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Petite histoire de la polychromie architecturale

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Gwendoline l’Her

To cite this version:

Gwendoline l’Her. Petite histoire de la polychromie architecturale. Architecture, aménagement de

l’espace. 2012. �dumas-01833357�

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Petite Histoire

de la Polychromie Architecturale

Mémoire Master Architecture sous la tutelle de

RÉMY JAQUIER

ECOLE CENTRALEDE NANTES

ECOLE NATIONALEDÊARCHITECTUREDE NANTES

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ÿ Color in architecture began and ended with De Stijl. Earlier and later it is decoration or it is the usually quiet colors of materials. Ÿ

Donald Judd.

LÊaffirmation de lÊartiste Donald Judd dénote dÊun rôle mi-nime que porte la couleur dans lÊhistoire de lÊarchitecture en général. En effet cÊest sur un ton provocateur quÊil réduit la couleur dans lÊarchitecture aux seules fluvres du groupe moderne dÊartistes hollandais. Ce quÊil nomme la couleur silencieuse est la teinte intrinsèque à la matière et ce quÊil entend derrière le mot décoration reste finalement vaste et difficilement définissable, car elle semblerait être toute la couleur qui ne soit ni matérielle, ni, comme on le verra par la suite, autonome vis-à-vis de son support mural. Donald Judd, reprend les propos de Théo van Doesburg paru dans la revue De Stijl. En effet le peintre hollandais classifie la couleur en architecture en trois catégories : la couleur orne-mentale, la couleur rationnelle et la couleur plastique. CÂest sur les bases de cette citation que jÊai mené ma recherche autour de la place de la couleur dans lÊarchitecture en pre-nant appui sur les discours de quelques théoriciens qui ont marqué lÊhistoire de lÊarchitecture. LÊobjet est ici de voir quelle importance a eu la polychromie dans la conception dÊédifices auprès dÊarchitectes, pour ensuite sÊinterroger sur la manière dont celle-ci était considérée par les architectes, notamment pour comprendre sÊil est aussi évident que la couleur a un statut dÊornement. Le choix des auteurs a été fait de manière variée : cela a pu être le résultat immédiat dÊune nécessité au vu de lÊinfluence actuelle, ou au grès des

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lectures certains auteurs récurrents sont apparus indispen-sables alors que dÊautres sont intervenus par les hasards des bibliothèques. Les architectes retenus sont Jacques-Ignace Hittorff, Charles Garnier, Eugène Viollet-le-Duc, Gott-fried Semper, Adolf Loos, Le Corbusier et Théo van Does-burg. Enfin la décision dÊétudier une période de près dÊun siècle vient de lÊhistoire même de la notion de polychromie architecturale. Elle intervient dans les discours français au début du XIXème et sera ensuite employée par les histo-riens de lÊart et les architectes, jusquÊà la publication de lÊarticle de Le Corbusier qui porte tout simplement le titre de Polychromie Architecturale paru en 1931, au moment où le mouvement De Stijl se terminait.

1 DONALD JUDD, ÿ Some aspects of color in general and red and black in

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La notion de polychromie est introduite dans les discours en France au début du XIXème siècle. Il est convenu de retenir le 17 octobre 1806 comme première apparition de ce terme dans les discussions académiques1. CÊest lors dÊune confé-rence à lÊinstitut, que lÊhistorien de lÊart A.-C. Quatremère de Quincy transporte le terme polychromie dans la langue française. Il est constitué du grec πολύς (beaucoup) et χρώμ (couleur). Quatremère utilise en fait une transposition des mots usuels Polychromie en allemand et polychromy en an-glais afin de présenter ses études sur la coloration des sculp-tures antiques. Ses recherches sÊinscrivent dans une lignée dÊobservations de la fin du XVIIIème initiée notamment par les anglais James Stuart et Nicholas Revett qui consta-tèrent des traces de couleurs sur le temple dÊIlissos. La popularisation des voyages du grand tour dans les milieux aristocrates dès le XVIIIème permirent le recoupement dÊobservations qui allaient bouleverser le monde artistique en remettant en cause lÊidéal classique. Cet engouement pour ce mystère modifia la perception de lÊart antique et participa à révolutionner les démarches dÊétudes archéo-logiques. En effet jusquÊà la fin XVIIIème, la connaissance de lÊart grec était issue des sources indirectes que sont les

1 ROBIN MIDDLETON, ÿ Colour and Cladding in the ninteenth

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textes littéraires antiques et les copies de marbre romaines connues depuis la Renaissance. Cependant la mise en avant dÊune coloration des sculptures et des édifices entraîna une controverse houleuse autant chez les historiens de lÊart que chez les artistes et les architectes qui sÊintégraient dans un lignage néoclassique. Ce mouvement émergea vers 1750 jusquÊà 1830. Il sÊopposait au baroque et romantisme. La découverte des sites antiques de Pompéi et dÊHerculanum vers au XVIIIème siècle insuffla un nouvel esthétique fondé sur la quête dÊune virtuosité des techniques et des canons, la perfection de la ligne étant primordiale. Le succès du néoclassicisme résulta en partie par la revendication dÊune rupture sociétale et à la réappropriation par les révolutions des valeurs de la démocratie grecque et de la république romaine. Le doute de la couleur antique introduite dans les milieux artistiques, et face à un modèle antique vacillant, chacun voulu vérifier. Les jeunes architectes partaient étu-dier à Rome et en Grèce les bâtiments antiques pour par-faire leur formation et ils en profitèrent pour procéder à un grand nombre de tentatives de reconstitution de poly-chromie. Les ÿ envois de Rome Ÿ, composés essentiellement dÊaquarelles étaient présentés dans les salons en vogue aux XIXème. Ces travaux, très contestables du point de vue archéologique, nourrirent les imaginaires et influencèrent les architectes dans leurs fluvres futures. Les historiens reconnaissent lÊimportance de la relation entre lÊarchitecte, lÊarchéologue et le voyageur dans le renouvellement des réflexions architecturales de lÊépoque. LÊHistorien Winc-kelmann participa aux fouilles du site archéologique de Pompéi identifié par le texte de Pline en 1765. Tellement impressionné par ses trésors antiques, il entreprit de diffu-ser les données extraites pour prétendre à une idéalisation de lÊart. Finalement il est frappant de constater, cÊest à quel point lÊassimilation dÊune découverte archéologique puisse provoquer une modification profonde de lÊesthétique du XIXème.

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ÿ Cependant, lÊétude des monuments italiens contri-bue pendant tout le siècle à lÊenrichissement de la pra-tique architecturale, en tant quÊinépuisable source de références. Notamment, lÊintérêt des architectes pour la polychromie doit beaucoup aux relevés faits à Pom-péi, aux travaux de restitution des couleurs des temples de la Grande Grèce ainsi quÊà la découverte des mo-saïques de Venise ou de Monéale. Ÿ1

Les découvertes archéologiques successives furent diffi-cilement acceptées, et une scission chez les savants et les ar-tistes vit le jour entre partisans dÊune antiquité polychrome et celle dÊune antiquité de marbre étincelant.

Deux éléments majeurs ont nourri la controverse : la première est une lacune dans la diffusion des découvertes archéologiques. Accepter la couleur des temples antiques exige une confrontation visuelle ; la difficulté à représenter une couleur par des mots oblige un rapport direct entre le lecteur et lÊimage. Le langage permet rarement de cerner une teinte, une vibration, une saturation, ce que lÊflil per-çoit instinctivement. LÊexpérience sensorielle est le meil-leur vecteur des théories sur la polychromie architecturale. Et en ce sens, la communication des résultats archéolo-giques ne sÊappropria pas suffisamment le pouvoir de lÊico-nographie. En réalité lÊimprimerie nÊoffrait à cette époque que peu de support de diffusion polychrome adapté. Pour colorer les illustrations, il fallait que les gravures une fois

1 ALICE THOMINE-BERRADA, conservateur au musée dÊOrsay,

commis-saire de lÊexposition ÿ lÊItalie des architectes. Du relevé à lÊintention Ÿ, Exposition du 7 avril au 23 août 2009

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imprimées soient peintes à la main. Il faut attendre 1830 pour que la chromolithographie introduise véritablement lÊimage en couleur dans les imprimeries.1 Cependant la contrainte financière limita les historiens et les architectes à son recours systématique. Ce problème technique va contribuer à laisser une empreinte dans les traditions de représentation dÊarchitecture en Europe. Il est en effet remarquable comme lÊobserve Gérard Monnier2, que la majorité des revues dÊarchitecture européennes soit en noir et blanc jusque dans les années 1960 alors que dès les an-nées 1940 les revues américaines ont utilisé lÊimpression couleur. LÊimpact sur les méconnaissances des travaux par leurs contemporains des réalisations de polychromie archi-tecturale est considérable. De plus cette absence dÊicono-graphique amenuise fortement le nombre de données pour les reconstitutions et les travaux des historiens actuels.

Le second point essentiel est la remise en question des pratiques esthétiques du XIXème. De fait le néo-classi-cisme se révèle être rapidement en décalage vis à vis des découvertes archéologiques. Or les théoriciens néoclas-siques proclament une pratique équivalente à celle de lÊAntiquité. Il sÊavère néanmoins comme lÊexplique Ade-line Grand-Clément que ÿ cÊest lÊesthétique contemporaine qui projette ses propres canons sur une Grèce classique imaginée, réinventée. Ÿ3 La polychromie architecturale fait éclater les entrelacements entre les deux esthétiques. Les principes fondamentaux du XIXème auxquels se réfèrent nombres dÊarchitectes sont inspirés des traités de Vitruve interprétés à la Renaissance. En outre cette idée dÊéquivalence fut

ren-1 ADELINE GRAND-CLÉMENT, ÿ Couleur et esthétique classique eu

XIXème siècle : lÊart grec antique pouvait-il être polychrome ? Ÿ, 2005 2 GÉRARD MONNIER, ÿ La couleur absente Ÿ, in Le Corbusier et la cou-leur ; les rencontres de la fondation Le Corbusier du 11 et 12 Juin 1992

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forcée par le texte de lÊhistorien Johann Joachim Winckel-mann, Geschichte des Kunst paru en 1763. LÊidéal classique se résume alors dans la phrase ÿ eine edle Einflat, und eine stille Gröβe Ÿ1. La correspondance entre musique et couleur est ici présente, Winckelmann glorifie une vision achroma-tique, pure et atone de lÊart grec. La beauté classique prône la blancheur étincelante du marbre dévoilée par la lumière. La Renaissance reconnaissait également une fascination pour la lumière et donc pour le blanc, notamment Alberti qui sÊintéressa au culte de la statue blanche. Dans lÊuni-vers classique et néoclassique, la primauté est donnée à la lumière, révélatrice de forme plutôt quÊà la couleur.

Bien que présente dans lÊEurope entière, cÊest en France que la controverse fut la plus virulente. Elle sÊanima au-tour de deux personnalités académiques : Quatremère de Quincy et Jacques-Ignace Hittorff. Quatremère, historien de lÊart, publia en 1814 Le Jupiter Olympien ou lÊart de la sculpture antique dans lequel il reconstitue la polychromie de sculptures antiques. Il sÊappuie principalement des descrip-tions de la Périégèse de Pausanias. La principale interpré-tation concerne la fameuse merveille de Phidias disparue dans un incendie en 462. LÊhistorien fait ressurgir le Zeus Olympien, modèle classique par excellence sous un angle oublié : il pointe la pluralité des matériaux qui valorisait la statue chryséléphantine. De plus les illustrations aquarel-lées suggèrent déjà une polychromie des murs intérieurs ; Quatremère admettra son existence mais ne sÊy attachera que peu dans la suite de ses travaux. Théoricien du né-oclassicisme, il resta cependant fidèle au principe de no-blesse dÊune matière révélée par la lumière. CÊest pourquoi il préconisa une polychromie principalement silencieuse qui a lieu dès la sélection de la pierre. La peinture est alors

1 JOHANN JOACHIM WINCKELMANN, Geschichte des Kunst, 1763 : „une

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limitée à de petite surface pour souligner la forme et la ma-tière, à la manière du Zeus Olympien.

La polychromie architecturale fut véritablement intro-duite dans la discussion par un élève de Quatremère de Quincy, Jacques-Ignace Hittorff. Il fut lÊun des premiers à affirmer que les façades des monuments antiques étaient entièrement peintes et cela dès leurs édifications. Helléniste convaincu et séduit par les discours de Quatremère, il en-treprit en 1823 de voyager pour mener des recherches ar-chéologiques.1 Il décida rapidement de se concentrer sur les monuments de Sicile y percevant un échantillon dÊépoques différentes. Ses conclusions sont publiées tardivement dans le recueil Restitution du temple dÊEmpédocle à Sélinonte, ou lÊarchitecture polychrome chez les Grecs (1851). Bien quÊil y explique clairement que cÊest lÊévolution historique des pratiques architecturales qui lÊintéresse, il entretiendra dans ses reconstitutions une approche synchronique combinant lÊensemble de ses observations pour réinventer les façades dont beaucoup de teintes étaient perdues.

ÿ Les monuments de la Sicile peuvent, en effet, autant et plus peut-être que ceux de la Grèce, servir à cette noble destination. Offrant un plus grand nombre de restes appartenant à des époques différentes, ils réunissent toutes les phases de lÊhistoire de lÊarchitec-ture hellénique, depuis son point de départ, ses déve-loppements successifs, son point culminant de perfec-tion, jusquÊaux différentes époques ou lÊart romain, après avoir puisé aux sources de la Grèce, remplace les fluvres de ses maîtres par des productions moins

1 ADELINE GRAND CLÉMENT, ÿ Hittorff un architecte à lÊécole de la

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parfaites, mais qui les surpassent par lÊétendue et la magnificence. Ÿ1

Les reconstitutions quÊil produisit, faites de façades en-tièrement habillées de stuc, sont pour grande part fantai-sistes. Son ambition néanmoins fut de généraliser lÊemploi de la peinture et de la couleur sur les édifices de lÊantiquité. Il sÊopposa par cela à la vision de nombreux savants et no-tamment lÊarchéologue Désiré Raoul-Rochette, successeur de Quatremère de Quincy à la direction de lÊacadémie. Ce-lui-ci rejetait lÊauthenticité des peintures sur les édifices et les minimisait en les assimilant à des vestiges de ÿ bariolage tardif Ÿ du moyen-âge. De plus selon lui, sÊil y avait effec-tivement de la peinture, elle venait uniquement rehausser certains détails.2 Son opposition ferme face à Hittorff se trouva principalement contre lÊinstauration dÊun système qui donnait à la couleur une place déterminante dans le dessin de la façade. Or cÊest la constitution de système de ce type justement qui entérina la polychromie dans lÊarchi-tecture moderne.

ÿ Ce nÊest pas que les éléments trouvés en Sicile par mes compagnons de voyage et par moi ne parussent, à beaucoup de savants et dÊartistes impartiaux, des preuves suffisantes à lÊappui de la polychromie appli-quée aux magnifiques édifices de cette riche colonie grecque ; mais quand je voulus en conclure que la

colo-1 JACQUES-IGNACE HITTORFF, Restitution du temple dÊEmpédocle à Séli-nonte, ou lÊarchitecture polychrome chez les Grecs, 1851

2 ROBIN MIDDLETON, ÿ Colour and Cladding in the ninteenth

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ration constatée sur les monuments siciliens devait être la tradition dÊun usage analogue appliquée aux monu-ments de la Grèce, aussi bien que les formes architec-toniques des sanctuaires de Sélinonte, de Ségeste, de Syracuse et dÊAgrigente, sont des traditions des temples dÊEgine, dÊOlympie, de Phigalie et dÊAthènes ; quand je voulus conclure que le complément indispensable de cette coloration était lÊemploi de la peinture dÊhistoire et de mythologie exécutée sur les murs des édifices hel-léniques, ma conclusion trouva des incrédules, des contradicteurs persévérants, et donna lieu à une longue lutte. Ÿ1

En outre Hittorff soutenait que la couleur des temples construisait en façade un système plastique qui participait à la symbiose de trois arts : lÊarchitecture, la peinture et la sculpture. Cette fusion poursuivant un objectif unique, à savoir la concrétisation dÊun paysage harmonieux com-prenant lÊobjet et son environnement. Dans sa théorie la polychromie joue donc un rôle dans la composition du bâti-ment antique, ce que refusait une partie de la communauté savante. Les partisans des temples de marbre semblaient véritablement minimiser le rôle de la couleur dans lÊart antique. Ils justifiaient la polychromie comme solution à lÊéblouissement que provoquait la lumière sur le marbre. Ou bien encore, comme le suggère Quatremère de Quincy elle aurait pour origine la protection des édifices antiques initialement construits en bois. Hittorff à contrario replaça la couleur au centre de lÊédifice en affirmant que la peinture conférait une qualité esthétique réelle et indispensable pour les architectes antiques. En cela il sÊopposa aux chercheurs

1 JACQUES-IGNACE HITTORFF, Restitution du temple dÊEmpédocle à Séli-nonte, ou lÊarchitecture polychrome chez les Grecs, 1851

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qui souhaitaient réduire la polychromie à une simple rémi-niscence de techniques constructives désuètes.1

Cependant ce que chercha Hittorff dans ses voyages et ses observations, cÊétait décloisonner lÊarchitecture du XIXème par le repositionnement des fondements du néo-classicisme. En universalisant la polychromie architectu-rale antique, il cherchait finalement à justifier lÊusage de la couleur au XIXème siècle. Pour communiquer sur ces recherches et transmettre ses ambitions pour lÊarchitecture contemporaine, Hittorff extrapola la composition chro-matique de ses reconstitutions, dont entre autre le temple dÊEmpédocle. LÊanalogie entre plusieurs périodes et plu-sieurs lieux lui permit de rassembler suffisamment dÊélé-ments pour effectuer le relevé dÊune façade. Cette méthode nuisit à la crédibilité du travail dÊHittorff.2 De la même manière les nombreux jeunes architectes qui succédèrent à Hittorff, séduits par ses géométrés atypiques, produisirent des reconstitutions de monuments antiques toutes plus colorées les unes que les autres. On peut citer par exemple le temple Jupiter à Egine de Charles Garnier (1852-1853) et le Parthénon de Benoît Laviot (1879-1881). Et comme lÊimaginait Hittorff, ces études polychromes ressurgirent dans leurs projets dÊarchitecte. Néanmoins la controverse sÊétendit à lÊarchitecture du XIXème siècle. Les opposants à la polychromie leurs reprochèrent de manquer de rigueur dans les relevés ce qui discréditaient leurs observations et ensuite leurs fluvres ; on refusait lÊornementation la qua-lifiant de fantaisiste. Finalement ces libertés dÊinterpréta-tions prises lors de ces études furent lÊélément instigateur

1 ADELINE GRAND-CLÉMENT, ÿ Couleur et esthétique classique eu

XIXème siècle : lÊart grec antique pouvait-il être polychrome ? Ÿ, 2005 2 PIERRE PINON, ÿ Jacques-Ignace Hittorff Ÿ Notice INHA

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de lÊouverture dÊun champ des possibles pour la polychro-mie architecturale du XIXème.

ÿ Ces progrès [archéologiques], indépendamment de leur intérêt historique, tourneront surtout à lÊavan-tage de lÊart ; car le véritable artiste ne peut sÊoccuper de lÊantiquité sans y chercher quelque leçon, et sans y rencontrer quelque exemple capable de perfectionner son goût, et de servir à améliorer et enrichir les fluvres contemporaines. Ÿ1

Elu en 1853 à lÊAcadémie des Beaux-Arts Hittorff pour-suivit sa réflexion en sÊintéressant à lÊiconographie de la peinture murale antique. Les théories dÊHittorff eurent en générale une résonnance forte auprès des savants et des architectes européens. LÊun de ses admirateurs fut Gott-fried Semper qui vit dans les réalisations dÊHittorff comme le cirque National lÊfluvre dÊun visionnaire qui avait su analyser et construire un langage polychrome. LÊacte fort quÊil lui reconnaissait, était dÊavoir associé rapidement des peintres à ses projets. En effet Hittorff fit appel à Jean Auguste Dominique Ingres pour réaliser la maquette du temple de muses. Lors de la réhabilitation de lÊéglise Saint-Vincent en 1844, il collabora avec le peintre Jolivet pour concevoir les éléments du porche. Les décors forment ici une vaste fresque qui représente des scènes bibliques. Hit-torff recourra une nouvelle technique : lÊémaillage sur lave. Découverte en 1827 par Ferdinand Mortelèque, la couleur des laves émaillées résiste aux conditions extérieures. On

1 JACQUES-IGNACE HITTORFF, Restitution du temple dÊEmpédocle à Séli-nonte, ou lÊarchitecture polychrome chez les Grecs, 1851

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retrouve par exemple cette technique sur les plaques indi-quant le nom des rues. Hittorff sÊy intéressa particulière-ment au point quÊil dirigera de 1832 à 1838 la société Ha-chette & Cie, première entreprise de technique dÊémaillage sur lave fondée en 1831 par M. Hachette.1 Cependant lÊhor-reur du Baron Haussmann vis-à-vis de la peinture urbaine et lÊoffuscation de certains paroissiens choqués obligèrent le retrait des peintures de lÊéglise Saint Vincent dès 1860. Elles nÊont retrouvé leur place quÊen 2011. La démarche dÊHittorff est révélatrice dÊune tendance de lÊépoque qui sÊattachait à perturber les ordres classiques et provoquer ainsi une unité dans les arts. Cependant lÊarchitecte sou-haitait renouveler le style de lÊarchitecture en perfection-nant le modèle classique et non pas en le rejetant. Il adapta notamment les techniques afin de fixer dans la durée la pigmentation des façades. Son approche progressiste de lÊhistoire de lÊart lÊenracine dans une logique de synthèse des arts. Le mythe de lÊorigine de la peinture transmis par Pline dans lequel la couleur vient compléter et améliorer le dessin est lÊun des textes moteurs de son architecture.2 Cependant de cette aptitude quÊà la couleur à compléter la forme vient également les deux principales critiques faites à la polychromie architecturale peinte : lÊillusion et le mimé-tisme. La couleur est souvent assimilée une entité sensuelle et séductrice qui envoûte la raison. Or lÊartifice est présent à partir du moment où la hiérarchie formelle est modifiée par le jeu des couleurs. CÊest lÊidée que Le Corbusier nom-mera le ÿ camouflage architecturale Ÿ. Cette illusion sÊinscrit en contrepoint du second reproche, celui de réalisme exa-cerbé que rejette lÊart classique fondé sur la notion dÊidéal. La couleur imitative, celle qui cherche à reproduire la

ma-1 MICHAEL KIENE, Jacques-Ignace Hittorff précurseur du Paris dÊHaus-mann, Edition du Patrimoine, 2011

2 ADELINE GRAND CLÉMENT, ÿ Hittorff un architecte à lÊécole de la

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tière que cela soit pour les sculptures ou lÊarchitecture, est à contrecourant de la beauté classique. Pour Henri Lechat, la polychromie antique est ÿ décorative Ÿ et non ÿ imitative Ÿ.

Finalement la controverse antique amène à réfléchir sur la rationalisation de lÊemploi de la couleur par les archi-tectes. Diverses écoles apparurent et participèrent à lÊémer-gence dÊune lÊarchitecture éclectique. Le renouveau tant souhaité par Hittorff se concrétisa à travers ses propres projets et ceux de ses successeurs. LÊutilisation de la cou-leur chez Hittorff se fait de manière réfléchie dans une dé-marche synchronique. Il souhaitait unifier les esthétiques antique et contemporaine mais avait conscience toutefois que les évolutions sociales et scientifiques motivaient une autre architecture.

ÿ Ce nÊest point par suite de lÊapparition de lÊap-plication des couleurs à la décoration extérieure des monuments de la Grèce et à cause de la nouveauté apparente de ce système que jÊai été porté à mÊen ser-vir au cirque et à son porche, mais par la raison que la peinture est à Paris plus quÊà Athènes un moyen de préservation des matériaux et que si des couleurs aident sous le ciel de Grèce, de la Sicile et de lÊItalie à faire distinguer davantage et les sculptures et les parties les plus importantes des formes architectoniques, leur concours est sous ce rapport bien plus efficace et plus nécessaire sous un ciel privé de soleil. Ÿ 1

CÊest en 1841 que le premier bâtiment parisien poly-chrome fut édifié : le cirque des Champs-Elysées. Ensuite en 1852, Hittorff conçut le cirque dÊhiver en intégrant en façade une évocation aux Panathénées. La frise et la

poly-1 JACQUES-IGNACE HITTORFF, Restitution du temple dÊEmpédocle à Séli-nonte, ou lÊarchitecture polychrome chez les Grecs, 1851

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chromie extérieure furent pensées pour attirer le regard et mettre en avant la gaité qui sied à un lieu de représenta-tion. Ce qui est intéressant comme le suggère A. Grand-Clément1, cÊest le regard des habitants qui acceptèrent les peintures en façades des théâtres mais qui sÊoffusquèrent de la coloration extérieure des lieux de culte. Cependant il faut tempérer ce point de vue car comme le décrit Charles Gar-nier, la polychromie de lÊOpéra sera vivement critiquée2. Il lÊexplique par le fait que les gens manquent dÊhabitude et considèrent dérangeante la nouveauté des façades peintes alors que les intérieurs richement décorés étaient dÊusage. Cette approche induit le concept de polychromie orne-mentale en finalement extériorisant la norme qui régnait dans les espaces intérieurs. La couleur est alors la poursuite naturelle dÊun intérieur dans lÊétablissement dÊun décor urbain. Hittorff chercha avec la peinture sur lave émaillée de sÊaffranchir du problème de lÊaltération de la couleur très rapide en extérieur. Cet effacement gène lÊinstitution dÊun monument et à fortiori dÊun monument classique, car par nature il lui faut posséder une essence atemporelle et éternelle.

LÊun des successeurs dÊHittorff, Charles Garnier tenta de populariser la polychromie à Paris et lÊopéra peut être considéré comme un manifeste en faveur de la couleur urbaine. Cependant contrairement à Hittorff, le système chromatique est fondé sur une rationalisation de la compo-sition. La couleur est alors étroitement associée à la nature de lÊobjet architectural et à la modalité de fonctionnement. Chez Hittorff, la couleur peut en effet être perçue comme un élément simplement rajouté, bien quÊindispensable. Garnier va plus loin en attribuant à la polychromie en plus

1 ADELINE GRAND-CLÉMENT, ÿ Couleur et esthétique classique eu

XIXème siècle : lÊart grec antique pouvait-il être polychrome ? Ÿ, 2005 2 CHARLES GARNIER, Le nouvel opéra, 1878

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dÊun effet esthétique, le pouvoir de montrer aux visiteurs le fonctionnement et le rôle de chaque pièce de son monu-ment.1 Cependant à la différence de Viollet-le-Duc, comme on le verra par la suite, la construction nÊest pas prépondé-rante, bien au contraire. En effet, Garnier sÊattacha à mas-quer toutes les composantes structurelles métalliques. Ce qui intéresse lÊarchitecte est ici la corrélation entre lÊeffet produit par le décor, les escaliers, les colonnes⁄ et la pra-tique du lieu ; et peu importe de savoir comment cet univers sÊassemble. Il sÊapplique donc à théâtraliser son édifice, et la polychromie en est un des instruments.

Dans son ouvrage le nouvel opéra de 1878, Charles Gar-nier présente et justifie la polychromie architecturale du monument parisien. Il construit la façade et lÊintérieur du bâtiment comme une apologie dÊune polychromie théâ-trale. Mais avant tout, il ressent le besoin de répondre aux critiques qui sont faites à la façade dans un chapitre épo-nyme, le premier de son ouvrage.

ÿ - le soubassement est trop bas ;

- la coloration polychrome est une hérésie à Paris ; - il y a trop dÊor et cÊest trop riche ;

- ça ressemble à un dressoir surchargé de bibelots. Ÿ2

Il en ressort que la façade est perçue comme exubérante, luxueuse, imposante. Ce qui est intéressant est que la poly-chromie semble ne pas être acceptée pour une raison géo-graphique. Certains lieux seraient plus à même dÊaccueillir

1 RICHARD COPANS & STAN NEUMANN, ÿ lÊopéra Garnier Ÿ, in Architec-ture Volume 3, ARTE (RMN), 2003

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Opéra Garnier, Carthographie lithologique

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--une polychromie urbaine ? En effet les villes orientales comme Venise et Athènes sont des villes indiscutablement admirées, dont une partie du charme est issue des teintes, au dire même des visiteurs parisiens. Cependant lÊarchi-tecte refuse dÊexclure la polychromie de la capitale et de restreindre lÊusage de la couleur à des contrées plus enso-leillées. CÊest le climat selon Garnier et surtout lÊaccoutu-mance qui ont écarté la couleur urbaine de Paris à la faveur du monochrome gris de la ville dÊHausmann. Garnier est tout dÊabord surpris que ÿ la chromotaphobie, ne se déclare que pour les façades des édifices. Ÿ et que les intérieurs parisiens soient très colorés. Il réduit le problème à une question technique : la coloration des matériaux se dégrade suivant la qualité du marbre et de lÊatmosphère. Cepen-dant il se justifie en soutenant que des matériaux adaptés existent, et que seule lÊexpérience est nécessaire pour bâtir durablement avec la couleur. ÿ La polychromie naturelle, cÊest-à-dire faite au moyen de matériaux, est donc possible en nos climats, et cÊest faire fluvre dÊartiste que de chercher à lui donner droit de cité. Ÿ Charles Garnier et la plupart des architectes de la fin du XIXème introduisent contraire-ment à Hittorff la couleur par des incrustations de matière, comme le préconisait Quatemère de Quincy pour la sculp-ture polychrome. La couleur est dans ces cas-là directement déterminée lors du choix constructifs et la pigmentation est incorporée à lÊensemble du bâtiment. A cette différence, lÊapproche par la peinture exige une concertation contin-gente entre lÊarchitecte et le peintre car la construction et la couleur sont physiquement dissociées. La peinture prend corps sur un support qui est le mur.

Charles Garnier sÊengage donc dans la succession de Quatremère de Quincy en travaillant essentiellement sur les couleurs silencieuses, car la noble polychromie monu-mentale se doit dÊêtre durable. En ce sens il associe la poly-chromie à la fonction du bâtiment et à son aura ; la couleur nÊest pas un ÿ bariolage incohérent Ÿ et il cherche à partir de

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subtils contrastes à ÿ égayer Ÿ et à ÿ aviver la masse Ÿ de la façade. La polychromie reste ici un outil de composition qui souligne les proportions, la forme de lÊarchitecture domine toujours. Le faste des couleurs symbolise la fonction de lÊédifice.1 Ce florilège de marbres de lÊopéra correspond à lÊapparat dÊun édifice de spectacle, toutefois Garnier trouva un langage alliant la fonction et le décor. Le contraste des couleurs et des matériaux génère un langage compréhen-sible pour le visiteur. Le raffinement et les dorures des pe-tites colonnes de la façade par exemple dévoilent leurs rôles de simple parure de lÊédifice, alors que les colonnes por-teuses ne soutiennent pas la couleur.2 Finalement Garnier chercha à éduquer le regard des parisiens en construisant une polychromie raisonnée destinée à clarifier la composi-tion et à manifester la vocacomposi-tion du bâtiment.

Viollet-le-Duc, dans ses Entretiens remit en cause lÊhégé-monie de la Grèce Antique en tant que sources dÊinspiration de lÊarchitecture contemporaine. Il prônait la constitution dÊune architecture nationale avec ses propres principes. Sa démarche intellectuelle se caractérisait par une vision utili-taire de lÊhistoire des arts dans lÊémergence dÊune création contemporaine. LÊarrivée de la modernité, et le dépasse-ment de dÊart classique exigeaient de sÊécarter dÊun modèle archaïque et étouffant. Par cet abandon de lÊantiquité, il ne dénigre pas ses qualités, bien au contraire ce sont les évo-lutions successives des arts et des sociétés qui ont déplacé les codes et mis en exergue une incompréhension grandis-sante. Par exemple, il estimait quÊun décalage des goûts et des habitudes rend caduc lÊappréciation de la polychromie monumentale grecque.

1 CHARLES GARNIER, op. cit

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ÿ Si légère que lÊon veuille supposer cette coloration (et tout fait croire, au contraire quÊelle était vive et heurtée), elle nÊen avait pas moins pour effet de dissimuler la véritable structure sous une sorte de tapisserie indépendante de cette structure. Je ne suis pas de ce qui admettent que les grecs aient pu se tromper dans lÊexécution des fluvre dÊart, et, si lÊon trouve chez eux des procédés étranges en apparence, auxquels nos yeux ne sÊhabituent que difficilement, je crois plus volontiers à lÊimperfection de nos sens quÊà une erreur de la part de ces maîtres. Ÿ1

Il rejeta cependant lÊidée que la polychromie antique fut simplement décorative ; selon lui elle faisait partie inté-grante de lÊarchitecture en entrant dans le jeu de proportion et dÊordre, fondement de la composition antique. Il sÊécarta ainsi du néoclassicisme et analysa la polychromie grecque de la même manière quÊHittorff en affirmant que ÿ les Grecs ne croyaient pas que la forme seule constituât lÊarchitecture et quÊils admettaient que cette forme dût être complétée, ai-dée ou modifiée par lÊassemblage de couleurs différentes. Ÿ2 La forme et la couleur sur les monuments antiques sont indissociablement liés. Cependant Viollet-le-Duc à travers la modification du regard du XIXème estimait que cette polychromie monumentale nÊest pas transposable à son époque et en cela il contredira Hittorff. Ce dernier en effet adaptait les techniques de peinture, les sujets des scènes⁄ pour un public du XIXème siècle, mais dans le fond la philosophie dÊintégration de la couleur dans lÊarchitecture se voulait identique. De plus les scènes peintes en façades étaient pour Viollet-le-Duc absolument inconcevables car

1 EG˚NE VIOLLET-LE-DUC, Entretiens sur lÊarchitecture, 1863

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un abîme sÊinterposait entre les peintres et les architectes de son époque.

Or il pensait que pour pouvoir édifier un bâtiment peint digne, il fallait une collaboration étroite entre les différents arts. Si cette harmonie était présente dans la relation de tra-vail dans lÊantiquité, elle nÊexistait pas dans les pratiques du XIXème. La synthèse de deux arts se fait donc simultané-ment et non successivesimultané-ment, elle requiert par conséquent une entente entre les artistes. Cette relation se doit dÊêtre ÿ directs, suivis, intimes Ÿ1, auquel cas chaque art se verra renforcé. Mais le risque reste que lÊassociation des concep-teurs soit en dissonance pour que ÿ Ces trois arts au lieu de sÊentrÊaider, se nuisent. Ÿ2. Cette vision dÊun rapport de travail fusionnel sera souvent reprise par les peintres mo-dernes, notamment Fernand Léger et Théo van Doesburg qui souhaitait redécouvrir une peinture murale unie avec son support architectonique.

A partir de ce point de vue, Viollet-le-Duc sÊécarta de la peinture proprement ornementale pour développer une polychromie qui peut être qualifiée de structurelle. LÊobjec-tif était ici de faire lire la structure du bâtiment par les sens. Sa théorie rationaliste et analytique inspirée de lÊarchitec-ture gothique prend néanmoins peu en compte la couleur. Il lÊintroduisit cependant dans les restaurations dÊintérieurs dÊédifices datant du moyen-âge comme à Notre-Dame de Paris.3 LÊeffet recherché par la polychromie structurelle était dÊunifier construction et expression dans lÊoptique de générer une nouvelle architecture nationale dont lÊinspira-tion résidait dans lÊunivers gothique et non plus antique.

1 EG˚NE VIOLLET-LE-DUC, op. cit.

2 EG˚NE VIOLLET-LE-DUC, op. cit.

3 ROBIN MIDDLETON, ÿ Colour and Cladding in the ninteenth century Ÿ,

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Finalement la volonté de dépasser les principes néoclas-siques est à nouveau immanente comme chez Hittorff, mais les démarches sÊopposent ; lÊun se rapproche de ce que devrait être le modèle classique authentique tandis que le second sÊéloigne de ce modèle, bien quÊil soit en muta-tion. Dans les deux cas pourtant la couleur prend part à la métamorphose. Viollet-le-Duc a une volonté constante de trouver dans lÊhistoire les lois de lÊévolution artistique et de les transposer à son époque. Pour cela il sÊintéresse à une histoire globale et développe une approche holistique à tra-vers ses dictionnaires. Il fait par lÊhistoire de lÊarchitecture, lÊhistoire dÊune société. CÊest à partir de cette idée quÊil espérait détacher ses contemporains du modèle classique pour ouvrir sur des références nouvelles.1

Chez Viollet-le-Duc, La complexité et lÊintelligence structurelle qui ont abouti aux cathédrales gothiques ont renforcé la prédominance de la forme alors que la couleur sÊest peu à peu effacée pour devenir une polychromie dÊor-nement. Le raffinement émane de la construction même. De fait ce sont les qualités anatomiques du bâtiment qui confèrent à chaque élément une fonction façonnant sa forme et sa nature. Le rôle de la couleur est alors très rapi-dement minimisé. Il assimile de plus la dégradation de la relation entre les arts à une résultante du perfectionnement dÊun art prédominant. LÊarchitecture gagna son indépen-dance vis-à-vis de la peinture à travers les prouesses tech-niques réalisées dans les cathédrales gothiques. Finalement il reconnait la hiérarchisation des arts, et accepte ses consé-quences.

1 LAURENT BARIDON, ÿ Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc Ÿ Notice

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ÿ A dater du XIIIème siècle en France, la forme nÊa plus besoin de ce complément, la forme résulte dÊune structure qui tire son effet de ses propres combinaisons, la géométrie lÊemporte sur la peinture : la peinture est un luxe, une richesse, un ornement, mais lÊarchitecture peut sÊen passer et sÊen passe. Chaque jour, ces deux arts, lÊarchitecture et la peinture, essentiellement liés lÊun à lÊautre, tendent à se séparer. Ÿ 1

Selon Viollet-le-Duc, le renouvellement de lÊarchitecture se fait par la forme, la construction et non pas par la poly-chromie quÊil réduit à une parure. Cette tendance va faire émerger un regard nouveau sur lÊarchitecture au XXème siècle avec notamment lÊassimilation de la couleur comme décoration obsolète dans la pensée dÊAdolf Loos et de ses successeurs. En outre la notion dÊenveloppe est déjà pré-sente et dans sa logique structuraliste, il estimait que le principal danger de la polychromie peinte est de négliger ce qui nÊest plus visible, ce qui est derrière le masque coloré. Le soin apporté est en conséquence généralement réservé à ce qui est visible, ce qui est assurément regrettable. Il anticipe le danger du décor et de lÊornement à foison, qui est lÊabandon de lÊarchitecture face sa parure. Viollet-le-Duc rappelle la primauté de lÊarchitecture sur la peinture et la sculpture en affirmant que ÿ lÊarchitecture devrait avant tout se respecter elle-même, et se rendre digne de cette pa-rure qui lui semblait autrefois nécessaire. Ÿ2 La polychromie silencieuse et authentique est donc garant dÊune qualité constructive. La polychromie structurelle sÊattache dès lors à exacerber la logique de construction, afin quÊelle devienne le moteur de lÊunivers que perçoit lÊhabitant. Cependant

1 EG˚NE VIOLLET-LE-DUC, op. cit.

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Moulin Menierpar Jules Saulnier 1872

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pour Viollet-le-Duc, la couleur peinte ne devait pas recou-vrir la structure, mais au contraire celle-ci devait être laissée brute et authentique. La couleur a ici une connotation né-gative qui dévalorise la matière. Le masque et lÊillusion sont toujours prédominants dans lÊimaginaire et la peinture est jugée comme une sorte de trahison. Les éléments essentiels à la composition spatiale sont donc silencieux.

Dans le moulin Menier construit entre 1869 et 1872, Jules Saulnier respecta cet axiome. La structure métallique du bâtiment est apparente ; les poteaux et les treillis de contreventement dessinent le décor de lÊenveloppe. La li-berté chromatique se trouve sur les briques de remplissage. Briques naturelles, briques grises teintées avant cuisson et briques émaillées créent un jeu de nuance et de teinte qui fait vibrer lÊensemble. 1

Cependant la polychromie dite structurelle va rapide-ment évoluer à la suite de Viollet-le-Duc : la structure se fait attribuer la totalité des coloris.2 Cette inversion est présente chez Anatole de Baudot, et il la justifia avec un argument technique ; les mosaïques protégeaient le béton des infiltrations, lÊexemple majeur est lÊéglise Saint-Jean de Montmartre (1894-1904). Auguste Perret et les architectes fonctionnalistes sÊengagèrent à sa suite, en réservant à la structure constructive les éléments colorés. La couleur est alors utilisée pour souligner ce que lÊon souhaite montrer et non plus pour effacer. En effet ce nÊest plus une matière qui est montrée mais une géométrie. La structure se sé-pare de la construction. Il y a superposition entre structure spatiale et structure constructive. Le Corbusier conservera

1 RICHARD COPANS & STAN NEUMANN, ÿ la chocolaterie MenierŸ, in Architecture Volume 6, ARTE (RMN), 2003

2 ROBIN MIDDLETON, ÿ Colour and Cladding in the ninteenth

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cette vision tout au long de son fluvre tandis que De Stijl au contraire brisera cette unité et élémentarisera les deux structures, la couleur sera lÊun des moyens retenus pour parvenir à la dissociation.

Gottfried Semper suit la même logique que Viollet-le-Duc en développant une théorie commandée par le trans-formisme, où le besoin provoque la créativité. Il estimait que lÊévolution des fluvres était la résurgence des muta-tions dÊun modèle quÊil nomme ÿ forme fondamentale Ÿ. La forme pure est ce qui doit être atteint selon ces dires, et cela à travers la stylisation. Sa conception sur la poly-chromie architecturale sÊintègre dans sa pensée au niveau de prémisses formelles. LÊornement, élément fondamental cher Semper, est selon Alois Riegl de deux types : figura-tif ou géométrique. Les décors naturels et dramatiques des temples grècs qui inspirèrent Hittorff par exemple sont de la première sorte. En allemagne et en Autriche, les orne-ments orientaux construits avec lÊarabesque et les entrelacs sont à la fin du XIXème siècle en vogue. 1

En 1826, lors de son arrivée à Paris chez lÊarchitecte Gau, le jeune Semper rencontre Jacques Ignace Hittorff. Enthousiasmé par les expériences de ses maîtres, il partit étudier en Italie vers 1830 pour trois années. Sa partici-pation comme beaucoup de ses collègues à des reconsti-tutions de polychromie lÊimprégna de paysages nouveaux. Son intérêt se tourna en particulier vers la colonne de Tra-jan à Rome et il décrivit ses conclusions dans un texte de 1834 qui confirmait les dires dÊHittorff (Remarques prélimi-naires sur lÊarchitecture et la sculpture peintes chez les Anciens). CÊest en helléniste convaincu quÊil rentra en Allemagne où il sÊengagea notamment dans la construction de

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Opéra Dresde par Gottfried Semper 1878

, .

J

4 . . .

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heim et de lÊopéra de Dresde.1 Cependant bien quÊil fut enchanté par la polychromie antique et passionné par la controverse qui lÊentourait, il ne colora pas les façades se restreignant à intégrer la couleur uniquement dans les inté-rieurs. Parce quÊil refusait de se plier à une polychromie dé-corative, comme le pratiquait Hittorff, il fit le choix dÊune monochromie extérieure. Le plaquage dÊéléments colorés sur une façade nÊétait pas ce quÊil considérait être le modèle classique antique, modèle quÊil conservera tout au long de sa carrière. Pour Semper, la polychromie méritait mieux, elle ne devait pas compléter la forme, ou ajouter un effet comme le décrivait Hittorff mais sa vocation était de méta-morphoser en son cflur lÊensemble préexistant. Avec la dé-composition du classicisme blanc, il désirait construire un classicisme moderne et authentique qui servirait à recen-trer ses contemporains autour dÊun nouveau modèle. Les dérives des architectes sur une polychromie superficielle et muette le révoltaient.2

Ensuite il attribua à la couleur lÊaptitude à fonder un style. Semper croyait que ÿ le jeu et lÊornement [⁄] seraient au nombre des premiers besoins de lÊhumanité Ÿ.3 LÊaffirma-tion pourrait sÊextrapoler à lÊarchitecture. Sa posiLÊaffirma-tion sur la couleur architecturale était claire : la couleur et la décora-tion ne sont pas des ÿ superfluités ultérieurement adjointes aux formes architectoniques de base ; à lÊinverse ce sont les formes architectoniques de base qui procèdent de ces dehors formels jusquÊici négligés Ÿ.4 LÊornement et la polychromie résultent ici dÊune nécessité. Suivant sa logique, lÊornement

1 GÜNTER OESTERLE, ÿ Gottfried Semper : la destruction et la

réactuali-sation du classicisme Ÿ, Revue Germanique Internationale, 1994 2 JUILIEN JOLY, ÿ La mémoire et lÊoubli, le symbole technique chez

Gottfried Semper Ÿ, 2003

3 GOTTFRIED SEMPER, Die vier Elemente der Baukunst, 1851

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fonde son système théorique où lÊart appliqué est placé à la base de la culture. La codification des fresques antiques, initialement liée à une fonction de communication et de culte, a instauré un langage composé de signes qui abou-tit en partie à une abstraction. En fait la couleur reproduit des motifs préexistant dans une logique de transpositions formelles successives suivant les évolutions des techniques de construction. Chez Semper les arts décoratifs sont ma-tière et technique. Sa vision optimiste de lÊhistoire lÊamena à penser lÊart comme le résultat dÊun processus dÊanoblis-sement de lÊartisanat. Dans les Remarques préliminaires sur lÊarchitecture et la sculpture peintes chez les Anciens, lÊarchi-tecte présente lÊémergence dÊornement par le phénomène de stylisation. Ce processus correspond aux descriptions de création des vitraux et des frises de De Stijl, en particulier dans la première période de Théo van Doesburg.

La séparation des arts et lÊordonnancement dans le dogme classique isolaient lÊart du XIXème siècle selon Semper dans une incohérence. Dès lors lÊarchitecture fut le noyau qui unifiait et insufflait une nouvelle dynamique. La peinture était alors supportée par lÊarchitecture. Celle-ci devait sÊappuyer sur le modèle antique, car le génie de la Grèce classique était son caractère composite fait dÊin-fluences multiples. LÊantiquité chez Semper nÊest plus une réalité absolue et autonome, mais déjà une synthèse dÊhistoire et de géographie. La régénération de la référence grecque se fait alors par une refonte de la hiérarchie des arts. LÊ ÿ esthétique pratique Ÿ est ainsi de rigueur. Il sÊagis-sait dÊeffacer la distinction entre arts supérieurs et infé-rieurs, arts et artisanat. Finalement la synthèse des arts se fait par le biais de lÊindustrie et de la spéculation artistique qui dissolvent les pratiques traditionnelles et recomposent de nouvelles formes ornementales. Afin de fuir lÊéclectisme

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et la décadence du XIXème siècle, le retour aux techniques et aux besoins semble être le moyen de parvenir à réunifier lÊart appliqué autour dÊun style novateur et universel.1 La polychromie transfigure la matière et cÊest pourquoi la cou-leur silencieuse avec ses incrustations matériaux nobles est préférée chez Semper, la construction fait alors corps avec lÊornement et la couleur. Le rapprochement des arts restait finalement une unification charnelle. Ce que van Doesburg dépassera à lÊAubette pour des raisons financières.

ÿ Cette tradition de lÊincrustation, en réalité, sÊapplique à la totalité de lÊart grec quÊelle prédomine, elle sÊavère être la vraie essence de lÊarchitecture. Elle ne se limite aucunement à la décoration tendancieuse des surfaces avec les sculptures et la peinture, mais conditionne lÊart-form globalement ; dans lÊarchitec-ture grecque et la décoration sont si intimement liées par le principe de lÊhabillement des surfaces quÊune étude isolée de lÊun ou lÊautre est impossible. Ÿ2

LÊornement est lÊun des éléments fondateurs de lÊar-chitecture. La démonstration de Semper est illustrée par lÊanalyse dÊune hutte cérémonielle maôri, la Carib, comme métaphore de lÊorigine de lÊarchitecture.

ÿ Le luxe sÊest créé dans les huttes, les tentes, sur des tertres rudimentaires : des milliers dÊannées avant

1 JUILIEN JOLY, op.cit.

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quÊun monument ne fût construit, les arts ornementaux sÊappliquaient aux armes, aux outils et aux ustensiles. Et même plus tard, au temps dÊHomère, un luxe invraisemblable cohabitait chez les grecs avec un aménagement intérieur des plus primitifs. Le palais du roi ne se distinguait que par la décoration des murs et des poteaux par des produits ouvragés comme des tapisseries, des incrustations de métal, des statues de métal bosselé, des accessoires précieux, des ustensiles de terre cuite et de métal, des trophées. Ÿ1

Semper pousse la provocation jusquÊà déclarer que dans lÊarchitecture grecque ÿ les monuments étaient des échafau-dages dressés pour assembler tous ces éléments ensembles sur une même scène. Ÿ2 Cet amas dÊobjets édifie les quatre éléments de lÊarchitecture : un foyer qui sÊentoure dÊun toit, dÊune clôture et dÊune terrasse. La polychromie est sup-portée dans cette modélisation par la clôture ; celle-ci se matérialise par une tenture puis par un mur. Sa fonction primordiale nÊest pas de protéger comme la toiture mais de définir un espace. LÊespace en effet est un concept qui se fonde sur un intérieur et un extérieur. La promiscuité entre la couleur, son support et lÊespace généré est déjà avancée. Ce triptyque va être à lÊorigine des créations de De Stijl et de le Corbusier.

Enfin Les techniques ont une signification symbolique. CÊest le spectacle de la nature qui anime le goût de lÊart à lÊhomme et qui initie la parure et lÊornement. Semper écrit : ÿ La raison de lÊornementation de lÊobjet dÊart est dÊêtre en harmonie avec la loi de la nature. Lorsque lÊhomme

orne-1 GOTTFRIED SEMPER, Ibid.

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mente, il ne fait que rendre les lois de la nature lisibles sur lÊobjet orné, de manière plus ou moins consciente. Ÿ1 De plus lÊornement est un marqueur social. ÿ Le palais du roi ne se distinguait que par la décoration des murs et poteaux par des produits ouvragés. Ÿ En ce sens les mutations sociales de la fin du XIXème et du début du XXème participent à remettre en cause lÊornementation, et donc la polychromie qui lui est associée.

LÊavènement de lÊarchitecture dite moderne, sÊaffirmant loin des modes et des pastiches, fut motivé notamment par Adolf Loos. Elle conduisit à une remise en question de lÊor-nement, principale support de polychromie chez Semper. De plus la notion de la structure et du mur va être dépas-sée pour laisser place à une réflexion autour de lÊespace, et donc de la limite intérieur/extérieur⁄ La polychromie est rapidement effacée au même titre que lÊornement de lÊidéal de lÊarchitecture. Cependant cet idéal du faire face à un pragmatisme fonctionnel et les architectes modernes comme Le Corbusier réintroduirent la couleur dans lÊenvi-ronnement de lÊhomme.

La pensé dÊAdolf Loos sÊinscrit à la suite des théories sempériennes. Son approche déterministe de lÊhistoire lÊamena à définir des principes architecturaux issus dÊune réflexion sociale et économique de lÊhomme moderne. Ce-pendant il ne réfuta pas les traditions, au contraire il les ad-mirait. Mais il estimait que celle-ci était incompatible avec les besoins de la modernité. La réalité présente que lÊarchi-tecte doit prendre en compte nÊest plus compatible avec les traditions ornementales et formelles. Dans ornement et crime, la perception de la couleur sert la démonstration de Loos concernant les changements de perception au cours des époques. En effet le violet est apparu dans le langage

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au XVIIIème siècle, avant la fleur était bleue et le pour-pier rouge. LÊinfinité des couleurs présentes dans la nature illustre de lÊimmensité des potentiels que lÊhistoire peut offrir. ÿ Le physicien montre aujourdÊhui, dans le spectre solaire, des couleurs qui ont déjà un nom, mais quÊil est réservé à lÊhomme du future de savoir reconnaître. Ÿ1 LÊin-vention et lÊimagination reste lÊâme de la modernité.

LÊéphémère de la mode va à lÊencontre de la modernité. En effet elle cherche à pérenniser lÊesprit de son époque. Adolf Loos reconnu dans lÊornement une cible privilégiée, car la décoration de la fin du XIXème siècle était à son paroxysme et faisait lÊobjet dÊun remplacement fréquent. Cette frénésie de renouvellement des décors lui parut in-compatible avec le dessein de lÊhomme moderne en quête dÊune vérité stable. En outre la frivolité incite également le gaspillage. La négation de la mode se manifeste de manière radicale chez lÊarchitecte viennois par le rejet du décoratif. Puis à travers un discours anticonsumériste, Loos assure que lÊamélioration du quotidien de lÊornemaniste, débordé et exploité, semble étrangement nécessiter la diminution de son travail.

ÿ LÊornement est de la force de travail gaspillée, et par là de la santé gaspillée. Il en fut toujours ainsi. Mais de nos jours, lÊornement signifie aussi du maté-riau gaspillé, et les deux choses réunies veulent dire du capital gaspillé. Ÿ2

1 ADOLF LOOS, Ornement et crime, 1908

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Ensuite Adolf Loos décrivit lÊobjectif ambitieux auquel doit sÊévertuer lÊarchitecte : ÿ Ne chercher la beauté que dans la fonction et non dans la forme, ne pas la faire dépendre de lÊornement, cÊest là le but vers lequel tend lÊhumanité entière. Ÿ Inspiré par ses expériences lors dÊun voyage aux Amériques entre 1893 et 1896 il y puisa les racines de son pragmatisme moderne. La jeunesse de ces territoires domi-nés par la vitesse, le progrès et lÊindustrie fonde une culture de son temps. LÊarchitecture de Sullivan et de lÊécole de Chicago notamment le fascinait. Chez Adolf Loos la beau-té est porbeau-tée par lÊélégance de lÊagencement fonctionnel et lÊexpressivité de la matière sublimées, par la simplicité formelle. Sabine Cornille et Philippe Ivernel analysent les origines de sa vision : ÿ Le principe de beauté, à ses yeux, découle du principe dÊéconomie, et le principe dÊéconomie, du principe dÊutilité. Quand à ce dernier, il répond en der-nière instance dÊun besoin humain. Ÿ1 LÊarchitecte moderne doit donc se limiter uniquement aux besoins de lÊhomme moderne. LÊintelligence dÊéconomie est le moteur de son architecture et finalement il replace à la manière de Semper le besoin au centre des motivations dÊune construction, ce qui est au fond lÊessence même de lÊarchitecture. Il reprend également lÊidée de Semper qui était de placer lÊornement comme un des éléments initiateurs de lÊarchitecture en af-firmant néanmoins que celui-ci est devenu contingent pour lÊindividu moderne du début du XXème siècle. Il affirme avoir découvert une vérité : ÿ lÊévolution de la culture est synonyme dÊune disparition de lÊornement sur les objets dÊusage. Ÿ2 Son soulèvement contre lÊornementation se fait autour du triptyque : fonction, matière et forme. La ques-tion de la polychromie entre ici dans les discussions, en effet chez Semper et comme beaucoup dÊarchitectes du XIXème

1 SABINE CORNILLE & PHILIPP IVERNEL, ÿ Présentation Ÿ, in Ornement et crime, 2003

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siècle, cÊest lÊornement qui est le vecteur principal de la couleur, intégralement ou partiellement. La disparition du support de la couleur ne correspondra pas instantanément à la disparition de celle-ci dans lÊarchitecture de Loos. A la suite de Sullivan, il cherche la vérité de la matière noble en lissant la surface, mais cÊest justement cette planéité qui va aboutir à une dématérialisation de la paroi quelques années plus tard chez Le Corbusier et De Stijl. CÊest la couleur dÊune matière lissée et polie dÊun revêtement qui fait la po-lychromie architecturale. Au fond il transporte lÊornement futile, peint et sculpté à un ornement fonctionnel dont les motifs sont entre autre les fenêtres, les portes, les poteaux⁄ Ces éléments animent des parois aux surfaces vierges que seules des fluctuations intrinsèques à la matière avivent. La composition de la matière est ici mise en valeur, précurseur dÊun brutalisme noble.

Cependant cette ornementation dÊun genre nouveau nÊest pas sans critique de la part de Loos. En effet il tempère le remplacement de la décoration : la rigueur qui émane des surfaces polies et déchargées ne doit pas sÊeffacer derrière une exubérance de forme et de matière. La simplicité est globale. Dès 1896, Loos critique déjà ces nouveaux maux, ÿ rien que des formes plus compliquées de lÊornementa-tion : dÊinutiles construclÊornementa-tions, des orgies de matériaux pri-vilégiés (béton, verre, fer). Le romantisme du Bauhaus et du constructivisme ne vaut pas mieux que le romantisme de lÊornement. Ÿ La ÿ forme fondamentale Ÿ de Semper, celle qui émergea de la fonction est ici mise en valeur par lÊabsence dÊornementation purement décorative ; la cohé-rence formelle est ce qui importe à Loos, et elle entretien toujours une relation étroite avec la fonction. Finalement cÊest lÊévolution des besoins qui métamorphose les formes. Le langage de lÊantiquité en ce sens reste un modèle pour lÊarchitecte autrichien. LÊarchitecture sÊintègre dans une temporalité et lÊinsertion dans un processus de spirituali-sation provoque une simplification de celle-ci. En effet il

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estime que lÊune des formes évoluées de lÊornement est lÊart. De cette autonomie gagnée découle la futilité de la décoration du début du XXème, dÊautant plus quÊelle foi-sonne dans les milieux viennois notamment chez les artistes de la Sécession viennoise. LÊornement nÊest plus dans lÊair du temps : ÿ Il ne nous est plus donné dÊinventer un nouvel ornement (nos ennemis veulent toujours induire de ce prin-cipe que je suis seulement lÊadversaire de lÊornement, alors que je suis lÊadversaire de lÊornement dit moderne et celui de tous les ornements imités). Celui qui veut ornementer, il aura donc à utiliser les anciens ornements. Je suis un adepte de la tradition, Wagner la renie. Ÿ1 LÊornement moderne

nÊest donc quÊun pastiche qui trahit la tradition.

Loos va à contre-courant de lÊaspiration dÊart total en vogue à son époque en replaçant lÊarchitecture comme arti-sanat. A lÊexception des monuments, la conception de bâti-ment est ancrée par sa quotidienneté. Le lyrisme nÊest plus introduit par la décoration, les fresques, les sculptures mais il accompagne la matière et lÊusage. La polychromie que génère Loos est alors une polychromie dÊaccompagnement qui sÊimmisce discrètement dans les parois réfléchissantes. LÊAmerican bar près de la Kärtnerstrasse à Vienne montre comment lÊarchitecte artisan chercha à moduler lÊarchitec-ture grâce à lÊharmonisation de matériaux nobles porteurs de couleurs étudiées. La description donnée par Peter Al-tenberg est significatrice du soin attaché par Adolf Loos à lÊorchestration des marbres.

ÿ Un minuscule et magnifique établissement⁄ A lÊextérieur, des blocs de marbre noir blanc et rose. A lÊintérieur, un marbre gris vert et du bois de corail brun

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rouge. Le plafond en plaques de marbre gris blanc for-mant caissons. Le mur au-dessus de la porte entière-ment fait de plaques dÊonyx translucide, brun jaune, merveilleusement dessinées, qui sont doucement éclai-rées par la lumière électrique. Le tout incroyablement riche et pas du tout surchargé pourtant, mais produi-sant un effet de simplicité comme les précieux trésors de la nature elle-même. Ÿ1

LÊabandon des ornements contraste avec la richesse des matériaux. Le jeu de lumière fait par la blancheur dÊun orne-ment sculpté est supplanté par lÊeffet miroitant des marbres polis. En outre, lÊéloge du lisse et de la surface pure exalte les subtilités et les nuances du marbre, la décoration nÊest plus artificielle mais naturelle. Finalement Loos atteindra une variété de décors fonctionnels et naturels dont la cou-leur livre en partie la poésie.

Ensuite, en placement le besoin et lÊusage au centre de lÊédifice, Loos développe un mode de conception endogène cÊest-à-dire de lÊintérieur dÊun espace vers lÊextérieur de lÊédifice. Le Corbusier soutiendra la même logique. Walter Benjamin le montre dans expérience et pauvreté de la ma-nière qui suit : ÿ ces figures obéissent surtout à lÊintérieur, dans les mines quÊelles montrent. A lÊintérieur plus quÊà lÊintériorité. Ÿ2 CÊest donc bien le point de vue dÊun habi-tant situé à lÊintérieur dÊespace qui importe ici et non la recherche dÊune intimité du lieu. La façade perd ici lÊhégé-monie de la composition et Loos se détacha se faisant de la pensée traditionnelle. La fonctionnalité se base sur lÊhabi-tant de lÊédifice plutôt que sur le promeneur ou le visiteur.

1 PETER ALTENBERG, Konfrontationen

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La réflexion sur la relation intérieur/extérieur conduit donc vers un questionnement autour de la pratique du lieu par lÊindividu. La construction est faite pour le quotidien plutôt que pour lÊévénement. LÊétonnement et lÊémerveillement sont des réactions inadaptées à lÊarchitecture non monu-mentale. La polychromie dÊaccompagnement souligne et non contredit lÊesprit de lÊensemble. Theo van Doesburg sÊopposera à cette approche en promouvant dans son article sur lÊespace-temps les ambiances fugaces qui surprennent et déroutent systématiquement lÊindividu.

Le choix des couleurs est également régie par des règles qui reposent sur la question du revêtement et donc de la relation entre le support et lÊespace. Le Raumplan crée de nouvelles conditions à la composition des couleurs. Une vive critique à lÊencontre des architectes héritiers de Viol-let-le-Duc montre bien la divergence de leur vision de lÊarchitecture ; ÿ Il est des architectes qui procèdent autre-ment. Leur imagination ne conçoit pas des espaces, mais des murs. Les espaces remplissent toute la place que les murs nÊoccupent pas. Et ces espaces reçoivent après coup le revêtement qui convient à lÊarchitecture. Ÿ La polychro-mie se détache donc de la construction et participe inté-gralement à lÊélaboration du lieu fonctionnel. Finalement ce qui importe à lÊarchitecte est de rendre lisible non plus la structure du bâtiment ou son statut mais au contraire de générer un environnement à même dÊaccueillir lÊindi-vidu. La polychromie théâtrale de lÊopéra Garnier est repla-cée dans lÊunivers quotidien et non plus dans lÊespace de représentation. Cependant cet espace ne doit pas abuser lÊhabitant sur la nature de sa constitution. CÊest pourquoi Loos préconise les limites à ne pas franchir dans les libertés quÊoffre la dissociation de la polychromie et de la construc-tion. Il évite ainsi les arguments contre la couleur qui sont toujours en vogues comme le mimétisme.

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ÿ Un matériau de revêtement peut conserver sa couleur naturelle lorsque le matériau quÊil recouvre présente la même couleur. Ainsi un faire noir peut être recouvert de goudron, un bois peut recouvrir un autre bois (plaqué, marqueterie, ect.) à condition de ne pas peindre le bois de revêtement : je peux recouvrir un métal dÊun autre métal par galvanisation. Mais le principe du revêtement interdit dÊimiter par la couleur le matériau dÊen dessous. CÊest pourquoi je peux bitu-mer un morceau de fer ou le recouvrir dÊune couche de peinture à lÊhuile, mais non pas le dissimuler sous une couleur imitant le bronze, donc un autre métal. Ÿ1

Enfin le mythe dÊune ville entièrement blanche, symbole à la fois moral et hygiéniste est déjà présente chez Loos ; lÊaboutissement de la simplification et de la spiri-tualisation des ornements conduit inéluctablement vers une simplification de la couleur. LÊaustère avenir quÊenvi-sage Loos est un idéal que lÊon retrouve notamment chez Goethe, pour qui lÊornement est une trace résurgente qui tend à disparaitre pour atteindre une idée fantasmée pure et blanche, presque immaculée. Somme toute la couleur sensuelle et lyrique qui inspirait tant de crainte aux théori-ciens néo-classiques sÊefface peu à peu pour faire place à un pragmatisme moderne.

ÿ Voyez, que notre époque ne soit pas en état de produire un nouvel ornement, cÊest cela même qui fait sa grandeur. LÊornement, nous lÊavons surmonté, nous sommes parvenus au stade du dépouillement. Voyer,

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les temps sont proches, lÊaccomplissement nous attend. Bientôt, les rues des villes vont resplendir comme de blanches murailles. Ÿ1

Le Corbusier est selon lÊarchitecte allemand Bruno Taut (1929) un architecte complet dans la mesure où ÿ [son architecture] relève dÊune esthétique de salon des plus talentueuses. LÊarchitecte construit ici comme un peintre dÊatelier réalise sa peinture, cÊest-à-dire il construit des peintures. Ÿ2 Cependant cette ambivalence entre Le

Cor-busier architecte et Le CorCor-busier peintre fut jusquÊen 1923 présente. La villa la Roche fut le premier bâtiment quÊil construira avec une volonté de façonner une polychromie architecturale avec son expérience de peintre. JusquÊalors il sÊattache à défendre lÊidéal moderne et lÊon retrouve la blancheur sublimée. Cependant celle-ci sera éphémère et sa période puriste de 1920 à 1931 ouvrira une nouvelle for-tune à la polychromie.

La couleur chez le Corbusier est inspirée comme chez Garnier et Hittorff par les paysages et les architectures dé-couverts le long de ses deux voyages de jeunesse. A la fin de ses études dÊarts appliqués, se dirigeant vers lÊarchitec-ture sur les conseils de Charles LÊEplattenier, il part visiter lÊItalie du nord en 1907 et renoue avec la tradition des ar-chitectes allant se former par lÊexamun des villes antiques. La copie et lÊobservation minutieuse font toujours partie au début du XXème siècle de lÊapprentissage de lÊarchi-tecture et de tout art de manière plus général. Cependant lÊobjectif fut alors la découverte du gothique florentin et il

1 ADOLF LOOS, Ibid.

2 ARTHUR RÜEGG, Polychromie architecturale, les Claviers de couleurs de Le Corbusier de 1931 et de 1959, 1997

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Références

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