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LE SCRIPT DE LA VIOLENCE CONJUGALE: UNE ANALYSE PROCÉDURALE DES VIOLENCES ENTRE CONJOINTS

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Université de Montréal

LE SCRIPT DE LA VIOLENCE

CONJUGALE: UNE ANALYSE

PROCÉDURALE DES VIOLENCES

ENTRE CONJOINTS

Par

Marie-Li Tremblay

École de criminologie

Faculté des arts et des sciences

Rapport de stage présenté à la Faculté des études supérieures

en vue de l’obtention du grade de

Maître en Criminologie

Option stage en analyse

Janvier 2017

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Université de Montréal

Faculté des études supérieures et postdoctorales

Le présent rapport de stage intitulé :

Le script de la violence conjugale : une analyse procédurale des violences

entre conjoints

Présenté par :

Marie-Li Tremblay

Évalué par un jury composé des personnes suivantes :

Étienne Blais, directeur de recherche

Maurizio Delia, directeur de stage

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Résumé

Objectif. Cette étude vise à dresser le script de la violence conjugale pour ensuite proposer des mesures de prévention situationnelle. Les scripts ont été introduits en criminologie par Cornish (1994) afin d’aider à l’identification des mesures de prévention situationnelle. Le script offre une description détaillée des étapes nécessaires à la réalisation d’un crime. Pour chaque étape, il est possible d’identifier les acteurs présents de même que leurs rôles et actions, les endroits où l’action se déroule, de même que les facilitateurs, les facteurs précipitants et les désinhibiteurs. Une fois le script établit, différentes mesures spécifiques de prévention situationnelle peuvent être proposées afin de mettre un terme au processus de passage à l’acte.

Méthodologie. Afin de dresser le script de la violence conjugale, les données provenant de 333 dossiers de violence conjugale enregistrés par le Service de police de la ville de Montréal ont été codifiées à l’aide d’une grille. Les informations ont été organisées de façon à documenter les étapes liées à la préparation, à la commission et la conclusion de l’événement de violence conjugale. Une attention particulière a été donnée aux interactions entre l’agresseur et la victime afin de mieux comprendre le déroulement des incidents menant à des blessures sévères. Ainsi, les données furent d’une part analysées de façon inductive afin de proposer le script de la violence conjugale et d’autre part à l’aide de tableaux croisés (test du khi-carré) afin d’identifier éléments du script qui sont associés à des blessures sévères.

Résultats. Le script de la violence conjugale se divise en huit étapes : 1) le contexte initial, 2) le déplacement sur les lieux de l’agression, 3) l’acquisition d’une arme, 4) le passage à l’acte de l’agresseur, 5) la réaction de la victime (riposte ou passivité), 6) la riposte ou l’arrêt des violences, 7) la fin de l’altercation (arrivée des policiers sur les lieux ou fuite du suspect) et 8) la prise en charge des individus. Certaines étapes telles que l’acquisition d’une arme ou le déplacement sur les lieux ne sont pas essentielles au processus délictuel. Dès le contexte initial, les victimes sous médication et en couple ont

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plus de chance de subir des blessures graves. Le risque de blessure grave augmente lorsque l’un ou l’autre des parties se déplacent vers les lieux du crime. Lors du déroulement de l’altercation, le risque de blessure augmente lorsque l’agresseur et la victime sont intoxiqués. L’emploi d’une arme tranchante hausse le risque de blessures graves. Enfin, la riposte de la victime entraîne des blessures graves, ce qui appuie la thèse de l’escalade des violences.

Conclusion. À la lumière des résultats obtenus, les mesures de prévention situationnelle suivantes permettraient de réduire la fréquence et/ou la gravité des actes de violence conjugale : renforcer les protections physiques de la résidence (p. ex : alarme, nouvelle serrure), améliorer le gardiennage et la surveillance naturelle (p. ex : surveillance en cocon et présence policière) et réduire les provocations (p. ex : séparer les deux parties en cas de conflit, limiter l’accès à l’alcool).

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Abstract

Objective. The crime script perspective was developed in criminology to capture the step-by-step accounts of the crime-commission process of any crimes in order to offer a greater range of intervention-points for situational prevention purposes (Cornish, 1994). The main objective of this project is to adopt this innovative approach to provide a detailed description of the step-by-step process of intimate partner violence. Information on the casting (as well as their roles and actions), the crime facilitators and precipitators, and alcohol/drugs, are provided for each step of the crime-commission-process. Once the script is established, pertinent situational measures to prevent intimate partner violence are offered.

Methodology. In order to provide a script for intimate partner violence, a grid was developed to collect data extracted from 333 crime events registered by the Montreal Police Department (Service de police de la ville de Montréal). Data were organized according to the three main phases of the crime-commission-process: (1) the preparation; (2) the commission; and (3) the conclusion of the event. At each step of the script, interactions between actors were carefully analyzed in order to understand the escalation process and the severity of the outcome (i.e. severity of injuries). Data were used to induce the script of intimate partner violence and chi-square analyses were conducted to identify factors associated with the risk of severe injuries.

Results. The intimate partner violence script consists of eight steps: (1) initial context; (2) moving to the location of the intimate partner aggression; (3) acquiring a weapon; (4) attacking the victim; (5) reaction of the victim (counter-attacking or submission); (6) counter-attack from the aggressor or the ending of the violence episode; (7) ending of the altercation (police arrives on the scene or the suspect escapes); and (8) dealing with the parties (arresting the suspect or offering services to the victim). Some steps such as “acquiring a weapon” or “moving to the location of the aggression” are not always required. At the outset of the event, the risk of severe injuries is increased when victims

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injuries is also augmented when one of the parties moves toward the scene of the aggression. During the altercation, intoxication of both parties and using a knife are generally associated with severe injuries. At last, as suggested by the escalation thesis, counter-attacks from the victim lead to severe injuries.

Conclusion. Based on the present findings, the following situational measures would either prevent the frequency and/or the severity of intimate partner violence episodes: (1) install physical barriers (e.g., install new locks and alarms); (2) improve guardianship and natural surveillance (e.g., police presence and neighborhood watch); (3) reduce provocations (e.g., separate parties and limit alcohol availability).

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Table des matières

Résumé... i

Abstract... iii

Liste des tableaux... vii

Liste des figures... viii

Remerciements... ix

Introduction... 1

CHAPITRE 1-RECENSION DES ÉCRITS...5

1.1. La violence conjugale et le SPVM... 5

1.2. Études et perspective pour mieux comprendre la violence conjugale...8

1.3. La perspective des scripts et la violence conjugale...20

1.4 Problématique... 25

CHAPITRE 2- MÉTHODOLOGIE...28

2.1 Source des données... 28

2.2 Opérationnalisation des variables... 31

2.2.1 Contexte initial... 32

2.2.2. Variables pertinentes pour les étapes qui précèdent l’agression...36

2.2.3 Variables pertinentes pour les étapes du passage à l’acte...38

2.2.4 Variables pertinentes aux étapes liées à la sortie...42

2.3 Stratégies analytiques... 44

2.3.1. Analyse descriptive... 44

2.3.2 Analyses bivariées... 45

CHAPITRE 3- RÉSULTATS... 46

3.1 Script de la violence conjugale... 46

3.1.1 Phase « avant »... 48

3.1.2 Phase « pendant » : le passage à l’acte...50

3.1.3 Phase « après »... 51

3.2 Comparaison des éléments des étapes du script selon le degré de violence...52

CHAPITRE 4 - INTERPRÉTATION...68

4.1 Intérêt des scripts dans la compréhension de la violence conjugale...75

4.2 Implications pour les mesures de prévention situationnelles...79

4.2.1 Augmenter les efforts... 81

4.2.2 Augmenter le risque... 83

4.2.3 Réduire (ou augmenter) les bénéfices...84

4.2.4 Réduire les provocations... 84

4.2.5 Retirer les excuses... 85

Conclusion... 88

Annexe 1: Statistiques descriptives des variables associées à la violence conjugale.92 Bibliographie... 96

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Liste des tableaux

Tableau 1 : Matrice des 25 techniques de prévention situationnelle …………... 26 Tableaux 2 : Résultats aux analyses du Khi-carré : association entre les éléments du contexte initial et la gravité des blessures ………... 54 Tableau 3 : Résultats aux analyses du Khi-carré : association entre les éléments de déplacement et la gravité des blessures ……… 57 Tableau 4 : Résultats aux analyses du Khi-carré : association entre les éléments de l’acquisition d’une arme et la gravité des blessures ………... 60 Tableau 5 : Résultats aux analyses du Khi-carré : association entre les éléments du passage à l’acte et la gravité des blessures ………... 62 Tableau 6. : Résultats aux analyses du Khi-carré : association entre les éléments du comportement de la victime et la gravité des blessures ………... 64 Tableau 7 : Résultats aux analyses du Khi-carré : association entre les éléments de la riposte et la gravité des blessures ………. 66 Tableau 8 : Résultats aux analyses du Khi-carré : association entre les éléments où l’on quitte la scène et la gravité des blessures ………. 68 Tableau 9 : Résultats aux analyses du Khi-carré : association entre les éléments de la prise en charge des individus et la gravité des blessures ……… 70 Tableaux 10: Mesures de prévention situationnelle ………... 87

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Liste des figures

Figure 1 : Cycle de la violence conjugale ……….. 8 Figure 2: Script initial de la violence conjugale ……….. 47

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Remerciements

J’aimerais tout d’abord remercier Étienne Blais, mon directeur de stage à l’université qui m’a accompagnée au cours de la création de ce projet. Son enthousiasme et son intérêt porté au sujet ont supporté ma motivation pour mener à terme ce rapport. J’aimerais aussi le remercier d’avoir toujours été à mon écoute et d’avoir travaillé en équipe avec moi durant ces deux années.

J’aimerais aussi remercier Maurizio Delia, mon superviseur en milieu de stage. Merci pour son soutien et sa compréhension tout au long de ma présence au SPVM. Il a toujours été encourageant et positif dans son accompagnement. J’aimerais d’ailleurs profiter de l’occasion pour remercier l’organisation du SPVM de m’avoir donné une telle expérience de travail. Votre ouverture à mon projet ainsi que les opportunités auxquelles vous m’avez permis d’accéder me seront à jamais utiles.

Finalement, au niveau personnel, j’aimerais remercier mes parents ainsi que mon conjoint pour m’avoir toujours encouragée et soutenue tout au long de ce processus. Malgré les moments plus difficiles, vous m’avez toujours épaulée et permis de croire en moi.

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Introduction

La violence conjugale est une forme de violence interpersonnelle qui peut se matérialiser par des actes de violence physique, de violence psychologique, de violence sexuelle, de violence économique ou de violence verbale. Chacune d’elle affecte la victime d’une façon différente. Il est important de souligner la différence entre la violence verbale et la violence psychologique. La littérature parle de violence verbale lorsque l’agresseur s’en prend verbalement à sa conjointe. Ce type de violence affecte directement l’individu en rabaissant et touchant son estime. La violence verbale s’entend. La violence psychologique se perçoit comme étant la forme la plus violente et la plus insidieuse pour la victime. Comme cette violence peut se manifester de façon indirecte (violence psychologique), il est plus difficile pour la victime ou son entourage de détecter rapidement les violences. Souvent, les conséquences sont plus désastreuses et perdurent plus longtemps que les autres formes de violence, affectant la victime dans son quotidien et la façon qu’elle se définit dans son quotidien (Le Gapi, 2016).

La violence conjugale survient entre deux conjoints ou entre deux ex-conjoints, donc deux individus qui ont présentement ou ont déjà eu une relation intime. Si l’on se fie à la définition que donne le SPVM sur sa page web (2014), la violence conjugale se manifeste par des actions pour « contraindre une personne à agir contre sa volonté en employant la force, l’intimidation ou la peur pour la contrôler ou la dominer ». L’intérêt de connaitre davantage le processus du passage à l’acte en matière de violence conjugale est de comprendre un phénomène relativement fréquent. Si l’on s’attarde aux données de 2013 de Statistiques Canada (Juristat, 2014), la violence conjugale a été la forme de violence familiale la plus courante durant cette année-là (Taylor-Butts, 2015) et selon l’INSPQ (2001-2016), il s’agit d’une forme de violence qui peut tous nous toucher. Que ce soit en tant que victime ou en tant que personne de l’entourage d’une personne violentée, la problématique de la violence entre conjoints nous concerne tous et peut tous nous affecter (Gouvernement du Québec, 1995).

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Jusqu’à présent, on peut affirmer qu’environ la moitié des victimes connaissaient leur agresseur (c.-à-d. conjoint ou ex-conjoint) et plus des deux tiers de celles-ci étaient des femmes. De plus, le fait de mieux comprendre ce qui influe sur le passage à l’acte permettrait de mieux orienter les interventions et la sensibilisation. Effectivement, selon les sondages de victimisation, la violence conjugale représente le crime le moins rapporté aux autorités policières et il y aurait une surreprésentation des femmes dans la catégorie des victimes d’acte de violence conjugale (Juristat, 2013; Ouellet et Cousineau, 2014). Effectivement, selon les résultats obtenus en 2009 au sondage de victimisation autorévélée, seulement 22 % des évènements de violence avaient été répertoriés et dénoncés à la police (Brennan, 2011). En se référant à l’enquête effectuée par Juristat en 2013, environ le cinquième des homicides commis et résolus avait été perpétré par le partenaire de la victime (c.-à-d. conjoint de fait ou mari). Un portrait objectif de la violence conjugale reste tout de même un réel défi puisqu’on n’a accès qu’à une parcelle de la portée du phénomène.

Jusqu’à présent, les études s’articulent principalement autour de trois groupes de perspectives : 1) les perspectives féministes, 2) l’approche épidémiologique et 3) l’approche développementale. La perspective féministe considère que la violence conjugale est une représentation des inégalités des sexes. Elle dénonce les sévices physiques et psychologiques sur les femmes par les hommes, en mettant l’emphase sur le fait que les hommes sont physiquement plus forts que les femmes (Felson, 1996). La perspective féministe se veut aussi critique face aux injustices sociales et prend souvent position afin de permettre de dénoncer les inégalités présentes dans la société (DeKeseredy, 2011). De son côté, l’approche épidémiologique met l’accent sur la santé publique et les mesures de prévention afin de pallier une problématique sociale. L’accent est donc mis sur l’identification des facteurs précipitant l’apparition de la problématique et non pas à la comprendre et chercher à identifier la dynamique existant entre les individus ou les relations entre les différents facteurs présents. Enfin, l’approche développementale et des trajectoires de vie vise à identifier des évènements qui amènent les individus à être impliqués dans évènements de violence conjugale.

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Jusqu’à présent, les études sur la violence conjugale ont principalement considéré l’évènement de façon isolée. Signifiant que l’on prenait peu compte de l’influence des interactions entre les protagonistes ainsi que l’influence des différents facteurs dans le passage à l’acte. Par exemple, pour Winstok (2008), un conflit escalade jusqu’aux altercations physiques lorsque l’un ou les deux partenaires tentent d’imposer leur position sur l’autre et ce, de façon répétitive. Pour l’auteur, une escalade est une augmentation constante de la sévérité des interactions. Celles-ci finissent par devenir un schème comportemental entre les deux individus. De plus, il est rare d’avoir accès à des études concernant l’influence du comportement de la victime et comment il peut influer sur celui de l’agresseur. L’intérêt était principalement dirigé sur les éléments contextuels et environnementaux que les intervenants ou les autorités pourraient contrôler pour mieux intervenir sur l’agresseur et non pas à comprendre la dynamique qui peut exister entre les deux protagonistes. Les deux parties posent des actions et celles-ci peuvent nous aider à identifier des pistes de solution pour prévenir ou diminuer l’incidence de la violence entre partenaires.

Ce projet s’inscrit en continuité avec le plan d’action du SPVM en matière de prévention de la violence conjugale. Il tente d’apporter un nouveau regard sur ce phénomène afin de proposer des pistes de prévention. Le but visé par celui-ci est de percevoir la violence entre conjoints d’une nouvelle manière, permettant d’adapter les mesures déjà en place ou proposer de nouvelles pistes pour assister les victimes, les agresseurs ainsi que les tiers. Le présent projet de recherche se distingue des études faites jusqu’à présent sur la violence conjugale en adoptant la perspective des scripts (Cornish, 1994). Celle-ci permet de voir, étape par étape, le processus du passage à l’acte en incluant les variables importantes, à savoir les acteurs, leurs actions et les rôles de chacun, le lieu de l’évènement, la présence de facilitateur et la présence de désinhibiteurs. Elle permet, comme le souligne Cornish (1994), d’analyser et d’observer le contexte immédiat dans lequel se déroule le crime (avant, pendant, après). Une base de données a été construite à partir des cas de violence conjugale trouvés dans les rapports d’évènements policiers de 2014. Il s’agit des données recueillies sur le territoire du

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tant que tel comme crime dans le Code criminel. Les cas étudiés sont donc des voies de fait perpétrées entre conjoints, ex-conjoints, amis de cœur ou ex-amis de cœur. Développer un script spécifique à la violence conjugale permet de développer de nouvelles techniques de prévention.

Le rapport se divise en quatre sections. La première fait une brève révision des approches utilisées pour étudier la violence conjugale. Par la suite, la deuxième section décrit brièvement les différentes variables qui sont utilisées dans le présent projet et qui ont été analysées lors du stage au SPVM. En troisième lieu, la section des résultats est abordée. Les différentes analyses statistiques sont présentées, le script initial de la violence conjugale ainsi que les résultats significatifs trouvés. Finalement, la section quatre propose des mesures de prévention qui pourraient être mises en place, en fonction du script de la violence conjugale.

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CHAPITRE 1-RECENSION DES ÉCRITS Dans le prochain chapitre, une brève description est faite de ce qui est déjà mis en place par le SPVM en termes d’intervention et de prévention de la violence conjugale. Afin de mieux comprendre aussi ce qu’est la violence conjugale et les facteurs qui influent son passage à l’acte, plusieurs approches ont été développées. Chacune cherche à donner une explication aux gestes commis. Un bref portrait est dressé afin de voir ce qui a été exploré jusqu’à présent. Finalement, la perspective des scripts est abordée et on décrit comment celle-ci permet une compréhension différente de la violence conjugale et comment elle permet de proposer des mesures de prévention situationnelle.

1.1. La violence conjugale et le SPVM

Le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM) a toujours été préoccupé par les crimes de violence conjugale. Depuis quelques années, la problématique est devenue un sujet d’actualité et prioritaire dans la société québécoise. Au Québec, en 1986, les secteurs policier, judiciaire et correctionnel, avec l’aide du ministère de la Justice, s’allient afin de mieux travailler à prévenir et à intervenir auprès des individus victimes de violence conjugale. Il s’agit d’une première puisque le Québec reconnait officiellement l’aspect criminel de la violence entre conjoints et témoigne de son désir de la réprimer et la punir. L’application d’une nouvelle politique en matière de violence conjugale a permis de changer principalement le quotidien des policiers et leur façon de réagir et prévenir la violence conjugale. Le SPVM n’a donc pas échappé à l’application de cette nouvelle politique. Il en est cependant ressorti que le pouvoir discrétionnaire des policiers avait une grande place dans l’analyse d’une situation de violence conjugale et pouvait faire en sorte que les policiers évaluaient plus faiblement le risque des victimes de revivre des actes de violence. De ce fait, ils conseillaient simplement aux deux parties de se séparer le temps d’une nuit et de discuter de la situation une fois calmée. La victime, le plus souvent la femme, était donc vulnérable à de nouvelles attaques et à de nouvelles colères de la part du conjoint, celles-ci pouvant se transformer en actes

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violents. Du côté juridique, la nouvelle loi criminalisait et réprimait les actes de violence entre conjoints ou ex-conjoints, mais il n’en demeurait pas moins que la majorité des accusés s’en tirait sans accusation devant la cour. Bien souvent, les victimes, trop effrayées des effets de la dénonciation ou en voyant le « peu d’implication » de la police, perdaient leur motivation à porter plainte. Par conséquent, très peu d’accusations dans le système judiciaire et peu d’accusés se retrouvaient en Cour en regard des actes posés (Gouvernement du Québec, 1995).

Pour pallier cette situation et permettre que les cas les plus graves puissent être traités par les acteurs du système judiciaire, en 1995, une nouvelle politique est adoptée par le Québec : « La politique d’intervention en matière de violence conjugale ». Cette nouvelle politique se veut plus adaptée aux besoins tant des victimes que des agresseurs, en implantant des programmes et du soutien pour tous. Le principal changement qu’a apporté la nouvelle politique est l’obligation, pour tous les policiers, de dénoncer les violences entre conjoints et d’écrire un rapport d’évènement. Par la suite, chaque dossier est transmis au Procureur à qui revient la tâche de le présenter en Cour en ayant comme objectif de condamner l’agresseur. Malgré les nombreuses situations répertoriées par les services de police, le nombre d’accusations en Cour n’a pas augmenté (Boivin & Ouellet, 2013). Par contre, comme le soulignent Boivin et Ouellet (2013), les différents intervenants, acteurs du système judiciaire et correctionnel ont pu avoir un portrait plus représentatif de la violence conjugale au Québec et ont pu observer une augmentation des dossiers dénoncés et traités par les services de police depuis l’adoption de la nouvelle politique. La politique n’est pas parfaite et la proportion d’agresseurs condamnés n’est pas plus grande depuis l’adoption de celle-ci. Une des explications données par l’évaluation de Boivin et Ouellet (2013) est que le nombre d’acteurs n’a pas augmenté pour traiter le nombre grandissant de demandes. De plus, malgré les nombreux efforts pour estimer le nombre réel de cas de violence conjugale par année, cet objectif est impossible à atteindre puisqu’il y a toujours des évènements qui ne sont pas rapportés ou dénoncés aux autorités. Aussi, le fait de savoir que les services de police se doivent de dénoncer et créer un évènement criminel peut porter la victime à moins vouloir porter

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plainte contre l’agresseur. Ceci conduit à une déresponsabilisation de la victime face à la mise en accusation de l’individu.

En parallèle à tous ces développements québécois et l’instauration de nouvelles politiques et lois qui permettent de protéger les enfants, les victimes et même les agresseurs, le SPVM a établi un plan d’action spécifique à la violence conjugale. En 2013, le SPVM a adopté un nouveau « plan d’action stratégique en matière de violence conjugale et intrafamiliale » (SPVM, 2013). Ce plan se déroule sur quatre ans, soit de 2013 à 2017. Quatre axes d’interventions ont été choisis pour améliorer les interventions, la prévention ainsi que la sensibilisation. Depuis quelques années, le SPVM a su développer des partenariats avec des organismes, des intervenants et acteurs du système judiciaire et correctionnel afin de donner une réponse adaptée aux besoins des différentes victimes de la violence entre conjoints ainsi qu’aux agresseurs. Il s’agit du premier axe d’intervention : « l’intervention concertée ».

Le deuxième axe se concentre davantage sur l’adaptation des interventions aux nouvelles réalités des acteurs impliqués dans les dossiers de violence conjugale. C’est donc de trouver un moyen d’impliquer et de répondre aux besoins de tous, peu importe l’âge, le sexe, l’ethnie, la condition physique/mentale, etc. De cette façon, on peut agir et prévenir les possibles évènements de violence et diminuer le plus possible le nombre d’éventuelles victimes.

Le troisième axe met l’accent sur « l’actualisation des pratiques policières ». Étant souvent les premiers intervenants à entrer en contact avec la ou les victimes, l’agresseur ainsi que les témoins, il est primordial et pertinent de toujours donner la meilleure formation aux policiers. Ils peuvent ainsi mieux intervenir, mais aussi mieux cerner l’ampleur de la problématique et mieux évaluer les risques ou dangers potentiels que peuvent encourir les plus vulnérables. Il s’agit aussi de pouvoir unifier et standardiser les interventions afin que tous les policiers interviennent de la même façon et que leurs actions soient les plus adaptées aux situations rencontrées.

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Finalement, comme quatrième axe, le SPVM se fait un devoir de maintenir et toujours continuer à innover et améliorer ses actions en regard des dossiers de violence conjugale. Ainsi on viendra enrichir les bases établies depuis quelques années par l’organisation.

1.2. Études et perspective pour mieux comprendre la violence conjugale

Plusieurs perspectives ont été développées afin d’étudier la violence conjugale. Chacune a comme objectif d’apporter une réponse supplémentaire à la compréhension ou l’explication du phénomène social et d’innover en termes de solutions et d’interventions à faire auprès des différents acteurs impliqués. Plusieurs acquis ont été faits depuis que l’on a pris conscience de la violence entre conjoints. Une évolution des perceptions du déroulement du passage à l’acte et des facteurs de risque s’est produite.

Lorsque l’on fait référence à la violence entre conjoints, on pense au cycle de la violence conjugale élaboré par Walker (1984). Pour Walker, les violences se produisent de façon cyclique et suivent l’évolution des tensions présentes chez l’agresseur. Quatre phases composent ce cycle : la tension, la crise, la justification et la lune de miel (Figure 1).

Figure 1: Le cycle de la violence

La première phase est l’apparition d’une tension entre l’agresseur et la victime qui engendre une désensibilisation de l’individu face à l’autre. La plupart du temps,

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l’apparition des violences verbales se présente durant cette première étape. Lorsque la frustration ne se résorbe pas et que l’individu ne contrôle pas son agressivité, la crise apparait et il y a une montée aux extrêmes dans les actions et les comportements de l’agresseur face à sa victime. Il y a alors altercation physique entre les protagonistes. Au fil du temps, les violences physiques peuvent s’intensifier en termes de gravité, et les épisodes de violences peuvent aussi se produire de façon plus rapprochée d’une fois à l’autre. Suite aux évènements violents vient la phase de justification où l’agresseur prend connaissance de la portée de ses actes. Celui-ci tente de justifier ses comportements auprès de sa partenaire en rationalisant ses actions. Finalement, la quatrième et dernière phase est la lune de miel. Il s’agit du moment où il y a un retour à la normale ; le partenaire violent redevient amical et affectueux. Comme le soulignent plusieurs auteurs, ce qui est particulier avec le cycle de la violence conjugale, tel qu’élaboré par Walker (1984), est son caractère répétitif et ascendant; la violence se présente de façon plus grave et de plus en plus fréquente (Larouche 1987 ; Feld et Strauss, 1989 ; Winstok, 2013). Cependant, comme le souligne Blondin (2015), cette explication de la violence conjugale n’est que théorique et plusieurs études subséquentes l’ont nuancée.

1.2.1 Les perspectives féministes

Les perspectives féministes ont vu le jour dans un contexte où l’on voulait dénoncer les inégalités sociales entre les hommes et les femmes (DeKeseredy, 2011). Plus spécifiquement, c’est avec l’objectif de dénoncer les injustices sociales dont les femmes, plus particulièrement les femmes noires, que l’approche féminisme a fait ses premiers pas. Depuis, plusieurs auteurs féministes se sont attardés à comprendre le passage à l’acte de la violence conjugale et ont su développer différentes ramifications à la perspective, tout en continuant à militer pour dénoncer les problématiques sociales conduisant trop souvent à la victimisation des femmes. Trois principales perspectives ressortent.

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Dans un premier temps, certains théoriciens estiment que le genre et le désir de pouvoir sont des éléments clés du déclenchement de la violence conjugale (Dobash & Dobash, 1979 ; Stark & Flitcraft 1989 ; Yllo, 1993). Ces auteurs sont d’avis que les inégalités entre les hommes et les femmes sont à la base de la violence entre conjoints prédisposant les femmes à vivre de telles violences. Ce constat est appuyé par les conclusions des travaux de Felson (1994 et 1996). Felson croit que les femmes ont plus de chance de devenir victimes et subir des sévices physiques de la part de leur conjoint en raison de leur force. Effectivement, les femmes, en général étant moins fortes et moins grandes, il est plus facile pour les hommes de les contrôler et de les dominer physiquement. Ces différences sexuelles seraient des facteurs importants pour expliquer les inégalités reliées au sexe dans les violences, notamment conjugales.

Comme le rapportent Jaquier et Guay (2013), les perspectives féministes perçoivent la violence conjugale comme étant le résultat du sexisme qui subsiste dans nos rapports interpersonnels et la domination masculine. Ces auteurs se rapportent davantage à ce que l’on nomme le paradigme du genre pour expliquer les violences domestiques (Felson, 1994 et 1996; MacKinnon, 1989). Toutes les interactions entre les hommes et les femmes se rapportent à la notion de contrôle et de pouvoir. Pour DeKeseredy et MacLoed (1997) les violences conjugales se produisent entre deux individus qui ont ou ont eu une relation intime. Les auteurs identifient spécifiquement l’agresseur comme étant un homme ou une femme qui tente d’exercer force et pouvoir sur sa victime. Les auteurs reconnaissent donc que les violences entre partenaires peuvent être hétérosexuelles comme homosexuelles. De plus, pour eux, les violences conjugales résultent en une perte de dignité, de contrôle et de sécurité ainsi qu’un sentiment de ne plus avoir de pouvoir sur sa vie et d’étouffer dans la relation. L’accent est donc mis tout autant sur les aspects psychologiques que sur les blessures physiques infligées par l’agresseur comme moyens de domination et de contrôle sa la victime.

Afin d’illustrer cette dynamique de pouvoir de l’agresseur sur sa victime, Johnson (2008) a conçu une typologie comportant trois types de violence conjugale. Chaque type décrit une dynamique spécifique entre les conjoints et identifie les différentes interactions

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qui peuvent se dérouler entre les deux parties. Le premier type est la « violence de contrôle et de coercition » (Coercitive Controlling Violence). Ces violences réfèrent principalement aux différents abus psychologiques que l’agresseur peut infliger à sa victime. Il s’agit principalement d’un homme qui exerce et impose son pouvoir et sa domination sur sa conjointe de façon émotionnelle puis physique. Pour Kelly et Johnson (2008), il s’agit de la forme de violence conjugale la plus dommageable et la plus traumatisante pour la victime, qui se retrouve éventuellement, à la merci de son agresseur. Ce sont ces victimes qui se retrouvent le plus souvent dans les hôpitaux, les centres d’hébergements et de protection. Il y a aussi les femmes qui sont emprisonnées dans une dynamique que Johnson (2008) nomme la « violence résistance » (Violent

resistance), le deuxième type de violence. L’acte devient un évènement de violence

mutuelle où les violences de la victime seront perçues comme un mécanisme de défense (Kelly & Johnson, 2008). Les ripostes sont exceptionnelles, mais elles sont tout de même perpétrées dans un objectif de préservation et de défense. Finalement, le troisième type est la « violence situationnelle » (Situational Couple Violence). Au sein de cette dynamique, le désir de contrôle ou de pouvoir ne fait pas partie du quotidien conjugal (Johnson & Leone, 2005). Ces violences découlent d’un conflit qui s’aggrave et entraine une altercation physique entre les deux partenaires. Pour Johnson (2008), cette dynamique a peu de risque de se répéter cependant. Lorsque tel est le cas on peut assister à une augmentation de la fréquence de la violence ainsi qu’à des blessures plus sérieuses comme résultat. Comme souligné par Blondin (2015), il s’agit des violences les plus courantes dans la population et du scénario qui se rapproche le plus de celui de la perspective de la violence conjugale.

Dans un deuxième temps, il y a les féministes qui croient que la violence entre conjoints est beaucoup plus complexe qu’un simple désir de pouvoir et de domination de l’homme sur la femme (Gelles, 1997 ; Strauss, Gelles et Steinmetz, 1980). Pour eux, il y a plusieurs facteurs contextuels qui influencent l’individu dans sa décision de violenter sa partenaire. Les études démontrent entre autres que les violences vécues par les femmes peuvent être de source sociale, culturelle ou politique, soulignant à ce chapitre l’importance de prendre action (p. ex : modifier ou ajouter des lois protégeant les

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victimes et punissant l’agresseur) afin d’enrayer la problématique (McPhail, Busch, Kulkarni, et Rice, 2007).

Dans un troisième temps, le féminisme intersectoriel remet en question la définition traditionnelle de la violence faite aux femmes, questionne la primauté des inégalités de genre dans la construction de cette problématique et considère les tensions entre la structure sociale dominante et la culture des groupes minoritaires (Flynn, Lessard, Montmigny et Brassard, 2013). Ainsi, on ne justifie plus les actes que par la simple dominance de l’homme sur la femme, mais on met aussi l’accent sur l’importance d’analyser et de prendre en compte le contexte social et individuel dans lequel évolue la victime pour comprendre la problématique et mieux prévenir de tels gestes. Par exemple, Flynn (2013) s’est penchée sur la réalité des femmes autochtones victimes de violence conjugale. Elle constate que pour ces femmes, il est difficile de sortir de la violence conjugale simplement par l’appui de la communauté qui banalise souvent les actes de violence. Pour les victimes, le fait de porter plainte ne fait pas de sens et comme leur anonymat n’est pas préservé, il est difficile pour les femmes de faire confiance et d’affronter l’agresseur pour la suite des procédures. Au Québec, Lamboley (2013) a récemment étudié les violences conjugales sous la loupe du féminisme intersectoriel. Pour cette auteure, l’interrelation entre le sexe, l’orientation sexuelle et les classes sociales influence l’apparition des violences entre partenaires chez les femmes immigrantes mariées de force.

1.2.2. Les perspectives épidémiologiques

De façon générale, les perspectives épidémiologiques étudient la répartition et la fréquence des problèmes de santé publique (ce qui inclut les violences) au sein de la population, et misent sur l’identification des facteurs de risque. Si l’on consulte la littérature sur la violence conjugale, il s’agit principalement de facteurs dans le contexte social de la victime qui sont identifiés comme étant des éléments déterminants pour le passage à l’acte. De par ces résultats, il est possible d’identifier les solutions que l’on doit mettre en place afin d’agir directement à la source du problème de violence conjugale.

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Pour les tenants de l’approche épidémiologique, la violence conjugale affecte la victime tant sur le plan physique, sexuel que psychologique (Gordon, 2000, Hegarty et coll., 1999, Kilpatrick, 2004 et Lobmann et coll., 2003). À travers les différentes études que Campbell et ses collaborateurs (2007, 2005, 2003) ont menées, plusieurs constats ressortent au sujet de la violence entre conjoints et la violence familiale. Pour Campbell (2005), l’agression se définit comme une stratégie d’associations où pour l’agresseur la valeur des bénéfices possibles associée à la probabilité de les obtenir excède la valeur des coûts et la possibilité de les subir. Cette interprétation de la violence conjugale peut expliquer pourquoi certains comportements seront répétés alors que d’autres seront délaissés et modifiés pour des comportements adaptés aux réponses obtenues antérieurement. Le concept de stratégie d’association se réfère à la théorie de l’apprentissage social où le comportement est renforcé selon le résultat obtenu. L’association se fait par l’observation de comportements chez les personnes significatives pour l’individu, qui sera alors porté à les reproduire suite aux bénéfices obtenus (Jaquier et Guay, 2013). Dans une autre étude, Campbell, Webster, Koziol-McLain, Block, Cambell, Curry, Gary, Glass, McFarlane, Sachs, Sharps, Ulrich, Wilt, Manganello, Xu, Schollenberger, Frye, et Laughon, (2003) ont constaté que le fait de ne jamais vivre dans la même maison que son partenaire et l’historique des arrestations du conjoint sont des facteurs qui diminuent le risque de devenir victime de violence conjugale, contrairement à ce qui avait été trouvé précédemment dans une autre étude (Weiner, Zahn et Sagi, 1990). Cependant, le fait que le conjoint ait accès à une arme et qu’il ait déjà procédé à des menaces avec une arme par le passé, le fait qu’il y ait les beaux-enfants de l’agresseur présents dans la maison et le fait que le partenaire soit de nature contrôlant représentent autant de facteurs de risque de violence conjugale. Selon Campbell, Jones et Dieneman, (2002), les femmes victimes de violence physique et sexuelle de la part de leur partenaire ont entre 50 et 70 % plus de chances d’avoir des problèmes gynécologiques, des problèmes du système nerveux ainsi qu’un plus grand risque de vivre de l’anxiété. Dans son étude de 2003, Campbell et son équipe ont pu déterminer que le fait d’avoir déjà été violenté par son partenaire associé au contexte spécifique entourant les cas de violence conjugale, est ce qui détermine le mieux les risques que les femmes soient victimes d’un meurtre de la part de leur conjoint. En lien avec cette conclusion, les auteurs ont proposé

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que d’augmenter les possibilités d’emplois pour les femmes, faire de la prévention sur le plan de la consommation et réduire l’accès aux armes à feu aux partenaires violents afin de réduire les chances pour la femme d’être tuée dans un contexte de violence conjugale. En étayant de telles solutions, les chercheurs permettent donc aux intervenants de cibler les éléments sur lesquels travailler avec les femmes et sensibiliser la population aux moyens possibles pour aider celles dans le besoin.

Alors que les travaux de Campbell et coll. (2002, 2003, 2005 et 2007) portent spécifiquement sur l’homicide conjugale, d’autres ont étudié les facteurs associés au risque de violence en général (Basile et Black, 2010; Godenzi et coll., 2001; Heise, 1998; Johnson et Dawson, 2010; Krug et coll., 2002). Ces facteurs peuvent être d’ordre personnel et biologique (par ex : faible estime de soi, tendance colérique et impulsive, consommation excessive d’alcool), relationnel (par ex : relation de dominance, inégalité des tâches, conflits récurrents, isolement social du couple), sociodémographique (par ex : faible niveau d’éducation, âge, chômage, précarité financière des protagonistes) ou socioculturel (par ex : appartenance ethnique, religion, capacité de tolérance face à la violence). Cependant, les modèles multifactoriels proposés à l’aide de la perspective épidémiologique ne rendent pas compte des interactions entre les facteurs. En plus, on semble considérer uniquement ce qui prédispose la victime à subir des violences de la part de son conjoint, mais on considère très peu les actions posées par l’ensemble des personnes présentes tout au long du processus de passage à l’acte. Les contextes où la violence se produit restent peu documentés Ainsi, la validité empirique demeure restreinte puisqu’on ne peut pas mesurer simultanément l’influence de différents facteurs (Jacquier et Guay, 2013). Finalement, les études épidémiologiques faites par Campbell ont tendance à analyser les évènements les plus graves tels que les meurtres conjugaux. Ce type de cas ne représente pas la majorité des dossiers policiers de violence conjugale (SPVM, 2014). Étudier les cas bénins permet toutefois d’identifier des éléments susceptibles d’expliquer l’absence de violence dans un conflit (Cornish, 1994).

1.2.3. Le paradigme de la carrière criminelle, perspectives développementales et parcours de vie

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Dans le paradigme de la carrière criminelle, l’accent est mis sur l’influence des circonstances de vie et les facteurs individuels dans la compréhension d’une problématique (Blondin, 2015). Le concept de carrière peut se comprendre comme étant l’alternance de l’individu entre des comportements délinquants et non délinquants, ou entre différents types de comportements délinquants (Leblanc, 1986). On perçoit donc le crime comme une évolution des comportements à travers le temps et les expériences et non plus comme étant un évènement ponctuel et isolé dans le temps. Il est important de noter que la notion de carrière criminelle, est aujourd’hui davantage une façon de structurer et d’organiser les connaissances pour mieux les comprendre et les mesurer qu’une théorie du crime (Blondin, 2015). On a identifié des paramètres clés dans la compréhension des carrières criminelles, à savoir la fréquence, la gravité, la durée, la co-délinquance et la diversification (Piquero, Farrington et Blumstein, 2003). D’ailleurs, au fil des études sur la carrière criminelle, les auteurs ont pu identifier plusieurs types de carrières criminelles, toutes d’intensités variables. Plus spécifiquement, on a identifié que l’individu peut avoir une carrière criminelle que l’on appelle d’occasion, de transition, ou persistante (Brochu, 2006; Blondin, 2015).

Les auteurs qui empruntent le paradigme de la carrière criminelle tentent d’expliquer les changements de comportement à travers le temps à l’aide de différents facteurs. Pour Feld et Straus (1989), la violence est une stratégie non légitime que les individus utilisent afin de régler des conflits en général. C’est le cas aussi entre conjoints. Les actes de violence conjugale se comprennent comme des comportements criminels répétitifs de l’individu à travers les années et ses expériences criminelles. La théorie que les auteurs développent est dynamique; elle prend en considération l’évolution de l’individu dans le temps et les changements de comportements et de motivations qui peuvent s’opérer chez certains. Les comportements violents ne sont pas toujours motivés par la même raison et les comportements de l’individu ne sont pas cristallisés; il y a possibilité que ceux-ci cessent ou s’interrompent. Pour eux, de s’engager dans la commission de délits mineurs est un facteur de risque pour commettre des gestes plus répréhensibles et plus grave tels

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que frapper de plus en plus fort son partenaire et lui infliger ainsi des blessures plus sérieuses à chaque épisode de violence.

Selon Piquero, Farrington et Blumstein (2003), il y a deux perspectives qui forment le paradigme de la carrière criminelle : les perspectives développementales et les perspectives de parcours de vie. Pour ces deux perspectives, l’emphase est mise sur l’identification de facteurs de risque et de protection associés à divers âges, l’identification d’évènements marquants dans l’évolution de l’individu ainsi qu’à l’identification de ce qui a permis le développement de comportements délinquants et antisociaux chez l’individu.

Premièrement, les perspectives développementales constituent l’un des modèles explicatifs du développement de comportements violents en contexte conjugal le plus validé par la recherche (Capaldi, Kim et Pears, 2009; Jaquier et Guay, 2013). Elles reconnaissent que la violence conjugale n’est pas causée et liée à un seul facteur. Par exemple, elle peut résulter d’un environnement à la base malsain. Il est à noter que pour l’approche développementale, c’est l’interaction de facteurs individuels, relationnels, communautaires et sociaux qui sont à la base du passage à l’acte. Pour eux, les comportements violents n’affectent pas seulement le ou la partenaire victime, mais ont aussi une influence sur le développement des enfants et le contexte familial dans lequel ils évoluent. Pour les auteurs, la violence conjugale ainsi que la violence envers les enfants (maltraitance) auraient des facteurs prédisposant similaires. L’enfant ainsi témoin, ou lui-même victime de violence, aurait tendance à développer des comportements antisociaux, à manifester des symptômes dépressifs et à avoir de faibles capacités de résolution de problème. Comme le mentionnent Jaquier et Guay (2013), les chances par la suite pour que cet individu se retrouve en couple avec un autre individu ayant un parcours de vie similaire sont relativement élevées. De cette dynamique peuvent naître alors, des comportements antisociaux et se développer de faibles acquis en termes de résolution de conflit, favorisant les tensions dans le couple et l’apparition de comportements violents. Comme le souligne Hattery (2009), les évènements vécus durant l’enfance ont une incidence sur les risques de devenir agresseur ou victime une fois à

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l’âge adulte. Selon elle, lorsqu’une jeune fille se fait agresser sexuellement durant ses premières années de vie, il y a un plus grand risque que celle-ci subisse des violences physiques à l’âge adulte. Cette même situation se produit pour les jeunes garçons qui sont témoins, en bas âge, d’actes de violence entre conjoints. Les comportements d’agression ne se reproduisent donc pas seulement à l’intérieur d’un seul type de relation (conjoint/ex-conjoint), mais bien d’un contexte à l’autre. Les auteurs vont même jusqu’à extrapoler que la violence conjugale peut être liée à des évènements de violence contre des inconnus.

Deuxièmement, les perspectives de parcours de vie considèrent l’évènement de violence dans une optique de globalité en misant sur le processus décisionnel qui a mené au crime ainsi qu’aux différents épisodes ou moments marquants que va vivre l’agresseur (Blondin, 2015). Principalement, ce sont les évènements de vie marquants au cours de l’âge adulte qui sont considérés comme étant les plus influents. On prend donc en considération une multitude de facteurs criminogènes dans la compréhension de l’évolution de l’individu et ce qui peut le mener éventuellement à commettre le crime au cours de son parcours de vie (Piquero et coll., 2003). La vie n’est pas un parcours en ligne droite, elle comporte des rebondissements et des anicroches qui peuvent éventuellement devenir marquants pour l’individu. Ceci représente le concept de trajectoire, selon Sampson et Laub (1993). Ces évènements peuvent devenir des points tournants dans l’évolution de l’individu et peuvent constituer des éléments déclencheurs ou prédisposant à commettre des actes criminels (Sampson & Laub, 1993). La victime de violence conjugale peut donc vivre des épisodes de violence ou de non-violence selon les évènements marquants qui se produisent. Une grossesse, un nouvel emploi sont considérés comme deux exemples de « turning points » qui peuvent influer directement sur le passage à l’acte. Cependant, aucune recherche actuelle ne semble pouvoir confirmer ou infirmer ces hypothèses, comme le souligne Blondin (2015).

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Selon ces perspectives, la violence conjugale est généralement représentée comme une querelle qui monte aux extrêmes. Lukenbill (1977) stipule que seulement quelques criminels, perpétrant soit un homicide ou une attaque, planifient leur crime. Plus souvent, il s’agira de crime passionnel, par exemple la violence conjugale. Ceci est aussi congruent avec la notion de « compétition de caractère (character contest) » que Goffman (1963, 1967,1969) a élaboré dans ses écrits : la violence conjugale pourrait découler principalement d’un conflit où chacun tente de s’affirmer face à l’autre et où aucun des protagonistes n’acceptera de capituler devant « l’adversaire ». Il s’agit donc d’une transaction entre deux individus qui mène à un geste violent.

Contrairement aux perspectives qui soutiennent que le passage à l’acte est le résultat de facteurs sur lesquels l’individu n’a aucun pouvoir, plusieurs auteurs soutiennent qu’il est possible qu’un processus décisionnel soit à l’origine du passage à l’acte (Leclerc, 2014; Clarke et Cornish, 1986). Même lorsqu’un crime semble commis sous l’impulsion du moment, un certain processus décisionnel prend place (Tedeschi et Felson, 1994). Selon la perspective du choix rationnel, si les coûts sont plus élevés que les bénéfices, les risques de passage à l’acte diminuent considérablement.

Selon Tedeschi et Felson (1994), il existe un processus décisionnel, tant pour les crimes de nature prédatrice que de nature querelleuse. Souvent, on aura tendance à percevoir les crimes prédateurs comme plus planifiés ou comme demandant un plan. Le crime querelleur peut aussi impliquer un calcul coût/bénéfice, mais qu’il se fasse seulement dans un plus court laps de temps. Pour les auteurs, l’influence de la théorie des activités routinières apparait également, plus particulièrement pour les crimes prédateurs et les crimes de disputes qui résultent en violence. Ainsi, la proximité et la fréquence d’interactions avec autrui peuvent augmenter les risques de vivre des moments de tensions où des gestes violents pourront survenir (Cohen et Felson, 1979). De plus, selon la théorie des activités routinières, l’absence de gardien augmente les chances que le criminel décide de perpétrer son crime. S’il y a absence de tiers autour de la victime de violence conjugale, l’agresseur peut se sentir plus sûr de mener à terme son projet puisque personne ne peut le dénoncer ou être alerté de ce qu’il fait. Aussi, estime-t-on

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que les victimes qui ont peu ou pas de relation avec le noyau familial ou d’amis proches seront plus à risque de vivre de la violence de la part de leur conjoint parce qu’elles seront plus isolées et vulnérables.

Dans la même ligne de pensée, la perspective de « l’évènement criminel (criminal

event perpective) » de Wolfgang (1958), suggère que la victime joue souvent un rôle

important dans le résultat criminel et sur la gravité de ses blessures. Pour lui, la victime a donc une influence sur le comportement de l’agresseur et n’est pas passive. La perspective de Wolfgang a été élaborée en opposition aux différentes théories et perspectives du crime qui mettaient l’emphase sur les actions et les intentions des criminels uniquement. La perspective de Wolfgang permet donc d’analyser et percevoir la victime comme étant un individu à part entière qui possède une influence dans le passage à l’acte.

La perspective du choix rationnel, incluant également les perspectives situationnelles, ont également mis l’emphase sur les facilitateurs (Clarke, 2009). Les facilitateurs rendent les crimes plus réalisables et permettent de diminuer les éventuels coûts liés à leur commission. L’arme à feu représente le facilitateur par excellence (Cook 1991) et son utilisation est souvent associée à un risque atténué de blessures, mais celles-ci sont souvent plus graves lorsqu’elles surviennent (Brennan et Moore, 2009; Felson, 1996; Kleck et McElrath, 1991). L’arme peut aider l’individu à atteindre son but en intimidant ou menaçant la victime et l’inciter davantage à se plier aux demandes de son agresseur. Lorsqu’il y a préméditation, l’agresseur peut s’équiper d’une arme adéquate et établir un plan d’attaque (Cook, 1991). Le choix de l’arme peut différer en fonction des risques que représentent la victime et son niveau de vulnérabilité. L’effet de l’arme peut avoir un résultat différent selon la nature de son utilisation. Effectivement, il est possible que l’agresseur décide de passer à l’acte et d’attaquer la victime avec une arme si celui-ci sent qu’elle peut riposter ou qu’elle représente un réel adversaire (Felson et Painter-Davis, 2012).

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En opposition à l’hypothèse soulevée précédemment, Felson et Pare (2010), croient que la présence d’arme à feu augmente le risque de résistance chez la victime. Il y a plus de chance que l’autre personne riposte avec une arme à feu qu’avec la simple force physique. Les conséquences sont donc plus mortelles pour la victime. Selon Weaver, Wittekind, Huff-Corzine, Petee et P. Jarvis (2004), l’utilisation d’une arme à feu ou d’un couteau occasionne des blessures plus graves à la victime que toute autre arme. Cependant, leur conclusion suggère que l’arme n’est pas la seule responsable de l’issue fatale d’une attaque. Les caractéristiques de la victime et les facteurs contextuels jouent un rôle important dans les actions posées par l’agresseur lors de la violence conjugale.

1.3. La perspective des scripts et la violence conjugale

Une autre façon d’envisager les actes de violence conjugale est la perspective des scripts. Afin de mieux saisir exactement l’implication et le rôle que peut jouer la perspective des scripts, il est d’abord important de définir ce qu’ils représentent. Le script est en fait une description, point par point, de toutes les étapes qui mènent à un acte spécifique. Plus précisément, ils permettent d’organiser nos connaissances sur les individus et sur les évènements (Cornish, 1994).

La perspective des scripts a été empruntée à la psychologie cognitive, permettant de décortiquer, étape par étape, le passage à l’acte et de comprendre les interactions, les rôles et les actions des acteurs présents lors du crime. Auparavant, la perspective avait été appliquée principalement dans des études en psychologie cognitive et dans quelques cas, dans des recherches en criminologie pour les crimes contre les biens comme les cambriolages (Walsh, 1980; Bennett et Wright, 1984; Rengert et Walsichick, 1985, 1989; Crownwell et coll., 1991.) ou les vols (Lejeune, 1977; Walsh, 1986). Cependant, elle peut facilement s’appliquer aux crimes contre la personne comme les homicides ou les voies de fait (Campbell et Gibbs, 1986; Felson, 1991). Toutefois, les études précédentes, comme le reconnait Cornish (1994), se sont concentrées sur des éléments spécifiques du passage à l’acte ce qui a mené à émettre des mesures de prévention situationnelles superficielles et à donner des repères partiels aux intervenants ou professionnels

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travaillant avec les victimes. Ainsi, les scripts ont aussi été développés afin d’aider et faciliter l’identification de mesures de prévention situationnelle spécifiques à une problématique (Cornish et Clark, 2003; Wortley, 2001).

Par la perspective des scripts, Cornish (1994) met de l’avant la prévention situationnelle comme moyen de contrevenir aux actions posées par les criminels. Les mesures de prévention situationnelles ont été particulièrement appliquées en criminologie en raison de la facilité avec laquelle on peut les instaurer et les utiliser (Roshier, 1989; Gottfredson and Hirschi, 1990). De plus, la prévention situationnelle se distingue des approches plus répressives et réactives. Elle vise à modifier les aspects immédiats de l’environnement qui permettent ou encouragent la commission du crime au lieu de tenter de modifier la prédisposition de l’individu (Clarke, 2009). On ne tente pas de changer la nature même du criminel, mais plutôt d’agir sur l’environnement dans lequel il évolue et sur les opportunités et les facteurs incitatifs qui se présentent à l’individu afin de pouvoir réduire les risques de passage à l’acte. Effectivement, si le criminel n’a plus d’opportunité (Clarke, 1997) et faute d’incitateur (Wortley, 2001), les risques qu’il passe à l’acte s’en trouvent d’autant diminués. Pour ce faire, il faut être en mesure d’identifier correctement l’objectif visé par l’agresseur afin de le contrer. Ainsi, on pourrait influer sur le processus décisionnel de l’individu.

C’est donc dans le but d’aider les intervenants travaillant à partir de la prévention situationnelle et pour les amener à se questionner sur les éléments qu’ils pouvaient modifier ou pour changer le comportement d’autrui que Cornish a développé la perspective des scripts. Comme le mentionne Leclerc (2014), la perspective des scripts permet d’identifier les actions posées précisément avant, pendant et après le crime afin de pouvoir proposer des mesures de prévention et d’intervention. Ceci permet de diminuer les risques de passage à l’acte ou dans l’idéal, de l’arrêter complètement.

Le script est un type de schéma qui permet de mieux comprendre le comportement d’autrui ainsi que nos propres actions (Cornish, 1994). La perspective des scripts se base aussi sur le concept de routinisation des activités où l’individu reproduit

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des comportements de façon répétitive. Ceci permet de faire ressortir les généralisations ou les modèles comportementaux pour mieux analyser les actions. Selon Cornish (1994), les scripts représentent un outil analytique important nous permettant de déchiffrer des actions rationnelles, orientées vers un but spécifique. La perspective permet aussi de pouvoir observer et analyser différents niveaux d’actions.

La perspective des scripts représente une approche utile pour étudier les comportements routiniers. Elle permet de généraliser, d’organiser et de systématiser des connaissances sur les aspects procéduraux et leurs exigences à la commission d’un crime. Cornish (1994) part du principe que chaque individu interprète son environnement de façon à en retirer des schèmes particuliers qui l’aident à comprendre son environnement et le guident dans ses interactions sociales et son évolution dans la société. Ces schèmes sont en fait des représentations mentales de comportements qui sont acquis à travers les expériences passées ou qui font partie de l’héritage inconscient de chacun. L’ensemble de ces séquences comportementales est donc considéré comme étant des activités routinières en ce sens qu’elles se répètent et que chacune d’elle se matérialise lorsque des facteurs spécifiques dans l’environnement sont présents.

Appliquer la perspective des scripts permet aussi de voir comment un évènement planifié peut ne pas donner le résultat escompté. Parfois, en raison d’influence de facteurs externes ou hors du contrôle de l’agresseur, il se peut que le résultat ne soit pas obtenu. Ayant déjà été appliqués à des comportements routiniers, les schèmes peuvent varier en fonction du contexte dans lequel la personne se trouve. De plus, un script appris et renforcé par le passé se répète plus facilement lors d’une situation semblable ou identique à l’originale (Tedeshi et Felson, 1994). Le comportement qui en résulte donne l’impression d’être impulsif alors qu’en fait, c’est simplement que la personne a appris que ce comportement dans ce contexte fonctionnait.

Pour Cornish (1994), le script principal d’une action routinière peut comporter des permutations. Les permutations sont en fait des variantes du script initial qui surviennent lorsque les éléments ou les actions de base du script sont modifiés. Ces modifications

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peuvent venir d’erreurs ou d’obstacles que le délinquant rencontre lors du passage à l’acte. Les erreurs ou obstacles sont en fait des éléments que l’individu n’a pas prévu avant d’agir et qui l’oblige à s’adapter aux nouveaux éléments. Par exemple, si l’agresseur ne prévoit pas que la victime riposte lors de sa première attaque, il est possible que celui-ci soit pris de court et cesse ses violences au lieu d’aller jusqu’au bout de son projet.

Les permutations sont en fait influencées par les facteurs contextuels, individuels et environnementaux qui se présentent lors de l’action. Il se peut qu’en regard de comment se déroule le crime, le résultat ou les conséquences engendrées sur la victime et/ou l’agresseur ne soient pas les mêmes que ce qui avait été préalablement prévu par l’initiateur des violences. Si l’on prend la violence conjugale, il est possible que la victime réagisse ou soit plus défensive que ce qu’avait prédit l’agresseur non armé. Cette décision peut donc faire en sorte qu’il ait besoin d’user plus de force pour contrôler la victime ou lui faire subir de plus graves blessures pour s’assurer qu’elle ne le dénonce pas ou qu’elle se soumette à ses demandes. De plus, en étant en mesure de comparer les permutations, on peut approfondir le rôle et l’influence de chaque tiers dans l’évolution du passage à l’acte et observer ce qui a pu aider l’agresseur à mener à terme ses intentions ou les facteurs qui l’ont incité à cesser (diminuer) ses violences.

Afin de mieux démontrer l’interrelation entre les différents acteurs dans le passage à l’acte, il est important d’aborder la question des scripts interpersonnels. Comme le reconnait Leclerc (2014), pour que le crime se produise, il doit y avoir rencontre entre l’agresseur et sa victime. Sans cette interaction, le passage à l’acte ne peut s’enclencher. Ainsi, si l’on considère que cet élément est nécessaire dans la commission du crime, on doit prendre pour acquis que le script de l’agresseur et celui de la victime se superposent éventuellement. Les actions posées par chacun seront donc dépendantes de celles posées par l’autre. En fonction de comment l’agresseur ou la victime réagit, l’autre posera un geste qui répondra au stimulus produit. Cette analyse de la situation est en fait appelée « schème relationnel » et correspond à une représentation d’une interaction spécifique entre deux individus dans un contexte particulier. Leclerc (2014) qualifie de

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« schéma comportemental relationnel » ce comportement qui se matérialise seulement dans une situation particulière. C’est donc dire que si le script de la victime évolue au même rythme que celui de l’agresseur, il est possible que le script initial de chaque partie puisse varier en fonction des facteurs et éléments présents lors de la commission du crime.

Le script interpersonnel permet de voir les divers gestes posés ou les comportements produits par l’individu selon les obstacles ou les erreurs qui peuvent survenir lors du passage à l’acte. En étant en réaction et dépendant de ce que la victime ou l’agresseur fait, les comportements émis peuvent se transformer et ainsi, influer sur le résultat criminel final. Par exemple, l’agresseur peut avoir comme intention initiale de seulement effrayer la victime en lui assénant quelques coups « légers ». Au cours de l’agression, il est possible que la victime décide de résister ou de se sauver, comme il est possible qu’un inconnu soit témoin de l’incident et décide de s’interposer. Tous ces facteurs peuvent mener ainsi l’agresseur à devoir ré-analyser la situation et s’adapter aux obstacles que l’environnement et les individus vont lui imposer. De par ces changements, il se peut que les acteurs commettent des erreurs ou changent le script de base initial et ainsi modifient le résultat final du crime. Il ne faut pas oublier que les scripts ne sont pas figés dans le temps et l’espace, ils sont flexibles et leur passage à l’acte peut varier en fonction du déroulement des évènements (c.-à-d. permutations, obstacles, erreurs) (Cornish, 1994; Cornish et Clark, 2003; Leclerc, 2014).

Une fois le script identifié, il est plus simple d’employer la matrice développée par Cornish et Clark (2003). La matrice comporte 25 techniques de prévention, où chacune agit sur un élément précis du passage à l’acte. La matrice est un outil très intéressant pour les professionnels et les individus qui travaillent directement avec les personnes touchées par la violence entre partenaires. Elle permet de mieux adapter les interventions et les mesures de prévention. Ces techniques visent à modifier directement l’environnement ou le contexte dans lequel évolue l’individu afin de le décourager de passer à l’acte. La matrice tient donc compte aussi des interactions qui peuvent se produire entre l’agresseur et la victime et ainsi identifier les situations plus à risques

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d’inciter le criminel à passer l’acte. On peut donc en venir à réduire les opportunités criminelles de celui-ci et décourager plus d’un avec des mesures que Cornish et Clarke (2003) mentionnent comme plus « douces » (voir Tableau 1).

Chaque colonne de la matrice vise à agir sur les opportunités criminelles et/ou les facteurs susceptibles de précipiter le crime. Il faut se rappeler qu’il s’agit d’une matrice générale et que son contenu doit être adapté en fonction du type de crime analysé. La première colonne concerne les mesures de prévention qui visent à rendre le crime plus difficile à commettre. Ainsi le délinquant devra déployer plus d’efforts pour commettre son crime. La deuxième colonne, mise sur les mesures de prévention qui visent à augmenter le risque pour le délinquant. La troisième colonne concerne principalement les idées de mesures de prévention en lien avec la « réduction des bénéfices » où on veut principalement diminuer l’intérêt de l’individu à vouloir atteindre son objectif. Quatrièmement, il y a les mesures de prévention qui visent à « réduire les provocations » chez le délinquant. Souvent on perçoit le crime comme le résultat d’une tension présente chez l’individu qui le pousse à agir ainsi. Dans la majorité des cas, les auteurs vont identifier la colère comme étant l’émotion de base de toute pulsion et qui va amener l’individu à agir. La frustration ainsi diminuée, il est possible de réduire les risques de passage à l’acte et permettre à l’individu de mieux contrôler ses pulsions. La dernière et cinquième colonne vise à rendre le crime inexcusable pour le délinquant. Par exemple, des campagnes peuvent rappeler le caractère criminel de l’acte afin que le délinquant ne puisse trouver des excuses le justifiant, l’encouragement à ce que le délinquant suive un programme de contrôle de la colère afin de permettre un contrôle des émotions plus grand et ainsi réduire les occasions de frustrations chez l’individu. De plus, une sensibilisation du voisinage pourrait permettre d’augmenter le risque, pour le délinquant, de se faire voir par un des membres de la communauté et se faire dénoncer à la police. Finalement, la présence de centres spécialisés pour accueillir et soutenir les victimes de violence conjugale permet aux victimes de se retirer de l’environnement menaçant et violent, annulant ainsi toute possibilité de récompense pour l’agresseur.

Figure

Figure 1: Le cycle de la violence
Tableau 1 : Matrice des 25 techniques de prévention situationnelle
Figure 2 : Script initial de la violence conjugale 1. Contexte initial
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