Évolution des structures e t dynam iques sociales
Tarasques e t Chichimèques (600 - 1500 apr. J.-C.)
dans le centre-nord du Mexique
Brigitte Faugère Kalfon (EP 2063 Archéologie des Amériques)
L'existence d e la frontière entre le royaum e ta ra sq u e (Xllle-XVIe siècles d e notre ère) e t les guerriers chichim èques du nord du Mexique est assez bien d o c u m e n té e g râ c e aux sources ethnohistoriques du XVIe siècle. Ces textes coloniaux nous donnent une vision « conflictive » d e la zone frontalière, qui aurait connu un é ta t d e tension perm anent, à cau se notam m ent des raids pratiqués par les guerriers no m ad es « b arb ares » vers les villages des agriculteurs tarasques « civilisés ». Nous savons toutefois q u e ces sources ethnohistoriques donnent une version orientée des faits historiques qui correspond à d e s intérêts politiques, économ iques et religieux des conquérants, ou e n c o re à des notions reprises d es anciens conflits d e l'é p o q u e préhispanique.
Le cours du fleuve Lerma aurait m arqué, au XVIe siècle, le tra c é d e la frontière au niveau d e l'état du M ichoacan, dans m e région d e transition écologique entre les hautes terres d e l'axe néo-volcanique transversal, région bien arrosée e t a u climat tem péré par l'altitude, e t les plateaux semi-arides du nord où les précipitations annuelles ne d ép a sse n t pas les 500/600 mm. Dans un régim e où les pluies sont concentrées sur trois ou q uatre mois, l'agriculture sans irrigation dem eure, dans c e tte dernière région, une activité fragile, sensible à d e faibles variations climatiques.
L'archéologie a confirmé l'existence d 'u n e frontière dans c e secteur du Lerma à partir d e 1200, mais elle a surtout permis d e mieux com prendre sa nature et d 'e n connaître les a n té c é d en ts, à savoir :
• la période classique récen te (600-900) est m arq u é e p a r l'a p o g é e des sociétés agraires ; le nord du M ichoacan, com m e la m ajeure partie du cen tre nord du Mexique, se couvre d e sites agricoles pris dans des réseaux extensifs d e terrasses ;
• la population a u g m e n te encore au cours d e la p ériode postclassique an cien n e (900-1200) et les sites g a g n e n t en monumentalité ; p a r ailleurs, on rem arque la multiplication des sites placés en position défensive et m êm e l'apparition d e sites fortifiés ; on peut voir dans c e t é ta t d e tension, les effets des bouleversem ents provoqués par les prem ières migrations qui, depuis le nord, g a g n e n t les régions centrales du Mexique ;
• la prem ière manifestation d e la création d e la frontière est le d é m a n tèle m e n t brutal, vers 1200 apr. J.-C., des réseaux d e sites agricoles mis e n p la c e a u cours des siècles précédents ; les sites architecturaux sont, pour la plupart, a b a n d o n n é s e t la portion nord du M ichoacan subit une forte baisse dém ographique ; les agriculteurs quittent définitivement leurs terres du versant e t se d é p la c e n t vers le sud, dans les premiers contreforts d e s hautes terres proches du lac d e Z a c a p u ; parallèlem ent d e g ran d s ensem bles urbains apparaissent dans c e s secteurs d e m alpals : on les reconnaît c o m m e les premiers établissem ents tarasques.
Ces m ouvem ents d e population ne sont q u e l'aboutissem ent des v a g u e s d e migration qui ont d é b u té d an s le cen tre nord d e la M ésoam érique à partir d e 700-800. Pour d e s raisons e n c o re obscures, mais p robablem ent liées à une évolution d e s conditions climatiques, ou à une série d e m auvaises récoltes, les sociétés d'agriculteurs vont être conduites à se replier vers d e s zones moins arides : c 'e st l'effondrem ent d e la frontière nord d e la M ésoam érique.
La g ra n d e majorité d e l'éta t d e G uanajuato est to u ch ée a u d é b u t du postclassique ancien (à partir d e 900) et le nord du M ichoacan vient dans la foulée. La frontière y devient palpable, m êm e s'il ne s'agit pas d'une ligne rigide e t hermétique, mais plutôt d'une vaste frange d e transition où d e s groupes différents pouvaient entrer en c o n ta c t e t pratiquer des éch an g es. Face aux sociétés centralisées qui se m ettent en p la c e dans les malpaîs, les populations du nord reviennent à un m ode d e vie plus itinérant. Les grottes e t les abris-sous-roche sont, pour la prem ière fois, clairem ent habités par des populations d e chasseurs. Les peintures pariétales qu'ils
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y laissent nous donnent quelques informations sur l'identité d e c e s occupants qui se rattacheraient vraisem blablem ent à des groupes d e nom ades ou sem i-nom ades chichimèques.
Sur le plan m éthodologique, l'identification d e la frontière d a n s le nord du M ichoacan n 'a é té possible q u e g râc e à une a p p ro c h e globale e t diachronique des vestiges archéologiques. Une é tu d e ciblée sur le Postclassique ré c e n t e t sur une c a té g o rie particulière d e vestiges n'aurait pas permis d e disposer d'indices suffisants pour identifier la zone d e transition. C 'est la prise en co m p te d e l'évolution du peuplem ent et d e la répartition des matériaux arch éo lo g iq u es sur plusieurs siècles qui a mis en év id en ce les phénom ènes d e discontinuité e t d e rupture.
En effet, la frontière ap p araît c o m m e une « zone tam p o n » entre nom ades e t sédentaires, mais aussi c o m m e un e s p a c e d 'é c h a n g e s d e biens e t d'expériences. Les états d e « sédentaire » e t d e « n o m a d e » sem blent des situations b e a u c o u p moins rigides et définitives q u e celles décrites par les sources. Si l'archéologie confirme q u e le m o d e d e vie d e s sédentaires vivant e n c o re dans les sites architecturaux correspond au m odèle d e l'agriculteur m ésoam éricain, celui des autres populations aurait é té plus flexible. Sur c e point, deux observations s'im posent :
• il n'est pas impossible qu'une part d e la population sédentaire, s 'a d a p ta n t à d es conditions climatiques moins favorables, soit revenue à partir d e 1200 à un m ode d e vie plus itinérant; • le m ode d e vie d e s Chichimèques eux-m êm es sem ble variable e t com plexe ; la pratique
d e l'agriculture aurait pu être tem poraire e t la mobilité limitée par l'exploitation successive d e niches écologiques proches.
La description d e la frontière nord d o n n é e par les sources ethnohistoriques doit être ainsi en grande partie révisée. Elle ne s'explique q u e p a r la situation d e la M ésoam érique au XVIe siècle e t p ar le c a ra c tè re indirect e t tardif d e s textes. Ces derniers m entionnent toutefois certains détails qui peuvent peut-être com pléter notre information : au XVIe siècle, c e sont des groupes a p p e lé s G uam ares qui occu p aien t c e tte portion d e la frontière nord e t entraient directem ent en co n tact a v e c le royaum e tarasque. Mais si les sources indiquent que c e g roupe figurait parmi les plus guerriers e t sanguinaires des Chichimèques, n 'e st-c e pas aussi (et surtout ?) p a rc e qu'ils furent parmi les plus récalcitrants à la colonisation ?
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112 A.Occidente; S.MesoaméricaOlmeca; C: Mesoamérica Septentrional.
Frontera mesoamericanadel siglo X V I del siglo IX 1. Teuchitiân, Jal., 2. Chupicuaro, Gto., 3. San Juan del Rio, Qro., 4. M orales, Gto., 5. Villa de Reyes, S.L.P., 6. Cerro Encantado, Jal., 7. La Q uem ada, Zac., 8. Crialchihuites, Zac., 9. Schroeder, Dgo., 10. Zape, Dgo., 11. Mochicahui, Sin., 12. Huatabampo, Son.,
13. S ierra Gorda, Qro., 14. Rio Verde, S.L.P., 15. Sierra d e Tam aulipas
h - 3 0 --- r ''-Trôpico de Cancer -2 2 Golfo de M é x ic o LaG torie Lago C hapala Lago P a tz c u a r o T in ço m b cto • • A petrirvçoü OCEAHÔ P A C IF IC O
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