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LIEUX DES RECHERCHES

TRAVAIL, SAVOIR, APPRENTISSAGE : PLUSIEURS ENTRÉES THÉMATIQUES POUR CONSTRUIRE NOTRE OBJET DE RECHERCHE

La première entrée est celle du travail et ce que font les professionnels. L’Hôtel de Ville propose de modifier directement les activités de travail des services de la Ville et c’est le travail qui est observé en priorité.

• Le travail ou les activités de travail, des objets privilégiés pour observer l’évolution des pratiques professionnelles

S’intéresser au travail conduit à s’intéresser au monde de l’entreprise, de l’usine, de l’administration. Le travail, observé à travers les activités des travailleurs ou employés, est l’objet de mutations ou de changements. La sociologie du travail, discipline qui s’intéresse de façon centrale au travail, interprète les relations entre « la division du travail, son organisation et le « progrès technique » » (Stroobants, 1993, p.21).

Pour reprendre les termes de Marcelle Stroobants (1993), Friedman dénonçait « l’éclatement progressif des « anciens métiers unitaires » comme une « dégradation de l’habileté professionnelle » » (Stroobants, à propos de Friedmann, 1993, p.22). Le travail est le lieu de l’activité et de la mobilisation des compétences. Un grand nombre d’études qui s’inscrivent en sociologie du travail ou en sociologie de la connaissance mobilisent des cas, des situations particulières de travail qui fournissent des données sur le travail concret, les gestes du professionnel, ses connaissances tacites et son adaptation à des situations contraignantes ou mouvantes. Il ne s’agit pas de faire une histoire en accéléré de la sociologie du travail, des travaux de Friedmann ou de Naville. La compréhension de la classe et de la condition ouvrière s’éloigne de notre objet de recherche. Ce qui est intéressant, c’est l’approche qu’elle adopte : la sociologie du travail en France, comme l’écrit Sabine Erbès-Seguin, vise soit à analyser le travail sur les lieux où

il se réalise et ses transformations, soit les relations collectives de travail ou relations professionnelles (Erbès-Seguin, 2010, p. 8). Qu’elle étudie les aptitudes, les formations ou l’action collective, la sociologie du travail s’adapte au contexte et au milieu du travail qui évolue pour s’intéresser à l’internationalisation de la production plus récemment (Bevort, Jobert, 2008, In : ibid., 2010) ou à la précarisation de l’emploi. Des travaux plutôt inscrits en sociologie du travail ont traité des professions à l’image des textes de Georges Benguigui et/ou de Dominique Monjardet qui étudient le travail des ingénieurs à travers leur emploi du temps (Benguigui, Monjardet, 1984).

Plusieurs textes s’éloignent de l’objet « travail » pour parler de « pratiques professionnelles » et des activités du travail. Le travail est ce qui est prescrit tandis que la pratique est ce qui est réalisé, voici une distinction faite par Marguerite Altet (2002). L’analyse des pratiques renvoie le plus souvent à une méthodologie qui s’inscrit dans des textes sur la/en pédagogie et traitent, par exemple, du métier d’enseignant (Altet, 2002). L’analyse de pratiques a une visée méthodologique pour améliorer ces mêmes pratiques ; elle cherche à construire une identité professionnelle en permettant à l’acteur de mener une démarche réflexive.

Des recherches récentes observent le travail pour décrire des savoir-faire propre à certains métiers à l’image du travail de Bonault-Cornu et Cornu (1991). Les auteurs montrent notamment que la tradition et les habitudes de travail des ouvriers dans une conserverie nantaise, expliquent la réticence à employer le système métrique universel. Le travail et son observation sont pris comme point de départ pour décrire et expliquer le maintien de termes jugés anciens mais privilégiés dans la transmission des pratiques, ici, entre ouvriers et artisans. Lorsque l’on regarde de plus près les textes portant sur l’observation de professionnels au travail, la notion d’expérience revient régulièrement. Les textes portant sur l’expérience professionnelle ne sont pas étrangers à ce qui constitue l’activité de travail et les problématiques portées par la sociologie du travail. L’expérience est le résultat de ce travail, il en résulte parfois de nouveaux savoir-faire : « (…) l’expérience désigne ce que le sujet acquiert par la pratique,

c’est-à-dire par l’exécution de tâches d’un domaine professionnel, sur un temps plus ou moins long ». (Rogalski, Leplat, 2011, p.4)17 ; c’est aussi le temps de l’expérience, « une formation par contact direct, mais réfléchi. Par contact direct, c’est-à-dire sans médiation de formateurs, de programme, de livre, d’écran et même de mots… » (Courtois, Pineau, p.29, 1991 ; cités par Rogalski, Leplat, 2011, p.5).

Le lien se fait entre l’étude du travail et celui des savoirs et savoirs faire des professionnels. La sociologie du travail au cours des années quatre-vingt parle de savoirs, de savoirs faire et de compétences (Stroobants, 1993) : travail et connaissance sont intimement liés (l’automatisation et la déqualification de l’ouvrier par exemple). Ce lien entre celui qui fait un travail et ses qualifications (ou déqualification avec l’image de l’ouvrier « robot ») est aussi l’objet d’apprentissages en didactique ou en sciences de l’éducation. Dans ce projet d’espace public, la Mairie de Paris souhaite faire évoluer les pratiques professionnelles en introduisant de nouveaux acteurs et en réorganisant le travail. Il est alors intéressant d’observer le

17 Il est important de préciser également que l’expérience, le vécu professionnel et « ce qui reste » des activités et des situations de travail dépendra pour partie de la personnalité, de l’âge, etc. du professionnel. En cela, les résultats sont, pour partie, orientés par les données issues du terrain (les professionnels plus propices à parler et partager leur expérience avec une personne extérieure). Si nous avons rencontré l’ensemble des acteurs engagés sur les projets étudiés, tous ne sont pas engagés au même niveau dans l’aménagement par le genre, le numérique, etc. Par ailleurs, « L’expérience est fondée sur la perception sensorielle, mais elle n’est pas confinée à cela. L’expérience porte les empreintes de toute la personne. Elle contient des idées et des concepts, des pensées et des émotions et elle ne se confond donc pas avec la perception immédiate » (Fischer, 2002 ; cité par Rogalski et Leplat, 2011, p.5). L’expérience se construit aussi par la pratique.

travail pour en percevoir les difficultés, les transformations mais aussi l’évolution des savoirs de ces professionnels au travail.

• La piste du savoir18 au travail : savoirs, savoir faire et compétences des professionnels

Lorsque l’on s’intéresse au(x) savoir(s) du professionnel, on peut être surpris par le contexte de la naissance de cette question qui semble apparaître dans les années 1960 aux États-Unis. Schön parle de la naissance d’une industrie des savoirs – des professionnels - pour une société active « postindustrielle » s’organisant autour de la compétence professionnelle. Cette industrie des savoirs (Schön, 1983, 1994, p.28) est un premier point. La notion de savoir rejoint celle de compétence ici car il s’agit de savoir propre à un professionnel. L’industrie automobile, pour partie décrite par Christophe Midler (1995), s’intéresse également à la production de ces savoirs et compétences dans le cadre d’une réorganisation et d’une évolution de l’entreprise. Dans les années 1990, explique Marcelle Stroobants, Coriat désigne les savoir-faire et les qualifications comme les « ingrédients » pour gérer la production (Stroobants, 1993, p.48).

Il s’agit souvent d’observer un professionnel pour décrire et catégoriser les savoirs détenus et élargir les définitions relatives aux typologies de savoirs et savoir-faire. Ces savoirs, ce sont des savoirs professionnels ou savoirs d’action. Ils sont fortement liés à des pratiques et à des identités professionnelles. La recherche s’est intéressée progressivement à la catégorisation de ces savoirs et à leur construction. Les savoirs sont l’objet de typologies et de catégorisation19 ; ils sont étudiés comme des éléments issus de l’expérience. Leur formation est aussi permise par l’« adaptabilité au changement technique » (Stroobants, 1993, p.49) des professionnels. La division est même faite entre « savoirs », « savoir-faire » et « savoir-vivre » (Mandon ; In : Stroobants, 1993). Zarifian dans les années 1980 identifie un « savoir de procédé, savoir d’expertise, savoir de gestion » (Zarifian, 1988 ; In : ibid., p.61). Ces derniers sont attachés à l’ouvrier ou à l’ « ouvrier-technicien ».

Plusieurs recherches, notamment en sciences de l’éducation, s’intéressent au savoir d’action (Cosnefroy, 2005). Laurent Cosnefroy identifie la naissance de cette notion à un intérêt pour les transformations des professions, la question de la formation professionnelle et l’organisation du travail. Ces travaux portent sur le monde professionnel des enseignants comme la plupart des textes qui s’inscrivent en didactique ou en sciences de l’éducation. De « nouveaux modèles de formation » seraient recherchés. Le savoir d’action est étudié presque en opposition au savoir théorique jusqu’ici privilégié, notamment en sciences de l’éducation (Barbier, 1996, In : Cosnefroy, 2005). Il existe une diversité de termes qui permettent de définir les différents savoirs, de catégoriser les savoirs et savoir-faire professionnels. Les sciences de l’éducation en proposent plusieurs. Ces termes ont d’abord été développés pour le monde de l’enseignement. Laurent Cosnefroy cite le savoir pratique, le savoir faire, le savoir d’expérience et les routines20 (ibid., 2005). Les savoirs théoriques ne suffisent pas à eux-seuls à donner lieu à des pratiques professionnelles (Schön, 1994 ; Cosnefroy, 2005). Des travaux en pédagogie les définissent comme

18 Titre repris à Marcelle Stroobants – 1993, p.25.

19 Pour faire écho à la sociologie du travail, on retrouve ici souvent encore la figure de l’ouvrier. Cette figure de l’ouvrier dans l’étude des savoirs est importante (nous pensons notamment aux travaux de Friedmann et Reynaud dans les années 1950, Coriat dans les années 1970, Stroobants dans les années 1990...). Il s’est agi des années 1970 à 1990 de définir quelles sont ses compétences, si elles dépendaient uniquement des gestes qui lui étaient confiés, si elles étaient issues de l’expérience.

20 Cette notion de routine a un sens positif dans ce travail. Elle désigne des habitudes de travail mais ne constitue pas nécessairement un frein. Elle est le signe d’une maîtrise professionnelle, d’un savoir-faire.

des savoirs « pluriels, divers, composites, hétérogènes » (Altet, 2002). En lien toujours au métier d’enseignant, il y a les « savoirs à enseigner, les savoirs pour enseigner, les savoirs sur enseigner, les savoirs de la pratique », ce qui en fait un « montage de savoirs composites de natures différentes » (ibid., p. 2). Les savoirs de la pratique sont ceux qui se constituent au fil des expériences professionnelles.

Une partie de ces savoirs tacites n’est pas toujours connue des professionnels qui les détiennent. Laurent Cosnefroy, dont les travaux s’inscrivent en sciences de l’éducation, parle de « faire qui échappe au dire » (Cosnefroy, 2005) car le professionnel n’a pas toujours les mots pour définir ces savoirs ou n’a pas conscience de les détenir. L’auteur cite par ailleurs deux autres chercheurs qui travaillent sur la formation et la pédagogie : « L’enseignant possède des compétences (…) sans forcément qu’il en ait une connaissance

explicite » (Tardif, Lessard, 1999, In : ibid.). Ce sont des savoir-faire pratiques (Cosnefroy, 2005) qui

se rapprochent des savoir-faire tacites21 de Schön (1994). Le savoir tacite selon Donald A. Schön est un savoir caché dans l’agir professionnel. Michael Polanyi utilise et conceptualise cette notion de savoir tacite (la reconnaissance de visages fait partie de ces savoirs). Ces savoirs tacites sont des connaissances tirées des sensations et expériences et participent à l’habileté de toute personne et tout acteur au travail. Dès lors qu’il y a une connaissance, il y a des savoirs tacites qui permettent de ne pas se tromper, de savoir comment faire. Le savoir tacite « est un savoir relevant de l’expérience personnelle et mobilisant

les croyances et les valeurs subjectives de l’individu » (Polanyi, 196222, In : Davel, Tremblay, 2012). Il est donc propre à l’expérience de l’acteur qui agit. A ces savoirs, s’opposent les « savoirs explicites », également conceptualisés par Michael Polanyi (1962). Ces derniers sont ces connaissances dont on peut parler. Ces travaux s’inscrivent pour beaucoup en sciences de l’éducation et en psychologie, notamment avec Piaget. Celui-ci, dans les années 1970, et les psychologues du travail, les ergonomes dans les années 1990 ont construit une démarche de recherche pour étudier les « connaissances pratiques des acteurs

en situation » (Rix-Lièvre, Lièvre, paragraphe 3, 2012). Les connaissances tacites sont explorées en

sciences de l’éducation (Schön, 1983), en épistémologie de la pratique, mais aussi en management des connaissances (Rix-Lièvre, Lièvre, 2012). Michael Polanyi23 comme l’écrit également Donald A. Schön est le premier à avoir conceptualisé ces connaissances pratiques, ici principalement, celles du quotidien. Les travaux de Piaget conceptualisent ensuite ces connaissances dites tacites. Ces dernières sont également étudiées en sociologie du travail quand elles sont reconnues comme des qualifications issues de leur expérience au travail. Elles sont principalement reprises et étudiées par Schön (1983, 1994), Stroobants (1993) ou Jones et Wood (1984, par Stroobants, 1993). Ces derniers dans les années 1980 justifient leur existence car les travailleurs exécutent des « tâches routinières » qui « demande une prise en charge

partiellement inconsciente des procédures » (Jones & Wood, 1984 : 411 ; In : Stroobants, 1993, p.38).

Le second argument mobilisé par les auteurs est que les situations de travail demandent des « degrés

variables de vigilance pour réagir adéquatement aux imprévus ». Ils parlent des « trucs du métier »

(Jones & Wood, 1984; In : ibid., p.38). Les adaptations au travail demandent enfin « une évaluation des

21 Le savoir tacite est d’’abord adapté à la gestion par Nonaka et Takeuchi (Nonaka et Takeuchi, 1995, The knowledge-creating company : How Japanese companies create the dynamics of innovation », Oxford / En France : 1997, La connaissance créatrice : la dynamique de l’entreprise apprenante, De Boeck Supérieur, Paris). Nous n’avons pas davantage exploré cet auteur qui est d’une grande complexité. Il explique cependant que le savoir tacite peut être transformé en « savoir explicite ». Davel et Tremblay dans l’ouvrage référencé ici proposent un schéma pour résumer une partie de la pensée de cet auteur : (Figure 3.1. Les mouvements de création de connaissances selon Nonaka (1991)).

22 Polanyi Michael, 1962, « Tacit knowing : its bearing on some problems of philosophy », Reviews of modern physic, Vol.34, n°4. « Tacit knowing » est le plus souvent traduit par « connaissance implicite ». 23 Polanyi travaille notamment dans le domaine de la philosophie des sciences.

relations entre les postes » selon l’expression de Marcelle Stroobants (1993, p.38) au-delà de la reprise

simple des consignes.

Les savoir-faire sont notamment traités comme des savoirs nés de l’action (Piaget, 1974, In : Rix-Lièvre, Lièvre, 2012). Ces savoirs sont dit inconscients comme le sont les connaissances tacites. La prise de conscience de ces savoirs par l’acteur suppose une démarche réflexive et une prise de distance (Schön, 1983, Rix-Lièvre, Lièvre, 2012). Plusieurs méthodologies sont développées et notamment l’autoconfrontation croisée, explicitées par Yves Clot. Le savoir-faire signifie notamment la bonne « maîtrise du process

de travail » (Stroobants, 1993, p.49). Ce savoir-faire est « fonction » de changements techniques et

« source d’innovation ». Ces « capacités opérationnelles » (Barcet, 1983 ; In : Stroobants, 1993) naissent de l’expérience et du travail.

Les savoir faire et les pratiques sont souvent rapprochés parce que les savoir faire se traduisent en pratiques ou en actions (Vergnaud, 1996, In : Rix-Lièvre, Lièvre, 2012). Des références en sciences de l’éducation ou en management des connaissances distinguent des « connaissances en acte » ou de « connaissances tacites » (Rix-Lièvre, Lièvre, 2012) mais aussi des connaissances discursives. Les connaissances en acte sont donc mobilisées, notamment en situation professionnelle, au quotidien, sans qu’elles soient connues de l’acteur. L’action est en train de se faire et l’acteur n’a pas conscience d’agir et de mobiliser des savoirs. Ces principales notions et références permettent de mentionner les grands travaux ayant porté sur les savoirs au travail et leur catégorisation.

• Les enjeux politiques et techniques de la maîtrise des savoirs

Derrière la catégorisation de savoirs et de savoir-faire, il y a le plus souvent la volonté de décrire un métier, une évolution dans le travail, de conduire à une amélioration des conditions de travail et/ou de mieux gérer un process de travail. Il s’agit aussi de questions d’ordre politique. Par exemple, la figure de l’expert porte des savoirs valorisés qu’il peut mettre à profit dans une situation donnée et/ou faire circuler ses connaissances dans un projet. La question de la circulation et construction de ces savoirs semblent aussi être analysée du côté de l’entreprise, de la chaîne de production et du côté des projets urbains d’aménagement. La production de connaissances ou de savoirs pour l’action est issue d’un vocabulaire propre au management. Des chercheurs spécialisés en gestion travaillent sur les transferts de savoirs en entreprises, en société dans le domaine du divertissement technologique (Ingerman, Lamothe, Poirier, Ricard, 2006). Ces textes liés à la gestion des savoirs en entreprises visent en priorité à définir des facteurs qui favorisent la création et la circulation des savoirs dans un projet ou entre plusieurs projets.

La mobilisation des savoirs par le politique et/ou la maîtrise d’ouvrage se fait par l’intermédiaire de la nomination d’experts mais aussi par la sélection de « bonnes pratiques » et de références à d’autres projets et/ou acteurs. Ces entrées sont d’autant plus intéressantes ici qu’elles concernent directement nos cas d’études24. Plusieurs textes récents dans la recherche en urbanisme ou en géographie revendiquent l’attribution de compétences « expertes » aux usagers et habitants (Nez, 2011), alors que le professionnel est souvent désigné comme le seul expert de ses questions. Pour autant, ce qu’est « l’expert » varie en

24 L’Hôtel de Ville de Paris désigne des « experts » propres au réaménagement des sept places et initie le recueil d’expériences et de références étrangères. Ces références sont compilées pour former une « Boîte à Outils ».

fonction là encore des champs disciplinaires mais aussi du point de vue que l’on adopte – celui des politiques publiques ou celui des professionnels et de la légitimité des savoirs qu’ils détiennent.

Certains travaux s’attachent à définir l’expert en s’appuyant sur ses savoir-faire et ses qualités (ce qu’il détient en plus face à d’autres professionnels). Au début des années 2000, une définition de l’expert autour des connaissances qu’il détient, est donnée. L’expert possède des « intelligences pratiques » qui se fondent elles-mêmes sur les expériences vécues. L’expert : « prend des décisions rapidement et

efficacement, considère le contexte (…), a la capacité d’extrapoler une nouvelle situation pour trouver une solution, peut faire de subtiles distinctions, sait quand les règles ne s’appliquent pas, possède un grand répertoire (issu de l’expérience) de possibilités d’action, prend des décisions largement fondées sur le savoir tacite » (Leonard, Swap, 200425, In : Davel, Tremblay, 2012). Dans le cas de la Ville de Paris, le terme d’ « expert » est repris pour distinguer certains professionnels – qui ont exercé en dehors de la Ville – distincts de ceux qui exercent en interne à la municipalité.

Si la circulation des savoirs et expériences peut être analysée en interne à un groupe de professionnels, il est souvent question d’analyser la circulation de ces objets entre projets et entre acteurs politiques ; l’expert joue un rôle majeur dans ces circulations. Nadia Arab parle de « bonnes pratiques » qui font l’objet de la « circulation des savoirs et des normes techniques » (Arab, 2007, paragraphe 1). Ces bonnes pratiques font, pour partie, référence pour l’auteur au transfert de modèle de développement urbain, à des réalisations urbaines exemplaires (ibid., paragraphe 2). L’auteur identifie ici les questions de l’apprentissage et de la connaissance qui se posent derrière le « transfert » de ces bonnes pratiques (ibid.). Cet enjeu dans le développement et la maîtrise de la circulation des savoirs est par ailleurs souligné par Stéphane Cadiou26 (In : Bourdin, Idt, 2016). L’auteur note que les politiques « se drapent

derrière un ensemble de catégories, mi-techniques, mi-savantes, qui dessinent la référence à une ville dense, mobile, équipée, mixte, créative ou encore durable » (Cadiou, In : ibid., p. 24). Cette phrase

explique pour partie l’enjeu que représente la mise en valeurs de ces savoirs par la municipalité parisienne. L’auteur fait par ailleurs le lien entre le changement de contexte (et les défis qui se posent à l’aménagement) et la circulation des savoirs d’action et expériences initiée par les politiques publiques :

« La mobilisation d’exemples (…) est devenue une technique courante dans l’action publique

(BRUNO, DIDIER, 2013) et les politiques urbaines en particulier. (…) La circulation d’expériences dans cet espace tient alors de la mise en scène de performances urbanistiques qui (…) se muent en modèles. La circulation permet de désingulariser (…) des projets (…). En ce sens, dans les multiples scènes de l’aménagement urbain ne circulent pas seulement des valeurs et des principes normatifs, mais aussi des expériences, des villes et des projets. C’est cette dynamique itérative qui nourrit la construction de savoirs de l’action (PINSON, VION, 2000). (…)

(…) premièrement, les sociétés urbaines sont confrontées à de nouveaux défis dans la mesure où