• Aucun résultat trouvé

Dans une étude française réalisée en 2014, Caillies et al. mettent en avant les résultats de plusieurs études en faveur d’une participation du contrôle inhibiteur dans la réussite d’une tâche de fausse croyance, permettant d’inhiber sa propre compréhension d’une situation afin d’appréhender celle d’autrui, entrainant de ce fait un déficit en théorie de l’esprit chez les sujets TDAH lors d’épreuves demandant une capacité d’inhibition importante. Afin de vérifier cette hypothèse, les auteurs explorent alors la réussite d’une tâche de fausse croyance de second ordre et de tests d’inhibition par 30 enfants âgés entre 6,7 et 10,6 ans (15 TDAH et 15 témoins). Les enfants avec TDAH présentent une altération significative de la ToM en comparaison des enfants témoins, seul un tiers du groupe réussissant complètement le test de fausse croyance. Ils ont également plus de difficulté à la compréhension d’histoires impliquant l’ironie, ces deux scores étant significativement corrélés. Etonnament, seuls les enfants témoins présentent une corrélation entre compréhension de l’ironie et capacités d’inhibition. Aucun lien n’est retrouvé entre ToM et capacité d’inhibition, mais les auteurs mettent en évidence une corrélation entre ToM et capacité de raisonnement verbal (243). Néanmoins, une étude plus récente menée par Mary et al. corrobore les résultats des études antérieures citées par Caillies et al.. En effet, en 2016, les auteurs retrouvent une altération significative par rapport à la population témoin des fonctions exécutives d’inhibition, de flexibilité et de planification, des fonctions attentionnelles et un échec aux tâches avancées de ToM (« reading the mind in the eyes » et « faux pas ») dans une population d’enfants souffrant de TDAH. Dans ce groupe TDAH, le score d’inhibition apparait prédicteur de la réussite de l’épreuve « faux pas » tandis que le score d’attention est prédicteur de la réussite de l’épreuve « reading the mind in the eyes ». Les auteurs précisent qu’après ajustement sur ces fonctions attentionnelles et d’inhibition, la performance aux tâches de ToM devient similaire à celle du groupe témoin, argument en faveur d’un déficit en ToM secondaire aux difficultés exécutives et attentionnelles (244). A noter

qu’en 2015, Mohammadzadeh et al. retrouvent chez les sujets TDAH une difficulté de compréhension des intentions d’autrui, non retrouvée chez les enfants témoins, et pouvant en partie participer aux difficultés sociales éprouvées (245).

- Empathie

Braaten et Rosén, avec une étude publiée en 2000, comptent parmi les premiers auteurs à s’intéresser à la possible altération de cette capacité chez les sujets souffrant de TDAH. Ils comparent pour cela 29 sujets TDAH à 19 sujets témoins, âgés de 6 à 13 ans, sur des tâches d’empathie dans lesquelles l’enfant, après présentation auditive et visuelle d’une scénette, doit inférer sur l’émotion ressentie par le personnage, exprimer l’émotion que lui-même ressent face à l’émotion du personnage, et expliquer pour quelle raison il ressent cela. Les sujets TDAH se montrent significativement moins performants que les sujets témoins, à la fois sur la correspondance de leur émotion vis-à-vis de celle du personnage hormis lorsque celle-ci sollicite une émotion de joie, et sur l’explication qu’il donne à leur propre émotion, souvent décentrée de la problématique du personnage (246). En 2009, Marton et al. s’intéressent eux aussi au processus d’empathie chez 50 enfants TDAH âgés de 8 à 12 ans, en prenant pour comparaison 42 enfants sans trouble du même âge. Ils utilisent pour cela « l’Index of Empathy for Children and Adolescents », échelle de 22 items pour les enfants de 6 ans et plus évaluant entre autres les réactions émotionnelles face à l’émotion d’autrui dans une situation énoncée, ou la compréhension des sentiments de cette personne; le « My Child », questionnaire pour parent évaluant les conduites empathiques de leur enfants à travers 13 items, et « l’Interpersonal Negotiation Strategies (INS) » évaluant les capacités de l’enfant à prendre la perspective d’autrui via des stratégies de résolution de problème de scénettes. Les enfants avec TDAH sont moins empathiques que les témoins selon l’évaluation parentale, différence non retrouvée lors de l’auto-évaluation mais allant dans le sens des déficits retrouvés par Dyck et al en 2001, énoncés précédemment (179). En revanche dans les deux types d’évaluation un effet genre ressort, en défaveur des garçons. Lorsque les auteurs prennent en compte les troubles du comportement (trouble oppositionnel avec provocation et trouble des conduites), les différences s’effacent entre TDAH et témoins, rendant compte de l’impact important de ces troubles du comportement sur l’empathie des enfants, ceux-ci étant fréquent dans la population TDAH. La capacité à prendre la perspective d’autrui est significativement meilleure chez les témoins que chez les TDAH, avec là aussi un effet genre en défaveur des garçons, et une corrélation positive avec le QI et les capacités langagières de l’enfant. Les difficultés restent cependant présentes après prise en compte des troubles du comportement, à la différence de l’empathie qui s’améliore. Les sujets TDAH ont tendance à être moins efficients dans la définition du problème, l’identification des sentiments des personnages et l’évaluation de l’issue de la scénette. Pour expliquer ces difficultés à prendre la perspective d’autrui en compte, les auteurs mettent en avant le possible impact de l’altération des fonctions exécutives d’inhibition chez les enfants TDAH (247), ce qui pourrait expliquer les données apportées par Schwenck et al. en 2011, en faveur d’une altération des capacités d’empathie chez les sujets TDAH de sous-type mixte non présente chez les TDAH avec difficultés attentionnelles seules (248). Pourtant en 2015, l’équipe de Kofler et al. ne

retrouvent pas de relation entre résolution des problèmes sociaux et TDAH : dans la population adolescente de leur étude, ces deux éléments sont considérés comme deux facteurs indépendants d’altération des relations sociales (249).

En conclusion, nous pouvons observer que les différentes études s’intéressant depuis maintenant

quelques années au problème de la relation sociale chez les enfants atteints de TDAH, par leurs résultats, ne permettent pas d’en proposer une explication uniciste. Si en effet elles confirment bien la présence d’altérations, celles-ci apparaissent présentes à plusieurs niveaux : en faveur d’une altération primaire des processus de la cognition sociale, nous pouvons évoquer les altérations de la reconnaissance des émotions, des fonctions exécutives ou encore de la pragmatique. En revanche le doute persiste sur la réelle altération de la ToM et des capacités d’empathie, la plupart des études retrouvant des résultats finalement proches de la population témoin lorsque sont prises en compte dans l’analyse les difficultés attentionnelles, d’impulsivité ou de défaut d’inhibition des sujets. L’aspect développemental semble également jouer un rôle, certaines difficultés retrouvées chez les enfants s’estompant avec l’avancée en âge, ou masquées par la mise en place de stratégies d’adaptation parfois maladroites comme une tendance à l’agressivité ou à l’évitement relationnel. Le sous-type du TDAH apparait lui aussi important, les enfants présentant un TDAH de présentation combinée étant généralement plus en difficulté que ceux avec présentation inattentive, eux-même plus altérés qu’en cas de présentation hyperactive/impulsive. Les difficultés attentionnelles pourraient être source de lacunes dans l’apprentissage social, tandis que les conduites hyperactives et impulsives pourraient être un frein à leur bonne mise en pratique. Les interrogations persistent malgré tout, le profil des altérations retrouvées chez les enfants TDAH étant, dans plusieurs études, similaire dans certains aspects à celui d’enfants souffrant de TSA (même avec participation de la triade symptomatologique sus-citée du trouble). Peut- être faudrait-il alors concevoir l’atteinte de la relation sociale dans le TDAH comme l’adjonction d’éléments d’un « phénotype social » partagé par plusieurs troubles neurodéveloppementaux, et de difficultés comportementales inhérentes au TDAH et exacerbant le tableau clinique, le rendant source de retentissements au quotidien. Il y aurait ainsi une altération de l’intégration des processus de la cognition sociale, moindre que celle présentée par les enfants TSA car avec connaissance à un certain degré des règles sociales et maintien d’un intérêt aux échanges sociaux, mais rendue parlante par la difficulté des sujets TDAH à mettre en application ces processus en situation réelle d’échange relationnel. Finalement, et ceci peu importe le mécanisme impliqué, il est indéniable de penser que le TDAH présente des perturbations sociales. Afin d’enrichir notre réflexion, il apparait donc important de prendre en compte l’impact des thérapeutiques existantes, qu’elles soient médicamenteuses ou non, dans la possible amélioration de ces difficultés sociales, et de s’intéresser aux différentes pistes proposées par la littérature actuelle afin d’améliorer les compétences et le vécu de leurs relations avec les autres des enfants TDAH.

3/ Approche thérapeutique

« Tu vois docteur, ma maladie c’est comme si j’avais une bombe à l’intérieur. Et quand je prends le cachet, c’est comme si ça rallongeait la mêche. Et ça m’empêche d’éclater à l’école ou devant mes copains. »

Paroles de Gabriel, enfant âgé de 8 ans avec TDAH

Si les difficultés sociales présentées par les enfants souffrant d’un TDAH sont influencées par les symptômes inhérents au trouble, elles ne peuvent pas être expliquées par cette seule symptomatologie inattentive, hyperactive et impulsive comme l’énonçaient déjà McQuade et Hoza en 2008 (189). Les différentes études réalisées depuis une dizaine d’années et présentées ci-dessus sont en faveur d’altérations en amont des comportements observés, c’est-à-dire touchant à la cognition sociale. Il apparait alors important dans ce contexte de pouvoir proposer aux enfants une prise en charge en adéquation avec les recherches les plus récentes. Cette prise en charge plus globale nécessite de prendre en compte la triade symptomatologique du trouble, mais également les processus altérés de la cognition sociale et les difficultés au quotidien dans les échanges relationnels de l’enfant.