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CONTEXTE DE LA LANGUE : LA LANGUE SITUÉE (1940-1953)

3. La « vraie France »

Évidemment, la langue française n’a pas péri avec le Maréchal et ne s’est pas

[25 février 1942].)

196 Le procès du maréchal Pétain. Compte rendu sténographique, Paris, Albin Michel, 1945.

complètement séparée de la réalité qu’elle désigne… Il semble en outre que l’on retrouve dans le camp résistant les mêmes techniques rhétoriques que dans le discours pétainiste : légitimation de l’idéologie par la nature, le « bon sens », la raison, la simplicité et la sensibilité, et surtout : par la vérité de la France. Ce que l’idéologie de la Résistance (qu’elle soit gaulliste ou non) dispute à l’idéologie pétainiste, c’est une expression, et à proprement parler un lieu commun : la vraie France. L’enjeu politique de cette expression est clairement affirmée : de Gaulle, par exemple, souhaite apparaître, aux yeux des Français mais aussi des dirigeants étrangers, comme le représentant et l’incarnation de la France, pendant et après la guerre. À la Libération, bien que les pouvoirs allemands et pétainistes aient été démantelés, cette revendication de De Gaulle perdure. À cette époque il n’hésite pas à proclamer que, de 1940 à 1944, la République a été mise entre parenthèses, et qu’avec lui elle peut enfin renaître et reprendre son mouvement. Comme l’explique Jean-Claude Barbas :

Le Général de Gaulle, à son retour dans la patrie, en août 1944, ne proclame pas la République, comme il y est invité, du balcon de l’Hôtel de Ville de Paris ; il met le régime de Vichy entre parenthèses et se réinstalle dans son bureau du Ministère de la guerre, rue Saint-Domingue, pour marquer une continuité.198

Bien sûr, cette revendication de légitimité se fonde sur des valeurs politiques et morales qui font que de Gaulle et Pétain ne proposent et ne représentent pas la même France, c’est-à-dire le même idéal et la même image de la France. Chacun des deux hommes politiques semble occuper un territoire idéologique a priori distinct. Mais pour tous deux, la base de la revendication de la légitimité est une même idée, abstraite — voire un fantasme, une fiction. De Gaulle et Pétain se disputent une rhétorique de la réalité et de la vérité. Pour de Gaulle, comme pour Pétain, il n’existe qu’une France, et une seule : la vraie France. Chacun de leur côté, et avec des moyens rhétoriques (thèmes, vocabulaire, syntaxes, références) qui leur sont propres, les deux hommes politiques veulent assurer leur légitimité.

Pour Pétain, ce combat de légitimité commence favorablement en 1940. Grâce à son aura pratiquement indiscutée de héros de Verdun, et grâce au chaos incroyable 198 Jean-Claude BARBAS, « L’idée de patrie et de nation dans les discours de Philippe Pétain, chef de l’État français (juin 1940-août 1944) », Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 177, janvier 1995, p. 39.

de la défaite et de l’Exode, Pétain apparaît réellement à la majorité des Français comme le sauveur ultime de ce qui peut encore être sauvé.199 Cet homme d’expérience, ce militaire capable de gérer de graves crises en temps de guerre sans faire couler trop de sang, semble à même de pouvoir redresser la barque France dans la tempête de 1940. L’entrevue de Montoire, le 24 octobre 1940, et son historique poignée de mains, n’endommagent pas pour autant la légitimité du Maréchal : certains P.G. s’étonnent d’une si prompte réconciliation des ennemis, mais la plupart voient plutôt dans ce geste le signe de la grande habileté diplomatique de Pétain.200 Dans ces premières journées de l’armistice et pendant plusieurs mois encore, il n’existe personne d’autre pour l’opinion française que le héros de Verdun, seul capable de sauver la France en péril.

Pour de Gaulle, la légitimation est plus délicate que pour Pétain, car Pétain reste en France alors que de Gaulle s’exile en Angleterre. En 1940, de Gaulle existe à peine aux yeux des Français ; rares sont ceux qui ont entendu l’appel du 18 juin ; bien plus nombreux sont ceux qui ont entendu celui du 17 juin 1940, prononcé par la voix chevrotante du Maréchal. De Gaulle sait bien qu’il a encore tout à faire. Ses alliés sont peu nombreux : les Américains semblent pour l’instant plus enclins à dialoguer avec Pétain qu’avec le général rebelle ; les communistes, pris dans le pacte germano-soviétique, ne sont pas encore dans une perspective de lutte anti-nazie ; les Anglais se méfient souvent de De Gaulle : en 1941, de profonds et violents désaccords existent entre lui et Churchill.201

Et quand de Gaulle ne se fâche pas avec les Anglais, ce sont les réseaux de Résistance de la France occupée qui lui reprochent sa mainmise sur une réalité qu’il ne connaît — dans le concret — que relativement peu. Les différents réseaux de résistance (on ne parle pas encore de la Résistance) regroupent tellement de positions politiques et de motivations différentes que suivre un général qui veut être reconnu comme le chef de la Résistance est, pour eux, loin d’aller de soi. À partir de 199 Une des rares exceptions à ce consensus fut Léon Werth qui, dès septembre 1940, se montre très critique envers Pétain et le compare au « concierge » d’une « usine incendiée ». (Léon WERTH, Déposition. Journal 1940-1944, Paris, Viviane Hamy, 2000, pp. 42-43 ; 1e édition : Grasset, 1946.)

200 C’est encore la position que tiendront les défenseurs de Pétain après 1945 : l’amiral Fernet, subtil exégète de l’œuvre du maréchal, voit même dans Montoire une habile manœuvre de Pétain pour obliger Hitler à s’engager dans une vraie fausse collaboration qui cachait en vérité une collaboration de l’État français avec les Alliés, dont l’aboutissement devait être la possibilité d’un débarquement en France. (En attendant Douaumont,

op. cit., pp. 55-59.)

1943, il y aura des luttes de pouvoir entre de Gaulle et Jean Moulin, chacun de leur côté pensant pouvoir représenter et fédérer la Résistance et la France.202 Mais à cette époque, la rhétorique de l’unité de la Résistance a déjà fait son chemin. S’il y a ces tensions entre Moulin, de Gaulle et le général Giraud, récemment évadé de son oflag, c’est donc sans doute que les réseaux de résistance ont besoin d’une unité — que cela vaut la peine d’essayer de leur trouver une unité. Cette unité de la Résistance ne sera, pendant la guerre, jamais effective d’un point de vue idéologique. Elle le fut cependant, de manière progressive, sur le plan symbolique, pour les populations civiles. Elle en trouva en outre la confirmation dans les messages de propagande nazie et vichyste, qui mêlaient tous ensemble juifs, francs-maçons, communistes, anglophiles et gaullistes.

En outre, Pétain possède sur de Gaulle un avantage non négligeable : il est resté sur le sol français, afin, dit-il, de partager les misères de la Nation et d’accomplir son devoir. Comme le rappelle Robert Belot, dans les premières années de la guerre, l’opinion a du mal à s’imaginer que le relèvement de la France puisse venir de l’étranger. Les résistants sont encore appelés « dissidents » et la formule de Pétain « Les seules voix qui parlent français s’élèvent du sol de ce pays » sonne souvent comme une évidence.203 Cette méfiance envers les exilés est entretenue par la rhétorique pétainiste, qui fait du paysan, dans son attachement à sa petite patrie, l’incarnation même du vrai Français. Mais elle est aussi présente dans les milieux qui ne souscrivent pas à cette idéologie, et bien sûr dans les milieux résistants : on se souviendra notamment des sévères critiques de Robert Desnos ou du groupe surréaliste La Main à la Plume à l’intention d’André Breton qui avait quitté la France en mars 1941 : « Si vous tenez tant que cela à jouer au cadavre exquis, vous n’avez qu’à partir en Amérique. »204 Robert Belot parle à ce propos d’une « difficulté à penser la France comme une absence, à rebours de l’idéologie vichyste triomphante »205, qui empêche dans les premiers temps les Français d’adhérer au geste gaulliste.

Malgré ces difficultés, de Gaulle réussit finalement à prendre le pas sur Pétain, 202 Julian JACKSON, La France sous l’Occupation, op. cit., pp. 529-540.

203 Robert BELOT, La Résistance sans de Gaulle, Paris, Fayard, 2006, p. 90.

204 Anne ROCHE, « Éloge du lointain. La production surréaliste à partir de 1937, relation à l’histoire et négation de l’histoire », in Réfugiés et immigrés d’Europe centrale dans le mouvement antifasciste et la Résistance en France

(1933-1945), actes du colloque de l’I.H.T.P., 17-18 octobre 1986, p. 12.

dans le combat de légitimité : il commence à fédérer autour de lui des forces qui peuvent prétendre à représenter certains élans de la population française. Si les rhétoriques vichyste et nazie — et en premier lieu celle de Philippe Henriot206 — s’acharnent autant à montrer les Résistants comme des bandits sans foi ni loi, assoiffés de sang, c’est qu’elles craignent que pour la population l’idée de légitimité ne change de camp. Pétain déclare quant à lui qu’il déplore les actes des « terroristes à la solde de l’étranger », parce qu’ils divisent la population française, et mènent à la guerre civile.207 C’est un souci sincère de sa part sans doute et ce n’est pas nécessairement une mauvaise analyse politique des choses. Mais c’est avant tout un effet rhétorique très puissant pour tenter de contrer le risque qui le menace directement : le remplacement, sur le terrain de la légitimité, d’une unité « légale » par une unité (encore) « illégale ».

Des études d’opinion montrent que la population, qui souscrit parfois volontiers à l’identification résistants/terroristes développée par Vichy et les nazis (notamment en ce qui concerne des assassinats d’officiers allemands), jugent par ailleurs très défavorablement les représailles démesurées lancées en ces occasions par les nazis.208 De plus en plus alors, les sympathies de la population française vont vers la Résistance. Il ne faut pas y voir nécessairement un signe d’inconstance ou d’opportunisme de l’opinion française ; ce n’est pas non plus le signe de la puissance révolutionnaire de l’idéologie résistante. Il vaut mieux essayer de voir que la sympathie de la population pour de Gaulle et les réseaux de Résistance est à la fois progressive et soumise à des variations, mais ne diminue pas nécessairement, de l’autre côté, la sympathie pour Pétain… Pour le dire autrement, il est relativement fréquent de trouver des Français pour qui la légitimité de « la France » est partagée entre la légalité de Pétain, et l’illégalité de De Gaulle ou de la Résistance. Ces cas sont d’ailleurs souvent renforcés par l’idée — souvent partagée jusqu’en 1943 du moins — que Pétain, subtil diplomate, joue un double jeu avec les Allemands.

206 Philippe Henriot, Secrétaire d’État à l’Information et à la Propagande à partir du 6 janvier 1944, fut assassiné par des Résistants du C.O.M.A.C., le 28 juin 1944. Éditoriaux prononcés à la radio par Philippe Henriot, n° 1 et 2, s.l.n.d. [1944 ?].

207 Message du 29 août 1943. Voir aussi le discours du 28 avril 1944 : « La dissidence a préparé là-bas les voies au

communisme. L’indiscipline engendre chez nous le terrorisme. L’un et l'autre sont deux aspects du même fléau.. Ils se couvrent du pavillon du patriotisme. Mais le vrai patriotisme ne saurait s'exprimer que par une fidélité totale. On ne compose ni avec son devoir ni avec sa parole. »

208 Voir Pierre LABORIE, L’opinion française sous Vichy. Les Français et la crise d’identité nationale 1936-1944, Paris, Le Seuil, coll. « Points Histoire », 2001.

C’est dans ce contexte de tensions entre légalité et légitimité, et de rhétorique de l’union de la « vraie France », que se vivent et s’écrivent les positionnements idéologiques des P.G. La question de l’exil est, on l’aura compris, fondamentale pour les captifs, même si elle ne se formule pas tout à fait de la même manière que pour les « dissidents » de Londres ou d’Alger. Tendus tout entier vers le sol natal, les captifs cherchent la solution la plus rapide et la plus efficace pour retourner chez eux. L’exil de De Gaulle fonctionne comme l’envers exact de la captivité, puisqu’il est voulu et non subi ; il peut tout aussi bien alors être vécu comme un modèle d’action (j’agis là où je suis et non là où je voudrais être) que comme un contre-modèle (comment peut-on abandonner ce vers quoi nous porte notre désir ?). Le cas du général Giraud, évadé de la forteresse de Königstein en avril 1942 est de ce point de vue particulièrement intéressant, puisqu’il conjugue un exil forcé, un retour au pays, et un nouvel exil, volontaire cette fois-ci, pour libérer son pays.209

Tous ces tropismes font partie de l’imaginaire des P.G. et conditionnent à la fois leurs choix idéologiques et la tension sentimentale qui les lie à leur patrie. Dans les premières années de la captivité (encore jusqu’en 1943), la confiance en Pétain et en sa politique apparaît pour la majorité des P.G. comme la meilleure de ces solutions pour retourner chez soi. Dès 1941 cependant, pressentant que la captivité risque de durer malgré les négociations de Vichy, ils vont multiplier les tentatives d’évasion210. S’il est toujours difficile de savoir pour quelles raisons l’on s’évade (sont-elles purement individuelles ? ou plutôt idéologiques ? ou les deux ? ou est-ce une idéologie déguisée en comportement individuel ?), on peut toutefois avancer que la manière dont les P.G. vivent le déroulement de la guerre, mais aussi les engagements idéologiques de Vichy et ceux de la Résistance comptent beaucoup dans leur choix de s’évader ou non. La politique de collaboration avec l’Allemagne n’a pas conduit nécessairement à la libération des P.G. : 10 000 libérations « par suite d’accords Vichy/Berlin » en 1940 ; 136 500 en 1941 ; 22 250 en 1942 ; 4 050 en 1943 et 11 600 en 1944. L’année 1943 est donc celle qui compte le plus d’évasions, et le 209 Général GIRAUD, Mes évasions, Paris, Julliard, 1946, ch. « L’évasion d’un général d’armée » et « Jamais deux sans trois ».

210 Selon une enquête de 1947 due au secrétariat des anciens combattants, il y aurait eu 16 000 évadés en 1941 ; 19 000 en 1942 ; 33 000 en 1943 et 3 000 en 1944. Voir Yves Durand, La vie quotidienne…, op. cit., p. 284 (n. 1) et Jean VÉDRINE, Dossier P.G.-rapatriés, op. cit., t. I, N.E. 3, p. 2. Selon Yves Durand, le rapport entre réussites/tentatives d’évasion serait environ de 4 %.

moins de libérations. Il faut toutefois ajouter les libérations dues à la Relève : 24 150 en 1942 ; 74 200 en 1943 et 1 300 en 1944.211 Mais, globalement, les P.G. furent hostiles à la Relève, et même Scapini, n’ayant pas été consulté par Vichy, s’y opposa.212

Si la confiance en la personne du Maréchal diminua moins vite chez les P.G. qu’en France métropolitaine, cela ne signifia pas pour autant que les captifs eurent confiance en Vichy pour assurer leur libération. L’évasion de François Mitterrand, vichyste convaincu, en 1942, en témoigne bien : la libération (qu’elle se fasse contre ou avec les Allemands) était pour de nombreux P.G. le résultat d’une initiative personnelle. La donne idéologique est donc très importante chez les P.G., parce qu’elle conditionne aussi bien les conditions concrètes de la captivité (libérations, aides matérielles, propagande, etc.) que la manière dont les P.G. s’approprient, psychologiquement et symboliquement, leur captivité. Elle ne constitue pas toutefois la seule clé de lecture des comportements des P.G., même lorsque son caractère idéologique paraît à première vue évident : les évasions en sont le meilleur exemple, qui ne sauraient être réduites au seul désir d’engagement dans la Résistance.

Les récits, dans leur grande majorité, vont tenter de donner un sens et une apparence de cohérence aux comportements (qu’ils soient idéologiques ou non) des P.G. en captivité. Pris dans le combat de légitimité entre pétainisme et résistance, les P.G. doivent réussir le tour de force de trouver un terrain d’entente entre l’obéissance à l’ordre militaire (et donc à Pétain) et l’opposition au gardien allemand qu’incarne de plus en plus, au fil des années, la Résistance.

211 Faut-il mettre à part les libérations dues à la Relève, bien que celle-ci soit, à sa manière, un accord Vichy/Berlin ? Les années 1944 et 1945 sont plus difficiles à observer compte tenu de la Libération de la France. Jean VÉDRINE, Dossier P.G.-rapatriés, op. cit., t. I, N.E. 3, p. 2.

I

NSCRIPTION IDÉOLOGIQUE DESP

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G

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Je vais étudier dans ce chapitre, à travers quelques exemples, les engagements idéologiques les plus significatifs des P.G., que l’on retrouve dans les récits de captivité : pétainisme, collaborationnisme, gaullisme, communisme, et la « zone grise » (giraudiste, ou pétaino-résistante). Ces engagements constituent à la fois un contexte de l’écriture des récits de captivité, mais aussi un paysage de désir que l’on retrouve dans ces récits : en tant que P.G. qu’est-ce que je désire (pour moi, pour la France) ? Où je m’inscris ? Quels sont les chemins (idéologiques) qui me feront retrouver mon identité ? Voilà les questions que posent ces engagements dans leurs rapports aux récits.213

A. — P.G. politiques

Le long séjour en Allemagne ne rend pas les P.G. imperméables aux tendances idéologiques de leur époque et de leur pays. Si Pétain semble tant tenir à ce que les P.G., du fond de leur exil, travaillent à penser la destinée de la France, c’est qu’il croit, à juste titre d’ailleurs, que ces questions politiques et philosophiques intéressent les captifs. La « drôle de guerre », déjà, remplit le vide des journées par des discussions politiques ou autres. Sartre, dans ses Carnets de la drôle de guerre, donne une illustration, un peu ironique, de l’intérêt intellectuel qui pouvait exister (ou qu’il sut, personnellement, susciter) sur ces questions politiques :

[23 novembre 1939] On parle politique ce matin. Hang, Pieter, Paul, moi-même, sur l’organisation de l’Europe après la guerre. On dit nombre de sottises.214

L’homme captif continue l’homme de la drôle de guerre et de la défaite et poursuit ces discussions en captivité. De nombreuses lettres et cartes écrites par des 213 Les analyses qui suivent s’appuient beaucoup sur celles faites par Jean-Bernard Moreau dans sa thèse sur les officiers captifs. N’ayant trouvé aucun travail équivalent (même chez Yves Durand) sur les hommes de troupe, je parlerai moins de leurs engagements politiques.

officiers captifs témoignent bien de l’intérêt soutenu que les P.G. accordent aux questions politiques. On y trouve régulièrement des commentaires sur Pétain, Laval, la politique intérieure, la Révolution Nationale, les « terroristes », de Gaulle, les Anglais, etc.215 L’exil et la réclusion n’entraînent donc pas, chez les P.G., un renoncement au monde, bien au contraire : pour les P.G., la France et ce qui s’y passe, au niveau familial ou national, est un horizon idéalisé qui leur permet de supporter la captivité. En outre, Pétain fait des P.G. la force d’avant-garde du redressement et enjoint donc ses enfants chéris à ne pas se replier sur eux-mêmes, mais à méditer sur le destin de la France et à agir pour elle. Si la politique est souvent perçue par les P.G. (surtout les officiers, plus culturellement « militaires » que les hommes de troupe) comme une puissance de division du pays et engendre donc la méfiance, elle est toutefois acceptée comme nécessaire lorsqu’elle choisit à l’inverse l’unité des forces du pays. Dans ce cas, les P.G. ont leur rôle à jouer, dans l’ombre du Chef qui les commande, pour le redressement de la France.

La IIIe République avait fait des officiers des citoyens à part, en leur enlevant leur droit de vote : l’armée devenait alors « la Grande Muette ». Cependant, comme le rappelle Jean Delmas, « être tenu à l’écart des consultations électorales n’implique pas de se désintéresser de l’évolution de la vie politique, surtout si celle-ci paraît menacer les bases de l’armée. »216 La politique est alors pour les P.G. un véritable lieu de partage — « partage du sensible » pourrait-on dire en parodiant Jacques Rancière217, tant il est vrai que les captifs inscrivent leurs positionnements politiques aussi bien sur le plan de la raison que celui de la sensibilité —, où s’expriment leurs différentes visions du monde tout autant que leur désir commun de se retrouver, tous ensemble, rattachés à la patrie