas traiter la question des langues d’enseignement, qui recèle une

problématique spécifique dans la réforme de 1958, déjà étudiée en partie par Jeremy Smith et Valeria Soukhoroukova, et surtout Larissa Zakharova à partir de la Carélie : voir les références dans la bibliographie.

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que Marc Ferro les préconise26 : telle est l’approche adoptée pour la présente recherche.

Partant, elle se distingue des travaux parcellaires existant déjà sur ce thème, tout en reprenant bon nombre d’analyses et d’outils méthodologiques forgés pour l’étude de l’histoire de la Russie et de l’Union soviétique, ainsi que d’autres systèmes éducatifs au XXe siècle.

II)

Une historiographie parcellaire et parfois biaisée

Le sujet choisi exigeait un panorama bibliographique diversifié : de l’étude politique et administrative du régime soviétique à l’histoire et à la sociologie des sciences, en passant par la prise en compte des travaux récents sur les phénomènes culturels à l’œuvre en URSS à l’époque du « Dégel », les repères méthodologiques et factuels sont nombreux, mais encore insuffisants, pour mettre à jour les processus à l’œuvre dans la perestroïka de 1958.

L’essor du comparatisme et le renouvellement des approches en sciences de l’éducation n’ont pas encore transformé la vision communément admise du système scolaire soviétique, héritée d’une période où l’affrontement de deux discours opposés empêchait de véritables débats scientifiques. En ce qui concerne la France, historiens et sociologues se sont intéressés, dès la fin des années 1960 avec Antoine Prost, aux dynamiques de démocratisation (entendue comme l’élargissement de l’accès aux études à différentes catégories de la population) et de reproduction sociale, ainsi qu’à l’élaboration des contenus et des méthodes pédagogiques27. Leurs travaux constituent de solides outils pour appréhender la situation dans

l’après-guerre en Russie soviétique : si nous avons utilisé, en particulier, ceux de Christophe Charle sur les « universitaires », c’est parce qu’ils mettent en oeuvre des analyses en termes de sociologie des champs, de reproduction sociale et de stratégies individuelles et institutionnelles28. Vu l’écart entre les types de sources et les contextes politiques et sociaux,

nous avons estimé plus prudent de ne pas aller plus loin dans la comparaison entre la Russie khrouchtchévienne et la France de la Troisième et de la Quatrième Républiques.

L’histoire de l’enseignement soviétique dans les deux premières décennies du régime a fait l’objet d’un grand nombre de travaux. Les années 1920 ont été balisées par Sheila Fitzpatrick et Wladimir Berelowitch, et récemment E. Balašov, selon des angles variés : la première a montré les aspects sociaux, institutionnels et culturels de la transformation du système scolaire, alors que les deux derniers se sont penchés sur les changements de programmes et de méthodes, et sur le projet idéologique qui les sous-tend29.

26 Marc FERRO, « Y a-t-il ‘trop de démocratie’ en URSS ? », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, n°4,

1985, p. 811-827 , p. 813.

27 Sur l’après-guerre, voir Antoine PROST, Éducation, société et politiques : une histoire de l’enseignement de

1945 à nos jours, Paris, Le Seuil, 1997, ainsi que Pierre MERLE, La démocratisation de l’enseignement, Paris,

La Découverte, 2002, et le recueil d’Hélène GISPERT (dir.), L'école et ses contenus, Recherches historiques sur

le XIXe et le XXe siècles, Paris, L’Harmattan, 2004.

28 Christophe CHARLE, La République des Universitaires 1870-1940, Paris, Le Seuil, 1994 et « Les références

étrangères des universitaires. Essai de comparaison entre la France et l’Allemagne 1870-1970 », Actes de la

recherche en sciences sociales, n°148, juin 2003, p. 8-19. Voir aussi Hélène GISPERT, « L'enseignement

scientifique supérieur et ses enseignants, 1860-1900 : les mathématiques », Histoire de l'Éducation, n°41, mai 1992, p. 47-78. Un des premiers ouvrages consacrés à l’histoire comparée des systèmes d’enseignement supérieur est celui de Konrad H. JARAUSCH (éd.), The Transformation of higher learning, 1860-1930 :

expansion, diversification, social opening, and professionalization in England, Germany, Russia, and the United States, Chicago, University of Chicago Press, 1983.

29 Sheila FITZPATRICK, The Commissariat of Enlightenment. Soviet Organization of Education and Arts under

Lunacharsky 1917-1921, Cambridge, Cambridge University Press, 1970 et Education and Social Mobility in the Soviet Union 1921-34, Bloomington, University of Indiana Press, 1979 ; Wladimir BERELOWITCH, La soviétisation de l’école russe 1917-1931, Lausanne, L’Age d’Homme, 1990; E.M. BALAŠOV, Škola v

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Pour compléter l’étude de l’ambition éducative du régime au sens large, il convient de ne pas oublier l’éducation politique des masses, dont l’approche a été renouvelée, ces dernières années, par des travaux sur l’enfance, la jeunesse et les institutions chargées de former idéologiquement la population – mais aussi leurs pratiques30. Pour les années 1930, Larry

Holmes et Thomas Ewing ont, de façon complémentaire après Fitzpatrick, analysé le fonctionnement de l’école, les modifications de la pédagogie (le retour à des contenus et des méthodes plus « académiques »), et les caractéristiques du groupe des enseignants du primaire et du secondaire. D’autres travaux récents insistent sur les fondements et l’impact des politiques éducatives de cette période, autant que sur la diversité des situations scolaires31.

Jean-Paul Depretto a montré les différentes étapes de la « prolétarisation » de l’enseignement supérieur et technique dans la Russie des années 1920 et 1930, les confrontant aux orientations fixées par le pouvoir, et aux parcours des dirigeants eux-mêmes. La planification des besoins en main d’œuvre pour l’économie est moins bien traitée, exception faite du problème des « spécialistes » (specy)32. En revanche, les ouvrages de Donald Filtzer sur

l’après-1945 donnent des indications précieuses sur les conditions de recrutement et de formation des ouvriers en Russie soviétique33. Signalons aussi, pour les échos multiples qu’ils

recèlent avec notre propre travail sur l’URSS, la thèse et les ouvrages d’Emmanuel Droit sur la politique éducative de la République démocratique allemande34.

L’histoire des sciences en URSS, explorée par une école de recherche russe traditionnellement très productive, est riche en publications mais aussi en déceptions pour le chercheur soucieux de sortir des sentiers battus de l’hagiographie des grands hommes et du récit chronologique des découvertes : ces deux travers encombrent une discipline qui sert souvent de vitrine aux organismes institutionnels dont elle raconte le passé. Les travaux de l’institut d’histoire des sciences et des techniques de l’Académie des sciences (IIET RAN) se distinguent depuis quelques années par leurs éclairages, archives à l’appui, sur la politique et les institutions scientifiques du pays, y compris dans une perspective sociale et culturelle35.

Pour leur part, Daniil Aleksandrov et Aleksandr Dmitriev étudient les dynamiques sociales et intellectuelles dans l’histoire des milieux scientifiques en Russie, avant et après la Révolution, complétant les travaux de leurs collègues anglo-saxons, en particulier de Michael David-Fox sur la bolchevisation de l’enseignement supérieur et James Andrews sur l’importance de la

rossijskom obŝestve 1917-1927 gg. Stanovlenie « novogo čeloveka », Saint-Pétersbourg, Dmitrij Bulanin, 2003

(les titres en russe sont intégralement traduits dans notre bibliographie).

30 Citons, y compris pour la bibliographie sur ces questions, Alexandre SUMPF, Bolcheviks en campagne:

pysans et education politique dans la Russie des annees 1920, Paris, CNRS Editions, 2011.

31 Voir la publication issue d’un colloque tenu à Oxford en 2004 : Andy BYDFORD, Polly JONES (éd.),

Policies and Pratices of Transmission in Soviet Education from the Revolution to the End of Stalinism , numéro

spécial d’History of Education, 35/4-5, 2006.

32 Voir par exemple les articles de Jacques Sapir et Ettore Cinella dans Cahiers du monde russe et soviétique,

Spécialistes, bureaucratie et administration dans l'Empire russe et en URSS, 1880-1945, vol. XXXII (4),

octobre-décembre 1991.

33 Donald FILTZER, Soviet Workers and Late Stalinism. Labour and the Restoration of the Stalinist System after

World War II, Cambridge, Cambridge University Press, 2002 et Soviet Workers and De-Stalinization : The Consolidation of the Modern System of Soviet Production Relations, 1953-1964, Cambridge, Cambridge

University Press, 1992.

34 Emmanuel DROIT, Vers un homme nouveau ? l’éducation socialiste en RDA : 1949-1989, Rennes, Presses

universitaires de Rennes, 2009.

35 Pour une présentation rapide des enjeux de l’histoire des sciences et de ses liens avec la sociologie, voir

Dominique PESTRE, « Pour une histoire sociale et culturelle des sciences. Nouvelles définitions, nouveaux objets, nouvelles pratiques », Annales HSS, mai-juin 1995, p. 487-522 ; Michel PINAULT, « L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert », dans Michel LEYMARIE et Jean-François SIRINELLI (dir.), L’Histoire des

intellectuels aujourd’hui, Actes du Colloque « Où en est l’histoire des intellectuels ? », Paris, PUF, 2003, p.

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science dans la construction de l’espace public et de la culture bolcheviques36. Sur

l’après-guerre, l’histoire des sciences en URSS se scinde en deux approches majeures. L’une, institutionnelle, incarnée depuis les années 1970 par Loren Graham, fait désormais l’objet de réexamens féconds, grâce aux archives enfin disponibles37. L’autre, à partir de sources plus

subjectives (témoignages, documents privés, etc.) retrace l’histoire de la multitude d’écoles et d’individualités qui ont marqué le champ complexe et multiforme des sciences en Russie au XXe siècle38. Réservons un traitement à part aux travaux de Natal’â Kuperštoh sur

l’Akademgorodok de Novossibirsk : à partir d’une documentation abondante, traitée par les ressources de l’informatique, elle retrace les dynamiques sociales et institutionnelles du recrutement des cadres scientifiques, mais aussi leurs modes de vie et d’expression, ce qu’elle appelle leur « éthos »39. L’histoire des élites peut ainsi s’émanciper des prosopographies

hasardeuses, car inspirées de sources publiées erronées ou tronquées, réalisées pendant la période soviétique et même après. Il manque tout de même encore une étude systématique et précise des différents groupes composant les catégories dominantes de la société soviétique, malgré quelques travaux pionniers40. Alain Blum et Martine Mespoulet ont précisé les enjeux

de la construction d’identités professionnelles à partir de l’exemple des statisticiens des années 1930 : la comparaison est possible, malgré le changement de contexte après 1953, avec les scientifiques qui interviennent lors du débat sur l’enseignement. C’est en effet la question de l’autonomie sociale, voire politique des « savants », qui se pose à la lecture des débats de 1958.

La période du « Dégel » fait l’objet d’une réflexion renouvelée depuis l’effondrement de l’URSS et de ses régimes satellites41. D’une part, l’intérêt scientifique se

déplace depuis une décennie des années trente aux années quarante et cinquante, comme le prouve la multiplication des travaux sur le « stalinisme tardif » (après 1945), après l’ouvrage pionnier, paru en 1998, d’Elena Zubkova42. D’autre part, l’ouverture des archives de cette

période autorise enfin l’enquête historique – même si les fonds ne sont qu’inégalement accessibles. Plusieurs publications récentes témoignent de ce renouveau, qui concerne à la fois les objets et les approches – par exemple le regain d’intérêt pour la « subjectivité » en contexte soviétique, mais aussi la déconstruction des catégories sociales et politiques

jusque-36 Voir Manfred HEINEMANN, Eduard I. KOLCHINSKY (dir.), Za « železnym zanavesom ». Mify i realii

sovetskoj nauki, Saint-Pétersbourg, Dmitrij Bulanin, 2002 ; Michael DAVID-FOX, Revolution of the mind : higher learning among the Bolsheviks, 1918-1929, Cambridge, Cambridge University Press, 1997 ; James T.

ANDREWS, Science for the Masses : The Bolshevik State, Public Science, and the Popular Imagination in

Soviet Russia, 1917-1934, Austin, Texas A&M University Press, 2003.

37 Citons par exemple les travaux de Konstantin Ivanov sur les réformes de l’Académie des sciences d’URSS.

Les limites de ce mouvement tiennent à la fois au manque de financement des centres de recherche historique russes dans les années 2000, et au classement comme « parfaitement secret » de certains dossiers contenant des informations, même caduques, sur les recherches atomiques et spatiales de l’époque.

38 Citons ici les travaux du groupe d’histoire de la physique animé par Vladimir Vizgin, et en particulier le site de

Konstantin Tomilin, dédié à l’histoire sociale des sciences en URSS : voir le détail des références dans notre bibliographie.

39 N.A. KUPERŠTOH, Kadry akademičeskoj nauki Sibiri (seredina 1950-h – 1960-e gg.), Novosibirsk,

Sibirskoe Otdelenie RAN, 1999. On peut définir l’éthos comme la façon d’être dans un contexte social donné.

40 Voir par exemple Kenneth C.FARMER, The Soviet Administrative Elite, New York, Praeger, 1992, et sur les

diplomates de la période khrouchtchévienne, Marie-Pierre REY, « Diplomatie et diplomates soviétiques à l’heure du dégel, de 1953 à 1964 », Cahiers du monde russe, n°44/1-2, 2003.

41 Pour une vision d’ensemble, claire et stimulante, voir : Miriam DOBSON, « The Post-Stalin Era:

De-Stalinization, Daily Life, and Dissent », Kritika: Explorations in Russian and Eurasian History, 2011, 12 (4), p. 905-924.

42 Elena ZUBKOVA, Russia after the War : hopes, illusions & disappointments, 1945-1957, New York, Sharpe,

1998. Voir aussi Juliane FÜRST (dir.), Late Stalinist Russia : Society between Reconstruction and Reinvention, Londres, Routledge, 2006, dont les différentes contributions s’attachent à explorer les rapports entre la société et les politiques – économiques, sociales et culturelles – mises en œuvre de 1945 à 1953.

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là admises dans l’historiographie43. Elles mettent en particulier l’accent sur la jeunesse et ses

pratiques sociales et culturelles, et contribuent à s’interroger sur l’existence d’une « opinion publique » dans le pays. Le terme est employé par Elena Zubkova, à propos des discussions qui suivent la diffusion du Rapport secret en RSFSR, sur plusieurs sujets de la vie quotidienne, avec une définition lâche :

A travers les discussions de ce genre, quelque chose de nouveau apparut dans la vie soviétique :une opinion publique qui était jusque là confinée dans les conversations privées, confidentielles, devint ouverte et sincèrement publique. C’était comme si la société avait soudainement découvert le droit de parler librement et, conformément à la tradition russe, la littérature et le journalisme se mirent à nouveau à assumer un rôle de commentaire social.44

L’histoire du pouvoir s’est quant à elle réorientée, à côté d’études proprement biographiques, vers l’examen des pratiques et de leur élaboration au sein des cercles dirigeants45. Les travaux sur les « sphères publiques », entendues comme des espaces

d’interactions impliquant différents membres du corps social, ont contribué à dépasser l’alternative sommaire entre adhésion et opposition au régime46. Enfin, parmi les thèses

récentes sur des questions liées à notre sujet, il faut mentionner celles d’Ann Livschiz sur l’école et les représentations de la jeunesse jusqu’à 195847, de Benjamin Tromly sur les

étudiants pendant les années du stalinisme tardif et du Dégel48, et de Michael Froggatt sur le

rapport entre science et propagande, en particulier dans les programmes scolaires49.

La réforme khrouchtchévienne de l’enseignement n’a, quant à elle, fait l’objet d’aucune étude systématique et documentée. La thèse soutenue par Marianne Pizard en 1999 sur la politique scolaire en URSS et en Russie de Khrouchtchev à Eltsine, si elle fournit quelques précieux repères, se limite aux sources publiées et à la presse50. William Taubman,

s’inspirant du jugement de Roy et Jaurès Medvedev, se contente de dire à propos de la loi du 24 décembre 1958 (qui occupe une demi-page dans sa biographie de Khrouchtchev) qu’elle a rencontré « une résistance largement répandue chez les directeurs d’usines, les familles de l’intelligentsia craignant que la réforme ne limite les perspectives de leurs enfants et les responsables de l’enseignement opposés à la dilution des standards académiques »51.

L’historiographie récente, tout en dépassant l’opposition classique, mais simpliste, entre « réformateurs » et « conservateurs », s’en tient donc ici au lieu commun de « l’ambivalence de Khrouchtchev à l’égard des intellectuels », selon la formule du sociologue américain

43 Polly A. JONES (dir), The dilemmas of de-Stalinisation: A social and cultural history of reform in the

Khrushchev era, Londres, Routledge, 2006 et Eleonor GILBURD, Larissa ZAKHAROVA (coord.), Repenser le « Dégel », Versions du socialisme, influences internationales et société soviétique, numéro spécial des Cahiers du monde russe, n°47/1-2, 2006. A signaler également : Eleonor GILBURD, Denis KOZLOV (dir.), The Thaw: Soviet Society and Culture during the 1950s and 1960s, Ithaca, Cornell University Press, à paraître en 2008.

44 Elena ZUBKOVA, Russia after the War, op. cit., p. 193.

45 Voir par exemple les ouvrages de Rudol’f Pihoâ et Aleksandr Pyžikov sur les années 1950, mais aussi celui de

Yoram Gorlizki et Oleg Khlevniuk, sur le « stalinisme tardif ».

46 Dans un cadre comparatiste, voir Gábor T.RITTERSPORN, Malte ROLF, Jan C. BEHRENDS, « Exploring

Public Spheres in Regimes of the Soviet Type » et « Open Spaces and Public Realm: Thoughts on the Public Sphere in Soviet-Type systems », dans Idem (dir.), Sphären von Öffentlichkeit in Gesellschaften sowjetischen

Typs/Public spheres in Soviet-type societies, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 2003, p. 23-35 et p. 423-452.

47 Ann LIVSCHIZ, Growing Up Soviet Childhood in the Soviet Union, 1918-1958. Thesis (Ph. D.), Université de

Stanford University, 2007.

48 Benjamin K. TROMLY, Re-Imagining the Soviet Intelligentsia: Student Politics and University Life,

1948-1964. Thesis (Ph.D.), Harvard University, 2007.

49 Michel J. FROGGATT, Science in Soviet Propaganda and Popular Culture, PhD, Oxford University, 2006. 50 Marianne PIZARD, L’éducation et ses problèmes en U.R.S.S. et en Russie, de Khrouchtchev au début des

années quatre-vingt-dix, Thèse de doctorat en Histoire des Slaves, Université Paris 1, 1999.

51 William TAUBMAN, Khrushchev : The Man and His Era, New York, W.W. Norton & Company, 2003, p.

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Vladimir Shlapentokh, et à l’explication en termes de « groupes d’intérêts », concept attrayant mais équivoque car il renvoie à un référentiel occidental – précisément, états-unien52. Dans

l’ouvrage déjà cité en épigraphe, Moshe Lewin résume d’une phrase cette image de la refondation de 1958 et de son abandon :

[Khrouchtchev était partisan d’]un enseignement supérieur orienté vers la production. S’il a tenté de promouvoir une réforme dans ce sens, c’était, disait-il, parce que dans le supérieur on ne formait que des mauviettes qui ignoraient tout du travail physique à l’usine ou dans les champs. La réforme sera abandonnée sous la pression de « l’opinion », c’est-à-dire des plus riches, des mieux formés et des bureaucrates, indignés de cette « industrialisation » du supérieur et qui ont mené campagne contre elle.53

La « campagne » dont parle Moshe Lewin a fait l’objet de quelques éclairages partiels par des chercheurs russes. Pour la période soviétique, il faut mentionner les articles de N. Feŝenko consacrés aux enseignants du supérieur : ils ont été un guide précieux, y compris pour l’usage des archives, à Moscou comme à Gorki (Nijni Novgorod)54. L’historien de

l’éducation È. Goldštein a lui aussi évoqué, dans un article du début des années 1990, le déroulement interne de la « discussion générale », mais avec une source biaisée, car très partielle, qui l’amène à conclure à l’absence de débat véritable55. Selon lui, l’intervention du

pédagogue Vasilij Suhomlinskij et d’autres contradicteurs du projet officiel n’a rien pu changer à l’élaboration de la loi du 24 décembre 1958, car « leur cause était perdue d’avance »56. Dix ans plus tard, Aleksandr Pyžikov, spécialiste d’histoire politique de

l’après-guerre, a pourtant un jugement inverse : dans un court article consacré aux questions d’enseignement sous Khrouchtchev, il affirme que c’est Suhomlinskij qui, en écrivant au Premier secrétaire, a inspiré le compromis final de la loi57. L’écart entre ces deux

interprétations mérite d’être souligné, car il témoigne du caractère ambigu des documents concernant la « discussion générale » de l’automne 1958, de la pluralité des lectures possibles. D’un côté, l’écrasante majorité des intervenants emploie un discours convenu et conforme à la ligne officielle ; de l’autre, la présence de points de vue ouvertement critiques, voire opposés à certaines orientations mises en avant par Khrouchtchev, frappe le lecteur. Pour y voir plus clair, nous avons pris le parti de rechercher en amont les signes avant-coureurs des polémiques apparues cette année-là.

A l’instar de Pyžikov, Jeremy Smith voit dans la refondation khrouchtchévienne, à partir des sources publiées et des archives des républiques périphériques, la marque d’une volonté de « modernisation » sans précédent58. Cette notion était déjà en vigueur dans

l’historiographie des années 197059. Pourtant, il paraît risqué de déduire les motivations du

pouvoir, comme le fait Jeremy Smith, à partir de ses propres déclarations publiques.

52 Vladimir SHLAPENTOKH, Soviet Intellectuals and Political Power : The Post-Stalin Era, Princeton,

Princeton University Press, 1990, p. 105-106 ; H.G. SKILLING, F. GRIFFITHS (dir.), Interest Groups in Soviet

Politics, Princeton University Press, 1971.

53 Moshe LEWIN, Le siècle soviétique, op. cit., p. 304-305.

54 Le plus important est sans doute N.I. FEŜENKO, « Soveŝanie rabotnikov vysšej školy v Moskve 22-24

sentâbrâ 1958 goda i ego rol’ v podgotovke ‘zakona o škole’ (1958 g.) », Gorki, 1986. Non publié, le tapuscrit a été déposé par l’auteur à la bibliothèque de l’institut d’information scientifique en sciences sociales de l’Académie des sciences de Russie (INION RAN) à Moscou.

55 E.N. GOLDŠTEIN, « K ocenke škol’noj reformy 1958 g. (Istoriko-sociologičeskij aspekt) » in

Gumanističeskie idei, social’no-pedagogičeskie eksperimenty, bjurokratičeskie izvraščenija v razvitii otečestvennoj školy, Saint-Pétersbourg, Obrazovanie, 1993, p. 123-140 ; p. 132-133.

56 Ibid., p. 134.

57 A.V. PYŽIKOV, « Reformirovanie sistemy obrazovaniâ v SSSR v period ‘ottepeli’ (1953-1964) », Voprosy

istorii, n°9, 2004, p. 95-104.

58 Jeremy SMITH, « Khrushchev and the Path to Modernisation through Education », dans Jeremy SMITH et

(24)

L’application de la réforme, enfin, a fait l’objet de quelques études parcellaires en Occident : faute de sources directes, les chercheurs se sont contentés des publications officielles, et des ouvrages des chercheurs du bloc de l’Est dont certains, en particulier en sociologie, ne manquaient pas de sérieux. Leur intérêt pour cette question fut d’autant plus limité que cinq ans à peine après le vote de la loi du 24 décembre 1958, elle fut en partie rendue caduque : en août 1964, un décret diminue la durée de la scolarité d’un an, amputant d’autant la formation professionnelle associée au dernier cycle du secondaire. Dès les années 1960, une jeune sociologue française d’origine polonaise, Janina Markiewicz-Lagneau (1938-1987) s’est intéressée aux réformes de l’enseignement dans les pays dits « socialistes », en particulier en URSS, et à leur impact en termes de mobilité sociale. Au Royaume-Uni, d’autres chercheurs ont tiré profit des premières études soviétiques sur ces questions. Ainsi Mervyn Matthews, auteur d’une synthèse complète sur l’enseignement soviétique après la Seconde guerre mondiale, publiée en 1982, a commencé par étudier la question de la stratification sociale en URSS : il s’appuyait notamment, comme Markiewicz-Lagneau, sur les travaux pionniers de Šubkin à Novossibirsk, mais aussi de Rutkevič60. En ce qui concerne le secondaire, il faut

accorder un traitement à part à l’ouvrage de John Dunstan, véritable outil de référence pour comprendre les enjeux et les développements de la diversification (« différenciation » et création des « écoles spéciales »), à partir du début des années 1960. Rédigée avec les moyens de l’époque, c’est-à-dire sans archives, cette étude est remarquable aussi bien par la précision des informations qui y sont recensées, que par la finesse des analyses portant sur les débats pédagogiques en URSS, loin des schémas réducteurs d’une certaine soviétologie manichéenne. Grâce au dépouillement de la presse spécialisée réalisé par Dunstan, il est en particulier possible de confronter les discours internes des scientifiques et des pédagogues avec leurs prises de position publiques.

Pour traiter notre objet, l’historiographie s’avère donc à la fois riche et lacunaire. En revanche, la documentation disponible permet aujourd’hui de répondre aux questions laissées en suspens par les travaux antérieurs sur la politique de l’enseignement sous Khrouchtchev.

III) L’abondance des sources,

une chance et un risque pour le chercheur

Nous avons utilisé trois grands types de sources, dont la plupart ne sont devenues pleinement accessibles que depuis une dizaine d’années environ :

- les archives consultées en Russie, à Moscou et à Nijni Novgorod ;

59 Voir Jaan PENNAR, Ivan I. BAKALO, George BEREDAY, Modernization and diversity in Soviet education,

with special reference to nationality groups, New York, Praeger, 1971, et Seymour M. ROSEN, Education and Modernization in the USSR, Reading, Massachusetts, Addison-Wesley Pub. Co., 1971. Sur l’usage du concept

de « modernisation » dans l’historiographie de la Russie et de l’URSS, voir Michael DAVID-FOX, « Multiple Modernities vs. Neo-Traditionalism : On Recent Debates in Russian and Soviet History », Jahrbücher für

Geschichte Osteuropas, vol. 54, n°4, 2006, p. 535-555.

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