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Toxicité par réactivité avec formation d’adduits

Chapitre 2 : Revue bibliographique des mécanismes d’action

3) Toxicité par réactivité avec formation d’adduits

Propanoate d’éthyle  acide propanoïque + éthanol

logP 1,21 0,33* -0,31

Référence EpiSuite, Hansch et

al., 1995

ECHA/EpiSuite, Hansch et

al., 1995, neutre, K2 /

ECHA, GESTIS, 2014, K2

EpiSuite, Hansch et al., 1995 (et plusieurs autres valeurs en accord)

Tableau 2 : hydrophobie d’un ester et de ses produits d’hydrolyse.

* Remarque : la valeur de logP mesurée pour l’acide propanoïque est mesurée pour la forme neutre (acide non dissocié) en laboratoire. Cependant, à pH physiologique, suite à l’hydrolyse enzymatique dans un organisme vivant, l’acide sera déprotoné et on obtiendra l’anion propanoate, qui sera encore nettement moins hydrophobe.

Le mécanisme d’hydrolyse des esters favorise l’élimination du toxique hors de l’organisme, puisque les produits d’hydrolyse sont significativement plus hydrophiles que l’ester parent. Ces produits d’hydrolyse sont aussi moins toxiques que l’ester parent dans la plupart des cas, puisqu’une hydrophobie plus faible est corrélée avec une toxicité plus faible pour les narcotiques. En effet, un alcool (sauf cas particuliers) et un carboxylate (forme déprotonée de l’acide) vont simplement exercer le mécanisme de la narcose non-polaire, mais, étant moins hydrophobes que l’ester parent, seront moins toxique. Cependant, si l’ester est un ester de phénol, par exemple l’acétate de phényle, ce ne sera pas un alcool qui sera relâché, mais un phénol, qui exercera donc un mécanisme plus toxique, au moins la narcose polaire, voire le découplage de la phosphorylation oxydative pour les phénols plus acides, ou encore l’utilisation d’un cycle RedOx si c’est un ortho- ou para-dihydroxybenzène (voir les sections dédiées à ces mécanismes plus loin). Il convient aussi de mentionner le mécanisme particulier des ortho-phtalates. En effet, pour ces diesters aromatiques, après hydrolyse de l’un des deux esters, le monoester produit a des propriétés de perturbateur endocrinien, et induit le PPARα (récepteur activé par les proliférateurs de peroxysomes alpha), qui est un précurseur pour le développement de cancers du foie (Adams et al., 1995). On peut citer également les tartrates, qui après hydrolyse génèrent l’acide tartrique, inhibiteur de la fumarase, une enzyme essentielle du cycle de Krebs (Shaw, 2002). D’autres exemples de toxicité accrue après hydrolyse existent mais ne seront pas détaillés ici. Selon les espèces, le taux d’hydrolyse enzymatique des esters au cours d’un test de toxicité aigüe est plus ou moins importante. De manière générale, plus les organismes sont complexes (multicellulaires, avec des organes distincts), meilleure est leur capacité métabolique, notamment grâce à la présence du foie, organe spécialisé dans le métabolisme. C’est le constat qu’ont fait Jaworska et al. en 1995 (Jaworska et al., 1995), en établissant des relations structure-toxicité des esters pour le poisson (Pimephales promelas) et pour un protozoaire (Tetrahymena pyriformis). En effet, ils ont pu montrer dans cette étude que les esters avaient la même toxicité que les narcotiques non-polaires pour T.

pyriformis, alors qu’ils étaient significativement plus toxiques pour P. promelas. Cette différence de

toxicité a été attribuée à l’hydrolyse enzymatique, que le poisson effectuait largement alors que le protozoaire semblait inactif sur ce point.

3) Toxicité par réactivité avec formation d’adduits

Ce mécanisme d’action concerne les substances qui vont réagir spontanément (c’est-à-dire sans catalyse enzymatique) avec des composés endogènes pour former des adduits aux protéines et/ou à l’ADN. Ceci peut se produire par différents mécanismes moléculaires, et impacter différentes cibles (par exemple les résidus thiols, les résidus aminés), d’où la nécessité de créer des sous-catégories de MechoA.

Les organismes complexes ont cependant un bon système de protection contre ce type de substance : en effet, ils possèdent le glutathion 5, un thiol, et les enzymes glutathion-S-transférase, qui va catalyser

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le processus de conjugaison du glutathion avec les molécules réactives, et glutathion peroxydase, qui va réduire les peroxydes. La molécule conjuguée sera ensuite éliminée rapidement car elle n’est plus réactive et assez hydrophile. Ces mécanismes seront détaillés en section 4.a) Métabolisation réduisant la toxicité.

a) Electrophiles durs

Ce mécanisme concerne des molécules réactives qui ont une déficience d’électrons marquée et très localisée, générée par un groupe attracteur d’électrons qui est aussi souvent un bon groupe partant. Les mécanismes inclus dans cette catégorie sont présentés en Figure 5. Dans la réaction c) de la figure, X désigne plus spécifiquement un halogène, et c’est donc un acide fort qui est relâché (acide fluorhydrique, chlorhydrique, etc.). La réaction avec l’eau étant très rapide, la réaction d’acylation b) n’a probablement pas le temps de se passer, car l’eau est omniprésente dans et autour des cellules, et une réaction du type de la c) prédominera.

a)

b)

c)

d)

e)

Figure 5 : formation d’adduits ou libération d’acide par les électrophiles durs. X désigne n’importe quel bon groupe partant. Ces mécanismes et les substances qui y participent sont présentés dans la littérature (Aptula and Roberts, 2006), parmi d’autres mécanismes. Ces substances forment principalement des adduits avec les résidus aminés des protéines et de l’ADN. En effet, d’après la théorie HSAB (Acides et Bases Durs et Mous), un acide (de Lewis) dur réagira préférentiellement avec une base (de Lewis) dure, et non un

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dur avec un mou. Cette théorie est extrapolable aux électrophiles (équivalents des acides) et nucléophiles (équivalents des bases). La notion de dur et mou se rapporte à la répartition des électrons. Les électrophiles et nucléophiles durs ont une déficience ou un excès d’électrons très localisé(e) sur la molécule et peu déformable, alors que pour les mous, cette déficience ou cet excès est réparti(e), délocalisé(e) et les électrons peuvent facilement se déplacer sur un plus grand volume (soit sur plusieurs atomes dans la molécule, soit autour d’un atome avec un nuage d’électrons très large et déformable) (Jacobs, 1997). Ainsi, dans les exemples présentés ci-dessus, la molécule de départ est un électrophile dur car la déficience d’électrons est localisée sur un seul carbone (ou deux carbones dans le cas des époxydes), et elle réagit avec l’amine qui est un nucléophile dur, les électrons étant localisés au niveau du doublet non-liant de l’azote.

Il a pu être montré que ce type de substances forment des adduits aux protéines et à l’ADN, notamment les aldéhydes et les époxydes. Pourtant, ces deux fonctions chimiques sont utilisées de manière transitoire dans le fonctionnement normal des organismes vivants. Les aldéhydes ont un degré d’oxydation intermédiaire entre un acide et un alcool primaire. C’est pourquoi ils constituent d’une part des étapes intermédiaires dans des processus d’oxydation ou de réduction importants pour l’organisme (Dunn et al., 2009). D’autre part, ils sont une étape intermédiaire dans les processus de détoxication, en transformant un alcool en acide, composé plus hydrophile, qui pourra en plus être conjugué, et ainsi sera facilement éliminé de l’organisme. Les époxydes sont utilisées de manière transitoire car ils sont un état intermédiaire également entre un hydrocarbure et un diol, afin de rendre les molécules beaucoup plus hydrophiles, pour leur élimination efficace, tel que montré pour la carbamazépine (Tomson et al., 1983) (Figure 6).

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Ainsi, ces molécules réactives sont générées naturellement dans l’organisme, mais de manière très transitoire. Elles sont transformées rapidement par les enzymes dédiées afin de ne pas exercer leur mécanisme d’action toxique.

Comme montré en Figure 5, un des types d’électrophiles durs sont les molécules qui possèdent un bon groupe partant branché sur une molécule possédant un état de transition favorisé, c’est-à-dire que la charge partielle créée lors du départ du groupe partant est bien stabilisée par une bonne répartition des électrons. Un bon groupe partant désigne un groupe, qui une fois séparé de la molécule de départ, est lui aussi stabilisé. En effet, la rupture de la liaison génère une charge de part et d’autre, qui doivent toutes deux être stabilisées pour que la réaction soit favorable. Ce mécanisme est détaillé en Figure 7. Les molécules qui possèdent un bon potentiel pour cette réactivité sont les molécules possédant un bon groupe partant branché sur un groupe benzyle ou allyle principalement. Une liste non exhaustive des bons groupes partants est donnée dans le Tableau 3.

Figure 7 : mécanisme de réaction des électrophiles possédant un bon groupe partant, un état de transition et un groupe partant stabilisés.

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Nom du groupe partant Structure

Halogénure (chlorure, bromure, iodure)

Le fluor n’est pas un bon groupe partant car la liaison carbone-fluor est très stable.

Cl-, Br-, I

-Carboxylate

Phénolate acide (pKa < 7 : au pH physiologique, il doit être majoritairement anionique, car c’est ainsi qu’il sera éliminé de la molécule lors de la réaction)

GAE = Groupes Attracteurs d’Electrons

Amine basique (pKa > 8 : protonée sur la molécule de départ, puis éliminée sous la forme neutre)

R-NH2

Thiocyanate et isothiocyanate SCN

-Sulfate, sulfonate

Tableau 3 : groupes partants. Les noms et structures sont ceux des groupes une fois éliminés de la molécule initiale. D’autres électrophiles durs moins évidents existent aussi et doivent être cités. Les γ-dicétones, non gem-disubstituées (c’est-à-dire ne portant pas deux substituants sur le même carbone) peuvent réagir avec des résidus aminés de protéines pour former un pyrrole. Ce mécanisme est présenté en Figure 12. Pour que la formation du pyrrole puisse avoir lieu, il faut donc que les deux cétones soient à la bonne distance, c’est-à-dire que les deux carbonyles soient séparés par deux carbones intermédiaires (ce qui correspond à une γ-dicétone), afin d’obtenir un cycle à 5 maillons lorsque l’amine fera la jonction entre les deux carbones des carbonyles. De même, il faut également qu’aucun des carbones qui constitueront le cycle ne soit disubstitué, car chacun devra perdre un proton lors des étapes de déshydratation afin de générer l’aromaticité du cycle.

b) Electrophiles mous

Comme expliqué dans la section précédente, les électrophiles mous vont donc, par opposition aux électrophiles durs, avoir un nuage d’électrons délocalisé et déformable. Ils vont réagir avec des nucléophiles mous, dont l’exemple majoritaire dans l’organisme est constitué des thiols (chaîne latérale des acides aminés cystéine, ou molécule de glutathion 5).

Les électrophiles mous les plus fréquents sont les composés possédant un groupe carbonyle α,β-insaturé, dont les esters et aldéhydes principalement, mais aussi les quinones, qui sont des cétones α,β-insaturées de réactivité particulière. D’autres groupes attracteurs conjugués à une liaison multiple, différents d’un carbonyle, peuvent aussi servir à obtenir un électrophile mou. Par exemple un nitrile α,β-insaturé. Ces substances et leur mécanisme de réactivité sont présentées en Figure 8.

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Figure 8 : formation d’adduits avec les protéines par les électrophiles mous

c) Générateurs de radicaux

Les molécules concernées par ce mécanisme d’action sont les molécules possédant une liaison simple oxygène-oxygène ou soufre-soufre, car ce type de liaison a la capacité de se rompre facilement de manière homolytique, c’est-à-dire que la paire d’électrons qui formait la liaison est séparée en deux pour donner deux radicaux libres. Ces radicaux libres pourront ensuite former des adduits directement, ou seront plutôt rapidement piégés par l’oxygène moléculaire, pour former l’anion superoxyde, qui réagira ensuite avec beaucoup de molécules endogènes (lipides, protéines, ADN), en formant des peroxydes (Kazius et al., 2005; Munday, 1989; Wiley-VCH Verlag, 2002a).