LE CONCEPT DE FECONDATION AU XIXème SIECLE HISTOIRE DES SCIENCES ET FORMATION DES ENSEIGNANTS
André GIORDAN Université de Genève
Jacqueline POCHON
Université Pierre et Marie Curie
Victor HOST Président APDRS
RésumÉ:
L'élaboration du concept de la fécondation au XIXème siècle - caractérisé par son développement lent car systémique et son cheminement tortueux -constitue un excellent exemple pour suivre la construction du savoir. Il en ressort que j'apport de l'Histoire des Sciences doit être pris en compte dans la formation des Maîtres afin que ceux-ci puissent faciliter l'acquisition des représentations scientifiques chez leurs élèves au cours de leur formation en Sciences [xpérimentaJes.
NEC-SSSAIRF: A LA FOR.l"IA'I'ION DE~,-_;
Depuis <:Juelaues ann{es(i), --~~pralt é~'ident Cl]'Un poi.nt faihle des
p~-dagogies 3ci~ntifiques r~side en UD0 ~nruffisance de la r~f]8yion
~plst~mol"ogi-CG2 sur la nature de l ~ob,jet 'd
Sciences sla.v~re être une des cOmp00FTI même titre oue la psychologie gén(
de cette recherche pédagogique au , Le; psychologie socifi2.e et 1.1a.naly;:::. e
în:.::tj.tutionnelle. Les cunnaissance,-: c~'::'--;"2ntifiquesque l on désire ens8igrler être insérées dans le con"~,::,:-t'2 e transférablesf c'est-à-dire doiv8nt être communiauées avec la compréhen8ion àe la logjque interne qui perT..ett.e de
les utiliser.
La Science suit un processus dJ~0nique et irréversible; il suffit de lire quelques texte8 anciens pour en pT9ndre conscience. Toutefois9 la lecture de
texte s fragmentaires choi.sis, anecdotic1i.les, isalés de leur contExt.e, ne per:ne t pas de tirer des conclusions. rie l~ confrontation des travaux qui, en ôe+tant en évidence l1
enchevêtrement des th~ories et des €xp~riences,des perceptions et des raisonnementsJ conduira. à 13, (~of:lr,réhen8ion de la constructi.on du savoir. La
construction des concepts s'édifie9 non pas à partir diune évidence, mais peu à peu à l'aide d'un réseau d'informa~~on8souvent contradictoires. Il est donc îort utile pour l'Enseignant d"s faire 2.ppel à 1 'Histoire des Sciences: en effet,
la connaissance des obstacles épis-té;nolobiques lui permet
- d'une part, de mieux comprendre le développement de la discipline qu'il
enseigne et ainsi d'y porter un œil sri~ique plus pertinent,
-' d'autre part de mieux cerner les :::lécanismes des"idées faussesl1
émises par
les élèves, lorsque ceux-ci sont en situation de recherches 9xp~rimentalesou
de dialogue.
2 LE CONCEPT DE LA FECONDATION PRI:: COITE EXE}!PLE
2-1 Justification de ce chol
Comme le dit P.P. CrasséC') "L 'union du garn.te C/'au gam:·te
q",
àl'ori-gine de l ' œu_-:" qui va produire un orcsni?~me ayant 'tout le programme gêné t.ique pOUT réaliser un individu de la même es~ "3, l)'lui const itue l e phéJ.1om~~:ne de la f
écon-dation, représente un acte d 'une ~Î:::'J:'"
n:...se comme dans son devenir". Il ne
IŒ~Lillordialede l'être, dans son ontoge-'~Eit pas d'un phénom;ne simple, mais d'une succession d'épisodes Qui dépenden':~ 1(::::: uns des autres: réaction acrosomique du
1) Colloque "Histoire des Sciences - ?édagogie de la Biologie"
Azay-le-Ferron, 1975
2) Précis de Biologie Animale - L2 'Ccondation P.P. GrassÉ, pro
287-376,
spermatozoide, activation de l'Œ:J..f, '1'}'oJ..8,risation de celui-ci avec
l'établis-sement de la dicentrie, puis l'a.-rnph:xli_::-2-.8 à l'origine du syncarion et mise en place de la premi~_re mitose de segn,?n.'2,jon.
Diverses enquêtes(1) sur cc s~:e~ fondamental en Biologie, ont montré oue le rôle du gam, te
c)et
du game
Cf
dans la formation du futur enfant est encore actuellement totalement incof,pric chez la plupart des étudiants. Selon une premiè-re variante, le p,__re apporte 12- ,:::;Taine (germe) et la m~re se contente de nourrir et abriter celle-ci dans l'o~/ule. Selon la deuxième variante, c'est lam~re qui fournit l'enfant, le speTI1e :ouant seulement un rôle d'activateur. L analyse des manuels scolaires montre, à ce propos, qu'ils font appel d'un commun accord, à une référence 'lLe ;orique qui semble déterminante. Ainsi, on peut lire, par exemple, "L'action des gaml=tes mâles sur les gamètes femelles, phénom'nes si important et si génére,l è.ans le rPgTIe animal et dans le r~ogne
végétal, fut observé pour la première fois en 1854, en France, par l'algologue français Thuret sur le Fucus, la féconda~ionétant restée jusqu'à cette date objet de controverse, faute d'expériences précises ••• "(2). Ceci nous a incité à reprendre les publications originales de Thuret et celles de son époque. Nous sommes allés de surprise en surprise et nous nous sommes proposés de rédiger un mémoire(3) sur l'élaboration de ce concept de la fécondation, afin de montrer combien la construction d'un tel savoir était un instrument de recherche en Didactique. Nous avons recherché un syst'me de références, afin d'évaluer l ' évolution des modèles, c'est-à-dire de découvrir la démarche scientifique tout au long de ses méandres et de son cheminement tortueux, d'assister au dévelop-pement, lent car systémique, de la construction d'un édifice scientifique qui se dégage peu à peu des habitudes culturelles du moment.
2-2 Elaboration du concept 2-2-1 avant le,XIX
Une vue synthétique et rapide de l'Histoire de la Biologie est donnée
t) Enouêtes effectuées au Lycée Carnot (Paris) en 1978 et dans des cycles d' orientation au Laboratoire de Didactique et Epistémologie des Sciences (Genève) en 1982, par A. Giordan.
-2) Oria (Ratier)
3) A. Giordan, J. Pochon et V. Rost : "Contribution à l'Histoire du champ concep-tuel de Reproduction au XIX: la fécondation". Cahiers d'Histoire et de Philo-sophie des Sciences (sous presse).
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(ilificu1t(?S
~-:ummc Spa llar:zan'î 0,_,
pJ..S'~,:::.:.s1
inclus dans le spermatozoIde)w No-o~ '~ue nous retrouvons dans les conceptions
;3,ntérieures au XIX2 si[;cle7 ~~es rJ::U'- ,~['i,~'ntes exprimées dans les réponses e:r-r0n~es des étudiants actuels. Les (~ :enictes, comme l'ovj.ste Caspar Friedrich ::olff admettent une IIforce es8en·ti\~~11c Ü(;--':ant 1 !irnpossibiJité à l tépoque de ':::omprendre les facteurs réglant 12 -'on:::~:ruc j_on d'un organi.sme peI'feetJonné. ',-1.qupertuis donne une explica tian ,,5TJ_'--}?:CL~ s~~e de style méc9.,niste, en revenan taux
811r le m~lange des semences, afin de répondre a.ux questions de l !hybrià.a.!:·~on d.es esp~ces ou à la t:cansmission ct·ano·'~ r:~alie hérédi taire • Buffon~ spon~;anjs-:E:~ Introduit la notl.on de ltforces péné-trantcs" et de "moule intérieur". Ces derrliers courants de pensee gUl conduircllt dU
vit.alisme naissant instaurent un nouveau rationalisme à la fi.n du XVIIIe siÈ·cl,:;, mais les théories prégnantes ne laissent pas émerger les faits.
2-2-2 au cours du fI~: s.:i.ècle a) THURET (1854) et son é]Jocue
-PremiÈ:~re suprise: La féconda tian pour 'Jet auteur résidait dans la rencontre., sans Qu'il y ait contact obligatoire, encre le spermatozoïde et l 'o",ule, 1e rôle des epermatozoïdes était de communiquer c-c l !o~,.cule un mouvement de rotation rapide;
'e problème de la pénétration était 'ugé secondaire. Pringsheimfconvaincu de la pénétration du spermatozoïde"écri"2.i.-:. en 18::;5 que les observations de Thuret lin' indiquent pas comment a eu lieu l'ac're de fécondationn• Malheureusement, il r'était pas en mesure de donner une onser-ation correcte de l'ovule qui pour lui ne forme sa membrane cru'apr~s l !ac';:,(; dG fécondation.
l'euxième sÎlI'prise~ En 1847t un te:- è'Cl. connu de Derbé s sur la fécondation d0 1" (';ursin mentionne la présence de s',.J2l.'T,c',.o:"oides dans la couche ~,yaline de 11œcl.f en relation avec l laccomplissement Ce J.~ f~condation.
Troi.sième surprisE'~ NetTe in'lesci.gr', OIl,cl~S lOTS1 nous a permis èe décoll"Jri.r une
multitude de travaux antérieurs à e ~huret montrant le contact indispen8a-ble du spermatozoïde et de 2.1œuÎ. Lc~' ra·,'Gtux de Barry (1838) l~epr-is par Newport
démont:rent l'entrée du spermatozoïde
concluait BLes spermatoz.oldes son l alors que MillIer écri~vait encore en
î2-l'int~rieur de l'ovule. Kolliker, en 18S6,
~_\2:'~ip véritablement .fécondante du speri[jë~
lion ne saurait décideT si les spermato-zoïdes sont des parasi tes ou des ,:101:;('1'.Je.::: primaires". La connaissance des
~am +es et de leur origine prosr8 oU1efois les outils conceptuels utili-2fs ne perrnettaien: pas dlexpl~Q~er r61e~ respectifs de l 'ovule et
au
fper-matozoIde. Ainsi Schleiden, le p re J_~ ~,h~orie cellulaire apparait encore profondément préformiste dans sa contro~·'er8eavec H. von Mohl. Par ailleurs, Kolliker, épigeniste convaincu de 1;:'0 y6n~-;ration du spermatozoïde, se heurte à l'obstacle de sa repr~sentationde l'ovule o~ seul le vitellus compte.b) Hertwig (188d) et son ~èo0ue
Dans un article de synth·~se, Hl::'rt '.'ig résume ainsi la fécondation:
- Il s'agit d'un phénomène général à l'ensemble des êtres vivants qui consiste
en "l'union" ou la "copulationtl en~..;re un noyau spermatique et un noyau ovulaire; c'est ce processus morphologique visièle procédant de 2 cellules sexuellement différentes qui est le point de départ du développement de l'embryon. Il a élaboré cette théorie d'après ses propres observations en 1875 sur l'Oursin suivies de celles de Fol en 1877 qui suit effectivement la pénétration du sper-matozoïde dans l'ovule de l'Etoile de Iéer J'csterias. Mais,depuis Thuret, un grand
saut vient de s'opérer grâce à une autre possibilité d'approche due à la théorie
cellulaire de Sehle iden et de Sch,'ann (1838-1839) qu'utilisent de nombreux cher-cheurs dans leurs travaux sur la segmentation de l'œuf. L'œuf a-t-il une
struc-ture cellulaire, monocellulaire? A Quoi correspond le vitellus? La vésicule
germinative est-elle le noyau? Quelle est la signification des globules polaires? Comment interpréter les images de le, division cellulaire? Blanchard affirme que la vésicule germinative est expulsée du ,citellus et va former les globules polai-res, toutefois le nucléole est conservé pour former le fuseau achromatique de la
division cellulaire. Il ne peut croire à une filiation entre un noyau génétique
et le pronucleus car - à cette époque - un germe doit se distinguer du produit qui en dérive. Butschli, Strasburger et Hertwig montrent que le noyau ne se dis-sout pas mais qu'il subit au moment de la, segmentation des phénomènes de
méta-morphoses. Van Beneden de 1883 à 1887 décrit et compte les chromosomes dans les
cellules sexuelles ~&msl'œufde l'~scaris et Bovai confirme le phénomène de la
méiose. Les multiples controverses portant sur l'origine, la formation, la nature
des deux gamètes et sur la filiation des pronucleis à partir des noyaux
gaméti-ques vont prendre fin et laisser toute validité à la théorie de Hertwig, mais le
concept de la fécondation n'en est pas pour autant entièrement opérationnel, il faudra attendre la théorie chromosomioue de Morgan au début du XXè siècle. Boveri met en avant l'importance d'autres éléuents comme le centrosome. C est le début
de l analyse expérimentale avecJentre cutres, les travaux de Delage sur la
méro-gonie, de Loeb, Bataillon, Pincus sur ln parthenogenèse expérimentale, de Lillie sur les substances attractives. Les uécanismes intimes impliqués dans le concept de la fécondation restent encore énigmatiques de nos jours, la liste des questiom est longue •..
CONCLU?IONS
Cornnlexité du chemin:::~:J--<;.",,- cr i.Gue I:e Hamm à Herb.\:ig, il a fall:...
lE rôle du sperrnatozoIde. La ien-cumulation de faits juxtapoB~Squi c
comprls soit
si?~c~,~s pour Gue
~~8 deux
__ '_ :;'O:l'~, 'Plus étre ,~oIl3~dé:r\?e ~O!:I.I:l(~ ~xne ae--eraient ind~pendammentdes th~ories
g.d-~::r.e et celle de ]'affj.nité. Il n'y a !Jas en l 'occurence la
mi se s,
'-'-st
ccr:f~on
--1.0;15 entre des cnOS0S
j'1 lrratjofl:1el : la cr0ativi~~
d'Ô' rationnel: le.co, faits eXp""TJm,"ntan:<
t3~lonconstante entre les faIts fil15 e'~ avant -t les representaclons anterleUles qUJ
concept devient de plus en plus ,of:c'.n,',o e' narallèlement eyj.ge de plus en plus
des connaissances llouvelles: les a.utres cone,:pts, le contexte ~ui l.'-'-l donn,;:' '.ln sens.
3-2 Conséquences pédagogiques
L"attention portée au àéroule~en historique de la construction du Bavoir suscite immédiatement un éveil criti~~e sur nos formulations, sur leur
relativi-té en fonction des connaissances passées et celles à venir, s'oppœaXainsi au
dogmatisme. D'un point de vue didacticne, ces études apparaissent indispensables
pour élaborer les structures des di:f6rents niveaux conceptuels en liaison avec les champs d' inve stiga tion explorés ou ilFoqués dans l ' ense ignement. En
parti-culier, i l est nécessaire de pouvoir e~=rlicitementopposer un niveau de con-naissance à ceux qui le précédent, de :;::}crquer des choix al ternatlfs de progressions possibles, avec leurs (:ond~~tionset leurs conséquences sur les
domaines de validité.
Par ailleurs, la pédagogie his·~or.i-(!ueen familiarisant 1" élève avec les chemins réels parcourus par le c~ercheurl'éclaire sur la nature des méthodes et l'aide à surmonter les blocages ',~r5_:3·"élTlologiques.
Donc, sans demander une mémoris:,--'~ionde toutes les vicissitudes scienti-fiques passées, i l apparaît fonda2J(>~-:~:~Ü oue l'En3eignant puisse utiliser le réseau d' inÎoI'1Ilations apportées perT l ".~i;~..Loire des Sciences afin de Îacili ter
la r~ceptivité des ~l~ves aux cOnnaiG3~~nCe8 actuelles: que ce soit ~u niveau
de la motivation, que 6e s6it"à cel~~~ d,s l!~lBboratic~ d~~ ~epr~sentp~iQns,
~n relation avec la mémorisation et l1C"entuelle utilisa~ionde ce savoir.
1'l.nté:rêt pl'JS (J'rand
La ronn ..:-Ll..on des '::nseignants, ou <:;llc' ~o~r à tour : D~l~e
des obstacles à ceUX-Cl e~ quelle ana! peur a0oro~r les Gitti~ult4sde conceptual1-sat IDn des