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Analyse des pratiques d'écriture observées dans les conversations entre participants et journalistes en contexte de clavardage public

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Academic year: 2021

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(1)

JANELLE GIROUX

ANALYSE DES PRATIQUES D’ÉCRITURE OBSERVÉES DANS

LES CONVERSATIONS ENTRE PARTICIPANTS ET

JOURNALISTES EN CONTEXTE DE CLAVARDAGE PUBLIC

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en linguistique (langue et société)

pour l’obtention du grade de maître ès arts (M.A.)

DÉPARTEMENT DE LANGUES, LINGUISTIQUE ET TRADUCTION FACULTÉ DES LETTRES

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

2013

(2)

Résumé

La communication médiée par ordinateurs (CMO) a donné lieu à l’émergence de nouvelles formes d’écriture qui se caractérisent, entre autres, par des procédés abréviatifs (apocope, aphérèse, syncope, siglaison, etc.) ainsi que par des procédés expressifs (emploi de binettes, de majuscules, etc.). De tels procédés scripturaux ont été observés par les linguistes qui se sont intéressés au clavardage. À ce jour, l’étude des pratiques d’écriture des clavardeurs s’est limitée aux conversations se déroulant dans des salons de clavardage sur IRC (indicatif régional commutable). Dans le cadre du présent mémoire, nous avons voulu explorer le clavardage sous un autre angle afin de vérifier notre hypothèse de départ, à savoir, que le contexte dans lequel se déroule une séance de clavardage influence les pratiques d’écriture des clavardeurs.

Notre étude a été réalisée à partir d’un corpus de 255 320 mots constitué de conversations diffusées en direct sur le site web de grands médias québécois, soit Cyberpresse et le Réseau des sports (RDS). Ces conversations se sont déroulées à l’automne 2010 à l’occasion de matchs de hockey du Canadien de Montréal, et elles étaient animées (et modérées) par un journaliste sportif.

Notre étude visait deux objectifs. Premièrement, nous avons voulu déterminer si les pratiques d’écriture observables dans notre corpus correspondaient à celles qui ont été observées dans les salons de clavardage sur IRC. Deuxièmement, nous avons voulu déterminer si les journalistes qui animent des séances publiques de clavardage ont recours aux mêmes pratiques d’écriture que les personnes qui interagissent avec eux.

Les résultats de notre analyse tendent à confirmer notre hypothèse de départ. De plus, ils montrent clairement que les pratiques d’écriture des journalistes-clavardeurs se distinguent de celles des participants aux séances de clavardage.

(3)

Remerciements

Je tiens à remercier particulièrement la directrice de mon mémoire, Mme Aline Francoeur. Son soutien constant et sa patience m’ont été indispensables à la réalisation de ma recherche. Ses conseils précieux et son professionnalisme ont su guider et alimenter mes réflexions. Cela a été très agréable de travailler en collaboration avec elle sur ce projet.

Merci à ma famille et à mes amis qui, de diverses façons, ont su m’accompagner durant cette expérience.

Enfin, un merci tout spécial aux professeurs-examinateurs pour leurs commentaires et suggestions, le cas échéant.

(4)

Table des matières

Résumé ... ii

Remerciements ... iii

Table des matières ... iv

Liste des tableaux ... vii

Introduction ... 1

0.1 PROBLÉMATIQUE ... 1

0.2 HYPOTHÈSE ET OBJECTIFS ... 3

0.3 ORIGINALITÉ DE LA RECHERCHE ... 4

0.4 ORGANISATION DU MÉMOIRE ... 4

Chapitre 1 : Communication médiée par ordinateur et pratiques d’écriture ... 6

1.1 COMMUNICATION MÉDIÉE PAR ORDINATEUR (CMO) ... 6

1.2 MODES DE CMO ... 7 1.2.1 Le courrier électronique ... 7 1.2.2 Le forum de discussion ... 8 1.2.3 Le blogue ... 8 1.2.4 Le texto ... 9 1.2.5 La messagerie instantanée ... 10 1.2.6 Le clavardage ... 10

1.3 PRINCIPALES ÉTUDES CONSACRÉES À LA CMO ... 12

1.3.1 Études linguistiques sur la communication asynchrone ... 14

1.3.2 Études linguistiques sur la communication synchrone ... 20

1.3.3 Perceptions de la cyberlangue ... 24

Chapitre 2 : Clavardage et pratiques d’écriture ... 27

2.1 Procédés scripturaux identifiés par les chercheurs ... 27

2.2 Typologie établie par Tatossian (2008a, 2008b et 2010) ... 31

2.2.1 Procédés abréviatifs ... 31

(5)

2.2.1.2 L’aphérèse ... 32

2.2.1.3 La syncope ... 32

2.2.1.4 La siglaison et l’acronymie ... 32

2.2.1.5 Le logogramme ... 33

2.1.1.6 La réduction de graphèmes complexes ... 34

2.2.2 La substitution de graphèmes ... 34

2.2.3 La neutralisation en finale absolue ... 35

2.2.4 Procédés expressifs ... 36

2.2.4.1 La binette ... 36

2.2.4.2 Les caractères écho ... 37

2.2.4.3 La majuscule ... 37

2.2.4.4 L’onomatopée et l’interjection ... 38

Chapitre 3 : Méthodologie ... 39

3.1 ÉTABLISSEMENT DU CORPUS ... 39

3.1.1 Déroulement des séances de clavardage ... 41

3.1.2 Contenu détaillé du corpus ... 45

3.1.3 Autre caractéristique du corpus ... 52

3.3 LIMITES DE NOTRE ÉTUDE ... 52

Chapitre 4 : Résultats et discussion ... 55

4.1 Procédés abréviatifs ... 55 4.1.1 Apocopes ... 55 4.1.2 Aphérèses ... 58 4.1.3 Syncopes ... 59 4.1.4 Sigles et acronymes ... 62 4.1.5 Logogrammes ... 64

4.1.6 Réduction de graphèmes complexes ... 65

4.2 Substitutions de graphèmes ... 67 4.3 Neutralisations en finale ... 69 4.4 Procédés expressifs ... 70 4.4.1 Binettes ... 71 4.4.2 Étirements graphiques ... 72 4.4.3 Majuscules ... 73

(6)

4.4.4 Onomatopées ... 74

4.5 COMBINAISONS DE PROCÉDÉS ... 75

4.6 DISCUSSION ... 77

4.6.1 Fréquence et variations de formes ... 77

4.6.2 Commentaires métalinguistiques ... 80

4.6.2 Entre oral et écrit ... 81

4.6.3 Comparaison participants et journalistes ... 83

Conclusion ... 86

Bibliographie ... 88

Annexe I : Lexique des formes observées dans le corpus ... 96

Annexe II : Extraits d’une séance de clavardage diffusée sur Cyberpresse (11 novembre 2010) ... 108

Annexe III : Extraits d’une séance de clavardage diffusée sur RDS (11 novembre 2010) ... 114

(7)

Liste des tableaux

Tableau 1. Modes de CMO selon la temporalité et le nombre de destinataires ... 11

Tableau 2. Étude de Maurais (2003) : nombre de fautes par catégorie ... 18

Tableau 3. Exemples d’apocopes ... 31

Tableau 4. Exemples d’aphérèses ... 32

Tableau 5. Exemples de syncopes ... 32

Tableau 6. Exemples de sigles ... 33

Tableau 7. Exemples d’acronymes ... 33

Tableau 8. Exemples de logogrammes ... 33

Tableau 9. Exemples de réductions de graphèmes complexes ... 34

Tableau 10. Exemples de substitutions de graphèmes ... 35

Tableau 11. Exemples de neutralisations en finale ... 35

Tableau 12. Exemples de binettes ... 37

Tableau 13. Exemples de caractères échos ... 37

Tableau 14. Exemples illustrant l’emploi de majuscules ... 37

Tableau 15. Exemples d’onomatopées ... 38

Tableau 16. Nombre de participants et de journalistes ... 46

à chacune des séances et nombre total d’interventions ... 46

Tableau 17. Interventions par participant et journaliste ... 47

(16 novembre 2010; Cyberpresse) ... 47

Tableau 18. Interventions par participant et journaliste ... 50

(16 novembre 2010; RDS) ... 50

Tableau 19. Apocopes employées par les participants ... 56

Tableau 20. Apocopes employées par les journalistes ... 58

Tableau 21. Aphérèses employées par les participants ... 59

Tableau 22. Syncopes employées par les participants ... 61

(8)

Tableau 24. Sigles employés par les participants ... 63

Tableau 25. Sigles employés par les journalistes ... 64

Tableau 26. Logogrammes employés par les participants ... 65

Tableau 27. Logogrammes employés par les journalistes ... 65

Tableau 28. Réductions de graphèmes complexes par les participants ... 66

Tableau 29. Substitutions de graphèmes par les participants... 68

Tableau 30. Neutralisations en finale par les participants ... 70

Tableau 31. Binettes employées par les participants ... 71

Tableau 32. Binettes employées par les journalistes ... 72

Tableau 33. Étirements graphiques employés par les participants ... 72

Tableau 34. Étirements graphiques employés par les journalistes ... 73

Tableau 35. Emploi de majuscules par les participants ... 73

Tableau 36. Emploi de majuscules par les journalistes... 74

Tableau 37. Onomatopées employées par les participants ... 74

Tableau 38. Onomatopées employées par les journalistes ... 75

Tableau 39. Combinaisons des procédés (participants) ... 75

Tableau 40. Combinaisons des procédés (journalistes) ... 77

Tableau 41. Fréquence des procédés selon les catégories ... 78

(participants et journalistes) ... 78

Tableau 42. Fréquences de formes non standards et de formes standards (participants et journalistes) ... 79

Tableau 43. Formes orales observées (participants et journalistes) ... 82

Tableau 44. Anglicismes répertoriés (participants et journalistes) ... 82

Tableau 45. Usage des procédés par les participants ... 83

Tableau 46. Usage des procédés par les journalistes ... 84

Tableau 47. Nombre de participants et de journalistes ... 84

à chacune des séances et nombre total d’interventions ... 84

(9)

Introduction

0.1 PROBLÉMATIQUE

« Réseau mondial associant des ressources de télécommunication et des ordinateurs serveur et clients, destiné à l'échange de messages électroniques, d'informations multimédias et de fichiers » (Commission générale de terminologie et de néologie, 1999), Internet fait partie intégrante de la vie personnelle et professionnelle. Chaque jour, une masse de courriels est envoyée, tandis que des milliers, voire des millions d’internautes se joignent à des forums de discussion ou participent à des séances de clavardage. Internet est à l’origine de pratiques sociales et communicationnelles qui semblent en constante évolution et qui touchent un nombre de personnes sans cesse grandissant.

Selon Statistiques Canada (2010), 93 % de la population canadienne utilisait le courrier électronique en 2009, et environ 38 % participait à des forums (ou groupes) de discussion ou utilisait un système de messagerie instantanée1 en 2005. L’utilisation de la messagerie instantanée a augmenté au fil des années : en 2009, 45 % des gens en faisaient usage (Statistiques Canada, 2010). De toute évidence, la communication assistée par ordinateur est devenue un incontournable.

La communication assistée par ordinateur, aussi appelée communication médiée par ordinateur et communication médiatisée par ordinateur, d’où l’abréviation CMO qui sera utilisée dans la suite du texte2, englobe toute forme de communication par ordinateurs interposés. Elle se réalise notamment par le courrier électronique, le forum de discussion, le blogue, la messagerie texto et le clavardage, et donne lieu à des conditions de production et de réception qui modifient les pratiques d’écriture.

1 Les termes forum de discussion et messagerie instantanée seront définis au point 1.1.2.

2 Nous préférons utiliser l’abréviation CMO plutôt que CAO (pour communication assistée par

ordinateur), car, comme le précise l’Office québécois de la langue française (2002), « le sigle CAO est habituellement associé à la notion de “conception assistée par ordinateur” ».

(10)

Comme l’observent Cédrick Fairon, Jean-René Klein et Sébastien Paumier (2007, p. 173), « l’essor des technologies de l’information a conduit à l’émergence de nouvelles formes de communication écrite […], qui sont autant de sources de nouveaux codes et de nouvelles façons d’écrire ». Jeannine Gerbault (2007, p. 1), abonde dans le même sens; « les changements induits par ces “nouvelles technologies” ont transformé le paysage pour tous les acteurs de la communication », écrit-elle notamment. Sur Internet, remarque pour sa part Aurélia Dejond (2006, p. 11), « la règle de base est la vitesse : il faut écrire rapidement, dire vite, aller à l’essentiel, droit au but. Cela implique des fautes de frappe, des inversions de lettres involontaires, mais également des choix : absence quasi totale de ponctuation […] et des accents […] ». Ainsi, la CMO « donne lieu à des changements linguistiques [...] qui ne peuvent pas nous échapper » (Gerbault, 2007, p. 1).

Effectivement, les changements linguistiques survenus dans la foulée de la CMO n’ont pas manqué d’attirer l’attention des linguistes et des spécialistes de la communication. Il faut dire qu’ils soulèvent de nombreuses questions. En quoi le discours interactif écrit (interactive written discourse; Ferrara, 1991) se distingue-t-il de l’écrit traditionnel? Les pratiques d’écriture qui découlent de la CMO sont-elles normalisées? Sont-elles principalement utilisées par les jeunes? Sont-elles susceptibles de se répandre dans l’usage général?

Certaines de ces questions ont trouvé réponse, mais d’autres subsistent, notamment en ce qui concerne le clavardage. C’est pourquoi nous avons choisi de nous pencher sur cette forme particulière de CMO. A priori, le clavardage, qui s’appuie sur le principe d’une « conversation écrite en direct » (Latzko-Toth, 2010, p. 71), pose un défi à ses adeptes. Ces derniers doivent en effet écrire ce qui, traditionnellement, ne s’écrit pas (du moins, pas dans un contexte de communication personnelle)3 : la langue orale. C’est ainsi qu’est apparue « une curieuse écriture issue de la parole » (Loret, 2004, p. 1), qui permet en quelque sorte de préserver le rythme d’une communication en face à face.

3 Évidemment, nous sommes consciente que les romans, pièces de théâtre et autres écrits littéraires

(11)

Cette « curieuse écriture » a été décrite et caractérisée de bien des façons, comme nous le verrons dans le présent mémoire. Elle a aussi fait l’objet d’un certain nombre d’études qui ont permis, entre autres, de répertorier les procédés scripturaux employés par les adeptes du clavardage. Cependant, le clavardage n’a pas encore révélé tous ses secrets, d’où l’intérêt de notre recherche.

0.2 HYPOTHÈSE ET OBJECTIFS

L’hypothèse de base qui est à l’origine de notre recherche est que le contexte dans lequel se déroule une séance de clavardage influence les pratiques d’écriture des clavardeurs.

Comme nous l’avons précisé plus haut, certains chercheurs, dont Jacques Anis (1998, 1999b et 2003) et Anaïs Tatossian (2008a, 2008b et 2010), ont analysé des écrits produits par des clavardeurs, ce qui leur a notamment permis de typologiser les procédés scripturaux observés. Toutefois, les corpus qu’ils ont analysés provenaient d’un seul type d’espace de clavardage, à savoir, les salons ou canaux IRC4. Comme l’explique Serge Proulx (2006, p. 20-21), « les participants d’un salon de clavardage ont la possibilité de s’adresser des messages privés (invisibles pour les autres), voire de créer leur propre salon ». De plus, leurs interlocuteurs ne sont pas nécessairement humains; sur IRC, les clavardeurs peuvent aussi interagir avec des robots.

On peut dès lors se demander si les procédés scripturaux répertoriés par les chercheurs qui se sont intéressés à la question s’observent dans d’autres types d’espaces de clavardage. Dans le cadre de notre recherche, nous avons choisi d’étudier les productions écrites de clavardeurs diffusées sur le site web de deux médias québécois à l’occasion d’événements sportifs. Ce qui est particulier à ce type de séances de clavardage est le fait qu’elles sont animées par un journaliste. Ainsi, les

4 L’abréviation IRC correspond à Internet Relay Chat. Comme l’explique Guillaume Latzko-Toth (2010,

p. 73), il s’agit d’un système de clavardage créé en 1988 et conçu comme un « espace d’interactions sociales », ce qui « suppose l’existence d’un lieu partagé relativement persistant ― évoqué par diverses métaphores : salon, canal, forum ― au sein duquel les usagers se rassemblent ». Comme l’explique le chercheur, les interactions ainsi créées « sont souvent stimulées par l’horizon de la rencontre en face à face » (Latzko-Toth, 2010, p. 74).

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participants interagissent avec un journaliste ― qui est à la fois animateur et modérateur ― pendant que se déroule l’événement sportif en question.

Nous avons constitué un corpus de 255 320 mots provenant de séances publiques de clavardage qui se sont déroulées à l’automne 2010 pendant les matchs de hockey du Canadien de Montréal. Ces séances, animées par des journalistes sportifs, ont été diffusées sur les sites web de Cyberpresse et du Réseau des sports (RDS).

C’est avec deux objectifs principaux en tête que nous avons procédé à l’analyse de ce corpus :

 déterminer si les pratiques d’écriture observables dans notre corpus correspondent à celles qu’ont observées d’autres chercheurs dans d’autres situations de clavardage;

 déterminer si les journalistes qui animent des séances publiques de clavardage ont recours aux mêmes pratiques d’écriture que les personnes qui interagissent avec eux.

0.3 ORIGINALITÉ DE LA RECHERCHE

Notre étude offre une perspective nouvelle sur les pratiques d’écriture des clavardeurs, puisqu’elle vise à explorer un contexte de clavardage relativement nouveau qui, à ce jour, n’a fait l’objet d’aucune recherche. De plus, elle se veut une incursion du côté des pratiques de clavardage des journalistes, ce qui la rend d’autant plus originale, puisqu’il semble s’agir d’une pratique journalistique qui n’a pas encore été étudiée.

0.4 ORGANISATION DU MÉMOIRE

Le présent mémoire est divisé en quatre chapitres. Le premier chapitre vise à décrire le contexte général dans lequel s’inscrit notre recherche. Ainsi, nous y définirons d’abord les types de CMO, ce qui permettra d’isoler les caractéristiques linguistiques qui s’observent en situation de CMO. Nous y présenterons également les travaux des

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principaux chercheurs qui se sont intéressés aux modes de communication synchrone et asynchrone. Le deuxième chapitre a pour objectif de présenter en détail les procédés d’écriture qui ont été décrits sur la base de l’analyse de conversations de clavardeurs sur des canaux de type IRC. Le troisième chapitre vise à décrire la méthodologie que nous avons adoptée pour réaliser notre recherche et, en particulier, le corpus qui a été analysé. Les résultats de cette analyse seront ensuite présentés dans le quatrième chapitre.

(14)

Chapitre 1 : Communication médiée par ordinateur et

pratiques d’écriture

Comme nous l’avons précisé dans l’introduction, notre étude porte sur le clavardage, qui fait partie des modes de communication médiée par ordinateur, ou CMO. Il nous a paru important de commencer le présent chapitre par une description de ces modes de communication, ce qui permettra de bien cerner les particularités du clavardage. Nous présenterons ensuite les premières études consacrées à la communication assistée par ordinateur, avant d’en arriver aux études portant spécifiquement sur la communication en temps réel.

1.1 COMMUNICATION MÉDIÉE PAR ORDINATEUR

La CMO peut être catégorisée en fonction de deux paramètres : la temporalité et le destinataire (Baron, 2008). La temporalité fait référence à la relation entre la communication et le temps : la communication se déroule-t-elle en temps réel, c’est-à-dire en mode synchrone, ou en temps différé, c’est-à-c’est-à-dire en mode asynchrone? Le destinataire fait pour sa part référence au nombre de personnes auxquelles s’adresse la communication : s’adresse-t-elle à une seule personne ou à plusieurs personnes?

A priori, ces deux paramètres semblent révéler des oppositions claires entre des modes de communication bien distincts. Cependant, ces modes de communication sont en constante évolution, et diverses combinaisons de paramètres sont possibles. Par exemple, le courrier électronique est en principe un dispositif de communication asynchrone, et le contenu du message envoyé s’adresse à un destinataire unique. L’expéditeur du message peut cependant l’envoyer à plusieurs personnes simultanément, en copie conforme ou en copie invisible. À son tour, le destinataire du message peut faire suivre celui-ci à d’autres personnes, et ainsi de suite. Dans un tel cas, le message ne s’adresse plus à un seul destinataire. Dans d’autres cas, le message transmis par courrier électronique devient pratiquement une communication synchrone. Dans le milieu professionnel, où le courriel occupe une place très

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importante en matière de communication interne, le destinataire peut régler son logiciel de courrier électronique pour être avisé instantanément de la réception d’un nouveau message. Ainsi, le courrier électronique tend à se rapprocher de la messagerie instantanée.

Il existe d’autres dispositifs de CMO, par exemple, Facebook et MySpace. Ceci dit, nous nous limiterons, dans les pages qui suivent, à la présentation de ceux qui s’apparentent le plus au clavardage ou qui ont fait l’objet des études dont il sera question plus loin5.

1.2 MODES DE CMO

Pour décrire les modes de CMO, nous nous sommes inspirée principalement des termes et définitions présentés dans Le grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Il est important de garder à l’esprit que les formes de communication décrites sont en constante évolution. Ainsi, les définitions et explications qui suivent ne prétendent pas couvrir toutes les possibilités offertes dans la pratique actuelle. Cependant, elles permettent d’atteindre notre objectif, qui est de distinguer le clavardage d’autres modes de communication qui s’y apparentent.

1.2.1 Le courrier électronique

Le courrier électronique, communément appelé courriel au Québec, est un « service de correspondance qui permet l'échange de messages électroniques à travers un réseau informatique » (Office québécois de la langue française, 2009a).

Comme nous l’avons mentionné plus haut, en 2009, 93 % de la population canadienne utilisait le courriel à domicile (Statistiques Canada, 2010). Le fonctionnement du courriel est semblable à celui du courrier papier, dans la mesure où les messages sont stockés dans une boîte à lettres électronique. Le délai de transmission est bref, et la réception du message dépend du rythme de consultation du destinataire. Il s’agit

5

Pour une chronologie de l’apparition des modes de communication assistée par ordinateur ainsi qu’une description approfondie des caractéristiques qui leur sont propres ou qui les distinguent, on peut consulter les travaux de Naomi Baron (2008) et ceux de Lauren Squires (2010).

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généralement d’une correspondance privée, d’une personne à une autre. Cependant, le courriel peut aussi servir à des fins de publipostage, par exemple, pour transmettre des messages promotionnels envoyés simultanément à un grand nombre de destinataires. Dans le milieu professionnel, il tend aussi à remplacer des formes de communication papier telles que la note de service; il est alors utilisé pour des envois de groupe.

1.2.2 Le forum de discussion

Un forum de discussion, aussi appelé forum et groupe de discussion, est un « service offert par un serveur d'information ou un babillard électronique dans un réseau comme Internet et qui permet à un groupe de personnes d'échanger leurs opinions, leurs idées sur un sujet particulier, en direct ou en différé, selon des formules variées (liste de diffusion, canal IRC, etc.) » (Office québécois de la langue française, 2001).

Il s’agit d’un réseau de discussion, un lieu d’échanges qui permet à des millions de personnes de s’exprimer sur une variété de sujets. Les forums sont publics ou privés, et la discussion se déroule généralement entre plus de deux personnes à partir d’Internet (Office québécois de la langue française, 2001). Certains forums sont modérés, c’est-à-dire que les messages sont filtrés par un modérateur avant d’être affichés à la vue de tous (Office québécois de la langue française, 2001). Le modérateur est une « personne qui veille à ce que les messages circulant dans un groupe de discussion en respectent l'esprit » (Office québécois de la langue française, 1998). Ainsi, le modérateur peut choisir de ne pas afficher certains messages qu’il jugerait offensants ou hors sujet.

1.2.3 Le blogue

Le blogue, ou carnet Web,6 est défini comme suit par l’OQLF :

Site Web personnel tenu par un ou plusieurs blogueurs7 qui s’expriment librement et selon une certaine périodicité, sous la forme de billets ou d’articles, informatifs ou intimistes, datés, à la manière

6 D’autres termes français sont utilisés pour désigner le blogue, notamment cybercarnet, weblogue,

journal Web, webjournal, ainsi que les emprunts à l’anglais blog et weblog.

7

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d’un journal de bord, signés et classés par ordre antéchronologique8, parfois enrichis d’hyperliens, d’images ou de sons, et pouvant faire l’objet de commentaires laissés par les lecteurs. (Office québécois de la langue française, 2009b)

1.2.4 Le texto

Le texto, ou message texte, est un « langage alphanumérique utilisé pour rédiger rapidement de courts messages à partir des claviers et des écrans des terminaux mobiles, qui comporte un grand nombre d'abréviations, d'équivalents phonétiques et de rébus qu'on invente afin de pallier le manque d'espace causé par le nombre limité de caractères permis » (Office québécois de la langue française, 2010a). Certains auteurs utilisent les termes message SMS et SMS9 pour désigner le texte.

L’envoi de textos est très en vogue : « pratique, ludique et discret » (David et Goncalves, 2007, p. 2), le texto permet d’échanger des messages entre téléphones cellulaires et ainsi « d’exprimer le maximum en un minimum » (David et Goncalves, 2007, p. 3). Dans un envoi, le nombre de caractères d’un message est limité par l’opérateur téléphonique (David et Goncalves, 2007). Il s’agit généralement d’une communication privée entre des personnes « qui se connaissent préalablement et possèdent un certain niveau d’intimité » (David et Goncalves, 2007, p. 2). Toutefois, l’envoi de textos se manifeste aussi dans des contextes moins intimes comme le milieu professionnel. Par exemple, des journalistes utilisent Twitter10 à partir de leur téléphone cellulaire pour diffuser rapidement certaines nouvelles. Le délai de transmission d’un texto est bref, et, comme dans le cas du courriel, la réception du texto dépend de l’accessibilité et de la disponibilité du destinataire. Selon Jacques David et Harmony Goncalves (2007, p. 2), « 80 % des moins de 45 ans jugent que l’envoi de ces messages courts est la fonction la plus utile de leur téléphone ». Ces

8 C’est-à-dire, du plus récent au plus ancien.

9 SMS correspond à l’abréviation anglaise de short message service.

10 Twitter est une plateforme de microblogues (Office québécois de la langue française, 2010b). Un

microblogue est un « [b]logue qui permet de communiquer en temps réel au moyen de messages courts, de 140 à 200 caractères maximum, par l'intermédiaire du Web, de la messagerie instantanée, ou à partir d'un téléphone mobile, par messagerie texte ou par courriel, afin de partager de l'information ou son activité au quotidien avec ses proches ou une communauté d'internautes, privée ou publique. » (Office québécois de la langue française, 2009d).

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données laissent croire que la population adulte utilise assez souvent le texto et, de ce fait, non seulement les pratiques linguistiques des jeunes peuvent faire l’objet d’études, mais celles des adultes également.

1.2.5 La messagerie instantanée

La messagerie instantanée est un « service de messagerie en temps réel, offrant la possibilité aux utilisateurs de consulter la liste des correspondants avec lesquels ils sont simultanément en ligne, pour communiquer immédiatement avec eux. » (Office québécois de la langue française, 2003).

La messagerie instantanée permet l’envoi de messages privés d’une personne à une autre. Il est également possible de constituer un réseau d’amis avec lesquels on communique : ainsi, il est possible de visualiser qui, parmi la liste d’amis, est en ligne, selon le symbole du statut (disponible, occupé, parti, etc.). Ce mode de communication s’effectue à partir d’un ordinateur ou d’un téléphone cellulaire portatif.

1.2.6 Le clavardage

Le clavardage est une « activité permettant à un internaute d’avoir une conversation écrite, interactive et en temps réel avec d’autres internautes, par clavier interposé » (Office québécois de la langue française, 2009c).

La conversation en question prend la forme d’échanges brefs qui se déroulent successivement à l’écran d’un ordinateur. Les auteurs des messages se désignent soit par leur nom réel soit par un pseudonyme. Le clavardage sous-entend, en principe, une communication collective dans un espace public. Toutefois, comme le souligne Jacques Anis (2003, n. p.), il est « rare de trouver une conversation générale ». En effet, les messages s’adressent généralement à une personne en particulier parmi l’ensemble des participants.

Si les messages sont lus par tous, ils sont le plus souvent destinés à un participant en particulier; on a affaire plutôt à la coexistence de conversations simultanées qu’à une véritable conversation collective, laquelle est rendue impossible par le nombre élevé de participants […]. (Anis, 2003 : n. p.)

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Le tableau 1 ci-dessous offre un résumé des modes de CMO qui viennent d’être présentés. Ceux-ci sont classés selon les paramètres de la temporalité et du destinataire proposés par Baron (2008).

Tableau 1. Modes de CMO selon la temporalité et le nombre de destinataires

Synchrone Asynchrone

Un destinataire messagerie instantanée courriel, texto

Plusieurs destinataires clavardage blogue, forum de discussion Ainsi, le clavardage est un mode de communication synchrone (en temps réel) qui implique plusieurs destinataires. Sur le plan temporel, il se distingue du courriel, du texto, du blogue et du forum de discussion, lesquels sont des modes de communication asynchrone (en temps différé). Par ailleurs, comme le clavardage, la messagerie instantanée permet la communication synchrone, mais elle constitue une communication privée, généralement entre deux personnes ― quoique certaines fonctions permettent désormais d’inviter plus d’un interlocuteur à participer à une conversation.

En principe, tous les modes de communication décrits plus haut s’actualisent à partir d’un ordinateur, sauf le texto. Sur le plan de l’écrit, les possibilités d’enrichissement typographiques (variations de couleurs et de polices de caractères, insertion de binettes11 ou d’animations, etc.) sont d’ailleurs plus nombreuses et variées lorsque la communication s’effectue à partir d’un clavier d’ordinateur. Le clavier d’un téléphone cellulaire portatif ne permet pas, par exemple, de tenir une touche pour obtenir une répétition de caractères; pour ce faire, il faut frapper la touche plusieurs fois. « Les usagers expérimentés peuvent néanmoins acquérir des automatismes facilitant la saisie; il existe aussi une option de saisie intuitive permettant de ne frapper qu’une partie du mot. » (Anis, 2003, n. p.).

11 La binette correspond à un « [d]essin réalisé avec des caractères ASCII et qui, vu de côté, suggère la

forme d'un visage dont l'expression traduit l'état d'esprit de l'internaute expéditeur » (Office québécois de la langue française, 2005).

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Les possibilités élargies qu’offre le clavier d’ordinateur constituent une des distinctions les plus connues entre le clavardage et le texto, ou, en fait, entre les modes de communication qui s’actualisent à partir d’un ordinateur et ceux qui s’actualisent à partir d’un téléphone cellulaire portatif12.

1.3 PRINCIPALES ÉTUDES CONSACRÉES À LA CMO

Étant donné que de plus en plus de personnes utilisent l’ordinateur pour communiquer, la communication médiée par ordinateur (CMO) est devenue un champ de recherche relativement important. C’est au début des années 1980 que les travaux dans ce domaine ont commencé, et ce sont des sociologues, des psychologues et des chercheurs du champ des sciences humaines qui les ont menés.

La première étude connue est celle de Jane Siegel et al. (1983) sur les effets psychosociologiques de la CMO et de l’évolution de la technologie. Dans le cadre de cette étude, les stratégies communicationnelles utilisées en contexte de CMO ont été comparées à celles qui s’observent lors de communications en face à face. L’objectif était d’observer les incidences potentielles de la CMO sur le processus de prise de décision en groupe, lors de réunions, par exemple. Selon les résultats obtenus, la CMO aurait des effets sur l’efficacité de la communication, la participation, le comportement interpersonnel et le processus de prise de décision. Ainsi, dans le cadre des expériences réalisées par Siegel et al. (1983), les personnes qui ont utilisé la CMO ont mis plus de temps à atteindre un consensus que celles qui ont communiqué en face à face. Siegel et ses collaborateurs estiment que la difficulté pourrait être due au manque de leadership qui semble s’observer en contexte de CMO. L’étude de Siegel et al. a servi de prototype à d’autres études semblables13 consacrées aux stratégies communicationnelles et aux questions sociologiques relatives à la CMO.

12 Étant donné que les téléphones cellulaires portatifs et les téléphones intelligents offrent maintenant

l’accès à Internet, les modes qui s’actualisaient traditionnellement à partir d’un ordinateur peuvent désormais s’actualiser par d’autres voies.

13

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Les premiers travaux consacrés à la CMO se sont principalement inscrits dans une perspective déterministe (Baron, 1984)14, selon laquelle les technologies de l’information et de la communication ont des conséquences inévitables, inhérentes à la technologie, sur les pratiques sociales. De nos jours, les chercheurs reconnaissent encore cette incidence, mais ils reconnaissent surtout l’importance des influences sociales sur l’utilisation des technologies de l’information et de la communication et sur les nouvelles pratiques sociales (Herring, 1998).

En linguistique, la CMO est un domaine qui semble susciter un intérêt croissant. Ainsi, les pratiques d’écriture des internautes ont fait l’objet de bon nombre d’études (Luzzati, 1991; Werry, 1996; Anis 1999 et 2003; Pierozak, 2000; Paolillo, 2001; Thurlow, 2003; Baron, 2008; Giroux, 2008; Tagliamonte et Denis, 2008; Tatossian, 2008a, 2008b, 2010; Tatossian et Dagenais, 2008). Dans les sections qui suivent, nous présenterons celles qui nous ont semblé les plus pertinentes dans le contexte de notre recherche, en les divisant selon qu’elles portent sur la communication en temps différé ou la communication en temps réel.

Ces études mettent en lumière le fait que, dans certains types de communications, les internautes produisent des écrits qui présentent des caractéristiques relevant à la fois de l’écrit et de l’oral. Selon Jacques Anis (1999, p. 64), dans le cas du clavardage, « l’illusion de synchronicité, l’exigence de la rapidité, la pauvreté de la forme textuelle “brute” (absence d’attributs de style : gras, italique, etc.) font que l’on a recours à des types de fonctionnement typiques d’une situation de communication orale ».

Noami Baron (2008), au terme d’une étude sur la « langue » des internautes, en est arrivée aux conclusions suivantes :

It resembled speech in that it was largely unedited; it contained many first- and second-person pronouns; it commonly used present tense and contractions; it was generally informal; and CMC [computer mediated communication] language could be rude or even obscene. At the same time, CMC looked like writing in that the medium was

14 Pour une vue d’ensemble de l’approche déterministe des technologies de l’information et de la

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durable, and participants commonly used a wide range of vocabulary choices and complex syntax. (Baron, 2008, p. 48)

De son côté, David Crystal (2001) décrit ainsi la langue typique en usage sur Internet, qu’il nomme Netspeak :

Netspeak has far more properties linking it to writing than to speech. […] Netspeak is better seen as written language which has been pulled some way in the direction of speech than as spoken language which has been written down. (Crystal, 2006, p. 47)

Précisons que le terme employé pour décrire les pratiques d’écriture des internautes varie selon les auteurs. Parmi les termes rencontrés, mentionnons : parlécrit (Jeay, 1991 et Dejond 2006), interactive written discourse (Werry, 1996), cyberlangue (Dejond 2002), dialogue écrit (Simard, 2005), cyberlangage (Dejond 2006) et Netspeak (Crystal, 2006).

1.3.1 Études linguistiques sur la communication asynchrone

Les premières études sur la communication en temps différé, ou communication asynchrone, ont porté sur le Minitel15, lequel permettait d’échanger des textes similaires aux textos qu’on connaît de nos jours. Daniel Luzzati (1991) s’est penché sur l’oralité des textes produits à l’aide du Minitel. Il s’est demandé « pourquoi et comment un tel corpus, manifestement écrit, produit un “effet d’oral” un peu comme s’il s’agissait d’une transcription » (Luzzati, 1991, p. 99). Son corpus d’étude était constitué de 321 questions posées au secrétaire d’État auprès du ministre français des Affaires sociales et de l’Emploi de l’époque, Jean Arthuis. Luzzatti explique que son analyse s’est fondée en partie sur les conditions d’énonciation, mais surtout sur un système de fonctions interactives : « dans l’interaction, la parole sert à transmettre (fonction informative), à communiquer (fonction communicative) et à exister (fonction existentielle). » Dans le cas du Minitel, écrit Luzzatti (1991, p. 108), le système de communication se fondait principalement sur la « dimension interactive

15 Minitel est une marque déposée qui désigne un « terminal grand public et professionnel permettant

de dialoguer, grâce à son modem intégré, avec les serveurs vidéotex à travers le service public Télétel » (Office québécois de la langue française, 2000).

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de l’oral spontané qui, lorsqu’elle est présente, donne un effet d’oral à des productions qui relèvent de l’écrit ». D’après Luzzati (1991, p. 108), les textes du Minitel donnaient l’impression de relever d’une conversation orale en raison de la fonction interactive des messages :

Cela revient […] à considérer que l’opposition oral/écrit concerne davantage l’utilisation du langage que son fonctionnement propre, que c’est surtout une question de pragmatique : lorsqu’un écrit est utilisé de façon aussi interactive que l’oral, il produit une impression tout à fait similaire.

De son côté, Isabelle Pierozak (2000) s’est penchée sur les pratiques discursives des internautes en général. À partir d’un corpus tiré d’un forum de discussion et d’autres conversations électroniques16, la chercheuse a recensé les « variantes » (et non les « fautes »), ce qui comprend notamment des phonogrammes17, des idéogrammes et des mutogrammes, des omissions (gro pour gros) et des substitutions (guetto pour ghetto) (Pierozak, 2000, p. 117). La chercheuse considère qu’il y a lieu de reconnaître comme nouvelles certaines pratiques linguistiques observées en contexte de CMO, mais que celles-ci ne le sont pas toutes au même degré ou au même titre. Ses conclusions se résument ainsi : « d’une part, il est important de pouvoir aller vite au moment de la rédaction de l’énoncé et d’autre part, il faut pouvoir identifier et s’identifier dans et par le discours produit. » (Pierozak, 2000, p. 128). En d’autres termes, les variations sont des « tendances (non exclusives) à l’économie et à l’expressivité », et les internautes peuvent y recourir pour répondre aux nouveaux besoins que suscite la CMO (Pierozak, 2000, p. 128). « En ce sens, les pratiques discursives sur internet donneraient à voir (à grande échelle) un écrit distinct de l’écrit standard » (Pierozak, 2000, p. 128), par lequel chercheraient à s’identifier les clavardeurs, entre autres.

16 Terme utilisé par Pierozak (2000, p. 111) : « Les conversations électroniques […] existent en dehors

des groupes de discussions et du web, même si certains sites peuvent parfois en proposer en rapport avec leurs propres thématiques. En d’autres termes, l’accès à ces conversations se fait encore, le plus souvent, en utilisant un logiciel spécifique (à l’inverse des groupes de discussion, accessibles, comme le web, par le biais d’un logiciel navigateur). »

17 Terme utilisé par Pierozak (2000, p. 117) pour désigner, par exemple, « le graphème auxiliaire u dans

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Par ailleurs, l’étude la plus importante réalisée à ce jour sur les textos est celle de Cédrick Fairon, Jean-René Klein et Sébastien Paumier (2007), qui porte sur 75 000 textos obtenus dans le cadre du projet Faites don de vos SMS à la science. Les chercheurs ont établi une typologie des procédés d’écriture utilisés dans les textos, laquelle comprend les procédés suivants : phonétisation des caractères (lettres et chiffres), rébus, orthographe phonétique, phénomènes graphiques, icônes et symboles divers, phénomènes lexicaux, morphosyntaxe, syntaxe, discours, variété des formes. À partir de leur corpus, les chercheurs ont tenté de répondre à trois questions :

 Le langage SMS constitue-t-il un nouveau langage?

 Le langage SMS abrège-t-il systématiquement les formes?  Existe-t-il UN langage SMS?

Pour ce qui est de la première question, ils ont conclu que « le langage SMS donne l’illusion de la nouveauté dans la mesure où il parvient souvent à concentrer de façon spectaculaire une série de procédés déjà anciens dans la langue », comme les abrégements, les abréviations, les sigles et les acronymes (Fairon, Klein et Paumier, 2007, p. 49). Selon eux, il n’y a « pas à proprement parler de lexique SMS »18 (p. 52), d’où la réponse à la deuxième question. La communication par textos s’approprie surtout le langage familier, mais tous les autres registres peuvent y être représentés : l’orthographe standard ne fait pas exception. Les résultats montrent en fait que les divers procédés énumérés plus haut ont été utilisés à dose réduite, et que le but des messages n’était pas de poser un défi au lecteur. Pour ce qui est de la troisième question, les chercheurs soutiennent que l’idée même de l’existence d’une norme, d’un langage propre à la communication par textos, « semble en contradiction totale avec la liberté et la nature essentiellement mouvante de ce langage » (Fairon, Klein et Paumier, 2007, p. 57). C’est la raison pour laquelle ils considèrent leur étude comme « une photographie de pratiques en vigueur à un moment donné (fin de l’année 2004),

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à travers un large corpus » et non comme une description de procédés d’écriture constituant une norme en soi (Fairon, Klein et Paumier, 2007, p. 57).

Parmi les autres linguistes ou sociolinguistes qui se sont intéressés aux textos, mentionnons Crispin Thurlow (2003). Ce dernier a analysé un corpus de 544 textos rédigés par 159 adolescents et a présenté les caractéristiques communes à ceux-ci. Ces caractéristiques se résument en trois points : la brièveté et la vitesse; la restitution paralinguistique; l’approximation phonologique. Les conclusions de Thurlow se rapprochent de celles de Luzzati (1991) mentionnées plus haut. Selon Thurlow, en effet, même si les textos des jeunes se caractérisent par l’économie de lettres et de mots, l’approximation phonologique et la créativité, la structure des messages correspond généralement aux normes de l’écriture standard et ne présentent pas, en ce sens, de particularités qui risquent de bouleverser les pratiques d’écriture établies.

Parmi les études consacrées au courriel, on peut mentionner celles de Susan Herring (1998) et de Jacques Maurais (2003). Ces deux chercheurs ont adopté une approche sociolinguistique pour expliquer les changements linguistiques observés, lesquels peuvent varier en fonction de divers facteurs. Selon Herring (1998, p. 6), la CMO, « surtout celle qui passe par le réseau global qu’est Internet, constitue un terrain fertile pour le changement linguistique ». Au cours de sa recherche qui portait principalement sur le style employé dans les courriels, la chercheuse a tenté de valider les quatre hypothèses suivantes, tirées de commentaires publiés dans le magazine Wired et des propos de la linguiste Naomi Baron :

1. L’habitude des CPO [communications par ordinateur] a tendance à réduire la complexité syntaxique, tendance qui favorise le recours à des phrases courtes et directes ou à des fragments de phrases.

2. L’habitude des CPO pendant un certain temps a tendance à réduire le caractère soigné du message, tendance qui favorise un style désinvolte et une augmentation des fautes d’orthographe.

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3. La CPO entraîne avec le temps une réduction de la politesse, une tendance à adopter un style brutal et même à pratiquer l’invective. 4. La CPO qui s’étend sur une période assez longue conduit à une

variabilité réduite et favorise une certaine homogénéité stylistique (Herring, 1998, p. 6).

Herring a construit son corpus à partir de messages provenant d’un forum de discussion sur Arpanet (le réseau informatique qui a précédé Internet). D’après ses observations, les hypothèses 1 et 3, relatives à la complexité syntaxique et à la politesse, ne sont pas appuyées, alors que l’hypothèse 4 l’est. Pour ce qui est de l’hypothèse 3, le style soigné devient de moins en moins d’usage, tandis que le style familier tend à se répandre. Néanmoins, le nombre de fautes a tendance à diminuer; il importe de noter que les résultats ne sont pas significatifs pour ce qui est de la partie de l’hypothèse 2 relative aux fautes. Herring (1998) s’intéresse à l’importance des influences sociales, et, contrairement à la vision déterministe adoptée par David Crystal (2006) et Naomi Baron (2008), elle considère que l’ordinateur,

en tant que médium, peut améliorer ou accélérer ce changement qui coïncide avec la revendication d’un déterminisme technologique, mais une approche sociolinguistique est aussi nécessaire lorsqu’il s’agit d’expliquer pourquoi le changement observable varie avec les utilisateurs, les groupes, les objectifs et les situations. (Herring, 1998, p. 13)

Maurais (2003) adopte également une approche sociolinguistique dans le cadre d’une recherche s’inscrivant dans le mandat du Conseil de la langue française et dont l’objectif était d’étudier la qualité de la langue en usage dans le courriel à partir d’un corpus de plus de 2000 pages (4000 courriels au total) rédigés par des Québécois âgés de 9 à 74 ans. Ces courriels constituaient en fait des commentaires adressés à l’animateur de l’émission de télévision Ciel! Mon Pinard. Le tableau 2 présente les résultats de cette étude, selon les catégories les plus importantes.

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Comme on peut le voir, la catégorie qui comporte le plus de fautes est celle de la ponctuation, laquelle représente environ 36 % du nombre total de fautes. Les catégories des fautes d’orthographe grammaticale et d’orthographe lexicale, ensemble, sont aussi importantes (environ 35 %). Pour ce qui est des coquilles, elles sont « dix fois moins nombreuses que les fautes d’orthographe, ce qui tend à démontrer que les auteurs de ces courriels n’ont pas été si négligents » (Maurais, 2003, p. 2). Au terme de son analyse, Maurais (2003, p. 2) déclare que, contrairement à l’opinion générale selon laquelle les gens ne s’appliquent pas lorsqu’ils rédigent un courriel, les auteurs des courriels qu’il a étudiés ont « un style très clair la plupart du temps ».

L’ensemble des études mentionnées dans la présente section avaient un objectif commun : décrire les pratiques et les variations qui se manifestent en situation de communication asynchrone, en particulier, dans les textos et les courriels. D’autres travaux ont été menés sur la communication asynchrone, mais, comme nous l’avons indiqué plus haut, nous avons choisi de nous limiter à ceux dont les conclusions

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étaient les plus pertinentes par rapport à notre étude.19 Nous avons fait de même pour ce qui est des études sur la communication synchrone.20

1.3.2 Études linguistiques sur la communication synchrone

C’est à la fin des années 1990 et durant les années 2000 que le courant de recherche sur les modes de communication en temps réel, ou communication synchrone, s’est développé en linguistique, avec, entre autres, les travaux de Christopher Werry (1996), Jacques Anis (1998; 1999 et 2003),21 Isabelle Pierozak (2000), John Paolillo (2001), Naomi Baron (2008), Anaïs Tatossian (2008a; 2008b et 2010), Sali Tagliamonte et Derek Denis (2008), ainsi que Lauren Squires (2010).22

Dans le cadre de son projet, Christopher Werry (1996) s’est penché sur des écrits produits en contexte de clavardage géré par le système Internet Relay Chat, ou IRC. À partir de corpus français et anglais, Werry propose une description en fonction des quatre paramètres suivants relatifs à l’oral : « addressivity, abbreviation, prosody and gesture » (Werry, 1996, p. 48). Selon Werry, ces paramètres constituent des contraintes propres au mode de communication dont il est question et montrent les façons dont les utilisateurs trouvent des stratégies pour s’adapter. Werry (1996, p. 48) explique à ce sujet : « the convention that are emerging are a direct reflection of the physical constraints on the medium combined with a desire to create language that is as “speech-like” as possible. » Les stratégies observées incluent notamment des moyens de traduire l’intonation ou une émotion, comme l’usage de majuscules pour la

19 Des études sur la communication asynchrone ont été consacrées à d’autres langues que l’anglais ou le

français, notamment celle de Lars Hinrichs (2004) sur les conventions orthographiques des courriels rédigés en créole jamaïcain. D’autres études ont porté sur l’apprentissage d’une langue seconde, comme celle de Climent Salvador et al. (2005) sur les phénomènes linguistiques observés dans des courriels rédigés en catalan.

20 Pour une chronologie détaillée des travaux menés sur la CMO, on peut consulter l’étude de Lauren

Squires (2010).

21 Les travaux d’Anis et de Tatossian seront abordés à la section 1.4.

22 D’autres travaux ont été réalisés sur la communication synchrone dans des langues autres que le

français et l’anglais. On peut penser à ceux de Joaquim Llisterri (2002) sur le clavardage en espagnol, d’Asta Zelenkauskaite et Susan Herring (2006) sur le clavardage en lituanien et en serbo-croate ainsi que de David Palfreyman et Muhamed Al Khalil (2003) sur la messagerie instantanée en arabe. Nous nous sommes concentrée ici sur les études relatives au français ou à l’anglais, mais il serait intéressant de consulter ces références pour plus d’information ou pour faire des études comparatives.

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mise en valeur, de binettes pour représenter des expressions du visage, de néographies,23 etc.

John Paolillo (2001) s’est également penché sur un corpus d’IRC, mais dans le but d’étudier la variation linguistique. Son hypothèse était qu’il existe des variantes dites standard, et d’autres qui sont plutôt vernaculaires, et que les pratiques des clavardeurs varient selon la relation qui existe entre eux : « the standard vernacular variants are associated with weak social network ties, while vernaclar variants are associated with strong network ties » (Paolillo, 2001, p. 180). Le chercheur a étudié des variantes linguistiques telles que r, u et z pour are, you et s, de même que les occurrences de jurons et l’alternance de codes. Après avoir observé les variantes en fonction des interactions entre clavardeurs, le chercheur a conclu que les occurrences de jurons et l’alternance de codes s’observaient davantage chez les clavardeurs qui se connaissaient bien, et que leur distribution était comparable à celle de variantes vernaculaires. Pour ce qui est des variantes r et u, contrairement à l’hypothèse formulée, leur distribution était comparable à celle de variantes standard. Selon Paolillo, l’usage des variantes r et u serait à ce point répandu que celles-ci devraient être considérées comme standard en IRC. Quant à la variante z, le chercheur a estimé que d’autres recherches étaient nécessaires pour expliquer sa distribution. Les conclusions de Paolillo (2001) ont permis de montrer la pertinence de la prise en considération du réseau social dans l’analyse sociolinguistique de la CMO.

Les pratiques observées en situation de clavardage ou de messagerie instantanée sont, selon Naomi Baron (2008), très similaires à celles qui s’observent en situation de communication asynchrone. Baron a examiné un corpus de messages envoyés par messagerie instantanée par un groupe d’étudiants universitaires et leurs amis. Elle y a relevé des abréviations, des sigles et acronymes, des élisions, des binettes et des fautes d’orthographe. L’analyse des abréviations ainsi que des sigles et acronymes s’est limitée aux formes qui semblaient typiques de la CMO; Baron (2008, p. 59) explique qu’elle a ainsi exclu des formes « that commonly appear in offline writing

23 Terme utilisé pour désigner, « sans jugement de valeur, ni positif, ni négatif, des graphies qui

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(such as hrs = hours) or represent spoken usage (cuz = because) ». Comme l’avaient observé Fairon, Klein et Paumier (2007) dans leur étude sur les textos, les procédés relevés par Baron ont été utilisés à dose réduite. Des 11 718 mots à l’étude, 31 étaient des abréviations propres à la CMO, et 90, des sigles ou acronymes. Étant donné que la messagerie instantanée cherche souvent à produire l’effet d’une conversation orale, on aurait pu s’attendre à ce que les usagers aient recours à l’élision le plus souvent possible (I’m pour I am, he’s pour he is, etc.). Cependant, des 763 cas où une élision était possible, les usagers se sont limités à utiliser ce procédé dans 65 % des cas. Au total, 49 binettes ont été recensées; de ce nombre, 33 ont été produites par trois des participants. Par ailleurs, Baron a noté 171 mots qui contenaient une faute d’orthographe, ce qui, à son avis, n’est pas beaucoup. En termes de différences dans les pratiques en fonction du profil des utilisateurs, Baron a observé que les clavardeurs de sexe masculin ont utilisé les abréviations dans la majorité des cas où il était possible de le faire, alors que les clavardeuses ont utilisé la majorité des binettes. En conclusion, Baron (2008, p. 68) écrit que « the score sheet clearly suggests that IM [Instant Messenger] more closely resembles speech than writing ». Ainsi, elle adopte la vision déterministe des technologies de l’information dans son approche.

Dans leur étude sociolinguistique, Sali Tagliamonte et Derek Denis (2008) ont tenté de découvrir les caractéristiques grammaticales de la messagerie instantanée. Ils ont pu constater l’utilisation de divers niveaux de langue (par exemple, formel, informel, avec ou sans écarts orthographiques) des structures de phrases simple ou complexe, etc., et ce, souvent chez un même auteur. En somme, Tagliamonte et Denis (2008, p. 3) expliquent ce qui suit concernant la messagerie instantanée :

It reflects thesame structured heterogeneity (variation) and the same dynamic, ongoing processes of linguistic change that are currently underway in contemporary varieties of English. At the same time,IM is a unique new hybrid register, exhibiting a fusion of thefull range of variants from the speech community—formal, informal, and highly vernacular.

Lauren Squires (2010) a pour sa part constaté que les utilisateurs de la messagerie instantanée n’ont pas nécessairement recours à l’ensemble des caractéristiques ―

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reconnues comme telles ― de la messagerie instantanée. « It is not the case that features are distributed along “internet/noninternet” lines and come to be perceived as such, but rather that an “internet/noninternet” line is perceived, and features are categorized as belonging on either side of the line. » (Squires, 2010, p. 25). Une telle catégorisation s’appuie largement sur le fait que certaines caractéristiques appartiennent à la langue standard, à l’anglais standard dans l’étude de Squires (2010), et d’autres à une autre variété, en fonction du contexte le plus approprié.

Contrairement à la théorie du déterminisme des technologies de l’information (Crystal, 2006; Baron, 2008), selon laquelle il existe une seule variété spécifique à Internet et indépendante de tout facteur social, des chercheurs tels que Squires (2010) estiment que la CMO ne s’actualise pas uniquement en fonction de contraintes propres au médium. Plus spécifiquement, Squires (2010) soutient que deux facteurs contribuent à l’enregistrement de la langue sur Internet, facteurs qui s’influencent mutuellement : l’idéologie d’une langue standard et le déterminisme des technologies. « [T]hese two forces converge in metadiscourse about the internet, and that internet language is foremost an ideological construction based on perceptions of the uniqueness of internet interaction and its language. » (Squires, 2010, p. 23)

Les études consacrées à la communication synchrone et asynchrone qui ont été résumées plus haut portent essentiellement sur les éléments suivants : les pratiques orthographiques et sociales des internautes, dans une perspective psychosociolinguistique, linguistique ou sociale; l’influence des technologies de l’information sur ces pratiques; l’influence de ces pratiques sur l’orthographe d’usage.

Il n’y a pas que les chercheurs qui s’intéressent aux pratiques d’écriture des internautes, et, en particulier, à celles qui s’observent en situation de clavardage, de messagerie instantanée et d’usage du texto. En effet, le grand public et certains professionnels tels que des journalistes et enseignants ont exprimé des opinions diverses sur la question.

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1.3.3 Perceptions de la cyberlangue

Les opinions divergent en ce qui concerne l’influence du clavardage et du texto sur la langue écrite en général. Une opinion répandue à la fois chez le grand public et chez certains professionnels tels les journalistes et enseignants concerne l’influence négative que pourrait avoir l’utilisation de formes abrégées et de symboles divers sur les conventions d’écriture établies, auprès des jeunes en particulier. Comme l’observe notamment la journaliste Marie-Andrée Chouinard (2002, p. B12), du quotidien Le Devoir, « [l]e clavardage s’effectue loin des règles de grammaire et des bons soins du Petit Robert. […] Mots tronqués, orthographe non respectée, avalanche d’anglicismes, l’emballage du français style clavardage n’est pas des plus soignés ». À l’instar de Marie-Andrée Chouinard (2002, p. B12), on peut se demander si le code linguistique « particulier aux échanges électroniques en direct peut […] avoir une incidence sur la qualité de l’écriture ».

De leur côté, Raphaël Riente et Alfred Ouellet (2005, p. 61) font remarquer que les pratiques d’écriture des jeunes clavardeurs sont souvent perçues comme « une preuve supplémentaire de la pauvreté de la langue des jeunes » et que « le clavardage est montré du doigt lorsqu’il s’agit de trouver les causes des difficultés des jeunes à maîtriser le français ».

Dans le grand public, il semble que les questions relatives aux pratiques d’écriture en contexte de CMO sont souvent posées

de manière polémique et [que] les avis opposés s’affrontent pour présenter ― parfois de manière un peu caricaturale ― ce mode de communication, tantôt comme une chance permettant aux jeunes publics de se réconcilier avec l’écriture […], tantôt comme une menace pour le système, pour la norme que les jeunes peinent à apprendre et dont ils s’éloignent largement quand ils s’adonnent au « langage SMS ». (Fairon, Klein et Paumier, 2007, p. 69)

En fait, dans les médias, les jeunes sont parfois présentés comme responsables des pratiques non conventionnelles d’écriture qui caractérisent certaines formes de

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CMO.24 Colin Thurlow (2003) cite l’exemple du journaliste britannique John Humphreys, qui s’inquiète de la disparition de l’apostrophe en anglais, phénomène qui découlerait de sa faible utilisation par les jeunes en contexte de clavardage ou de messagerie instantanée. Pourtant, Thurlow (2003) a lui-même constaté la présence manifeste de l’apostrophe dans les textos des jeunes.

La recherche menée par Christine Lacerte (2006) est particulièrement riche en ce qui touche les opinions exprimées sur la question. Dans le cadre de celle-ci, Lacerte a notamment mené des entrevues auprès de cinq « experts »25 en matière de langue française. « De nos entrevues, écrit-elle (p. 74), il est ressorti que les experts sont presque unanimes pour dire que le clavardage ne nuit pas à la langue française. Les experts voient d’un bon œil ce phénomène qu’est le clavardage et ne s’inquiètent aucunement de l’effet de cette pratique sur la langue française. »

En guise de conclusion au présent chapitre, on constate que les développements technologiques sont à l’origine de nouvelles pratiques sociales et communicationnelles qui, comme nous l’avons vu, sont décrites dans diverses études. Le développement de la CMO sous-tend ainsi des conditions de production et de réception originales qui modifient les représentations traditionnelles de l’écriture. Rien de nouveau, car l’évolution de l’écrit s’inscrit dans l’évolution naturelle des langues. La langue n’a pas attendu les technologies de l’information pour évoluer : les mots apparaissent, disparaissent et se transforment depuis toujours, conformément à l’évolution technologique et culturelle et aux besoins de communication.

La cyberlangue, c’est-à-dire la langue employée, par exemple, dans un contexte de communication par courriel, texto, clavardage ou messagerie instantanée, se caractérise par divers éléments : une ressemblance avec la langue orale (Luzzatti, 1991), une tendance à l’économie et à l’expressivité par l’emploi de phonogrammes et

24 Pour plus d’information sur Internet et les jeunes, voir notamment Sebba (2003), Thurlow (2003),

Piette, Pons et Giroux (2001 et 2007) ainsi que Fairon, Klein et Paumier (2007).

25 Il s’agissait des personnes suivantes : Gérard Paquette, alors directeur des communications à l’Office

québécois de la langue française, Lise Ouellet, responsable de l’évaluation du français chez les jeunes au ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec, Paul Roux, conseiller linguistique au quotidien montréalais La Presse, ainsi que deux enseignantes dont l’identité n’a pas été révélée.

(34)

d’idéogrammes et le recours à l’omission et la substitution (Pierozak, 2000), l’usage de procédés tels que la phonétisation, l’abréviation, la siglaison et l’acronymie (Fairon, Klein et Paumier, 2007; Baron 2008), ainsi que, pour finir, une syntaxe simplifiée, un style désinvolte et des fautes d’orthographe (Herring 1998). Certains de ces procédés sont traditionnels; c’est le cas de l’abréviation, de la siglaison et de l’acronymie, par exemple. D’autres procédés sont plus récents, par exemple, les néographies et la binette. Cependant, ces procédés ne sont pas tous le propre de la CMO. En fait, ce qui est particulier à la CMO, ce sont la combinaison et la fréquence de ces procédés. Selon Crispin Thurlow (2003), même si les messages transmis dans le cyberespace sont souvent personnalisés à l’aide de procédés qui vont à l’encontre des pratiques d’écriture standard, ces messages demeurent compréhensibles et ne se démarquent pas comme tels sur le plan linguistique. C’est aussi le point de vue qu’ont exprimé avant lui Werry (1996) et Paolillo (2001).

Dans le chapitre qui suit, nous nous intéresserons tout particulièrement aux pratiques d’écriture qui s’observent en situation de clavardage.

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Chapitre 2 : Clavardage et pratiques d’écriture

Bien que le clavardage s’actualise par un clavier, ce type de communication ne correspond ni à l’écrit au sens traditionnel ni à l’oral. Les clavardeurs, comme d’ailleurs les usagers du texto, innovent dans leur façon d’écrire parce qu’ils sont confrontés à un dilemme : écrire ce qui ne s’écrit pas, c’est-à-dire, la langue orale. Ils ont recours, pour ce faire, à un ensemble de procédés. Ces procédés ont été observés et décrits par certains des chercheurs dont nous avons cité les travaux au chapitre précédent.

2.1 Procédés scripturaux identifiés par les chercheurs

Dans le contexte de notre recherche, les travaux de deux chercheurs en particulier, à savoir, Jacques Anis et Anaïs Tatossian, ont été particulièrement utiles pour l’établissement d’une typologie des procédés d’écriture observés en contexte de clavardage.

Lorsqu’on consulte les travaux consacrés aux procédés linguistiques mis en œuvre en contexte de clavardage, dont ceux d’Anis et de Tatossian, on constate que la terminologie utilisée a tendance à varier d’un auteur à un autre. Par exemple, le procédé qu’Anis (1999b et 2003) appelle « réduction graphique » est désigné par Tatossian (2008b) « procédé abréviatif ». Dans certains cas, on constate également qu’un même fait linguistique observé est catégorisé différemment. Par exemple, Anis (1999b, p. 89) classe a+ comme un logogramme, alors qu’Aurélia Dejond (2006, p. 23) présente ce même fait linguistique comme une « troncation ». Dans l’ensemble, cependant, les catégories et phénomènes observés se rejoignent. C’est pourquoi nous avons décidé, plutôt que de présenter et d’expliquer en détail chacune des typologies établies, de nous concentrer uniquement sur celle de Tatossian (2008b). Ce choix s’explique également par le fait que les termes utilisés par Tatossian nous ont paru plus clairs et plus pertinents dans une étude ressortissant à la linguistique.

Figure

Tableau 4. Exemples d’aphérèses  Aphérèse  Forme standard
Tableau 6. Exemples de sigles  Sigle  Forme standard
Tableau 9. Exemples de réductions de graphèmes complexes  Réduction  Forme standard
Tableau 10. Exemples de substitutions de graphèmes  Substitution  Forme standard
+7

Références

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