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Le droit et la promesse du collectif : le recours collectif au Québec

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LE DROIT ET LA PROMESSE DU COLLECfIF: LE RECOURS COLLECTIFAU QUÉBEC

CAROLE vOUNÈs Institut de droit comparé McGill University, Montréal

Août 1998

Athaissubmittedtothe Faculty of GraduateStudies andResearch in partial fulfilment of the requirements of the degree of Master in Law

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(5)

RÉSlfl\tÉ PRÉFACE Il\TRODLTCfION Il 5 6

CHAPITRE 1: L-\ PRISE ES CO!\1PTE PAR LE DROIT DE LA TEXTliRE COLLECTIVE DE LA SOCIÉTÉ

1- DE L'~DIVIDl"Al' l\tE:!\1BRE::

l~~ECONDITION A L-\ LUTTE CONTRE LES INÉGALITÉS

:\ - L'abandon de la fiction de l''indi\:idu

au profit de la réalité de groupe 7

B - Le changement de rationalité juridique:

l''intégration dans le droit deladynamique sociale Il 11- L'ADAPTATIOS DE L'ISSTITl'TIO~Jl1>ICIAIRE

Al'X l'iOl'VEAl:X ACTEURSSOCIAUX: LA RECONNAISSANCE PAR

LEJl"DICIAIRE DE LA DIl\tESSIOS COLLECTIVE DESCO~FLITS 16

:\ - L'adaptation du judiciaire aux nou"'eaux acteurs sociaux 16 1-De la justice« traditionnelle» à une «justice d'exception» 17

.2 -L-accès au.x tribunau.x des collectivités:

la revendication des intérèts collectifs

B - \"ers une reconnaissance de la dimension collective des connits: '" introduction du recours collectif

1 - La reconnaissance judiciaire du groupe ::2 - Le Fonds d'aide aux recours collectifs

19

25

26

JO

(6)

CHAPITRE 2: LA PROMESSE NON TEl"lJE DLT COLLEcrIF 33

1- LE DROIT ET LA PERTE DlrCOLLECflF 34

A - Lgexpression de la norme juridique:

la logique individualiste des droits 34

B - La mise en oeuvre dela norme juridique 37

n -

LE RECOURS COLLECflF Olï LA SElTRALISATlOS Dl: COLLECfIF 42 A - L"instrumentalité du collectif: le groupe

au service des droits individuels 1 - L' efficacité des droits

1 -L'autonomie aux dépens de

r

interdépendance B - Lacollectivisation sansle collectif

1 - Le recours collectif ne fait pas le groupe

a - Le tribunal. détenteur de la fonnule collective: la consrructionjudiciaire du h'Toupe

i. Être ou nepasêtre un groupe:

une fragil ité inhérente à son mode de constitution ii. L-envergure du groupe

b - Les grands absents: les intérêts collectifs c -Lalogique conflictuelle

1 -La procédure ci"ile et les conflits collectifs a - Le souci debonneadministration de lajustice b - La représentation adéquate du requérant c - Les exigences de la justice procédurale

43 44 50 53 5-1 55 58 59 60 60 62 6J 66

(7)

CHAPITRE J: LE DROrr COMMEREPRÉSE~7A TlON

Dr COLLECTIF

1- LERECOURS COLLECTIF AU SERVICED·UNE VISION

ATOl\USÉE DE L4 SOCIÉTÉ

:\ - :\ groupe fonctionnel. approche fonctionnelle B -La représentation abstraite d"intérêts

1 - Les inconvénients du nombre sans les avantages de l'organisation

:2 - Une société« anonyme»: réconomie de la panicipation

Il - D'I1\'DIVIDl' ..\ ME!\IBRE: l ïNENOUVELLEMANIÈRE

DEPENSER ETDE \'1VRE LES CONFLITS

:\ - t'ne nouvelle manière de penser et de gérer lesconflits 1 - Laprise en compte des intérêts collectifs

:2 - Le reCOU\Tement collectif

B -l;ne nou\'elle manière de vivrelesconflits:

vers un respect du caractère collectif de .·expérience 1- Le Recomme outil pédagogique

:2 - Le

Re

au service du ~Jf"oupe CO~CLl!SION BIBLIOGR-\PHIE

72

73 73 80 80 82 83 84 85 93 96 96 99 104 113

(8)

RÉSU1\fÉ

Nous prétendrons que la prise en compte parledroit delatexture collective delasociété constitue une conditionà sa contribution à lajustice sociale. Nous verrons. notammentà tnven l'institution du recours collectif québécois, comment ledroit étatique saisit cette réalité d'une société organique travenée par des conflits ayant pour origine des rapports sociaux inégalitaires. Nous montrerons qu'en privilégiant une vision atomisée de la société. le recours collectif échoue dans sa tentative de refléter la dimension collective des conflits; ainsi il De permet pas aux grouPes50CiaUXdépourvus d'organisation d'influer de façon significative sur les

rapports sociauL Nous montrerons toutefois.. que l'institution du recours collectif. par le déplacement qu'elle effectue de l'individu vers lemembr~contribueà une certaine visibilité des conflits sociaux; dès lors., elle est en mesure d' inOuer sur les acteurs sociaux et sur leur manière de penser et de vÏ\'re les conflits.

A BSTR.\CT

\\'e shall argue tbat. in order for tbe law to fulfill its task in tbe field of social justi~ it should take into account tbe collective structure of society. We will consider, especially througb Quebec's class action, bow state law grasps the reality of a eorporate society entranched with conflicts arising (rem unequal social relationships. We will demonstnlte that. in favoring a vision of society made of individual components, Quebec's clau action fails in ils attempt to reflect the collective dimension of conflicts. Hence, it does not allow unorganized social groups to influence social relationships in a significant manner. However we will argue Quebec's class action, in changing tbe focus from the individual to the member of the group contributes to a certain visibill)' of social conflicts. Therefor~ Que~"s class action an succeed in ~hanging social actors perception of conflicts.

(9)

PRÉFACE

Cette thèse, je la dois tout d'abord au Professeur R. l'Iactlonald. Grâce à la confiance qu'il m'a accordée et aux encouragementsetconseils qu'il m'a prodigués, j'ai pu" non seulement la concevoir mais aussi l'achever" quatre années après l'avoir commencer.

Ce travail m'a donné l'occasion de prendre le recul indispensable afin de penser le droit à partir d"une approche sociologique; il me permet surtout de poursui,'re ma réflexion. En efTet. le sujet de cette thèse est ,'aste; il pourrait alimenter ma réflexion et mon action encore de nombreuses années. Dans le domaine de la justice. action et réflexion vont en efTet de pair et c"est à ces tâches conjuguées que je tenterais de me consacrer.

Je souhaite remercier mon compagnon" 1\-lax. Sa présence. son soutien et ses conseils m"ont tant aidé. Ila notamment rempli avec patience la difficile tâche de relecture.

Je tiens également à remercier Eric ~Iendelshon"étudiant à la Faculté de droit de \lcGiII" qui fu~ grâce à la jurisprudence récente qu'il m'a expédi~mon lien avec le monde juridique québécois. Je remercie aussi Stephen Park pour avoir pris le temps d'interroger Soquij.

(10)

U'lTRODUcnON

Parler de promesse à propos du droit étatique peut apparaitre comme étant emprunt d"une certaine naïvet~ tout du moins par référence à certaines théories sociologiques. D'aucuns prétendront qu'il est inutile de chercher dans le droit officiel. celui de l"Éta~ce qu'il est incaPable de donner. La société ne manque pas d'ordres normatifs dans laquelle elle peut puiser les ressources pour se bonir.er. Pourtan~lorsque l'on aspire à une société plus juste et plus solidaire.. l'on ne peut ignorer la contribution de l''État. C"est essentiellement par son intermédiaire que les ~iétéscapitalistes ont pris un visage humain; la solidarité ~iale entre citoyens égaux et non pas le cadre de relations charitables s'appuie principalement sur un État intenrentionniste et redistributeur.

Toutefois.. penser les relations entre droit étatique et justice sociale nécessite une certaine lucidité sur le potentiel de transformation du droit; cela implique de repérer les relations de domination" les manipulations et la mystification dont le droit est l'objet; il s'agit de penser le droit comme un discours.

Les inégalités sont sociales, elles doivent être appréhendées en termes collectifs. Le droit est-il susceptible d'intégrer cette dimension collective pourtant étrangère à sa rationalité età sa logique? Cette question des rapports du droit étatique avec le collectif et, en particulier.. du judiciaire avec la dimension collective des conflits nous renvoie à "une des questions fondamentales qui se trouve au coeur du débat épistémologique sur

(11)

le droit: le droit doit-il refléter, intégrerla réalité sociale. s'adapteràelle, répondre aux besoins, faire preuve de souplesse et d'imagination ou s'agit-il d'un domaine ayant sa logique propre et qui tire sa légitimité justement de son indépendance, de son autonomie par rapport aux autres sphères et aux autres disciplines.

L'adaptation du droità la réalité sociale constitue une conditionà sa contribution à la justice sociale. Nous \'errons en effet que la vision du droit comme autonome et neutre a contribué à promouvoir les intérêts des puissants et à accentuer les inégalités. !'ous tenterons en particulier de montrer comment la reconnaissance de la structure organique de la société composée de groupes sociaux aux intérêts divergents al permis d'influer sur les rapports de force sociaux dans le sens d'un rééquilibrage.

Le recours collectif québécois constitue une illustration de cettecorrélation entre la prise en compte de la texture collective de la société et la lutte \-"Gotre les inégalités. En renvoyant ainsi à la dimension collective du conflit, il ambitionne de saisir l'une des caractéristiques majeures des conflits sociaux qui avait été jusqu'alors systématiquement évacuée par le judiciaire. C'est sans doute la raison pour laquelle il porte en lui une prom~celle de permettre aux membres des groupes non organisés d'être reconnus en tant que groupe, de pouvoir faire valoir leurs intérêts communs et d~innuersur les rapports de force existant au sein de la société dans le sens d'une répartition plus équitable entre les différents groupes sociaUx. Nous montrerons d'ailleurs que le recours collectif s'inscrit dans un vaste mouvement d'adaptation du droit et de l'institution judiciaire aux nouveaux acteurs sociaux. La création de droits

(12)

sociaux a été accompagnée par l'aménagement de règles de procédure etla

mme

en place de forums de résolution des conflits adaptés aux besoins des bénéficiaires de ces nouveaux droits. De même. un nombre croissant de groupes se sont vus autoriser 19

accès aux tribunaux en défense de leurs intérêts collectifs (Chapitre1).

Nous verrons cependant que malgré le fait que le droit semble aller vers une adaptation croissante à la réalité sociale, plusieurs visages du droit continuent à coexister. Nous verrons notamment quela norme juridique se caractérise par sa relative incapacité à incorporer la dimension collective à l'origine de sa métamorphose. Quant au judiciaire. il semble constituer le noyau dur de cette conception du droit comme poun'ue d'une logique propre. objective et déconnectée de la réalité. Cette conception est l''une des manifestations de l'archétype unitariste qui apparaÎt ainsi" au dire de nombre de sociologues du droit et selon la formule du professeur Etienne Lero)'" comme

« l''obstacle épistémologique majeuràlacompréhension dela véritable capacité du droit

à répondre aux attentes de la société.». Il semble que l'un des obstacles existant aujourd'hui à la conception d'un droit «flexiblen soit la croyance que la légitimité du

droit découle de son immuabilité" de son inflexibilité., de son isolement" et ce notamment dans la sphère judiciaire. Nous verrons en effet que le judiciaire a pour conséquence de substituer à une logique sociale et collective, une logique judiciaire et indn'iduelle contribuant à affaiblir les membres des groupes sociaux défavorisés et à fossiliser la dynamique sociale (Chapitre2).

(13)

~.

Enfin, nous verrons quelaproblématique du droit comBle répondant aus besoins ne saurait masquer que le droit est avant tout un diKoun. En effe~ et au delà de ses objectifs instrumentaux de répondre aus besoins sociaux, il se déploie à d'autres niveaux de sens: Comme institution créée par le législateur tout d'abord, il constitue un message que le politique par son intermédiaire a désiréém~adressereten ce sensilreflètele rapport au social à un temps T, l'air du temps en ce qui conceme le consensus social. Comme institution judiciaire. il vient investir le judiciaire de pouvoirs nouveaux, et notamment celui de gérer un conflit dans lequel est impliqué un groupe d'individus non organisé et à cetitreil permet d'appréhender lacapacité d'adaptation du judiciaire.

Au niveausymboliqu~il correspondà une certaine vision de lasociété puisque le RC vient consacrer une conception du collectif, le groupe comme véhicule procédural. choix qui en soi, n'est pas anodin. En effet, ilest artisan de la réalitésocial~dans le sens où il contribue à façonner une société atomisée dont les membres ne partagent que des actes de consommation communs. Par ailleurs, il contribue à mettre en évidence la dimension coUedive de certains conflitseten ce sens, il inDue sur les acteurssociauet sur leur façon de penseretde vivre les conflits (Chapitre J).

(14)

CHAPITRE t : LA PRISE EN COMPTE PAR LE DROIT DE LA TEXTURE COLLECTIVE DE L-\

socItTÉ

1""ous tenterons dans ce premier chapitre de mettre en évidence la corrélation existant entre la prise en compte de la texture collecmre des sociétés occidentales capitalistes par le droit etla quête dejusticesociale. Leconcept de justice sociale est ici envisagé comme rééquilibrage entre groupes sociaux de force inégale. Il s'inspire des idées de moyenne et d'équilibre développées par François Ewald c'est à dire «sans référence à une mesure fIXe et transcendant~mais par un constat régulier du rapport de la société à elle-même.))1. Il se aractérise par sa capacité à exprimer l'équilibre

toujours en mouvement des intérêts en présence. « La règle de justice ne peut résulter que d'un processus de négociation permanente))%. Dans cette perspectiv~ l'idée de justice sociale part du postulat que« les hommes ont une valeurégal~qu'ils ont tous un droit égal à la vi~que les inégalités sont sociales. imputableà la sociétéetàsa mauvaise

• • J

organISatIOn.••.

Ce lien que nous désirons mettre en lumière entre lutte contre les inégalités et collectif nous sen'ira de fil conducteur tout au long de ce tra\'ail. Sous "errons

1F. Ewald, L'Étatprovidence. Paris.. Grasset. 1986, à la p.583.

2 Ibid. à la p. 595: à la p. 582: « La règle de justice sociale n'a pas pour tâche de

donner sa cohésion à la société ci\'ile; elle doit permettre à chacun d'apprécier si la place relative qu"iI occupe dans le jeu des solidarités sociales est, ou non, juste. ).

(15)

notamment comment le droit étatique a été progressivement amené à intégrerlecollectif pour remplir le rôle qu'til allait jouer dans le domaine de la justice sociale (1). Sous verrons d'autre part, comment l'institution judiciaire a été conduite, à Partir du changement de rationalitéjuridiqu~à appréhender la dimension collective des connits

(0).

1 - DE L'U\TDIVIDV AU MEMBRE: UN PRÉ.UABLE A LA LUITECONTRE LES v..i:GALITÉS

Le principe d'égalité formell~ selon lequel le traitement égal de tous les individus par la loi suffisaità garantir l'égalité., a, pendant longtem~permis d·éluder les inégalités sociales dans la rationalité juridique et le discoun du droit. Nous verrons que ce principe a été remis en question par la reconnaissance de l'existence de groupes sociaux difTérenciés de force inégale auxquels se rattachent les individus". En effet, à mesure que la réalité de l'inégalité de fait entre les individus en fonction de leur origine et appartenance sociale s'lest faite plus visibl~ la prise en compte de la différentiation sociale inhérente à toute société~" ignorée jusque là pour les besoins de l''idéologie libérale, devenait incontournable (A). Cette réalité d'lune société organiquement

~Cette évolution est décrite comme le passage de l'légalité formelle à l'légalité réelle~cette dernière supposant la prise en compte par le droit des inégalités de fait entre les individus~ voir notamment T.H. Marshall"«Citizenship and Social Class )) dans

Soc;ologyalthe CrossnHlds andolberEssay§,London. Heinemann, 1950; M. Cappelletti et B. Garth, Ed., Access10Justice: A Wo,'d-Wi'dSUn'ey, Milan, Sijthoft 1978. 1978"J \'01.

~ Cette prise en compte ne passait plus par l'octroi de statuts sociaux difl'éreDu comme cela avait été le casà l'époque féodale, mais au contraire permettaitla recherche d~un certain équilibre et la lutte coDtreladominatioD.

(16)

inégalitaire a amené l"État et le droit étatique à intervenir dans des rapports définis jusqu"alors comme purement privés. intervention nécessitant une profonde mutation de la rationalité juridique(H).

A - L"abandon de la fiction de l''individu au profit de la réalité de groupe

L'économie de marcbé et la division du travail ont eu pour conséquence la disparition de groupes ou communautés féodales organisées hiérarcbiquement et coïncidant souvent à une localisation géograpbique. A ces communautés se sont substituées des classes fonctionnelles regroupant des individus occupant une place semblable danslasociété et ayant des intérêts communs'.

Toutefois, la reconnaissance de la différentiation sociale créée par l''économie de marché n'a pas été de soi: elle a nécessité l''abandon de la fiction de l''individu chère à l'idéologie libérale. qui a longtemps servi d"alibi à la domination exercée par les détenteurs des capitaux sur les autres groupes sociaux; cette idéologie a contribué à masquer la réalité de la division de la société caractéristique du développement des sociétés industrielles; elle voyait essentiellement dans l'émergence de l'État moderne et dans son pendant dans la sphère économique. le marché. de puissants libérateurs; ces derniers s,'aient en effet permis la destruction des chaÎnes économiques et politiques qui avaient emprisonné les individus dans les sociétés féodales. Cette idéologie reposait sur

6 G. Simmel, "On Individuality and Social Forms", Selected "'ritings, D.N.

(17)

une distinction stricte entre la sphère politique et la spbère économique; tandis que dans la première, représentée par l'État, régnait l'égalité entre citoyens matérialisée par l'octroi du droit de vote, la seconde était essentiellement régie par le marché aux vertus autorégulatrices età la neutralité politique incontestable.. L"idéologie libérale décri,'ait la société comme composée d'opérateun économiquesisolésentrant librement en interaction au gré de leurs préférences; elle s'accompagnait d'une certaine conception de l'État libéral dont le rôle se limitaità garantir les conditions dans lesquelles le marché pouvait opérer'. En outre. la doctrine de l'utilitarisme prêchait la maximisation du bien-être de l'ensemble de la société et voyait dans la croÏ!l8ance économique la clef du progrès !OCial; cette doctrine" en considérant la société comme un ensemble indifférencié. méconnaissait le fait que les bénéfices de la croissance étaient souvent résen'és à une minorité prÏ\'ilégiée; quant aux segments les plus vulnérables de la société. ils supportaient l'essentiel des conséquences fâcheuses de l'économie de marché.

L"évolution vers la prise en compte des divisions sociales a nécessité l'abandon de l'illusion entretenue par les théoriciens du marcbé et les philMOphes politiques libérauL C"est aux analyses marxistes que nous devons la mise en évidence d'une structure sociale non pas composée d'individus atomisés mais de groupes sociaux et plus particulièrement de classes sociales. Ces analyses ont montré que l'origine des inégalités prévalant au sein de la société ne se trouvait Pas uniquement dans les dispositions naturelles ou la chance des individus; elles avaient des causes structurelles et notamment la division du travail

(18)

qui déterminait la vie de l'individu en fonction de la classe socio-économique à laquelle ce dernier appartenait.

De plus, les effets sociaux d'une croissance économique brutale et désordonnée-ont cdésordonnée-ontribué à la visibilité des liens entre les causes et les conséquences de la situation de classe. Cette visibilité a constitué un facteur déterminant dans l''émergence d9

une conscience de classe qui a été à l''origine de l''inftuence croissante exercée par les groupes d'intérêts. Cette mobilisation a également été rendue possible par l'idéologie libérale qui a octroyé à des groupes. jusque là exclus de la sphère politique.. le droit de participer dans le processus démocratique'. Cette conscience de classe. au départ limitée aux principaux rouages du système capitalisme. a été progressivement étendue à d'autres groupes sociaux davantage conscients de leur poids politique et surtout de l'absence de neutralité de l'État.

L'on mentionnera également les analyses marxistes et néo-marxistes qui attribuent les acquis sociaux de la classe ou,'rière aux besoins de légitimation de la classe dirigeante; elles ont en effet le mé~ite de souligner l'interdépendance des différents groupes sociaux qui caractérise l'ensemble des sociétés humaines que ce soit les communautés du ~'1oyen-âgeou aujourd'hui les États providence. L'État providence constitue à cet égard selon l'analyse de Richard \1. Titmuss. la compensation

H~'Iax Weber" Selection in Transllllion" \\'.G. Runciman" Cambridge.

(19)

indispensable à la dépendance que le capitalisme avait créée et doit être

considéré comme intrinsèque au fonctionnement de nos sociétés modernes.

En outre, l'État a joué un rôle significatif dans la multiplication des groupes d'intérêts et le développement en leur sein d'une conscience de classe, liée à J'existence d'intérêts communsetà la nécessité d'une action concertée" ; en effet et pour les besoins de l'application de ses politiques sociales, l'État a été amené à "découper l'espace social en catégories"Il de sorte à créer de nouveaux groupes fondÏolinels doat le candère

artificiel cède rapidement la place à des expériences et des préoccupations communes1%.

~entionnons également que la conjoncture économique a eu pour effet de créer de nouveaux groupes sociaux que l'État est venu réglementerlJ•

Ainsi, la reconnaissance de la différentiation sociale a contribué à rendre le pouvoir plus visible permettant la mise en évidence des inégalités entre les divers groupes composant la société. A partir de ce constat et sous la pression des groupes sociaux, l'Etat et le droit étatique ont été amenésàintervenir dans ce qui était désormais perçu comme des relations de pouvoir entre les différents groupes sociaux composant la

10 M. Oison. The Logic of Collective Action, Cambridg~ Han'ard University

Press., 1971.

Il F. Dumont, «Approche des problèmes sociaUX» dans F. Dumont et al. dir..

Traité des problèmesSOCÛlllX.Institut québécois de rechercbe sur la culture. 1994. 1à la

p. 11.

12 Par exemple. le groupe des bénéficiaires de l'aide sociale.

(20)

société. Dès lors, lavoie était ouverteà la prise en compte parledroit des intérêtsetdes besoins des groupes sociaux qui avaient jusque là été ignorés.

Cette intervention de l'État a nécessité une recGnceptualiatioD du rôlede l'État et une transformation de la rationalité juridique: en effe~sans une telle transformation.. on ne peut comprendre l'emprise croissante du droit sur lesdivers domaines de la vie sociaJe ainsi que J'influencedes groupes sociaux dans500 élaboration. Dès lors.. et pour

être en mesure de saisir l'utilisation du droit comme instrument de réformessociales., il convient d'analyser ce phénomène qui a nécessité la remise en question d'un certains nombre de paradigmesetnotamment celui de la division entresphère publique et sphère pri'·ée.

8 - Le changement de rationalité juridique: l'intégration dans le droit de la dynamique sociale

Dans la rationalité politiquelibéral~ le droit avait essentiellement pour fonction de délimiter un ordre distinct de la morale et de la politique. de séparer le contrôle de la légalité du contrôle de l'opportunité·". Dans ce contexte idéologiqu~ l'État devait s'assurer que l'individu dispose d'une aire d'autonomie. qu'il puisse jouir d'une certaine liberté que l'octroi de droits était sensé lui donnerl!i. Ainsi, s'est développée une science juridique dont l'ambition fut de construire une ligne de partage claire entre droit public

... Ewald.supranote l,à la p.477.

(21)

et droit privé, avec comme fondement idéologique de séparer strictement le droit de la 1"" 16

po Ihque •

En effet, la distinction entre domaine public etdomaine privé ne fait pas partie de ces distinctions qui ont leur origine dans quelque matrice naturell~et qui son~dès lors. intemporelles et universelles. Certains besoins idéologiques et politiques ont menéà l'émergence de cette distinction; il s·agit essentiellement des théories de la souveraineté et l'émergence de l'État-Nation et sa réaction~à savoir le développement d'UD effort pour maintenir des sphères privées distinctes en dehors de l'autorité de l'État17•

Le paradigme du marché a également contribué à renforcer le domaine privé. censé être neutre et apolitique et distribuer les bénéfices au mérit~duquel le politique était naturellement exclu. On sait quece belédifi~à peine monté. présenta des fISSures sur l'ensemble de ses façades: le déclin du paradigme de la neutralité du marché et la

phase de monopolisation par les grosses entreprises sont venus mettre en évidence les liens existant entre pouvoir économique et pouvoir politique: on comprit égalemen~

lorsque le droit privé fut utilisé pour faire échec aux réformessocialesltJ~qu'il constituait en réalité davantage un instrument au 5en-ice des classes dirigeantes. Plus significatif encore sur le plan de la science juridiqu~ les classes dirigeantes bénéficiaient de la complicité de l'État qui" sous couvert de neutralité, consacrait le droit de propriété

16 Ibid.

17 1\1. Horwitz. "The History of the Public 1 Private distinction" (1982) 130

Vniversit}· of Pennsylvania Law Review 1423.

(22)

comme droit fondamental; des sanctions étaient en outre imposées en cas de violation de ce droit de sorte que l'on en lintàconsidérer le droit privé comme délégation du pouvoir public·'. C'est ainsi que si le droit privé était lui-mêmeleproduit d'une politique dontles

effets étaient d'al'ancer les intérêts d'une certaine classe. il ne constituait plus ce bastion neutre dont l'État était nécessairement exclu.

Cette constatation a eu pour conséquence de permettre une modification radicale de la rationalité juridique: désormais. le droit ne serait plus exclusivement considéré comme une science autonom~en marge de la morale et de la politiqu~ pour venir se confond re avec ces dernières. En mettant en évidence les rapports étroits qu'entretiennent le droit et la politique. on fut en mesure de concevoir le droit comme instrument ou véhicule d'une politique sociale; dans cette conception, le droit a pour objectif d'introduire des règles conformes à la conception du bien commun dans des domaines jusque-Ià laissés en théorie à la discrétion des acteurs sociaux mais en réalit~ gérés par les détenteurs du pouvoir économique. Le principe de l'unité et de l'uni\'ersalité du droit était également remis en question avec le déclin de l'idée de l'autonomie du droit; si le droit se confondait a\'ec la politique et épousait les contours de la vie social~ les divisions sociales existant au sein de la société ne pouvaient être ignorées par le droi~ contribuant ainsi à rendre irréalisable le principe de l'unité du droit2o•

19 Morris Cohen, cc Property and Sovereignty and The Rasis of Contract» dans

Lawa,uJthe Socilll Order, 41 et 69, 101 (1933) cité dans O. Kennedy, «The stages of the decline of the public/private distinction», 130University of Pennsylvania 1349.

(23)

La distinction entre l'Étatet la société s'est ainsi trouvée emportée par la même vague que celle qui rendait obsolète les divisions entre sphère privéeetsphère publique et entre droit et pouvoir2l• C'est cette remise en question qui a rendu possible l'intégration dans le droit de la dynamique sociale. et l'émergence de l'idée que le droit reflète la réalité sociale. A partir de œtte conception de la société comme source ultime du droi~ l'on comprend que tout était prêt pour l''intervention du droit étatique dans des rapports jusque là tenus comme purement privés; Les rapports de travail., ceux entre producteurs et consommateurs ou encore entre propriétaires et locataires ont dès lors été appréhendés comme des rapports de nature collective dont la réglementation intéressait la société toute entière.

De même. cette conception rendait possible le rôle qu"allaient jouer les groupes sociaux se trouvant dans une position économique d"infériorité dans l''adaptation du droit aux besoins et intérêts de leurs membres. Cette mutation du droit étatique a en effet permis aux groupes sociaux de participer à la tâche d"élaboration de la norme juridique et d"exercer une influence croissante dans la sphère politique. Cette participation des groupes sociaux défavorisés par le biais de l''action collective a constitué., à cet égard" le médium privilégié par lequel les demandes d"égalité et de justice sociale ont trouvé à s"exprimer.

législation ou une réglementation

<_)

trouve son principe dans une division sociale., l'idée d'un droit civil suppose unitéet unification.".

(24)

Au Québec., la tendance à la prise en compte croissante des inégalités entre les différents groupes sociaux, s'est concrétisée par l'adoption de lois à partir du début des années 1970 visant à promouvoir la protection des groupes défavorisés. Cette législation s'inscrit dans un contexte politique de modernisation dans lequell'Étar2 a joué un rôle essentiel dans le passage d'une société encore fortement traditionnelle à une société technocrate capitaliste; c"est ainsi que l"Etat québécois allait réaliser en l'espace d'à peine deux décennies., la fusion entre le politique et l'économique caractéristique des États providence. Ce renforcement de l'État, caractéristique de la période de la Révolution Tranquille et qui fut poursuivi dans les premières années du règne du Parti

Québécois., a eu comme corollaire la responsabilité accrue de l'État dans la subsistance et le bieneêtre de ses citoyens. L'État est intervenu par l'octroi de droits particuliers à des indi\'idus sur la base de leur appartenance à une catégorie socio-économique2J considérée de façon générale comme défavori5ée; l'intervention étatique s'est également manifestée par voie de délégation en octroyant à certains groupements le droit de défendre les intérêts de différents segments de la population2".

22 Ils'agit ici de l'Etat provincial mais il convient de souligner l'influence décisive

que l'Etat fédéral a joué dans l'adoption d'une législation sociale; voir sur ce point F. Lesemann" Se",ices and Circuses: COmlflUnil)' and the JJi!lfare Slale" Montréal" Black Rose 800~1984.

2JLesgroupes bénéficiaires de ces nouvelles mesures sociales sont déterminés par

les divisions socio-économiques prévalant dans la société; les critères ethniques ou culturels ne sont pas pris en compte, tout du moins en ce qui concerne les mesures sociales à proprement parlées.

2..G. Rocher" « L"emprise croissante du droit)) dans F. Dumont, dir..,1Asociété

(25)

C'est donc dans un contexte de reconnaissance du caractère fortement différencié de nos sociétés que l'on a assisté à la prise en compte croissante par le droit des inégalités structurelles ainsi qu·. la participation des groupes sociaux d.ns l''élaboration des règles qui affectent leur vie. Nous aimerions à présent montrer comment ."institution judiciaire a été amenéeàemboiter le pas c'est à dire à intégrer la dimension collective des rapports sociaux. Nous verrons dans quelle mesure la dynamique de différentiation introduit dans le droit a touché la sphère judiciaire (A) et ce" notamment., dans le cadre de l'institution du recours collectif québécois(B).

fi - L"ADAPTATION DE L'INSTITUTION JUDICIAIRE AUX NOUVEAUX

ACTEeRS SOCL\l~: L.\ RECO~~AISSA~CE DE L.\ DIME~SIOS

COLLECTIVE DES CONFLITS

:\ - L"ADAPTATIOS Dl·JrDICLURE..\l~ SOl~~Al'XACTEl~SOCL<\FX

~ous verrons en effet que la transformation de la rationalité juridique a contraint le judiciaire à s'adapter: le législateur est intervenu afin de rendre les tribunaux plus accessibles aux nouveaux droits età leurs bénéficiaires(1); d'autre part, il a octroyé à certaines collectivités le droit d"ester en justice en défense de leurs intérêts collectifs(2).

(26)

1 - Dela justice« traditionnelle» àune (( justice d'exception »)

La dynamique de différentiation introduite dans le droit a nécessité une remise en question de l'institution judiciaire telle qu'elle avaitété conçue par lepaISé. En effet. à mesure que le droit tentait de remplir sa mission de protection des groupes \'ulnérables et de rééquilibrage dans des relations sociales inégalitaires. il est apparu que cette nouvelle fonction nécessitait l'adaptation de l'institution judiciaire; cette dernière ne pouvait en effet continuer à ignorer l'inadéquation entre !la logique individualiste et élitiste d'une part et les nouveaux droitsetleun bénéficiaires d'autre part. D'ailleurs. le mythe de l'unité du droit sitôt battu en brèche. ce fut au tour de celui de la neutralité de la justice procédurale d'lêtre remis en question.

Au Qué~ ces deux phénomènes se sont produits conromitamment: la création de droits sociaux a été accompagnée de l'aménagement de règles de procédure et la mise en place de forums de résolution des conftits auxquels ces nouveaux droits étaient susceptibles de donner lieu. C'est ainsi que l'octroi de droits aux consommateurs a conduit à l'institution de la Cour des petites créances. la Charte des droits et libertés de la personne à la Commission des droits de la personne, les dispositions protectrices des droits des locataires ont été prises concomitamment à l'institution de la Régie du logemenL

(27)

Cette telldance nOIl5 apparait tout à fait signiflaltive d'une démarcbe par laquelle c'est l'institution qui s'adapte aux besoins de la ,oie sociale et non l'invene~. En effet. la résolution des conftits privés a longtemps été articulée sur la conception classique de la procédure civile; elle est basée sur une relation triangulaire composée de deux individus. les plaideurs., représentés par des avocats. et d'une tierce-penonne. le juge, chargé d'arbitrer entre les prétentions des parties. Cette conception. qui correspondait aux besoins d'une époque et à une rationalité juridique particulière a longtemps prévalu comme mode principal de résolution des conflits: c'est à partir de ce modèle qu'ont été conçues les réformes visant à démocratmer la justice dans le sens de permettre à un nombre croissant d'individus de pouvoir accéder à l'institution de la justice.

Toutefois ce modèle advenarial a été progressivement remplacé par un mode davantage inquisitoire: en effet. les juges mieux informés et en présence de règles procédurales plus souples ont été amenés à jouer un rôle beaucoup plus actif. voire parfois à remplir une mission liéeà la protection du groupe social "isé par la législation protectrice. Cette é"olution a consisté notamment dans le déplacement progressif de la

« justice traditionnelle )) représentée par les tribunaux judiciaires à une

« justice d'exception )) créée à l'intention des nouveaux acteurs sociaux. Il semble que. sur cette voie, la boucle soit en passe d'être bouclée puisque l'on s'oriente vers un

~ Les résultats controversés d'une institution comme l'aide juridique sont significatifs d'une telle démarche; cette dernière tend à négliger l'ensemble des faeteun autres qu'économiques qui barrent l'aeris à la justice pour certains segments de 1. population: elle ne prend notamment pas en compte l'inadaptation des institutions judiciaires. telles qu'elles existent. aux besoins SOCiauL

(28)

retour2

' à une justice non pas uniformisée mais plurielle eu égard à lamultiplicité et à la

diversité des besoins de justice. Cette évolution est venue répondre au souci d'adapter l'institution judiciaire afin de permettre aux individus titulaires des nouveaux droits, de pouvoir les exercer effectivement au besoin par l'intermédiaire d'une action en justice; elle suppose que lonque le conflit apparaÎt, il soit géré principalement comme un conflit opposant deux individus et leur appartenance à des groupes différents aux intérêts divergents n'est que peu prise en compte. Dans cetypede démarcbe.1a nature collective du conflit n'apparaÎt pas sinon en filigrane puisque seul l'individu se voit faciliter l''accès aux tribunaux aux fins de l'exercice du droit dont il est le titulaire. Nous verrons à présent dans quelle mesure les collectÏ\-ités et leurs représentants se sont vus autorisés l'accès aux tribunaux en défense de leurs intérêts collectifs.

2 - L'accès aux tribunaux des collectivités: la revendication des intérêts collectifs

L'on peur remarquer à cet égard que les groupes sociaux n'ont pas bénéfICié dans les sphères juridiques officielles d'interprétation et d'application des normes de la légitimité qu'ils avaient obtenue dans l'arène politique: l'autonomie de l'ordre juridique impliquait que le droit se devait d'être au dessus du politique; dès lors, elle reposait sur la possibilité de rendre des décisions impartiales sur la base du couple preuve et norme préexistantes censé être le seul guide des tribunauL Les groupes sociaux ont en effet longtemps été tenus à distance des spbères où le droit s'appliquait. Dès lors, guidés par

26 Retour en effet si l'on se réfère au caractère local et contingent que ledroit

(29)

un effort d'étendre les droits et les prérogatives de leun constituants. ilsont eu comme terrain de prédilection le politique. C'est ainsi qu'ils se sont exprimés da"antage pour faire des demandes sur le politique afin de transformer le droit et de s'assurer une représentation accrue. Au Québec, sur le modèle européen. les demandes de justice sociale ont été principalement acheminées par le canal politiqueZ'. Comme l'écrit le sociologue Guy RocherZ8: "Les conflits de la société québécoise sont souvent datés par le

numéro d'un projet de loi: "Bill 60", Loi 22, lAi 101" Loi 178, le rapatriement de la Constitution canadienne. et la liste pourrait s'allonger avec les lois relatives aux conflits du travail et aux politiques sociales.".

La justice légale est quant à elle restée la cbasse gardée de l'individu titulaire de droits individuels; la préoccupation centrale était en effet de s'assurer que les individus pouvaient utiliser le système afin de faire respecter les droits dont ils étaient bénéficiaires. Cependant le développement de l'instrumentalisme de même que la prise de conscience de la frontière extrêmement ténue entre droit et politique ont menéà une intervention croissante des groupes sociaux dans les domaines desquels ils avaient été traditionnellement exclus. Les revendications des groupes sociaux d"une participation accrue dans l'élaboration et l'interprétation des règles les affectant ont conduit à les

27 La tradition américaine semble., quant à elle, avoir privilégié les forums

judiciaires et administratifs. Aux États-Unis, Les forums de résolution de conflits sont davantage perçus comme instrument de réforme sociale; ils ont notamment été intégrés dans les années 70 par les cc public interest advocates )" comme un élément de la lutte politique visant à rééquilibrer les pouvoin entre groupes sociaux; voir D.M. Trubek. « Critical moments in Access to Justice Theory: The Quest for the Empowered Self)) Dans A.C. Hutchinson, Dir~Acceu10civiljllSlice..Toronto, Carswell., 1990, 119.

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associer aux processus de prise de d~.ionsdans les différentes parties où le droit se jouait.

Cette volonté d'accéder au forum judiciaire s'explique également par les limites de l'action politique des groupes d'intérêts. Le besoin s'est en effet fait sentir de donner aux membres de ces groupes un instrument supplémentaire pour conforteretdéfendre leurs droits: ila tout d'abord été coDstaté que les coalitions ou groupes d'intérêts qui ont été actifs pour l'adoption d'une loi, peuvent ne pas avoir la même audience au stade de l'application de cette loi; dans ces condition~les pressions exercées peuvent ne pas être suffasamment fortes pour quela législation en question soit effectivement suivie d'effet29• D"autrepa~la participation des groupes d'intérêts au processus politique nécessite une conjoncture favorable qui peut faire défaut par exemple en période de récession. De plus, dans de nombreuses hypothèses.. il n'existe pas de groupes organisés pour pou"oir prendre efficacement la défense des intérêts d'un groupe social déterminé dans le cadre d'une négociation directe avec des groupes plus puissantslO•

Toutefoi~ pendantlongtem~la défense des intérêts collectifs n'a pasété admise de,'ant les tribunaux: ces derniers ne connaissaient que deux types d'actions: celles en défense des intérêts individuels et celles en défense de l'intérêt public usurées par le ministère public. Cette attitude ne tenait pas compte des intérêts de groupes se situant

29 ~I. Friedman"supra note 26.

JO Louise et David Trubek. "Lajustice des tribunaux au sen'ice d'une société de

(31)

entre l'action étatique, qui engage l'ensemble de la collectivité et l'agir atomisé des citoyens qui y poursuivent des objec=tifs individuaIisésJ'. Elle s'articulait en effet sur

deux hypothèses bien distinctes: soit le cas était présumé êtrela propriété de la personne lés~qui pouvait décider ou non de poursuivre; soitil appartenait au public en général auquel cas, il ne pouvait y avoir d'action en justiœ que si une agence publique le décidait. Cette attitude. qui trouvait son origine dans la distinction entre sphère publique et sphère priv~ devait être remise en question avec l'accroissement du domaine d'intelVeotion de l'État; ce dernier a d'ailleurs été appelé à s'étendre à la sphère privée de sorte que l'on est venu à considérer un nombre croissant de rapports privés comme intéressant l'intérêt généraL Dès lors, les activités des agences publiques pour faire respecter les lois d'ordre public ou, plus généralement. les réglementations concernant l'intérêt général ont été amenées à se multiplier. Toutefo~ les moyens limités affectés à la défense de l'intérêt général face au nombre considérable de réglementations étatiques, rendaient impossiblelemaintien du monopole des organismes publics sur la défense de l'intérêt général à moins de ruiner les efforts déployés par l'État pour intelVenir sur le champ sociaL

Dans ce contexte. I~on a admis que la défense de l'intérêt de la collectivité soit également assurée par des organisations représentant les groupes protégés par les réglementations étatiques; ces dernières étaient autorisées à invoquer, au delà du préjudice personnel subi par leurs membres, l'atteinte aux intérêts collectifs du groupe

JI J.G. Belley. Conflit socialetplllnllisme juridiqlle en sociologiedu. droù, Thèse

de doctorat, Paris, Université de droit. d'économie et de sciences sociales., 1977,cité dans P. Verge,« L'action d'intérêt collectif))(1984)25Les Cabien du droit 553 à la p. 554.

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considéré. L'élargissement du droit d'agir en justice soit par des législations spécifiques, soit par une interprétation judiciaire libérale. a en effet permis l'accès aux tribunaux à un nombre croissant de représentants de l'iDtérêt collectif. Au Qué~ les syndicats professioonels32, les associatioDs de salariés33, les ordres professioDoels.J.I se sont "US reconnaître le droit d'ester eD justice en défense de l'intérêt du public et de ceus de la collectivité qu'ils représentent. Par ailleun. des groupements ne bénéficiant pas d'une autorisation expresse d'agir en justice en défense des intérêts collectifs. se sont vus reconnaître un tel droit par la jurisprudence; cette dernière a en effet reconnu ce droit par l'intermédiaire notamment de la vérification de la concordance entre l'intérêt collectif poursuivi et les objets du groupement tels qu'énoncés dans sa charte de constitutionJ5• ED matière de contentieux administratif, une disposition législative

expresse est "enue octroyer à un contribuable le droit d'ester en justice en défense de l'intérêt général; en vertu de ce texte. il est autorisé à agir en vue de rechercher la nullité d'un règlement d'une corporation municipale pour le motif d'ultra "iresJ6• En

matière constitutionnelle. la Cour Suprême s'est montrée depuis 1975 libérale concernant l'intérêt à agir dans l'intérêt public ou en défense d'intérêts collectifs; elle a octroyé ce droit à des individus et à des groupements privés sans que leurs droits personnels n'aient été violés ou qu'ils aient subi un préjudice spécial, distinct de celui du

32 lAisur les syndicats professionnels., S.RQ... c.s-40, art. 9, parage Il. I IEn vertu du Code du travail.

34Code des professions, L.R.Q.. c.C-26.

l~ Association Espaces veTts dII Mont Rigaud Inc. c. Go/db/oom. (1976) C.S. 293;

Association des gens de l'Ai, du QllébeC Inc. c. Lang, (1977) 2 C.F. 22, p.25 (obiter);

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reste du public)'. La Cour a" parla suit~ étendu l''interprétation libérale dORDée à la règle du standing en matière constitutionnelle, au contentieux administratif. Elle a admis expressémen~à côté de l''exigence traditionnelle d'un intérêt direct et penonnel.ledroit d'agir en justice en défense d"un intérêt public appartenant à un groupe déterminé de la populationl8• Dans certains pays d"Europe continentale. les organisations de

consommateurs ou celles dont l''objet est la protection de l'environnement se sont ,tues reconnaÎtre le droit d'ester en justice en défense des intérêts collectifs de la collectivité

, , 39

representee .

.J6 Loi sur les cités et les villes. I...R.Q..,c. C-IJ, Art. 411.

Ji Thonon c. Procureur Général du CtllUlda" (1975) 1 R.D.C. 138; dans cette décision, la Cour a reconnu le droit des citoyens à ce que le parlement agisse conformément à la Constitution même s"ils ne sont pas affectés de manière exceptionnelle par la législation attaquée; dansl\iova Scotitl BotI,dsofCensors c.MC1"eil"

(1976) 2 R.C.S. 265" la Cour a jugé dans le même sens malgré le fait qu'il existait en l'espèce des groupes de personnes particulièrement affectés par la législation ou qui auraient pu l'être; voir également MiflÏStl'J' of JlISlice ofCtllUlda c. Bo,owsld. (1981) 2 R.C.S. 575 (Cour suprême) en matière d'application de la Charte canadienne des droits de la personne; jurisprudence commentée dans G.D. "'aoon et al... Civil Litigation.. 4e éd.,Toronto, Emond Montgomery publications limited.. 1991 àla p. 643.

38 Finlay c. Ministre des jilUlllCes du CalUldtl, (1986) 2 R.C.S. 607: «The

respondent must tberefore

<_)

rely for standing on wbat is essentially a public interest in the legality of the federal cost sbaring payments. albeit that of a particular class of the public defined by the Plan as penons in need. )); commenté dans Watson" Ibid.

39 En France, la loi no7~1193du 27 Décembre 1973 dite Loi Royer, (1973)J.O."

14139, donne aux organisations de consommateurs représentatives certifiées le droit d'ester en justice dans des affaires impliquant da faits directement ou indirectement préjudiciables aux intérêts collectifs des consommateurs; de mêm~la loi du 10 juillet 1976, art. 40 et la loi 76-1285 du 31 décembre 1976 octroient un droit d"agir en justice aux associations agréées ayant pour objet la protection de la nature et de l'en~·ironnement.En Allemagne (Loi du 9 décembre 1976" (1976), 8GB1.1 3317) et en Israël (Loi de 1982 sur les contratsd'adhésion~la loi octroieà des associations certifiées le droit de porter en justice des violations à la réglementation en matière de contrat d'adhésion; législation citée dans M. Cappelletti et B. Garth, « Finding an appropriate Compromise: A Comparative Study of the Individualistic Models and Group Rights in Civil Procedure)) (1983) 2 Civil Justice Quaterly III à la p. 128..

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Le recours collectif semble s'inscrire dans une démarche similaire puisqu'il vient octroyer aux groupes non organisés le droit d'accès aux tribunauL Nous examinerons donc à présent. à travers l'étude de l'institution du recoun collectif, comment le législateur en reconnaissant le groupe inorganisé est venu mettre J'institution judiciaire en mesure de connaÎtre du caractère collectif des conOi15.

B - VERS l~~ RECO~~AISSA.~crDE LA DIMENSIOS COLLECln~ DES CONFLITS: L'INTRODUCTION DU RECOURS COLLECTIF

Deuxtypes de raisons sont invoquées pour justifier de l'adoption de la loi de 1978 sur le recours collectif au Québee:

- l'impuissance de l'individu dans ses rapports av~ les groupes organisés, notamment lorsqu'il s'agit de faire valoirsesdroits devant les tribunaux. Dans ce sens. le but recherché est de contrebalancer le pouvoir économique et politique d'organisations puissantes" entreprises commerciales dotées de la personnalité morale ou appareil étatique et bureaucratique. ainsi le recours coll~fvise à compenser le manque de ressourc~ d'infrastructures et l'insuffisance de l'intérêt en jeu des groupes

• • , ~o

lOorganases .

40 Voir par exempl~ Québee, Assemblée national~JOIlI7UÛ des délNus, à la P. 3261, intervention de Mr Fabien Roy, député: "Permettre aux citoyens de se regrouper, de se structurer, au point de devenir une force respedable pourvue de moyens d'action efficaces lui permettant d'obtenir justice."; Voir aussi ~I. Galanter, « Delivering Legalityl some Proposais for the Direction of Research n, special 1976. Il Law and

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- la réalité de l'économie àgrande échelle et de la production de masse'" d'une part et de la ",'ie sociale organisée autour de groupes sociaux. intermédiaires entre l'État etles individus d'autre part.

Ce qui apparait caractéristique de la démarche adoptée par le recours collectif par rapport à d'autres institutions"z" c"est qu"il permet aux groupes dépoun-us d"organisation de s'élever au niveau de leur adversaire afin d"être en mesure de le combattre à armes égales..J• et ce essentieUement à travers les deux innovations que constituent la reconnaissance judiciaire du groupe (1) et le Fonds d'aide aux recoun collectifs(2).

1-La reconnaissance judiciaire du groupe

Le recours collectif permet d'intégrer dans la procédure judiciaire la dimension collective des litiges opposant entreprises commerciales ou publiques et consommateun

-41 Voir dans ce sens. Qué~ Assemblée nationale. Journal des débats" (16 mai

1978) à la p. 1478. intervention de ~Ir Serge Fontaine. député: " (••• )mesure de justice sociale qui s'impose dans nos sociétés actuelles de consommation.". Voir aussi. Cappelletti et Garth"supra note39.

-62 L'on pense notamment à la Cour des petites créJlnces; dans le cadre de cette instance. les aménagements procéduraux, interdiction de représentation par avocat ou procédure inquisitoire. visent essentiellement à neutraliser l'avantage de l'advenaire, entreprises commerciales ou État. en supprimant ce qui lui permettait d'exprimer sa supériorité.

..3 Voir sur cette idée de miseàniveau" laproposition émise par Galanter de faire

en sorte que les parties acquièrent les compétences nécessaires et soient en mesure de s'organiser afin que les législations sociales puiuent remplir leurs promesses; M. Galanter,supra note 41.

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d'une part et État et citoyens. d'autre part. Ce type de litiges se caracté. . . par le fait que l'acte dommageable affect~ non pas un individu isolé. mais un groupe.... dont les dimensions peuvent être très importantes et dont les membres sont, pour diverses

raison~ peu susceptibles de participer à la procédur~ difticilement joignables. ou non

identifiables"~.

Lerecours collectif rend possible la poursuite judiciaire decetacte dommageable au nom des membres du groupe victime sans que le consentement et la représentation personnelle de ces derniers ne soit requ.'". Lejugement qui sera rendu dans lecadre d'une procédure de recours collectif liera tous les membres du groupe à moins que ces derniers ne se soient volontairement exclus conformément à la procédure prévue par la loi.

.... Pour que le groupe soit reconnu comme tel et qu'il puisse bénéficier des dispositions du recours collectif~ les recours individuels des membres doivent soulever des questions de droit ou de fait identiqu~similaires ou connexes: art. 1003 a) C.p.e.: « Les recours des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes; •••

..~ La composition du groupe doit être telle qu'elle rend difficile ou peu pratique l'utilisation des autres procédures de regroupement prévues par le Code de procédure

civil~à savoir le mandat spécifique ou la jonction des parties: art lOOJ c) C.p.e.: "La composition du groupe rend difficile ou peu pratique l'application des articles 59 ou 67;"

~:\ l'art. 999 d)C.p.e.~le recours collectif est défini en ces termes: "Lemoyen de procédure qui permetà un membre d'agir en demande. sans mandat, pourlecompte de tous les membres."

(37)

Le recoun collectif constitue une innovation dans le droit québécois et

ce.

à plusieurs égards: il rend tout d'abord possible la prise en compte de la dimension collective"n que revêt un grand nombre de litiges dans nos sociétés de consommation et permet une approcbe d'ensemble plus adaptée a ce type de litiges. t\insi" il exprime le souci d'équilibre entre groupes organisés et inorganisés qui semble avoir guidé le législateur québécois; il suppose en effet l'introduction de souplesse et de flexibilité dans la représentation judiciaire du groupe inorganisé afin de lui permettre, sinon de rivaliser avec les groupes organisés.. du moins de pouvoir oser les défier. Le recours collectif rend également possible les actions dans lesquelles l'intérêt en jeu est trop faible pour justifier une action individuelle. D permet en effet de répartir les frais entre les membres du groupe et surtout de constituer une force plus à même d'affronter un ad\"ersaire souvent puissant et organisé. Dans ce sens. le recours collectif reflète la préoccupation que les droits dont sont bénéficiaires certains groupes sociaux ne restent pas lettre morte. Il est en outre susceptible de jouer une fonction dissuasive non négligeable, eu égard notamment à la menace de sanctions tant pécuniaires que symboliques qu'il fait peser sur les défendeurs potentiels. Le recours collectif permet de combiner les avantages de l'action compensatoire et celle de l'action punitive puisque c'est la perspective de la compensation qui lui assure son caractère punitif et dissuasif. Dès lors, le recours collectif est susceptible d'être perçu par les acteurs sociaux comme

"7

L'on mentionnera cependant pour mémoire que la loi de 1982 modifiant la Charte des droits de la personne prévoit la prise en compte de la dimension collective que peut revêtir les conséquenœs d'actes dommageables; elle prévoit notamment la mise en place de programmes d'accèsà l'égalité visant un groupe-cible sans que ses membres aient besoin d'être identifiés comme victimes de l'acte de discrimination, objet de la plainte.

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suft""lS8mment menaçant pour qu'ils ajustent leur conduite afin de ne pus'exposer i la sanction.

Dès lors. l'on comprend que le recoun collectif ait pu être envisagé comme substitut adéquat à l'action publique; en effetd'une part. il est concerné par les actions dommageables ayant des conséquences sur un groupe usez large d'individu; d'autre part il permet. par le jeu du regroupement de l'ensemble des demandes de compensation, une sanction pécuniaire et symbolique assez dissuasive. L'on a d'ailleurs assisté, lors des débats parlementaires, aux tentati\'es des groupes d'intérêts liés au monde des affaires de maintenir la distinction entre actions compensatoires et actions punitives: ils prétendaient que les achons punitives devaient rester bors du domaine de compétence du r~oun collectif: Cette préoccupation qui s'appuie sur la distinction entre droit privé et droit public ne pouvait être retenue et ce pour les motifs suivants: le recours collectif jou~ à travers la compensation qu'il requiert du défendeur, le rôle habituellement dévolu au ministère publi~à savoir celui de répression et de dissuasion. Le problème des groupes représentants les milieux d'affaires était qu'ils ne pouvaient raisonnablement contester ouvertement l'effet dissuasif du r~urscollectif sans mettre en cause leur bonne foi; de plus. invoquer l'aspect punitif du recours collectif se trouvait être en porte-à-faux avec le but visé par la loi, à savoir, permettre la compensation lorsque les intérêts en jeu sont trop faibles pour justifier des poursuites individuelles.

(39)

2-Le Fonds d'aide aUI recours collectifs

Il ressort des débats parlementaires que la création du Fonds d'Aide aux recours collectif visaità compenser l'absence au Québec d'une tradition particulièrement vivace aux États-Unis: celle du financement des actions en défense des intérêts collectifs par des fondations d'intérêt public. Par ailleurs, le Fonds vient compenser l''absence du système de«contingency fees )) qui constitue une incitation de taille aux États-Unis; il permet en effet à ."avocat d'obtenir un pourcentage important des dommages et intérêts octroyés au groupe demandeur. Ces préoccupations rejoignent le souci des promoteurs du projet d'adapter une institution d'inspiration américaine qu'est la "cla55 action" au contexte particulier du droit québécois. La création du Fonds s'inscrit en effet dans la tradition étatiste québécoise dans laquelle l'État assume la responsabilité de promou\'oir égalité et justice sociale.

Cet organisme semble à première vue répondre aux mêmes objectifs que la loi sur l'aide juridiqu~ à savoir mettre à la disposition de ceux qui désirent intenter un recours en justice mais qui ne disposent pas des moyens financiers pour lefair~ une aide financière. Cependant et à la différence de l'aide juridiqu~ l'intervention du Fonds prend en compt~ non pas uniquement les ressources financières dont dispose le requérant., mais aussi ses moyens relativement au coût de la procédure et l'importance

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des bénéfices escomptés par le requérant.... Par conséquent la logique qui préside à l'octroi d'une aide fmancière par le Fonds n'est pas seulement de mettre le requérantà égalité avec le justiciable moyen en lui offrantla possibilité d'accéderaUItribunaux; eUe

vise en outre à le mettre au niveau de son advenaire, organisé et puissant. D s'ensuit. à notre sens. une modification de l'économie générale de l'assistance rmancière de l'État en matière d'accès au tribunaux; dans cette conception~la dynamiqueet les termes de la relation conftictuelle sont explicitement pri5es en compte; il s'agit donc d~une démarche beaucoup plus articulée quant à l'identification des causes de l'inégalité des citoyens devant la justice.

A de rares exceptions près., l'ensemble des groupes d'intérêts qui ont eu l'occasion de s'exprimer sur le projet. ont accepté le principe d'une aide financière au requérant. Toutefois. il a été suggéré d'en modifier la port~ soit en résen'ant l'inten'ention du Fonds après que le jugement d'autorisation ait été rendu~soit en en faisant bénéficier le défendeur. Aucune de ces suggestions. qui auraient pu avoir pour efl'et de restreindrela portéede la réforme~ n'ont en définitive été retenues.

Le Fondsa~ au delà de son rôle fondamental de rééquilibrage, une autre fonction qui est. elle aussi, caractéristique des boule"ersements que connaÎt la procédure ci"ile: l'indemnisation du Fonds se justifie également par la fonction que remplit le représentant comme au..,i1iaire du ~Iinistère public ou comme Ministère public de

-18 Loi sur le recours collectif, LQ. 1978. Ce 8. art. 23: "Pour détermiDer s'il

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caractère prive"'". Dès lors. il s'agit pour l'État de créer les conditions qui pennettront aux acteurs sociaux de prendre le relais de son rôle de garant de l'intérêt général en les incitantàagir lorsque cet intérêt est en jeu.

Le collectif, nous 19avons\-"119a constitué une prom~celle de pouvoir agir sur les déséquilibres inbérents aux relations sociales. Cette promesse s9est manifestée par l'appréhension de rapports. considérés et gérés jusque là comme des rapports interpersonnels. comme des manifestations de relations entre groupes sociaux au pouvoir inégal. Elle a ouvert la voie à 19intervention croissante de 19Etat et du droit étatique dans le sens d 9un rééquilibrage des rapports SOCiaDL De même. elle a entraîné dans son sillage l'adaptation de l'institution judiciaire qui ainsi de\'enait plus sensible aux rapports de force collectifs et aux différentiels de pouvoir entre les différents groupes sociaux. Plus spécifiquement, nous avons vu que cette corrélation constatée entre la prise en compte de la dimension collective de certains conflits et 190bjectif de rééquilibrage dans des relations sociales inégalitaires était à la base de la création de ."institution du recours collectif.

, -'9Cette dernière terminologie est employée dans le Civil Rigbts Act de 1964 des Etats-enis qui prévoit le remboursement des frais d'avocats au motif que les plaideurs n'agissent pas seulement pour leur compte mais remplissent cette fonction de ministère public de caractère privé; voir Friedman..supranote 26.

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Et pourtant, il semble que ~ette promesse du collectif, que le droit 5eIIIbiait pouvoir contribuerà~oD~rétiser.. n'a pas été menéeà son terme. En effet.. nous tenterons de montrer dans ce second ~bapitrela relative incapa~itédes Dormes juridiques et de l'institution judiciaire à faire une place à l'action collective et à intégrer la dimension collective des conOits.

CIL-\PITRE Il: LA PROMESSE NON TENUE DU COLLECfIF

Il apparaÎt don~ que le droit, en dépit du cbangement de rationalité que nous décrivions dans le ~hapitre l, a rarement été en mesure de traduire les cbangements pour lesquels les groupes sociaux s'étaient mobilisés. La norme juridique s'est notamment caractérisée par sa relative incapa~itéà incorporer la dimension collectiveà l'origine de sa métamorphose (1). L'on observe d'ailleurs une tendance du droit à décontextualiser les réformes sociales c'est à dire à les appréhender en faisant abstraction des mou,,·ements collectifs qui.. en les portantà bout de bras.. ont contribué à leur éclosion·. Afin d'identifier les causes de cette perte du ~ollectirqui nous semble caractéristique de la norme juridique" il convient d'appréhender cette dernière dans deux de ses phases: ~elle de son élaboration (A) et celle de sa mise en oeuvre (B). Nous verrons d"autre part. à tra\·ers l'institution du r~urscollectif, comment le judi~iaire

contribue à neutraliser le collectif; ~etteneutralisation s'effectue notamment par le jeu

JF. Dumont.ccQuelle ré\'olution tranquille)) dans F. Dumont~dir••suprachap. 1 note 24 à la p. 13: cc L'État Providence contribue à refaire le tissu social en

programmant des sen·i~es et une répartition des ressour~ ~ollectives.Il s'agit, en

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de l'instrumentaWiation du collectif qui, vidé de 58 substance. se trouve réduit à un

simple véhicule procédural(ll).

1- LE DROITETLA PERTEDUCOLLECfIF

A L'EXPRESSION DE: L-\ NOR\Œ JURlDIQlŒ: L-\ LOGIQl~

L~DMDUALISTEDES DROITS

Nous l'avons dit. la promesse du collectif a été essentiellement concrétisée par le biais de la participation des groupes sociaux dans le processus de prise de décisions politiques. Et pourtant, il apparaÎt que dans le processus d'élaboration de la norme à proprementparl~les groupes sociaux sont tenus à "écart ou insufrlS8mment associés de sorte que la norme ne reflète pas toujours leun intérêts. En effet, la norme reflète rarement. explicitement si ce n'est pas du tout.. les objectifs tirés de la défense des intérêts du groupe qui avaient pourtant justifié son introduction!.

De plu~ la démarche qui consiste à cristalliser l''objectif social de rééquilibrage sous forme de nonnes juridiques a pour conséquence une fossilisation de la dynamique sociale. [n effet. la traduction de la norme a.. la plupart du temps, pour effet de

2 Voir dans ce sens P. Gabel, ( La conception de la culture et de la pratique du

droit comme intenrentions culturelles») 361 37 Revue Droit et Société 379: «Au lieu de refléter la dimension plus profonde de transformation sociale du mouvement ouvrier. le droit du travail en est venu à définir les buts propres des travailleurs comme étant simplement des salaires plus élevés et des conditions de travail Bloins dangereuses. buts qui.. en grande partie. étaient déjà compatibles avec une vision réformée du système capitaliste existant.».

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l'individualiser et de ne pas tenir compte explicitement des motifs qui ont été à !IOn origine3• Le mouvement qui a mené à la reconnaissance de droits sociaux ,rient illustrer cette perte du collectif. Le groupe n'est apprébendé que comme un instrument pour sonder les différentiels de pouvoir au sein de la société. Dans une société où l'autonomie individuelle est érigée en valeur suprême. il faUait s'usurer que l'individu pouvait. seul et indépendamment des autres membres du groupe. faire valoir les droits dont ils étaient bénéficiaires". Dès Ion. bien que l'octroi de droits sociaux s'appuie sur l'appartenance à un groupe social déterminé, ils ont été conçus pour être exercés individuellement indépendamment du groupe dontilstirent leur origine.

Or" il s'avère que l'octroi de droits individuels aux membres de certains groupes désavantagés de la société n'a pa~ à lui seut. pour effet d'influer de façon significative sur les déséquilibres gouvernant les rapports sociaux. En apprébendant l'inégalité sociale dans sa dimension individuell~c'est-à-dire cristallisée dans les relations non pas entre groupes mais entre individus", le droit contribue à négliger la dimension avant tout collective des conflits sociaux!i. Dès lors. en permettant à l'individu de revendiquer de

J On remarquera qu'à l'inverse.. les conventions internationales.. normes

considérées comme les moins contraignantes dans le corpus juridiqu~privilégient les déclarations de principes sur le détail des obligations mises à la charge des parties; l'on peut donc observer qu'à mesure que la nonne se fait plus détaillée et précise, elle acquiert une existence propre qui peut avoir pour conséquences de la transformer elle-même en fin au détriment de la finalité recberchéeàl'origine.

~ Ce que le droit collectifsup~ à savoir" une procédure de décision collective n'est pas compatible avec la pbilosophie des droits qui suppose un exercice laissé à la libre appréciation et à la discrétion de l'individu; voir Buchanan" "Assessing the Communitarian Critique of liberalism", Etbics, An intemational Journal of Social. Political and legsl PhilO5Opb)"" vol. 99, JuiL 1989" no 4àla p. 863.

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