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Les "mauvais rêves" en Mésopotamie et Anatolie anciennes : entre représentation et non représentation

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Academic year: 2021

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Cahier des thèmes transversaux ArScAn (vol. VII ) 2005 - 2006 Thème IV : Images, textes et sociétés

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Comment les anciens Mésopotamiens et Anatoliens se représentaient-ils mentalement le rêve et le cauchemar ? Que nous disent les textes cunéiformes à ce sujet ? Avant de s’intéresser plus particulièrement aux cauchemars, il faut se demander si les anciens Proche-Orientaux attribuaient au rêve une forme particulière. Si F·HVWELHQOHFDVRQWHQWHUDGHGpÀQLUSOXVDYDQW FHWWH UHSUpVHQWDWLRQ ÀJXUpH GX SKpQRPqQH onirique.

1. Le rêve : une entité polymorphe

Le cas du rêve mésopotamien : =œTLTX. Les sources mésopotamiennes font de nombreuses allusions à l’existence d’une entité surnaturelle du nom de =œTLTX. Cette entité incarne le rêve dans ses différents aspects : il peut s’agir d’un songe tenant lieu de présage favorable ou au contraire d’un cauchemar des plus néfastes pour le rêveur. L’aspect démoniaque de=œTLTX sera étudié plus loin.

=œTLTX, qui peut également porter le nom d’Anzagar et de Mamu en fonction de l’aire géographique et chronologique dans laquelle on se trouve, incarne le dieu du rêve chez les Mésopotamiens. L’un de ses noms, à savoir Mamu VLJQLÀH VLPSOHPHQW ©UrYHª HQ VXPpULHQ (ma.mú). En Mésopotamie ancienne, le rêve est GRQFWDQW{WSHUVRQQLÀpVRXVODIRUPHG·XQGLHX anthropomorphe, tantôt considéré comme un phénomène amorphe, voire abstrait.

Le dieu du rêve est déjà attesté dans quelques textes paléo-babyloniens (XVIIIe-XVIIe siècles

avant J. –C.) tels que le mythe du roi Lugalbanda en langue sumérienne, où il est représenté en premier lieu de manière zoomorphe, puis sous son aspect anthropomorphe. Dans une liste lexicale, la divinité Mamu HVW TXDOLÀpH GH ©ÀOOH de Šamaš »1. La forme anthropomorphe du

1 - Oppenheim 1956, 232.

dieu est donc représentée tantôt comme un homme tantôt comme une femme, même si son caractère masculin prédomine dans les sources. Les autres mentions du dieu du rêve mésopotamien font surtout allusion à la fonction de messager divin qu’endosse celui-ci, une fois de plus sous une forme anthropomorphe.

L’aspect polymorphe du dieu du rêve ou dieu-rêve ainsi que son rôle de dieu messager rappelle les témoignages homériques concernant le rêve divinisé ƱǎdžNJǒǐǓ. Ce dernier est une entité VXUQDWXUHOOH QRQ SHUVRQQLÀpH TXL HVW DX VHUYLFH des divinités majeures : tout comme notre dieu-rêve mésopotamien, il peut prendre des aspects variés, comme par exemple l’apparence de diverses personnes mortelles.

Le silence des textes hittites : l’effet G·XQ KDVDUG RX OH UHÁHW G·XQH FUR\DQFH ? Contrairement aux sources mésopotamiennes, aucune tablette hittite ne fait allusion à une pYHQWXHOOHSHUVRQQLÀFDWLRQGXUrYH/HIDLWPrPH GHOXLGRQQHUXQQRPVXIÀUDLWjHQIDLUHXQrWUH individualisé. Or parmi les quelque 133 mentions de rêves étudiées2, aucune n’attribue un nom

propre ni même un déterminatif divin (DINGIR) au songe.

Si l’on considère le caractère particulièrement hétérogène du corpus de textes étudié (les mentions de rêves interviennent aussi bien dans la correspondance que dans les prières, dans les descriptions de rituels ou de fêtes religieuses,

2 - Cette étude a été l’objet de ma thèse de doctorat intitulée : « Le rêve au Proche-Orient au deuxième millénaire avant J. -C. : étude des sources hittites mises en perspective avec le reste du Proche-Orient ancien » soutenue en No-vembre 2003 à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, en co-tutelle avec l’Université de Leyde. Cette thèse est actuelle-ment en attente d’être publiée par la maison d’édition Brill dans la collection Culture and History of the Ancient Near

East sous l’intitulé « Rêves hittites. Contribution à une histoire

et une anthropologie du rêve en Anatolie ancienne ».

Les « mauvais rêves » en

Mésopotamie et Anatolie anciennes : entre

représentation et non-représentation

Alice MOUTON

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Les « mauvais rêves » en Mésopotamie et Anatolie anciennes : entre représentation et non-représentation

A. Mouton

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dans les récits historiques, etc.), il apparaît que ce silence des textes hittites sur l’existence d’un éventuel dieu du rêve ou dieu-rêve est YUDLVHPEODEOHPHQWVLJQLÀDQWHQOXLPrPH

2. Le cas du mauvais rêve : sa représentation

et sa non représentation

En Mésopotamie : les démons ]œTLTX. En Mésopotamie, le nom ]œTLTX fait également référence au cauchemar. En tant que tel, il désigne un démon qui est souvent rapproché dans les textes littéraires des esprits démoniaques des défunts. Tout comme eux en effet, le ]œTLTX demeure dans le monde souterrain et est de QDWXUH PDOpÀTXH /H PDXYDLV UrYH HVW OH SOXV VRXYHQWPHQWLRQQpHQWDQWTXHIRUFHPDOpÀTXH abstraite qui s’attaque à l’homme et le rend malade de corps et d’esprit. De nombreux rituels d’exorcisme néo-assyriens sont connus, qui ont pour but de « soigner » une personne de ce type de cauchemars. Ces rituels ont fait l’objet d’une excellente édition par Butler (1998).

Comparativement aux descriptions du bon dieu-rêve, on pourrait arguer que les mentions mésopotamiennes de mauvais ]œTLTX sont tout à fait marginales. Aurait-on peur de trop s’étendre sur le sujet ?

En Anatolie hittite : les « mauvais rêves ». Lorsqu’il s’agit de se pencher sur les mentions hittites de cauchemars, une observation analogue à celle qui avait été faite pour un éventuel dieu-rêve anatolien peut être formulée. Encore une fois, aucune description détaillée n’est donnée de ce phénomène. Le mauvais rêve est associé dans les textes à d’autres entités surnaturelles ne faisant visiblement pas l’objet G·XQHSHUVRQQLÀFDWLRQjVDYRLUO·HQVRUFHOOHPHQW la faute, le parjure, etc. Un rituel d’exorcisme KLWWLWH TXDOLÀH PrPH OH ©PDXYDLV UrYHª GH « souillure » (SDSUœWDU)3.

En pays hittite, le cauchemar est certes une entité surnaturelle, mais il n’est l’objet d’aucune UHSUpVHQWDWLRQ ÀJXUpH PrPH PHQWDOH ,O UHVWH un concept dont le caractère évanescent va de pair avec sa dangerosité. Le mauvais rêve est une source d’impureté pour le mortel, impureté qui est en outre contagieuse.

Un tabou sur le contenu des cauchemars ? 2XWUHO·DEVHQFHSUHVTXHWRWDOHGHGpÀQLWLRQGX cauchemar, et ce aussi bien dans les sources

3 - Goetze, 1938: 20-21, iii 51.

mésopotamiennes que dans la documentation hittite, un autre phénomène mérite d’être mentionné : il s’agit du nombre extrêmement limité de descriptions de contenus de rêves clairement mauvais dans les documents de la pratique. Dans le cas des sources hittites, par exemple, les allusions aux cauchemars sont fréquentes aussi bien dans les comptes rendus d’interrogations oraculaires que dans les descriptions de rituels d’exorcisme. Mais aucun GH FHV WH[WHV QH GpÀQLW FODLUHPHQW FH TXH OHV Hittites entendaient véritablement par « mauvais rêve ».

Plusieurs éléments m’incitent à penser que le contenu des cauchemars était taboué tant qu’il restait d’actualité. Deux types de textes, qui font FHSHQGDQW ÀJXUH G·H[FHSWLRQ FRQFHUQDQW OH silence pesant sur le contenu des cauchemars : les textes littéraires et les traités d’oniromancie. /·H[LVWHQFHGHFHVGHX[H[FHSWLRQVVHMXVWLÀHj mon avis, par le fait que les mauvais rêves qui y sont décrits ont un caractère impersonnel : ils ne touchent pas vraiment les personnes qui sont susceptibles d’écouter ou de lire ces tablettes.

3. Mise en contraste et conclusion

Si nous essayons de dresser un bilan des différents aspects du phénomène onirique -favorable ou non - que les textes mésopotamiens et hittites nous transmettent, nous constatons que celui-ci est omniprésent dans la documentation et reste pourtant particulièrement insaisissable. Les textes ne cherchent que très épisodiquement à nous décrire la forme et l’origine des songes, et ce silence en lui-même en dit long. Il est par ailleurs évident que les anciens Proche-Orientaux attribuaient à ce phénomène une ambivalence bien compréhensible, et cette polymorphie n’était sans doute pas faite pour les rassurer. La polymorphie du songe est particulièrement claire lorsque l’on examine la personnalité du bon dieu-rêve mésopotamien =œTLTX/Anzagar/ Mamu, qui constitue le seul témoignage d’une UHSUpVHQWDWLRQÀJXUpHGXUrYHGDQVOHVVRXUFHV cunéiformes. Le phénomène onirique, surtout sous sa forme néfaste, à savoir le cauchemar, était craint car à la fois imprévisible et incontrôlable. Cette crainte des Mésopotamiens et des Hittites VH UHÁqWH G·XQH SDUW GDQV O·DEVHQFH GH WRXWH UHSUpVHQWDWLRQÀJXUpHGHOHXUVPDXYDLVUrYHVHW d’autre part dans le non-dit pesant sur le contenu de ces derniers.

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Cahier des thèmes transversaux ArScAn (vol. VII ) 2005 - 2006 Thème IV : Images, textes et sociétés

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Références bibliographiques

BUTLER S.A.L. 1998. Mesopotamian Conceptions of Dreams and Dream Rituals, Alter Orient und Altes Testament 258, Münster.

GOETZE A. 1938. The Hittite Ritual of Tunnawi, American Oriental Society 14, New Haven. OPPENHEIM A.L. 1956. The Interpretation of

Dreams in the Ancient Near East. With a Translation of an Assyrian Dream-Book, Transactions of the American Philosophical Society NS 46/3, Philadelphia.

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