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CONTEXTE DE LA LANGUE : LA LANGUE SITUÉE (1940-1953)

2. Union/unité

395 Christophe LEWIN, Le retour des prisonniers de guerre français, op. cit., p. 274.

396 Jean VÉDRINE, Dossier P.G.-rapatriés, op. cit., N.E. 29, pp. 7 et 26.

397 Ibid., N.E. 11, p. 2 ; N.E. 7, pp. 1-5. Le troisième alinéa de l’article 3 définissant les buts de l’A.P.G. 1939-1940 est explicite : « Travailler suivant les directives des divers messages du maréchal Pétain, Chef de l’État, à faire une

France rénovée dans une Europe réconciliée, meilleur moyen de hâter le retour de ceux qui sont encore en captivité. La durée de l’association est illimitée. »

398 En juin 1944, 78,2 % des 46 lettres évoquant Pétain (0,3 % des envois) expriment pour le Maréchal une opinion favorable ; 13,1 % sont défavorables ou hostiles ; 8,7 % sont déçus face à son impuissance. Dans les stalags, à la même date, seules 0,07 % des lettres parlent de Pétain ; 81 % d’entre elles lui sont favorables et 19 % hostiles. (Jean-Bernard MOREAU, op. cit., p. 422.)

La valeur suprême pour les P.G., c’est l’union. En cela, ils ne font souvent que reprendre des idées et des rhétoriques maîtresses de leur époque. La Résistance elle aussi, rappelle Robert Belot, se fonde sur le postulat de son apolitisme et son unité.399

Critiques de la désunion

Pour les P.G., l’une des causes les plus importantes de la défaite de 1940 est la désunion provoquée par les politiciens de la IIIe République.400 Sur ce point, René Berthier, représentant fictionnel des P.G. rapatriés et anciens combattants de la Grande Guerre, est particulièrement clair :

Au moment de la tension politique qui a précédé la guerre, notre France n’était ni une ni indivisible : il y avait deux France, qui s’affrontaient avec rancune, deux France hostiles, prêtes à en venir aux mains, et des politiciens pourris entretenaient et exploitaient ces haines sacrilèges, comme l’atmosphère la plus favorable à leur prospérité personnelle. Des braves gens dans les deux camps, mais séparés par l’ignorance, les propagandes et les malentendus. Plus de nation ! Il n’y avait plus que des partis ! C’est alors que la guerre éclata dans les conditions les plus funestes…401

Berthier, dans son cheminement vers la Croix de Lorraine, à ce moment du récit, en est encore à lancer des piques ironiques aux gaullistes, et à se méfier des communistes. Toutefois, le chapitre s’appelle « Dernières hésitations », et l’anglophobie a disparu du discours de Berthier, laissant place à une juste mise à distance du rôle des uns et des autres. Une fois le chemin idéologique entièrement accompli, René Berthier n’opérera pas pour autant un revirement sur la question des responsabilités de l’avant-guerre : nulle part dans le récit il n’est fait mention d’un changement d’opinion sur ce point. Christophe Lewin confirme que pour beaucoup de P.G., et notamment pour ceux (les deux tiers) qui à leur retour en France ont intégré la F.N.P.G., l’avant-guerre se caractérise par « des divisions profondes, des déchirements et des antagonismes de la société nationale ». C’est en réaction à ce modèle que

399 Robert BELOT, La Résistance sans de Gaulle, op. cit., p. 11.

400 Pour un aperçu des autres causes invoquées dans les récits de captivité, voir infra, ch. « Digestion de la défaite (1) : le temps des responsables », p. 391 sqq.

« l’unité réalisée derrière les barbelés provoqua l’émerveillement » : ce que les politiciens d’avant-guerre n’ont pas su ou pas voulu faire, « une société solidaire et homogène », les P.G. l’ont accomplie. 402

Mais pour les P.G. la critique de la désunion s’applique aussi au champ politique des années 1940-1945. Elle touche inévitablement l’adversaire, suivant le camp idéologique dans lequel on se situe. Les premiers jours après son rapatriement, écoutant la B.B.C., René Berthier décèle dans la rhétorique des exilés les relents persistants de la IIIe République :

[…] il était irritant de retrouver dans la bouche de ces exilés, de ces émigrés, les formules surannées, les développements caducs d’avant la guerre, toute cette idéologie, toute cette phraséologie vaine et décevante du régime disparu, tout cet anarchisme faussement humanitaire, qui avait noyé les âmes d’un bain de guimauve, dissous les énergies dans cette fadeur lénifiante, rongé les armatures sociales et politiques, et fait du corps de la nation une sorte de magma sans charpente ni vertèbres, où la volonté allemande avait pénétré sans effort, telle une lame dans le saindoux.403

Subtil Deschaumes qui traite, dans la psyché du pétainiste Berthier, la désunion non seulement comme une rupture (celle du général de Gaulle qui rompt avec son pays) mais aussi comme une force de corrosion de l’unité patriotique. Par les ondes de « Radio-Londres », amollissement et tension travaillent donc de concert à abattre la Révolution Nationale qui apparaît à Berthier comme la seule entreprise de redressement possible pour la France.

Dans les oflags, et jusqu’à la Libération, l’appel à la dissidence de De Gaulle est condamné par beaucoup de captifs. L’ « opposition » des « salopards » (c’est-à-dire des communistes, des gaullistes, mais aussi des journaux parisiens trop collaborationnistes) est également fustigée par des officiers de l’oflag XII B, satisfaits que le discours du 12 août 1941 du Maréchal (celui du « vent mauvais ») ravive le caractère autoritaire et hiérarchique de l’État.404 Fait en apparence plus surprenant, le S.T.O., comme le collaborationnisme, subissent également de vives critiques, parce qu’ils détournent les forces vives de la France au profit de l’Allemagne.405 On pourrait dire alors que la critique de la désunion veut finalement 402 Christophe LEWIN, Le retour des P.G., op. cit., p. 275.

403 Guy DESCHAUMES, Vers la Croix de Lorraine, op. cit., p. 77.

404 Contrôle postal des P.G. de l’oflag XII B, septembre 1941 ; cité par Jean-Bernard MOREAU, op. cit., p. 435.

moins se porter sur les forces d’opposition à la Révolution Nationale (à laquelle la majorité des officiers adhèrent pourtant) que sur celles qui dénaturent ou détruisent l’identité et la puissance de la Patrie. Il est alors possible de critiquer certaines mesures du gouvernement de Vichy, et de les considérer comme anti-patriotiques ; a contrario, la désobéissance des jeunes qui refusent le S.T.O. et prennent le maquis est saluée, parce qu’elle a des allures patriotiques. En prenant pour référence le seul patriotisme et sans le souder à une des idéologies qui s’y réfère et que l’on suit, la critique de la désunion dissimule sciemment son caractère idéologique.406

Principes de l’Unité (1) : lien de l’homme à la Patrie

Pour les P.G., l’unité ne saurait avoir seulement une dimension politique. Elle concerne l’être humain dans son entièreté, et particulièrement son rapport à la Patrie. L’une des particularités de cette pensée de l’union réside en ce que la France est souvent envisagée par les P.G. comme une personne à part entière, et plus souvent encore, elle est une femme.407 On comprendra que cette analogie est motivée par le désir des P.G., qui confondent alors, pour reprendre une catégorie utilisée par Jean-Bernard Moreau, leur « moral individuel » et leur « moral patriotique »408. Dans un article qu’il écrit alors qu’il a regagné la France en 1943, François Mitterrand explicite ce désir reliant l’homme à sa terre. J’en cite de longs extraits, où Mitterrand fait le va-et-vient entre une idée générale et son propre cas, afin de bien montrer l’unité de ces deux moments de l’argumentation :

Notre génération aura fait cent détours avant de comprendre que la France était une personne. […]

Ainsi s’est rétablie une liaison mystique entre les groupes d’hommes et la terre en leur possession, comme à l’époque primitive où elle appartenait à la communauté des morts et des

406 C’est sans doute Charles Maurras qui, par un goût prononcé pour le paradoxe et bien qu’il ne soit pas P.G., a formulé la critique la plus radicale de la désunion anti-patriotique : « […] tout le mal que les hommes

d’Abetz ne pouvaient faire à la France lui était fait par M. de Gaulle et les siens. Les deux factions apparaissaient épaulées et fortifiées l’une par l’autre contre l’Unité vivante de la Patrie. Le principal recruteur de M. de Gaulle était certainement le petit peloton des hitlériens français, mais le programme anti-maréchaliste de ceux-ci était soutenu et développé ardemment par toutes les bouches de Radio-Londres, qui tentaient ce qu’elles pouvaient contre la concorde, l’opinion et le bon sens de notre nation. »

(Charles MAURRAS, « Toute la vérité », in En attendant Douaumont, op. cit., pp. 84-85.)

407 Sur la figuration de la Patrie en femme dans les récits, voir infra, ch. « Marches : à l’aube de l’indignité », p. 357 sqq.

vivants ; les fruits du sol figuraient alors l’âme des disparus et chacun avait conscience de participer à un monde obscur dont l’individu n’était que l’expression fugitive. Qui donc aurait pu séparer ce tout ? L’homme s’intégrait à l’animal, au végétal, au minéral, et se reconnaissait en eux : il n’était pas encore ce faux dieu qui donne sur le monde et ne sait plus, comme entraîné par sa propre folie, où il reposera les pieds. […]

Aussi ma libération n’avait-elle commencé que du moment où, débarrassé des gestes officiels, j’avais pu, muni de mon mince bagage, entamer la dernière étape. L’émotion légitime des accueils en fanfare, cela faisait encore partie du cérémonial de l’absence. Sitôt abandonné à moi-même, j’avais décidé cette marche, ce contact direct avec les choses de chez moi. Une grande joie se tait pour nourrir les souvenirs : comme le nageur dans l’eau et l’oiseau dans l’air, je me sentais élastique et frais ; nul besoin d’intermédiaire pour me soutenir ; l’éclat de la voix, les bondissements du cœur eussent été importuns. […]

Chaque carré bruni par la trace des labours, chaque champ, chaque maison sagement défendue contre les vents, racontait une victoire. Un accord subtil s’était établi entre l’homme, dernier venu triomphateur, et la terre, siècle par siècle livrée. La force naît de l’équilibre. […]

Chacun de mes pas me rapprochait de la gloire des miens, la seule éternelle ; celle que la terre exalte en son orgueil de vaincue. Ce peuple qui domine le sol où il vit et qui reçoit, en échange, l’apport des puissances secrètes contenues dans ses flancs, je pouvais le rejoindre sur crainte. Loin de lui, j’avais appris à désirer la grandeur ; je devinais, presque interdit, qu’en lui j’allais la posséder.409

Le lien du P.G. à sa patrie n’a pas besoin, selon Mitterrand, d’intermédiaire : il est « mystique », sensoriel et spirituel à la fois. Il se vit, en captivité, sous le régime du désir, et dans la France retrouvée, sous celui de la liberté : « je devenais homme libre sitôt ma liberté remise à la réalité charnelle de mon sol. »410 Comme chez Jean Guitton, la liberté de l’homme ne se conquiert pas par l’effacement des liens (hiérarchiques ou terriens) — et l’on peut alors comprendre pourquoi pour ces deux auteurs pétainistes, de Gaulle, dissident et exilé, ne saurait incarner la France libre — ; elle s’expérimente au contraire lorsque l’homme accepte d’inscrire son existence dans un ordre qui le dépasse et commande à sa destinée.

Le lien du P.G. à sa patrie et aux autres Français transcende les clivages idéologiques : René Berthier en fait lui aussi l’expérience, alors qu’il se tient encore à distance du gaullisme, mais qu’il s’est réconcilié avec la communauté française, dont Deschaumes nous dit qu’elle est massivement gaulliste et anglophile :

Une paix bienfaisante était descendue sur l’âme de Berthier. […] [Il n’acceptait pas le gaullisme.] Mais il se sentait infiniment plus près du sentiment français, il ne se trouvait plus si terriblement solitaire dans sa nation, dans sa cité, dans son foyer. […] Vonette [sa fille] n’interrompait plus, à son approche, ses chants subversifs, comme elle affectait de le faire depuis quelques temps. Marie-France se confiait plus volontiers et André s’évadait de ses silences maussades où il avait pris coutume de se verrouiller. Tout s’éclaircissait : la famille

409 François MITTERRAND, article pour le journal des Compagnons de France, avril 1943 ; cité par Pierre PÉAN,

Une jeunesse française. François Mitterrand 1934-1947, Paris, Fayard, 1994, pp. 162-165.

recouvrait son unité perdue.411

Comme le théorise Guitton dans ses Fondements de la communauté française, l’unité des différentes communautés est la garantie du bonheur qui, pour Berthier, s’accompagne d’une paix de l’âme, et d’une clarté dans sa vie. Chez Berthier, l’unité n’est donc pas une idée abstraite, elle est au contraire concrètement vécue dans sa vie quotidienne. Après avoir écouté à la B.B.C. la propagande de la France libre, il y entend de la musique militaire, le chant des « Allobroges » et la « Marche Lorraine » qui l’émeuvent et lui « gonfl[ent] le cœur jusqu’à l’oppression et l’étouffement. » Lui reviennent alors des souvenirs de la Grande Guerre :

Les clairons aux rouges cordelières décrivaient au-dessus des têtes leur spirale flamboyante, et de tous les poumons de la « clique », brutale, héroïque, revigorant les muscles épuisés, la fanfare explosait, impérative et glorieuse. Les pas s’unifiaient, les corps se raidissaient, se vêtaient de fierté, auréolés de la luisance aiguë des baïonnettes… « Les Allobroges » ! La « Marche Lorraine » ! Ah ! Le beau régiment !… La belle époque de risques, de jeunesse et de dignité !412

La musique donne des palpitations à Berthier — c’est au fond un grand sensible, sous ses airs d’Ancien Combattant fumant sa pipe d’un air bourru. Mais là encore, c’est bien l’unité qui le fait vibrer dans son corps et son âme et qui pour l’occasion s’associe à deux autres vertus : la « jeunesse » et la « dignité ». À première vue, cette évocation de la Grande Guerre peut paraître nostalgique et signifier pour Berthier une époque révolue. Toutefois, Deschaumes prend bien soin de relier ce souvenir aux manifestations d’un autre combat de « jeunesse » et de « dignité » tout à fait actuel : c’est la B.B.C. qui diffuse « Les Allobroges » et la « Marche Lorraine » et qui, dès lors, fait signe vers les glorieux combats de 1914-1918. Le lien est encore souterrain pour René Berthier, pas encore décontaminé de sa « pétinite », mais il est évident pour le lecteur. L’unité se dévoile ici dans un autre de ses aspects : elle lie différents événements historiques entre eux, à travers la caractéristique de combativité du peuple français. Dans un article des Lettres françaises clandestines, le P.G. Claude Morgan développe la même idée :

411 Guy DESCHAUMES, Vers la Croix de Lorraine, op. cit., p. 165. Une fois son adhésion au gaullisme déclarée, Berthier tiendra un discours similaire : « Dans le malheur, comme la famille est unie ! Puisse la France entière s’unir ainsi

et ne former aussi, dans l’épreuve et la résurrection, qu’une immense famille, un seul cœur, généreux, unanime ! » (Ibid.,

ch. « En attendant l’aube ! », p. 223.)

Onze novembre 1942. Nous mêlons dans un même souvenir les morts de la Marne et de Verdun, ceux de Dunkerque et de la campagne de France, ceux de Bir-Hakeim, d’El Alamein et de Dieppe, ceux de toutes les mers et de tous les ciels, les fusillés de Chateaubriand, du mont Valérien et de la France entière. […]

Submergée mais nullement soumise, la nation tout entière tient tête à ses agresseurs. Elle n’a pas perdu le souvenir de sa grandeur et elle n’a rien à renier de son passé glorieux. Elle demeure fière d’avoir aboli l’esclavage, proclamé les Droits de l’Homme et l’égalité des races.413

Pour les P.G. résistants, l’unité de la patrie est donc trans-historique ; mais on se souviendra que chez les pétainistes, Eynaud, le paysan-P.G. de Guitton faisait lui aussi une expérience trans-historique, reliant la captivité au Moyen Âge et à l’Éden. Fondée sur la relation même (géographique et historique) de l’homme au monde, remplissant de sa puissance les canaux de l’âme et du corps des individus, l’unité tant désirée par les P.G. se met à l’abri de toute critique d’ordre idéologique. Partagée par tous les camps idéologiques, associée en permanence à l’idée de patriotisme (elle aussi peu soupçonnée d’être idéologique bien que toutes les forces politiques de l’Occupation se soient emparées de cette notion), l’idée d’unité sera durant la captivité et après la guerre même un horizon indépassable et commun à la quasi-totalité des P.G. auteurs de récits de captivité.

Principes de l’Unité (2) : tous derrière le Chef !

La force du Maréchal avait été de discerner, pour le mettre au-dessus de tout, ce qui était le plus nécessaire et le plus précieux de notre bien, savoir : notre Unité.

Charles MAURRAS, « Toute la vérité », 1952.

Pourtant, l’idée d’unité semble dévoiler, logiquement, sa nature idéologique lorsqu’il est question de son représentant suprême : faut-il suivre le Maréchal ou bien le Général ? Ou est-il possible pour un P.G. de suivre les deux sans perdre son identité ? Ou bien faut-il être giraudiste ? L’idéologie semble devoir se dévoiler ici, parce que le P.G. doit faire un choix entre plusieurs représentants, revendiquant tous l’incarnation de la Patrie et de l’esprit de la France : il ne s’agit plus seulement d’être 413 Claude MORGAN, « Onze novembre », Les lettres françaises, n° 3, novembre 1942 ; Chroniques des Lettres

fidèle à cette inclination « naturelle » de tous les P.G. qu’est le patriotisme, il faut choisir l’individu (avec ses ambitions et ses faiblesses) qui le représente. C’est pourquoi certaines orientations politiques du Gouvernement de Vichy créent des divisions au sein de la communauté des captifs. Jean-Bernard Moreau rapporte cette note du doyen de l’oflag XVII A, suite aux réactions violentes des P.G. s’opposant à la décision de Vichy d’autoriser le travail des officiers captifs, en octobre 1941 :

[…] il n’appartient à nul d’entre nous de juger les décisions du gouvernement français. S’il a levé l’interdiction faite aux officiers de travailler, il l’a jugé bon ainsi. Le gouvernement ne nous demande pas notre avis, mais il demande de lui obéir, même sans comprendre. Cela fait partie de la discipline et du respect que nous devons à ceux qui, actuellement, ont la charge effroyable de la FRANCE.414

L’obéissance au Chef, inscrite dans le code militaire, prend en captivité un tout autre sens qu’en temps de combats. L’armée française étant majoritairement, depuis juin 1940, hors-service, une anarchie ou une dissidence gagnant ses membres n’aurait, du point de vue stratégique, que peu d’influence…415 Mais puisque pour les Français de 1940 le Chef militaire est en même temps le Chef de l’État, les soldats se doivent de respecter l’ordre politique de la même manière qu’ils respectent l’ordre militaire. La note du doyen ne fait que suivre cette logique de confusion.416

L’obéissance des P.G. est une forme comme une autre, comme pourraient en produire tous les Français, de fidélité au Maréchal ; au devoir professionnel se greffe un devoir moral qui dissimule, encore une fois, sa nature idéologique. On ne s’étonnera pas que dans les Fondements de la communauté française de Jean Guitton, l’obéissance à la hiérarchie soit considérée comme une clé de l’unité communautaire.417

Les divergences d’opinion au sein du Gouvernement de Vichy posent des cas de conscience aux P.G. qui espèrent que l’unité soit aussi une réalité concrètement 414 Note du doyen de l’oflag XVII A, 7 mai 1942 ; cité par Jean-Bernard MOREAU, op. cit., pp. 397-398.

415 Quant à « l’Armée d’armistice » présente en Zone Libre jusqu’en novembre 1942, elle ne réussit même pas à contrer ou empêcher le passage de la ligne de démarcation par les Allemands. Il exista de nombreux officiers sans doute, comme le colonel Schlesser du 2e Dragons à Auch, qui voulurent opposer une résistance aux Allemands — mais leur souci de légalité et d’obéissance aux supérieurs les conduisit à l’inaction et à l’impuissance. (Robert BELOT, La Résistance sans de Gaulle, op. cit., p. 251.)

416 Dans les camps, surtout dans les oflags, les doyens étant souvent les plus gradés des soldats, ils sont généralement les plus conservateurs, les plus pétainistes et les plus critiques vis-à-vis des dissidences, notamment des évasions. Voir Jean-Bernard MOREAU, op. cit., p. 361 sqq.