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Les habiletés sociales sont explorées depuis plusieurs années dans le champ de la psychiatrie de l’enfant et de l’adulte. Des difficultés dans le cadre de la relation à l’autre ont ainsi été mises en évidence dans certains troubles psychiatriques spécifiques. Si elles ne font pas toujours partie des critères diagnostiques principaux, elles peuvent cependant être présentes de façon quasi-systématique dans la présentation clinique, permettant de nous orienter dans notre évaluation initiale. Elles peuvent également apparaitre secondaires au mal-être psychique, et importantes à prendre en compte dans le retentissement de la pathologie. Ces recherches ont abouti à la mise en place d’outils spécifiques pour leur évaluation, afin d’en permettre une prise en charge adaptée. Nous allons ici aborder rapidement, à titre d’introduction à ces outils pour imager nos propos, la cognition sociale dans les cas du trouble du spectre de l’autisme, de la schizophrénie ou encore de la dépression.

Les troubles du spectre de l’autisme (TSA) se définissent en grande partie par un trouble de la

communication et des interactions sociales, critère diagnostique présent dans le DSM 5. En effet les particularités des habiletés sociales repérées dès le début du trouble en font un argument majeur pour poser le diagnostic lorsqu’elles s’associent à des comportements stéréotypés et/ou répétitifs et des intérêts restreints. Leur évaluation sera d’ailleurs effectuée de façon précise et standardisée via la passation de l’ADOS (Autism Diagnostic Observation Schedule), outil d’observation semi-structuré analysant entre autres le jeu, les interactions sociales réciproques et la communication. Il peut par exemple mettre en évidence une difficulté à entrer en contact avec l’enfant, capter son regard, avoir une conversation, partager un jeu ou l’intérêt pour un objet avec lui, ou jouer avec lui à des jeux de faire semblant. Les enfants souffrant de TSA ont en effet des difficultés à accéder au jeu social, percevoir les codes sociaux ou comprendre le concept d’amitié, déchiffrer leurs propres émotions et celles des autres. Il en découle de moindres interactions et des difficultés d’intégration, enfermant l’enfant dans un fonctionnement isolé et ne lui permettant pas d’améliorer ses capacités sociales. Une différence dans le traitement perceptif des visages, ainsi qu’un moins bon fonctionnement du système exécutif, de la pragmatique du langage, des capacités d’empathie et de théorie de l’esprit sont retrouvés comme participant à l’altération de ces habiletés sociales (108). Du point de vue de l’activité cérébrale, les relations entre théorie de l’esprit et système miroir sont cependant débattues. Müller et al. en 2011 proposent après revue de la littérature une moindre activation du réseau cortical dédié à la communication sociale (125), ce que confirment Kana et al. dans une étude de 2015 explorant l’activation cérébrale par IRM (126). Ces données s’opposent à celles avancées par Fishman et al. en 2014, qui évoquent des connexions excessives entre régions cérébrales assurant les rôles de théorie de l’esprit et de système miroir, avec l’idée d’un cerveau présenté comme immature, sans réelle

différenciation des fonctions (127). Une étude récente, menée par Chien et al. en 2015, propose un lien entre altération de la communication sociale chez les adolescents et jeunes adultes souffrant de TSA, mesurée par la Social Communication Questionnaire, et une moins bonne coordination de leur système miroir en comparaison aux individus sains, sans lien avec l’épaisseur corticale des régions concernées (128).

La schizophrénie est connue pour être marquée par un déficit cognitif parfois important, touchant de

nombreuses fonctions exécutives et pouvant amener à un tableau d’apragmatisme. Si le retentissement social a lui aussi été repéré depuis longtemps, et fait partie des critères du DSM, l’exploration de la cognition sociale à proprement parlé est plus récente. En effet, comme le rappelle le Pr. Llorca dès 2004 (129), il est fréquent d’évoquer chez ces patients le retrait social, la difficulté à nouer des relations intimes voir la perte d’intérêt pour les activités sociales. Mais si ces difficultés peuvent être en partie expliquées par un vécu parfois persécuté des relations ou par une dissociation idéo-affective compliquant la communication, de réelles altérations des processus rentrant dans le champ de la cognition sociale sont présentes dans la schizophrénie. Les processus de bas niveau comme les fonctions exécutives (planification, flexibilité mentale, inhibition…) ou la reconnaissance des émotions sont ainsi moins efficientes par rapport à la population générale (130). De nombreuses études se sont également penchées sur les processus de haut niveau. L’évaluation de la théorie de l’esprit dans la schizophrénie la retrouve déficiente chez la plupart des patients. Cette différence dans l’attribution d’intentions à autrui par rapport aux sujets sains serait, au moins en partie, liée pour Roux et al. à un défaut d’attention au regard d’autrui selon une étude publiée en 2014 (131), ce qui rappelle l’importance de l’attention conjointe dans la qualité des relations sociales. Plusieurs auteurs dont Mehta et al. mettent en relation déficit en théorie de l’esprit, empathie et dysfonction du système des neurones miroirs chez les patients souffrant de schizophrénie non traitée (132). Une revue de la littérature menée par Mothersill en 2015 met également en avant un possible défaut de fonctionnement du cervelet dans le déficit de traitement de l’émotion et de théorie de l’esprit (133), s’ajoutant à un moindre volume de matière grise dans le cortex pré-frontal selon Maat et al. en 2015 (134). Le processus d’agentivité semble également altéré : dans un ouvrage de 2004, Peretti et al. lient la difficulté pour le patient schizophrène à se représenter comme acteur de ses actions au découplage présent dans la pathologie entre intention et réalisation de l’action (135). Si le sujet ne se sent plus responsable de ses propres comportements, il devient d’autant plus difficile d’inférer celui des autres, ses intentions, ses buts, ou d’avoir une réponse comportementale adaptée dans le cadre de l’échange social.

Le trouble dépressif est pour nombre de patients associé à un repli sur soi et une perte des relations

sociales au cours de l’épisode. Les personnes interrogées sur les raisons de cet isolement relationnel expriment le manque d’envie, de motivation à entretenir des échanges avec autrui mais aussi des cognitions négatives sur eux-même et sur les autres renforçant le patient dans sa position : « je suis nul(le), je ne vaux rien, je ne suis pas capable, les autres vont être gênés par ma présence… ». Si ces pensées peuvent en partie être expliquées par la tristesse de l’humeur, l’aboulie, l’anhédonie ou

l’anxiété, leur apparition et l’isolement social qui s’en suit peuvent aussi être induits par de réelles altérations dans le champ de la cognition sociale. Weightman et al. soutiennent cette hypothèse dans une revue de la littérature réalisée en 2014, permettant de mettre en évidence une interprétation des signaux sociaux et émotions différente des sujets sains, emprunte d’un filtre négatif. Ils retrouvent également une difficulté pour les sujets souffrant de dépression à réaliser des tâches complexes de théorie de l’esprit (136), leurs performances cognitives étant négativement corrélées à la sévérité des symptômes. Ces altérations de la cognition sociale sont présentes dès le premier épisode et tendent à se maintenir à minima en période de rémission d’après les études de Ladegaard et al. réalisées en 2014 et 2015 (137), (138). Les auteurs posent également la question de la possible pré-éxistence de ces anomalies de la cognition sociale avant même le premier épisode thymique, ce qui remettrait en cause l’hypothèse des altérations cognitives comme secondaires au trouble. Wagner et al. s’intéressent en 2015 aux déficits cognitifs retrouvés chez les enfants et adolescents présentant un épisode dépressif caractérisé. Ils retrouvent, en comparaison à la population témoin du même âge, des déficits des fonctions exécutives (planification, inhibition), de la fluence verbale et de l’attention soutenue (139), fonctions cognitives de bas niveau que l’on retrouve engagées dans la fonction de cognition sociale. Ces données, malgré les nuances apportées par d’autres études sur les résultats retrouvés dans la population pédiatrique, complètent celles précédemment décrites concernant les fonctions de haut niveau, et permettent de dresser un tableau large des déficits de la cognition sociale chez les patients déprimés pouvant expliquer au moins en partie le retentissement social du trouble.

Ce survol de l’implication des difficultés sociales dans la clinique psychiatrique et leur retentissement fonctionnel nous permet de prendre conscience de l’importance d’une évaluation systématique du fonctionnement social de l’individu au-delà de la simple démarche diagnostique d’une pathologie. Il sera également intéressant de pouvoir spécifier ces difficultés, en termes de retentissement simple du trouble ou comme altération indépendante des processus de la cognition sociale, évoluant en parallèle des autres symptômes, afin de proposer une prise en charge optimisée du patient.