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La Chronique des Amériques Décembre 2004 No 42

La crise mexicaine revisitée dix ans plus tard

Béatrice Alain

Alors que plusieurs textes et analyses ont souligné le dixième anniversaire de l’entrée en vigueur de l’ALENA, il y a un autre dixième anniversaire qu’on semble avoir oublié : celui de l’écroulement de la devise, puis de l’économie mexicaine, en décembre 1994. Or, cette crise a un impact sur l’évaluation des résultats de l’ALENA. Certains ont critiqué l’accord pour n’avoir pas pu empêcher ou atténuer la crise, alors que d’autres ont soutenu que c’était grâce à l’ALENA que le pays s’en était sorti si vite. Dans tous les cas, en plongeant le Mexique dans une grave crise financière et économique, cette crise dite « tequila » viendra compliquer toutes les estimations des effets de l’ALENA sur la croissance et la structure de l’économie mexicaine. Le propos de la présente chronique est d’analyser les leçons qui ont été tirées de cette crise au Mexique et ailleurs. Après une brève analyse de la crise elle-même, nous présenterons quelques explications qui en ont été fournies immédiatement après la crise, après quoi nous verrons les leçons qu’on en a tirées quelques années plus tard, suite à la reprise de l’économie mexicaine. Nous nous pencherons également sur les séquelles de cette crise au Mexique dix ans plus tard. Enfin, nous tâcherons de voir comment ces leçons ont été appliquées en Amérique Latine, afin d’établir dans quelle une telle crise est susceptible se reproduire, que ce soit au Mexique ou ailleurs en Amérique Latine.

Causes et bilan de la crise

Plusieurs facteurs sont évoqués pour expliquer le déclenchement de la crise en décembre 1994. En premier lieu, le déficit toujours plus grand de la balance commerciale mexicaine laissait présager que, tôt ou tard, un ajustement allait s’imposer. La politique la plus simple dans ce cas aurait été de dévaluer la devise, mais celle-ci était maintenue

jusque-là par un gouvernement qui craignait de diminuer le pouvoir d’achat de ses citoyens avant et après une élection présidentielle pour le moins difficile1. De plus, le gouvernement envisageait

sans doute qu’une dévaluation causerait une augmentation abrupte des exportations mexicaines en directions des Etats-Unis d’Amérique (EUA) ce qui soulèverait des critiques de la part de producteurs des EUA mêmes et risquerait d’affaiblir le soutien qu’on accordait à l’ALENA là-bas. En revanche, plus le peso était surévalué, plus il aggravait le déficit commercial, et plus la situation devenait intenable et l’ajustement à faire important. C’est ainsi que, lorsque le gouvernement essaya de contrer la crise à ses débuts en dévaluant légèrement le peso, personne ne crut que ce serait suffisant. D’ailleurs, les pressions sur la devise ne se relâcheront qu’une fois que le gouvernement aura abandonné définitivement toute intention de soutenir le peso et que celui-ci aura perdu plus de la moitié de sa valeur.

En deuxième lieu, la crise a été amplifiée par l’importance des fonds qui sont sortis dans les mois suivants. En effet, depuis quelques années, le Mexique était devenu une destination prisée par les fonds mutuels et autres investisseurs financiers étrangers qui étaient attirés par des taux d’intérêts plus élevés que ceux présents aux EUA et en Europe, de même que par les perspectives de croissance offertes par suite de l’entrée en vigueur de l’ALENA. En rétrospective, étant donné l’état de l’infrastructure économique, du système bancaire et du système politique à l’époque, cet optimisme

Université du Québec à Montréal Tel : (514) 987 3000 # 3910 Pavillion Hubert-Aquin, Local A-1565 www.ceim.uqam.ca

1 Alors que le président sortant Carlos Salinas avait déjà fait face

à une forte opposition lors de son élection, le vainqueur des élections de 1994, Ernesto Zedillo n’était même pas le premier choix de son parti, mais un compromis de dernière minute après que le premier candidat officiel, Luis Colosio, eut été assassiné en mars 1994.

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Particularités de la crise et les conclusions qu’on en tire

paraît déplacé. Cependant, il est important de souligner à cet égard que des données fiables étaient peu ou pas disponibles, et qu’en contrepartie, le gouvernement mexicain entreprenait à la même époque une grande campagne de publicité pour « vendre » le Mexique et l’ALENA auprès des Américains. L’insurrection zapatiste, déclenchée le premier janvier 1994, suivie de l’assassinat du candidat à la présidence, Luis Colosio, en mars, puis de celui du secrétaire général du PRI, Ruiz Massieu, en septembre et, enfin, de la démission du frère de Ruiz Massieu de son poste de vice ministre de la justice pour protester contre les ratés de l’enquête sur le meurtre, montrent bien que la conjoncture était loin d’être aussi stable qu’on le prétendait, de sorte que plusieurs investisseurs nerveux commencèrent à retirer leurs fonds. Le gouvernement rencontre alors plus de difficultés à maintenir la devise, d’autant que la Federal Reserve des EUA commence de son côté à remonter ses taux et que les réserves mexicaines baissent rapidement. Lorsque le gouvernement publie, en décembre, la valeur des réserves qu’il lui reste, celle-ci s’avère insuffisante pour assumer ses obligations à court terme. Ainsi la panique s’installe, les investisseurs fuient et le peso chute.

La crise tequila apparaissait d’abord comme un « nouveau » type de crise du système financier. Alors que les crises d’endettement des pays latino-américains des années 1980 étaient causées par un endettement excessif de la part des gouvernements, voire par un changement soudain dans leur capacité de rembourser leurs dettes, dans ce cas-ci, il n’y avait pas de changement majeur dans les dépenses gouvernementales, puisque le budget opérationnel du gouvernement avait permis de dégager un surplus entre 1990 et 1994 et que personne ne remettait en question la solvabilité à long terme du gouvernement. Cependant, le gouvernement n’avait pas assez de réserves internationales pour couvrir ses besoins à court terme. Nous avions donc affaire à une crise de liquidité. Par ailleurs, dans la mesure où rien n’indiquait que l’ajustement devait avoir lieu à ce moment, ou qu’il prendrait cette ampleur, la nature et la gravité de la crise ne dépendaient plus seulement des choix des gouvernements, mais également de la réaction des investisseurs. Force était alors de conclure qu’une politique fiscale saine ne suffisait plus à prévenir une crise et qu’il fallait désormais prendre en considération un nombre plus élevé de variables qu’auparavant. On commencera donc à accorder une plus grande attention à des données comme le rapport entre le compte courant et le produit intérieur brut, la proportion de dette à échéance courte et la santé du système bancaire. C’est ainsi dans ce contexte qu’émergent les premiers modèles de prédiction ( «early prediction

models») dont on attendra qu’ils permettent de

prévenir ces crises à l’avenir. La situation fragile dans laquelle se trouvent les

banques ne fera qu’aggraver et prolonger la crise pour deux raisons : d’abord parce qu’aux débuts de la crise elle limite la capacité du gouvernement d’augmenter les taux d’intérêts pour défendre le peso ; ensuite, parce que la position des banques, déjà précaire avant la crise, devient carrément insolvable après la chute du peso. C’est ainsi que la crise bancaire contribuera à freiner la reprise de la crise en limitant l’accès au crédit des entreprises mexicaines et en créant de nouvelles et coûteuses obligations pour le gouvernement fédéral.

Or même si, au niveau du diagnostic, il était tout au plus question d’une crise de liquidité à court terme, les conséquences n’en sont pas moins désastreuses pour autant : le produit intérieur brut (PIB) chute de 10% en 6 mois, et le PIB par habitant, de près 8% en un an, tandis que le taux de chômage est multiplié par trois. Force est donc de noter que les mouvements de capitaux sont plus implacables que jamais, et que les pénalités pour de petits écarts macroéconomiques peuvent être impitoyables. Ainsi, après une période d’optimisme de la part des investisseurs envers les capacités des économies émergeantes, tandis que les économies en question progressaient rapidement grâce aux investissements étrangers consentis, on commence à questionner le coût de ces flux massifs de capitaux. C’est dans ce contexte que les débats sur les avantages de mécanismes capables d’atténuer les effets de ces mouvements de capitaux, comme la taxe Tobin ou les contrôles de capitaux, est ravivé.

Confronté à un éventuel effondrement économique de son nouveau partenaire commercial, le gouvernement des EUA intervient d’urgence en rendant disponible une ligne de crédit de la Federal

Reserve de $9 milliards, en plus d’un swap

(« échange financier ») de 12.5$ milliards en échange de revenus futurs de pétrole financé exceptionnellement par le US Exchange

Stabilisation Fund. Pour sa part, le Fonds

Monétaire International (FMI), dont les EUA sont le principal actionnaire, mettra aussi à la disposition du gouvernement du Mexique 17.8$ milliards, soit sept fois le quota du Mexique en vertu des règles en vigueur, et le plus important prêt jamais consenti jusque là dans l’histoire du FMI2.

Certains interpréteront aussi ces résultats comme étant la preuve que le statut d’un pays joue un rôle déterminant quand l’instabilité menace : en effet, la

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http://www.law.harvard.edu/programs/pifs/pdfs/hscottsovereign debt.pdf

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dévaluation de la livre sterling en 1992, alors que le pays se trouvait dans une situation assez similaire à celle du Mexique, loin d’avoir provoqué une panique, avait été un franc succès. Un raisonnement qui s’applique à cet autre indicateur qu’est le déficit de la balance commerciale en rapport au PIB, puisque celui des EUA équivaut aujourd’hui à celui du Mexique avant la crise, et que nul n’ira croire que les EUA et le Mexique sont dans des situations comparables3. C’est ainsi que les pays en voie de

développement et, en particulier, les pays latino-américains, sont contraints d’assumer des coûts liés à un statut inférieur qui attise leur manque de crédibilité sur les marchés internationaux.

Enfin, c’était la première fois qu’une crise dans un pays frappait en cascade des pays qui n’étaient pas particulièrement reliés au pays en cause. C’est ainsi que l’Argentine, le Brésil, le Chili et les Philippines seront tous affectés au lendemain de la chute du peso par ce qu’on appellera «l’effet tequila». Le retrait des investisseurs est moins le résultat d’un changement réel dans la situation économique de ces pays que la fin de l’illusion qui voulait que les marchés émergeants soient une option aussi solide, mais plus rentable, que les marchés du nord. Ainsi, l’effondrement financier au Mexique alimente l’inquiétude des investisseurs face à ce type d’investissement ailleurs dans le monde. Parallèlement, face à ces mouvements brusques de capitaux, les gouvernements de ces pays chercheront désormais à se protéger et à se défendre en se démarquant en offfrant plus d’informations ou de garanties aux investisseurs internationaux.

Une reprise étonnante

Alors que l’année 1995 commence de façon désastreuse, la reprise se fait sentir plus tôt que prévu sur plusieurs fronts à la fois : après avoir chuté de 6% cette année-là, le PIB croît de 5.5% en 1996, de 7% l’année suivante et atteint une croissance moyenne de 5.5% de 1996 à 20004. Le

volume des exportations croît lui aussi de plus de 50% en deux ans, poussé par un peso re-évalué, et les importations, après s’être contractées de 13% en 1995, augmentent de 23% en 19965. En janvier

1997, le Mexique termine plus tôt que prévu de rembourser son emprunt aux EUA.

Si l’intensité de la crise a causé un choc, la reprise rapide au Mexique suscite aussi de l’intérêt sur plusieurs plans. Tout d’abord, la réponse rapide et prodigue des EUA (et, dans une certaine mesure, celle de la communauté internationale), en agissant

comme préteur de dernière instance, a certes contribué à calmer les marchés financiers. Il semble aussi que l’intervention des EUA n’aurait pas été la même si les deux pays ne venaient pas tout juste de conclure les négociations de l’ALENA. On peut depuis lors contraster cette réaction avec la posture très ambiguë et réticente qu’auront les EUA et le FMI, cinq ans plus tard, avant et durant la chute de la caisse d’émission (« currency board ») en Argentine. Ainsi, la crise mexicaine aurait confirmé que, pour le meilleur et pour le pire, les destins des partenaires de l’ALENA étaient désormais liés. Cette relation tranche nettement avec celles que les EUA continueront de maintenir avec le reste de l’Amérique latine et une des conséquences de ceci est que le Mexique n’est pas affecté par la contagion de la crise en Argentine. Ce soutien apporté par les EUA au Mexique etle fait que ce soutien contribue à en faire un cas d’espèce par rapport aux autres pays émergents, seront par la suite interprété comme des atouts importants de l’intégration commerciale et spèseront lourd parmi les arguments auxquels on aura recours en Amérique Latine de la part de ceux qui défendent la négociation d’un accord commercial avec les EUA. Au demeurant, une part importante de la relance au Mexique après 1994 est imputable à l’essor économique au nord du pays et au secteur de la

maquiladora. Proche du marché des EUA (qui,

lui-même, connaît une forte croissance à cette époque), et souvent en partenariat avec des entreprises des EUA ou étrangères capables de leur offrir un financement, l’embellie économique que connaît la région semble confirmer qu’une croissance rapide est étroitement liée au secteur des exportations. En ce sens, la reprise économique au Mexique semble valider les bienfaits de l’ouverture des marchés de produits, ce qui, à son tour, renforce l’argumentation en faveur des traités de libre échange.

Les séquelles de la crise

Aussi rapide qu’ait été la reprise, dix ans plus tard, on peut encore trouver des traces de cet effondrement. La séquelle la plus notoire est l’état du secteur bancaire à l’heure actuelle. Tout d’abord, au-delà de 90% du secteur est maintenant entre les mains d’institutions étrangères. En effet, pour d’attirer le capital après la crise, le gouvernement mexicain permet finalement l’achat à part entière des banques nationales. Ce changement de propriété, dont les effets à long terme sont encore chaudement débattus, ne règle cependant pas la question de fond : après l’abandon du système de parité, toutes les activités créditrices s’arrêtèrent abruptement. Le Fondo Bancario de Protección al

Ahorro (FOBAROA), une institution fédérale créée

pour protéger les dépôts des consommateurs, assuma rapidement tous les prêts jugés

3 Pour une discussion sur ce sujet, voir entre autres

http://www.stern.nyu.edu/globalmacro/cur_policy/cad.html

4 La croissance moyenne est de 3.6% si on inclut 1995. –

CEPAL Anuario estadístico de América Latina y el Caribe

2003- 5 Ibid.

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irrécupérables à la suite de la dépréciation, afin de prévenir une panique bancaire. Or, depuis la privatisation du secteur bancaire, plusieurs banques s’étaient prêtées à des transactions pour le moins contestables et une part importante des prêts assumés par le FOBAPROA pouvait être considérée comme « irrégulière » même avant la chute du peso (par exemple, les prêts faits sans garanties par les nouveaux propriétaires de banques à des membres de leur entourage, etc.). On estime que le pourcentage des prêts non remboursables quadruple entre 1990 et 1994. Une vérification de l’agence fédérale d’auditeurs effectuée en 2001 estimait que ces transactions se chiffraient à US$4.5 milliards6. Et même si une majorité de

Mexicains s’oppose au remboursement de ces prêts, pour ne pas nuire à son image de bon débiteur, le gouvernement continue de compenser les banques. Le montant total du remboursement qu’il reste à faire est estimé à 106 milliards de dollars US, ce qui représente un poids important pour le gouvernement fédéral et à peu près soixante fois le montant destiné à la santé publique en 20047.

Outre le coût élevé de l’assainissement bancaire, le secteur bancaire continue de performer en dessous de ses capacités –ces deux facteurs seraient même liés dans la mesure où les banques, recevant les remboursements réguliers du gouvernement, ont moins besoin de vivre de leur émission de crédit. En 1995, le crédit au secteur privé tombe de 40% et ne remonte pas vraiment depuis : de fait, entre 1997 et 2004 les prêts commerciaux diminuent de nouveau de 25%. Cette situation nuit surtout aux PME nationales qui, n’ayant pas accès aux marchés internationaux, sont contraintes de se faire financer par les banques nationales. Or la réticence de ces banques à prêter rend les emprunts difficiles et coûteux. Elle contribue ainsi à élargir l’écart entre les entreprises et industries qui ont accès au marché international et celles qui n’y ont pas accès.

La dernière séquelle qui peut être partiellement attribuée à la crise est le sur-investissement dans le secteur des exportations au détriment des autres secteurs. La reprise rapide de l’économie mexicaine après la crise semblait confirmer la validité du modèle de développement basé sur l’ouverture des marchés de produits et la promotion des exportations. C’est ainsi qu’on assiste à la signature d’une série d’accords de libre-échange après 1995 et à la concentration du développement dans le nord du pays qui assume le rôle de principale plate-forme exportatrice. À l’heure actuelle, la mobilisation populaire contre le Plan Puebla Panama (PPP) reflète la montée d’un fort

scepticisme et d’une résistance grandissante face à ce modèle de développement. On lui fait grief de n’avoir pas favorisé la croissance de l’économie mexicaine, d’avoir exacerbé la dépendance vis-à-vis de l’économie des EUA et d’avoir poussé à un nivellement vers le bas des salaires, surtout depuis l’intensification de la concurrence avec les pays d’Asie et avec la Chine. Les débats actuels sur la réforme du Code de travail, la privatisation de l’énergie et le financement de l’éducation sont la conséquence de ces questionnements sur modèle de développement à suivre.

Une autre crise est-elle possible?

La première leçon que nous avons tirée de cet épisode était à l’effet que les crises financières à venir seraient sans doute plus difficiles à prédire et qu’elles seraient de nature passablement différentes de celles qui avaient cours par le passé. Cette leçon a été vérifiée avec l’éclatement des crises sur les marchés asiatiques et la contagion qui s’en est suivie dans des économies aussi éloignées que celles de la Russie et du Brésil. Cet effet de contagion, qui propage une crise financière à d’autres pays, a engendré des études toujours plus poussées sur les facteurs qui peuvent favoriser, mitiger, ou empêcher une crise d’émerger et la recherche se concentre de plus en plus sur les façons dont les économies en développement peuvent se protéger des changements brusques dans les flux de capitaux. Une des leçons qui s’en dégage, c’est que le recours à un taux de change flexible offre moins de prise aux spéculateurs et alloue une plus grande flexibilité aux gouvernements nationaux. Les pays latino-américains sont à l’avant garde de ce mouvement et il ne reste pratiquement plus de taux d’échanges fixes dans la région. La contrepartie de ce choix sera la plus grande volatilité de la dette de ces pays qui est en bonne partie souscrite en dollars US. Il est de plus en plus question aujourd’hui des coûts et bénéfices de la libéralisation des marchés financiers. Depuis les mécanismes de sauvetage des investisseurs mis en place après la crise mexicaine (« bail-out »), nous sommes passés à l’idée que les investisseurs devraient dorénavant assumer une partie des pertes après une crise de ce genre («

bail-in »). Ce renversement montre que l’on reconnaît

implicitement que la volatilité des grands mouvements de capitaux est un facteur de crise, d’une part, que les investisseurs devraient eux aussi assumer une partie de la perte lorsque l’investissement n’est pas rentable, d’autre part. Ce changement de perspective devrait, à terme, contribuer à réduire la volatilité des marchés et à répartir les coûts de façon plus équitable lorsque ceux-ci ont des réactions excessives. Néanmoins, l’application de ce changement reste limité par

6 B. Stallings, R. Studart « Financial regulation and supervision in emerging markets : the experience of Latin America since the Tequila Crisis », CEPALC, décembre 2001

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l’intérêt qu’ont les pays de se présenter comme de bons débiteurs et donc par la réticence qu’ils pourront avoir à faire défaut sur le paiement de leurs dettes. Ce sont là les termes de débats actuellement en cours en Argentine, entre autres. Pour leur part, les gouvernements cherchent à renforcer l’image de stabilité de leur pays. C’est pourquoi on négocie aujourd’hui des accords commerciaux pour signaler aux marchés internationaux que les gouvernements sont prêts à offrir les meilleures garanties aux investisseurs étrangers. Pour leur part, les banques centrales préfèrent de plus en plus une inflation basse et constante à un taux de croissance élevé qui apporterait des risques de surchauffe. C’est pourquoi les banques centrales accumulent des réserves internationales pour montrer qu’elles pourront soutenir les assauts en cas de remous financiers. Ainsi, en février 2004, la banque centrale mexicaine maintenait un niveau historique de 59 milliards 151 millions de dollars US en réserve8. Or une telle politique monétaire a un coût

socio économique important : dans la mesure où les fonds doivent être disponibles en tout temps, ils ne peuvent être utilisés pour d’autres investissements, comme la santé ou l’éducation. En définitive, la crise du peso a souligné l’importance d’avoir un secteur bancaire sain et cette leçon a été confirmée lors des crises qu’ont connues les pays asiatiques. Les pays latino-américains en prirent note, bien que la rapidité et la profondeur des changements en matière de régulation et de supervision bancaire aient varié en fonction des informations disponibles aux autorités en place, de leur perception de la sévérité du problème et des instruments à leur disposition9.

Pour sa part, le FMI a été amené à revoir sa défense inconditionnelle d’une politique d’ouverture des marchés financiers et il préconise désormais une ouverture plus graduelle, en insistant sur l’application de normes de base dans la régulation bancaire. Si, en Amérique Latine, le secteur bancaire est plus solide aujourd’hui qu’il y a dix ans, à part le Chili, on ne peut pas dire qu’il soit réellement sain. Dans bien des cas, il met un frein à la croissance et sa stratégie pourrait contribuer à créer ou exacerber une crise future.

La question demeure ouverte de savoir si une économie latino-américaine pourrait vivre une crise de l’ampleur de celle qui a secoué le Mexique en 1994 et si oui, comme le montre le cas de l’Argentine, quel en serait le coût politique à court

8

http://www.tvazteca.com/hechos/archivos2/2004/9/100763.shtml

9 B. Stallings, R. Studart , op. cit.

et à moyen terme10. Car les changements importants

et autres adaptations normatives ou institutionnelles qui ont été faits affectent non seulement la position et la réputation internationale des pays d’Amérique latine, mais ils affectent également les conditions de vie et de travail de leurs citoyens. Or ceux-ci sont aujourd’hui les principaux critiques de ces aménagements et accommodements. Face à la hausse du chômage, à la pauvreté croissante et au creusement des inégalités, ainsi qu’à la baisse des revenus réels, de plus en plus de citoyens remettent en cause les coûts économiques et sociaux des réformes adoptées au cours des dix dernières années. Ces citoyens sont désormais représentés par de nouveaux dirigeants politiques qui, s’ils ne prônent pas un retour aux mesures populistes des années 1970, rejettent la rigidité du cadre d’intervention imposé par les marchés et soulignent le coût humain des politiques économiques adoptées ces derniers temps. Il reste donc à voir comment tous ces Lula au Brésil, Kirchner en Argentine, Vazquez en Uruguay et Chavez au Venezuela, seront en mesure de porter et de défendre des mesures alternatives susceptibles à la fois de soutenir la croissance économique et de répondre aux besoins sociaux les plus pressants. Or si l’histoire récente nous offre une dernière leçon à cet égard, c’est que l ‘équation en question n’est pas facile à résoudre.

10 Sans doute la probabilité de crise ne tient pas seulement aux

changements intervenus dans les politiques économiques adoptées dans la région, mais également à son déclin comme destination des investissements étrangers directs.

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