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Verdissement par le bas versus verdissement par le haut

effet, les écologistes n’ont pas privilégié l’action politique, mais l’action associative. Il faut at- tendre 1974 et la candidature de Renée Dumont aux élections présidentielles pour que les éco- logistes français envisagent de verdir l’économie par l’action politique (Garrigues, 2008). Les écologistes ont alors investi des ressources dans l’action politique plébiscitant un changement par le haut top-down, négligeant ainsi une autre stratégie : l’investissement de leurs ressources dans les solutions de marché, soit un changement par le bas bottom-up. Au lieu de déplacer leurs ressources de l’action associative à l’action politique, ils auraient pu investir leurs ressources dans l’innovation verte et/ou la construction d’un design entrepreneurial écologiquement res- ponsable. Cette voie aurait été d’autant plus féconde que la solution politique du changement par le haut se heurte à un biais de statu quo bien décrit par les théoriciens de l’école des choix publics. Le changement par le bas possède des vertus que n’a pas le changement par le haut. Il est ainsi probable que, si les écologistes avaient investi leurs ressources dans le marché pour verdir les pratiques économiques, leurs résultats en termes de protection de l’environnement auraient été meilleurs. Cet article mobilise donc la distinction entre top-down et bottom-up pour défendre l’idée que l’entrepreneuriat politique en matière de verdissement des pratiques est relativement moins efficace que l’entrepreneuriat marchand.

Il s’organise de la manière suivante. L’introduction pose le sujet et le problème qu’il souhaite résoudre. La seconde section utilise les débats entre les tenants des changements par le haut et par le bas pour justifier l’idée qu’il est préférable d’investir un euro dans le marché plutôt qu’un euro en influence politique pour verdir les pratiques économiques. La troisième section illustre les difficultés du verdissement par le haut par trois exemples : 1- les témoignages sur l’impuissance des ministres de l’Environnement, 2- l’échec des gouvernements français depuis 2007 lors de leur projet de mise en place de l’écotaxe, 3- le caractère souvent inappliqué de nombreuses lois pourtant consignées dans le code de l’environnement. La quatrième section présente a contrario les succès locaux des entrepreneurs de marché en matière de verdissement des pratiques économiques. Le premier exemple présente l’historique de la technologie Lifes- trawqui a profondément renouvelé la manière dont on se pose la question de l’accès à l’eau ainsi que l’usage que l’on peut faire des permis d’émission carbone. La seconde expose l’acti- vité de l’association Terre de lien qui a pour slogan "faire pousser des fermes" afin d’augmenter la part des terres cultivées sur la base de pratiques respectueuses de l’environnement.

5.2 Verdissement par le bas versus verdissement par le haut.

Le verdissement des pratiques de consommation et de production peut être assimilé à un chan- gement institutionnel. Son étude peut, alors, profiter de l’importante littérature élaborée de-

112 Verdissement par l’entrepreneuriat ou verdissement par l’action politique ?

puis l’origine de l’économie politique sur la transformation des règles du jeu. Deux grandes traditions peuvent être distinguées dans ce champ de la théorie économique (Witt, 1989) : la tradition Smith-Menger-Hayeck et la tradition Olson-Buchanan-Tullock. La tradition Smith- Menger-Hayeck conduit à traiter le verdissement des pratiques comme une innovation qui par diffusion se généralise et remplace les anciennes normes de consommation et de production. La tradition Olson-Buchanan-Tullock fait du verdissement des pratiques le résultat d’une mo- dification du contrat social. Il est possible sur ces bases de montrer la supériorité des processus sociaux et économiques sur le processus politique. Cela prépare la thèse de l’impuissance poli- tique politique et in fine l’intérêt que tout militant écologiste devrait porter à l’entrepreneuriat environnemental associatif ou par le marché.

Tradition Smith-Menger-Hayek et verdissement par le bas

La tradition Smith-Menger-Hayek distingue deux types d’institutions : les institutions orga- niques et les institutions pragmatiques.

Carl Menger (1883 :279-293) illustre cette distinction en différenciant la loi et le droit. En l’ab- sence d’action coercitive, les règles de droit avaient d’être des normes légales (Gesetz) sont des normes sociales (Recht). Ces normes sont des institutions organiques. Elles naissent des actions humaines et non de leur dessein. Leur violation remet en cause l’ordre social et provoque des sanctions de l’ensemble du groupe qui les applique. La violation de la loi, en revanche, n’en- gage que les individus qui ont souhaité que l’état applique cette loi particulière qui n’existe que parce qu’elle sert des intérêts particuliers à un moment donné du temps. La norme, contraire- ment à la loi, évolue dans le temps long de l’histoire et de la transformation des esprits : "l’esprit humain (mentalité) étant autant le produit de l’environnement social dans lequel il a grandi, et qu’il n’a point fait, que quelque chose qui à son tour a agi sur ces institutions et les a modifiées" (Hayeck, 1980 :114). Institution et mentalité sont ainsi inscrites dans un problème de types, qui de la poule ou l’œuf est arrivé le premier ? (Voigt, 1993 :508)

Dans ces conditions, le verdissement des pratiques de consommation et de production ne passe pas uniquement par l’action politique. Il trouve même ses origines dans ce processus organique d’essais, d’erreurs, et de stabilisation qui caractérise l’émergence d’une norme. à l’origine d’une norme de comportement, d’une pratique, il y a une innovation. Le fait générateur du change- ment de pratique est un problème. Ainsi, le fait générateur du verdissement des pratiques est l’identification d’un problème environnemental comme la pollution. Face à ce problème, l’in- dividu ne cherche pas une solution politique, mais une solution marchande et/ou associative. Il ne cherche pas à obtenir un mandat politique, à devenir ministre de l’Agriculture ou de l’En-

5.2 Verdissement par le bas versus verdissement par le haut. 113

vironnement. Il propose de nouvelles techniques de production et/ou de nouveaux modes de consommation. Le succès de ces nouvelles pratiques garantira leur efficacité. En effet, plus la solution écologique est adoptée par un grand nombre d’individus, plus le problème de la pol- lution sera facilement résolu. La dynamique du verdissement par le bas est construite ainsi sur des actes volontaires et un régime polycentrique (Ostrom, 2011). Elle obéit à une logique schumpéterienne d’innovation, diffusion et généralisation des nouvelles pratiques.

Tradition Olson-Buchanan-Tullock et verdissement par le haut

La tradition Olson-Buchanan-Tullock traite uniquement des institutions pragmatiques, résul- tant de la signature d’un contrat social. Le verdissement du contrat social exige le contrôle de l’état. Dans ce cadre, l’entrepreneur est un acteur politique qui prend la figure du réformateur. Ce dernier tente de verdir les pratiques de production et de consommation par la force de la loi et de la taxation. Il va alors modifier la structure incitative afin d’obliger les individus à verdir leurs pratiques, c’est-à-dire leur faire faire des choses qu’ils n’auraient pas faites autrement .

Pour être au pouvoir, ces réformateurs politiques investissent d’importantes ressources pour pouvoir agir sur l’agenda politique. Toutes ces ressources en influence politique sont l’équi- valent des ressources investies par les entrepreneurs de marché ou les entrepreneurs sociaux dans les solutions décentralisées. L’investissement en influence est un moyen de gagner les élections, d’accéder au pouvoir et ensuite d’acheter le consentement d’un certain nombre de groupe pour engager les réformes qui permettront de contraindre les citoyens à verdir leurs pratiques : droit de l’environnement, écotaxes, dépenses publiques, etc.

Les coûts d’une telle action sont extrêmement élevés, car l’entrepreneur politique a un détour de production extrêmement long et incertain. Il est long parce qu’il doit gagner les élections pour imposer sa manière de voir le monde. Il est incertain parce qu’il peut ne jamais réussir à être ne position pour agir, mais aussi parce que même s’il devient ministre de l’Environne- ment, il n’est pas évident que cette position lui permette d’agir en faveur de l’environnement. Il peut réussir par exemple à promulguer une loi qui au moment des décrets et des arrêtés d’application sera vidée de son contenu. Cette loi peut, aussi, être contournée par les agents qui cherchent à en éviter les effets parce qu’elle a une nature contraignante. Le verdissement politique des pratiques est en ce sens exposé à l’impuissance publique et aux coûts parfois pro- hibitifs d’une réglementation que personne ne veut appliquer. C’est que montre parfaitement l’économie politique du Statu-quo.

114 Verdissement par l’entrepreneuriat ou verdissement par l’action politique ?

5.3 Biais de Statu-quo et action politique en matière d’environne-

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