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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Les enseignants de sciences sont-ils capables d'interpréter correctement les nouvelles scientifiques ?

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INTERPRÉTATION DES NOUVELLES ÉPIDÉMIOLOGIQUES : COMMENT LES FUTURS ENSEIGNANTS DE SCIENCE SE DÉBROUILLENT-ILS ?

Étienne DELAGRAVE, Patrice POTVIN, Gilles RAÎCHE Université du Québec à Montréal, Québec, Canada

MOTS-CLÉS : ÉPIDÉMIOLOGIE – ENSEIGNEMENT – NOUVELLES SCIENTIFIQUES – CAUSALITÉ – CORRÉLATION

RÉSUMÉ : À l’aide d’un questionnaire, nous avons tenté de vérifier si les futurs enseignants de science québécois sont en mesure d’interpréter adéquatement les informations qui se trouvent dans les nouvelles scientifiques qui portent sur des études épidémiologiques. Ce type de nouvelles pose des difficultés particulières pour les lecteurs. Notre recherche semble indiquer qu’une compréhension de certains concepts propres à l’épidémiologie pourrait être nécessaire pour parvenir à interpréter adéquatement les études épidémiologiques.

ABSTRACT : News articles about epidemiological research are difficult to interpret correctly by readers. A questionnaire was built to test if future Quebec science teachers are able to correctly interpret the facts contained in epidemiological news. Our research suggests that understanding some key concepts such as “confounding factor” may be necessary to fully understand the practical meaning of epidemiological research results.

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1. INTRODUCTION

Parmi les nouvelles scientifiques que l’on rencontre dans les médias, une proportion importante rapporte les résultats d’études dites « épidémiologiques » (Stryker, 2002). Les études épidémiologiques visent à établir l’existence de corrélations qui pourraient servir d’indice dans la recherche des causes des problèmes de santé. Elles tentent de répondre à des questions comme « les téléphones portables sont-ils cancérigènes ? ». Pour tenter d’apporter une réponse à une telle question, il serait évidemment très difficile de recruter des milliers de personnes, puis de leur demander d’utiliser (ou non) un téléphone portable pendant 10 ans pour en voir les effets. C’est pourquoi les épidémiologistes sont forcés d’utiliser une méthode plus indirecte : étudier l’incidence des maladies dans les populations, le cancer par exemple. Leur seul outil : un logiciel d’analyse statistique. Mais avec quelles données ? Dans le cas d’une enquête majeure sur les téléphones portables et le cancer, des chercheurs ont récemment combiné les données du registre national du cancer danois avec les registres d’utilisation de téléphone portable de 420 000 individus, dont 56 000 avec plus de 10 ans d’utilisation (Schuz, 2006). Selon cette étude, la plus fiable à ce jour, la probabilité de souffrir du cancer n’augmente pas avec l’utilisation du cellulaire. Bien sûr ce n’est pas la première étude sur le sujet. Et celle-ci à elle seule ne mettra probablement pas fin à la controverse. Les études épidémiologiques qui se contredisent sont en effet très nombreuses. Ceci provient du fait que le niveau de certitude que peut prétendre obtenir ce genre d’étude est relativement faible. En effet, selon l’Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (France), le « niveau de preuve » de ce type d’étude est de 4, soit le plus bas possible. Aux fins de comparaison, les études de type clinique, qui permettent par exemple de déterminer si un médicament est efficace, ont un niveau de preuve de 1, soit le plus élevé (Lange et Coquidé, 2006). Néanmoins, les études épidémiologiques sont très populaires auprès des journalistes. En effet, toutes proportions gardées, les recherches de type épidémiologique sont celles qui ont le plus de chance de faire l’objet de publication dans les médias (Stryker, 2002). Cela provient en partie du fait que ces études touchent des sujets qui trouvent un écho dans la vie des gens, par exemple les liens entre l’alimentation et le cancer par exemple. Toutefois, malgré leur popularité dans les médias, les difficultés que rencontrent les épidémiologistes, qui sont à l’origine de tous ces résultats contradictoires, restent tout à fait inconnues de la majorité, y compris des enseignants de science, comme notre étude a permis de le constater. Or, les enseignants de science sont probablement les acteurs les mieux placés pour éveiller aux difficultés d’interprétation que peut poser ce type de nouvelle. Il est par ailleurs facile d’imaginer qu’ils pourraient avoir à répondre à des questions à ce

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enseignants doivent être en mesure de répondre clairement à une telle question. C’est pourquoi l’objectif de notre étude était d’évaluer la performance des futurs enseignants quant à l’interprétation des nouvelles épidémiologiques.

2. CADRE THÉORIQUE DE L’ÉTUDE

D’après l’UNESCO (2001, p. XII), « l’enseignement des sciences ne permet pas actuellement aux individus de disposer des instruments pour comprendre et analyser de manière critique des articles de presse à caractère scientifique ». Pourtant, ces nouvelles informations scientifiques ont un impact sur les citoyens, de même que sur les dirigeants, qui doivent tenir compte des informations scientifiques dans l’établissement de leurs politiques. Par exemple, dans le domaine de la santé, on a observé que les médias influencent les comportements individuels, l’utilisation des services de santé, les pratiques en santé et enfin les politiques publiques concernant la santé (Oxman, 1993). Pour les lecteurs, les nouvelles épidémiologiques comportent des difficultés d’interprétation supplémentaires par rapport aux autres types de nouvelles scientifiques. Voici un aperçu des principales difficultés.

2.1. Distinguer et corrélation et causalité

Il semble que les lecteurs ont tendance à assimiler les corrélations présentes dans ce type de nouvelle à des relations causales (von Roten, 2006). Cette situation pourrait provenir en partie du traitement journalistique qui est fait de ces études. En effet, les mots utilisés pour parler de corrélation dans les médias sont ambigus et prêtent souvent à confusion : on utilise, par exemple, des expressions telles que « cette variable influence », ou « cette variable est associée à ». Le mot « corrélation » lui-même est rarement employé dans les médias.

2.2. Le concept de risque

Dans les médias, l’existence d’une corrélation est décrite comme un risque : on dira par exemple que « les enfants habitant dans des secteurs plus exposés à la pollution au mercure ont plus de

chance d’être autistes », ou que « La pollution automobile accroît les risques d’asthme ». Il s’agit

ici d’une augmentation du « risque relatif », c'est-à-dire de la probabilité qu’un phénomène fasse son apparition. Toutefois, il est possible que les lecteurs de ces nouvelles assimilent ce concept de risque relatif à un accroissement réel du danger.

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2.3. Faire le pour et le contre

L’épidémiologie étudie souvent des substances potentiellement dangereuses pour la santé. Dans ces cas, elle peut induire des changements dans la vie des gens. Il s’agit alors d’une difficulté supplémentaire pour le lecteur puisqu’il doit alors évaluer le danger que présente une substance en tenant compte de ses bénéfices potentiels (ou le contraire). En effet, en tentant de réduire certains risques, on pourrait se retrouver à prendre des risques encore plus grands. Par exemple, si la consommation de viande rouge était associée au cancer colorectal, sa consommation pourrait en même temps présenter une multitude de bénéfices. C’est pourquoi la prise de décision à l’égard d’un risque devrait, en principe, découler d’une comparaison entre les coûts et les bénéfices à l’égard d’un risque. Malheureusement, le lecteur ne dispose généralement pas des informations nécessaires pour faire cette comparaison. Seuls certains experts, comme les experts en santé publique, sont en mesure de la faire. Bien que de tels experts soient à l’occasion appelés à commenter les résultats des études médiatisés, les nouvelles épidémiologiques se bornent la plupart du temps à rapporter les corrélations obtenues. Dans cette situation, il n’est pas possible pour le lecteur de savoir s’il doit modifier son comportement en fonction de ces nouvelles informations, qui deviennent alors pratiquement inutiles. C’est d’ailleurs ce qui fait dire au directeur du département d’épidémiologie de l’Université Harvard, Dimitrios Trichopoulos : « Nous sommes en train de devenir une nuisance pour la société », en parlant des épidémiologistes, « les gens ne nous prennent plus au sérieux, et lorsque c’est le cas, nous faisons peut-être plus de mal que de bien » (Taubes, 1995, p.164).

3. L’ÉTUDE

Nous avons effectué une expérience dans le but de vérifier si les futurs enseignants de science au secondaire étaient préparés à interpréter ce type de nouvelles. Un des objectifs de l’étude était d’évaluer si la performance des futurs enseignants en science était suffisante compte tenu du rôle qu’ils pourraient avoir à jouer auprès de leurs élèves quant à l’interprétation des nouvelles épidémiologique. D’autre part, nous souhaitions savoir si les différents groupes, compte tenu de leur niveau différent de familiarité avec les sciences, obtiendraient des performances comparables. Nos sujets provenaient de trois groupes d’étudiants en science de l’éducation, soit 76 sujets en tout : a) Des étudiants inscrits au baccalauréat en enseignement secondaire, option science et technologie b) Des étudiants inscrits au Programme court de deuxième cycle en didactique de la science et de la

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Afin de remplir nos objectifs, nous avons créé un questionnaire accompagné d’un recueil de trois nouvelles épidémiologiques, dont la figure 3.1 présente un exemple. Il s’agissait de nouvelles parues dans les médias écrits.

Figure 3.1 Une des trois nouvelles du recueil de texte Cancer du poumon : la bière accroît le risque

(Agence France-Presse, 2006)

Boire de la bière augmente le risque de cancer du poumon tandis que la consommation de vin le réduit, selon une étude canadienne publiée cette semaine dans la revue Cancer Causes and Control.

Réalisée à partir de données recueillies dans les années 80 et 90, l'étude conclut que les personnes consommant six bières ou plus par semaine courent de 20 à 50 % plus de risques de développer un cancer du poumon, une situation atténuée toutefois chez celles qui mangent régulièrement des fruits et des légumes.

En revanche, la consommation de vin réduit de 40 % les risques de cancer du poumon chez les hommes et de 70 % chez les femmes.

Les chercheurs de l'Université McGill ont réussi à isoler les facteurs de développement du cancer du poumon liés au tabagisme, grâce à une information précise sur la consommation de tabac des personnes composant l'échantillon de l'étude.

La première partie du questionnaire visait à faire réagir les sujets à des affirmations erronées. Ces affirmations supposaient en effet que l’étude épidémiologique concernée démontrait l’existence d’un effet causal. On peut lire l’une de ces questions à la figure 3.2.

Figure 3.2 Question du questionnaire A

Un collègue de travail a lu cet article et il a dit : « Le fait de consommer plus de six bières par semaine semble donc avoir un effet sur l’apparition du cancer du poumon. »

Êtes-vous d’accord avec lui ? Pourquoi ?

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La deuxième partie du questionnaire visait, à l’aide de questions plus fermées, à préciser l’interprétation des sujets quant aux informations contenues dans les VJARS. La figure 3.3 présente un exemple de ces questions.

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Figure 3.1 Question du questionnaire B sur le concept de risque.

Selon vous, quel mot ou quelle expression pourrait le mieux traduire le concept de « risque » utilisé dans la phrase « courent de 20 à 50 % plus de risques » apparaissant dans le deuxième paragraphe du texte.

a) … danger

b) … probabilité (réponse attendue)

4. RÉSULTATS

Nous avions fait l’hypothèse que les futurs enseignants en préscolaire/primaire, qui n’ont pas d’investissement particulier en sciences, obtiendraient des scores inférieurs aux deux autres groupes, qui sont des enseignants ou de futurs enseignants en science. Pour vérifier cette hypothèse, un test t de Student directionnel pour données indépendantes a été appliqué. Or, aucune différence significative n’a été relevée entre les groupes quant aux performances à l’indice G, soit à l’ensemble des réponses données dans les questionnaires A et B. Le groupe A (étudiants en enseignement secondaire en science) a obtenu un score moyen de 54,6 %. Le groupe B (enseignants en exercice), 46,5 % et le groupe C (étudiants en enseignement primaire), 59,1 %.

Nous avions aussi fait l’hypothèse que les futurs enseignants de science ne seraient pas en mesure de porter un jugement adéquat sur la signification concrète des nouvelles épidémiologiques, ni non plus de justifier leur position à cet égard. Pour vérifier cette hypothèse, nous avons établi un seuil de maîtrise pour le questionnaire ; à l’aide du concours d’experts dans le domaine de l’éducation scientifique, nous avons établi ce seuil de maîtrise à 83 %. Nous avons ensuite appliqué un test t de Student directionnel pour voir si les résultats obtenus par nos sujets différaient de façon significative du score attendu par les experts1. La différence était significative.

Il se pourrait donc que l’aptitude à interpréter les nouvelles de type épidémiologique ne dépende pas de la familiarité avec les sciences, mais plutôt de la connaissance de certains concepts clés propres à l’épidémiologie tels que ceux de « facteurs de confusion » et de « corrélation ».

Par ailleurs, les sujets sont parvenus à justifier correctement leur position dans 54 % des cas. Toutefois, leurs réponses comportaient des lacunes comparativement aux réponses préconisées par

1 La méthode d’Angoff (1984) a été utilisée. La méthode Angoff est une méthode reconnue d’établissement de standard

qui fait appel à des juges. Le seuil de maîtrise établi par les experts était de 83 %. Nous avons remis à des experts dans le domaine de l’éducation scientifique un questionnaire spécialement conçu pour leur permettre de déterminer un seuil maîtrise. Nous leur avons demandé, pour chacune des questions, de déterminer quelle proportion des futurs enseignants

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les experts. Par ailleurs, le vocabulaire utilisé différait considérablement. Par exemple, aucun sujet n’a utilisé le terme « facteur de confusion ». Nous avons été également surpris de constater que ceux qui connaissaient le concept de corrélation ne l’ont néanmoins pas utilisé dans leurs réponses (96 %). Enfin, les justifications des sujets n’étaient pas suffisamment claires, à notre avis, pour constituer une explication destinée à un élève. Pourtant, 93 % des sujets ont affirmé qu’ils auraient à interpréter ce type de nouvelle dans le cadre de leur travail d’enseignant.

5. CONCLUSION

Les résultats de notre étude semblent indiquer que l’interprétation des nouvelles épidémiologiques pose des difficultés d’interprétation particulières pour les futurs enseignants de science. Pourtant, les enseignants de science devraient être en mesure d’interpréter correctement ce type de nouvelle puisqu’ils pourraient avoir à soutenir leurs étudiants dans l’interprétation des nouvelles épidémiologiques, voir même à les initier à l’interprétation de ce type de nouvelle. C’est pourquoi nous pensons que les futurs enseignants de science devraient être initiés à l’épidémiologie. Cette initiation devra les informer sur la méthodologie propre aux études épidémiologiques et aux concepts clés qui s’y rattachent, de façon à leur permettre de comprendre d’où provient l’incertitude qui caractérise les résultats de ces études. Cette formation spécifique devra également être conçue pour les rendre aptes à initier leurs propres étudiants. De même, nous sommes d’avis que les journalistes devraient recevoir une formation analogue. En effet, ils doivent être en mesure de communiquer le plus clairement possible la signification des résultats des études de type épidémiologique, sans quoi ils risquent d’induire de nombreux lecteurs en erreur. Quant aux lecteurs, nous pensons qu’il est essentiel qu’ils adoptent une posture critique face aux nouvelles épidémiologiques.

BIBLIOGRAPHIE

ANGOFF, W. H. (1984). Scales, Norms, and Equivalent Scores : Educational Testing Service. LANGE, J-M, COQUIDÉ, M, (2006). « L’épidémiologie, pour contribuer à une éducation à

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OXMAN, A. D., GUYATT, G. H., COOK, D. J., JAESCHKE, R., HEDDLE, N. & KELLER, J. (1993). An index of scientific quality for health reports in the lay press. Journal of Clinical

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SCHUZ, J., JACOBSEN, R., OLSEN, J. H., BOICE, J. D., JR., MCLAUGHLIN, J. K. & JOHANSEN, C. (2006). Cellular Telephone Use and Cancer Risk : Update of a Nationwide Danish Cohort. J. Natl. Cancer Inst., N° 98, 1707-1713.

STRYKER, J. E. (2002). Reporting Medical Information : Effects of Press Releases and Newsworthiness on Medical Journal Articles Visibility in the News Media. Preventive

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UNESCO (2001). « L'enseignement des sciences, des technologies et des mathématiques au service du développement humain, Cadre d’action ».

VON ROTEN, F. C. (2006). Do we need a public understanding of statistics ? Public

Références

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