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1.4 La cristallographie cinétique

1.4.2 Techniques de piégeage d'intermédiaires réactionnels . 32

Les expériences basées sur le piégeage d'états intermédiaires sont plus communes que celles utilisant la diraction de Laue, car moins exigeantes sur la qualité des cristaux et réalisables sur les lignes de lumière monochro-matiques classiquement exploitées pour la cristallographie des protéines. Les cristaux peuvent être préparés à l'avance, sur un microspectrophotomètre (chapitre 1.6.1). Les résultats issus de telles techniques de piégeage à basse température doivent toutefois toujours être interprétés avec le plus grand soin : le paysage énergétique d'une molécule est susceptible de dépendre de la température, et des résultats artefactuels peuvent être obtenus aux tem-pératures cryogéniques. Le chapitre 3 traitera d'un exemple concret dans le cas du mécanisme catalytique de la POR.

Il est possible de diérencier deux techniques permettant le piégeage d'états intermédiaires par le froid. Dans la première ( trigger-freeze ), la réaction se déroule à température ambiante, l'état intermédiaire est formé et ensuite seulement le cristal est refroidi. Dans la seconde ( freeze-trigger ), le cristal est d'abord refroidi, puis la réaction est déclenchée et l'intermé-diaire se forme. La première méthode minimise les artefacts expérimentaux induits par les basses températures, mais nécessite par contre une réaction susamment lente (de l'ordre de 1 min−1 pour les résultats déjà publiés) à température ambiante (voire par exemple [Fedorov et al., 2003]). Un simple trempage des cristaux, par exemple dans une solution contenant le substrat, est en général utilisé pour initier la réaction.

Cependant, même si l'état cristallin ralentit souvent les réactions enzy-matiques, des vitesses nettement supérieures à la min−1 sont courantes. De plus, même pour une réaction lente, la durée de vie des intermédiaires re-cherchés peut être de l'ordre de la nanoseconde. Dans de tels cas, même si un déclenchement synchrone a pu être réalisé, le temps de refroidisse-ment quasi-instantané ( ash cooling ), de l'ordre de 0.1 s, peut devenir le facteur limitant lors du piégeage d'un état intermédiaire. Il est alors pos-sible d'utiliser la seconde méthode de  freeze-trigger , consistant à refroidir l'échantillon avant de déclencher la réaction. Le déclenchement est alors réa-lisé à une température telle que la réaction ne puisse pas se dérouler. La formation des intermédiaires est rendue possible par l'application d'un prol

Initiation (S/L) Etablissement de l’équilibre RI « Trigger-freeze » « Freeze-trigger » « Résolue en temps » « Régime continu » « Equilibre » Initiation (S/L) C ri s ta ll o g ra p h ie c in é ti q u e d e s p ro in e s Temps Collecte (M) Collecte (M)

RI Initiation (L) Augmentation de T Collecte (M) RI Initiation (L) et Collecte (M) pendant l’initiation

et Collecte (M/P) pendant l’initiation Initiation (S/L, cycles de réaction) RI Déroulement partiel de la réaction Initiation (L) Collecte (P) une image Attente ∆∆∆∆t Attente

Cycle suivant ∆∆∆∆t et l’orientation du cristal

Fig. 1.14  Schéma récapitulant les diérentes techniques de cristallographie cinétique. Abréviations : RI pour Refroidissement Instantané, S et L pour une initiation de la réaction par diusion de Substrat ou par la Lumière dans le cas d'un système photosensible, M et P pour une diraction exploitant une lumière Monochromatique ou Polychromatique (de Laue).

de température. Celui-ci permet d'augmenter transitoirement l'énergie ther-mique du système et de surmonter une barrière d'activation conduisant à un changement conformationnel caractéristique de la réaction enzymatique étudiée (gure 1.15). Le déclenchement de la réaction, puis le contrôle de son avancement sont les deux points clefs de la méthode.

À des températures de l'ordre de 100-150 K, il n'est pas possible de déclencher une réaction dans un cristal de protéine par diusion d'un sub-strat ou cofacteur car le solvant, en phase vitreuse, est complètement gé. En revanche, la lumière peut être utilisée. C'est pourquoi les techniques de  freeze-trigger  sont exploitées principalement pour des systèmes ayant une photosensibilité endogène. Il est aussi possible d'avoir recours aux composés cagés. Ces composés sont des précurseurs photosensibles et biologiquement inertes de molécules qui, après irradiation par rayonnement UV, sont libérées sous leur forme active. Certains composés cagés peuvent être préalablement diusés dans le cristal à température ambiante, puis, une fois à basse tem-pérature, photolysés pour libérer le composé actif [Ursby et al., 2002]. Des résultats ont aussi été obtenus récemment en utilisant les photoélectrons is-sus de la radiolyse de l'eau par les rayons X comme agents réducteurs de la réaction [Adam et al., 2004, Berglund et al., 2002].

Le choix du prol de température adéquat pour accumuler un intermé-diaire réactionnel dans le cristal est dicile. L'idée est de choisir une tem-pérature, typiquement dans la gamme 150-250 K, supérieure à la tempé-rature de transition vitreuse du solvant. Cette gamme de tempétempé-rature est extrêmement intéressante, car le solvant se trouverait alors dans un état ultravisqueux, assimilable à un gel. Dans cet état permettant la diusion des substrats à travers les canaux de solvant, une transition dynamique de la protéine, autorisée par une augmentation de sa exibilité, est aussi attendue.

1.4.3 Expérience de  freeze-trigger 

La gure 1.15 représente une expérience  idéale  de cristallographie cinétique par piégeage de type  freeze-trigger . Elle peut être décrite comme suit :

1. Refroidissement quasi instantané ( ash cooling ) du cristal à 100 K, qui ge toute réaction

2. Déclenchement (pas nécessairement synchrone) de la réaction dans toutes les molécules du cristal

3. Augmentation progressive de la température, et donc de l'énergie dis-ponible pour la réaction

4. Franchissement d'un état de transition et formation d'un état intermé-diaire réactionnel

Fig. 1.15  Schéma idéalisé représentant le déroulement d'une étude de cris-tallographie cinétique par piégeage d'états intermédiaires.

5. Re-descente à 100 K (pour stabiliser l'intermédiaire et protéger le cris-tal lors de l'exposition aux rayons X), et acquisition de la structure de l'état intermédiaire ainsi formé

6. Cette procédure peut être renouvelée pour tous les états intermédiaires que l'on réussit à isoler dans le cristal

Cette description de la méthode néglige des problèmes expérimentaux et fondamentaux pourtant bien réels, comme l'hétérogénéité conformationnelle dans les cristaux, et souligne les deux points clefs dans le déroulement d'une expérience : le déclenchement de la réaction dans toutes les molécules du cristal (initiation) et le suivi de la réaction en fonction de la température, en vue de caractériser la formation des états intermédiaires.