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Les tombes du commun et la signalétique

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 131-137)

ARCHÉOLOGIQUE DU XIII e AU XVIII e SIÈCLE

4.1 Le monde des morts et son évolution

4.1.2 Architectures des tombes

4.1.2.6 Les tombes du commun et la signalétique

L’accumulation de corps dans le bâtiment conventuel suppose une gestion avisée du sous-sol. À côté de plans consignés et de textes enregistrant la position des défunts et leurs patronymes, le pavage et des dalles pouvaient également indiquer aux vivants quels étaient les occupants du sous-sol (fig. 74/B) lorsque des monuments plus imposants n’existaient pas. L’attrait des inhumations dans les églises est tellement omniprésent dans certaines villes de Bretagne (Croix 1981, 1009) que le Parlement s’en inquiète le 19 août 1689 : « la plupart des fidèles sont portés à désirer être inhumés dans les églises et au lieu de contribuer à les entretenir et orner, ils les rendent non seulement malpropres, mais ils en ruinent le pavé d'une telle sorte qu'il

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en coûte beaucoup pour le réparer ». Les mentions de pierres tombales sont très présentes dans les registres

Figure 74: A à C : Fragments de gisants en granit retrouvés en position secondaire et remontage de la plat-tombe de

« messire Guillaume Le Duc » ;D : Vue de l'entrée de la salle capitulaire et des mortiers de sol conservés ; E : Vue de la galerie orientale du cloître avec des emplacements visibles de plate-tombe ; F : Derniers éléments conservés du plan de l'église et des concessions sépulcrales ("plan de la nef de l'église de Bonne Nouvelle pour les enterrements depuis l'an 1703. Recours au livre des sépultures pour voir les noms et qualités des personnes") ; G : Localisation des carreaux funéraires retrouvés dans des sépultures et un carreau funéraire en terre cuite issu du chapitre (Damien Meyer -Getty Image-, Françoise Labaune-Jean, Stéphane Jean, Ludovic Schmitt, Rozenn Colleter).

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établis par les frères dominicains79 mais très peu ont été retrouvées au cours de la fouille. Les archives les localisent dans des espaces privilégiés mais la nef de l’église est peu documentée. À la fouille, les fragments d’au moins trois plate-tombes incomplètes et retrouvés en position secondaire illustrent un marquage soigné de trois aristocrates, deux hommes et une femme, porteurs de blason (fig. 74/A à C)80.

Plusieurs emplacements de pierres tombales ont pu être identifiés dans les décors des sols en tomettes des galeries du cloître, zone encore privilégiée. Il s’agit ici de décors sans lien évident avec les faits funéraires puisqu’aucune sépulture n’a été observée à leur aplomb. Par exemple dans la galerie orientale du cloître, en avant de la salle capitulaire, trois aménagements nord-sud sont lisibles dans les pavages, mais aucune fosse sépulcrale de même orientation n’a été observée immédiatement en-dessous (fig. 74/C). De nombreuses sépultures ont été repérées dans cet espace en avant de la porte d’entrée de la salle capitulaire, mais aucune orientée nord-sud. Dans la salle du chapitre, de possibles dalles funéraires marquaient par contre les inhumations des religieux. Des négatifs rectangulaires sont clairement identifiables dans les mortiers de chaux de pose des sols de part et d’autre de la porte d’entrée (fig. 74/D).

Il est intéressant de noter que les sépultures en avant des baies vitrées contenaient davantage d’ossements dans leurs remplissages que celles retrouvées en avant du seuil de la porte. Ces retours aux tombes sont d’ailleurs largement facilités grâce aux marquages en surface que des carreaux aux décors macabres pouvaient orner (fig. 74/G).

Les sépultures du commun, issues des extérieurs des bâtiments conventuels devaient également être marquées. L’alignement des sépultures et les faibles recoupements observés suggèrent en effet l’usage de signalisation individuelle des tombes à la surface. Les images du

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e siècle des cimetières chrétiens figurent d'ailleurs de plus en plus de croix, simples croix latines parfois surmontées d'un auvent servant à protéger les éventuelles ornementations (Alexandre-Bidon, Treffort 1993b, 267). De plus, la densité des inhumations y est assez faible, une organisation des tombes en rangées est tout de même discernable avec un vide central, suggérant la présence d’un axe de circulation durable sur lequel des allées et passages se greffent perpendiculairement (fig. 75). Il est possible qu’il s’agisse d’un chemin aménagé qui traverse l’aitre d’ouest en est et relie la rue Saint-Étienne (rue d’Échange) au couvent. Deux hypothèses permettent d’expliquer l’absence de sépulture au centre de l’ensemble sur 4 m² : (i) la position d’un monument léger, de type croix de signalisation ou calvaire, dont l’usage se généralise à partir du XIIIe siècle. Centré dans le cimetière sur l’allée principale, en général à mi-chemin entre le porche d’accès et le portail de l’église, ce monument rappelle le caractère sacré du lieu au regard des laïcs. Toutefois, peu imposant, il ne possède pas forcément de lourdes fondations et est généralement constitué au XVe siècle d'un simple socle en pierre, parfois agrémenté de deux ou trois

79 Plusieurs mentions de dalles funéraires proviennent des archives, comme celle en marbre noir de Madame Brefeillac décédée en 1656 (AD35 18H1, folio 29) ou celle décorée des armes et écusson de François d’Andigny de Quermagaro (inhumé en 1631) (AD35 18H1, folio 39) (Le Cloirec 2016).

80 L’un des gisants porte la mention de « nobles personnes, messire Guillaume Le Duc, seigneur de la Renaudys », l’autre de « noble Louis qu(i ?)ttre » et le dernier de « dame de Bois Martel » (identification Françoise Labaune et Estelle Ingrand-Varenne dans Le Cloirec 2016).

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degrés, surmonté d’une croix latine simple aux extrémités terminées par des boules ou des croix tréflées, pommetées ou fléchées (Alexandre-Bidon, Treffort 1993b, 264‑265). (ii) Cet espace vide peut également résulter du choix de préserver un lieu de la promiscuité des tombes à des fins d'activités autres que funéraires (ex : rassemblements…) comme c’est le cas dans le cimetière de Rigny-Ussé (Indre-et-Loire) jusqu’au XVIe siècle (Zadora-Rio, Galinié 1996). La coexistence entre activités profanes et funéraires est bien documentée dans les cimetières au Moyen Âge où ils servent à la fois de place publique, de marché et de lieu d’inhumation (Boissavit-Camus, Zadora-Rio 1996, 52). Ces usages sont par contre beaucoup moins courants et documentés dans les cimetières des ordres mendiants (Martin 1975a) même si la mention de prêches dominicains dans l’enceinte du cimetière est établie à partir de 1470 sur décision du duc François.

Figure 75 : Restitution 3D du cimetière de la cour ouest (vue de l’est) (Gaétan Le Cloirec, Stéphane Jean, Rozenn Colleter).

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Résumé

Plus que la tombe elle-même (son creusement et sa forme), c’est l’endroit où repose le corps, sa proximité avec certains éléments architecturaux et les monuments funéraires qui la coiffent qui sont importants dans le cimetière chrétien. Dans le sol, une homogénéisation dans la construction des tombes est notée, reflet d’une standardisation des creusements par les frères dominicains. Les fosses individuelles, rectangulaires et orientées ouest-est sont la norme quelle que soit la période et le groupe considéré, à l’exception de l’ensemble D (fig. 76). Ce dernier en effet se distingue des autres par le caractère multiple des dépôts justifiant le creusement d’une tranchée pour 28 des sujets et d’une fosse oblongue pour les 4 autres. Le statut du défunt transparait dans le caractère individuel des dépôts où seuls les sujets des groupes B et D connaissent des dépôts simultanés. La seule inhumation simultanée de corps dans le groupe A correspond à un adulte avec un bébé. Le statut du mort est aussi visible dans la profondeur plus faible du creusement des tombes comme cela est observée pour les groupes A et C. La présence de monuments en surface pour le groupe A peut en partie expliquer ce traitement différent.

En surface, le souvenir du défunt reste vivace pour un temps avec la construction de monuments funéraires pour les sujets du groupe A, dont les armoiries et épitaphes décorent les murs et les vitraux. Le souvenir et la mémoire disparaissent néanmoins progressivement avec le temps. Les enfeus sont des emplacements particulièrement convoités, ils se revendent, changent de propriétaires et les sujets retrouvés dans ces niches, bien que documentés au XVIIe siècle, ne correspondent pas forcément aux sources historiques. Les caveaux, également portés par la volonté familiale, sont construits dès l’origine pour permettre un retour dans la tombe (escaliers, dalles amovibles…), pour rapprocher les corps d’une même famille ou communauté, mais la pratique fait que les anciens squelettes sont démantelés et perdent inéluctablement leur identité. Le recrutement de ces espaces ne correspond pas à des populations naturelles où un déficit important d’enfants est noté. Si quelques nourrissons proviennent d’un de ces caveaux, ils sont tout de même largement sous-représentés. La découverte d’un pourrissoir dans le chœur de l’église, très proche topographiquement du grand maitre autel, permettait sans doute de concilier l’inhumation de nombreux fidèles dans un espace particulièrement sanctuarisé. L’absence d’ossements en position secondaire dans cet endroit implique leurs déplacements dans des zones moins sensibles et son nettoyage minutieux avant un changement de fonction au XVIe siècle. Ce dernier semble en effet transformé en caveau avec le dépôt successif de dépouilles embaumées.

Le « temps du cadavre », sous la terre et caché, est celui pendant lequel il se transforme peu à peu en squelette (Hanus 2006), pendant lequel le mort va « s’anonymiser ». Ce temps est marqué à la surface par la construction d’un tombeau qui entretient pour un temps la mémoire du disparu. La primauté du devenir de l’âme sur le corps, suprématie chère au culte chrétien, transparaît alors dans les nombreuses manipulations d’ossements. Le commerce des frères dominicains et l’accélération des inhumations dans les espaces privilégiés ne sont donc pas forcément contradictoires avec les contraintes liturgiques. Le

« temps du cadavre » ne semble pourtant pas le même pour les sujets inhumés dans les zones privilégiées et le commun inhumé dehors ou dans la nef de l’église. La signalétique y est plus légère, moins marquée.

Cette signalétique protège les tombes de tout changement de fonction du lieu, condamne son utilisation à d'autres fins, impose un retour fréquent à la tombe pour son entretien suggérant l'individualisation du défunt. Ces pratiques sont certainement une des réponses apportées par les Dominicains à leurs fidèles

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suite aux exigences de la Réforme Tridentine commandant une didactique liturgique moralisante face à la mort (Figeac 2013, 118).

Figure 76 : Distribution en % des formes et orientations des fosses et moyennes des profondeurs des tombes. Liens significatifs en rouge et probabilité selon les effectifs réels : *= < 0,05 ; **= < 0,001 et *** = < 0,0001.

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