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2 Les différents types d’urgences en PMB

2.2 Urgences diagnostiques mettant en jeu le pronostic vital

2.2.2 Toxidermies

 

v   Définition

La toxidermie correspond à une dermatose à expression cutanéo-muqueuse due à une intoxication par un médicament. Elle est non spécifique du médicament administré. Les toxidermies sévères peuvent mettre en jeu le pronostic vital du patient ou de graves séquelles. Le syndrome de Stevens-Johnson (SJS) et la nécrolyse épidermique toxique (NET) ou syndrome de Lyell sont des maladies rares, graves et mortelles avec un taux de mortalité atteignant 30 %. Un diagnostic rapide doit être réalisé, avec élimination du médicament incriminé et orientation du patient vers le centre de référence des toxidermies (Lebrun-Vignes et Valeyrie-Allanore 2015).

v   Incidence et facteurs de risques

Les incidences les plus fréquemment rapportées sont pour le SJS : 1 à 6 cas par million d’habitants et par an, et pour le NET : 0,4 à 1,2 cas par million d’habitants et par an. En Europe on retrouve 2 cas par million d’habitants et par an et en France on retrouve 120 cas par an (Rzany et al. 1996) (Roujeau et al. 1995).

La prédominance est féminine avec un sex ratio de 0,6 (Revuz et al. 1987), la population des plus de 65 ans sont 2,7 fois plus touchés que les jeunes (Bastuji-Garin et al. 1993), avec une atteinte rare chez l’enfant (Ruiz-Maldonado 1985) (Guillaume et al. 1987) (Teillac et al. 1987).

v   Manifestations cliniques

Les prodromes se caractérisent par un syndrome grippal avec une fièvre élevée, malaise, atteinte respiratoire avec toux, douleurs pharyngées et thoraciques simulant un syndrome grippal. Cela est suivi en deux ou trois jours de manifestations muqueuses présentent dans plus de 90 % des cas et habituellement inaugurales : lésions bulleuses buccales, nasales et génitales évoluant vers des ulcérations post-bulleuses, conjonctivite puis kératite avec ulcération, et éruption maculo-papuleuse érythémateuse en pseudo-cocarde au niveau cutané (Niang et al. 2011). Les ulcérations buccales sont semblables à celles de l’érythème polymorphe mais sont particulièrement profuses et extrêmement douloureuses (figure 13 et 14). Elles peuvent diffuser au niveau de pharynx, larynx, trachée et bronches.

Les manifestations buccales prennent habituellement l’aspect de cocardes atypiques planes et non palpables avec macules érythémateuses purpuriques étendues. Selon la surface corporelle atteinte nous pouvons classer les différents syndromes : le Syndrome de

Stevens-Johnson dont la surface corporelle touchée est < 10 %, le syndrome de chevauchement SJS/NET avec 10 à 30 % et la NET avec macules > 30 %. De plus, lorsque le décollement cutané est supérieur à 10 % et se fait en larges lambeaux sans autres lésions, il s’agit d’emblée d’une NET bien que le pourcentage de surface corporelle atteinte soit inférieur à 30 %.

Figure 14: Aspect de la muqueuse orale d’un patient de 29 ans atteint de syndrome de Lyell suite à la mise en place d’un nouvel antiépileptique. Dr Boukhris, service ORL et chirurgie cervico faciale,

hôpital Saint-Joseph.  

Figure 13 : Aspect muqueuse orale d’un patient de 30 ans atteint de SJS suite à la prise d’amoxicilline. Dr Rochefort, service odontologie, hôpital la Pitié Salpêtrière.

À la phase d’état, les lésions cutanées deviennent purpuriques puis bulleuses et peuvent confluer pour aboutir à de larges décollements cutanés (figure 15) (Roujeau 2007). Sur les zones érythémateuses non encore décollées, le frottement de la peau induit un détachement de l’épiderme (signe de Nickolsky) (figure 16). L’atteinte muqueuse est douloureuse et responsable en particulier d’une anorexie entrainant dénutrition et déshydratation. L’atteinte pulmonaire engendre un pronostic redoutable.

Figure 15 : Exemples schématiques de la distribution habituelle du détachement dans la nécrolyse épidermique toxique au syndrome de Stevens-Johnson (Bastuji-Garin et al. 1993).

v   Diagnostic positif

Il est uniquement clinique et intègre les éléments suivants : -   contexte de prise médicamenteuse récente ;

-   survenue brutale avec symptômes peu spécifiques : fièvre, contexte pseudo-grippal, angine ;

Figure 16 : Aspect précoce de nécrolyse épidermique avec bulles cutanées à toit nécrotique (Roujeau 2007)

-   atteinte cutanée +/- étendue axiale et proximale, débutant sur le visage et le haut du tronc, avec présence du signe de Nickolsky ;

-   atteinte de deux muqueuses (narines, bouche, génital, anal, digestif, …) ; -   symptômes associés : picotements oculaires.

v   Etiologie

Des études épidémiologiques ont permis d’identifier les principaux médicaments incriminés dans l’apparition des syndromes SJS/NET : sulfamides antibactériens, allopurinol, carbamazépine, phénobarbital, phénytoïne, anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et secondairement névirapine, lamotrigine mais aussi sertraline, pantoprazole et tramadol. Plus récemment certains cas cliniques de SJS ou de Lyell ont été associés à la présence de

Mycoplasma pneumoniae, Yersinia Entérocolitica, Klebsiella pneumoniae, ainsi qu’à d’autres

agents infectieux (Mockenhaupt 2008). Bien que la distinction avec l’érythème polymorphe atypique soit complexe, il semblerait que des étiologies infectieuses puissent être incriminées dans le développement de ces pathologies.

v   Pronostic et prise en charge

Le score de Scorten permet d’évaluer le pronostic du patient selon l’ampleur de la surface atteinte ainsi qu’en fonction du nombre d’organe et de la gravité des symptômes. Si ce score est inférieur ou égal à 2, la probabilité de survie du patient est de 88 %, si celui-ci est supérieur ou égal à 4, les probabilités de survie sont inférieures à 42 %. Notons que l’atteinte pulmonaire est un facteur aggravant et impliquant d’emblée le pronostic vital du patient.

Le SCORTEN 1 point par item

Ø   Age > 40 ans Ø   Cancer, hémopathie Ø   Détachement >10% Ø   Pouls > 120 batt/min Ø   Bicarbonates < 20 mmol/L Ø   Urée > 10 mmol/L Ø   Glycémie > 14 mmol/L

La prise en charge en urgence dépend de l’ampleur de l’atteinte. Une localisation uniquement orale nécessite une application de corticothérapie topique avec contrôle de l’évolution à 24 et 48 heures. La présence d’une atteinte cutanée et notamment oculaire est le signe d’une atteinte évolutive et nécessite une prise en charge préventive des complications et de la diffusion de la toxidermie. Ainsi devant toute suspicion ce tableau clinique, il est nécessaire d’adresser en urgence le patient dans le centre de référence des pathologies bulleuses et toxidermies le plus proche.

v   Complications et séquelles

Parmi les complications précoces on retrouve un syndrome général avec : -   une baisse de la température ;

-   asthénie, douleur, anxiété, agitation ; -   infections – septicémie ;

-   atteinte respiratoire étant le facteur majeur de mortalité ; -   anomalies hémodynamiques presque toujours retrouvées ;

-   lymphopénie, neutropénie, thrombopénie ; -   atteinte rénale (glomérulonéphrite) et digestive. On retrouve également des séquelles cutanées avec :

-   érosion cutanée avec cicatrices atrophiques ou synéchies (qui diminuent avec le temps) ;

-   hypo ou hyper-pigmentation ; -   hypersudation ;

-   atteinte des muqueuses avec un syndrome sec.

D’un point de vue des complications précoces ophtalmologiques, on note : -   larmoiement chronique par obstruction du canal lacrymal ;

-   photophobie ; -   brûlures oculaires ;

-   altération acuité visuelle avec cécité.

Il peut également y avoir des complications secondaires ou évolutives (les séquelles peuvent apparaître plusieurs mois après la phase aiguë) pouvant atteindre les filières gynécologiques et respiratoires, les phanères de la gaine épithéliale externe avec une chute des ongles (Repousse anormale ou absente) et des alopécies. Des atteintes dentaires comme des agénésies, malpositions, dysmorphoses coronaires et radiculaires avec altération clinique de l’émail et de la dentine (altération de l’édification radiculaire chez les enfants), atteintes carieuses multiples

et érosions cervicales sévères (figure 17 image C), ainsi que brides muqueuses (figure 17 image A et B) atteintes parodontales et sécheresse buccale avec altération du pH intra buccal (acidité plus élevée) peuvent être retrouvées (Gaultier et al 2009).

 

Figure 17 : Cliché illustrant les séquelles orales de NET : (A) langue dépapillée et fibrosée chez une patiente de 11 ans ; (B) brides cicatricielles chez un patient de 17 ans ;

(C) érosions cervicales non carieuses chez une patiente de 40 ans.

Dr Rochefort, Dr Landru, Pr Gogly, Service Odontologie, hôpital A. Chenevier (Gaultier et al. 2009).

 

Les toxidermies font parties des urgences vitales que l’odontologue peut être amené à diagnostiquer. Comme il a été dit précédement, les manifestations buccales peuvent être le prodrome de ces pathologies. La précocité de prise en charge de ces patients permet de limiter l’extension des lésions cutanéo muqueuses, limite les atteintes oculaires et peut plus particulièremùent limiter celle pulmonaire dont l’atteinte est extremement pejorative pour le pronostic vital du patient. Le rôle du chirurgien dentiste est donc primordial dans le dépistage de ces pathologies mais également dans sa rapidité de diagnostisc et d’orientation du patient.