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II. Lien main-bouche

1. Voisinage cérébral

Wilder Penfield, au cours de ses recherches, a découvert qu’en stimulant une zone du cerveau, il pouvait déclencher un mouvement, ou stimuler les sens. Il a ainsi pu élaborer une carte du cortex, dont la spécificité réside dans le fait que les surfaces assignées aux différentes zones corporelles ne sont pas proportionnelles à la taille de la partie du corps correspondante, mais sont proportionnelles : à la multiplicité et à la précision des mouvements que le membre peut effectuer pour l’homonculus moteur 60; à la densité des récepteurs sensoriels pour l’homonculus sensoriel61.

Ce schéma nous permet d’observer que les zones associées à la main, notamment le pouce, et à la face, plus précisément la langue et les lèvres, sont particulièrement développées, occupent une place très importante, et sont très rapprochées l’une de l’autre.

60http://www.pedagodesign.com.sitew.com/Couleurs.E.htm#Couleurs.E

61Dossier pédagogique maternelle-primaire, Très toucher et touche atout, Espace culturel La Turbine,

Annecy

Ces deux zones sont situées dans l’aire 4 de Brodmann, aire qui est presque entièrement occupée par les zones correspondant à la bouche et à la main. En effet, 80% de l’aire 4 sont voués au contrôle de la tête et du membre supérieur ; quant à la langue, aux lèvres, et aux doigts, ils représentent environ la moitié de l’aire. 62

L’homme a une égale représentation neurale de la face et de la main ; autrement dit, il porte la trace cérébrale d’une activité également partagée entre les organes bucco-faciaux et la main. La liaison entre la main et la face concerne les activités alimentaires, et l’exercice du langage et de la parole.

Figure 5 : Aire 4 de l'Homonculus de Penfield. Tiré de :

http://www.dralami.edu/anatomie/motricite/motricite.htm

Ce voisinage cortical permet de prêter presque les mêmes qualités neurosensorielles et morphologiques aux doigts et à la bouche 63; quand on stimule la bouche, on stimule les mains, et quand on stimule les mains, on stimule la bouche.

62LEROI-GOURHAN André, le geste et la parole [I], Technique et langage, 1964, Paris, Albin Michel. 63GLADIC Vinko Aldo et MOFRONT Christine, ‘La Rythmique Phonétique, Rythmique Des Mains et Des

Doigts, Exercices Pour La Rééducation et Pour L’apprentissage Du Langage’, Courrier de Suresnes, 1992. p 66

1.2. Parole et motricité manuelle : quel lien ?

Le cortex du confluent des régions frontale, pariétale et temporale est constitué par la partie basse des aires motrices et pré motrices (aires 4 et 6), c’est-à-dire par les zones motrices concernant la face et la main.

L’expérience neurochirurgicale actuelle montre que les zones d’association qui enrobent le cortex moteur de la face et de la main participent conjointement à l’élaboration des symboles phonétiques ou graphiques.

Des études récentes permettent d’avancer trois types d’arguments montrant un lien réel entre la gestualité orofaciale et la gestualité brachiomanuelle dans l’émergence de la parole. Tout d’abord, comme nous venons d’en parler, des arguments neurologiques : ces études montrent le recouvrement des aires cérébrales de la gestualité et du langage. Ensuite, nous avons des arguments développementaux, avec des études montrant qu’au cours du développement, un lien se crée entre la parole et la main, à travers le geste de pointage. Et enfin, des arguments expérimentaux mettent en avant que la bouche et la main sont coordonnées en général, et plus particulièrement en situation de communication.64

D’après Alario et Lau, l’aire supplémentaire motrice, dont nous avons parlé dans l’expérience de Roland, serait impliquée aussi bien dans le contrôle volontaire des mains que dans la production de la parole.65

Les études faites sur les neurones miroir permettent également de noter ce lien. L’aire des neurones miroir (aire de Broca chez l’homme) serait activée lors de l’observation, de l’imagination ou de l’imitation d’un geste manuel de saisie d’objet avec les mains, ou de mouvements des lèvres.66

Nous pouvons également noter que lors d’une atteinte de l’aire de Broca, le langage parlé et le langage signé sont tous deux atteints.67

64ROCHET-CAPELLAN Amélie, De la substance à la forme: rôle des contraintes motrices orofaciales et

brachiomanuelles de la parole dans l’émergence du langage. 2007, Thèse de Sciences Cognitives, Institut

national polytechnique de Grenoble. 209 p.

65ALARIO et al. (2006), LAU et al. (2004), cités in ROCHET-CAPELLAN Amélie, De la substance à la

forme: rôle des contraintes motrices orofaciales et brachiomanuelles de la parole dans l’émergence du langage. 2007, Thèse de Sciences Cognitives, Institut national polytechnique de Grenoble.

66RIZZOLATTI et ARBIB (1998), FERRARI et al (2003), cités in ROCHET-CAPELLAN Amélie, De la

substance à la forme: rôle des contraintes motrices orofaciales et brachiomanuelles de la parole dans l’émergence du langage. 2007, Thèse de Sciences Cognitives, Institut national polytechnique de Grenoble.

67JOSE-ROBERTSON et al. (2004), EMMOREY et al. (2002), HICKOK et al. (1998), cités in ROCHET-

CAPELLAN Amélie, De la substance à la forme: rôle des contraintes motrices orofaciales et

brachiomanuelles de la parole dans l’émergence du langage. 2007, Thèse de Sciences Cognitives, Institut

Les liens moteurs entre la main et la parole sont présents dès la naissance. Les mouvements rythmiques vocaux et manuels se développent progressivement et parallèlement : chez le bébé de six à huit mois, il y a un entraînement mutuel des activités rythmiques des bras et des mains ainsi que des articulateurs.

Des recherches menées par Gentilucci montrent une relation entre le contrôle moteur de la main et de la bouche lors des gestes de saisie : quand un participant doit saisir un objet en ouvrant la bouche, il est possible d’observer une adaptation de l’ouverture de la main et de la bouche à la taille de l’objet saisi. C’est ainsi qu’un individu qui porte une pomme à sa bouche adapterait l’ouverture mandibulaire à l’objet qu’il tient en main. 68

1.3. La réponse de Babkin ou réflexe palmomentonnier 1.3.1. Définition

Il y a dans les premiers mois de la vie un lien entre la bouche et les mains nommé la réponse de Babkin : la stimulation de la paume d’une main provoque une rotation de la tête du même côté, ainsi qu’une ouverture de la bouche et des mouvements de la langue69. De la même manière, un enfant mis au sein et se mettant à téter serre ses mains autour du sein et le palpe. C’est donc une réponse à double sens, dans laquelle les mouvements de la main peuvent affecter les mouvements de la bouche, et des mouvements de la bouche peuvent affecter les mouvements de la main.

Ce réflexe de Babkin, également appelé réflexe palmomentonier, met donc en évidence un lien neurologique entre la main et la bouche du nouveau-né.57

En principe, ce réflexe est intégré dans le troisième mois de vie.70 1.3.2. Théorie des réflexes néonataux retenus

Dans l’utérus et durant les premiers mois de la vie, quand le développement cérébral n’est pas arrivé à maturité, le tronc cérébral possède des réflexes dits archaïques, ou néonataux. Ces réflexes aident l’enfant à grandir correctement, et font partie d’un

68Rochet-Capellan, Amélie, De la substance à la forme: rôle des contraintes motrices orofaciales et

brachiomanuelles de la parole dans l’émergence du langage. 2007, Thèse de Sciences Cognitives, Institut

national polytechnique de Grenoble. 209 p.

69MARINO Alfredo, BRESSAN Piero, VILLENEUVE Philippe, Bouche et posture, Orthodontie, une

rééducation de la tête aux pieds, Orthomagazine n°54, septembre-octobre 2004.

développement normal. Lorsqu’ils ne sont plus nécessaires, avec la maturation, c’est le cerveau supérieur qui en prend le contrôle et ils deviennent alors secondaires, et peuvent être contrôlés.71

Pour le docteur australien Keith Keen, dans certains cas, ces réflexes néonataux restent dominants et ne passent pas au second plan. Notre système nerveux aura alors dans certaines situations des réactions involontaires et non appropriées.72

Quand c’est le réflexe palmomentonnier qui est retenu, il peut y avoir des répercussions sur l’articulation et le contrôle musculaire fin, ainsi qu’un développement non indépendant de la bouche. De plus, chez les enfants dont ce réflexe n’a pas été inhibé, des mouvements de la bouche sont présents lors d’une tache d’écriture ou de dessin.73 Il est également possible de retrouver, chez ces enfants, des difficultés à utiliser des couverts, ou encore des ouvertures et fermetures de la mâchoire lors de l’utilisation de ciseaux. Les mouvements de la mâchoire et de la bouche se font souvent de manière simultanée par rapport aux mouvements manuels, et l’enfant pourra par exemple tirer et tortiller la langue. A l’âge adulte, cela peut aussi entraîner, par exemple, des contractions de la mâchoire lors de la prise du volant en conduisant.71

1.4. La méthode Arkagym ®

Dans le même ordre d’idée, Dany Dusautoir a mis au point une méthode pour rééquilibrer le développement neurosensoriel quand des réflexes archaïques persistent au- delà d’un certain âge.74

Son constat est que, des nombreux réflexes primitifs existant et devant avoir disparus à l’âge d’un an, certains peuvent perdurer ou réapparaître après la période habituelle d’activité.

Il propose plusieurs exemples, parmi lesquels nous retenons, pour ce mémoire, la rémanence du réflexe palmaire, qui selon D. Dusautoir, entraîne une perturbation de l’axe main-bouche, avec des symptômes tels qu’une protrusion de la langue lors de l’action d’écriture.

A partir de ses constats et de ses formations de kinésithérapeute, de rééducation posturale globale et d’ostéopathie, il a créé le CERRE, Centre d’enseignement et de recherche sur les réflexes de l’enfance. Dans ce centre, est enseignée à tous types de

71http://www.retainedneonatalreflexes.com.au

72http://www.chiropracteur-var.com/_dynamique/gestionContenus02/fichiers/rnr.pdf 73http://www.emergenzautismo.org/content/view/235/53/

professionnels (chiropracteurs, ostéopathes, psychomotriciens, orthophonistes…) une méthode d’intégration des réflexes de l’enfance : la méthode Arkagym®.

Il s’agit d’une méthode qui permet aux professionnels de santé de détecter, de normaliser et d’intégrer les réflexes concernés. Elle propose des techniques simples pour détecter le réflexe, des moyens pour le corriger, puis des exercices à effectuer dans le but d’intégrer ce réflexe dans de nouveaux schémas moteurs. 75

2. De la main à la bouche : la découverte du monde