ÉLOGE DE LA DIFFÉRENCE OU COMMENT LA MÉTHODE DE MON COLLÈGUE PEUT-ELLE ÉTRE AUSSI EFFICACE QUE LA MIENNE?
Anne GOUBÉ IUFM de Grenoble
MOTS-CLÉS: FORMATION DES MAITRES - CONFRONTATIONS ENTRE PAIRS-MÉTACOGNITION
RÉSUMÉ: Chaque "expert" pense que son itinéraire de lecture ou que son résumé de texte est "le bon", "le seul valable", "le meîlleur". Ladécouverte des différents itinéraires tous efficaces ou de résumés tous pertinents provoque un choc. Cette prise de conscience sur ses démarches personnelles est un premier pas (incontournable ?) pour envisager ensuite la diversité des processus d'apprentissage des élèves.
SUMMARY : Each "expert" thinks that his own way of reading or his own way of writing a summary is "thegoodone", "theonly one", "the best one". Ta realise that many ways are appropriate and efficient creates a shock. Thinking over one's own procedures is a first step to help consider the diversity for learning processes of students.
1. INTRODUCTION LI Pourquoi ce travail
Fonnanice en Sciences Physiques à l'Institut Universitaire de Formation des Maîtres auprès des professeurs stagiaires de lycée et collège en deuxième année (ex CPR), je leur rends visite dans leur classe en responsabilité. Une des difficultés majeures du professeur stagiaire est la communication avec la classe. Enfermé dans le contenu qu'il veut faire passer et dans la méthode qu'il a choisie, il n'entend pas les élèves. Il ne s'assure pas d'avoirétécompris (R. MUCHIELLI, 1988) et sunout, lorsqu'un élève pose des questions, le professeur se sent agressé, la situation devient tendue... et arrivent les "problèmes de discipline" qui sont la grande angoisse du professeur débutant.. Le professeur entend les mots mais n'en saisit pas le sens car l'élève fonnule un mode de raisonnement souvent différent de celui du professeur qui. même s'il le sait en théorie, a du mal à le réaliser dans sa pratique.
1.2 Formulation de la question
Comment faire pour que le professeur stagiaire réalise au plus profond de lui-même qu'ilya plusieurs stratégies possibles et en tienne compte dans sa pratique?
1.3 Où trouver une réponse ?
La réponse a été élaborée en s'appuyant sur trois axes différents.
- Tout d'abord les travaux de P. :MEIRIEU (1989) pour les chapitres concernant les capacités méthodologiques fondamentales (ch.?) et la fonnation des enseignants (ch.9) "intnxiuire dans lesCOUTSdispensésàde futurs enseignants une réflexion métacognitive" p.103 et "les maîtres ne pratiqueront le conseil méthodologique avec leurs élèves que dans la mesure où on l'aura pratiquée avec eux" p.104.
- Ensuite les apports de didactique des sciences: les travaux deS. JOHSUA ET DUPIN(1990) etM.LEGRAND (1989) ponant sur l'importance du débat scientifique et sociocognitif dans l'apprentissage.ainsi que les travaux du Groupe Recherche Action Fonnation en didactique des Sciences Physiques de Grenoble portant sur les situations problèmes(GOUBE, GUlLLAUD, ROBARDET, VIARD 1990 el ROBARDET 1990).
- Enfin la recherche INRP "Compétences méthodologiques en sciences expérimentales"àlaquelle j'ai panicipé pour les travaux concernant la lecture et l'écriture de textes scientifiques, et la métacognition .
1.4 Quelle réponse?
Nous avons construit trois séquences de fonnation pour les professeurs stagiaires, séquences qui ont été mises en oeuvre trois années de suite pour obtenir des résultats plus significatifs. Les séquences ont pour objectif de faire réaliser aux professeurs stagiaires, "experts" dans leur discipline, que chacun a une stratégie personnelle, efficace. d'une part, pour liTe un texte scientifique, d'autre pan, pour écrire un résumé.
Si les "experts" ont tous des stratégies efficaces, pertinentes, mais multiples, celles des élèves risquent fon d'être tout aussi hétérogènes... Bien entendu, le texteà lire puis le texte à résumer ont été choisisdetelle sorte que tous les professeurs stagiaires réussissent, ce qui est fondamental pour ce type de travail avec desadultes.
2. PREMIÈRE SÉQUENCE: LECTURE D'UN TEXTE SCIENTIFIQUE rai repris ici le travail publié par Alain ROBERT (1987)
Plutôt que cie faire un exposé des résultats d'A ROBERT, j'ai choisi de faire vivre la démonstration aux professeurs stagiaires. Le groupe est divisé en deux: un groupe de lecteurs et un groupe d'observateurs. Avant et après lecture, on pose deux questions aux lecteurs. Chaque lecteur est observé par un de ses collègues observateur qui note l'itinéraire de lecture (le même texte est donnéà tous).Tous les le<:teurs sont capables de répondre correctement aux questions, après lecture.
Puis tous les itinéraires sont notés au tableau: stupeur générale devant la diversité ... Un débat s'instaure entre les participants: "où est la nonne?", "comment est ce possible T', "mais si, ma méthode est meilleure!","ilfaut faire comme ça"... Je les laisse discuter un moment sans intervenir dans le débat sauf pour faire préciser ou refonnuler.
Je leur expose alors les résultats d'A. ROBERT: les adultes sont de bons lecteurs car leur lecture est pilotée par un questionnement toujours présent et très personnel qui produit des itinéraires tous différents. Les enfants sont en échec face à ce type de lecture car leur lecture est linéaire, sans allers et retours, sans questionnement présent. L'accent est misSUTla richesse et l'efficacité de cette diversité. Les professeurs stagiaires sont très surpris par ces conclusions, d'autant plus que ce sont leurs propres démarches qui ont été analysées.
Ensuite le groupe est invitéà réfléchir aux aides à proposer aux élèves pour développer les allers et retours pendant la lecture: utilisation des surligneurs de couleurs différentes pour distinguer les idées différentes, questionnaires, textes à trous avec des mots à replacer, titreà donner au texte ou aux paragraphes, résumer le texte, traduire le texte par un schéma ou un tableau à double entrée, etc... L'accent est mis sur l'intérêt de la traduction d'un langage dans un autre (texte/schéma, texte/tableau à double entrée, texte/résumé...) qui montre que rapprenant a compris et s'est approprié ce qu'il a lu.
3. DEUXIÈME SÉQUENCE RÉSUMÉ DE TEXTE
3.1 Choix du texte
Le choix du texte n'est pas innocent. Il s'agit d'un texte de P. MEIRIEU sur le compagnonnage méthodologique extrait du livre "Enseigner, scénario pour un métier nouveau" p.39 et 40. Ce texte
décrit les différentes formes de communication possibles entre le formé et le formateur. Ceci est bien sûr fondamental lors des entretiens entre le professeur stagiaire et le fonnateur, lors des visites du formateur dans la dasse duStagiaire.
3.2 Consigne
Les professeurs stagiaires sont priés de bien vouloir, à la maison, pour la fois suivante, lire puis résumer le texte.
- Le résumé sera fait sur un papier assez grandcartous les résumés seront affichés.
- Au bas de l'affiche, ilseraindiqué comment chacun s'y est pris pour lire puispourproduire le résumé.
3.3 Les résumés
Sur 46 résumés produits, on note:
- 4 textes sans aucun plan apparent: des phrases les unes à La suite des autres. - 16 textes avec un plan apparent: paragraphes numérotés ou retours à la ligne. - 20 résumés utilisant une traduction du texte dans un autre langage:
*
4 résumes mettent chaque idée dans une case, les cases sont disposées sur toute la feuille et reliées entre elles;*
10 résumés font appel à des schémas ;*
6 font appelà des tableaux à double entrée ;- 6 dessins humoristiques que L'on peut ranger dans la catégorie des changements de langage.
Il est intéressant de noter que seuls quatre résumés sont des textes sans plan. Tous les autres présentent une structure apparente. La majorité des résumés som des transcodages: changement de langage qui donnent schémas et tableaux à double entrée, particulièrement prisés par les scientifiques. Nous avons vu aussi lors de la recherche d'aides pour la lecture, combien ces changements de langage étaient significatifs de l'appropriation du texte par rapprenant.
3.4 La séquence
Chacun fixe son affiche au tableau ou au mur, puis visite la totalité de l'exposiÜon. Les remarques fusent: "ça alors, des résumés si différents 1", "où est le bon 1", "si, je te dis, il faut faire des phrases", "non, pas obligé" etc... Dans un premier temps, les professeurs stagiaires ne regardent que la forme différente des résumés, sans s'intéresser à la démarche utilisée. Du débat se dégage le fait que tous les résumés produits sont pertinents, que les idées directrices ont toutes été relevées, donc qu'ils sont tous "bons". L'analyse des résumés pennet de les classer (voir 3.3).
Ensuite, les volontaires sont priés d'exposer au groupe comment ils s'y sont pris pour faire ce résumé (voir 3.4). Chacun est sidéré de voir la diversité de stratégies toutes efficaces. Certains osent alors donner leur méthode, qu'ils croyaient "mauvaise", "trop longue". Ils se culpabilisaient, se cachaient. Ils ont pu le dire et se rendre compte que leur méthode, soit disant ridicule, était partagée par plusieurs de leurs collègues. Lors de cet exposé à Chamonix, une personne dans l'assistance,
d'une cinquantaine d'années, a dit que c'était la première fois qu'elle osait dire que pour écrire, elle aussi faisait plusieurs brouillons successifs; que c'était pour elle un immense soulagement de pouvoir oser le dire... La séquence se termine par un échange sur l'intérêt de cette démarche pour soi-même et sur l'intérêt qu'elle peut présenter en classe avec des élèves.
La séquence suivante est consacrée aux pompes (antisèches) et l'usage que l'on peut en faire en utilisant une démarche similaire à la démarche vécue par les stagiaires (A. GOUBE 1990). Chaque individu est souvent prisonnier des représentations qu'il a de la tâche à accomplir. Il est rarement exposé aux représentations de ses pairs et invitéà les analyser. En didactique des sciences on insiste beaucoup sur les représentations et l'intérêt qu'il y aàce que le groupe prenne connaissance des représentations de ses membres. Ces représentations sont le point de départ d'un débat scientifique dans la classe. Elles mooifient aussi le statut de l'erreur. Ici la situation est tout à fait semblable: les différentes représentations se heurtent pour déboucher sur un débat;
n
n'y a pas "erreur", mais différents possibles.4. TROISIÈME SÉQUENCE LES STRATÉGIES UTILISÉES POUR PRODUIRE
LES RÉSUMÉS
Elles sont très variées. En voici quelques exemples :
. lire le texte une première fois, puis relire en soulignant, puis reprendre les mots soulignés, écrire le résumé au propre.
- lire et prendre des notes, mettre de l'ordre dans les notes en entourant, en mettant des flèches, relire le texte en cherchant ce qui manque, faire l'affiche.
. lire plusieurs fois le texte sansécrire,organiser dans sa tête, faire l'affiche.
- lire en soulignant, relire, faire un brouillon avec un plan, relire pour vérifier que rien n'a été oublié, faire un deuxième brouillon, laisser décanter quelques jours, faire un troisième brouillon avec la mise en page, faire l'affiche.
C'est un véritable choc pour l'individu de constater que ses collègues, "expens" comme lui, utilisent des stratégies si variées. L'objectif n'est pas ici de permettre aux adultes d'enrichir leurs stratégies à la lumière de celles des autres (comme pour les pompes avec les élèves), mais de les sensibiliser à ces différences.
4. CONCLUSION
Ces démarches vécues ensemble par les professeurs stagiaires et le foonateur ont pennis de leur donner des références communes, ce qui facilite la communication lors des visites en classe.
Dans l'évaluation finale de leur fonnation, la majorité des stagiaires a retenu ces sequences coonne particulièrement intéressantesà lafois pour l'ouverture personnelle apportée et pour les pistes de [l'avail proposées.
Lors de leur prise de fonction, dans leur premier poste, de nombreux stagiaires ont insisté sur l'aide qu'ils en retiraient et la mise en actes qu'ils en faisaient dans leurs classes; pour voir les élèves conune des individus différents et non la classe comme un seul bloc.
L'efficacité de ces séquences est probablement liéeàl'implication personnelle et à la réflexion sursonpropre fonctionnement, dans des tâches réussies.
BIBLIOGRAPHIE
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