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Envisageant la position de la Suisse dans le monde, le Rapport sur l’intégration considère la question de façon analytique en envisa-geant successivement trois problèmes: celui de la sécurité extérieure et de la neutralité; celui de la politique étrangère; enfin, celui de la politique économique extérieure.

Sur les deux premières questions, le Rapport vise essentielle-ment à rassurer; il est plus substantiel et direct sur la troisième.

En matière de neutralité et de politique de sécurité, il souligne la compatibilité de la neutralité et de l’adhésion dans la mesure où celle-ci n’implique pas la participation à une alliance militaire et ne crée pas d’obligation juridique allant dans ce sens. Il rappelle éga-lement le caractère instrumental de la neutralité face à une opinion qui tend à lui prêter une dimension identitaire et relève que “les bouleversements causés par la fin de la guerre froide […] exigèrent une nouvelle orientation pragmatique de la neutralité suisse”. En-fin, le Rapport réitère l’idée que seul le développement d’un système de sécurité “solide”, ayant fait “ses preuves” amènerait la Suisse à

“renoncer à la neutralité qui n’aurait plus de raison d’être”.

Une analyse, tout aussi convenue et frileuse, se retrouve au sujet de la deuxième dimension envisagée par le Rapport, celle qui porte sur la politique étrangère. Après avoir noté que ce domaine relève de l’approche intergouvernementale, le texte souligne l’absence d’antagonisme entre la Suisse et l’UE en la matière. Ceci nous vaut – sur la même demi-page – deux propositions qui ne mènent pas

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bien loin. La première nous assure qu’“il n’y a pas d’incompatibilité entre les objectifs poursuivis par la Suisse et ceux visés par l’UE en matière de politique étrangère”. La seconde nous affirme que “Les actions et mesures décidées jusqu’ici par l’UE au titre de la politique étrangère de sécurité commune ne sont pas allées à l’encontre des valeurs défendues par la Suisse”.

Le Rapport se fait un peu plus substantiel lorsqu’il envisage la politique économique extérieure. Après avoir rappelé la contribution considérable des exportations au PIB de la Suisse (39,9%), il relève que les quatre dixièmes de celles-ci vont vers des pays extérieurs à l’UE et que cette proportion ne saurait bien sûr que s’amoindrir à mesure que l’Union s’élargit.

Le Rapport a, en outre, le mérite de souligner que la question de l’accès aux marchés ne constitue que l’un des deux versants du pro-blème auquel nous confronte le développement de l’UE, le second étant lié au déclin du bargaining power de la Suisse.

La question de l’accès au marché communautaire de 370 millions de personnes, pour importante qu’elle soit, peut néanmoins s’accommoder de solutions simples et relativement satisfaisantes.

L’adhésion aurait l’avantage d’assurer un accès illimité à un tel marché et l’EEE nous aurait fourni un substitut à cette solution ra-dicale. Faute de l’un et de l’autre, la Suisse pourra, sans doute, se sa-tisfaire des résultats des bilatérales en la matière.

Le problème de l’érosion de notre capacité de négociation, éro-sion qui renvoie à une tendance lourde de l’environnement interna-tional et dont la montée en puissance de l’UE n’est qu’un des ava-tars, nous confronte à un dilemme considérable qui ne saurait cer-tainement se suffire de solutions médianes et, tôt ou tard, soit un choix de notre part, soit une dérive subie, commandera une clarifi-cation de nos rapports à la construction européenne.

Prenant acte du fait que “la Suisse ne parvient plus à défendre toujours ses intérêts”, le Rapport formule clairement le trade off auquel elle est confrontée: “en tant que membre de l’UE, la Suisse profiterait du poids incomparablement plus important de l’UE dans les négociations, mais elle perdrait la possibilité de faire valoir ses propres intérêts là où ces derniers ne coïncident pas avec ceux de l’UE”.

De manière générale, notre politique à l’égard de l’UE a toujours visé à maximiser tout à la fois notre accès à son marché et notre au-tonomie de manœuvre. Or, dans la mesure où nous voyons notre bargaining power s’amoindrir, les vertus de ce second paramètre et

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les avantages qu’il pourrait nous valoir tendent à se réduire à zéro.

En effet, comme le souligne le Rapport, “les pays tiers et les grou-pements régionaux ne sont pas prêts à accorder à la Suisse et aux pays de l’AELE les mêmes conditions d’accès au marché qu’après les avoir négociés avec l’UE”.

Ce que retrouve ici le Rapport, il est vrai sur le registre pour nous privilégié de la politique économique extérieure, renvoie en fait au rationnel même de la construction européenne et à son évolution.

Visant, il y a un demi-siècle, à surmonter les conflits qui avaient dé-chiré notre continent, il répond aujourd’hui essentiellement à la né-cessité d’affirmer une identité sur la scène internationale.

Lucide face à cette nécessité en matière économique, le Rapport reste myope face à son volet politique et deux types d’éléments sont, sans doute, à même d’expliquer son déficit perceptif. Les premiers sont bien sûr associés aux contraintes internes qui oblitèrent notre marge de manœuvre, en matière de politique étrangère. Les seconds ont vraisemblablement partie liée avec notre histoire: tout au long de notre siècle finissant, la Suisse est parvenue à maintenir inchan-gés les “fondamentaux” de son insertion internationale et tend à confondre aujourd’hui une situation somme toute transitoire avec l’ordre naturel des choses.

Mon collègue Braillard, dans son exposé ci-dessus, a largement abordé le premier des volets signalé ici et je n’y reviendrai pas. Je souhaite, par contre, insister quelque peu sur le second. Force est en effet de reconnaître que, pour peu qu’on veuille prendre une vue ca-valière du siècle, notre histoire manifeste un atypisme considérable en regard de la “norme” européenne: siècle de rupture pour nos voi-sins, il fut pour nous essentiellement siècle de continuité.

Depuis une décennie, la Suisse peine à trouver ses marques dans le monde nouveau que nous ont valu la chute du Mur de Berlin et l’implosion de l’empire soviétique. Et pour comprendre les hésita-tions, réticences et crispations dont le pays a fait preuve depuis une dizaine d’années, il convient tout d’abord de comprendre ce que la situation a de neuf pour lui.

Un dicton allemand veut que la Suisse ait été au bénéfice d’un congé de l’histoire d’un siècle. Pour outrée qu’elle soit, la formule n’est pas totalement fausse. La position internationale qui est la sienne aujourd’hui s’est en effet largement forgée dans le contexte de la fin du XIXe siècle, et elle l’a maintenue sans remise en ques-tion fondamentale tout au long du XXe. Cette posture a non seule-ment survécu à deux guerres mondiales, mais en outre la Suisse est

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parvenue à la réactualiser ultérieurement dans un contexte à pre-mière vue très défavorable, celui de la guerre froide.

Pour prendre la mesure des changements auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés, il suffit de comparer l’éventail des grandes puissances à l’époque où la Suisse moderne s’affirmait internationa-lement à celui auquel elle devra faire face durant la première moitié du siècle qui vient. On s’accordera sans difficulté pour considérer que le monde de la fin du XIXe siècle et du début du XXe fut dominé par une poignée de grandes puissances parmi lesquelles on rangera l’Angleterre, la France, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Russie, l’Italie, les Etats-Unis et le Japon. Six des huit grandes puissances retenues ici étaient européennes; la Suisse avait des frontières com-munes avec quatre d’entre elles et, à travers sa diversité linguisti-que, participait tout naturellement à leur vie culturelle. Cette conjonction privilégiée faisait de la Suisse la “médiatrice” par excel-lence et lui permit de développer une attitude au monde spécifique – un mélange d’ouverture économique et d’abstention politique – largement reconnu par les Grands du moment. Dès 1890, de terre d’immigration qu’elle fut pendant des siècles, elle devint importa-trice de main-d’œuvre et exportaimporta-trice de capitaux. Dès le début du XXe siècle, c’est à l’intérieur de ses frontières que viennent, sinon s’apaiser, tout au moins s’exprimer les tensions de l’univers: à Ge-nève bien sûr, par le truchement de la Société des Nations, mais aussi à Bâle, qui accueillera la Banque des règlements internatio-naux et, à Zurich, asile durant la première guerre mondiale de tous les courants intellectuels et culturels.

Je n’ai pas la prétention de dire de quoi sera faite la première moitié du siècle qui vient. Tout nous porte cependant à croire qu’une fois encore, il sera dominé par une poignée de grandes puissances et à leur sujet il n’est pas déraisonnable de tabler sur deux hypothèses.

Premièrement, toute une série de puissances qui ne furent jadis que des pions dans le cadre du “grand jeu” auquel se livrèrent hier les principaux Etats européens – Chine, Inde, Brésil, Nigeria... – pour-ront demain prétendre jouer à leur tour dans la cour des Grands. En second lieu, mis à part la Russie, aucune puissance européenne ne peut envisager sans forfanterie déplacée figurer à titre individuel parmi les grandes puissances qui domineront le monde au milieu du XXIe siècle.

C’est dans un exercice d’ajustement à cette situation future que sont d’ores et déjà engagés les Etats européens: dans cette perspec-tive l’Union constitue le point d’appui essentiel de cet ajustement.

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Pour la Suisse cet exercice présente quelques difficultés spécifiques, car elle est parvenue à maintenir les “fondamentaux” de son inser-tion mondiale à travers tout le XXe siècle et tend aujourd’hui à confondre une situation transitoire qui lui fut des plus favorables avec l’ordre naturel des choses.

De façon en un sens paradoxale, la fin de la seconde guerre mon-diale et le développement de la guerre froide – contrairement aux attentes d’un observateur aussi perspicace que Raymond Aron par exemple – n’ont constitué pour nous ni rupture ni remise en ques-tion. Savoir-faire politique remarquable ou conjonction d’événements favorables? Vertu ou Fortune? Je ne sais, mais force est de reconnaître que les deux dernières décennies de la guerre froide auront constitué un moment particulièrement privilégié de notre histoire. Affichant une prospérité économique incomparable, une stabilité politique intérieure sans pareil, la Suisse du XXe siècle a vraisemblablement passé à son zénith au moment de la signature de l’Acte final d’Helsinki, lorsqu’une fois encore sa neutralité est ap-parue “dans l’intérêt de l’Europe”...

Ce n’est qu’en regard de cette position privilégiée qu’on peut comprendre les difficultés que nous éprouvons aujourd’hui et pour se faire, il convient de faire référence aussi bien au contexte interna-tional qu’à la dynamique interne du pays.

La Suisse face à l’espace de liberté,