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Lecture de Matthieu 11, 28-30 dans les Sermons 69 et 70 de Saint Augustin : de la rhétorique classique à l'éloquence chrétienne

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Texte intégral

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CARMELLE BISSON

8L5-3

LECTURE DE MATTHIEU 11, 28-30

DANS LES SERMONS 69 ET 70 DE SAINT AUGUSTIN :

DE LA RHÉTORIQUE CLASSIQUE À L’ÉLOQUENCE CHRÉTIENNE

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval

pour l’obtention

du grade de maître ès arts (M A.)

FACULTÉ DE THÉOLOGIE ET DE SCIENCES RELIGIEUSES UNIVERSITÉ LAVAL

AVRIL 2000

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L’objet de la présente recherche est la lecture de Mt 11, 28-30 dans les sermons 69 et 70 de saint Augustin. Par la méthode de l’analyse rhétorique, nous cherchons à montrer en quoi la perspective chrétienne a modifié le discours de la tradition classique. En mettant en relief les principaux éléments de la rhétorique classique, l’étude expose une forme d’argumentation basée sur la Bible et appelée « orchestration scripturaire ». Ce faisant, même si Augustin traite de sujets sublimes, son style s’apparente à celui du Sermo humilis. Dans ce contexte, Mt 11, 28-30 permet de dégager la théologie sous-jacente à ces prédications, par la via humilitatis : chemin d’incarnation et voie de salut pour le chrétien. Par ailleurs, l’intérêt porté au cadre historique et aux parallèles avec des oeuvres de la même époque s’avère une piste de choix pour favoriser la datation des écrits et !’interprétation des textes.

Carmelle Bisson Etudiante

?

Anne Pasquier

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REMERCIEMENTS :

À Mme Anne Pasquier, professeure à !,Université Laval, Québec, directrice de cette recherche. Pour sa très grande disponibilité, son intérêt soutenu et le partage de la richesse de son savoir, tout au cours de la rédaction de ce mémoire.

À ma communauté : Les Augustines de la Miséricorde de Jésus. Pour m’avoir permis d’approfondir

la spiritualité augustinienne, élément essentiel de notre charisme.

Au Père Jaime Garcia Alvarez, OSA, professeur à !’Université de Burgos, Espagne,

co-directeur. Pour ses judicieux conseils et pour m’avoir encouragée à débuter cette recherche en spiritualité augustinienne.

À M. René-Michel Roberge Professeur à l’Université Laval, Québec. Pour m’avoir conseillée et aidée à bien orienter cette recherche en tant que directeur de ce mémoire au début de mon cheminement de maîtrise.

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RÉSUMÉ... i

AVANT- PROPOS... ii

TABLE DES MATIÈRES...iii

ABRÉVIATIONS - OUVRAGES GÉNÉRAUX - SIGLES... v

INTRODUCTION...1

PREMIÈRE PARTIE CHAPITRE I EXÉGÈSE AUGUSTINIENNE...11

1.1 « Il y a longtemps que je brûle du désir de méditer sur la loi et de t’en confesser ce queje sais et ce que j’ignore. » (Conf. XI, XI, 2)...11

1.2 Le De Doctrina Christiana...29

1.3 Tyconius et son influence... 34

CHAPITRE 2 PRÉDICATION AUGUSTINIENNE...40

2.1 « Quand suis-je capable d’énoncer, toutes les exhortations, les consolations et les directives par lesquelles tu m’as amené, Seigneur, à prêcher la parole et à dispenser ton sacrement à ton peuple. » (Conf. XI, XI, 2)... 40

2.2 Sermo humilis et éloquence chrétienne... 47

DEUXIÈME PARTIE CHAPITRE 1 PRÉSENTATION DES SERMONS 69, 70 ... 53

1.1 Composantes initiales du cadre historique... 53

1.1.1 Le schisme donatiste... . 5 5 1.1.2 L’hérésie pélagienne... 57

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CHAPITRE 2

APPROCHE RHÉTORIQUE DES SERMONS 69 ET 70... 64

2.1 Sermon 69 69 2.1.1 Genre rhétorique de ce sermon... 70

2.1.2 INVENTIO (Acte I)...79

2.1.3 ELOCUTIO (Acte ΙΠ)...85

2.1.4 DISPOSITIO (Acte II)... 98

2.1.4.1 Structure du sermon 69... 99 2.1.4.2 Exorde... 101 2.1.4.3 Propositio... 103 2.1.4.4 Confirmatio... 105 2.1.4.5 Péroraison... 113 2.1.5 Théologie augustinienne... 114 2.2 Sermon 70 119

2.2.1 Genre rhétorique de ce sermon...121

2.2.2 INVENTIO (Acte I)...125

2.2.3 ELOCUTIO (Acte ΙΠ)...129

2.2.4 DISPOSITIO (Acte II) ... 135

2.2.4.1 Structure du sermon 70...136 2.2.4.2 Propositio... 138 2.2.4.3 Confirmatio...140 2.2.4.4 Péroraison... 145 2.2.5 Théologie augustinienne... 146 CHAPITRE 3 MT 11, 28-30 DANS LES CONTEXTES DONATISTE ET PÉLAGIEN...156

3.1 Mt 11, 28-30 dans le sermon 164 contre les donatistes...157

3.2 Mt 11, 28-30 dans le sermon 30 contre les pélagiens...162

CHAPITRE 4 PARALLÈLES ENTRE LES SERMONS 69 ET 70 ET LES SERMONS 30 ET 164 4.1 Le sermon 69 et les sermons 30 et 164...167

4.2 Le sermon 70 et les sermons 30 et 164...173

4.3 Point commun entre les sermons 69 et 70 et les sermons 30 et 164... 176

CONCLUSION ... 178

BIBLIOGRAPHIE... 182

ANNEXE A : Tableau des occurrences de Mt 11, 28-30 dans l’œuvre d’Augustin ... 193

ANNEXE B : Texte du sermon 69...196

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Abréviations

Les abréviations des oeuvres de saint Augustin sont celles présentées par Cornelius Mayer et Erich Feldmann, Augustinus-Lexikon. Vol. 1, Verlag, Ed. Basel Schwabe & Co. AG, 1986-1994, pp. XLII-XLV. NC fait référence à la Note Complémentaire figurant dans la B A. Les abréviations bibliques réfèrent à celles utilisées couramment.

Ouvrages généraux

Pour la traduction française des sermons 69 et 70 nous avons utilisé celle des Œuvres complètes de Saint Augustin, traduction et annotation de MM. Véronne, Écalle, Vincent, Charpentier et Barreau, texte latin et notes de l’édition des bénédictins, 33 vol. Paris, Vivès, 1869-1878. Quant à la traduction latine de Vivès, elle correspond à celle parue dans PL 38, 440-442 (sermon 69); 38, 443-444 (Sermon 70). Pour les références en bas de page concernant l’édition Vivès, nous signalerons le titre de l’œuvre en latin, la section consultée et le numéro de volume correspondant à l’édition ainsi que la localisation des textes dans PL lorsqu’elle ne figure pas dans la B A.

La majorité des références à l’œuvre augustinienne proviennent de la B A. La description bibliographique des œuvres concernées est présentée au complet dans la bibliographie. Les notes en bas de page signalent le titre de l’œuvre, les livres et chapitres consultés, le numéro du volume ainsi que la ou les pages concernée-s. Nous avons repris les traductions et les annotations de : A.G. Hamman pour Saint Augustin explique le sermon sur la montagne. Coll. «Les Pères dans la foi», DDB, 1978; Mgr Victor S axer pour Saint Augustin. L’année liturgique. Coll. «Les Pères dans la foi», DDB, Paris, 1980; André Boissou et Goulven Madec pour les Sermons sur l’Écriture 1-15A. Paris, NBA, 1994.

Le repérage des occurrences de Mt 11, 28-30 a été fait à l’aide des Tables de l’Écriture Sainte de l’édition Vivès, Vol. 33, 1878, p. 145; de la banque CETEDOC 58 (Library of Christian Latin Texts, Éd. Brepols - Turnhout). Les citations bibliques sont celles de la Bible de Jérusalem, Paris, Cerf, 1972, sauf pour celles des sermons 69 et 70 qui respectent la traduction telle que présentée aux annexes B et C.

Les études et recherches augustiniennes ont été répertoriées à l’aide de la B IBP et d’ouvrages de référence tels que : J. Allenbach et al., Biblia patrística. Index des citations et allusions bibliques dans la littérature patristique, 5 tomes, Paris, CNRS, 1975; Cari Andresen, Bibliographia Augustiniana. Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1973; Carl Andresen, Bibliographia patrística. Supplementum, W. de Gruyter, Berlen, 1980; Tarsicius J. Bavel, Répertoire bibliographique de saint Augustin 1950-1960. La Haye, Nijhoff/ Steenbruge, Abbaye Saint-Pierre, 1963; G.K. Hall, éd., Fichier augustinien 4 volumes et 1 supplément (fichier-auteurs et fichier-matières), Boston, Institut d’études augustiniennes, 1972 et 1981; Terry L. Miethe, Augustinian bibliography 1970-1980. with

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essays on the fundamentals of Augustinian scholarship, compiled by Terry L. Miethe foreword Press, Westport, Conn. 1982; Henri Rocháis, Revue des études augustiniennes. table des tomes I (1955) - XXX (1984) suivi de Goulven Madec, La bibliothèque augustinienne. présentation d’ensemble, table analytique des introductions et des notes complémentaires, Paris, Éditions augustiniennes, 1986; Wilhelm Schneemelcher, Bibliographia patrística : internationale patristische. 32 vol., Berlin, De Gruyter, 1956-

1988.

Sigles

BA : Bibliothèque Augustinienne

B IBP : Base d’Information Bibliographique en Patri stique CCL Corpus Christianorum Latinorum

CNRS Centre National de Recherche Scientifique CPL : Clavi s Patrum Latinorum

CRAB Centre de Recherche Augustinienne de Bonnelles CSEL Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum DACL Dictionnaire d’Archéologie Chrétienne et de Liturgie NBA Nouvelle Bibliothèque Augustinienne

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« Et il me parut bon, sous ton regard, non d’arracher avec fracas, mais de soustraire en douceur le ministère de ma langue à la foire du bavardage : je ne voulais plus voir des garçons qui songeaient, non pas à ta loi, non pas à ta paix, mais à des extravagances menteuses et à des luttes de forum, acheter de ma bouche des armes pour leurs furieux délires. » Conf. IX, II, 2

L’homme qui a prononcé ces paroles est celui qui, sous le figuier du Jardin de Milan, a été saisi par la Parole des Saintes Écritures. L’évocation de cette scène désigne Augustin d’Hippone (354-430). Cet homme, ce brillant rhéteur de la chaire de Milan avant sa

conversion, est celui qui, depuis l’événement du « Tolle lege1 2 » de 386, mit tous ses dons et toutes ses ressources personnelles au service de son ministère pastoral de prédication et de défense des vérités de la foi, alors qu’il devint prêtre (391) puis évêque (395).

Augustin ancien rhéteur, et Augustin prédicateur de la Parole de Dieu, tels sont les deux pôles sur lesquels se greffe notre étude. En effet, notre recherche se propose de faire la lecture de Mt 11, 28-3 (P, dans les sermons augustiniens 69 et 70 prêchés en février 4133, à Carthage Notre préoccupation initiale, en abordant ces œuvres, cherche à répondre à une

1 Conf. VIII, XII, 29, BA 14, p. 67. Il s’agit du récit de la conversion d’Augustin qui, au Jardin de Milan, entendit la parole « Prends et lis » . Il fit alors la lecture de Rm 13, 13-14 et se convertit.

2 Mt 11, 28-30 : « Venez à moi, vous tous qui prenez de la peine et qui êtes chargés (fatigués), et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes; car mon joug est doux et mon fardeau léger. » Selon les Œuvres complètes de saint Augustin. Vol. 16, traduction et annotation par MM. Péronne, Écalle, Vincent, Charpentier et Barreau, texte latin de l’édition bénédictine, 33 vol., Paris, Vivès, 1871, pp. 492-498.

3 Pierre-Patrick Verbraken, Études critiques sur les Sermons authentiques de saint Augustin. Instrumenta Patrística XII, Abbatia S. Petri, Bruges, 1976, p. 70.

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interrogation centrale : « En quoi la perspective chrétienne, chez Augustin, a-t-elle modifié le discours de la tradition classique (art oratoire) avec lequel il était si familier? »

Pour élucider cette problématique, notre étude met en relief, pour chaque sermon, les principaux éléments de la rhétorique4, le type d’exégèse, la théologie augustinienne et ce, en tenant compte de la chronologie des écrits. Ce dernier élément étant de la plus haute importance pour une analyse de type synchronique, telle la nôtre. De la sorte, nous pourrons mieux dégager !’interprétation que donne Augustin de la péricope de Matthieu dans un contexte historique particulier. D’autre part, les techniques de la vieille rhétorique gréco-latine, mises au service de la pensée chrétienne, apparaîtront alors avec plus de clarté.

Notre démarche est d’autant plus justifiée que, chez les spécialistes d’Augustin, on constate que beaucoup d’études de synthèse augustinienne sont présentées et que, par ailleurs, peu d’études analytiques voient le jour. C’est la pensée d’Adalbert G. Hamman qui, en 1990, ne se contenta pas de déplorer la situation mais suggéra comme piste de recherche de « faire l’analyse de grands versets bibliques dont la récurrence est particulièrement significative et de le faire dans leur déroulement historique5. » Pierre- Patrick Verbraken s’inscrit dans la même ligne de pensée en suggérant de multiples avenues pour pénétrer les œuvres augustiniennes et, entres autres, la lecture chronologique des sermons et la lecture d’un passage biblique; pistes qui, à son avis, s’avèrent idéales pour pallier à la lecture systématique et onéreuse d’un trop grand nombre d’œuvres à la fois6. Ces propos nous ont convaincu de la pertinence, pour aujourd’hui, d’opter pour ce type de recherche.

4 Ces principaux éléments sont : la littérature païenne, les trois genres rhétoriques: judiciaire, délibératif et épidictique; l’auditoire et les actes d’un discours dans l’Antiquité : INVENTIO (éthos, pathos, logos), DISPOSITIO, ELOCUTIO (ornementation), ACTIO et MEMORIA .

5 Adalbert Hamman, « Saint Augustin, la Bible et la théologie spirituelle », dans Collectanea Augustiniana, Mélanges, T. J. Van Bavel, Leuven, Uitgeverij Peeters, 1990, pp. 779-780.

6 Cf. Pierre-Patrick Verbraken, Lire aujourd’hui les sermons de saint Augustin, dans Nouvelle Revue Théologiaue. 109, (1987) pp. 833-834; Adalbert, G. Hamman, op. cit., pp. 779-780.

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Notre analyse porte donc sur la péri cope biblique Mt 11, 28-30 commentée, et non seulement sollicitée dans l’un ou l’autre des écrits augustiniens7 En effet, nous croyons que l’analyse du commentaire d’un verset biblique, dans une œuvre discursive ponctuelle, permet de cerner plus fidèlement la pensée d’un auteur qu’une étude théologique à partir du repérage de la même occurrence dans plusieurs ouvrages et ce, dans des contextes parfois très différents. Notre recherche permettra de vérifier la véracité de nos propos.

Par le biais de la chronologie, notre étude nous conduira également à mettre en parallèle avec les sermons 69 et 70, deux autres sermons, non plus commentant, mais citant cette fois-ci, Mt 11, 28-30 : le sermon 164 prononcé en 411, à la fin du schisme donatiste, et le sermon 30 prêché entre 412-416, à la naissance de l’hérésie pélagienne. L’intérêt de cet exercice vise à mettre en évidence le sens que donne Augustin, à la péricope matthéenne, lorsqu’elle est citée et glosée dans le but de défendre les vérités de la foi chrétienne et ce, en tenant compte des contextes différents et de la datation des écrits. Dans ce cas-ci, il s’agit de sermons se situant au confluent des crises donatiste et pélagienne tout comme les sermons 69 et 70. De plus, la mise en relief d’éléments comme l’auditoire et la reprise quasi textuelle de fragments de sermons, ré-aménagés pour une autre prédication, nous donnera l’occasion de mieux définir l’éloquence chrétienne. Nous croyons être également en mesure de signaler, au passage, les traces de l’influence de l’exégète donatiste Tyconius, fort consulté par Augustin.

Un autre constat permet à notre étude de se démarquer de celles présentées antérieurement. Notre recherche n’est pas dirigée par un thème à développer8. C’est

7 Bernard Cappelle, « Thèmes bibliques, exégèse augustinienne », Actes du Congrès international angustiaren du 21-24 sept. 1954, dans Augustinus Magister. Tome III, Paris, Institut d’Études augustiniennes, 1954, p. 245. Au cours de ce Colloque, Bernard Cappelle, en parlant de Mt 11, 28 dit : « Ce texte est cité, par saint Augustin, chaque fois qu’il parle du Christ médecin ». Nous savons l’importance du thème du Christ médecin dans la pensée d’Augustin. Notre étude le rappellera. Quant à nous, notre appartenance à une communauté religieuse augustinienne dont le champ d’apostolat était, traditionnellement, le milieu hospitalier et notre formation antérieure en Sciences de la Santé, nous gardent en affinité avec ce sujet. Nous avons privilégié la péricope Mt 11, 28-30 car le travail de repérage de Mt 11, 28 nous a démontré un lien très étroit de ce verset avec les w. 29 et 30.

8 Comme exemples, il faut citer : Pierre-Marie Humbert, Gloria gratiae. Se glorifier en Dieu, principe et fin de la théologie augustinienne de la grâce, Coll. « Études augustiniennes », Série Antiquité 148, Paris, Institut d’Études augustiniennes, 1996, 67 lp; Albert Verwilghen, Christologie et spiritualité selon saint Augustin,

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l’entrée progressive dans nos textes, par !’application de notre méthode d’approche : « de la rhétorique classique à l’éloquence chrétienne», qui en fera émerger la théologie sous- jacente ainsi que le ou les thèmes les plus percutants. Alors qu’une étude thématique et / ou diachronique d’un verset, à travers les écrits de différentes époques de la vie d’Augustin, risque d’en donner une vision trop homogène, la nôtre offre une grille d’analyse et de lecture moins restrictive.

Comme premier pas à franchir, pour enclencher notre lecture analytique, un travail minutieux de repérage du verset de Mt 11, 28-30, dans la totalité du corpus augustinien, s’avérait essentiel. Cet exercice nous a permis de mettre au jour 63 occurrences de cette péricope, figurant dans 49 écrits d’Augustin, dont 6 ne sont pas datés. Nous avons, par la suite, complété ce relevé des citations, en les présentant par ordre chronologique sous un même tableau9. Cette chronologie rend la péricope matthéenne d’autant plus intéressante à étudier qu’elle s’émaillé sur toute la grande activité pastorale d’Augustin. Augustin cite Mt 11, 28-30 pour la première fois en 392 (un an après son accession à la prêtrise) et elle apparaît jusqu’en 430 (année de sa mort). Sachant qu’Augustin cite rarement un verset biblique isolément, nous avons enrichi cette chronologie de son « orchestration scripturaire10 », en nous référant uniquement au contexte immédiat. Cette recension ne tient pas compte des nombreuses allusions à ces versets, de même que des écrits considérés comme douteux par les critiques.

Cependant, dans le cadre d’un mémoire de maîtrise, nous ne pouvions étudier chacune des occurrences apparaissant dans un aussi grand nombre d’écrits. Une observation attentive de !’utilisation de Mt 11, 28-30, par Augustin, nous révèle que dans la plupart des

L’hymne aux Philipiens, Coll. « Théologie historique », 72, Paris, Beauchesne, 1985, 556p. La première tire son orientation du thème de la grâce tandis que la seconde porte sur le Christ médiateur.

9 Voir Annexe A, pp. 182-184. Au sujet du texte biblique utilisé par Augustin, il faut lire Pierre-Maurice Bogaert, « La Bible d’Augustin », État des questions et application aux sermons Dolbeau, dans Augustin prédicateur (395-411). Actes du Colloque International de Chantilly (5-7 septembre 1996) édités par Goulven Madec, Paris, Institut d’Études augustiniennes, 1998, pp. 33-47.

10 Depuis les travaux d’Anne-Marie La Bonnardière, la manière de présenter un verset biblique avec son « orchestration scripturaire » est devenue classique. Voir Biblia Augustiniana. Paris, Institut d’Études augustiniennes : Livres historiques, 1960, 172p; Les douze petits prophètes, 1963, 56p; Les épîtres aux Thessaloniciens, à Tite et à Philémon, 1964, 55p; Le Deutéronome, 1967, 72p; Le livre de la Sagesse, 1970, 368p; Le Livre de Jérémie, 1972, 104p; Le Livre des Proverbes, 1975, 234p.

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cas, Augustin ne fait que citer cette péricope, sauf exception, pour 3 sermons. En effet, les sermons 69, 70 et 70A (Mai 12711) sont l’interprétation de Mt 11, 28-30 à travers l’un ou l’autre de ses versets. Dans les sermons 69 et 70A, l’effort d’interprétation que fournit Augustin, est concentré sur les versets 28 et 29 tandis que le sermon 70 offre un commentaire étoffé du verset 30. Les sermons 69 et 70 présentent donc, à eux seuls, une interprétation de la totalité de la péricope matthéenne. De plus, ces deux sermons portent le même titre : « Le joug du Christ ». Le sermon 70A, quant à lui, n’est pas daté et a pour titre : « L’humilité12 ». Pour ces raisons, nous croyons que les sermons 69 et 70 peuvent être considérés comme un tout. Notre analyse pourra le confirmer ou l’infirmer. Les limites de notre étude nous imposant un cadre restreint, nous avons donc choisi de centrer notre effort de recherche sur les deux œuvres discursives datées que sont les sermons 69 et 70 d’Augustin.

Mt 11, 28-30, péricope absente chez les trois autres évangélistes, n’a fait l’objet d’aucune recherche jusqu’à ce jour13. Le dépouillement de la littérature disponible nous le confirme. Cependant, une agréable surprise nous attendait. Le mot « fardeau » (sarcina), figurant dans la péricope matthéenne que nous étudions, a souvent retenu !’attention des chercheurs14. Augustin aimait utiliser ce mot sarcina chaque fois qu’il faisait allusion à sa « charge » comme évêque.

Tout comme pour la péricope matthéenne, l’évangile de Matthieu, dans son ensemble, n’a pas été souvent retenu par les chercheurs augustiniens. Par contre, la place accordée

11 Pierre-Patrick Verbraken, op. cit., p.14. Il s’agit du 127e des 201 sermons authentifiés par le cardinal Angelo Mai et publiés en 1852.

12 Ibid., p. 70 et 177.

13 II serait intéressant de vérifier, dans une étude de plus grande envergure, le degré d’importance donné à Mt 11, 28-30 dans les testimonia ou dossiers scripturaires disponibles à l’époque de l’Antiquité chrétienne. 14 Goulven Madec, Introduction aux « Révisions » et à la lecture des oeuvres de saint Augustin. Coll. « Études augustiniennes », Série Antiquité 150, Paris, Institut d’Études augustiniennes, 1996, p. 48 et La patrie et la voie, le Christ dans la vie et la pensée de saint Augustin, note 11, Paris, DDE, 1989, p. 89; Maurice Pontet, L’exégèse de saint Augustin, prédicateur. Études publiées sous la direction de la faculté de théologie de Lyon-Fourvière, Paris, Aubier, 1944, p.42; Maurice Jornjon, « L’évêque et le peuple de Dieu selon Augustin » dans Henri Rondet, Saint Augustin parmi nous. Paris, Ed. Xavier Mappus, Le Puy, (1954), p. 155 et « Sarcina, un mot cher à l’évêque d’Hippone », dans Recherche de Science religieuse. 43, (1955), pp.258-

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par Augustin à cet évangile n’est pas négligeable15, sauf s’il est comparé à l’importance qu’il accorde à l’évangile johannique, au Psautier et au livre de la Genèse. Cet évangile a donné lieu au commentaire du De Sermoni Domini in monte (393-394) dans lequel Augustin explique Mt 5, 5 - 7, 2916. Outre cet ouvrage, il faut ajouter qu’Augustin a commenté la quasi totalité de cet évangile dans des Sermones ad populorum11 18. En ce qui concerne les autres écrits augustiniens, le Quaestionum evangeliorumn présente 47 questions rattachées à cet évangile et le De quaestiones 83 en compte 519; le De Consensu evangeUstarum20 tente de démontrer l’accord entre les évangélistes tandis que le Speculum21 reprend quelques préceptes tirés de l’évangile de Matthieu.

Ayant cumulé toutes ces informations, nous sommes pleinement justifié d’entreprendre une telle étude, à cause de la nouveauté de son sujet, certes, mais surtout en regard de notre méthode d’approche et d’analyse des textes anciens influencés par le Christianisme : méthode qui permet de bien mettre en lumière le passage d’une rhétorique classique à une éloquence chrétienne. Nous sommes cependant conscient que le sujet de la rhétorique classique, en lien avec la prédication religieuse, a déjà fait l’objet de quelques réflexions antérieures22.

Notre recherche comporte deux parties. La première, plutôt théorique et nécessaire, s’applique à connaître Augustin, en tant qu’exégète et prédicateur. Dans un premier chapitre, en voyant Augustin à l’œuvre, en ses débuts, avec les manichéens, nous serons plus en mesure de souligner les orientations fondamentales de son exégèse ainsi que ses sources probables. Par la suite, nous aborderons le De Doctrina Christiana, manuel dans

15 Pour connaître l’intérêt suscité par l’évangile de Matthieu dans la littérature patristique voir : J. Allenbach et al., Biblia Patrística, Index des citations et allusions bibliques dans la littérature patristique, Paris, 1975sq. 16 Saint Augustin, Saint Augustin explique le Sermon sur la montagne, présentation, guide de lecture, annotation par A.G. Hamman, Coll. « Les Pères dans la foi », Paris, DDE, 1978, 168p. (Vives, 9, pp. 20-134). 17 Saint Augustin, Sermons sur l’évangile de Saint Matthieu. Vives 16 et 17, 1871-1872, pp. 369-607; pp. 1- 36 (PL 38, 332-580).

18 Quaestionum evangeliorum, Vives, 9, 1869, pp. 135-151 (PL 35, 1321-1364). 19 De quaestiones 83, BA 10, pp. 53-379.

20 De consensu evangelistarum, Vives, 8, 1871, pp. 422-675; Vives, 9, pp. 1-18 (PL 34, 1041-1230). 21 Speculum, Vives, 8, 1871, pp. 206-421 (PL 34, 887-1040).

22 Voir : Jean Leclercq, « Prédication et rhétorique au temps de saint Augustin », dans Revue bénédictine. 57, (1947), pp. 117-131; José Oroz Reta, La retórica en los sermones de san Agustín . Madrid, Augustinus, 1963,

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lequel Augustin a consigné ses principes d’herméneutique et ses règles exégétiques. Le donatiste Tyconius, à qui Augustin accorde une large place dans le De Doctrina Christiana, retiendra notre attention. Tyconius qui, par ses règles d’herméneutique biblique, a influencé et fait progresser Augustin dans sa démarche exégétique. Notre texte, émaillé de plusieurs références à des auteurs anciens et modernes, cherche à percevoir, à travers le temps, les caractéristiques de l’exégèse augustinienne. Nous nous attarderons, dans le chapitre suivant, à la prédication augustinienne. Après en avoir présenté les principaux traits, nous verrons en quoi le Sermo humilis décrit bien la prise de parole d’Augustin quand il explique les Saintes Écritures.

Quant à la deuxième partie, elle est en totalité consacrée à la présentation des sermons 69 et 70 ainsi qu’à leur analyse. Dans un premier temps, nous exposerons les composantes initiales du cadre historique des deux sermons. Suivra un parcours synchronique. Par ce parcours, les sermons seront situés par rapport aux autres ouvrages augustiniens de la même époque. De la sorte, nous serons plongé au cœur même des préoccupations d’Augustin et des controverses auxquelles il a été mêlé à cette époque, soit le donatisme et le pélagianisme.

Nous consacrerons le deuxième temps uniquement à l’analyse proprement dite des sermons 69 et 70. Chaque sermon sera questionné en tenant compte des composantes de la rhétorique classique. Il sera relu à la lumière des grandes parties du discours de la rhétorique ancienne ainsi que de leurs élémensts respectifs. Pour ce faire, nous ferons appel principalement à Chaim Perelman et Lucie Olbrechts-Tyteca, Olivier Reboul et Jean- Jacques Robrieux; ces auteurs puisant eux-mêmes largement dans les œuvres d’Aristote, Cicéron, l’auteur de la Rhétorique à Herennius et quelques autres23.

Dans ce même mouvement, nous ferons apparaître les variantes qui, de par leur nouveauté, nous introduisent à l’éloquence chrétienne. De la sorte, nous croyons être en mesure de mettre en évidence, en tenant compte des différents auditoires et de la datation des écrits, le profil augustinien d’un sermon au peuple, en dégageant : un modèle

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d’INVENTIO chrétienne basée sur la priorité de la Parole de Dieu comme première autorité;

le rôle joué par l’ELOCUTlO dans une prédication religieuse et la flexibilité de la DISPOSITIO selon l’intention poursuivie par le prédicateur. Nous appuyant sur cette

analyse, nous souhaitons mettre en lumière le type d’exégèse appliqué pour chaque sermon. De la sorte, nous espérons faire ressortir les traits marquants de la théologie augustinienne, traits découlant de !’interprétation qu’Augustin fait de Mt 11, 28-30. Cette section, il va sans dire, constituera la partie centrale de notre recherche.

Comme complément, à la lecture de Mt 11, 28-30 dans les sermons 69 et 70, nous présenterons deux courts chapitres. Le but du premier est de connaître !’interprétation que donne Augustin de Mt 11, 28-30 quand il cite cette péricope dans les contextes pélagien et donatiste à travers les sermons 30 et 164 et ce, dans la même époque. Le second chapitre mettra en évidence les concordances relevées entre les sermons 69 et 70 et les sermons 30 et 164. Nous pourrons observer qu’Augustin, en bon rhéteur, tout en empruntant des propos que nous pourrions qualifiés d’universels, adapte son discours à son auditoire. Nous espérons que ces deux brefs chapitres, quoique présentés par une « chercheuse en herbe », contribueront à ouvrir de nouvelles pistes pour la recherche ou du moins à en susciter l’intérêt. L’entreprise n’est pas de petite taille. Il serait donc présomptueux, de notre part, de croire que tout a été dit. Qu’à notre exemple d’autres se lèvent et contribuent aussi à mettre à jour le riche patrimoine spirituel que nous ont légué, à la manière d’Augustin, ces géants de l’Antiquité chrétienne que sont les Pères de l’Église.

En conclusion, nous pourrons confirmer la pertinence des propos d’Augustin quand il affirme : « C’est un fait que par l’art de la rhétorique on peut persuader le vrai comme le faux. Qui oserait dire que la vérité doit faire face au mensonge avec des défenseurs désarmés?24 » Celui qui annonçait, en exergue, ne plus vouloir fournir d’« armes » pour les « furieux délires » de ses étudiants, le voilà qui, tournant le dos au « vendeur de verbosité25 » dont il se qualifiait, prend dorénavant la défense des vérités de la foi sans être pourtant « désarmé ». Sans être désarmé, Augustin, en effectuant dans les sermons 69 et

24 De Doctrina Christiana, IV, II, 3, BA 11, p. 427. 25 Conf. IV. II, 2, BA 13, p. 411.

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70 le passage des éléments de la rhétorique classique à l’éloquence chrétienne, nous aura fait découvrir comment s’effectue la conversion de l’une à l’autre. Nous serons alors à même d’observer l’éloquence chrétienne à son meilleur par-delà l’art oratoire classique qui, bien que présent, se laisse oublier.

Dorénavant, les arguments de type affectif et rationnel sont au service de la défense des vérités de la foi, dans le but de persuader, certes, mais surtout d’instruire un auditoire désireux de progresser dans sa foi. La littérature païenne a cédé le pas aux textes sacrés; l’orateur est passé de sa chaire de rhétorique à sa cathèdre de pasteur. Pour le moins surprenant, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, le choix d’un style humble n’enlève rien à la sublimité des propos tenus. L’auditoire ne cherche plus tant à applaudir l’orateur qu’à magnifier l’Auteur de la vraie Parole. Ainsi, nous apparaîtra l’éloquence chrétienne telle que dégagée par la lecture de Mt 11, 28-30 dans les sermons augustiniens 69 et 70; éloquence chrétienne sans rupture toutefois avec l’art oratoire classique. Éloquence chrétienne qui aura contribué merveilleusement à faire surgir dans les œuvres discursives étudiées, la richesse de l’exégèse et de la théologie augustiniennes par son approche typologique et allégorique.

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L’EXÉGÈSE AUGUSTINIENNE

1.1 «Π y a longtemps que je brûle, Seigneur, de méditer sur ta loi et de t’en confesser ce que je sais et ce que j’ignore. » Conf. XI, XI, 2

On se souvient qu’à l’âge de 18 ans, Augustin, féru de vérité, avait résolu de la chercher dans la Bible. À cette époque, ce livre lui apparut indigne d’être comparé à la littérature cicéronienne. Il en banalisa le contenu dont la simplicité le rebutait26. Par la suite, nous savons qu’Augustin a été un fervent adepte de la secte manichéenne. L’adhésion d’Augustin à la doctrine des manichéens avait fait naître en lui un climat de suspicion à l'égard des saintes Écritures27.

Plus tard, à l’aube de sa trentième année, l’audition des sermons de l’évêque Ambroise de Milan déclencha chez lui un mouvement plus favorable à l’endroit des textes bibliques. Augustin, fasciné par le sens spirituel donné par l’évêque Ambroise pour expliquer bon nombre de versets bibliques, perçut très vite dans cette approche une clé d’interprétation pour comprendre les passages obscurs de la Bible. Ainsi, tout en

26 Conf. Ill, V, 9, BA 13, p. 377.

27 Augustin a fréquenté la secte manichéenne, de sa dix-neuvième année à sa vingt-huitième année : 373-382, période de son professorat à Thagaste et à Carthage. Voir Conf. Ill, VI, 10, BA 13, p. 379; Conf. IV, Π, 2, BA 13, pp. 407-411. Pour un commentaire de Conf. Ill, VI-VII, voir Obvier Du Roy, L’intelligence de la foi en la Trinité selon Saint Augustin. Coll. « Études augustiniennes », Série Antiquité 27, Paris, Institut d’Études augustiniennes, 1966, pp. 29-37.

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maintenant une grande réserve, Augustin se réjouissait d’entendre dire de la part d’Ambroise que : « la lettre tue mais que l’esprit vivifie; et en même temps, dans des textes qui semblaient à la lettre contenir une doctrine perverse, de le voir soulever le voile mystique et découvrir un sens spirituel, sans rien dire qui pût choquer28 ». Par la suite, la lente maturation de sa réflexion lui permit de s’éveiller à la possibilité de passer d’une interprétation littérale des passages obscurs de la Bible à une exégèse allégorique des faits29. Cette rencontre avec Ambroise est sans contredit à l’origine de ce qu’il est convenu d’appeler un principe augustinien d’herméneutique biblique.

Fort de cette expérience, Augustin se remit à fréquenter les textes bibliques : « Je me saisis donc, avec la plus grande avidité, des œuvres vénérables de ton Esprit, et avant toute autre de celles de l’Apôtre30 ». En 386, au jardin de Milan, cette Parole de Dieu, puisée à même les épîtres pauliniennes, le saisit et l’invite à la conversion. Depuis cette époque, l’Écriture « est partout première, elle ne vient pas comme un ornement de fond, elle est le fond même31 ». Il brûle de la méditer, de la défendre et de la proclamer. Augustin est passé maître dans !’interprétation de l’Écriture par l’Écriture. Anne-Marie La Bonnardière a merveilleusement démontré jusqu’à quel point Augustin savait orchestrer32 les versets bibliques autour d’un même thème pour persuader son auditoire, certes, mais surtout pour lui révéler le véritable sens des écrits sacrés. C’est ainsi que, sollicité de part et d’autre pour commenter la Bible, appelé à faire la lumière sur des questions d’ordre scripturaire et confronté à de nombreuses polémiques, Augustin fut contraint de se donner des principes d’herméneutique biblique.

28 Conf. VI, IV, 6, BA 13, p. 529. Pour la totalité de cette expérience vécue par Augustin voir : Conf. V, XIII, 23, BA 13, p. 507 - Conf. V, XIV, 24, BA 13, p. 511; Conf. VI, ΠΙ-V, BA 13, p. 521 - Conf. VI, V, 7, BA 13, p. 533. Noter que « la lettre tue et l’esprit vivifie » est de 2 Co 3, 16.

29 Cf. Frederick Van Fleteren, « Toward an Understanding of Augustine’s Hermeneutic », dans Augustinian Studies. 29-2, (1998), p. 129.

30 Conf. VII, XXI, 27, BA 13, pp. 639-643. 31 Maurice Pontet, op. cit., p. 30.

32 François Chatillon, « Orchestration scripturaire », dans Revue du Moyen Âge latin. 10, (1954), p. 216; Anne-Marie La Bonnardière, Biblia augustiniana. A.T., « Ch. V. Les recueils des documents bibliques » dans Le livre de la Sagesse, Coll. « Études augustiniennes », Série Antiquité 42, Paris, Institut d’Études augustiniennes, 1970, pp. 109-142.

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Les principes exégétiques qu’Augustin adapte à la Bible sont la réplique de deux types d’examen appliqués à l’étude d’un texte, dans l’Antiquité33. En effet, le travail de critique textuelle (« emandatio ») et le travail d’interprétation (« explanatio ») figurent dans les manuels de rhétorique et de littérature de l’époque. Vue sous cet angle, l’exégèse augustinienne apparaît comme une exégèse grammaticale. Toutefois, même si le grammairien et le professeur refont souvent surface, on ne peut dire qu’Augustin est « un philologue, sûr de ses racines, de ses constructions, et familier des langues orientales dans lesquelles fut pensée l’Écriture34 ». Cette lacune, concernant la méconnaissance du grec biblique et de l’hébreu, lui rendra plus difficile !’interprétation littérale des Écritures. Mais l’objectif d’Augustin est autre. Il n’est pas, comme le dit Henri-Irénée Marrou, « un éditeur de la Bible, mais un exégète; et dans sa pensée le travail du second n’implique pas nécessairement celui du premier. Son but n’est pas d’établir le meilleur texte compatible avec les servitudes du latin, mais de parvenir à la pleine compréhension du contenu de la révélation35 ». Si Augustin ne peut se départir entièrement de son ancienne formation, ce n’est pas qu’il veut agir en grammairien mais bien pour signifier que toutes ses connaissances seront dorénavant mises au service de son travail d’exégèse.

D’entrée de jeu, nous dirons que son exégèse n’est pas une méthode d’interprétation des Écritures aux contours bien définis et sortie totalement de son génie créatif. Cette exégèse est héritière d’un passé et dépendante de certaines sources telles que: « les écoles philosophiques stoïciennes, l’exégèse spirituelle et littérale selon les écoles alexandrines et antiochiennes, les controverses ariennes et manichéennes36 ». En s’excusant d’utiliser des expressions grecques auprès d’Honoré, un manichéen, à qui il adresse, peu après 391, un ouvrage intitulé: De utilitate credendi, Augustin nous donne à penser qu’il a probablement

33 Voir : Bruno Delaroche, Saint Augustin lecteur et interprète de saint Paul dans le De peccatorum meritis et remissione (hiver 411-412). Coil. « Études augustiniennes », Série-Antiquité 146, 4e édition, Paris, Institut d’Études augustiniennes, 1996, p. 50; Henri-Irénée Marrou, Saint Augustin et la fin de la culture antique. Paris, Boceará, 1948, pp. 430-444,

34 Maurice Pontet, op. cit., p. 196. Voir Marie Comean, Saint Augustin exégète du 4e évangile. Coll. « Études de théologie historique », Paris, Beauchesne, 1950, p. 49.

35 Henri-Irénée Marrou, Saint Augustin et la fin de la culture antique. 4e édition, Paris, Boceará, 1958, p.441. 36 H. Somers, « Image de Dieu. Les sources de l’exégèse augustinienne », dans Revue des Études augustiniennes. 17, (1961), p. 111. Voir la note 2, p. 106, où l’auteur dit que: « B. Altaner a consacré une série d’études au problème des sources : P. Comedle, Les lettres grecques en Occident, de Macrobe à

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puisé à même un enseignement exégétique hérité des écoles d’Alexandrie et d’Antioche qui avaient l’une et l’autre créé une tradition scripturaire37. Augustin se réfère, en quelque sorte, à une terminologie classique dont il reprend les quatre approches pour pénétrer le sens de l’Ancien Testament. Ces quatre approches: selon l’histoire, selon l’étiologie, selon l’analogie et selon l’allégorie, Augustin en donne lui-même la signification :

Il y a donc exégèse historique, quand on enseigne ce qui est écrit, ou qui s’est passé, et ce qui, sans s’être passé, a été simplement écrit comme s’il s’était passé; exégèse étiologique, lorsqu’on montre la cause de tel fait ou de telle parole; exégèse analogique, lorsqu’on établit qu’il n’y a pas contradiction entre les deux Testaments, l’Ancien et le Nouveau; exégèse allégorique, lorsqu’on enseigne que certains passages sont à prendre non à la lettre, mais figurément38.

S’il y a des bémols à apporter à la compréhension de ces quatre sens, il faut les chercher dans l’occasion qui a poussé Augustin à les proposer et à les utiliser. C’est qu’à cette époque, Augustin était aux prises avec les disciples de Manès. Acculé à défendre la sainteté du premier Testament, il prend appui sur une autorité chrétienne déjà existante. En utilisant cette division quadripartite, il peut en quelque sorte échapper habilement aux objections des manichéens. Il semble bien que cette division quadripartite, non conventionnelle, ait été utilisée de manière ponctuelle par Augustin. En effet, plus tard, en écrivant le De Genesi ad litteram Augustin évoque de nouveau quatre sens ou quatre sortes de sujets39 de l’Écriture sans toutefois mentionner l’étiologie et l’analogie40 : « Or, dans tous les livres saints, il importe de distinguer les vérités éternelles qui sont inculquées, les faits qui sont racontés, les événements à venir qui sont annoncés, les règles d’action qui

Cassiodore. Paris, 1943; I. Chevalier, Saint Augustin et la pensée grecque. Fribourg (Suisse), 1940 »; Bruno Delaroche, op. cit., voir notes là? au bas des pages 49-51.

37 C. Douais. « Saint Augustin et la Bible ». dans Revue Biblique, janvier, (1893), p. 69.

38 De utilitate credendi, III, 5, BA 8, p. 219; voir aussi : III, 7-ΙΠ, 8, pp. 217-227 et De Genesi ad litteram liber imperfectus, 11, 5, Tome VII, Vives, 1893, p. 3 (PL 34, 222).

39 Henri De Lubac, Exégèse médiévale. Les quatre sens de !’Écriture. Tome 1, Coll. « Théologie », 41, Paris, Aubier, 1959, p. 182 : « Il n’ y a pourtant guère de doute, cette fois encore, que la pensée d’Augustin soit autre : il veut plutôt indiquer quelles sont les quatre sortes de sujets dont la Bible traite tour à tour, la matière diverse et diversement répartie de ses enseignements, - sans toutefois qu’il y ait à exclure que l’un de ces sujets dont traite la Bible soit l’annonce des « futura », et que cette annonce se fasse souvent par des faits, par des événements figuratifs. »

40 Ibid., p. 178 : « À moins que l’étiologie et l’analogie ne soient nullement des sens à proprement parler, mais des considérations par quoi l’exégète justifie le sens historique d’un texte donné, soit en indiquant sa cause, soit en montrant son accord avec un autre texte plus précisément avec un texte de l’autre Testament. »

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sont prescrites ou conseillées41 ». Cette nouvelle division fait appel à Vanagogie, à l’histoire, à l’allégorie et à la tropologie. Présentée de la sorte, cette division permet de dégager le sens littéral (histoire) et les sens spirituels (anagogie, allégorie et tropologie), reconnus depuis longtemps par les Anciens, en regard de !’interprétation des Écritures42.

Même si Augustin énonce clairement quatre sens d’interprétation des Écritures, Henri De Lubac pense qu’Origène en serait à l’origine43. Comme Augustin n’ignorait pas Origène, l’influence est plus que probable. Origène reconnaissait trois sens : historique, moral et mystique tandis que son prédécesseur Philon d’Alexandrie en nomme deux : le sens littéral et le sens moral. D’autre part, il n’est pas impensable de prétendre qu’Augustin ait subi l’influence d’Hermagoras par rapport à tout ce qui concerne l’analogie et l’étiologie pusique le système rhétorique de ce dernier accorde une large place à la détermination de l’état de cause44. Quoiqu’il en soit de !’interprétation de l’Écriture par les quatre sens, le chevauchement d’un sens par rapport à un autre demeure inévitable.

C’est avec toutes ces informations puisées à des sources extérieures et enrichies par son contact avec l’évêque Ambroise, lui-même influencé par Cicéron, Origène et saint Paul, qu’Augustin a fait ses débuts dans le domaine de l’exégèse scripturaire45. Bien sûr, nous ne pouvons pas faire une étude exhaustive de l’exégèse augustinienne dans le cadre de cette recherche. Nous tenons cependant à couvrir un champ assez vaste qui nous permette de cerner d’un peu plus près sa démarche intellectuelle, certes, mais surtout de dégager les lignes de forces de son intelligence spirituelle des Écritures.

41 De Genesi ad litteram I, 1,1, BA 48, p. 83.

42 Au sujet des quatre sens de Γinterprétation des Écritures il faut lire : Henri de Lubac, op. cit., Tome I, pp. 23-207; Tome 2, pp. 425-681.

43 Aimé Solignac, « L’interprétation spirituelle de l’Écriture » dans Conf. NC 29, BA 14, p. 624. 44 Françoise Desbordes, La rhétorique antique. Paris, Hachette, 1996, p. 93.

45 Cf. Frederick Van Fleteren, « Augustine’s Principles of Biblical Exegesis, De Doctrina Christiana Aside : Miscellaneous Observations », dans Augustinian Studies, 27-2, (1996), p. 108; Marie Comeau, La rhétorique de saint Augustin d’après les Tractatus in Joannem. Paris, Boivin & Cie, 1930, p. XVII.

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Au départ, il faut noter qu’Augustin a entrepris ses travaux en matière d’exégèse biblique en s’attaquant à la doctrine des manichéens46. En effet, en 387, Augustin se met à la tâche de défendre l’autorité des Saintes Écritures contre ses plus proches adversaires, les manichéens. Il déclare « que la méthode de propagande manichéenne est double : critique de l’Ancien Testament d’une part, prétention de pratiquer une vie particulièrement chaste et continente, d’autre part47 ». En écrivant en un seul ouvrage : Le De moribus Ecclesiae catholicae (Livre I) et le De moribus manichaeorum (livre II), Augustin entend prouver que

l’Ancien Testament et le Nouveau Testament sont d’accord pour enseigner les normes du bien vivre. Utilisant la méthode d’interprétation par analogie. Augustin, dans le premier livre, prend occasion pour faire un essai de démonstration de la concordance entre les deux Testaments, par le biais du précepte de la charité et des quatre vertus cardinales48 tout en ayant soin d’y dégager le sens moral en réfutant l’erreur manichéenne sur l’origine et la nature du bien et du mal. Annonçant déjà le principe fondamental de son exégèse, celui du double précepte de l’amour49, le nouveau converti franchit un pas important, dans cet essai d'interprétation biblique ponctué d'une centaine de citations scripturaires.

En 388-389, avec la parution des deux livres du De Genesi contra Manicheos, Augustin poursuit sa lutte contre ses adversaires. Cet ouvrage est le premier consacré à l’exégèse de la Genèse, pour la défense de ce livre de la Loi Ancienne, très fortement malmené par les manichéens. Augustin dira : « Les manichéens ont coutume de blâmer les Écritures de l’Ancien Testament qu’ils n’entendent pas, et par ce blâme, de tourner en ridicule et de tromper ceux des nôtres qui sont faibles, nouveaux dans la foi, et qui ne trouvent pas à leur répondre50 ». Dans le but de démolir leurs arguments et d’en écarter les difficultés, Augustin résolut d’expliquer, verset par verset, les deux premiers chapitres de la Genèse. Il cherche à défendre la réalité de la création en voulant appliquer une méthode d’interprétation littérale des textes. Ses efforts ne furent pas concluants.

46 À ce sujet, voir : Julien Ries, « La Bible chez saint Augustin et chez les manichéens », dans Revue des Études augustiniennes. 7, (1961), pp. 231-243; 9, (1963), pp. 201-215; 10, (1964), pp. 309-329.

47 Anne-Marie La Bonnardière, op. cit., p. 26.

48 Cf. De moribus Ecclesiae catholicae, I, 16, 26, Tome 3, Vives, 1873, p. 512, (PL 1, 1309-1378).

49 Le 10,27: « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit; et ton prochain comme toi-même. »

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Augustin se heurta à une difficulté de taille car le sens littéral de tous les versets lui échappait. Plus tard, il s’en expliquera en ces termes : « Ils (les versets) me paraissaient surtout ne pas devoir s’entendre dans le sens propre ou ils ne le pouvaient que difficilement. Mais afin de ne pas être retardé dans mon entreprise, j’ai expliqué brièvement et avec toute la clarté possible le sens figuré des passages dont je n’ai pu trouver le sens propre50 51 ». L’affirmation est sans ambiguïté. Ne pouvant s’en tenir à une interprétation littérale du texte, Augustin opte pour une interprétation de type allégorique. En procédant ainsi, il se distanciait de l’herméneutique biblique des manichéens. En effet, ce procédé littéraire de l’allégorie était à peu près « inopérant chez les manichéens qui s’attachaient exclusivement au sens littéral52 » des Écritures. Par contre, il marchait sur les pas d’Ambroise, dont « l’exégèse allégorique, lui permettait de résoudre sans peine des difficultés d’ordre historique53 ». Mais il faut encore entendre Augustin sur cette question de l’allégorie et de la recherche du sens littéral des Écritures :

Certes, si quelqu’un prenant à la lettre tout ce qui est rapporté, c’est-à-dire ne l’entendant pas autrement que l’indique le sens littéral, pouvait éloigner les blasphèmes et montrer la concordance de tous ces faits avec la foi catholique, loin de m’élever contre lui, je le tiendrais pour un interprète excellent et digne de tout éloge. Mais s’il n’est pas possible de trouver aucune issue pour comprendre les Écritures avec piété et d’une manière digne de Dieu, sans admettre que leur texte renferme un sens figuré et énigmatique; alors appuyé sur l’autorité des Apôtres qui nous ont dévoilé tant de passages mystérieux de l’Ancien Testament, je conserverai la méthode que j’ai déjà suivie (-), je m’efforcerai d’expliquer conformément à la foi catholique toutes ces figures qui se rapportent à l’histoire ou aux prophéties, sans rien préjuger contre une explication meilleure et plus exacte venant de nous, ou d’autres à qui Dieu daignerait la révéler54.

Fort de cette certitude et de plus en plus épris de la Bible, Augustin poursuit sa course. Il publie en 390 un opuscule De vera religione, adressé à Romanien, un manichéen. Dans cet ouvrage, Augustin se propose d’exposer les mystères de la religion chrétienne et de détruire

50 De Genesi contra Manicheos, I, 1, 2, Tome 3, Vives, 1873, p. 423 (PL 34, 173-220); Retractationes, I, 10, 1, BA 12, pp. 327-329.

51 De Genesi ad litteram, VIII, 2, 5, BA 49, p.15. Pour connaître la conception d’Augustin sur !’interprétation littérale, voir De Genesi ad littéram, BA 48, pp. 32-50.

52 Retractationes, BA 12, NC 17, p. 568.

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les principes des faux dogmes manichéens54 55. Tout en demeurant très sensible à Γinterprétation allégorique, Augustin, dans ce traité, marque un tournant. Encore néophyte dans T interprétation des Écritures, il progresse dans l’idée que l’objet immuable de la foi est à chercher sous l’allégorie et sous l’histoire, sous les figures et sous les faits. En effet, dira- t-il : « Distinguons donc la foi que nous devons à l’histoire et la foi que nous devons à l’intelligence56 ». Mais comment discerner le sens réel des Écritures sous l’écorce des mots humains? À ce propos, Augustin n’hésitera pas à souligner qu’une règle importante s’impose. Cette règle, c’est celle du langage car « toute langue possède certains modes d’expression propres qui, transposés dans une autre, semblent dénués de sens57 ».

La démarche exégétique d’Augustin prend corps. La nécessité de faire la lumière par rapport à la controverse manichéenne, à laquelle il a été mêlé, l’a obligé à se dépasser pour triompher des résistances adverses. Dorénavant, le sens littéral ou historique, l’analogie, l’étiologie, les sens spirituels exprimés à travers l’allégorie ainsi que la considération de la linguistique font partie intégrante de ses préoccupations d’exégète et de théologien.

Mais en fait, c’est l’année 391 qui marque une date importante dans l’étude approfondie de la Bible, chez Augustin. C’est l’année de son ordination sacerdotale. Ordonné par le vieil évêque Valérius, Augustin ne se croyait pas prêt à prêcher, ni capable d’annoncer la Parole de Dieu. Il supplia Valérius de lui accorder pendant cette année une période de temps afin de se préparer plus dignement pour les fonctions sacrées et mieux s’habiliter pour le ministère de la Parole58. Il poussa l’étude de la Bible aussi loin qu’il le pouvait avec les moyens et le temps dont il disposait.

54 De Genesi contra Manicheos, II, 11,3, op. cit., p. 458.

55 Cf. De vera religione, Vives, 1873, Avertissement sur le traité de la vraie religion, p. 595 (BA 8, pp. 11- 191.

56 De vera religione, XL, 99, BA 8, p. 169. 57 Ibid., p. 171.

58 Cf. Epistula XXI, 4 : « ...J’oserai dire queje sais et queje crois tout ce qui appartient à notre salut. Mais sais-je comment il faut l’exposer pour le salut des autres? C’est pour cela que j’ai fait demander par des frères à votre sincère et vénérable charité le peu de temps qui nous sépare encore de Pâques, et c’est encore le but des prières queje vous adresse en ce moment », Vivès 4, pp. 284-287 (PL 33, 88-90).

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En cette même année 391, il publia deux autres traités ou plutôt deux écrits polémiques contre les manichéens : De utilitate credendi dans lequel il défend la foi catholique et donne son vrai sens à l’Ancien Testament tout en justifiant la foi sur la connaissance; le Contra Adimantum dans lequel il reprend un à un les passages de l’Ancien Testament que réfutent les manichéens. À ces hommes, qui soutiennent que l’Ancien Testament et le Nouveau Testament sont en désaccord, Augustin réplique encore une fois, en démolissant leurs arguments à l’aide de citations du Nouveau Testament, différentes des leurs. Cette démonstration fait la preuve qu’Augustin est devenu familier avec les Écritures et le procédé exégétique de l’analogie. De plus, le Contra Adimantum marque un sérieux progrès sur le traité De Genesi contra Manicheos. Ce dernier ouvrage ne traite que des deux premiers chapitres de la Genèse tandis que l’autre couvre la totalité de l’Ancien Testament.

Ayant ainsi montré l’accord entre les deux Testaments, Augustin était bien préparé pour appliquer la même méthode aux quatre évangiles. Il fit donc paraître, vers 400, le De Consensu evangeUstorum dans lequel il prend la défense des évangélistes59. Gustave Bardy dira, que pour Augustin, ce livre est capital « parce qu’il est destiné aussi bien à fortifier la foi des chrétiens qu’à répondre aux difficultés des païens ou des autres à propos des apparentes contradictions des synoptiques entre eux ou avec l’Évangile de saint Jean60 ». Si cet ouvrage met encore en évidence !’interprétation par l’analogie, on peut cependant dire qu’Augustin ne néglige nullement le sens historique. Il s’efforce, en maints endroits, de résoudre des problèmes historiques, liés aux récits bibliques61. Il fera de même, lorsque dans la même année, il répondra à Fauste, le manichéen « qui attaquait de façon blasphématoire la loi et les prophètes ainsi que leur Dieu et l’incarnation du Christ et qui prétendait falsifiées les Écritures du Nouveau Testament par lesquelles on les réfute62 ».

Mais Augustin était demeuré insatisfait suite au De Genesi contra Manicheos. Il lui semblait, nous l’avons vu, que la Genèse était nécessairement autre chose qu’une allégorie. Il brûlait de trouver le sens littéral de ce livre inspiré. Il consacra une partie de l’année 393 à

59 Retractationes, II, XVI, De consensu evangelistarum, BA 12, p. 479. 60 De Civitate Dei, Introduction, BA 33, p. 101.

61 Retractationes, op. cit., p. 479.

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ce travail de recherche. Cependant, il ne parvint pas à réaliser ce travail : « Mais j’étais encore novice dans !’explication des Écritures et j’ai succombé sous le fardeau d’une pareille charge. Avant même d’avoir achevé un livre, j’ai interrompu ce labeur que je ne pouvais porter63 ». Il conserva ce livre sous le titre du De Genesi ad litteram liber imperfectus.

N’ayant cependant pas abandonné son dessein primitif, celui de souligner la réalité des faits dans la création, il entreprit, vers 401, la rédaction des 12 livres du De Genesi ad litteram. Ce commentaire des trois premiers chapitres de la Genèse est présenté selon le sens propre de l’histoire et non selon la signification allégorique. Il faut bien comprendre toutefois que lorsqu’il s’agit d’événements remontant au-delà de l’histoire, le sens littéral n’est pas le même que pour l’histoire. Il est spirituel. Ayant atteint son objectif, Augustin est cependant conscient que ce commentaire soulève plus de questions que de réponses et que, parmi les réponses, bien peu sont assurées. Il pose lui-même un regard critique sur son ouvrage : « Nous avons exposé et consigné ce que nous avons pu et comme nous l’avons pu, moins dans l’intention de prescrire à chacun ce qu’il devait penser sur les points obscurs que dans le dessein de nous faire instruire sur les questions qui nous laissaient dans le doute et de prémunir le lecteur contre les affirmations hasardeuses, quand nous ne sommes pas parvenus à présenter un savoir assuré64 ». Preuve que l’entreprise était difficile à réaliser, le De Genesi ad litteram était la quatrième tentative d’Augustin pour commenter, en tout ou en partie, le livre de la Genèse65.

C’est maintenant dans le prolongement de cet exercice, au cours duquel Augustin apparaît comme un passionné de l’Écriture, pour la défendre et l’enseigner, que nous porterons une attention spéciale aux traits fondamentaux de son herméneutique et de son exégèse bibliques. Successivement, nous aborderons : !’interprétation littérale ou historique de la Bible, l’analogie, l’allégorie (un des sens spirituels des textes) et enfin, le principe

63 De Genesi ad litteram imperfectus dans Retractationes I, XVIII, BA 12, p. 383. 64 Genesi ad litteram, 11, 1, BA 49, p.329.

65 De Genesi contra Manicheos (389); De Genesi ad litteram liber imperfectus, (393); Conf XIP et XIIIe livres vers 400. Plus tard, vers 416, dans le De Civitate Dei, il reprendra au livre XI, la lecture et le commentaire des premiers chapitres de la Genèse.

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fondamental de l’herméneutique augustinienne, principe directeur de l’exégèse augustinienne, la charité.

Nous avons vu l’importance accordée par Augustin à !’interprétation littérale de la Bible. Ses premiers travaux exégétiques écartent tout doute. Augustin est un défenseur du sens littéral ou historique des Écritures. Marie Comeau considère cependant que telle n’est pas là sa première préoccupation. Augustin, selon elle, est beaucoup plus près d’une approche moraliste et théologique que d’une méthode critique et historique. Marie Comeau fonde son jugement sur la progression et la position d’Augustin dans son cheminement « exégétique » :

C’est au début surtout de sa carrière qu’il écrivit de véritables commentaires scripturaires : les trois ouvrages que lui inspira le début de la Bible : De Genesi contra Manichaeos, De Genesi ad litteram liber imperfectus et enfin les 12 livres du De Genesi ad litteram, une courte explication de VÉpitre aux Galates, une autre, partielle, de VÉpitre aux Romains, des Annotations sur Job et l’important traité De consensu evangelistarum. A mesure que grandissaient en lui les passions apostoliques, ils se révélait homme d’action plus que de science et les textes sacrés devenaient de moins en moins pour lui objet d’étude désintéressée; il y voyait surtout des thèmes à développer dans les homélies destinées au peuple chrétien. Aussi bien est-ce dans sa prédication qu’il donna le meilleur de lui-même, et c’est dans les Sermons, et surtout dans les Enarrationes in Psalmos ou les Tractatus in Joannem qu’il faut chercher le meilleur de son œuvre exégétique66.

D’autre part, pendant plusieurs siècles, on a attribué faussement à Augustin une théorie fondée sur la pluralité des sens littéraux de la Bible, en prétextant qu’il les autorisait, soit disant parce qu’ils étaient voulus par l’auteur sacré. Les tenants de cette théorie s’appuyaient à tort sur un passage du De Doctrina Christiana : « Mais lorsque des mêmes mots de l’Écriture on tire, non pas un seul sens, mais deux, voire plusieurs, même si celui que l’auteur lui a donné demeure caché, il n’y a là aucun danger, si l’on peut démontrer par d’autres passages des Saintes Écritures qu’il s’accorde avec la vérité67 ».

66 Marie Comeau, Saint Augustin, exégète du quatrième évangile. Études de Théologie historique, Paris, Beauchesne, 1930, pp. 1-2.

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En 1921, François Talon avait fait un peu de lumière en affirmant qu’Augustin ne se démarquait pas des autres Pères au sujet du sens littéral des Écritures; il n’enseignait que ce qui était conforme à la tradition catholique68. Mais depuis, la polysémie au sujet des Écritures a refait surface. Les principaux chercheurs: Pontet, Solignac, Simonetti, Kannengiesser se rallient autour de l’idée que c’est l’opacité des signes de l’Écriture qui fait surgir plusieurs interprétations des textes scripturaires69. Cependant, ces interprétations, si elles sont conformes à la foi, au contexte global de la Bible et à l'intention de l'écrivain sacré, s’inscrivent dans la ligne de pensée d’Augustin et manifestent d’une part, la riche densité des Écritures et d’autre part, la difficulté d’absolutiser un seul sens à un verset scripturaire. Il ne s’agit donc pas pour Augustin de « la multiplicité du sens littéral de l’Écriture; il a cru simplement qu’un même texte pouvait recevoir des interprétations doctrinales différentes, également acceptables si elles s’expriment en affirmations conformes à la foi et donc authentifiées par la Vérité divine70 ».

Dans la recherche du sens du texte sacré, on ne le dira jamais assez, il importe en premier lieu de connaître les articulations des faits ou des paroles avec leur contexte historique avant d’en établir le sens spirituel. Pierre Grelot en fait le fondement pour l’étude des figures bibliques : « On constate une fois de plus que l’étude théologique des figures bibliques requiert absolument une exégèse littérale préalable, soit pour établir la matérialité des événements expérimentés par le peuple de l’Ancien Testament et évoqués par les livres saints, soit pour préciser quelle signification ils comportaient pour la foi d’Israël71 ».

68 François Talon, « Saint-Augustin a-t-il vraiment enseigné la pluralité des sens littéraux dans l’Écriture? », dans Recherches de Science Religieuse, 2, (1921), pp. 1-28.

69 Voir : Isabelle Bochet et Goulven Madec, « Pluralité des interprétations scripturaires », NC 16, dans B A 11/2, pp. 558-562; Marie Comean, op. eit, pp. 72-112; Aimé Solignac, « Diversité de !’interprétation des Écritures », NC 25, dans BA 14, pp. 606-611.

70 Aimé Solignac, ibid., p. 611. Au sujet de !’interprétation personnelle il faut lire le De Genesi ad litteram I, XVIII-XXI, 37-41, B A 48, pp. 133-145 dans lequel Augustin dit : « C’est la vue des excès et le souci de ne pas y tomber qui m’ont amené, dans ce commentaire de la Genèse, à multiplier les explications autant que je l’ai pu, et à proposer plusieurs interprétations, là où l’obscurité du texte est un appel à la réflexion. Je n’ai pas voulu m’arrêter à la légère à une solution unique au préjudice d’une explication peut-être meilleure, laissant à chacun la liberté d’adopter le sens qui paraît bon; par contre, lorsque !’intelligence d’un passage de l’Écriture lui échappe, qu’il rende hommage à Dieu et se défie de lui-même»; Conf. XII, XXI, 42, BA 14, p. 419.

71 Pierre Grelot, Sens chrétien de l’Ancien Testament vol. 3, Coll. « Théologie dogmatique », 3, Paris, DDE, 1962, p. 303.

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Bertrand de Margene en fait également un point d’appui fondamental : le sens spirituel se déploie sur la base du sens littéral72.

Pour sa part, Anne-Marie La Bonnardière, maître dans l’étude exégétique augustinienne, affirme que : « du De Genesi contra Manichaeos 2. 2. 3 en 389 aux premières pages du dix-septième livre du De Civitate Dei, entre 420 et 426, en passant par une série de textes analogues, saint Augustin garde la même position ferme : la première manière de lire l’Écriture est d’admettre comme réel ce qui est dit avoir été dit et fait : les res gesta sont à la base de toute interprétation73 ». Frederick Van Fleteren est du même avis. Il note que, parce que nous sommes plus familiers avec l’exégèse concernant les Enarrationes in Psalmos, nous sommes enclins à penser que l’exégèse augustinienne est plutôt allégorique que littérale ou historique74. Mais tel n’est pas le cas. Augustin a le souci de dégager en priorité le sens littéral et en fait comme une condition sine qua non pour le travail exégétique biblique.

Dans la terminologie augustinienne, il faut également noter que l’exégèse analogique recoupe l’exégèse allégorique. La première a pour but de montrer l’harmonie entre les deux Testaments et d’enlever les contradictions en évoquant ainsi l’idée que l’Ancien Testament annonce le Nouveau. Quant à l’exégèse allégorique, elle découvre sous les paroles et les faits, un sens spirituel. Mais lorsque l’allégorie, au-delà de la métaphore, discerne dans les personnages et les faits de l’Ancien Testament des figures ou des types préfigurant ceux de la Nouvelle Alliance, il sera alors question d’exégèse typologique75. Cette exégèse tire ses fondements del Co 10, 11: « Ces choses sont arrivées pour servir d’exemples76 ». Une étude77, concernant le sens de « type » chez les Pères, mentionne que

72 Bertrand De Margerie, Introduction à Γhistoire de l’exégèse. 3, Saint Augustin, Paris, Cerf, 1983, p. 36. 73Anne-Marie La Bonnardière, Biblia augustiniana. A.T. II, Livres historiques, Coll. « Études augustiniennes», Série antiquité 11, Paris, Institut d’Études augustiniennes, 1960, p. 8.

74 Cf. Frederick Van Fleteren, op. cit., p. 124.

75 Maurice Pontet, op. cit. p. 171. Tout le chapitre 3 est à consulter : « La lettre et l’esprit », pp. 149-194 ainsi que la note 72, p. 171. L’auteur apporte les nuances subtiles entre l’allégorie et le type et conclut : « qu’en tant qu’ils suggèrent plus qu’ils ne contiennent, les types rentrent dans le genre général de l’allégorie; Becker, op.cit., pp. 237-239 et note 136 p. 242; Henri de Lubac, « Ch. 8 : Symbolisme 1. Allégorie et allégorie », dans Exégèse médiévale. Coll. « Théologie », 59, Partie II, Paris, Aubier, 1964, pp. 125-149.

76 L. Bouyer, « Liturgie et exégèse spirituelle », dans Maison-Dieu. 7, (1946), p. 33. L’auteur préfère traduire I Co 10, 11 par : «Ces choses ont eu lieu pour nous servir de types ».

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la typologie a régné en souveraine comme méthode d’exégèse tout au long de la période patristique; son emploi le plus simple étant de rapprocher un personnage de l’Ancien Testament avec la personne du Seigneur. Cette même étude met en garde quiconque serait enclin à user trop largement de cette forme d’exégèse en rappelant que la matière de la typologie est contenue uniquement dans l’Écriture sainte77 78.

Vue sous l’angle de l’analogie, l’exégèse augustinienne met en relief l’unité foncière des deux Testaments dont l’un ne détruit pas l’autre, mais le contient et l’achève. Tout en mettant en évidence cette unité, Augustin tient à montrer leur différence. Différence tout d’abord mise en relief par les activités cultuelles : si l’ancienne loi est le rappel d’un lourd ritualisme juif la loi de la nouvelle alliance est celle de la liberté qui fait du culte, un joug léger et un fardeau modeste79. Par ailleurs, différence manifestée en ce que l’Ancien Testament annonce les arrhes de l’héritage tandis que le Nouveau met en leur possession80. Maurice Pontet présentera longuement cette manière de mettre en rapport les deux Testaments, telle que vue par Augustin à la suite des exégètes chrétiens, dans le sens que l’Ancien est une prophétie du Nouveau, un sacramentum81. Pour sa part, Jean-Marie Leblond reprendra la même idée : « Il s’agit moins de leçon morale, intemporelle, que de prophétie, et c’est bien la pensée profonde de saint Augustin que toute parole des Écritures est prophétique, annonçant la venue du Christ dans l’ancienne loi, préfigurant son avènement total dans le Nouveau Testament82 ». Dans la même foulée, Aimé Becker présente merveilleusement l’unité foncière entre les deux Testaments comme étant le fondement de toute l’exégèse augustinienne : « et cette unité a sa source dans un événement qui est l’événement central de l’histoire du salut : la mort et la résurrection de Jésus Christ. D’un bout à l’autre de la Révélation, tout converge vers ce point central, tout y ramène et en

77 Cf. K.J. Woolcombe, « Le sens de ‘ type ’ chez les Pères », dans Supplément à la vie spirituelle. No 16, (1951), pp. 84-100.

78 En plus de l’étude ci-haut mentionnée, voir aussi: Jean Daniélou, Les figures du Christ dans l’Ancien Testament « Sacramentum futuri ». Coll. « Étude de théologie historique », Paris, Beauchesne, 1950, 266p. L’auteur présente l’inventaire des œuvres importantes pour l’exégèse typologique, du Pseudo-Bamabé à Augustin.

79 Cf. F. Van der Meer, « Sacramentum chez Augustin », dans Maison-Dieu. 13, (1948), p. 63.

80 Contra Adimantum, 16, 3, BA 17, p. 317. Voir NC 14, BA 11/2, p. 552 : Le Contra Adimantum s’efforce de surmonter la contradiction dénoncée par les Manichéens entre les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament.

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