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L'idéologie de Réjean Ducharme d'après "L'hiver de force"

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Texte intégral

(1)

..

.

-•

.0'

L'idéologie de Réjean Duoharme

dfapr~8 "L'Hiver de forc-etl

by

SCULLY, Robert Guy, B.A.

) ..,

.

A thesia 8ubmitted to

the Faϟ ty of 8raduate Stud1es and Researoh MaGi11 University,

in partial fulfillment of the requirements for the degree of

Master of Arts

Depart:ment of 'rench l.Anguagp

âDd

Literature. '

Q SCully, Robêrt Guy

u

1

,

Auguat 1974. -, , ' , A

(2)

-

Abatract

This thesis attempt8 to def~e author Réjean Dueharme's ideo-logy, as expressed in his fifth published work, L'Hiver de force. The narrator and main character, André Ferron, ia assumed to be the author' s spokeBllall, from biographioal and circumstancial evidenee set out in

the introduction.

In three separate ehapters, the important ingredients of auch an ideology are researched: first the "elements" of the so-aa11ed ideological "problem", f'ollowed by the "explanations" and finally by the "annersl1 The elements and the anawers are seen ail components of an

"ou-...

ter world" and an "inner world", respeetively.

Ducharme's ideological system proves itilelf to be based

on an unsolvable inocmpatibility between the urban environment of modern- /

.

, d8\Y Montreal (oruel, unfair and callous), on the one band, and the chars,c-ter's camplex but overly delicate se.asitivity, on the other. A warinesé towards official or institutional culture, a basic pesaimism in buman

relationahips, a atrong deaire for self-alienation, a nihilist10 phi-l080phy and a self-destruotive, inner-directed violence, all part of the author' (1 system, are in fact resul ta of this incompatibili ty, and

are studied here in their general social contexte The ideology'a ulti-mate :t'allure, at the end of L'Hiver, la also looked into, in a conclusiOl\' to the main chapters.

...

.

~

(3)

---Résumé

Cette thèse tente de définir tir de BOG cinquième livre, L'Hive~ de

principal, André Ferron, est considéré comme le porte-parole de l'auteur

(hypoth~se fondée sur des faits biographiques et circonstanciels qui sont

présentés au cours de l'introduction).

Les trois parties de l'étude résument, respectivement, les éléments

du probl~me idé6logique, les explications offertes par l'idéologue, et en-j' ••

fin les réponses ~laborées. Eléments et réponses sont perçus comme les posants d'un "monde extérieur" et d'un "monde intérieur".

1

!

1 1 L'idéologie ducharmienne se révèle être le résultat d'une

incOm-/

patibili té irréductible entre un Montréal cruel, injuste et insensiblel ,

d'une part, et une aensibilité riche mais trop délicate, d'autre part'. La méfiance envers la culture insU tut1onnal1aée, le peasimisme dané les relations humaines, l'aliénation volontaire, le n~hiliame et la violence réprimée, toua oaraotéristiques de DuOharme, sont ainsi replacée dans un contexte plus large. L'éohec final de l'idéologie exprimée par y'Hiver ' eat également examiné sous oet éclairage, dans la conclusion.

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..

Table des mati~res

..

In~roduot1on ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• page 5

-1- Les éléments: le monde extérieur ••••••••••••••••••••••••••• page 10

-11- L'explication. et l'interprétation ••••••••••••• ',' ••••••••••• page 34

-111- Les réponses: le monde 1ntérieur ••••••••••••••••••••••••••• p~-15---~

C one l us1on ••••• v • • • • • • • • • • • • • • • • • 1 • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • page 104

, f-,

B1b110graph1e ••••••••••••••••••• ~ ••••••••••••••••••••••••• page 108

(5)

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Tout

8yst~me

idéologique, h notre sens, se

d~eloppe

en trois temps,

.t c't:t

pourquoi l'étude qui Suit,. été divisée en ,tOis parties.

~

JI

L-idéologue doit d'abord réndre compte; monde extérieur, recenser

.. ..

i 1

tout ce qUl l'entoute, orGaniser l~s éléments du roblème qU'il veut se poser •

(un peu connnele scientifique recueille ses don

,

1

laboratoire, et a.:illt l'élaboration de sa plication et l'!pterpré:ation de ce monde ext

J

av<mt une exoérience en Il proc~4e ensuite à l'ex-(extérieur S sa Conscience, c' est-à-dire intluant aussi bien son corps

..

et,

s~ sensibilité que son

environne-'

ment social et interpersonnel); dans ce cas-ci, puisque l'idéologue est un auteur de fictlon, qU'il est créateur du monde sur le'luel il fonde ses conclu-sions, il nous a fL.llu accorder une attention spéciale à la sensibilité duchnr-mienne, dernier élément de l f univers envirOlman t, mais en même tenlns,

instru-ment premier d'interprétation et d'explic3tion. Enfin, apr~s avoir expllqué le monde extérieur, apr~s avoir cerné les contradictions et les logiques qui donnent leur tohérence atuè éléments, l'idéologue construit un monde int6rieur, fait de réponses à ces contradictions et ces lo~iquee. Dernl~re étape du

travail idéologique, celle-ci permet de concilier le r:oi et celui des autres, la sensibilité et l'environnelhent.

D~s la premi~re lecture, le cinquième livre de Réjean Duch~rme nous a paru. une oeuvre idéale pour une étude de ce type, pour le "dép~stage" et la reconstitution dfune idéologie. En effet, alors que dans ses quatre romans précédents (notons que celui-ci porte comme sous-titre: récit), L'Avalée des avalés, Le Nez qui voque, L'Océantume,

La

Fille de Christophe COlomb(l), 1 un puissant travail de l'imagination voilait les opinions de l'auteur et leur rapport avec la réalité

env~onnanteJ

dans L'Hiver de force, l'écrivain a pris

(7)

7

-le parti contraire, celui de ne rien inventer ou presque, d'inventorier -le 1

monde et de l'expliquer tel qU'il est, de le confronter san!;; détours li sa

sensibilité. L'occasion était bélle, de pouvoir enfin clarifier la pensée de Ducharme sur lui-marne, les autres, la justice sociale ou individuelle, le bonheur, le ",uébec conter,lporain, etc.

..

Il fullait se demandei avant tout dane quelle mesure ce te~te,

écrit à ln ~remière personne, était effectivement un miroir fidèle de la Conscl.ence ducharmienne. Il y a un narrateur, André Ferron, qui n'pst pas for-cément l'auteur. Et les livr?s précédents, après tout, furent aussi rédi~és à la première personne. S'il Y avai ~, de"rrière l ' Hiver, lm Deus ex machina qui intervenait dans la narration, avec des opinions et des appréciations, on n'aurait aucun mal à identifier celles-ci li

cor:une des morceaux de son idéologie. Par la

l'auteur, et à len cons~

m~me

loc;illue, les oPiniobs émanrmt

des persolrrlages eux-mêmes seraient sans doute jucées indépendantes de cette idéologie centrale. Ici, comme dans le cas ue tous les récits menés à la premih-~ ; re personne, la chose n'est pas cluire.

1

Cependant, trop de données bioeraphique~ connues, qui se rapportent

~ DuCharme, confirment l'identification personnage-auteur, pour qu'on puisse croire la théorie contraire, laquelle n'offre d'ailleurs pas de preuves. Comme nous le verrons au cours de la première partie de ce

trav~il

(2),

André Ferron vient de la campagne montréalaise, ct Ducharme aussi; le premier a 28 ans au moment des événements du livre (qui se déroulent au printemps 1971), alors que Ducharme aurait eu 28 ou 29 ans(3)au m@me moment; l'un a

fr\~qucnté

les Beaux-Arts et se dit peintre, alors que l'autre a fait ses lettres dons un collège classique et écrit des livres: transposition tout-à-fait plausible, et minimale.

(8)

<;l._

1

-.~--- ... - -~~ 8

-Il serait possible de pousser plus loin l'analoeie, si ce n'était le fait que Ducharme est un contemporain (et un concitoyen!), et que de telles recherches frisent l'impucùmoe. Mentionnons seulement que l'auteur a une COIl1-pagne de son âge, qui, comme Nicole, est également de formation et de profession artistiques (comédienne); qU'ils ont compté parmi leurs amis un couple céUbre

/

de Montréal, lui éditeur progressiote -":éomme Roger Degranpré-- elle, populaire paasionnara indépendantiste, cormn8 la Catherine du livre; que leurs noms ressem-blent beaucoup, par rime et par allitération, à ceux des personnages, autan~

que le nom de La.!nou rappelle celui d'une po~tesse bien ~onnue de la boh~me montréalaise; que Ducharme a travaillé comme correcteur d'épreuves chez cet éditeur, tout comme André Ferron travaillera chez Ro~er Dec;ranpré; qU'il a ha-bité le Plateau Mont-Royal of! loge~t André et Nicole; qU'il a reçu de l'arc;ent

~

du Conseil des Arts, comme Ses personnages; qU'il s'est rendu au Mexique, comme

eux.

Ces quelques faits indiquent selon toute probabilité un roman RUto-biographique, conclusion que vient appuyer l'étonnante révolution dans la

métho-de dont nous parlions plus haut: décidé à ne plus déployer les ressources métho-de son imagl.nation pour faire de la fiction, l'écrivain Ducharme a voulu "parler franc". Et il n'a pu faire autrement que parler de lui-m@me, de son monde, de sa vie. Derriàre André Ferron, c'est à lui que nous avons affaire. Et c'est son idéologie que nous tenterons de découvrir.

Cette étude fera d'abord le tour du monde ducharmien, dans l'espace puia dans le temps. Lee cadres géographiques, les objets et les personnages seront examinés, non pas comme des données objectives, mais en tant qu'éléments d'un problMte que l'auteur s'est posé, et qU'il a présentés subjectivement,

(9)

/

7

s

9

-\

dans le but/de formuler une explication et Une réponse. Noue recenserons au

1

cours du s~ond chapitre les nombreuses explications et interprétations de c~

monde, offèrtes par le narratèur André Ferron. lious verrons qu'elles ne coulent pas toutes d'une même Bource, mais qu'elles sont plutOt les résultats de trois

1

"approches", distinctes·et parfois contradictoires. L'instrument de ces explica-

..

,

tians, soit la sensibilité ducharmienne (ou ferronienne) fera l'objet d'une _ attention particuli~re. Le troisi~e c~pitre, enfin, sera consacré à l'examen

de.s réponses au probl~me idéologique, contenues dans L'Hiver de force. Les "solutions" ou r~ponses classiqueS -que cet auteur a tendance à mettre de

,

cOté-- seront évoquées, en regard de celles, tr~s personnelles, qU'il élabore, achevant ainsi son travail d'idéologue, ••• et sa vision du monde.

t

{ 1. Réjean Ducharme, L'Avalée des avalés (Paris: Editions'Gallimard,

1966);

Le Nez qui voque (Paris: Editions Gallimard,

1967);

L'Océantume (2aris: Editions Gallimard,

1968); La

Fille de Christophe Colomb (Par~s: Editions Gallimard,

1969).

2. Les faits qui suivent sont documentés ~u cours de la prem1~re partie de l'étude.

3.

A l'intérieur de la couverture de L'Avalée des avalés ~. ~.), en

1966,

il affirmé avoir vingt-quatre ana, ce qui le ferait na1tre en

1942,

et lui donnerait, au printemps 1971,

28

ans --s'il est né au début de l'année

42--ou 29 ans --a'il eat né vers la fin de l'année.

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Le.. "lémente, le monde extérieur

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(11)

11

-Quel monde entoure le narrateur de L'Hiver de force(4), André Ferron,

et

sa compagne Nicole ? Comment, ~ travers eux, l'auteur Réjean Ducharme rénd-ll compte de ce monde? Quels sont les éléments du probl~me idéologique ?

Un monde urbain, d'abord. Montréalais. Résolument et définitivement urbuin, en ce sens qu'il a passé un point de no~ retoun ici, la ville est dé-sormais coupée de la campagne, ~ui lui a servi (en littérature québécoise),

d'ar-ç'

moire à mythes, d t arri~re-plan raSf3Urant, d f ('chappatoire cO~lode, VOlre de

justi~ication. Cela distingue déj~ L'Hiver des livres qui l'ont précédé, Les romans de r.lontréal, m@me lorsqu 1 ils se penchaient avec minutie sur ces sUJets

citadins, n'ont Jamais fait abstractioh de la campagne, sons doute parce que leurs auteurs sentaient toujours un lien réel entre elle et la Ville. Elle

~ \1 ()

étai t derri~re la ville, c.()lIIIJle' une ombre. Un chef-d 1 oeuvre du e;enre, Bonheur

d'ocC3Sion(5), serait, selon son auteur, fondé justement sur l'intuition des

.

~

mentalités rurales "plaquées" sur des situations urbaines, cl' ofl la tragédie.

En

effet, dans un article tout récent, Gabrielle Roy avouait que:

Au fond, la tragédie des gens assis dans la nuit douce qui se racontaient leur vie de maison en mriison, de rue en rue, était simple. C 1 était la trar;édie toute banale des mul ti tudes

un peu partout dans le monde ~ cette épo~ue ••• et encore main-tenant. Celle des gens issus 4e la camp~e, au coeur encore na!f, à l'esprit encore rustique, à l'~ encore religieuse,

••• projetés brusquement dans l'~re industrielle.~ •• (6{.

Cette façon de voir la ville subsiste encore, dans la mesure ob les liens entre campagn~ et ville subsistent, ou sont sentis. Un jeune romancier

\ -i

comme V1ctor-Lé~Beaulieu, par transplanté

dan~--~a"'banlie~e

de

. , ' « '

exemple, élevé dans le Bas Saint-Laurent puis

~ontréal-Nord, oppose ces deux mondes dans son oeuvre, expliquant Bon désarroi et celui de ses"personnages par la coupure

<] trop brutale avec l tarrillre-pays.

/

~'\... i·'

(12)

---~---~---~---~ / ( .' (- 12 1

\

Chez

,

~char.me, ." non. Bien qU'il soit lui aussi de la campagne, et qu'il ait donné des origines tr~8 proches des siennés ~.André Ferron --tro-quant la région de Joliette pour cel1~ de ~.~aak1nongé- la campagne n'a plua d'importance pour lui. Il ne cherche pas là son innocence perdue, il

n'exp1i-8

que pas sa traeédie personnelle par le déracinement. Antlré s'y rendra une'aeu1é 1 _ ...

-fois, au cours du récit (alors que Nicole va voir,son p~re, Monsieur Perron,

.~

pour un "extrait de baptême"). Quand il ne décrit pas l:-e cadre rural avec une lassitude ironique qui sugg~re la monotonie:

~ )

••• on admire le payeàge;,C'est si plat qu'~ droite on peut suivre l'herbe jusqu'à Lavaltrie et prendrè. à

• 0 gauche, sur le bc;mt du doigt, l'église de

Saint-Gérard-de-Mage1la.(7) ,

( '

Ducharme fait dire des méchancetés à André sur les ruraux:

vu

~es habitants ne servent plus ~ rie~; apr~s avoir pas-,sé l'hiver sur l'assurance-chÔ~~, ils s~~contents

J ; ... 'ùe monter sur leurs anciens tracteurs pour ·labour~r, à

$2 l'heure, 1e~ anciennes gl~bes et leurs anciens

pâturage~ ~ande d'abrutis.(a).

eur"Penon s'av~re être Wl honune "triste et abandonné",

dépour-1

peut-~trë parce que l'auteur ne lui en trouve pas. Ses paroles

des exclamations répétitives et banales: "--Parle-moi-z-en-pas, . fillel Ah parJ.e-mo1-z-en-pasl Ahl •••• ", auxquelles André ajoute aussitÔt: ,u Il

"advient d'-avoir fini de dire tout ce qu'an avait à se dire." ,

Les noms de lieux ruraux, qui so~. si ,souvent traités avec respect (

par les romanciers québécois, sont déclinés ici sans cérémonie •. Saint-Gérard~) de-:-Magella, ou" plus t6t dans la narration, cette "école Saint-Pierre du rang

Sai~t-~U1S' de~

la paroisse SaiJ;!.t-J9seph dè-

~skinongé"

(9) où les- det'lx protago-nistes' ont fait leurs petites olasses en compagnie de

,

Roge~Deg~pré, semblent

...

'i " _

(13)

13

-des lieux morts, considérés avec sarcasme. En les nommant, Ducaarme leur

conc~d'e l'existence, mais rien de plus. (Nous verrons plua loin qu'il ne voit

PfIls d'un meilleur oeil la ville, et qU'il a tout de m@me de l'amour pour les beautés de la nature; cela n'infirme pas cependant notre premi~re constatation, à savoir qu'il manifeste une sensibilité de citadin, d'aut~t

.

plus'

significati-,

ve qU'il n'a pas grandi à Montréal).

"

Derni~re ironie, ce passage que l'écrivain a sftrement mis en

a~en-dice à l'épisode pour nous fnire sentir le non-sens du monde rural: il s'aGit

~~ambule traditionnel aux histoires de veillée, dans lequel les anciens conteurs mettaient beaucoup de leur art. Flatté par Lalnou --qui, elle, admire toujours les valeurs paysarmes-- Monsieur Perron le aira. Par surcroît, ~ans une note en bàs de page(lO), Ducharme nous apprendra que le préambule en ques-tian n'est pas de son personnage, mais d'un vieux livre, La lignée! Un vieux livre, c'est-à-dire un objet mort.

\

fo

Pour plusieurs intellectuels montréalais, on le devine, ce mépris à peine dissimulé du monde rural constituerait une faute Grave, un péché contre le patrimoine culturel. Or, c'est précisément ce genre d'intellectuels qui peuple L'Hiver de force, et c'est à lui que se heurtera sans cesse, jusqu'à 'l'épuisement, la sensibilité de Nicole et André.

"

.

,)

Paradoxalement, ils vivent parmi eux, parmi ces gens égo!ates, tout

,/

en apparences et en ambition&" qui sont ni plus ni moins leurs ennemis naturels.

Le paradoxe devient plus compréhensible lorsqu'on apprend, au fil du récit, les antécédents des deux Ferron, et lorsqu'on filtre tes éléments biographiques à travers le fatalisme ducharmien, qui veut que "Les gens sont'tellement tous

(14)

- 14 ..:.

pareils" (11) , qu'on n'a pas d'autre chôix que de rester dans le milieu oa on a fini par aboutir. (Au destin, notion prétentieuse qU'il rejette comme il

rejett~ l'idée d'un patrimoine culturel, Ducharme substitue l'inertie, la seule force

à

laquelle, dans son désoeuvrement, il peut croire). Or, André et Nicole, par gont pour les arts --go~t sur lequel nous reviendrons-- ont abouti dans le milieu dés artistes montréalais. Ils ont été aux Beaux-Arts, ils y ont rencontré La!nou. Ils ont exposé en 1966 à la Galerie Déirut (1), cè qui leur a valu un "texticule" favorable du "regretté" Claude Jasmin, ainsi qu'une bourse de $5,000 du Conseil des Arts(12) • Avec cette bourse, ils sont allés au Mexique. D'autres personnages du livre, présents ou simplement évoqués, sont ~es camarades des Beaux-Arts: le cinéaste superficiel Marcel Marsil, le "raté" qui leur ressemble, Louis Chartrand. Une relation d'enfance,

contractée bien avant l' énugration à !\:ontréal, les lie au "protecteur puissant", Roger Degranpré (dont le nom est d'une joyeuse ironie). Mais cette relation les

..

ram~ne également au monde des arts, puisque par Roger, les Ferron conna1tront

les marionnettes Louis Caron, Reinette DuHamel, Ragoul Pratte.

Il est significatif que les personnages de La1nou et de Catherine (la Toune) introduisent le narrateur et sa compagne dans deux milieux

artisti-..

ques à leur image. Celui que .fréquentê le peintre est moche, triste, sans illu-sions: La.!nou a une relation avec

nu

pseudo-sculpteur qui revend 1/$100 deS"' ba-\ gues hongkongnaises ~ $1 la douzaine" 1 (13) et qui/refuse de lui faire l' , ~our

tout en profitant effrontément de son logis; malgré une exposition "triomphante" qui nous est contée au début du livre, elle n'a pas beaucoup de succ~s, à tel point qu'elle doit s'emp~cher de produire pour maintenir la cote de ses toiles; on devine que, bêtement, elle n'a pae grand talent (ni la beauté, nous apprend-on

(15)

2

15

-par la suite, qui rachèterait le manque de talent); c'est la "bllcheronne" dont i l sera question à la toute fin(14), qui s'adonne à des relations sor-dides ave?' des "poètes invendables",

pr~te

à les payer pour faire l'amour(15) et

incapa.~le

de les envoyer promener(16). La Toune, par contre, est belle; elle a du sucche et, il faut le supposer, un certain talent; elle se rend à Cannes; ses amis sont des artistes de bon ton, ComI:1e cet "~tre joual supérieur"

(17)qui humiliera plus tard les Ferron mnlheureux; Roger son concubin est un éditeur en vogue de Ilvres progressistes; elle est invitée à la prestigieuse émission de télévi~ion "Gros Plan" --ott elle va répéter ce qu'elle avait fait mine de confier en exclusivité à ses deux admirateurs(18); son pèr:, dernier détail qui vient confirmer tout le reste, n'est pas n'importe qui: un "Con éli-tiste fédéraste dégolltant" ••• riche (19) •

La distinction, cependant, n'est pas fondamentale. D'abord parce que le monde des arti~tes est petit: ratés et vedettes se retrouvent, par exemple, à l'Accroc, cette boite de nuit à la mode ott La!nou pique une de ses intermi-nables querelleo avec des intellectuels politisés(20) J et

o~

La Toune, dite

Petit P01S, rencontre le directeur de la revue Caméra Améra, un monsieur Pla-teau (Sie), pour entreprendre une "folie jasette d'admiration cinématographique

mutuelle,~l).

Seul le succès sépare ces deux personnaees-pOles de l'action, alors que toute une vision du monde les sépare d'André et- d~ TJicole. Nos deux

1; _ _)

1

anti-héros s'en rendront bien compte en constatant l'admi~tion sans conditions de la ratée pour la vedette (elle qui a proclamé pourtant pendant "dix ane,,(22) son mépris pour "leur gloirelt

) :

J

--On la connait bien Petit Pois. C'est notre Toune ••• On ne se doutait pas que les yeux de La!nou pouvaient, sous le fardeau des doubles faux cils, s'ouvrir si grand.

(16)

/

16

-Lea gens sont si mégalomanes.

--Voua connaissez Petit Pois? Vous m'en cachez des trucsl(23).

Pas de doute possible, La!nou changerait volontiers de place avec la Toune. Les Ferron le lui diront d'ailleurs, non sans méchanceté, plus avant

dans le livre(24). S'ils préfèrent, eux, "rester assis tranquilles au pied de l'échelle SOCialeff(2

5),

c'est qU'ils ont une autre échelle à gravir, ou plut8t, un gouf'fre à franchir. Ils aimeraient se trouver, avec La Toune, "de l'autre cOté du gouffre qui sépare aim~r d'amour et aimer que les autres écoutent qu~d on fait des 1àroes Plates,,(26), c'est-à-dire de l'autre cOté des apparences

sen-"

timentales, dans le domaine du vrai Sentiment. La réalité qu'ilS recherchent, on le voit en étudiant leur vocabulaire, est uniquement d'ordre sentimental (plut6t que matériel, social, philosophique, ou m~e artistique). Leur recher-che échouera. Mais nous touchons déjà, par là, à l'explication du monde et aux réponses. Terminons d'abord notre examen du monde contenu dans L'Hiver de force.

La ville ob évoluent les protagonistes, pour revelUr à elle, est aussi une réflexion de la ,iouble relation sentimentale qU'ilS entretiennent, par le haut et par le bas. La!nou habite Notre-Dame-de-Grâce, le plus modeste des quartiers "bien" de l'OUest. André et Nicole s 'y rendront seulement quand ile n'auront pu payer leur lqyer, ou quand La Toune les aura délaissés pour aller à Cannes. L'appa.r;bement de l'avenue Draper est un trou au :fond d'une chute. Comme pour excuser leur déménagement là, déménagement "en attendant", ils diront: "on descend trop vi te Vers ott on va: ••• on se prend ott on se trou;

ve, ••• ,,(27). La!nou, dans ces affaires domestiques,''n'est pas

~1etl-e---commê

...

(17)

---1

17

-qu'on en conna1t.,(28), elle leur permet de se coucher à CÔ\é

d'~lle,

"tout chaussés, tout habillés, toute l'haleine

fétide,,(29)apr~s

une bonne beuverie. Dans cet intérieur délabré qui n'est pas si différent du leur --hormis un

si~-ge de toilette signé qui témoigne des penchants artistiques de leur he,tessel-ils feront à leur guise, réussissant m~e à faire partir le sculpteur.

Quand ils se rendront à Outremont, par contre, c'est plus qu'une

fronti~re municipale qu'ils franchiront. Certea', OUtremont, malgré une éléean-ce et une richesse qui s'allient à celles de la Toune, est située juste à cOté de "NDG", et il n'y a pas plus de différence fondamentale entre elle et ce quartier qu'il n'yen a entre les deux femmes. 1~is, parce que leur percep-tion du monde est essentiellement sentimentale, André et Nicole n'habitent pas tellement des lieux que des personnes, présentes ou absentes. Lorsqu'ils se

~elldellt rue Dunlop, ils pén~trent dans l'empire sentimental d~ la Toune, dont ils sont les fid~les sujets. Leur comportpment d'~tres amoureux et soumis leur fait poser des gestes contraires à ceux qU'ils posent chez Latnou, des gestes

respectue~ et craintifs. Ainsi, ils préféreront presque dessiner et se détendre

dans le Parc Lyndon-Johnsoll, face au temple sacré, alors que la déesse nt y est pas, que d'y entrer. Même quand elle s'y trouve, ils ne sonneront pas; ils attendront:

La

sentir là, derrière no~s, de l'autre cOté de cette rue chic, c'est bon. Quand c'est bon cteàt assez.(,O).

Lê monde ducharmien décrit dans L'H1ver n'est pas limité k l'oUest des artistes. Il est élargi, si l'on peut dire, par le style de vie des deux personnages principaux. Cestyle de vie urbain, en :fa! t,.,-exclut k peu pr~s tou-tee les activités culturelles auxquelles s'adonnent les autres personnages.

(18)

18

-,

,-S'il Y a culture, c' es t une culture "quotidienne", fai te de tous c es éléments que la vie contemporaine à Montréal charrie. Nous avons déjà eu l'occasion de la comparer à celle que l'on trouve dans les oeuvres du chansonnier Robert Charlebois, dont Ducharme a été le parolier(31), et du

cinéast~

irançaia

Jean

Eustache(32). Il s'agit d'une réorganisation des éléments urbains les plus

,

communs, selon une vision profondément Gceptiqu8. Elle part d'abord d'une

mé-,

fiance envers ln. culture "offic~ellelf, qui devrait ~tre celle de ces personna-ges (puisqu'ils sont de gont et de formati9n artistique.):

Noua c'est les chefs-d'oeuvre qu'on ne trouve pas bons et c'est les erands comédiens qu'on ne peut pas sentir.(33).

Résultat, ils recardent tous les films qui passent à la télévision, même les mauva~s, dans n'importe quel ordre, allant jusqu'à tourner le bouton pour en faire un kaléidoscope. Ils semblent préférer cela aux "grandes" chones qui passent de temps en temps au petit écran, tel un long-oétrage avec 1lich~le

Morgan, "si grande dame qu'elle ne porte pas à terre, qH'on ne sera jar.mis assez mal pris pour se dé zipper là-dessus"( 34), ou aux chefs-d' o;uvres qui pas-sent dans les salles, tel ce Conformiste qui bouleverse la Toune:

Tout le monde va voir des films strordin~res puis tout le monde revient stomaké.(35).

Ils n'ont aucune illusion, par contre, sur les choses médiocres qu'ils

s'o-blllent à regarder:

)

(36) Ces annonces sont ai mauvaises qu'elles puent. ;

C'est pe'ut-être._ les films COImne ça qui sont è l'origine du cancer. On n'en revient

pas.(37);

On pense souvent qùe s'il n'y avait jamais d'annonces à la TV 11 n'y aurai~ révolutions.(38).

J

(19)

19

-Les m@mes sentiments ambivalents les poss~dent lorsqu'ils refusent de dire du mal de Fernand Gignac devAnt un croupe "d'artistes" qui ne deman-de

pas mieux(39),

alors que seuls dans leur appartement ils insultent volon-tiers Charles Aznavour(40)ou Richard Anthony(41).

En fait, prisonniers de cette méfiance envers la culture officielle, les deux protaeonistes ne peuvent pas non plus entrer sans façons dans la vie quotidienne du Il\Ythique "monde ordinaire", parce qu'ils n'en partagent pas les conditions de vie. Et c'est là qu'intervient la deuxi~me constante dE' ce

"-style de vie: l'Oisiveté, dont Jean Eustache faisait un éloge ironique dans ' La Maman et la putain. Il ne faut évide~nent pas se laisser prendre aux

facé-\

ties de cet auteur, ni h celles de Ducharme, comme ce malheureux critique , français qui intltulait sa critique de L'Hiver: "Un élOGe de la paresse,,(42) 1 -C'est que Nicole et An4ré Bont incapables de s'intégrer au monde du travail.

Ils recherchent l'emploi le moins "prenant" possible:

-Le peu de vie que nous gagnons, c'est comme correcteurs d'épreuves ••••

Nous nous enorgueillissons d'être à la pige. Faire une

oarri~re de correcteur d'épreuves ce n'est pas notre genre. Notre genre c'est la grandeur. C'est les loisirs absolus ou une

job payante. Une situation. $250 par semaine à se tourner les pouces dans une compagnie de publicité.(43).

La situation, qu~tée ~ Roger Degranpré, ne vient pas. Déterminée à ne pas devenir comme la ~ecrétaire ambitieuse des Petites Editions (qu'ilS

détestent), ou oomme Ginette la serveuse au Café 79 (dont il faut mériter l'affection, "comme à l'école: en montrant qu'on a un idéal, les ongles nets et qu'on travaille dur pour réuSSirll(44)), ou encore comme ce

Bymbo~e

1

.-de santé, la "petite blon.-de b3cheuse", (Bunny au Plqboy, qui n'apprécie

(20)

,20

-pas l~ur manque d'hygi~ne délibéré), ils en viennent à faire tout le

con-..

traire du monde ordinaire: ils ne font pas le ménage, sortent la nuit et dorment le jour.

,.-Llaprh-midi, période de la journée ott l'~~UX qui ont un idéal" en profitent pour "travailler dur", leur semble "catégoriquement inutile et superflue. Si on faisait nous-mêmes les joura, on les ferait noirs d'un bout à l'autre." (45) • Les Ferron ne font que réorganiser les loisirs de la classe moyenne montréalaise, pour en remplir îeurs journées. Au fond, ils ne pren-nent pas plus au

sér~ux

le monde des gens ordinaires

--o~

le travail est valorisé-- que le monde des art~tes

--ott

les loisirs sont valorisés. En

fuite de l'un et de l'autre, ils se réfugient dans un demi-~nde qui para1t celui de la paresse, mais qui est en réalité un coin sombre de la société, le seul ch ils peuvent se cacher, échapper aux obligations absurdes et inhu-maines de la vie en collectivité:

Il fait noir au Café 79. Comme on aime.(46).

Inve~sement, la lumi~re, qui les découvre à la face des autres, qui les

réin-t~gr~ de force dans la foire des activités conventionnelles, qui exige d'eux

un maiQ.tien "correct", qui voudrait les remplir d'une chaleur énergique, es~

honnie:

Plus il fait beau plus on trouve ça dur.(47); On ne peut pas aller deh~rs. Il fait trop soleil. Tout luit, ••• Tout jouit •••• a'est dégodtant.(48).

Honni aussi l'enracinement, qui représenterait un début de stabi-lité, c'ést-à-dire un début d'intégration définitive:

Boulevard Saint-Laurent, la lumi~re est rouge: il ne faut pas s'en occuper. Si on s'arr3te, les pieds s'em-bourbent, germent le t~ps de le dire, poussent des racines, plus moyen de grouiller.(49).

(21)

1

Leur appartement est un lieu ob l'enracinement est imPostible; il ,î

correspond, dans l'espace, à leur emploi du temps, à la pratique c nsciente 1

de l ' oisiveté. Les objets qui le meublent constituent uUn lot d' a~faires qui n'avancent personne li rien,,(50). Ils ne reçoivent que des lettres ICirculaires. Ils, participent à la Mini-Loto, cet autre morceàu du r~ve populai e (que les artietes comme la Toune mépriseraient probablement); mais ticipation est, une fois de plus, dérisoire, comme s'ils n'y crq1aient auc ment: le billet est "collé sur le mur au-dessus du radiateur de

scotch-tape.,,(51). Ila s'enracinent si peu, et sont si ~

leur peu d'enracinement, qu'ils laisseront partir tout

, avec du perversemtnt frers de ce qui le entoure,

pi~ce par pi~ce, plutôt que de s'y attacher ou de laisser une convention sociale les régir: leur pick-up, leur radio (cadeau de la ~une~ leur télé-viseur, leur frigo, leur poêle, seront vendus à des prix ridicules, aux prê-teurs sur gages de la rue Craig. Ils n'ont aucune illusion sur ce type de

, -)

transaction, et ne l'effectuent pas du tout dans le même esprit qu'un ouvrier, qui voudrait tirer quelques derniers dollars de sa camelote (pas plus qu'ils ne regardent un mélodrame du canal 10 dans le mbe esprit que les nombreux téléspectateurs de cette cba1ne). Leur chat sera offert à la SPCA --qui n'en voudra pasl L'encyclopédie' Alpha, qU'ils ont lue et relue avec plaisir (1), est déchirée par André, devant une Nicole "au bord des larmes,,(52). Ils se moqueront de la compagnie Bell lorsqu'elle interrompra leur service télé-phonique •. Ils se laias-eront mettre ~, la porte par le propriétaire, incapable.

de p~er le loyer.

c'est donc l'envers du monde. ouvrier qU'ils fréquentent, le monde

1

(22)

22

-s'ils étaient en pleine Nuit fantaisiste, refusant de comprendre les signaux usuels de la vie en ville, errant dans ~ lieu apparemment réglé et logique comme ils erreraient dans un musée de bizarreries: deux enfants perdus, ou plutôt, deux adultes volonta~rement perdus. Il est manifeste, en effet, que "l'oisiveté-" ici est voulue. André et Nicole ne sont ni. oisifs, ni paresseux. Nous les verrons plus loin, au chalet' de la Toune, accompllr --par amour

pour elle-- un travail considérable, peignant ses murs beaucoup plue vite qu'elle,m&me si elle avait dit "monts et merveilles du travail manuel" ( 53) • Et Réjean Ducharme n'est pas si oisif, lorsque, sans détenir d'emploi

"officiel", il produit cinq livres en huit ans ••••

Cet effort volontaire vers l'inaction cache des éléments de l'idéo-log1e que nou~ voulons découvrir. Comme tel, il apparente le monde des

Ferron au monde des assistés sociaux, qui sont de culture et de milieu

popu-\

laires, mais qui en ont perverti -- nous employons le mot sans nuance péjo-rative, dans son sens neutre~ les éléments, utilisant à d'autres fins tout ce qui avait été prévu k l'intention des travailleurs. Les promenade~ ~e ces

'"

dames, par exemple, qui passent leurs journées à "courir" les énregistr.ementa d'émissions à diyers postes de télévision ou de radio, semblent étrangement vides ~ ceux qui, de l'autre côté de la cloison, croient gagner leur pain à la sueur de leur front. Mais ce sont deux occupations finalement équivalentess deux absurdes, et peut-~tre deux prisons. En dehors de, l'Ouest montréalais, oh ils entretiennent des relations "réelles" qui transforment leurs rapports avec le paysage urbain, les personnages de Ducharme se livrent, chez eux ou en promenade, ~ des passe-temps d'assistés sociaux.'

lia habitent un quartier qui en contient plusieurs, le fameux

(23)

7 ?

,\

23

-Plateau Mont-Royal:

le côté nord de l'étage d'une ancienne clinique d' oto- . rhino de 1 t avenue de l'Esplanade. Entre les rues Duluth et Mont-Roy~, ~inquante vieilles belles maiaons s'épau-lent pour endiguer le bassin de nature déversé par la montagne; c'est là qu'on est.(54).

Pour se nourrir, ils ach~tent l'essentiel chez un Grec qui fait crédit (comme la plupart des assistés sociaux). Ceux~i côtoient, d'ailleurs,

dans "leurs" quartiers, plusieurs immigrants et des étudiante boursiers --catégorie à laquelle ont sans doute appartenu André et Nicole au cours de leurs Lehrjahre, et de laquelle ils refusent de sortir, puisqu'ils re-fusent d'entrer dans le monde adulte. Nous connaiasona déjà leur emploi du temps à l'intérieur de l'appartement: consommation de vieux f~lms, et d'annoncee exécrables. Mentionnons en outre le hockey télévisé, qU'ils suivent fid~lement, avec plus de ~laisir réel et 'moins ,d'ironie que les long-métrages vétuStes. Et bien sftr, la lecture de la Flore laurentienne 1 ou de l'encyclop4die Alpha, sorte de pfojet absurde plus-que-parfait, qui ne trouve 8a justification que dans l'idéologie, et que no~s examinerons au chapitre des réponses.

 l'extérieur, leurs excursions

4Prl

nt ont ni but sentimental (la

Toune, La.!nou) ni but fonctionnel (leur travail) les m~nent justement dans tous ces lieux et quartiers oh peuvent circuler en paix les asociaux, ~ntre

l'Ouest des bien-pensants nantie et l'Est des bien-peneants ambitieux. Il est significatif que leùr adresse, celle des ~1grante, des 6esietés et des dtudiants, les fixe juste à la frontthre de ces deux monde~, entre Ou-tremont et Rosemont. Ils iront, de préférenoe,

au ~orum voir jouer nos fr~res Mahovlich, au Café 79 prendre un BloocJ.y Mar;y (55) t

(24)

étu-'. 1 ( ,..;. J

-'.

.

..

, 24

-',r

4ianta de MeGill et les pauvres de MiJ ton-Park, puis vers leur alma mater, les Beaux-Arts. Ila manifestent une certaine tendresse pour ce territoire illogique et délabré, sur lequel ils ont modelé leur vie:

o

On descend le boulevard Saint-Laurent en faisant des zigzags pour dépasser les petites vieilles sans les jeter à terre •••• Des banques dominent les quatre coins de la plupart des intersections. Elles sont belles ••••

- ••• A Milton, on tourne ••• pour passer devant le cinéma Elysée ••• C'est beau. ,

~ On prend la cOte par la rue Clark pour passer devant El Cortijo pour que nos coeurs se serrent en respirant cette

ruine de notre bon vieux t~s.(56);

pas loin de l~, le restaurant MoisbeJs, ob ils emm~neront La!nou prendre un bon steak pdur 'lui remonter le moral(57); principale

art~re

dans l'axe

est-ouest, la rue Mont-Royal est aussi l'occasion de quelques ébats joyeux:

On a marché dans la rue Mont-Royal en s'imaginant qu'on était petits

comme

des poux. Les bords

des

trottoirs étaient des précipices qu'on descendait sans se soucier de leur abrupte verticali té ••••

On est 'entrés dans la tabagie Reynald Perreault •••• OD s'est rincé l'oeil sur les ja~uettes des paperbac~ for adUlts; ••• C'était le fonne.'5S);

de temps en temp., un saut vera la banlieue, lieu aftr parce que lieu

ano-~e (surtout le SOir):

Cette nuit, avant de rentrer, on a fait un détour par le Laval Bar-B-Q pour acheter Montréal-Matin pour voit si les Bruina de Boston avaient éliminé les Rangers de New

York.

(59);

'.

enfin, cette autre cachette qu'Offre la ville et où tout ae passe littéra-lement ,,~ un autre niveau",

~ / " ' ' '

t ,f"

le mét~o. Il n'illait nulle part. Il filait jusqu'au bout ' de rien puis il ~irait de bord et nous emportait juaqu'~

l'autre bout ,de rien. On ne s'est pas plaints. Bien au con-traire, 9& faisait notre affaire. Quand on en a eu assez on~ a débarqué. On s'est ramassés au HoneT Dew de la station

(25)

'}

- 25 ..

Une préoccupati~ à peine plus fonctionnelle --la liquidation rapide

et dérisoire de leur pick-up et de leur radia- l.es conduira sur la rue Craig, version moins agréable du Boulevard Saint-Laurent, puisqu'ici ila doivent par-1er aux vendeurs, alors que sur la "Main" ils se contentent de rega.rder les devantures comme on regarde des objets ~ariolés et amusants. Néanmoins, la rue Craig appartient toujours à cette région mitoyenne,' distincte de l'Ouest. et de l'Est "homogbnes". André et Nicole évitent toua les quartiers homog~nes,

,qui ont des rbgles de comportement bien définies, qui constituent un monde dans lequel il leur faudrait entrer. Par exemple, en se rendant chez les Juifs qui pr~tent ~ur ga.gea, ils se trouvent ~ deux pas du Vieux-Montréal,

\ .. -t

.

,

ob se regroupent, 'â 'ce,moment de l'~nnée, des milliers de jeunes, comme eux: ex-étudiants, formés aux arts, plus ou moins chômeurs. Mais ila n'iront pas

.

"

sur la Place Jacques-Cartier. Il n'en sera même pas question. Car le l'Vieux" est aussi "pur" que Jestmount ou Duvernay, le poids des conventions 80ciales

p~se sur lui; microcos~e qui,a conquis sa légitimité, il se prend au sérieux. Les Ferron n'y sera1ent pas ~ l'aise, il leur faudrait se prendre au sérieux

l leur tour, revêtir le masque de circonstance. Ils prendront plutôt unmalin , plaisir ~ l'arracher au pass~e:

Les hippies sont trop assis sur le trottoir aveo leur pick-up pour montrer qu'ils n'ont ~s peur de salir leurs jeans, ils aiment trop montrer que Rare Eart , Grateful Death (Sie), Led Zeppelin les font flipper. 61).

1

/ LI OUest .fait partie de leur monde contre leur , gré; il est le

résul-,

tat d'une obligation (sentim.sntale). L'Est est le résultat 'd,tune ob11gation ma-l

'1';-térielle: les deux endroits ob, an tant que correcteurs, André et Nicole ga-gnent de l'~gent, s'y trouvent. D'abord les Pet~tes Editions (Ducharme a le don des noms) dirigées par Roger Degranpré, sif.;es "A deux pâtés

(26)

i ~

..

,J.,. - 26 . (62)

de maisons de la station Frontenac" , pr~s de Sainte-Catherine; puis

-r'"

l'Imprimerie Mondiale --dont le nom mégalomane fait pendant à l'étiquette "réductrice" de la Inal.son précéden1iel-- qui elle loge "Dans le bo~t de Ville diAnjou,,(63)

~

Ils y corrigent Le réveil de Montréal-Nord. On se rappellera

le peu d'illusions qu'entretiennent nos deux anti-héros ~ur leur passe-temps

préf~ré, le visionnement des films infects, et on reconnaltra les m~es

"

accents dans le jugement qu'ils portent sur ce travail: Les IiIports et les potins artist,iques sont rédigés par une bande d'épais e,t corrigés pu une bande d'ignorant (SlC

9 '

ce qui fait gue les lecteurs

devienne~t une bande de crétins.\64). ~

Ils ne sont pas, eux, ni épais ni crétins. Il ne faudrait pas croire cepen-dant que c'est par une quel~onque conscience professionnelle qu'ils agissent:

On est contents quand on trouve une erreur. Ils sont contents qu'on prenne ça au sérieux tant que ça. (Ils pensent qu'on veut les aider; on veut

juste se payer leur t~te.)(65). >

La natu~e --qui n'est pas la campagne-- ser& abordée une fois. L'Hiver ne déborde pourtant pas les cadres urbains qui le façonnent, car cette nature est celle des citadins: sur l'Ile Bizard, à "Notre-Dame-du-Bord-du-Lacll (encore l'ironie ducharmaenne),

ra

Toune envahit le chalet de

S& m~re Poulette, baptisé Sam-Su-Fi (1), en tra1nant ses d~ux admirateurs

derri~re Ille. En bonn~ citadine, elle veut "se reposer", et en ci tadlns, 'l,

i18 iront "explorerll, co~e si la nature ~tait un autre monde, un

eJlviron-, nement irréel: pour ceux dont l'hOrizon est fait de bétoneJlviron-, l'herbeeJlviron-, l'air

~ pur et les arbres deviennent effeotivement, des anomalies merveilleuaes; oe l'qui était jadis le milieu naturel de l'ho~e est devenue une exoeption. Ce n'eat plUS la toret qui entoure la Yille, mais les villes Qui, par

arr1~re-1

1

1

(27)

2

27

-+.

pensée, se drapent d'un manteau de verdure, piquent par ooquetterie des arbres dans leurs boulevard.,

on traverse Sainte-Genevi~ve, o~ Montréal lance un pont pour faire passer l'excès de bungalows de sa banlieue nord(66).

,

La nature est dorénavant fonction de la ville,~t non l'inverse. Les protagonistes du récit n'ont pas d'illusions là-dessus non plus. Mais ils y go~tent, et sans doute ~ leur émerveillement de Montréalaia typiques se mêle-t-il une nostalgie d'anciens Maskinongéens émigrés ••• :

Que c'est beau du chiendent quand c'est haut, quand c'est assez dru et profond pour que le vent y roule comme sur l'eau.(67),

quoique le seul souvenir évoqué avec précision par rapport à la nature soit un souvenir de citadins en vacances:

On connait le nom de quelques fleurs et quand on les rencontre c'est comme si c'était elles qui nous reconnaissaient. Ça remonte ~ l'été qu'on a passé à Beloeil: on n'errait jamais dans les champs et ne suivait jamais les sentiers de la montagne sans notre Flore la~ntienne.(68).

Récapitulons maintenant ce que nous savons sur le monde créé par Réjean Ducharme autour d'Ândré et Nicole,

Dans l'espace, un monde exclusivement urbain, c'est-à-dire montréa-lais. Montréal se divise au fil du récit en trois rég1on~, ayant leurs

fonc-, tions distinotes. L'Est représente le gagne-pain des deux personnages; ilB ne s'7 rendront que pour satisraire cette obligation. L'OUest est le territoire de leura aventures sentimentales, soit avec Latnou

,

(par le bas) ou avec la Toune (par le haut), aventures malheureuses dont ils sont -les prisonniers: c.tte rfgion aussi ne .era fréquentée que lorsque Nicole ~drf éprouvent

(28)

\

\

28

-un besoin impératif. Entre les deux, la zone nébuleuse du Centre-Ville, qui est leur mili~ naturel, celui o~ ils évoluent à l'aise et oà ils trouvent une géographie adaptée

~

leur

stYl~e

vie. Cette zone s'étend d'Atwater (le Forum) k

S~int-Laurent,

et, du nord au sud, de Mont-Royal h Craig (d?UX rues commerciales). C'est une zone ,bariolée, sans grande

cohérence architecturale, ni cohésion humaine, peuplée surtout d'immigrants, d'aasistés $ociaux et d'étudiants boursiers. Les Ferron y ont fait leurs études, aux Beaux-Arts. L'impersonnalité du Centre-Ville leur plait, parce qu'elle n'exige d'eux aucun effort particulier de sociabilité, d'intégration sociale. Pour y circuler, ils emprunteront volontiers un moyen de transport public et anonym~comme le métro; ils fréquenteront de préférence les grands magasins (Pascal's) ou les grands restaurants (Moishe's), oh il y a foule. Ces promenades sont des splrales qui reviennent toujours à un centre, leur appartement de la rue de l'Esplanade, dont l'intérieur est maintenu ~ l'image du quartier: illogique, n'offrant aucune prise ~ l'enraCinement, l'attachement, la tradition, la convention. Ils ne s'éloigneront de cette zone centrale que par nécessité. Ou~r. l'lat et l'Ouest, qui satisfont ces néGe~sités"aucun

quartier "homogène" n'est fréquenté, pas m@me le Vieux-Montréal des étudiants et des artistes. Ducharme fera pénétrer ses personnages dans la nature, vers la ;fin du récit, mais il s'~it d'une nature captive, la nature "citadine".

Cet espace en trois parties est meUblé!nous l'avons vu, par des objets et des personnes qui s'apparentent au quartier. A OUtremont, une maison belle mais verrouillée, vue de l'extérieur (oelle de la Toune, rue Dunlop); un parc beau mais vide (~ndon-Johnson), aveo de belles plantes (le crocus qU'ils déposeront l la porte); une femme tr~s belle, mais au ooeur fermé

(29)

:

29

-(la Toune) , son compagnon intelligent mais superficiel. 4 l'Est, une impri-merie si tuée dans une banlieue

s~che

aux "trottoirs

ne~BIt (69~;

deux employées froides, désagréables (Marcella à la Mondiale, et Mal-Struée aux Petites. Editions). Dans le Centre, des établissements sans Ame tenus par des ~treB sans visage (nlvanka" au Honew Dew de la station G~, Reynald Perreault l la tabagie du

m~me

nom), des

u~nes ~ui

emploient des

immigra~,des

bis-trots sombres le jour comme la nuit.

Dans le temps, une divi8ion correspondant k celle de la géographie

urbaine. Les Ferron s'emplOient, soit à travailler (le moins souvent possible), à

soi t à réchauffer leur coeur près de la Toune ou~~chauffer celui de La!nou, soit, enfin, ~ flâner dans les rues du Centre ou dans leur appartement, devant la télévision. C'est une méfiance vis-à-vis la culture officielle, doublée d'une incapacité à S'intégrer vraiment au monde de la culture populaire, qui leur fait choisir cette curieuse oisiveté --qui n'en est pas une.

L'action est datée, par la fin: au dernier paragraphe du livre,

-o~ il nous donne son titre, le narrateur nous donne également la date du lendemain, "21 juin 1971,,(70). Elle s'est donc déroulée tout le long du prin-tempe; d'autres faits incidents, tel la participation de la Toune au festival de Cannes, permettent de le confirmer. André et Nicole ont "28 et 29 ans,,(71), et ils sont, s'empressent-ils d'ajouter, "pas mal pl~ieux que la Toune"; quelques pagea plus loin noue apprendrons que La!nou "eet plua 19ée" qu'eux (72); lea rapports d'inégalité entre oes personnages se tiennent donc

ju~que

dans lea caractéristiquea personnelles. Et noua avons oonstaté auparavant que l'Age des Ferron

corre.~ond

l celui

de

leur auteur(73).

(30)

"7 ... ..

-"

..

30

-Monde ém.tnemmi:mt "moderne", qui, Bemb le 8 t 8tre créé tout seul,

aans égard au pasaé québécois ou au passé individuel des Perron, qui semble n'exister que pour les besoins de ~'Hiver d& Force, ce monde, bien

sar,

n'existe pau: il est une création de Itesprit,comme toute fiction. Les élé-mente du monde fictif, qui sont les éléments d'un problhme entre l'auteur et le monde réel, sont présentés avec un pessimisme ~ peu pr~s universel, certai-nement volontaire, et qui prédestine l'interprétation qu'en donnera l'idéolo-gue. Décrit comme l'a décrit Ducharme, le Montréal de

1974

ne peut être expliqué que comme l'expliquera DuCharme.

4. Réjean Ducharme, L'Hiver de force,

(Pâris:

Editions Gallimard,1973).

5.

6.

7.

8. 9. 10. 11.

Toutes les notes ci-dessous et à la fin des autres chapitres qui ne comportent qu'un numéro de page renvoient à cet ouvrage.

,

Gabrielle Roy, Bonheur d'occasion, (Montréalt Editions Beauchemin, l val.).

Gabrielle RO~, "Le pays de Bonheur d'occasion", Le ~evo1r, LXV, No. (18 mai 1974 , 8-9. p • 136 p. 137 p.

71

p. 1'39 p. 210 1965, 114

"

_ _ _ _ _ _ IIIiIIIIIaI _ _ ... --.:...~_.

1

(31)

. e

)

31

-12. pp. 150-151. Notona pour la petite histoire que Claude Jasmin a bel

13. 14. 15. ·~16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24 .. 25. 26. 27. 28. 29. 30.

et bien occupé le poate de critique d'art ~ La

Presse, mads

aussi, que dans ses critiques littéraires, il a dit beauooup de mal de Réjean Dueharme et ses "calembours". Ici, l'auteur lui rend la pareille en le trai tant de "regretté", puia de "fort sur les oalembours

(S11

mais pas

sur les compliments" ! '

p.-' , 190" ... '\ ... p. 281

.

p.i 133 p. 134 p. 192 p. 76 p. 227. français p • 203 p. 188 p. 17 p. 66 p. 214 p. 21 p. )3

Sa tille, nous dit-on ~ la page 67, eet "bacheli~re de coll~ge

de WestmOtilit doublée d'une doctoresse de science politique".

pp. 188-189. Noua 8oulignoll8. p. 198

p. 198 p. 179

31. llobert Guy Scully, "Le Monde de Robert On,arlebo1a" t Le Devoir, LXV,

No. 102 (4 mai 1974), 13.

:: /

32. Robert Guy Scully, ilLe. Vertu" de l' o1ai l'et'", Le DeYo1r, LXV, No. 90 (20 avril 1974), 15 •

(32)

1

'_

33. 34.

35.

36. 37.

38.

39. 40. 41. 42. 45. • 6. 47. 48. 49. 50.

51.

52. p. 103 p.

76

p. 141 p. 76 pp. 202-203 p. 117 p. 105 p. 63 p. 213 Alain Bosquet, 20~ Notons que ."Catherine" et différents •••• " 32' -"

"Un éloge de la paresse", Le Monde, (li octobre 1973), le critique, de plus, ne semble pas avoir tr~s bien lu:

"La

Toune" lIont présentées comme des perso~

pp. 50-51. Ducharme lIoul1gne. \

~,_

p • 212. Le héroll d' Eus tao he , Alexandre, en dit autant. p.

53 •

)

p. 52 p. 145 p.

53

p. 94 pp. 16-17 p. 181

Js3. -

p. 244

54.

p.

34

55. p. 19

"

56.

p. 124

\::\

(33)

" .~ \ ~7. p. 209 .

58.

pp. 142-143 59. 60. 61. 62. 63. 64. j ' ~,

p. 102. A moins qu'il ne s'agisse ici d'un ~tab1issement situé dans le mbe quartier, rue Laval, ou encore du "Restaurant Laval Enrg. t

4493 St-Denis, 845-6950" que l'on retrouve dans le bottin de Montréal 1

p. 30 p. 146. Ducharme soulighe. • p. 68 p. 60 ,. \

\

61 p. 65. p. 62

...

,.

... 66. p. 236 67. p. 252 68. p. 254 69

1

p. 60 \

70.

p. 282

.

,

71.

p. 42 f

12.

p. 80

73.

voir 1 ~ ~tNdUlOtio.n, ain8i que ~ note

3.

-..

::r

"

(34)

,,(

\

I I

(35)

3

,1

35

-La description analytique du monde extérieur d~s L'Hiver nous & permis d'élaborer une explication des éléments recensés. Ce n'est pas tant cette explication-lk, cependant, qui constituera la meilleure introduction

"

au monde intérieur ducharmien, au coeur de l'idéologie, mais l'explication de Duoharme lui-m~e, k travers Bes personnages. Pour la dessiner dans ses grandes lignes, nous aimerions commencer par étudier les tout derniers 'lé-ments du monde extérieurs le corpe et la sensibilité de Nicole et André.

En effet, ne sont-lls pas extér~eurs à la Oonaoience, qui elle sécr~te

l'explication du monde et l'idéologie? Ils sont en fait k la fronti~re

de l'un et de l'autre, ~ cette ligne mince comme la peau où l'individu reçoit les messages du monde environnant, les ressent, puis les transme~ pour

interprétati;n~

Ja conscience. Tout le mécanisme explicateur et idéologique est conditionné par ces instruments délicats, et leurs pOBsi-bilLtés. I l n'est pas difficile d'imaginer, par exemple, qu'un être placé

d~B la m@me situation qu'André Ferron --et il s'en trouve sarement, vu les conditions sociales aotuelles-- mais doué d'une autre sensibilité, réagirait

~

différemfuent. Il serait m~e concevable qU'il substitue au pessimisme ducharmien un certain optimi$me l

Ce pessimisme est évident dès la prem1~re description que fait André de son pqysique:

Je suis bouffi et boutonneux, du nez, des joues, des fesses, tout partout. îa ne fait rien. Avec sa peau lisse et 8atin~e,

avec sa petite face de minoune, Nicole est en masse belle pour deux.C74), \

et les rétérences qU'il tera k sa sensibilité, plUS nombreuses, en seront

color~es. Pis, il ne fera plU8, sur le plan du s.y8t~e nerveux qui compl~te

(36)

36

-a donné aux Ferron la timidité excessive qui l'a rendu cél~bre contre son gré:

--Depuia qu'on est ça de hauts qu'on craint,

qu'on fuit, qu'on redoute, qu'on se cache partout, qu'on se serre l'un contre l'autre dans les petits coins pour pas que personne nous voiel(75),

et, de façon significative, c'est Nicole qui, ici, en fait état. OQnsé-quence de cette timidité, une gaucherie, une raideur qui confine ~ la para-1y81e, sorte de défense ultime contre les manifestations trop franches de la vie extérieure. L'érotisme, par exemple:

Ce n'est pas le désir de caresser notre Catherine qu'on n'a pas, c'est les mains; nos mains ne fonc-tionnent pas; les mains qu'on a c'est juste pour sauver les apparences.(76),

ou les je4,X en général. André se sentua mal, "persécuté,,(77), lorsque

',1 •

Catherine"voudra le faire danier sur la piste du Milnoir du Bord-du-Lac', au son de Release Me (encore l'ironiel), ou lorsqu'elle voudra le faire se rouler par terre dans le ~c Lfndon-Johnson. En guise d'excuse il dira que. "n'est pas enjoué qui veutu

(78).

Mais là-dessous couvent les feux de

l'humiliation caractéristique des grands timides:

,

J«a1s en m@me temps que nos coeurs fuient ce danger avec des battements de grandes ailes blanches, la honte et la col~re nous harc~lentl on est écoeurés

d'Atre ai épaiaser [sic) , introvertis, si peu en-joués, sportifs. (79)J

cette col~re retenue, autodestructrice, fissure parfois le mur nihiliste dont les Jerron-voudraient l'entourer. Comme Louis Chartrand, (le seul être de qui ils diront qu'il leur ressemble), ils ne peuvent "empêcher

l-le fiel qu'

:U.(;raVal.(n~

li. meaure de mouaser un peu aux coins de

~eurJ

bouche."

(80)~

(37)

37

-C'est alors un masochisme ~ toute épreuve qui s'exprime, parfois avec ironie --car'les deux personnages ont quand m~me conacience de valoir plus sur certains plans que leurs amis superficiels-- mais le plus souvent avec un mépris de soi profondément enraciné, dont on devine qU'il pousse en eux depuis l'enfance. Le IIfiel" en question laisse des traces partout, dans la prose de L'Hiver de force; dans leurs propres termes, les Ferron

( 8 1 ) ·

(82)

sont des "médiocres sublimes" ,de ~uvafs 3tres humains" ,des

(>83) (84) . (85)

"peureux" ,de "jeunes gAteux" , des "téteux épa~s" , des "per-dants_nés,,(86), des êtres "hideux, visqueux, encombrants, salissants,

vraiment pas serviables, utilisables, lavables, repassables, portablesll(87),

du "genre complexé, de ces personnes qui remettent leur mérite en question (88)

~ tout bout de champ;" •

André pousse l'acide perspicacité jusque dans sa relation avec Nicole, précisant que c'est "épouvantablement enn~ant de vivre avec moi"

(89), et n'acceptant pas que, par tendresse, elle lui fasse des compliments qui contrediraient la vision qu'il a de lui-même:

Nicole qui me regarde avec des grands yeux. de vacbe-qui-regarde-passer-les-trains pour me faire sentir qu'elle me trouve beau. Elle m'écoeure assez dans ces

temps-U~l (90).

Pourtant, un examen des autres remarques passées par le narrateur --remarques moins délibérées, celles-l~, et peut-8tre plue

révélatriceg--"

gur Ba personne et celle de 8a oompagne, pe~et d'atté~uer cette sévérité masochiste. Le probl~e ne 8er~-1l pas plutOt que les Perron gont, comme leur "dit toujours" Lalnou, "trop sensibles»(91) ? D'une

8~nsibil1té

exquise, quali té rare qui a fait de Réjean IAlcbarme un auteur génial et prôlifique,

(38)

38

-mais défaut malheureux lorsqu'il s'agit de composer avec le monde extérieur, pour survivre?

En effet, André ne dit pas que Nicole et lui "vivent" depu~s

trente ana, il dit que "ça fait presque trente ans qu'on surnage, qu'on ae cramponne pour pas s'étoufferl,,(92). Or, il sèmera au cours de son long monologue plusieurs indices qui laissent croire que son masoohisme, indéra-cinable, n'est:pas fondé, qU'il est le tragique résultat d'un malentendu

"

entre André et le monde: jeune, constatant ses d~fficultés de communication

l)

avec l'extérieur, il s'est tenu responsable, il s'est oru incapable de communiquer, alors que c'est le monde qui, en fait, était incapable de

-comprendre cette sensibilité délicate --et qui était coupable. André, sans ()

s'en rendre compte, se révèle sous ce jour à de nombreuses reprises, habituellement en voulant rire de lui-m~me (convaincu que sa qual~té est un défaut): "on est délicats,,(93), "on n'est pas des crue18,,(94), "Nous avons des natures insécures et immaturese,,(95), "Les prOblèmes, c'est

un~

chose qu'on n'est pas capables prendre.,,(96); et que penser du fait que les cris de la Toune --touJours près de sa crise nerveuse-- figent les deux

jeunes(97) ? Leur finesse de sensibilité, dont André ne dira jamais la richesse, quoique sa narration subtile et attentive en soit déjà une preuve, ne leur est d'aucun aecours'~ana ces situations violentes. Ils "prendront leur trou" avec la mbe gêne incontrôlable, lorsqu'une brute tel-le Pierre Dagan tel-leur dira de baisser tel-le son de la télévi8ion{98) •

Comment cette seneibilité facilement ~corchée s'y prendra-t-elle pour interpréter un monde cruel et froid, le monde urbain ? Ettpour a' expli-quer ell~-m@me ? Nous verrons qu'elle tente plusieurs "approchell", toutes

Figure

Table  des  mati~res

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