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Le sexisme bienveillant comme processus de maintien des inégalités sociales entre les genres

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Academic year: 2021

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Marie Sarlet1,2∗et Benoit Dardenne1 1

Université de Liège, Belgique 2

Fonds National de la Recherche Scientifique

RÉSUMÉ

L’idée que le sexisme puisse s’exprimer sous forme de bienveillance peut paraître surprenante. En effet, la représentation que nous avons habituellement d’une personne sexiste est celle d’un homme aux attitudes clairement hostiles à l’égard des femmes. Le but de cette revue de littérature est de mettre en évidence une forme plus subtile de sexisme, le sexisme bienveillant, qui renvoie à des attitudes sexistes subjectivement positives, teintées de galanterie et de condescendance. Plus précisément, ce travail insiste sur la nécessité de prendre en compte cette forme insidieuse de sexisme dans la compréhension des relations entre les genres et de la considérer comme un véritable processus de maintien des inégalités sociales entre les hommes et les femmes.

Benevolent sexism as a mean to maintain social inequalities between the genders

ABSTRACT

The idea that sexism could be expressed under the appearance of benevolence might be surprising. Indeed, the representation we usually have of a sexist person is of a man who exhibits hostile attitudes toward women. The aim of this article is to describe a more subtle form of sexism, namely, benevolent sexism. This refers to subjectively positive attitudes tainted with chivalry and condescendence. We want to highlight the need to take into account this insidious form of sexism in the understanding of gender relationships and to demonstrate that, despite its innocuous appearance, it is nevertheless a process that maintains social inequalities between men and women.

Depuis des siècles, les féministes mènent un véritable combat pour défendre et promouvoir leur vision des droits et intérêts des femmes même si cela est pourtant loin de faire l’unanimité. Christine de Pisan ∗Correspondance : Psychologie Sociale – Département de psychologie : Cognition et Comportement, Université de Liège, 5 Boulevard du Rectorat (B32), 4000 Liège, Belgique. E-mail : M.Sarlet@ulg.ac.be

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(XIV-XVesiècle), Mary de Gournay (XVI-XVIIesiècle), Olympe de Gouges (XVIIIesiècle), Jenny d’Héricourt (XIXesiècle), Simone de Beauvoir (XXesiècle), Elisabeth Badinter et Alice Schwarzer (XX-XXIesiècle) sont quelques-unes d’entre elles. Tout combat a une histoire et le féminisme a la sienne, histoire qui semble avoir abouti au déplacement des inégalités entre les genres vers des valeurs égalitaristes. En surface, le sexisme ne semble plus prévalent dans nos sociétés modernes. Les textes législatifs exigeant l’équité entre les genres se sont multipliés, la formule«à travail égal, salaire égal»est devenue une référence. L’idée de l’«égalité déjà là»selon laquelle les féministes seraient victorieuses de tous leurs combats est largement partagée (Delphy, 1998, 2001). Pourtant, la réalité est toute autre et l’égalité pourrait être plus un mythe qu’une vérité.

Nombreuses sont les données qui nous montrent en effet que les disparités entre les genres persistent. Prenons, par exemple, le rapport annuel de la Commission Européenne publié en 2009. Celui-ci témoigne de la persistance de la discrimination envers les femmes et ce dans tous les domaines de la vie : les femmes continuent à gagner en moyenne, pour chaque heure prestée, 17,4 % de moins que les hommes ; bien qu’elles constituent la majorité des étudiants et la majorité des titulaires de diplômes universitaires, leur taux d’emploi est pourtant encore inférieur à celui des hommes ; elles sont encore sous-représentées aux postes de décisions économiques et politiques ; elles sont désavantagées dans des répartitions inégales de responsabilités privées et familiales ; elles sont les principales victimes de violences sexuelles, etc. Malgré la croyance qu’il n’existe plus de discrimination envers les femmes, il demeure donc une inégalité réelle dans le quotidien. Comment expliquer ce paradoxe ?

Les changements politiques et légaux issus des mouvements sociaux tels que le féminisme décourageraient et rendraient moins acceptables les formes manifestes de sexisme (Forbes, Adams-Curtis, & White, 2004). Par contre, d’autres formes de discrimination, basées sur le genre, plus complexes dans leurs manifestations et conséquences, se seraient développées (McHugh & Frieze, 1997 ; Swim & Campbell, 2001). Le sexisme n’aurait pas disparu mais aurait été remplacé par des formes plus implicites de discrimination qui sont en accord, au moins superficiellement, avec le principe d’équité entre les genres véhiculé par nos sociétés (par exemple, Benokraitis & Feagin, 1995 ; Glick & Fiske, 1996). Ces formes implicites de sexisme persisteraient et passeraient à travers les mailles des filets législatifs et sociaux mis en place, elles rendraient possible la cohabitation du principe d’égalité avec un sexisme dont les conséquences délétères sont toujours bien présentes et observables. Dès lors, il est nécessaire de dépasser la conception unidimensionnelle du sexisme, le liant uniquement à de l’antipathie (cf. Allport, 1954), pour considérer

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d’autres formes de sexisme. Au travers de cette revue de littérature, nous considérerons cette suggestion en nous focalisant sur une forme originale de sexisme, le sexisme bienveillant. Cette conception, à la différence des autres théories de sexisme contemporain, est inédite car elle permet de prendre en compte l’aspect subjectivement positif des attitudes sexistes. Même si le concept de sexisme bienveillant est connu depuis une quinzaine d’années, c’est seulement récemment que les chercheurs ont découvert et identifié ses conséquences sur les femmes. La rédaction de la présente revue de littérature a été encouragée par l’observation du nombre croissant de ces recherches au cours des dernières années.

Ainsi, l’image de l’homme sexiste ne se limite plus au misogyne, exprimant du mépris et de l’hostilité envers les femmes mais renvoie également au prince charmant. Cette représentation de l’homme est fortement répandue et même valorisée au sein de nos sociétés. En effet, le secret du succès d’un roman, d’un film ou encore d’un dessin animé ne tient-il pas souvent à la présence d’un héros masculin, prince charmant, apportant aide et protection à une femme, belle et fragile ?

Les féministes poursuivent leur combat en critiquant cette vision stéréotypique des rapports entre les hommes et les femmes (par exemple, Haase, 2004). Les psychologues sociaux supportent le bien-fondé de ces critiques en démontrant que la croyance selon laquelle la femme aurait besoin de l’homme pour être protégée et chérie est présente et partagée dans de nombreuses cultures (Glick et al., 2000) et que cela est loin d’être sans conséquences pour elles (par ex. Dardenne, Dumont, & Bollier, 2007 ; Viki & Abrams, 2002).

L’objectif de cet article est de mettre en évidence cette forme insidieuse de sexisme. L’importance qu’elle revêt dans la compréhension des relations entre les genres et sa définition en tant que véritable processus de maintien des inégalités sociales entre les hommes et les femmes sont l’objet de cette revue de littérature.

DÉFINITIONS ET ORIGINES DU SEXISME HOSTILE

ET DU SEXISME BIENVEILLANT

Définition conceptuelle du sexisme hostile

et du sexisme bienveillant

Les attitudes envers les femmes ne seraient pas uniquement hostiles, elles pourraient aussi être positives et ceci même parfois plus que celles dirigées vers les hommes. Ce phénomène renvoie à l’effet Women are wonderful

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(Eagly & Mladinic, 1989, 1993). Depuis toujours, les femmes ne seraient pas uniquement cibles d’attitudes hostiles, elles seraient aussi vénérées. Les attitudes envers les femmes sembleraient donc être ambivalentes, composées d’un mélange d’attitudes opposées, à la fois positives et négatives. Ceci a conduit Glick et Fiske (1996) à proposer la théorie du sexisme ambivalent. Selon cette théorie, le sexisme ambivalent correspond à la coexistence de sexisme hostile et de sexisme bienveillant à l’égard des femmes.

Plus précisément, Glick et Fiske (1996) définissent le sexisme hostile comme une attitude explicitement négative envers les femmes qui sont considérées comme des manipulatrices aux idées féministes et agressives, usant de leur séduction pour mieux contrôler les hommes. Le harcèlement sexuel, l’humour et les remarques sexistes ou encore les violences physiques sont des exemples bien connus d’attitudes sexistes hostiles envers les femmes. Le sexisme hostile correspond donc au sexisme tel qu’on le conçoit traditionnellement.

Le sexisme bienveillant est défini par ces mêmes chercheurs comme une attitude subjectivement positive, qui décrit les femmes comme des créatures pures, qui doivent être protégées et adorées par les hommes, et dont l’amour est nécessaire à ces derniers pour qu’ils se sentent complets. Le sexisme bienveillant est une attitude sexiste plus implicite, teintée de chevalerie, qui a une apparence anodine et qui semble même différencier favorablement les femmes en les décrivant comme chaleureuses et sociables. Néanmoins, en suggérant l’idée que les femmes sont fragiles et qu’elles ont besoin de la protection des hommes, le sexisme bienveillant suggère également qu’elles sont inférieures et moins capables qu’eux. En apparence, le sexisme bienveillant est en accord avec les valeurs égalitaristes imposées par nos lois et ne tomberait pas dans le domaine d’application de ces dernières. Il est dès lors fort probable que le sexisme bienveillant reflète une réalité à laquelle les femmes sont confrontées régulièrement, voir quotidiennement. Ceci soutient la pertinence de prendre en compte le sexisme bienveillant dans la compréhension des relations entre les genres.

Il est important de distinguer le sexisme bienveillant d’autres concepts liés au sexisme. Une distinction assez générale est celle entre les termes de sexisme old-fashioned et de sexisme contemporain. Les formes old-fashioned de sexisme sont des conceptions stéréotypiques d’un groupe spécifique caractérisées par une discrimination explicite tandis que les formes contemporaines de sexisme sont habituellement exprimées d’une façon plus implicite (voir Campbell, Schellenberg, & Senn, 1997). Cela correspond tout à fait à la distinction entre le sexisme hostile et le sexisme bienveillant. Cependant, le sexisme bienveillant n’est pas la seule forme de

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sexisme contemporain. Les concepts de sexisme moderne (Swim, Aikin, Hall, & Hunter, 1995) et de néo-sexisme (Tougas, Brown, Beaton, & Joly, 1995) se rapportent également à une forme contemporaine du sexisme. Ces deux concepts sont très proches et sont sous-tendus par les mêmes croyances qui sont : le déni que la discrimination envers les femmes soit toujours un problème d’actualité, l’antagonisme envers les demandes des femmes qui sont perçues comme exagérées et le ressentiment envers les faveurs spéciales octroyées par la société aux femmes.

Le point commun entre le sexisme bienveillant et ces deux concepts de sexisme contemporain est qu’ils s’expriment tous les trois sous une apparence plus implicite que le sexisme old-fashioned, les rendant ainsi cohérents aux principes d’équité véhiculés par nos sociétés. Cependant, ils se différencient conceptuellement dans le sens où le sexisme bienveillant se cache sous une apparence de chevalerie qui semble favorable aux femmes tandis que le sexisme moderne et le néo-sexisme se camouflent sous une apparence égalitaire tout en niant la discrimination dont les femmes sont victimes.

ORIGINES DU SEXISME HOSTILE

ET DU SEXISME BIENVEILLANT

Selon Glick et Fiske (1996), l’ambivalence des attitudes envers les femmes découlerait de la coexistence entre deux types de pouvoir : le pouvoir structurel et le pouvoir dyadique. Le premier est celui à travers lequel les hommes dominent aux niveaux des institutions politiques, légales, économiques et religieuses (Goldberg, 1993 ; Guttentag & Secord, 1983 ; Harris, 1991). Ce type de pouvoir renforcerait les attitudes sexistes hostiles envers les femmes. Le second, le pouvoir dyadique, est originaire de la dépendance des hommes aux femmes (pour les besoins d’intimité et de reproduction) et encouragerait des formes bienveillantes de sexisme (par exemple, la vénération et la protection des femmes). Le sexisme bienveillant serait donc le résultat d’une caractéristique inhérente aux relations entre les hommes et les femmes, leur interdépendance, ce qui souligne la nécessité de considérer le sexisme bienveillant dans la compréhension des relations entre les genres.

La présence de ces deux types de pouvoir dans la plupart des sociétés humaines a conduit Glick & Fiske (1996) à suggérer que le sexisme hostile et le sexisme bienveillant prennent leurs racines dans des dimensions biologiques et sociales qui leur sont communes. Ainsi, ils envisagent trois

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aspects essentiels des relations entre les genres. Chacun de ces aspects présenterait une ambivalence avec un pôle dominateur (ou d’hostilité) découlant de la dominance des hommes sur les femmes et un pôle protecteur (ou de bienveillance) qui proviendrait de l’interdépendance entre les hommes et les femmes.

Le premier aspect des relations entre les genres proposé par Glick et Fiske (1996) est le paternalisme. Le paternalisme dominateur (pôle d’hostilité) permettrait de justifier le contrôle patriarcal en décrivant les femmes comme incompétentes pour exercer ce type de pouvoir, légitimant de la sorte la nécessité d’être dominées. Le paternalisme protecteur (pôle de bienveillance), quant à lui, décrit les hommes comme les sauveurs et protecteurs des femmes.

Glick & Fiske (1996) présentent un second aspect des relations entre les hommes et les femmes, la différenciation de genre, qui est l’attribution de traits et de rôles différents en fonction du genre. Cette différenciation décrit les femmes comme communal et les hommes comme agentic. Dans la littérature sur la formation d’impression, divers termes sont utilisés pour désigner cette dichotomie communal vs. agentic. Différents chercheurs (par ex. Fiske, Cuddy, Glick, & Xu, 2002 ; Fiske, Cuddy, & Glick, 2007 ; Judd, James-Hawkins, Yzerbyt, & Kashima, 2005 ; Yzerbyt, Kervyn, & Judd, 2008 ; Yzerbyt, Provost, & Corneille, 2005) utilisent les termes de sociabilité1et de compétence pour désigner ces deux dimensions. La dimension communal ou de sociabilité est une dimension stéréotypiquement féminine. Elle est liée aux traits tels que l’intérêt envers les autres, la gentillesse, la politesse, la sincérité, l’interdépendance, la chaleur, la sympathie, ou encore l’altruisme. La dimension agentic ou de compétence est, quant à elle, une dimension stéréotypiquement masculine. Elle est liée aux traits tels que l’intérêt vers l’accomplissement de soi, l’ambition, l’indépendance, la puissance, l’assertion, la compétence ou encore la performance (voir Bakan, 1966). Selon Glick & Fiske (1996), la différenciation compétitive de genre (pôle d’hostilité) permettrait de légitimer le patriarcat en décrivant les hommes comme les seuls à posséder les traits agentic nécessaires pour contrôler les différentes institutions. La différenciation complémentaire de genre qui est, quant à elle, le pôle de bienveillance, conduirait les hommes à idolâtrer les femmes perçues comme les seules à posséder des traits communal.

Enfin, l’hétérosexualité est le dernier aspect des relations entre les genres souligné par Glick et Fiske (1996). Celui-ci implique directement les relations romantiques que partagent les hommes et les femmes. Le

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pôle d’hostilité de cet aspect, l’hostilité hétérosexuelle, décrit les femmes comme des séductrices usant de leurs charmes et du sexe pour dominer et manipuler les hommes. L’intimité hétérosexuelle, pôle de bienveillance, est liée à la croyance selon laquelle les hommes ne pourraient être heureux dans la vie que s’ils entretiennent des relations romantiques et intimes avec les femmes.

La description de ces trois aspects essentiels des relations entre les hommes et les femmes rend compte du caractère ambivalent des attitudes sexistes. Les hommes conserveraient leur statut de dominant via le paternalisme, la différenciation de genre et l’hétérosexualité. Cependant, exercer leur domination uniquement en utilisant le versant hostile de ces trois aspects les mettrait en péril, les empêcherait de satisfaire certains de leurs besoins vitaux et voire même ceux de l’espèce (par exemple, la reproduction). La prise en compte des attitudes sexistes bienveillantes prend donc tout son sens car c’est par le biais de leur utilisation que les hommes pourraient exercer leur domination tout en préservant et même en profitant de la dépendance nécessaire qu’ils entretiennent avec les femmes.

DÉFINITION OPÉRATIONNELLE DU SEXISME HOSTILE

ET DU SEXISME BIENVEILLANT :

AMBIVALENT SEXISM INVENTORY

Les développements théoriques évoqués ci-avant ont conduit Glick et Fiske (1996) à créer une échelle permettant d’évaluer dans quelle mesure un individu endosse le sexisme hostile et le sexisme bienveillant, l’Ambivalent Sexism Inventory (ASI).

Des analyses statistiques confirmatoires ont validé à travers 19 nations (Glick et al., 2000) une structure de l’ASI comprenant, comme attendu par ses créateurs, deux sous-échelles, le sexisme hostile et le sexisme bienveillant, contenant chacune 11 items de type Likert. Conceptuellement, les créateurs de l’ASI s’attendaient à observer les sous-composantes de paternalisme, de différenciation de genre et d’hétérosexualité dans chacune des sous-échelles. Toutefois, les analyses révèlent la présence de celles-ci uniquement pour le sexisme bienveillant. Le sexisme hostile apparaît donc comme unidimensionnel. Selon Glick et Fiske (1996), cette unidimensionnalité du sexisme hostile ne remet pas en question ses fondements théoriques et s’expliquerait par les liens extrêmement étroits qu’entretiennent les trois sources d’hostilité. Il existe plusieurs validations

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de l’ASI en différentes langues dont une version française, l’Échelle de Sexisme Ambivalent (Dardenne, Delacollette, Grégoire, & Lecocq, 2006).

Si le sexisme bienveillant se distingue théoriquement des autres concepts de sexisme contemporain, cela est également vrai au niveau opérationnel (voir Tableau 1). En effet, différentes études ont démontré une absence de corrélation entre les scores obtenus à la sous-échelle de sexisme bienveillant de l’ASI et ceux obtenus aux échelles de sexisme moderne (Glick & Fiske, 1996, 1997) et de néo-sexisme (Dardenne et al., 2006)2. Cette absence de corrélation mérite toute notre attention car elle indique que la sous-échelle de sexisme bienveillant de l’ASI concerne un construct nouveau, ignoré par les échelles de sexisme contemporain déjà existantes. Ces études démontrent également que les scores à la sous-échelle de sexisme hostile de l’ASI sont corrélés positivement à ceux de l’échelle de sexisme moderne (Glick & Fiske, 1996, 1997) et également à ceux de l’échelle de néo-sexisme (Dardenne et al., 2006). Dès lors, même si les échelles de sexisme moderne et de néo-sexisme sont camouflées sous une apparence égalitaire, elles mesurent des attitudes plutôt hostiles à l’égard des femmes.

Tableau 1. Corrélations entre le Sexisme Bienveillant, le Sexisme

Hostile et le Néo-Sexisme (Dardenne et al., 2006).

Corrélations entre le Sexisme Bienveillant, le Sexisme Hostile et le Sexisme Moderne (Glick & Fiske, 1996). Corrélations entre le

Sexisme Bienveillant, le Sexisme Hostile, l’Orientation à la Dominance Sociale facteur Dominance et l’Orientation à la

Dominance Sociale facteur Égalité (Dardenne et al., 2006).

Néo-sexisme Sexisme moderne Orientation à la Dominance Sociale facteur Dominance Orientation à la Dominance Sociale facteur Égalité Sexisme Bienveillant 0,18 −0,06 0,75** 0,04 Sexisme Hostile 0,59** 0,60* 0,64** −0,00 Note : * p < 0,01 ; ** p < 0,001

2Afin d’estimer la relation«pure»entre le sexisme bienveillant, le sexisme hostile et les autres échelles de sexisme contemporain, Dardenne et al. ainsi que Glick & Fiske ont utilisé des corrélations partielles dans lesquelles le sexisme hostile et le sexisme bienveillant sont successivement contrôlés.

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De plus, l’ASI se différencie des autres échelles de sexisme contemporain en ce qu’il évalue les attitudes sexistes hostiles et bienveillantes envers les femmes au niveau des relations interpersonnelles, tandis que les autres évaluent ces attitudes au niveau sociétal. Dès lors, comme le soulignent Glick et Fiske (1996, 1997), il est intéressant de favoriser une utilisation complémentaire de ces échelles, l’une ne remplaçant pas l’autre.

L’originalité de l’ASI réside également dans sa capacité à déterminer dans quelle mesure les attitudes subjectivement positives sont simultané-ment accompagnées d’attitudes sexistes hostiles. Cela permet de rendre compte de la mesure dans laquelle un individu a des attitudes sexistes ambivalentes vis-à-vis des femmes, ce que les autres mesures de sexisme contemporain ne permettent pas. L’ambivalence des attitudes sexistes suggérée par Glick et Fiske (1996) est supportée par différentes données montrant que les scores aux deux sous-échelles de l’ASI vont de pair. En effet, Dardenne et ses collègues (2006) ont trouvé une corrélation positive de 0,39 entre la sous-échelle de sexisme bienveillant et la sous-échelle de sexisme hostile. Cette corrélation positive entre le sexisme bienveillant et le sexisme hostile est observée de façon répétée au travers des différentes études. Au premier abord, il peut sembler problématique et même contradictoire d’avoir simultanément des attitudes positives et négatives envers une même cible. Cette ambivalence serait en fait rendue possible grâce à la division des femmes en sous-groupes, division qui éviterait à l’individu ambivalent de vivre des états de confusion mentale (Glick & Fiske, 1996, 1999). Glick, Diebold, Bailey-Werner et Zhu (1997) ont amené un support empirique à cette proposition en montrant que le sexisme ambivalent chez les hommes prédit une plus forte polarisation des femmes en sous-groupes. Ils ont démontré que le sexisme bienveillant prédit une évaluation positive du sous-groupe des femmes«traditionnelles»(par ex. femmes au foyer) tandis que le sexisme hostile prédit une évaluation néga-tive du sous-groupe des femmes« non-traditionnelles» (par ex. femmes carriéristes) (voir aussi Fowers & Fowers, 2010 ; Sibley & Wilson, 2004).

Le sexisme bienveillant

comme processus de maintien

des inégalités sociales entre les genres

Les différents éléments conceptuels et opérationnels présentés ci-avant permettent de souligner l’intérêt qu’il y a à prendre en compte le sexisme bienveillant dans la compréhension des relations entre les genres. Toutefois, à la lumière de la théorie du sexisme ambivalent et de l’ASI, nous pourrions nous demander si le sexisme bienveillant constitue bel et bien

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un préjugé. Plus simplement, nous pourrions nous demander en quoi considérer les femmes comme des personnes particulièrement chaleureuses et dépendantes de la protection des hommes est problématique. Cette interrogation est l’objet de la suite de cette revue de littérature.

Quelques premiers éléments soutiennent cette conception du sexisme bienveillant comme préjugé au même titre que son homologue hostile ; par exemple, la corrélation positive observée entre les scores aux deux sous-échelles de l’ASI. Des corrélations avec d’autres échelles supportent également cette idée (voir Tableau 1). Les scores à la sous-échelle de sexisme bienveillant sont associés positivement à la sous-composante de dominance de l’échelle d’Orientation à la Dominance Sociale3tandis qu’ils ne sont pas liés à sa sous-échelle d’égalité (Dardenne et al., 2006). Cela montre déjà que le sexisme bienveillant est lié à des attitudes de dominance entre les différents groupes sociaux et non à des attitudes égalitaires. De plus, le sexisme bienveillant est associé positivement aux inégalités entre les genres à travers les nations, inégalités mesurées par le biais d’indices nationaux tels que des indices évaluant le statut détenu par les femmes (par exemple, leur représentation dans des positions de haut statut) ou des indices de développement (par exemple, la longévité, l’éducation ou encore le standard de vie) (Glick et al., 2000).

Un des rôles principaux des stéréotypes et préjugés est qu’ils permettent de justifier et de maintenir les inégalités sociales entre les différents groupes sociaux (Jost & Banaji, 1994 ; voir aussi Jost, Burgess, & Mosso, 2001 ; Jost & Hunyady, 2002). Voir une attitude comme étant un préjugé passe donc nécessairement par l’étude de son rôle dans le maintien et dans la justification du système social existant. Ainsi, dans la suite de cette revue de littérature, nous défendrons l’idée que le sexisme bienveillant est un processus de maintien des inégalités sociales entre les genres. Ceci implique que l’on s’interroge sur les mécanismes par lesquels il agit. Étant donné que le sexisme bienveillant et le sexisme hostile sont des idéologies fortement liées, définir les mécanismes de l’une implique nécessairement de prendre en compte l’autre. De ce fait, nous commencerons par définir les mécanismes par lesquels le sexisme bienveillant se concilie au sexisme hostile pour satisfaire un but commun qui est le maintien des femmes dans une position de subordination. Le sexisme bienveillant sera dès lors présenté comme un processus complémentaire de maintien des inégalités

3L’échelle d’Orientation à la Dominance Sociale mesure la tendance à préférer des relations hiérarchiques (non-égalitaires) entre les groupes sociaux (Pratto, Sidanius, Stallworth, & Malle, 1994; Sidanius & Pratto, 1999). Cette échelle révèle une structure bistructurelle, présentant un facteur de dominance et un autre d’égalité (voir Dardenne et al, 2006).

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sociales entre les genres. Ensuite, nous nous focaliserons davantage sur le sexisme bienveillant. Dans un premier temps, nous exposerons les mécanismes qui font de celui-ci un processus particulier de maintien des disparités entre les genres c’est-à-dire un processus qui se différencie du sexisme hostile. Ensuite, nous envisagerons spécifiquement par quels mécanismes cette inégalité est maintenue.

Le sexisme bienveillant

comme processus complémentaire de maintien

des inégalités sociales entre les genres

Le sexisme bienveillant maintient l’organisation sociale existante en s’alliant avec le sexisme hostile, comme en témoigne leur corrélation positive (par ex. Dardenne et al., 2006 ; Glick & Fiske, 1996, 1997). Cette alliance s’exprime sous différentes formes. D’abord, le sexisme bienveillant récompense et le sexisme hostile punit. Plus précisément, à travers une évaluation positive, le sexisme bienveillant récompense les femmes qui respectent les rôles traditionnels liés au genre tandis que le sexisme hostile, à travers une évaluation négative, punit celles qui ne respectent pas ces rôles (Fowers & Fowers, 2010 ; Glick et al., 1997 ; Glick & Fiske, 2001 ; Sibley & Wilson, 2004). En guise d’illustration, une étude a démontré que le sexisme bienveillant récompense (par exemple, par la gentillesse) les femmes enceintes lorsqu’elles ont un rôle de femmes traditionnelles (clientes de magasin) tandis que le sexisme hostile punit (par exemple, par la grossièreté) les femmes enceintes qui ont un rôle non traditionnel (candidates à un emploi) (Hebl, King, Glick, Singletary, & Kazama, 2007).

Ensuite, ce duo agit par la protection que l’un propose suite à l’agression de l’autre. Il s’agit de la fonction auto-protectrice du sexisme bienveillant face au sexisme hostile. Ainsi, lorsque l’on informe les femmes que les hommes ont des attitudes hostiles à leur égard, elles seront plus disposées à accepter le sexisme bienveillant par rapport aux femmes qui ne sont pas menacées (Fischer, 2006 ; voir aussi Phelan, Sanchez, & Broccoli, 2010). Selon Glick et ses collègues (2000), cette fonction auto-protectrice du sexisme bienveillant expliquerait la plus forte acceptation de celui-ci par les femmes dans les nations fortement sexistes.

Pour finir, ce duo œuvre par la légitimation du sexisme hostile permise par le sexisme bienveillant. Le sexisme bienveillant permettrait aux hommes sexistes, d’une part de légitimer leur hostilité en la dirigeant uniquement vers les femmes qui le « méritent » et, d’autre part, de se voir et de se faire percevoir comme des protecteurs et adorateurs des femmes plutôt

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que comme des dominateurs hostiles (Glick et al., 2000). Sibley, Overall et Duckitt (2007) ont démontré empiriquement que l’adhésion au sexisme bienveillant prédit une augmentation ultérieure de l’adhésion au sexisme hostile (6 et 12 mois après). Cet effet n’a été trouvé que parmi les femmes qui ont un score élevé en Right-Wing Authoritarianism (Altemeyer, 1981), une mesure reflétant la volonté d’établir et de maintenir la sécurité des groupes sociaux par le biais du contrôle social, de l’ordre social, de la cohésion et de la préservation des valeurs traditionnelles. Cependant, la relation inverse (c’est-à-dire, l’adhésion au sexisme hostile qui prédit l’adhésion ultérieure au sexisme bienveillant) n’a pas été démontrée. Selon Sibley et ses collègues (2007), cet effet causal pourrait s’expliquer par le fait que le sexisme bienveillant entraînerait une forte dissonance lorsque des femmes sont perçues comme allant à l’encontre des rôles traditionnels liés au genre. Cette dissonance induirait à son tour des attitudes hostiles envers ces femmes qui menacent le système social existant. Le sexisme bienveillant désarmerait donc les femmes, ou du moins certaines d’entre elles, face à l’hostilité et rendrait même cette dernière légitime.

En conclusion, le sexisme bienveillant forme avec le sexisme hostile un duo puissant dans le maintien de la structure sociale existante entre les genres, duo qui agit par le biais d’un système de récompenses et de punitions. Le sexisme bienveillant assume une fonction auto-protectrice face à l’hostilité des hommes : la menace de l’hostilité des hommes vis-à-vis des femmes conduirait ces dernières à rechercher la protection masculine et amènerait les hommes à vouloir les protéger. Ce duo constitue un véritable cercle vicieux qui permet d’exercer une menace en adoptant des attitudes hostiles, tout en apportant une solution à cette menace avec les attitudes bienveillantes. La recherche de protection masculine a un prix fort pour les femmes car elle légitime les attitudes hostiles dirigées vers elles et encourage même leur approbation.

Le sexisme bienveillant

comme processus particulier de maintien

des inégalités sociales entre les genres

Une première caractéristique qui fait du sexisme bienveillant un processus particulier de maintien des inégalités sociales entre les genres, c’est-à-dire un processus qui se différencie du sexisme hostile, est qu’il est davantage accepté par les femmes, et cela surtout dans les nations fortement sexistes (Glick et al., 2000). Des chercheurs ont par ailleurs démontré que des interdictions paternalistes protectrices étaient acceptées par les femmes endossant fortement le sexisme bienveillant lorsqu’elles émanaient d’un

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mari mais pas d’un collègue (Moya, Glick, Expósito, De Lemus, & Hart, 2007). Les femmes ont même tendance à rechercher activement (ou prescrire) des attitudes paternalistes protectrices chez les hommes en contexte romantique, ce qui n’est pas le cas pour les attitudes sexistes hostiles (Sarlet & Dardenne, 2012a).

Cette plus forte acceptation et même prescription du sexisme bien-veillant par rapport au sexisme hostile peut s’expliquer par différents facteurs. Tout d’abord, le sexisme bienveillant n’est, en général, pas identifié par les femmes comme un préjugé, contrairement au sexisme hostile. En effet, le sexisme bienveillant ne correspond pas à l’idée que nous avons communément du sexisme car sa source – l’individu sexiste – est évaluée de façon positive (aimable et sympathique), ce qui le rend moins identifiable en tant que sexisme comparé au sexisme hostile (par ex., Barreto & Ellemers, 2005 ; Kilianski & Rudman, 1998 ; voir aussi Good & Rudman, 2010). Des études constatent même que le sexisme bienveillant n’est pas du tout identifié comme du sexisme (par ex. Dardenne, Dumont, & Bollier, 2007 ; Dumont, Sarlet, & Dardenne, 2010). Par ailleurs, les femmes évaluent des profils d’hommes sexistes bienveillants comme plus sympathiques et plus attractifs sexuellement que ceux d’hommes non sexistes (Bonher, Ahlborn, & Steiner, 2010).

Malgré cela, il n’empêche que le sexisme bienveillant amène les femmes à percevoir le contexte dans lequel il est exprimé de façon aussi désagréable que celui où est exprimé du sexisme hostile, et tous les deux sont ressentis d’une façon plus désagréable qu’un contexte dans lequel sont exprimés des propos non-sexistes (Dardenne et al., 2007). Cela indique que même si les femmes n’identifient pas le sexisme bienveillant comme étant du sexisme, elles n’y sont néanmoins pas insensibles et ne vivent pas nécessairement mieux l’événement que dans le cas du sexisme hostile.

Les«avantages»directs que le sexisme bienveillant promet aux femmes (la protection et l’adoration, par exemple) expliqueraient également sa plus forte acceptation – prescription même – par rapport au sexisme hostile qui rime, quant à lui, avec punition. Ces « avantages »directs promis par le sexisme bienveillant ne seraient pas les seuls à favoriser son acceptation. En effet, d’autres types d’« avantages», plus complexes et moins directs, interviendraient. Par exemple, lorsque les hommes sont menacés, ils évaluent comme plus séduisantes les femmes qui endossent fortement le sexisme bienveillant que les femmes qui l’endossent faiblement (Lau, Kay, & Spencer, 2008). Un autre exemple est que, dans les nations relativement égalitaires, l’utilisation de justifications bienveillantes des inégalités entre les genres (idéaliser le rôle traditionnel de la femme) couplées à des justifications hostiles (nier les capacités des femmes à pouvoir assumer

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des positions perçues comme masculines) induit de plus hauts niveaux de satisfaction de vie chez les femmes comparée à l’utilisation exclusive de justifications hostiles (Napier, Thorisdottir, & Jost, 2010).

Ces résultats sont consistants avec l’analogie que fait Jackman (1994) entre l’idéologie basée sur la bienveillance et l’image d’« une main de fer dans un gant de velours » ou encore avec la théorie de justification du système social de Jost et Banaji (1994) qui suggèrent toutes deux que les discriminations subtiles et bienveillantes sont plus efficaces pour le maintien des inégalités sociales entre les groupes que l’hostilité. Cette bienveillance permettrait aux subordonnés de s’accommoder de leur bas statut (Eagly & Mladinic, 1989, 1993 ; Jackman, 1994 ; Rudman & Heppen, 2003), encourageant ainsi le maintien et la justification des disparités sociales entre les genres. Ainsi, Jost et Kay (2005) ont empiriquement démontré que les femmes (mais pas les hommes) qui ont été confrontées aux items de la sous-échelle de sexisme bienveillant supportent davantage les inégalités sociales et évaluent le système social comme plus juste.

Pour conclure, les particularités du sexisme bienveillant font de celui-ci un outil puissant de maintien et de justification des inégalités sociales entre les genres. Nous nous demandions si le sexisme bienveillant était véritablement un préjugé et ces nouvelles données confirment qu’il l’est effectivement. Elles montrent même que le sexisme bienveillant semble être un outil très efficace pour maintenir la structure sociale existante entre les hommes et les femmes. Quoi de plus redoutable qu’une idéologie acceptée et même activement recherchée par les subordonnés ?

MÉCANISMES DE MAINTIEN

DES INÉGALITÉS SOCIALES ENTRE LES GENRES

La littérature relative au modèle du contenu mixte des stéréotypes suggère une relation négative ou de compensation entre les dimensions de sociabilité et de compétence (Fiske et al., 2002). En d’autres mots, la tendance à percevoir un élément (individu, groupe social ou culture) comme fortement sociable amène également à le percevoir comme faiblement compétent et inversement (voir Judd, James-Hawkins, Yzerbyt, & Kashima, 2005 ; Yzerbyt, Kervyn, & Judd, 2008 ; Yzerbyt, Provost, & Corneille, 2005).

L’étude réalisée par Cuddy, Fiske et Glick (2004) illustre parfaitement cet effet de compensation entre les dimensions de sociabilité et de compétence. Ces chercheurs ont démontré que devenir parent pour une

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femme (activation du rôle traditionnel de la femme) a pour conséquences de diminuer sa compétence perçue et d’augmenter sa sociabilité perçue. Par contre, un homme qui devient parent est perçu comme plus sociable mais pas comme moins compétent. Cet effet de compensation ne constitue donc pas un avantage pour les femmes.

Bien que certains groupes soient perçus négativement sur ces deux dimensions et d’autres positivement, la plupart des stéréotypes sont mixtes, c’est-à-dire qu’ils sont composés de traits positifs sur une des deux dimensions et de traits négatifs sur l’autre. Le sexisme bienveillant est l’un de ces stéréotypes mixtes appelés«stéréotypes paternalistes», il est dirigé vers les femmes qui sont alors perçues comme fortement sociables mais comme peu compétentes (par ex., femmes au foyer) (Fiske et al., 2002 ; voir aussi Eckes, 2002). En accord avec cela, le sexisme bienveillant est présenté dans la suite de cette revue de littérature comme un processus de maintien des inégalités entre les genres qui agit d’une part en valorisant la définition des femmes en tant que personnes communal ou sociables et, d’autre part, en dévalorisant leur définition en tant que personnes agentic ou compétentes.

Cet effet de compensation entre les dimensions de sociabilité et de compétence ne concerne pas uniquement le jugement dirigé vers un exogroupe (par exemple, le jugement dirigé vers les femmes enceintes) mais peut également affecter le jugement du groupe auquel le percevant lui-même appartient (Kervyn, Yzerbyt, Judd, & Nunes, 2009). En accord avec cela, nous présentons le sexisme bienveillant comme un processus qui maintient et justifie la subordination des femmes en les amenant à se percevoir elles-mêmes comme sociables mais incompétentes. En outre, le sexisme bienveillant conduit les femmes à confirmer au niveau de leurs comportements objectifs ces croyances stéréotypiques, ce qui justifie à son tour la domination masculine et rend les différences entre les genres

«naturelles». Nous allons, à présent, voir plus en détail cette valorisation de la conception communal des femmes conjuguée à la dévalorisation de leur conception agentic qui est encouragée par le sexisme bienveillant.

Le sexisme bienveillant

comme processus de valorisation

de la conception communal des femmes

Le sexisme bienveillant renforce les inégalités sociales entre les hommes et les femmes en encourageant une conception traditionnelle, communal des femmes. La dimension communal comprend des traits liés à

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des comportements de déférence et de soumission qui permettent la coopération (Glick & Fiske, 2001 ; Rudman & Glick, 2001). Par conséquent, il est très bénéfique pour le maintien du système social existant que les femmes soient décrites et se comportent en accord avec ces traits communal. Le renforcement de la conception des femmes en tant que personnes communal constitue donc un moyen insidieux de maintenir les femmes dans une position de subordination.

Différentes données empiriques démontrent que le sexisme bienveillant valorise cette conception des femmes. Tout d’abord, le sexisme bien-veillant est associé positivement aux idéologies encourageant les rôles traditionnels de genre et à la préservation des valeurs traditionnelles. Plus particulièrement, le sexisme bienveillant est positivement lié à l’échelle de Right-Wing Authoritarianism d’Altemeyer (1981) (Sibley, Wilson, & Duckitt, 2007). Le sexisme bienveillant est aussi corrélé positivement à la religiosité (Burn & Busso, 2005 ; Glick, Lameiras, & Castro, 2002 ; Ta¸sdemir & Sakallı-U˘gurlu, 2010) qui est elle-même associée à une forte adhésion aux rôles conventionnels liés au genre (par ex. Sanchez & Hall, 1999). De plus, le sexisme bienveillant est lié à l’idéalisation d’une certaine féminité, celle qui va de pair avec les rôles traditionnels des femmes. Par exemple, le sexisme bienveillant est positivement lié à l’allaitement (Forbes, Adams-Curtis, Hamm, & White, 2003 ; voir aussi Acker, 2009) et aux idéaux et pratiques associés à la beauté occidentale tels que l’utilisation de cosmétiques ou la minceur (par ex. Forbes, Doroszerwicz, Card, & Adams-Curtis, 2004 ; Forbes, Jung, & Haas, 2006). En outre, le sexisme bienveillant est associé positivement à des attitudes restrictives vis-à-vis des comportements qu’il est nécessaire que les femmes adoptent lors de rendez-vous galants, comportements qui doivent être cohérents au rôle communal des femmes (par exemple, la femme ne doit pas embrasser l’homme en premier lors d’un rendez-vous) (Viki, Abrams, & Hutchison, 2003).

Le sexisme bienveillant encourage également une conception communal des femmes en légitimant les agressions dirigées vers celles qui ne respectent pas les rôles traditionnels de genre. En guise d’illustration, citons Viki et Abrams (2002) qui démontrent que les individus qui ont un score élevé de sexisme bienveillant blâment davantage une femme victime d’un viol lors d’un acte d’infidélité (violation des attentes normatives liées aux rôles traditionnels assignés aux femmes) qu’une femme victime dans des circonstances similaires mais dont aucune information relative à son statut marital n’est divulguée (voir aussi Abrams, Viki, Masser, & Bonher, 2003). La perception du niveau de sexisme bienveillant d’un mari qui commet un viol sur son épouse a également un impact sur le blâme de la victime : s’il est perçu comme un homme sexiste bienveillant, les sujets blâmeront

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davantage la victime du viol que si aucune information n’est donnée quant à son niveau de sexisme (Duràn, Moya, Megías, & Viki, 2010). Pour finir, une forte adhésion au sexisme bienveillant prédit une attitude négative à l’égard des jeunes femmes qui ont des rapports sexuels avant le mariage (Sakalli-U˘gurlu & Glick, 2003).

Les conséquences de la valorisation de la conception communal des femmes amenée par le sexisme bienveillant ne s’arrêtent pas là. Le sexisme bienveillant induit également les femmes à confirmer au niveau de leurs comportements objectifs la croyance stéréotypique selon laquelle elles sont particulièrement sociables. Plus précisément, les femmes qui adhèrent fortement au sexisme bienveillant, même si elles sont engagées dans des filières d’études stéréotypiquement masculines (ingénieur, mathématiques, etc.), ont tendance à s’orienter davantage vers des emplois décrits comme communal (emplois à temps partiel, à faible statut et à faibles responsabilités) que les femmes qui y adhèrent peu. Ce lien entre le sexisme bienveillant et l’orientation vers des emplois communal est médiatisé par la mesure dans laquelle les femmes se perçoivent elles-mêmes en termes de sociabilité (Sarlet & Dardenne, 2012b). Le sexisme bienveillant amène donc les femmes à se percevoir davantage en termes de sociabilité et cela a, à son tour, de lourdes conséquences sur leurs choix professionnels.

Pour conclure, le sexisme bienveillant encourage une valorisation de la conception des femmes en tant que personnes communal qui est, à son tour, renforcée par la confirmation comportementale des femmes et cela en dépit de leur aspiration de carrière professionnelle. La valorisation de la sociabilité des femmes permettrait à ces dernières de s’accommoder de leur bas statut sans se rebeller et même en se sentant valorisées au sein du système patriarcal (Eagly & Mladinic, 1989, 1993 ; Jackman, 1994 ; Jost & Kay, 2005 ; Rudman & Heppen, 2003). Cette dimension étant liée à des traits très utiles pour que les dominants puissent maintenir efficacement leur supériorité (par exemple, la politesse ou le respect) (Glick & Fiske, 2001 ; Rudman & Glick, 2001), sa valorisation constitue un processus subtil de maintien des inégalités entre les genres.

Le sexisme bienveillant

comme processus de dévalorisation

de la conception agentic des femmes

Parallèlement à une valorisation de la conception communal des femmes, le sexisme bienveillant participe à la stabilité du système social existant en dévalorisant la conception des femmes en tant que personnes agentic, compétentes. La dévalorisation de cette conception des femmes est un

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outil de maintien de la subordination des femmes car la compétence est un élément primordial à l’indépendance et à l’accomplissement socio-économique. Elle prédit des intentions comportementales positives envers l’engagement professionnel, la promotion et l’éducation (Cuddy et al., 2004). Les études qui ont investigué l’impact du sexisme bienveillant sur cette dimension de compétence se focalisent majoritairement sur le domaine professionnel car celui-ci est fortement lié à l’accomplissement de rôles agentic.

Un premier élément supportant la dévalorisation de la conception agentic des femmes par le sexisme bienveillant est son association négative avec des valeurs dirigées vers soi comme celles de liberté, de créativité, d’indépendance et de curiosité (Feather, 2004). Ensuite, les femmes qui associent implicitement (mais pas explicitement) le partenaire romantique idéal à la « chevalerie » (par exemple, au prince charmant) ont moins d’aspirations professionnelles que les femmes qui n’ont pas cette image (Rudman & Heppen, 2003). De plus, les femmes qui adhèrent fortement au sexisme bienveillant sont plus disposées à choisir des partenaires qui ont un potentiel économique élevé par rapport à celles qui adhèrent faiblement au sexisme bienveillant (Johannessen-Schmidt & Eagly, 2002). Ces différentes données démontrent que le sexisme bienveillant maintient les inégalités sociales entre les genres en constituant un frein à l’accomplissement des femmes dans le domaine professionnel et dans l’acquisition de compétences, ce qui constitue un obstacle à l’atteinte de rôles agentic.

Par ailleurs, les idéologies sexistes bienveillantes contribuent au maintien de la subordination des femmes en les amenant à confirmer, au niveau de leurs comportements objectifs, la croyance stéréotypique en leur moindre compétence. Vescio, Gervais, Snyder et Hoover (2005) sont les premiers à s’être intéressés aux conséquences objectives du paternalisme4 sur les performances à une tâche agentic (tâche de leader impliquant de fortes habiletés de planification et de compétition). Les résultats ont révélé que des comportements à la fois paternalistes (éloges) et inéquitables (assignation à une position dévalorisée) induisent chez les femmes, mais pas chez les hommes, une détérioration des performances à la tâche.

Dardenne et ses collègues (2007, voir aussi Dumont et al., 2010) se sont également intéressés à l’impact du sexisme bienveillant sur les performances cognitives des femmes lors de simulations d’entretiens 4Remarquons que le paternalisme tel que conceptualisé par Vescio et ses collègues (2005) est plus proche de la conception du sexisme ambivalent de Glick et Fiske (1996) qui présentent un sexisme à double valence, composé d’attitudes sexistes hostiles et bienveillantes, que du concept de sexisme bienveillant pris seul. En effet, Vescio et al. (2005) conçoivent le paternalisme comme un mélange d’injustices explicites que l’on peut lier au sexisme hostile et d’idéalisation sous forme d’éloges comme on le retrouve dans la conception du sexisme bienveillant.

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d’embauche dans lesquelles le sexisme était manipulé via les propos du recruteur. Contrairement à Vescio et al. (2005), Dardenne et al. (2007, Dumont et al., 2010) ont utilisé une description d’un emploi requérant des caractéristiques stéréotypiquement féminines (par exemple, la sensibilité envers les besoins des clients) rendant ainsi l’emploi pertinent par rapport aux habiletés perçues des femmes et évitant ainsi l’influence de la menace d’un contexte masculin sur leurs performances. Les résultats des études de Dardenne et al. (2007) ont révélé, de façon consistante, que les femmes confrontées au sexisme bienveillant avaient de moins bonnes performances cognitives à la tâche que celles confrontées au sexisme hostile ou aux propos neutres, ces deux dernières conditions ne se différenciant pas significativement.

Les idéologies sexistes bienveillantes amènent donc les femmes à confirmer au niveau de leurs comportements objectifs la croyance stéréotypique selon laquelle elles sont incompétentes dans la réussite de tâches de performances. Une question qui reste cependant en suspens est celle de la détermination des mécanismes par lesquels ce type d’idéologies provoque une diminution des performances des femmes. C’est exactement cela que Vescio et al. (2005) et Dardenne et al. (2007) ont tenté de mettre en évidence. Selon les premiers, les femmes penseraient ne pas avoir les ressources nécessaires pour faire face aux comportements paternalistes des hommes, ce qui expliquerait l’infériorité des performances des femmes par rapport à celles des hommes. Les femmes douteraient de leurs capacités à pouvoir contrecarrer l’assignation à une position dévalorisée, auraient moins de confiance en elles et une moindre perception de contrôle personnel sur la situation et sur cette tâche perçue comme agentic. Les seconds ont, quant à eux, démontré que le sexisme bienveillant amène à l’esprit des femmes des pensées intrusives liées aux doutes concernant leurs propres habiletés à pouvoir réussir la tâche et que ces pensées sont responsables de l’impact négatif du sexisme bienveillant sur les performances cognitives. À l’opposé, face à du sexisme hostile, les femmes ont moins d’intrusions mentales et leurs performances sont préservées.

L’activation du concept d’incompétence suite au sexisme bienveillant est confortée par d’autres données. Le sexisme bienveillant, par rapport au sexisme hostile ou à une condition neutre, amène à se remémorer plus souvent des souvenirs de situations dans lesquelles les femmes se sont senties personnellement incompétentes (Dumont et al., 2010). En outre, donner aux femmes un faux feedback positif sur leurs aptitudes à bien pouvoir réaliser une tâche de compétence leur permet de contrecarrer l’impact négatif du sexisme bienveillant sur une tâche de performance

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ultérieure. Ce feedback positif de compétence constituerait, pour ces femmes, une opportunité de contrer l’activation implicite du concept d’incompétence amenée par le sexisme bienveillant (Dumont & Dardenne, 2012). Enfin, le sexisme bienveillant n’amène pas seulement une activation accrue du concept d’incompétence chez la personne directement cible, il influence également la perception du niveau de compétence que l’on a d’une femme qui est elle-même cible de sexisme bienveillant. Plus précisément, les individus qui perçoivent un recruteur comme sexiste bienveillant perçoivent également les candidates confrontées à celui-ci comme moins compétentes pour le job à pourvoir (Good & Rudman, 2010).

Le rôle médiateur des pensées intrusives dans la chute des performances des femmes suite au sexisme bienveillant est en accord avec la littérature portant sur le phénomène de la menace du stéréotype (pour une revue de littérature voir Désert, Croizet, & Leyens, 2002 ; Shapiro & Neuberg, 2007). Ce mécanisme correspond à la crainte de se conformer aux stéréotypes qui existent à propos de son groupe d’appartenance, crainte qui induit à son tour la confirmation des stéréotypes existants (Steele & Aronson, 1995). Par exemple, les femmes soumises à la menace du stéréotype ont de plus faibles performances à un test de mathématiques que les femmes qui ne sont pas soumises à cette menace (Schmader & Johns, 2003). La détérioration des performances des femmes suite à la menace du stéréotype est plus importante lorsque celle-ci est subtile plutôt qu’explicite (voir Nguyen & Ryan, 2008). Nous pouvons tracer un parallèle avec les études montrant que le sexisme bienveillant diminue les performances cognitives des femmes, ce qui n’est pas le cas de sa contrepartie plus explicite, le sexisme hostile (Dardenne et al., 2007). Des recherches ont mis en évidence divers médiateurs des effets délétères de la menace du stéréotype sur les performances dont la présence de pensées intrusives liées aux doutes sur ses propres habiletés et aux stéréotypes négatifs (Cadinu, Mass, Rosabianca, & Kiesner, 2005 ; Croizet et al., 2004 ; Steele, Spencer, & Aronson, 2002). Ceci est tout à fait similaire au mécanisme par lequel le sexisme bienveillant agit pour diminuer les performances des femmes.

Cependant, les études portant sur l’impact du sexisme bienveillant sur les performances cognitives des femmes apportent une information supplé-mentaire par rapport aux études sur la menace du stéréotype. La menace du stéréotype se présente dans un contexte de menace comme son nom l’indique, c’est-à-dire dans un contexte qui est diagnostique des capacités ciblées par le stéréotype, par exemple, un test de mathématiques pour les femmes (voir Inzlicht & Ben-Zeev, 2000 ; Steele, Spencer, & Aronson, 2002). Tandis que les effets délétères du sexisme bienveillant sur les performances

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cognitives s’observent dans des contextes stéréotypiquement féminins. Face à du sexisme bienveillant, il ne serait dès lors pas nécessaire que les femmes se trouvent dans un contexte de menace pour que leurs performances cognitives soient diminuées.

Les différentes études jusqu’ici mentionnées présentent les impacts du sexisme bienveillant soit sur la dimension communal des femmes soit sur la dimension agentic. Globalement, ces différentes études démontrent que le sexisme bienveillant perpétue les stéréotypes de genre via un mécanisme de compensation c’est-à-dire via une valorisation de la conception communal des femmes et via une dévalorisation de leur conception agentic. Il serait cependant pertinent de démontrer que ces deux processus agissent de façon simultanée, en d’autres mots, démontrer ce double effet au sein de la même expérience. Une étude récente semble aller dans ce sens en démontrant que la confrontation au sexisme bienveillant, par rapport à la confrontation au sexisme hostile, augmente les auto-descriptions des femmes en termes de qualités relationnelles (mesure dans laquelle elles se perçoivent comme attentives et chaleureuses) et diminue, simultanément, la mesure dans laquelle elles s’auto-décrivent en termes liés à la tâche ainsi que leurs aspirations de leadership (Barreto, Ellemers, Piebinga, & Moya, 2010).

CONCLUSION

L’objectif principal de cette revue de littérature était de mettre en évidence une forme de sexisme qui, au premier abord, n’y ressemble pas. Divers arguments conceptuels et opérationnels ont soutenu la nécessité de prendre en considération cette forme de sexisme dans la compréhension des relations entre les genres. Sa définition en tant qu’idéologie insidieuse et d’apparence bénigne présente un sexisme qui résisterait aux évolutions législatives portant sur l’égalité entre les genres et, par conséquent, comme particulièrement intéressant à étudier étant donné qu’il est susceptible de s’exprimer plus souvent et plus librement que les formes manifestes de sexisme. Ensuite, le fait qu’il soit le produit d’une caractéristique inhérente aux relations entre les hommes et les femmes, à savoir leur interdépendance mutuelle, soutient la nécessité de le prendre en compte dans la compréhension des rapports entre les genres. La comparaison entre le sexisme bienveillant et les autres concepts de sexisme d’une part, et entre l’ASI et les autres échelles de sexisme contemporain d’autre part, a permis de définir le sexisme bienveillant comme une conception unique et l’ASI comme une échelle originale des attitudes envers les femmes.

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À la lumière de ces différents éléments, une question a été soulevée : le sexisme bienveillant, malgré son apparence subjectivement positive, constitue-t-il véritablement un préjugé ? Les relations que le sexisme bienveillant entretient avec le sexisme hostile, avec l’Orientation à la Dominance Sociale et avec les indices d’inégalités entre les genres à travers les nations ont été parmi les premiers éléments supportant l’idée que le sexisme bienveillant est un préjugé à part entière tout comme son homologue hostile.

La présentation du sexisme bienveillant comme processus de maintien des inégalités sociales entre les genres a renforcé cette idée. Le sexisme bienveillant a d’abord été considéré comme un processus qui se concilie au sexisme hostile en vue de l’atteinte d’un but commun qui est le maintien des inégalités sociales entre les genres. Le sexisme bienveillant et le sexisme hostile sont complémentaires, ils forment un duo efficace où le sexisme bienveillant récompense les femmes qui respectent les rôles traditionnels liés au genre et où le sexisme hostile punit celles qui ne respectent pas ces rôles.

Ensuite, le sexisme bienveillant a été défini comme un processus particulier de maintien de la structure sociale existante entre les genres, à savoir, comme un processus qui se différencie du sexisme hostile. La particularité du sexisme bienveillant vient de sa non-identification en tant que sexisme et de sa promesse d’« avantages » qui seraient donnés aux femmes dans un monde où elles sont habituellement défavorisées. Ces particularités font du sexisme bienveillant une idéologie mieux acceptée que le sexisme hostile et même, dans certains cas, recherchée activement par les femmes. Cela ferait du sexisme bienveillant un outil redoutable de maintien des inégalités sociales entre les genres.

Pour terminer, le sexisme bienveillant a été présenté comme agissant par un double mécanisme qui valorise la conception des femmes en tant que personnes communal et, en même temps, dévalorise leur conception en tant que personnes agentic. En d’autres mots, le sexisme bienveillant agit en renforçant l’idée que les femmes sont sociables mais incompétentes. Par ailleurs, le sexisme bienveillant amène les femmes à intérioriser cette croyance et cela est loin d’être sans conséquences pour elles. Le sexisme bienveillant conduit les femmes à confirmer, au niveau de leurs comportements objectifs, les attentes stéréotypiques quant à leur forte sociabilité et leur moindre compétence. L’intériorisation de ces croyances et la confirmation comportementale qui en résulte légitiment et justifient la domination masculine, renforçant ainsi les inégalités sociales entre les genres et les rendant mêmes«naturelles»et«objectives».

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Notre objectif était de mettre en avant une forme particulière de sexisme, le sexisme bienveillant. Il est cependant important d’insister sur le fait que le sexisme hostile est lui aussi un réel danger pour les femmes et constitue également une arme puissante de maintien des disparités entre les genres. Les conséquences néfastes du sexisme hostile ont été mises en avant par de nombreuses études. Celles-ci démontrent, par exemple, que les individus fortement sexistes hostiles ont tendance à évaluer de façon négative une candidate pour un emploi de manager (Masser & Abrams, 2004), à tolérer l’humour sexiste (par ex. Ford, Wentzel, & lorion, 2001) et à justifier les harcèlements sexuels et viols commis sur les femmes (par ex. Abrams, Viki, Masser, & Bohner, 2003 ; Glick, Sakallı-U˘gurlu, Ferreira, & Aguiar de Souza, 2002 ; Masser, Viki, & Power, 2006). Les graves conséquences qu’entraîne le sexisme hostile ne doivent pas être négligées. Cette problématique ne constituait pas l’intérêt principal de cet article, ce qui justifie qu’elle n’ait pas été développée plus amplement.

Si le sexisme bienveillant est l’objet d’un nombre croissant de recherches, il n’en reste pas moins que diverses facettes de ce phénomène sont encore à étudier. Une première perspective de recherche qui n’a pas encore fait l’objet d’investigations spécifiques est l’étude des conséquences du sexisme bienveillant sur le pôle émotionnel. Jusqu’ici, les études se sont majoritairement penchées sur les effets délétères du sexisme bienveillant sur les aspects cognitifs, négligeant de la sorte son impact sur le versant émotionnel et notamment sur la régulation émotionnelle. Plus particulièrement, il serait intéressant de déterminer les émotions engendrées par le sexisme bienveillant et les stratégies de régulation émotionnelle utilisées par les cibles de ce type de sexisme.

Une seconde perspective de recherche concerne la multitude des formes sous lesquelles la bienveillance discriminatoire peut s’exprimer. En effet, le sexisme bienveillant ne constitue qu’un type d’attitude bienveillante à l’égard d’un groupe de bas statut par ailleurs, celui qui semble le mieux étudié. Cependant, les préjugés bienveillants peuvent également être présents au sein d’autres types de relations intergroupes tels que les relations experts-novices, jeunes-vieux ou encore natifs-étrangers. Répliquer les effets délétères de cette bienveillance à d’autres relations intergroupes que celles impliquant le genre permettrait de voir si ces effets peuvent être généralisés.

Enfin, une dernière piste de recherche est celle de la détermination des moyens permettant de lutter contre les impacts négatifs du sexisme bienveillant. Agir sur la confiance qu’ont les femmes en leurs capacités à bien pouvoir réussir une tâche cognitive s’est révélé être un moyen fructueux de contrer les effets délétères du sexisme bienveillant (Dumont

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& Dardenne, 2012). Attribuer le malaise et les pensées intrusives induits par le sexisme bienveillant à une source externe, par exemple à l’individu sexiste ou à la mauvaise ambiance du contexte, pourrait également constituer un moyen permettant aux femmes d’éviter les effets négatifs du sexisme bienveillant. En agissant sur les processus par lesquels le sexisme bienveillant agit, il serait possible de contrer ses effets négatifs et, ainsi, d’aller plus loin vers une égalité véritable entre les genres.

Reçu le 24 juin 2010.

Révision acceptée le 17 juin 2011.

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Tableau 1. Corrélations entre le Sexisme Bienveillant, le Sexisme Hostile et le Néo-Sexisme (Dardenne et al., 2006).

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