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Une indépendance critiquée depuis le départ

L’indépendance du TAS a été remise en cause pour la première fois en 1993 par le cavalier allemand Elmar Gundel lorsqu’il attaqua le jugement du TAS devant le TF en invoquant un manque d’indépendance et d’impartialité du TAS vis-à-vis de la FEI et du CIO121. La plus grosse critique qui pouvait être effectuée à l’époque concernait les liens trop étroits entre le TAS et le CIO. Le TAS pouvait être considéré comme le « petit frère du CIO plutôt qu’un tribunal indépendant »122.

En effet, de 1984 à 1990, le TAS était composé de 40 membres : 20 étaient nommés par le CIO (10 par son président et 10 par le CIO lui-même), les membres restants étaient élus par les FI et les CNO dans la même proportion123. À noter qu’en 1990, le nombre d’arbitres a augmenté à 60, ils sont nommés selon les mêmes proportions124. De plus, le président du CIO était également le président honoraire du TAS et élisait le président exécutif du TAS125. En outre, le CIO finançait la totalité du TAS et était habilité à modifier les statuts du TAS126. Nous pouvons considérer que dans sa conception originelle, le TAS pouvait être perçu comme

« une sorte d’organe judiciaire au sein même du CIO, car ce dernier exerce un contrôle politique et financier sur le premier »127. Ce qui est naturellement totalement incompatible avec l’essence même du concept de tribunal indépendant.

Lors de l’arrêt Gundel le 15 mars 1993, le TF affirma que le TAS est indépendant de la FEI pour deux principales raisons : le TAS n’est pas un organe de la FEI et il ne reçoit pas d’instruction de cette dernière128. Cependant, en ce qui concerne les liens avec le CIO, le TF exprima certains doutes. En effet, le TF souligna les liens organiques et financiers entre le CIO et le TAS129. Ce qui pouvait engendrer un manque d’indépendance en cas de conflit entre ces derniers130. C’est pour cela que le TF recommanda d’améliorer l’indépendance du TAS

121 Cf. supra, II.A.

122 ETTINGER, p. 112.

123 MBAYE, p. 414.

124Art. 7 Statuts du TAS (version 1991) ; REEB, p. 23 ; GORBYLEV, p. 295.

125 MBAYE, p. 413.

126 Art. 6, 71 et 75 Statut du TAS (version 1991) ; ETTINGER, p. 112-113.

127 CASINI, p. 1322, traduction libre de l’anglais.

128 ATF 119 II 271, S. 279-280 ; MCLAREN, P.307.

129 ATF 119 II 271, S. 280 ; REEB, p. 23.

130 ATF 119 II 271, S. 279 ; VALLONI/PACHMANN, p. 138.

par rapport au CIO tout en affirmant que le TAS constituait un « véritable tribunal arbitral »131.

Le 21 juin 1993, le CIO réagit à l’arrêt Gundel et décida, en accord avec l’ASOIF, que le TAS devait s’affranchir de la tutelle du CIO132. Le 22 juin 1994 fut signée la Convention de Paris.

La création du CIAS fut la pierre angulaire de l’émancipation du TAS vis-à-vis du CIO. La raison d’être du CIAS est d’assurer la gestion et le financement du TAS, fonctions qui étaient exercées par le CIO auparavant133. Le but d’une telle manœuvre était d’instituer le TAS en tant qu’autorité indépendante du contrôle direct du CIO134.

2. Affaire Lazutina

L’indépendance du TAS est une nouvelle fois remise en question dans l’affaire Lazutina135. En 2003, deux athlètes avaient été exclues par leur fédération des Jeux olympiques d’hiver de 2002 en raison de dopage136. Le TAS leur donnant tort, elles décidèrent de recourir au TF.

Leur grief principal était le manque d’indépendance du TAS par rapport au CIO137. Le TF a affirmé que certes, le TAS n’est pas parfait, mais il est érigé en tant que pilier du sport organisé et assure des garanties suffisantes d’impartialité et d’indépendance par rapport aux CIO et aux autres organisations sportives138. Cet arrêt permit d’asseoir davantage l’indépendance du TAS. En effet, si dans l’arrêt Gundel le TF doutait de l’indépendance du TAS en cas de conflits avec le CIO, dans cet arrêt Lazutina tout doute est levé : le TAS est un tribunal indépendant quand bien même le CIO est partie à la procédure139.

De plus, en analysant une partie des jugements du TAS impliquant le CIO, nous nous apercevons que le TAS a donné tort au CIO à plusieurs reprises, ce qui conforte l’indépendance du TAS à son égard de manière plutôt convaincante140.

La question de l’indépendance du TAS semblait être réglée pour de bon, cependant l’affaire Pechstein a ravivé le débat.

131 ATF 119 II 271, S. 280.

132 Cf. supra II.B.

133 Art. S6 Code TAS; GORBYLEV, p. 296.

134 VALLONI/PACHMANN, p. 139.

135 ATF 129 III 445.

136 EHLE/TATTEVIN, p. 6.

137 DOWNIE, p. 323.

138 ATF 129 III 445, S. 463.

139 EHLE/TATTEVIN,p.6.

140 MCLAREN,p. 316-322 et p. 333.

3. Affaire Pechstein

Claudia Pechstein est une patineuse ayant gagné différentes médailles et fut suspendue pendant 2 ans en 2009 en raison d’un probable dopage par l’International Skating Union (ISU)141. Le TAS confirma cette décision, Pechstein décida de recourir au TF en invoquant un manque d’indépendance et d’impartialité du TAS en raison de la façon dont sont désignés les arbitres ainsi que de la violation de l’art. 6 de la CEDH142. Cet article prévoit, entre autres, la possibilité d’avoir une audience publique.

En février 2010, le TF conclut que la contestation de la décision du TAS n’est pas justifiée et que le recours au TF est donc rejeté143. Le TF affirme que le TAS est un véritable tribunal arbitral ne souffrant pas de problèmes d’indépendance et que l’art. 6 CEDH ne s’applique pas aux procédures d’arbitrage volontaire144.

Ne s’avouant pas vaincu, Pechstein décida de recourir à la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH)145. Cette dernière, dans son arrêt du 2 octobre 2018, affirma que les garanties procédurales de l’art. 6 CEDH s’appliquent pleinement en cas d’arbitrage forcé146. Par conséquent, dans son arrêt la CourEDH a analysé, entre autres, l’indépendance et l’impartialité du TAS. Il en résulte que les organisations sportives exercent une réelle influence concernant la désignation des arbitres, cependant, « cette seule influence ne suffit pas pour conclure que les arbitres sont dépendants ou partiaux vis-à-vis de ces organisations »147. À noter que deux juges de la CourEDH parmi les sept qui siégeaient dans cette affaire ont donné une opinion dissidente sur le sujet. En effet, ils estiment que le TAS n’est pas indépendant en raison de l’influence des organisations sportives dans la désignation des arbitres148.

En ce qui concerne le caractère public de l’audience, la CourEDH affirma que les audiences doivent être publiques, à moins que les circonstances de l’affaire le justifient149. In casu,

141 BRÜGGEMANN, p. 27.

142 Arbitration CAS 2009/A/1912 P. v. International Skating Union (ISU) & CAS 2009/A/1913 Deutsche Eisschnelllauf Gemeinschaft e.V. (DESG) v. International Skating Union (ISU), award of 25 November 2009 § 144 ; HIRSCH,Le Tribunal arbitral du sport et l’art. 6 CEDH, p. 1.

143 Arrêt du Tribunal fédéral 4A_612/2009 consid. 7 ; BRÜGGEMANN, p. 28.

144 Arrêt du Tribunal fédéral 4A_612/2009 consid. 3.1.3 et consid. 4.1.

145 Affaire Mutu et Pechstein c. Suisse, Requêtes nos 40575/10 et 67474/10.

146 VASSINE,p. 90 ; MARGUENAUD, p. 852 ; Cf. supra II.B et IV.A.

147 HIRSCH,Le Tribunal arbitral du sport et l’art. 6 CEDH, p. 2 ; VASSINE,p. 90.

148MARGUENAUD, p. 853-854 ; LATTY, le TAS marque des points devant la CEDH, p. 35-36.

149 LATTY, Le TAS marque des points devant la CEDH, p. 32-33.

l’audience à huis clos ne se justifiait pas150. Pechstein ne s’arrêta pas là et demanda le renvoi de l’affaire à la Grande Chambre de la CourEDH. La CourEDH rejeta la demande de Pechstein, l’arrêt de la CourEDH du 2 octobre 2018 devint donc définitif et exécutoire151.

À toutes fins utiles, nous précisons que Pechstein a également introduit une action en dommages et intérêts contre l’ISU et contre la Fédération allemande de patinage de vitesse devant la Cour régionale de Munich152. Cette dernière lui donnant partiellement tort, elle fit recours contre la décision devant la Haute Cour régionale de Munich153. L’affaire finit devant la Cour suprême fédérale allemande (Bundesgrichtshof) en 2016 et celle-ci déclara également que le TAS est un véritable tribunal arbitral garantissant un procès équitable154.

Par conséquent, l’indépendance et l’impartialité du TAS ont été confirmées non seulement par le TF, mais aussi par la CourEDH et le Bundesgrichtshof. Cependant, nous pouvons tout de même adresser quelques critiques à cet égard.

D. Critiques actuelles sur l’indépendance et l’impartialité du TAS

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