• Aucun résultat trouvé

Le vagabondage des pensées

Chapitre 2 : Impulsivité et contrôle des pensées

2.1 Phénoménologies des pensées intrusives

2.1.3 Le vagabondage des pensées

Récemment, Smallwood et Schooler (2006) ont suggéré de regrouper sous le terme de vagabondage(s) des pensées (mind wandering, ci-dessous, VdP) certaines formes d’intrusions mentales et, plus particulièrement, les pensées (et images) non reliées à la tâche (task unrelated thoughts, TUTs, voir p.ex.

Giambra, 1995) ou les pensées indépendantes du stimulus (stimulus independent thoughts, SITs, voir p.ex. Antrobus, 1968; Burgess et al., 2005;

Teasdale et al., 1995a; Teasdale, Lloyd, Proctor, & Baddeley, 1993).

Le VdP renvoie donc à l’apparition (plus ou moins consciente et volontaire) de pensées et/ou d’images sans lien avec une tâche ou une activité en cours d’exécution. Il s’agit d’un phénomène très fréquent dans certaines situations de la vie quotidienne. Prenons l’exemple d’un long trajet sur l’autoroute ou de l’assistance à un cours. Dans ces situations, la tâche et ses buts immédiats sont de respecter les règles de circulation ou de suivre et comprendre ce qui est enseigné. Toutefois, notre esprit peut s’éloigner de ces buts, volontairement ou spontanément, et les remplacer par d’autres préoccupations.

C’est ainsi que notre esprit pourra substituer aux tâches initiales des activités nouvelles telles celle de se projeter dans le futur ou encore celle de nous

souvenir de ce que nous avons fait les jours passés. Il est intéressant de noter que nous ne sommes souvent pas conscients du fait que notre esprit s’est mis à vagabonder, ce qui rend évidemment son évaluation complexe.

Par définition, les VdP ne sont donc pas (ou peu) liés à l’input sensoriel immédiat ou à une tâche en train d’être réalisée. Ils se développent plus facilement dans des activités procéduralisées (bien entraînées ou automatisées), simples ou ne nécessitant que peu de contrôle volontaire. Il s’agit, le plus fréquemment, de pensées spontanées mais il existe également des VdP provoqués de manière intentionnelle (p.ex., des fantaisies ou des fantasmes).

Signalons que les VdP sont souvent pris comme quasi-synonyme de « rêverie diurne » (daydreaming). Les VdP auto-entretenus (par opposition aux VdP spontanés) incorporent également le concept de « fantaisie soutenue » qui représente une forme de rêverie diurne volontairement entretenue, notamment pour faire face à des situations stressantes (Sustaining Fantasy, Zelin et al., 1983). Il faut également relever que le VdP semble souvent prendre la forme de souvenirs autobiographiques (Smallwood & Schooler, 2006), ou encore la forme de pensées ou images relatives à des événements vécus et qui surgissent dans la conscience.

En revanche, le VdP doit être distingué des pensées intrusives précédemment décrites ; ces dernières sont souvent plus récurrentes, plus difficiles à contrôler, plus facilement provoquées par l’activité en cours et reflètent plutôt une forme d’inflexibilité attentionnelle (toujours penser à la même chose). Il s’agit en particulier de distinguer le VdP d’un autre type de pensées que les gens peuvent expérimenter alors qu’ils ont une tâche à réaliser, plus proche des ruminations et des inquiétudes, à savoir les interférences relatives à la tâche (task related interference ou TRI, p.ex. « J’ai pensé au temps qu’il me restait avant la fin de la tâche » ou « J’ai pensé à mon niveau de compétence dans cette tâche » ou encore « J’ai pensé à la difficulté de la tâche ») (Smallwood, Obonsawin, & Reid, 2003). Par opposition, les VdP n’entretiennent aucun lien avec la situation en cours (« J’ai pensé à quelque chose qui s’est passé récemment/qui pourrait se passer dans le futur »).

Différentes méthodes de détection de pensées ont été utilisées pour évaluer le VdP et sa fréquence durant la réalisation d’une tâche (pour une revue, voir Smallwood & Schooler, 2006) mais il n’existe actuellement aucune méthode idéale.

Une de ces méthodes consiste à « sonder » les pensées des participants en les interrompant à différents moments de la tâche qu’ils exécutent. Lors de cette pause, il leur est demandé de décrire tout ce qui se passait dans leur tête juste avant l’interruption. Les pensées sont catégorisées ultérieurement (p.ex., en VdP versus TRI) par plusieurs juges indépendants. Afin d’éviter certains biais (p.ex., timidité, désirabilité sociale), d’autres méthodes demandent aux participants (1) de juger par eux-mêmes, lors de pauses ponctuant aléatoirement une tâche, quelles étaient leurs pensées juste avant cette interruption (p.ex., en choisissant entre VdP et TRI), ou (2) de signaler chaque VdP, par exemple en pressant un bouton à chaque fois qu’ils prennent conscience d’un VdP durant la réalisation de la tâche. Il est également possible de combiner ces deux dernières méthodes pour distinguer les VdP ressentis consciemment (auto-rapportés entre les pauses) de ceux sans « conscience explicite » (soit des VdP rapportés durant les pauses sans avoir pris conscience que son esprit avait dérivé de la tâche juste avant la pause7) (Sayette et al., 2009; Schooler, Reichle, & Halpern, 2005).

Certaines méthodes demandent encore aux participants de juger par eux-mêmes s’ils étaient conscients ou non du fait que leur esprit vagabondait au moment de l’interruption (Smallwood et al., 2008a; Smallwood et al., 2008b).

Enfin, la fréquence et le contenu des VdP peuvent être évalués rétrospectivement (après la tâche) par des questionnaires. Toutefois, avec des mesures rétrospectives, l’évaluation de la fréquence des VdP peut être altérée par des aspects mnésiques et/ou par l’absence de prise de conscience. Il est donc préférable d’évaluer les VdP par détection de pensées directement pendant la réalisation d’une tâche afin de minimiser l’impact de ces biais.

7 Les participants devant surveiller et signaler dès que possible l'apparition de VdP, le fait de ne pas en rapporter avant une pause mais durant la pause reflète une absence de prise de conscience que son esprit était en train de vagabonder juste avant cette interruption.