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Le texte à l’épreuve de la violence

2. La mise en texte de la violence dans Un été de cendres

3.1 Etude énonciative

3.1.3 Les Temps verbaux

Le linguiste Dominique Maingueneau insiste sur le rôle des « temps » dans la structuration des textes, par la position qu’ils y occupent, par leurs répétitions, comme par leurs changements »165. Les « temps » possèdent, a priori, une fonction décisive dans le réseau des relations inter-phrastiques qui assurent la cohérence d’une unité textuelle. Selon que ces « temps » auront tendance à se répéter tout au long d’un texte ou, au contraire, à changer continuellement, les textes apparaîtront plus ou moins homogènes. Le présent constitue un temps fondamental parmi le système des temps du discours. C’est le temps de base du discours, parce qu’il marque la contemporanéité entre ce qui est énoncé et l’instance du discours.

Dans Les Jumeaux de la nuit, les temps verbaux sont principalement au présent de l'indicatif même si l'action se situe par rapport au temps du passé du narrateur. La

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dimension psychologique qui fait revivre les évènements dans le temps, qu’il leur était accordé, font que le narrateur se place au même niveau que le temps de la fiction pour rapporter seconde par seconde le temps psychologique. Dans ce roman, le système des temps verbaux s’organise alors autour du présent de l’indicatif / passé composé / futur simple.

« Celui du présent de la narration, celui de la narration rétrospective au temps du discours (passé composé/imparfait) et celui de la narration aux temps historiques (passé simple/imparfait) ».166

Dans le deuxième chapitre du roman intitulé « Nuits blanches », nous relevons ce passage, qui met en évidence le temps psychologique dans lequel la mémoire ensanglantée de l’héroïne devient un tortionnaire :

« Soukeïna se tourne et se retourne dans son lit, (…), mais cette nuit ressemblera à toutes celles qui l’ont précédée. Sa mémoire ensanglantée la torturera et l’empêchera de dormir », (p.15)

« Elle souhaiterait oublier et dormir. Ces nuits sans sommeil l’épuisent. Pourtant dans cet immeuble où elle réside désormais, il n’y a de bruit. La porte d’entrée est fermée de jour comme de nuit. Seule l’arrivée de Soukeïna perturbe ses voisins », (p. 26)

Le temps est organisé selon un mode intercalant souvent : présent / futur / passé. Ce choix du passé composé dans la narration des évènements passés, c’est en effet la part du discours. Il exprime une action terminée à un moment non précisé du passé. En effet, d’après ce que nous avons avancé en haut, ce triptyque relève du discours. D’où le narrateur, choisit cette organisation pour faire passer ses idées, son enseignement voire son idéologie.

Dans ce roman, le système temporel s’organise autour d’un va et vient entre un passé heureux et un présent douloureux. Ceci s’effectue à travers la mémoire utilisant les monologues, les pensées, et les commentaires divulguant des visions à effet didactique.

« Elle voudrait seulement oublier. Mais oublier quoi ? QueHassan ne reviendra plus ? Que son nouvel appartement est un abri sans attaches, sans repères, sans adresse ? », (p.26)

166E.Benveniste, Les relations du temps dans le verbe français, « Problèmes de linguistique générale », éd. Gallimard, Paris, 1996, p.61

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Il s’agit là encore d’une organisation binaire soutenant tout le récit des Jumeaux de la nuit : un rapport balisant passé et présent, de manière à établir une jonction entre les événements et leur déroulement. La notion du temps est associée à la restitution du passé.

« Le juge, un homme austère et pressé, lui apprit alors qu’il lui fallait l’autorisation paternelle. Pour la énième fois, Yemma Chérifa lui expliqua sa situation. Le juge se montra magnanime et lui dit qu’il pouvait autoriser les garçons à quitter le territoire nationale, mais rien, absolument rien, ne garantissait leur retour.»,(p.45)

Nous remarquons, dans cet extrait, l’emploi de l’imparfait (fallait, pouvait) marquant « un fait permanent ou habituel dans le passé »167. Dans ce sens, l’imparfait et par son aspect duratif, vient installer une sorte de réitération des événements produits pour marquer la réalité dramatique de la situation de Yemma Chérifa et tant d’autres femmes algériennes prisonnières des lois insensées. L’expression «Pour la énième fois », est significative, en ce qu’elle est révélatrice d’une visée illocutoire bien déterminée, celle de la dénonciation de cette loi qui transgresse les normes, (ce point sera repris et étudié dans le dernier chapitre).

En effet dans Les jumeaux de la nuit, il s’agit d’un narrateur omniscient qui décrit une femme ouvrant une boite à lettre portant encore le nom de son mari assassiné. Cet incipit renseigne sur la teneur du récit qui va venir, à savoir le pourquoi, ou le droit d’inventaire d’une vie, qui a soudainement basculé dans la tragédie.

Ouvrir le registre des souvenirs et raconter les moments qui ont précédé l’acte d’ouvrir « une boite à lettres ». Libérer la mémoire en laissant remonter les souvenirs qui, quelquefois, quand ils sont douloureux ont tendance au refoulement. Ceci semble être le meilleur moyen pour l’auteure de se libérer d’une charge émotionnelle et douloureuse qu’elle n’arrive plus à supporter. Cette stratégie lui permet finalement, de revenir à la fin du roman sur les causes de cette mort injuste qu’elle ne pardonnera plus et à jamais les commanditaires de cet homicide barbare.

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