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Le silence du monde, une expérience photographique de l'espace-paysage

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Academic year: 2021

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Le silence du monde,

une expérience photographique de l’espace-paysage Mémoire Emmanuelle Hoarau

Maîtrise en arts visuels

Maître ès arts (M.A)

Québec, Canada

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Résumé Ce qui m’importe c’est l’expérience que l’on fait des choses, de ces espaces photographiés, et l’expérience que l’on en tire. Sentiments profonds issus d’un paysage particulier ou suspension temporelle face à une image composée, dans le contexte de ma maîtrise, par ma photographie, je cherche à faire vivre aux spectateurs la sensation d’espaces-paysage. Ainsi, ce mémoire se structure de manière à aborder plusieurs réflexions sur les différents aspects qui entourent mon travail, tout en accompagnant la réflexion à travers diverses explorations qui ont su engendrer mes photographies. Passant par plusieurs idées, plusieurs concepts, et plusieurs définitions revisitées, je cherche néanmoins à garder une approche sensible et personnelle. Cette présente étude s’est donc construite autour d’une volonté d’expérimenter la sensation de l’espace du paysage, par l’expérience d’une profondeur virtuelle et désormais atteignable, au-delà de la surface bidimensionnelle de la photographie.

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Table des matières Résumé ... iii Table des matières ... iv Liste des figures ... v Remerciements ... vii INTRODUCTION ... 1 PARTIE I : ETUDES ET CONCEPTS ... 2 I. Le repos du paysage ... 2 ESPACE ... 3 TEMPS ... 7 II. La photographie comme seuil de l’image ... 9 III. La photographie et son illusionnisme spatial ... 13 IV. “Surgie de la lumière du noir” - une empreinte romantique ... 16 PARTIE 2 : TRAVAUX ET RECHERCHES ... 19 I. Un couple de paysage ... 19 LES PAYSAGES CONSTRUITS ... 21 1 - Les conditions ... 22 2 - Le développement ... 22 3 - Le renversement ... 23 LES PAYSAGES NATURELS ... 24 II. L’accord parfait des photographies ... 26 LES EXPLORATIONS CONNEXES ... 27 CONCLUSION ... 28 Bibliographie ... 29 Annexe ... 31

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Liste des figures Figure 1 : Maija Savolainen [En ligne]. BRÄNNSKÄR (BRIGHT LIGHT). De la série Paperworks (See/Sea), impression pigmentaire, image de 11,5 x 16 cm, image avec cadre et passe-partout 70 cm x 70 cm. 5 impressions et 2 épreuves d'artiste. 2013 [consulté le 29 avril 2018]. Disponible : http://gallerytaikpersons.com/artists/maija-savolainen/portfolio/portfolio-25/ Figure 2 : Nicholas Worley [En ligne]. Titre inconnu, de la série Gypsum, photographie numérique, de l’exposition Artificial Infinity. Date inconnue [consulté le 29 avril 2018]. Disponible : https://www.nicholasworley.com/gypsum/ Figure 3 : Fernando Maselli [En ligne]. Chamonix, Impression à jet d’encre, 315 x 150 cm. 3 impressions et 2 épreuves d’artiste. [consulté le 29 avril 2018]. Disponible : http://fernandomaselli.com/en/portfolio_page/infinito-artificial/ Figure 4 : Jungjin Lee [En ligne]. Israël, de la série Unnamed Road, photographie argentique et intervention numérique sur papier artisanal, dimensions inconnues. 2011-2012 [consulté le 28 avril 2018]. Disponible : http://www.jungjinlee.com/israel Figure 5 : Eugène Smith [En ligne]. Minamata (ou Le bain de Tomoko), photographie argentique, dimensions inconnues. 1971 [consulté le 28 avril 2018]. Disponible : http://www.documentingmedicine.com/minamata-the-story-of-the-poisoning-of-a-city/ Figure 6 : Adam Katseff [En ligne]. Titre inconnu, de la série Rivers an Falls, photographie numérique, dimensions inconnues. Date inconnue [consulté le 28 avril 2018]. Disponible : http://www.adamkatseff.com/rivers-and-falls Figure 7 : Yuji Hamada [En ligne]. Titre inconnu, de la série Primal Moutain. Photographie numérique; 2011-2012 [consulté le 29 avril 2018] . Disponible : http://hamadayuji.com/Yuji_Hamada.html Figure 8 : Michael Schnabel [En ligne]. Nordkette, de la série Silent Moutains. Photographie numérique, 160 cm x 220 cm. 2010. [consulté le 29 avril 2018] Disponible : http://www.michaelschnabel.com/portfolio/art/tiroler-stille-berge/

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« Les gens de la terre ne comprennent rien au ciel » Ernest Hemingway - Le vieil homme et la mer.

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Remerciements

Parce que ça n’a pas toujours été facile, parce que l’on doit toujours se tenir debout et parce que l’on ne peut pas toujours avoir la chance de se voir offrir du soutien, je voudrais remercier toutes les personnes qui ont su accueillir mes doutes et m’ont aidé à en faire des forces. Je remercie ces personnes qui ont par le détour d’une phrase, d’une réflexion ont su donner courage et ressource. Je remercie celles qui m’inspirent depuis le premier jour et qui ne cessent de nourrir ma réflexion. Je remercie mon directeur qui n’a cessé de m'aiguiller. Je remercie ceux qui sont resté pour écouter et qui ont hurlé pour que j’entende. Et enfin, parce que sans eux rien n’aurait pu être, je remercie ma famille qui a cru en moi de façon inconditionnelle. À toutes ces personnes, Merci.

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INTRODUCTION

Ce mémoire comporte deux parties.

Dans la première partie, la notion de paysage dont je parle exclue le paysage urbain et tous les autres paysages dans lesquels l’homme a interagi de façon significative en les transformant. Je me concentre donc principalement sur un paysage issu du domaine de la nature, sauvage, sans empreintes humaines. Par la suite, toujours dans cette même section, j’élabore mon point de vue sur l’expérience du positionnement du spectateur face à ce type de paysage dans un rapport à l’espace et au temps. Introduisant alors la notion d’espace-paysage dans un contexte d’exposition en milieu artistique professionnel, j’aborde la photographie numérique comme concept d’image-seuil, et évoque également ma perception du Noir et Blanc.

Dans la deuxième partie du mémoire, les notions abordées s’entremêlent, se confrontent et se confortent dans la production où elles se concrétisent à travers la réalisation et le résultat de l’exposition en galerie des photographies d’espaces-paysages. Cette partie, directement en lien avec mon travail en atelier et l’élaboration de celui-ci, met en place la compréhension des contextes de création et d’élaboration des œuvres afin d’en arriver à une expérience de l’espace-paysage.

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PARTIE I : ETUDES ET CONCEPTS I. Le repos du paysage “Chaque nuage a son repos, mais ce repos est si proprement le sien qu’il ne l’est - tout le donne à voir - que l’instant où ce nuage n’est pas encore devenu un autre” 1 fig. 1 1 Nancy J-L. Au fond des images, Paris : édition Galilée ; 2003, p. 117-118

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ESPACE Il y a dans les paysages un certain caractère qui reste familier, comme un type d’expérience que, je suppose, nous avons tous eu l’occasion de réaliser et qui reste pourtant personnel à chacun. Mais de quel type de paysage s’agit-il ?

Paysages. Qu’ils se composent de certaines spécificités géologiques ou géographiques, les paysages proposent selon moi une expérience et un point de vue sur un espace dont l’étendue et les dimensions nous paraissent sans fin. Mais l’infinitude comme qualité de ces espaces ne caractérise pas forcément toutes les vastes étendues comme étant des paysages. L’approche du paysage issu de la nature avec laquelle j’effectue mes recherches, constitue un élément essentiel à la compréhension de ce que je propose dans ma photographie numérique. Ainsi, j’évacue la notion de paysage mental, social, ou bien la notion de paysages architecturaux et autres, pour me concentrer sur des paysages issus de la nature elle-même, c’est-à-dire des paysages sauvages. Afin d’évacuer tout malentendu sur les diverses définitions du paysage et afin de saisir ce que celui-ci représente pour moi, en voici quelques exemples : - Imaginons que l’on soit en pleine nature lors d’une marche en montagne. Entre les arbres à l’orée du bois, passé la frontière des arbres, on aperçoit la rivière en contrebas qui traverse la vallée et va rejoindre la mer. Par ma position, mon échelle humaine, en tant que personne qui observe cet espace et ne pouvant voir au-delà de l’horizon, par le biais de tout cela, ce qui s’offre à moi et qui me fait face me dépasse. C’est à ce moment-là que pour moi, je fais face à un paysage. - Imaginons maintenant que nous sommes en vacances sur un petit catamaran sur les eaux de l’Atlantique, et que l’on se retrouve face à l’immense bleu de l’océan, sans aucuns autres appuis visuels que l’horizon même du monde. Par cette étendue devant moi, par ce sentiment de n’être que poussière dans l’échelle de grandeur du monde, je me retrouve infime face à un paysage aux dimensions du Monde.

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- Quittons maintenant les montagnes et l’océan, et prenons un exemple plus commun. Pendant un trajet d’une ville à une autre, de chaque côté de la voiture ou du train, s’offre à voir de grandes plaines vierges et indomptées. Hirsutes, les plaines sauvages par leurs grandeurs, par l’horizon qu’elles embrassent et leurs vastes étendues se prolongeant dans un infini du regard, composent un paysage.

Ces trois exemples, soulignent plusieurs points communs, dont la notion de grands espaces, d’une vue vers un infini de terre, de mer ou autre, et d’une prolongation dudit espace s’effectuant au-delà de ce qui nous est possible de voir, soit au-delà de l’horizon-même. Il s’agit donc d’un espace que l’on appréhende en grande partie de façon visuelle. C’est dans cette position face aux montagnes ou à l’horizon, dans ces moments où l’on se retrouve face à ce qui est plus grand que nous, et qui appartient à la nature sauvage et indomptée, que nous faisons l’expérience du paysage. Le paysage correspond ainsi à ce qui est face à nous, perçu comme immensément grand, et que l’on ne peut toucher, ni traverser. Je fais alors face à un éloignement, à une perte de vue, et se tient devant moi un sujet inatteignable par sa nature, ce qu’elle est, son essence. Le paysage n’est donc plus pour moi qu’un simple paysage à regarder, mais un véritable espace que j’expérimente à la fois par le médium photographique et en tant qu’expérience tangible dans ma position de personne face à lui.

Cette expérience du paysage en tant qu’espace m’amène donc à la notion d’espace-paysage comme expérience de la sensation de l’espace du paysage, dans mon positionnement face à ce dernier. C’est ce qui établit alors le rapport entre moi, c’est-à-dire ma personne, “pas seulement un objet perçu, mais un sujet percevant”2, face à cet espace qui est là, soit le paysage en face de moi. Ce nouveau type de relation avec le paysage m’implique directement dans le sens où il s’agit d’une relation se rapportant à l’expression et le sentiment d’une distance réciproque entre le paysage et moi-même. Delà s'opère une prise de conscience de mon échelle de grandeur humaine face à l’échelle de cet espace oh ! combien plus grand que moi. S’en suit la sensation d’une distance entre le lieu où je me tiens, celui que j’occupe par ma présence, et le commencement lointain et inatteignable de la nature-même du paysage.

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Mais peut-on faire l’expérience de l’espace du paysage sans le parcourir ?

Parce que l’action de se déplacer s’effectue toujours dans un espace et dans un temps précis, on parcourt toujours un espace, mais selon moi, on ne parcourt jamais le paysage. Lorsque l’on traverse une pièce, c’est l’espace de la pièce, sa composition, ses mètres carrés que l’on traverse et que l’on arpente. J’ai alors une action sur sa composition, je bouge dans cet espace et l’occupe par ma présence. Je traverse la pièce, parce qu’elle est déterminée par des arêtes visibles, et dont les distances entre elles sont atteignables par ma façon de me mouvoir dans l’espace et par mon échelle. La différence entre l’espace de la pièce et l’espace du paysage, c’est que la pièce possède une mesure finie allant d’un point A à un point B, et que ces derniers sont tous les deux connus, bref, atteignables. Par cette définition-même, selon moi on ne peut pas traverser un paysage car ce dernier ne possède pas de limites, autant qu’il n’a ni de point de départ ni de fin définis. Nous traversons des lieux, ou des territoires géographiques, cependant, le paysage se déplace au même rythme auquel nous avançons, comme tenu à distance de notre propre personne. C’est un espace que l’on ne peut appréhender que visuellement car “un paysage ne contient aucune présence : il est lui-même toute la présence.”3 De ce fait, le paysage ne représente ni une destination, ni un but à atteindre. Il n’est pas non plus l’objet d’une quête ou la ligne d’arrivée d’un périple. Il est juste présent devant nous, comme une évidence. Et bien que je puisse peut-être me situer dans le paysage de quelqu’un d’autre, dans mon rapport personnel au paysage cela n’est pas le cas. C’est par cette distance entre le paysage et moi-même, celle qui ne semble jamais diminuer, que le paysage qui se tient toujours devant moi m’est inatteignable. C’est pourquoi, par la photographie, j’offre à voir cet univers particulier qui est le mien, et mets à disposition mon espace-paysage à celui qui marche dans la galerie. 3 Nancy J-L. Au fond des images, Paris : édition Galilée ; 2003, p. 112

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“ Par l’art seulement, nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la Lune. Grâce à l’art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et autant qu’il y a d’artiste originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l’infini ”4 Marcel Proust - 4 Deleuze G. Proust et les signes. Paris : édition Presses Universitaires de France ; 2014, p.55

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TEMPS “Toujours, devant l’image, nous sommes devant du temps.”5 fig. 2 5 Didi-Huberman G. Devant le temps, Paris : édition de Minuit, 2000, p. 9

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Parce que « l’expérience de l’œuvre se fait nécessairement dans le temps »6 , et que le paysage ne contient aucune présence car il est lui-même toute la présence comme le dit Jean-Luc Nancy, il ne possède pas la même temporalité que celui qui l’observe. Le paysage possède sa propre temporalité, soit un temps auquel l’accès nous est accordé uniquement par un rythme qui lui appartient, celui de la nature même. Et parce qu’on l’appréhende de façon visuelle, l’expérience que l’on peut faire du paysage se caractérise en un temps de la contemplation. Face à ces montagnes, à cet océan, ou bien face à ces grandes plaines que nous avons pris en exemples précédemment, à partir du point auquel je me trouve et où je me positionne, je ne peux que regarder et prendre le temps de contempler le paysage. Je ne peux peut-être pas accéder à cet espace, à cette temporalité, mais je peux prendre un temps, le mien, et le suspendre dans son rythme pour vivre un instant au rythme du paysage. Cette expérience du paysage implique autant une prise de position physique, car en tant que spectateur je me positionne devant lui, qu’une prise de “position temporelle”, c’est-à-dire qui s’effectue dans une spatialité définie par l’espace et le temps. Cette prise position en tant que spectateur, soit sujet percevant ayant ma propre temporalité et faisant face à un paysage dont le temps ne se déroule pas de façon semblable au mien, s’exerce dans un détachement de mon rythme personnel pour l’allouer pendant un instant à celui de la contemplation. Le rythme du paysage plonge alors celui qui l’observe dans de nouvelles données spatio-temporelles, afin de le situer face à lui et de le contempler pour ce qu’il est dans son essence et sa temporalité. Pour ce faire, la contemplation fait partie de l’expérience-même du paysage, elle ne peut en être détachée car comme le dit Robert Morris, “la contemplation est celle d’un accès : le pas, le seuil, la mesure du compas pour accéder à ce qui reste inaccessible.”7. Cette pause, ce temps suspendu dans ma routine, devient alors un arrêt, une respiration, une suspension du temps nécessaire à l’expérience de cet espace-paysage, comme “ un temps qui, lui-même, peu à peu, en viendra à constituer le lieu comme tel.”8 Ainsi, j’accède à l’espace-paysage par le temps de la contemplation. 6 Didi-Huberman G. Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris : édition de Minuit, 1992, p. 119 7 Nancy J-L. Au fond des images, Paris : édition Galilée ; 2003, p. 119 8 Didi-Huberman G. L’homme qui marchait dans la couleur. Paris : édition de Minuit, 2001, p. 57

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II. La photographie comme seuil de l’image “Chaque sujet exprime le monde d’un certain point de vue. Mais le point de vue, c’est la différence elle-même, la différence interne absolue. Chaque sujet exprime donc un monde absolument différent. Et sans doute, le monde exprimé n’existe pas hors du sujet qui l’exprime”9 fig . 3 9 Deleuze G. Proust et les signes. Paris : édition Presses Universitaires de France ; 2014, p.55

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Le paysage comme la photographie possèdent tous les deux une temporalité qui leur est propre. Cependant, chacun d’entre eux positionnent le spectateur dans un moment de contemplation. Dans notre cas, pour comprendre le lien entre ces deux éléments, je prends ici l’exemple de ma photographie numérique de l’espace-paysage. Dans un contexte artistique d’exposition, la photographie devient le premier rapport formel, voire le premier contact, entre moi dans ma position en tant que spectateur, et l’espace-paysage. Formelle dans sa structure par son support papier, la photographie imprimée en tant que telle est considérée comme une image située sur un plan bidimensionnel aux dimensions finies. C’est par ce lien entre spectateur et la photographie en tant que représentation d’un espace, que s’établit une relation dont Emmanuel Lévinas décrit le procédé de la façon suivante : “ La classique représentation entre sujet et objet, est une présence de l’objet et une présence auprès de l’objet. La relation est comprise, en fait, de telle manière que le présent y épuise l’être du sujet et de l’objet. L’objet y est, à tout instant, exactement ce que le sujet le pense actuellement. Autrement dit, la relation sujet-objet est toute consciente. Malgré le temps qu’elle peut durer, cette relation recommence éternellement ce présent transparent et actuel et demeure, au sens étymologique du terme re-présentation”10. Le spectateur qui regarde de prime abord la photographie en tant qu’image, et qui s’engage à ce moment-là dans une attitude contemplative vis-à-vis de celle-ci, recontextualise constamment sa position face à l’œuvre et sa propre temporalité. Cette relation permet ainsi l’élargissement du rôle de la photographie à bien plus grand que de n’être qu’uniquement image d’un espace représenté sur un support bidimensionnel. En effet, étant la représentation d’un espace photographié et créant une relation entre le spectateur et le sujet de la photographie soit l’espace-paysage, l’image photographique devient le seuil qui donne accès audit espace-paysage ainsi qu’à son expérience. « Comme si l’acte de voir finissait toujours par l’expérimentation tactile d’un pan élevé devant nous, obstacle peut-être ajouré, œuvré, de vides »11, la photographie nous ouvre le passage vers une dimension au-delà de sa frontalité première, et nous introduit à une nouvelle virtualité. Étant donné que celle-ci est composée 10 Lévinas E. En découvrant l'existence avec Husserl et Heidegger. Paris : éditions VRIN ; 2001, p. 130 11 Didi-Huberman G. Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris : édition de Minuit, 1992, p. 11

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de cet espace-paysage, elle offre un chemin, une voie, tout en se réalisant en tant que fenêtre voire en tant que porte ouvrant vers ledit espace.

Cependant, il faudra faire attention à ne pas confondre l’infinitude de l’espace-paysage en tant que tel, avec la photographie en tant que cadre qui agit comme une porte sur cet immensité de l’espace-paysage. En effet, la photographie ne représente pas le paysage dans sa totalité, car elle ne peut le saisir dans son ensemble.

Il y a une citation particulièrement intéressante utilisée par André Rouillé dans son livre La photographie disant “alors que la toile est une totalité, la photographie n’est qu’un fragment”12.

Le fragment s’oppose donc à cette totalité qu’André Rouillé définit par les médiums que sont la peinture et le dessin. Ces derniers, considérés comme des œuvres ayant la possibilité de faire des sacrifices de détails du réel, placent la photographie en un art qui ne peut choisir ce qu’il représente. Et parce que la photographie ne fait aucun sacrifice car elle offre à voir un “fragment détaillé”, c’est-à-dire un point de vue qui n'omet aucuns éléments présents face à elle lors de la capture de l’image mais qui ne peut englober tout ce qui est existant face à lui, la photographie en tant que fragment de l’espace-paysage offre à voir une portion dudit espace. C’est à ce moment-là que le spectateur se met à composer par lui-même le reste de l’espace-paysage. Par ce procédé, le spectateur redéfinit la photographie comme l’image d’un fragment de l’espace, et se positionne devant une image considérée comme une porte, une fenêtre ouvrant sur un tout, sur la totalité de l’espace en tant que tel. Ce concept de photographie comme frontière de l’image entre sujet et objet, rejoint un point développé dans le livre L’homme qui marchait dans la couleur, lorsque Georges Didi-Hubermann parle de l’œuvre Blood Lust de James Turrell en disant que : “la netteté de la découpe et des angles sert, comme on l’a vu pour Blood Lust, à « flouer » l’espace, et à illimiter un lieu pourtant restreint “13. Ici, il est intéressant de faire la corrélation entre le lieu restreint par les limites physiques de l’installation de Turrell (telle qu’elle est perçue dans sa première impression, c’est à dire comme un écran dont émane la lumière comme présence), 12 Rouillé A. La photographie. Paris : édition Gallimard ; 2005, p. 90 13 Didi-Huberman G. L’homme qui marchait dans la couleur. Paris : édition de Minuit, 2001, p. 79

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et le lieu restreint par les limites physiques de la photographie (correspondant aux bords-mêmes de l’œuvre). L’idée serait alors que nous posséderions un regard sur une image qui nous apparaît de prime aborde comme “surface”, et qui finalement s’ouvre vers un espace plus grand que celui qui nous est représenté. Cette image comme seuil, George Didi-Huberman en développe l’idée de façon plus poussée lorsqu’il prend pour exemple l’œuvre de Lewis Carroll Through the looking glass, et qu’il la propose comme une “opération du through, effet de trou et de traversée, qui donnait pour Alice la condition essentielle de l’expérience : verser, tomber dans le lieu”14. Dans cet exemple, le miroir d’abord pensé dans un cadre domestique comme une surface solide, plane et polie dont la caractéristique principale est la réflexion de l’image, devient la surface de “l’opération du through”, soit la surface-image proposant l’expérience de la traversée. C’est par cette-même image, par sa réflexion, qu’Alice entre dans cet univers particulier. Impossible alors de ne pas faire le lien entre le miroir d’Alice et le daguerréotype lorsque la surface réfléchissante s'imprègne de la lumière et évoque le miroir par sa surface argent. Cette comparaison nous permet d’associer la photographie à une expérience se rapprochant de celle du passage du miroir dans l’œuvre de Lewis Carroll. Cependant, alors que le parcours d’Alice s’apparente à une introspection lorsque celle-ci tombe finalement en elle-même, ce sont les caractéristiques du support, qui entrent en jeux et permettent une double lecture de l’œuvre. Néanmoins, ma photographie n’étant ni une surface réfléchissante comme le miroir, ni imprimée sur une surface réfléchissante, celle-ci n’agit donc pas comme un processus d’introspection, mais possède toutefois un processus de traversée de l’image similaire. 14 Didi-Huberman G. L’homme qui marchait dans la couleur. Paris : édition de Minuit, 2001, p. 79

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III. La photographie et son illusionnisme spatial “ Le ciel embrasse tout, tout simplement.” 15 fig. 4 15 Didi-Huberman G. L’homme qui marchait dans la couleur. Paris : édition de Minuit, 2001, p. 65

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Portes ouvertes sur un espace-paysage, en galerie, le format des photographies, leur position et leur occupation de la salle, créent un véritable parcours à travers l’espace. Alors que les photographies impliquent généralement une certaine attitude ou position contemplative du spectateur face à elles-mêmes, ici, avec mes photographies, il est également question d’une projection du spectateur dans l’espace-paysage.

En effet, une fois le seuil de l’image traversé, la photographie nous permet désormais d'effectuer un déplacement virtuel dans l’œuvre par la projection de soi dans l’espace qu’elle représente. Parce que les espaces-paysages nous invitent à une sensation de l’espace, lorsque nous retrouvons dans un cadre institutionnel qui est celui de la galerie et que l’on se positionne face à l’œuvre, la photographie invite à la découverte et au parcours virtuel dans l’image. Par ces dimensions, par sa composition et sa qualité de lumière, le spectateur est amené non pas à faire l’expérience d’une simple image, mais l’expérience de la sensation de cet espace-paysage qui lui est représenté. Cette illusion de l’espace engendré par la photographie, son point de vue, sa profondeur, son apparence, et ses caractéristiques propres nous offre une nouvelle façon de concevoir l’image. Le spectateur quittant ainsi une position uniquement contemplative, possède désormais un véritable pouvoir de déplacement et d’action virtuelle dans l’œuvre même, où la distance entre l’Homme et l’œuvre tend à s’abolir grâce à la portée ce paysage devenu atteignable par cet illusionnisme spatial.

Mais l’illusion ne fait pas tout, parce que la photographie n’est qu’un fragment comme on a pu le voir précédemment, le spectateur désormais plongé dans ce fragment de l’espace-paysage, érige par sa propre imagination le reste des caractéristiques uniques (car propre à chacun et donc différent pour tous), de cet espace paysage.

Comme expliqué par Didier Martens, “Il existe une tendance latente chez le spectateur à vouloir concrétiser les représentations figurées dans le plan, c’est-à-dire à vouloir les faire exister - au prix d’un double travail de refoulement et de projection- à l’intérieur même de notre sphère empirique. (...) Cette concrétisation de l’image est, dans la plupart des cas, un acte imaginaire produit par la conscience. D’une part, il implique le refoulement de tout ce qui, dans le champ visuel du spectateur, diffère de ce que l’image cherche à évoquer. Le

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regardant est donc appelé à neutraliser le perçu de l’espace “réel” dans lequel l’image a été placée, mais aussi la matérialité du support de celle-ci. D’autre part, la concrétisation de l’image rend le plus souvent nécessaire une série de projections complétives, destinées à combler l’écart entre la représentation et son prototype naturel, tel que le spectateur peut le reconstituer.”16 De ce fait, opérant le processus conscient de l'omission du monde “réel” comme suggéré par Didier Martens, le spectateur procède au refoulement du monde qui l’entoure et de la surface de l’œuvre comme support bidimensionnel, afin de procéder à la concrétisation de l’espace représenté par la photographie et de le parcourir de façon virtuelle.

En effet, bien que n’offrant pas la totalité des points de vue de cet espace-paysage, le fragment du monde photographié permet “une rencontre où les distances s’effondrent”17. Cette concrétisation de l’image issue de l’illusionnisme spatial de la photographie, nous permet alors la plongée dans cet espace-paysage en noir et blanc, comme le vit Alice lorsqu’elle traverse le miroir et débute son introspection, son voyage au cœur de cet univers virtuel. 16 Martens Didier. L'illusionnisme spatial dans la peinture grecque des VIIe et VIe siècles. Essai de typologie. dans : L'antiquité classique, Tome 58, 1989. p. 18 Disponible : http://www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_1989_num_58_1_2256 17 Didi-Huberman G. Ce que nous voyons, ce qui nous regarde. Paris : édition de Minuit, 2001, p. 194

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IV. “Surgie de la lumière du noir” - une empreinte romantique “La lumière est une qualité que seul le noir et blanc mets véritablement en valeur.”18 fig. 5 18 Ripoll, F, Roux D, La photographie. Toulouse : édition Milan ; 2005, p. 44-45

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L’accès à l’espace-paysage désormais possible, le spectateur se voit alors plongé dans un espace de lumière, de contraste et d’horizon d’un monde en noir et blanc.

C’est tout en gardant ce point de vue sur l’espace par ses formes, sa texture, sa lumière et le grain photographique que le Noir et Blanc s’est imposé, comme un parfait pinceau à son peintre car “il y a dans la lumière, principe formel antérieur à la couleur, une qualité propre à éveiller les sentiments les plus extrêmes”19. Abolissant la couleur comme matière dans mes photographies, car “les couleurs exposent le désir cachant l’objet”20, le noir a pris place dans les teintes obscures tandis que les couleurs se sont transformées en nuances de gris, dont la palette offre une grande gamme de plan et de profondeur.

Menée par un désir de proposer une sensation de l’espace du paysage, d’offrir la possibilité d’une pause, d’un arrêt, d’une suspension du temps, la photographie en Noir et Blanc devient pour moi une expression romantique d’un désir de parcourir cet espace profond où s'entremêlent sentiments et sensibilité.

Romantique, cet aspect de mes photographies s’est développé à travers plusieurs années grâce à un intérêt particulier pour la lumière, ses effets, la profondeur et le contraste qu’elle engendre. Univers où la lumière dramatisait la scène peinte, et dans mon cas l’espace-paysage photographié, les peintures du Caravage ont longtemps été source d’inspiration et le reste encore activement aujourd’hui. Son traitement des corps, de la profondeur, de la lumière et du clair-obscur sont des éléments qui stimulent ma perception de l’espace, mon processus de création et approfondissent la construction de mon regard sur le monde. De même, les noirs profonds des gravures d’Odilon Redon provoquent ce même intérêt par la qualité de ces gouffres d’encre dont plus rien ne sort, comme de véritables trous noirs dont la lumière s’est vue prise dans l’attraction de la masse qui les composent. Cependant, là où Le Caravage utilise les corps et là où Odilon Redon compose ses figures, ses créatures et ses natures mortes, la grande différence entre eux et moi concerne le sujet représenté. Alors que leurs sujets composent leur espace par le traitement de la lumière, des noirs et du contraste, j’utilise l’espace-même comme sujet.

19 Ripoll, F, Roux D, La photographie. Toulouse : édition Milan ; 2005, p. 44

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Néanmoins, cette photographie en noir et blanc de ces espaces-paysages comme sujet principal, ne vient pas de nulle part. Il y a bien avant l’apparition des premiers clichés en couleur, toute l’histoire de la photographie en tant que telle. Depuis sa création, par le fameux procédé de Daguerre, cette élaboration forte intéressante de capture de lumière sur une surface presque miroir où l’image du monde se fige en Noir et Blanc, la photographie n’a cessé de se justifier en tant qu’art à part entière. Mais sans m’en aller trop loin dans l’histoire-même de la photographie21, ce que celle-ci permet par cette capture c’est une façon de voir, un regard sur le monde.

Et parce que le Noir et Blanc n’appartient pas à notre quotidien, dans le sens où notre vision est en couleur et que nos yeux captent une palette de teintes grâce à la multitude de cônes et de bâtonnets présents dans notre rétine, le Noir et Blanc se voit donc refoulé à une perception des mouvements dans les angles extrêmes de notre regard. Dès lors, l’œuvre en noir et blanc, sortant de notre vision quotidienne du monde, expose au spectateur la possibilité de re-axer ce point de vue en une approche frontale, rendu possible par le déplacement des caractéristiques de la vision périphérique dans une nouvelle vision du monde en noir et blanc. Expérience unique par son approche sensible liée à l’imaginaire propre à chacun, celle-ci nous suggère la sensation et le sentiment de l’espace-paysage par une expérience personnelle et solitaire de l’œuvre. Il s’agit de “l’expérience de celui qui, devant le paysage qu’il se doit de contempler et qu’il ne peut pas ne pas contempler, “prend la pose” et tire de la conscience de cette attitude un plaisir rare et parfois mélancolique.”22 Ainsi, présent face à la photographie, le spectateur se met à observer l’œuvre pour ce qu’elle est réellement, ses formes, son grain, sa lumière, tous ses paramètres qui font atteindre le cœur des choses, le cœur de l’œuvre par un traitement de la photographie quasiment pictural. 21 Voir Rouillé A. La photographie aux éditions Gallimard et son propos sur les différents aspects de la photographie à travers l’Histoire. 22 Augé M. Non-Lieux : Introduction à une anthropologie de la surmodernité. Paris : éditions du Seuil : 1992, p. 111

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PARTIE 2 : TRAVAUX ET RECHERCHES I. Un couple de paysage « La parole poétique n’est plus parole d’une personne : en elle, personne ne parle et ce qui parle n’est personne, mais il semble que la parole seule se parle »23 fig. 6 23 Blanchot M. L’espace littéraire. Paris : édition Gallimard ; 1955, p. 38

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Mon travail est rythmé par les différents types de représentations et de médiums que j’ai pu expérimenter. Que ce soit par des formes comme construction de l’espace et de la matière, la lumière, les contrastes et les textures, ces caractéristiques m’ont permis, durant ces deux dernières années quelques explorations telles que la photo- lithogravure, la performance, la vidéo-performance, mais surtout et principalement la photographie numérique. Cependant, de ces espaces photographiques aux espaces-paysages, le cheminement s’est vu difficile. Ayant longtemps eu un désaccord avec les créations entourant la notion de paysage, ce dernier résonnait pour moi comme un vide, comme un sujet déjà trop articulé, épuisé et traîné depuis trop longtemps à travers l’histoire, l’art, le temps. Et pourtant, ce paysage appauvri et épuisé auquel je pensais faire face était ce qui allait stimuler ma création et transformer ma façon de voir le paysage en une expérience photographique. Ainsi, sans vouloir décrire les espaces-paysages représentés dans mes photographies, dans cette deuxième partie, j’aborde l’élaboration du processus qui a fait de mes photographies des espaces-paysages.

Dans le processus de création-même de mes œuvres, apparaît deux types de paysages. En effet, entre paysages construits et paysages naturels, deux types de prise de vue photographique se rencontrent pour se confronter et créer par leur dualité et leur alliance, une cohésion, une fluidité dans l’espace d’exposition. Dans le premier type de photographies que sont les paysages construits, mon cheminement s’éloigne d’une prise de vue d’un paysage issu de la nature pour s’orienter vers une prise de vue d’une structure construite en atelier. Ces photographies, bien que définies par la plupart des notions explicités précédemment, viennent créer un nouveau discours sur ce qu’est le paysage et la façon dont il se caractérise à travers son élaboration comme installation, comme construction et structure de l’espace.

Dans le deuxième type de photographies que sont les photographies de paysages issus de milieux naturels, mon approche se construit autour de prises de vue en extérieur. En expérimentant ma position face au paysage, j’aborde la notion d’un espace et de la distance réciproque vécue envers celui-ci. Retranscrit en photographie, cette approche du paysage

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LES PAYSAGES CONSTRUITS “Je crée le monde”24 fig. 7 24 Viola, B, Perov K, Bill Viola. Paris : édition de la Réunion des musées nationaux - Grands Palais; 2014, p. 32

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1 - Les conditions

Avant d’arriver à la photographie, il y a d’abord cette salle, l’espace de création, celle qui a été citée plus tôt et qui possède des dimensions finies, celle que j’arpente : l’atelier.

Cet espace de création (ou lieu d’exploration et dans mon cas salle de critique) est le lieu où tout commence. Espace blanc et fécond comme celui de la toile blanche, cette salle devient surface-filigrane sur laquelle volumes, lumière, textures et formes, s’accordent pour créer l’espace de la photographie du paysage que je construis. La hauteur, la profondeur et l’ensemble des caractéristiques physiques de l’espace deviennent alors un champ des possibles, c’est-à-dire des outils et des moyens d’utilisation potentielle du lieu. En m'appropriant l’espace de la salle, je fais de cet environnement un lieu prompt à la recherche et à la création photographique. Et parce que j’y vois des contrastes, des textures qui me font sens, je perçois alors un paysage possible que je construis en une structure tridimensionnelle. La surface-filigrane devient alors profondeur et les éléments disposés dans l’espace deviennent quant à eux installation. Cette construction n’est pourtant pas l’œuvre elle-même. Abolissant l’espace blanc comme espace vide, j’y instaure le paysage construit qui s’y trouvait déjà présent mais invisible, et procède par la création d’une structure prenant place dans l’espace, à l’élaboration d’une expression personnelle d’un paysage en dormance. Par mes photographies, je ne fais donc que montrer ce qui s’y trouvait déjà, soit, cet espace-paysage. 2 - Le développement Une fois la structure mise en place, vient l’exploration de l’objet, ce qu’il offre à voir. Ses angles, cette nouvelle surface, sa texture et sa profondeur, proposent un point de vue plus élaboré que celui sur un simple élément en suspension dans l’espace blanc. Cette structure tridimensionnelle se construit comme un paysage nouveau dont tout reste à découvrir. Je capture alors les tourments et la quiétude qui y règnent. De fragment à paysage, l’espace est devenu bien plus vaste que celui d’une structure contenue dans une salle blanche. Jouant avec la lumière et son impact sur les formes, les contrastes que celle-ci va créer sur les volumes redéfinissent ce monde, cet univers à la Alice, par une vision et une sensibilité personnelle qui me rappelle les paysages romantiques dans la peinture du début du XIXème siècle, où le sentir était mot d’ordre du courant.

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Sentir le paysage, dans mon cas, c’est lui donner la possibilité de s’affranchir de sa structure et de l’installation de l’objet dans la salle comme support, pour lui offrir la capacité de procéder à une expansion. Ce dernier, après avoir été libéré de la salle blanche comme paysage inhérent et immanent, cherche à se libérer de la structure qui le compose. À ce moment-là, la photographie ne donne plus à voir une structure photographiée dans un espace, elle devient photographie de l’espace de la structure. Échelle désormais décuplée, la photographie n’est plus photographie d’un objet, mais celle de l’espace-même de ce nouveau paysage.

3 - Le renversement

Prenons un exemple plus spécifique, je prendrais ici une de mes photographies dont la masse noire est dans le haut supérieur de l’image, soit la photographie d’une masse en suspension, où l’envers et l’endroit semblent avoir été interchangés. Et comme Alice qui face à son miroir voit son reflet lui revenir en une image inversée, l’image de mon espace-paysage n’offre pas un point de vue classique, mais un renversement des codes de perception du paysage. En effet, là où celui-ci offre un point de vue où l’horizon structure le regard, dans mes photographies construites l’horizon n’est pas une ligne médiane délimitant deux types d’espaces que sont la terre et le ciel. Au contraire, celui-ci frôle la masse noire et suggère un au-delà plus profond, c’est à dire un espace vaste et inexploré contenu dans l’œuvre. Cette particularité a soulevé de nombreuses discussions autour de l’orientation des photographies. Pour la plupart des spectateurs elles semblaient être inversées par rapport à la perception naturelle des “paysages réels”. Cette inversion n’en est pas vraiment une. Cherchant à poser un nouveau regard sur l’espace du paysage, la façon de lire mes photographies se veut différente de lorsqu’on regarde des paysages pittoresques. Ce soi-disant renversement trouble le spectateur et le fait se questionner sur la perception de la photographie. Espace lumineux impossible ou profondeur à la fois présente et révolue, l’œuvre construit et abolit tour à tour les plans qui la structure et réactualise le regard.

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LES PAYSAGES NATURELS “ Les photographies peuvent laisser une impression plus forte que les images mobiles, car elles découpent une tranche nette dans la durée, au lieu d’en imiter l’écoulement.”25 fig. 8 25 Sontag S. La photographie. Paris : éditions du Seuil; 1979, p. 28

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À l’inverse de mes paysages construits, les paysages naturels de mes photographies représentent de véritables espaces du “monde réel”.

Prises lors d’un voyage en France en 2017, ces photographies proposent un rapport plus classique à la notion de paysage. En effet, ne remettant pas en question les codes de perception du paysage comme le fait ma photographie de paysages construits, elles proposent néanmoins des points de vue sur un espace visible, personnel et sensible. Rendant possible l’expérience du paysage, mes photographies ouvrent sur un espace rendu accessible et permettent une approche traditionnelle de la perception du paysage en tant que telle. L’horizon n’étant cependant pas le point commun partagé avec les représentations classiques, mes œuvres utilisent le paysage naturel comme source de création de ces espaces-paysages. C’est pourquoi, dans ma position vis-à-vis de ces derniers, faisant face à cette perte de vue, à ce ciel immense et ces terres lointaines que je ne pouvais pas atteindre, je prends en photo cet espace autrefois inaccessible. Devant cette nature sauvage, je me livre alors à l’expression d’une sensation de l’espace-paysage et de sa distance à jamais soutenue envers moi-même. En effet, la prise de vue et la capture de l’image réfère notamment à ma position au niveau spatial et temporel en tant que personne ou sujet percevant comme le dit Lévinas, face à cet espace dans “cet élément si vigoureusement émouvant, irrationnel, inassimilable et mystérieux - le temps réel”26. Me retrouvant ainsi devant ces paysages immensément grands que je ne peux ni toucher, ni traverser, je capture ce qui fut et qui persiste désormais à être dans le temps, par la photographie.

Cette image de l’espace des paysages naturels tout comme celle de paysages construits, est elle aussi numérique. Ainsi, le traitement de l’image participe comme pour l’installation de la structure dans l’espace blanc, à la révélation du potentiel immanent de l’image, soit la concrétisation de l’espace qui la compose. Créant ainsi une esthétique picturale avec une perception romantique personnelle, les paysages naturels créent un horizon particulier où seule la profondeur de la lumière définit dorénavant ces espaces-paysages, “d’aspect plus dramatique que celui que perçoit la vision naturelle”27 . 26 Sontag S. La photographie. Paris : éditions du Seuil; 1979 ,p. 67 27 Sontag S. La photographie. Paris : éditions du Seuil; 1979, p. 65

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II. L’accord parfait des photographies Par la corrélation entre les paysages construits et les paysages issus de la nature, les deux types de photographies loin de se nuire, se complètent et forment une exposition où tout semble se répondre et dialoguer, soit un monde qui propose une expérience personnelle et unique de ses espaces-paysages. Parce que l’une ne peut aller sans l’autre, les deux types de photographies s’appuient et forment un ensemble où la dualité des spécificités propres à chacune d’entre elles, offrent comme le blanc au noir, toute la profondeur de l’exposition. “ la photographie, comme le discours et les autres images, et selon ses moyens propres, fait être : elle fabrique le monde, le fait advenir ”28 Vues à voir sur un univers particulier qui est en partie le mien, mes photographies s’unissent dans leur discours et proposent une façon de voir et de construire le monde tout en laissant place à l’imaginaire du spectateur. Ce dernier peut ainsi en retirer des expériences de l’espace d’un paysage en partie suggéré et en partie personnel à tout un chacun. 28 Rouillé A. La photographie. Paris : édition Gallimard ; 2005, p. 86

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LES EXPLORATIONS CONNEXES

Parmi ces différents types de photographies d’espace-paysage, et parmi tout le travail photographique élaboré en nature ou en construction et traitement de l’image, la réalisation des photographies présentées pour l’exposition s’est vu liée à d’autres types de réalisations comme la vidéo, la performance, la vidéo-performance et la photo-lithogravure.

Bien que les structures se mouvaient et que les médiums différaient par moment entre peinture, sculpture et bien d’autres, il a toujours été question d’exploration photographique à travers les différents médiums utilisés. Et parce qu’il s’agissait de construire et de comprendre ma façon de créer, de capturer l’image et de disséquer une façon de voir strictement photographique, les expériences réalisées ont permis de comprendre ce qui se passait dans ma photographie. C’est pourquoi, alors que les noirs et la texture de la photo-lithogravure me semblait profond, la réalisation de Spleen, photo-litho, m’a permis de comprendre à quel point le noir n’est profond que par la présence du blanc papier. Cette réalisation a donc apporté des photographies qui répondent au besoin de profondeur du noir par la présence d’un blanc contrastant. Les nuages dont émane le noir se rapportent désormais, par exemple, à la blancheur d’un autre ciel photographié où à la lumière concentrée en un point de la photographie, tout en approfondissant les nuances de gris et en révélant les fines textures des volumes présent dans l’image.

Mais la photo-lithogravure n’a pas été la seule expérience à engendrer des réalisations de ce genre. En effectuant le montage de la structure en salle et en me retrouvant alors devant un volume « réel », je me suis également confronté à la question du point de vue du photographe comme future point de vue du spectateur. Cette position m’a poussé à la réflexion sur comment le spectateur atteint cet espace que je souhaite qu’il atteigne. De ce fait, en réalisant une performance où les temps et les couches de lecture de l’image s’entremêlent, j’ai pu comprendre l’importance de l’actualisation de l’espace via la présence. Ainsi que ce que représente la profondeur photographique de l’image.

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CONCLUSION

Depuis l’automne 2016, je n’ai jamais cessé de questionner la composition de mes photographies. Parfois d’apparence simples, parfois questionnables par leur orientation ou leur composition, elles ont établi une approche de l’œuvre non plus uniquement comme un objet à regarder afin de vivre une expérience, mais également comme un déplacement virtuel du spectateur dans l’œuvre. L’expérience est donc contenue à la fois dans l’objet et dans l’imaginaire et la façon de voir du spectateur. Cette constante réinvention du temps de notre regard29 et de notre position en tant que sujet percevant face à l’œuvre, a alors mené à une volonté de partager avec le spectateur, l’accès à un espace du paysage désormais accessible. 29 Didi-Huberman G. L’homme qui marchait dans la couleur. Paris : édition de Minuit, 2001, p. 28

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Annexe

Photographies de l’exposition à la Galerie des Arts Visuels

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