• Aucun résultat trouvé

Les systèmes participatifs : permettre aux « citoyens » de juger

Ch. 2 Des dispositifs élaborés et utilisés par des producteurs

Encadré 5 : Les coûts de la certification

IV- Les systèmes participatifs : permettre aux « citoyens » de juger

Les systèmes participatifs se présentent comme des dispositifs alternatifs à la CPT, en réponse à la faible participation des consommateurs dans la conception et la mise en oeuvre des dispositifs de jugement. Les différents positionnements des réseaux participant à cette réflexion seront tout d’abord présentés. Le fonctionnement des dispositifs de qualité participatifs sera ensuite exposé en mettant en avant ce qui les distingue de la CPT : la participation des parties prenantes, l’idéal d’une connaissance « neutre », les compétences attribuées consommateur et l’amélioration des pratiques. On verra enfin que les systèmes participatifs peuvent être envisagés comme forme de résistance face au risque perçu de désingularisation.

A-Du rejet radical au pragmatisme : des positions variées

Les réseaux étudiés ne se positionnent pas tous de la même façon quant à leur recherche de dispositif alternatif. Le mouvement pionnier en France est incontestablement Nature et Progrès, mettant en place des évaluations participatives de ses producteurs dès les années 1970. Le mouvement de commerce équitable Minga et les réseaux régionaux d’AMAP s’inspirent ensuite de cette démarche pour élaborer leur propre dispositif à partir du début des années 2000. Nature et Progrès, Minga ainsi que le premier réseau régional historique des AMAP, Alliance Provence, affichent publiquement et régulièrement leur opposition à la

194

certification et à la labellisation143 aux côtés d’autres mouvements. Une déclaration commune est par exemple signée par ces trois associations le 11 février 2008, sous le titre « Contre la consommation dirigée, pour une démarche citoyenne ». Il y est question de la promotion des systèmes participatifs (alors désignés comme « systèmes participatifs de garantie », ce qui sera modifié par la suite) :

« Les termes d’agriculture biologique, de commerce équitable, de textile écologique et d’écoconstruction sont tous récupérés et détournés de leurs buts à des fins mercantiles. L’attribution des logos qui leur correspondent dépend d’une expertise spécialisée nommée certification. Cette expertise ouvrant l’accès aux marchés est devenue un enjeu de première importance bien qu’elle n’incite pas à l’amélioration des pratiques, au contraire »144

Les positions de l’ATES (tourisme) et du CNLRQ (régies de quartier) sont plus nuancées. S’il existe bien dans ces deux derniers réseaux une recherche de dispositif participatif, celle-ci s’effectue moins dans une opposition radicale à la certification que dans l’affichage d’une volonté d’adaptation aux « particularités » de leur secteur. Pourtant dans le cas de l’ATES, la création d’une certification a été envisagée dès les débuts du réseau et n’a pas abouti en grande partie pour des raisons de coût : la certification s’avère trop chère à mettre en œuvre pour les petites associations membres.

« Bien sûr l’idéal serait que nous soyons contrôlés par un organisme extérieur pour éviter toute ambiguïté mais le système classique des audits externes est très compliqué à mettre en place et surtout beaucoup trop cher, même pour des associations de taille respectable » (ATES, directeur d’une association membre, SP en cours d’élaboration)145 Des préoccupations concernant le fait de rendre l’évaluation la plus participative possible se sont greffées dans un second temps, de même qu’une prise de conscience de la possible particularité du service proposé. Ces discours rejoignent ainsi ceux sur l’inadéquation de la standardisation et des mesures chiffrées pour les activités tertiaires en général (Jany-Catrice, 2012). La coproduction du service par l’usager rend en effet difficile la normalisation de l’activité, comme le souligne Jonathan, salarié de l’ATES :

« C'est que là on est sur un système de garantie de services, et la vraie problématique c'est que le touriste fait partie intégrante du produit. Donc c'est pour ça qu'on ne peut pas, nous, parler de labels en soi… Parce que parler de label sur le tourisme équitable et

143 C’est-à-dire la certification officielle assortie d’un logo

144

Minga, Nature et Progrès, Alliance Provence et al. « Contre la consommation dirigée, pour une démarche citoyenne », Déclaration collective, 11 février 2008.

145 Citation extraite de l’article de Fabrice Bugnot, « L’assurance d’un voyage solidaire ? », de la revue Altermondes, (2009), Le tourisme en quête de sens, Hors série n°7, Printemps. Les propos sont mis en italiques par l’auteur de la thèse.

195

solidaire, ça veut dire que tu labellises un touriste ce qui n'est en soit pas possible… ! Voilà. On ne va pas tamponner un touriste ! » (ATES, salarié 2, SP en cours d’élaboration)

La justification du choix d’un type de dispositif par les caractéristiques du service proposé est toutefois à nuancer. Le réseau de tourisme « responsable » (et non « solidaire », c'est-à-dire ne s’impliquant pas dans le développement des zones de destination, mais cherchant à limiter les externalités négatives liées au tourisme), ATR146, a fait quant à lui le choix d’une certification par tiers (voir chapitre 3). Le fait d’envisager le tourisme comme un service « particulier », nécessitant un dispositif de qualité différent d’une certification par tiers informe ainsi beaucoup plus sur le réseau lui-même (l’ATES) et ses représentations, voire sur les moyens dont il dispose, que sur le tourisme en soi.

Le CNLRQ147 se trouve dans une situation semblable. Ses membres mettent fréquemment en avant ce qui leur apparaît comme la « spécificité » de leur activité pour expliquer le fait de ne pas employer de certification. Cette « spécificité » n’a pourtant rien d’une contrainte extérieure mais correspond bien au fait de ne pas adhérer aux valeurs liées à la certification. Un réseau proche tel que le CNEI148 a en particulier fait le choix opposé. Salarié du CNLRQ, Elias décrit la position de son réseau quant à la certification comme résultant d’une décision, différente de celle prise par le CNEI :

« L’attribution du label149 c'est un peu compliqué parce que... Ce n'est pas des grilles qu'on remplit avec des points et quand on a fait la somme on a le label ou pas. On se base aussi sur des intentions, sur des choses qui sont très subjectives : la conviction que ceux qui sont en face de nous sont des gens honnêtes, que les engagements qu’ils prennent ils vont essayer de les mettre en œuvre, on est aussi conscients que les éléments de la charte pour l’essentiel c’est juste inaccessible…(…) Donc ça ne peut pas être fait par un certificateur externe, ce n'est pas possible quoi. Pour nous ce n'est pas possible. (…) Par exemple le CNEI, qui avait une démarche qualité qui s’appelait Qualirei…et ils viennent de changer l’année dernière, ils sont passés sur une norme ISO. AFAQ, ISO. C’est un choix. Mais pour moi c'est un mauvais choix. Parce qu'ils sont sur une dimension technique. » (CNLRQ, salarié 1, SP en cours d’élaboration)

146 Agir pour un Tourisme Responsable, http://www.tourisme-responsable.org/.

147 Régies de quartier

148

Entreprises d’insertion

149 Il ne s’agit pas d’un véritable label, mais du terme employé au sein du réseau pour désigner le nom de l’initiative. « Etre une régie de quartier » (avoir le droit d’utiliser le nom déposé) est désigné au sein du réseau comme « avoir le label ». Ce n’est pas un hasard de terminologie : label et identité sont intrinsèquement liés comme on l’a vu au chapitre 3.

196

En dépit des raisons différentes qui les y ont conduits, les réseaux élaborant un dispositif alternatif à la certification par tiers se rejoignent quant aux aspects principaux de leur démarche.

B- La participation des parties prenantes

La première caractéristique affichée par les collectifs élaborant des systèmes participatifs est la volonté d’impliquer l'ensemble des parties prenantes dans le processus d'évaluation (et parfois plus largement de production). Plutôt désignés comme « citoyens » ou « consomm’acteurs » (Dubuisson-Quellier, 2011), les consommateurs sont particulièrement visés par cette ambition. Ce type de dispositifs existe depuis longtemps dans différents pays (latino-américains, en particulier). Le nom de « systèmes de garantie participatifs »150 leur est attribué en avril 2004 lors d’une rencontre internationale entre organisations de producteurs et de consommateurs au Brésil. En France ce mode de garantie est élaboré par l'association Nature et Progrès au cours des années 1970. L’IFOAM définit ces dispositifs comme « des systèmes d'assurance qualité ancrés localement [qui] certifient les producteurs sur la base d'une participation active des acteurs concernés et sont construits sur une base de confiance, de réseaux et d'échanges de connaissances151 ». Visant à garantir le caractère biologique des produits détenteurs de la mention, ce système repose sur l'inspection annuelle des exploitations par un groupe local d'agriculteurs et de consommateurs : une « commission mixte d'agrément et de contrôle » (COMAC). Celle-ci délibère pour l'attribution de la mention, à partir des cahiers des charges établis par la fédération. La réglementation européenne de 1991 puis celle de 2007 en vigueur remettent en cause ce mode de garantie et imposent la certification par tiers. Les COMACS ne sont plus reconnues comme organismes agréés pour l'attribution du label officiel AB, mais sont maintenues par Nature et Progrès pour sa propre mention.

Dans le domaine du commerce équitable, l'association Minga élabore le Système de Garantie et d’Amélioration Participatif (SGAP) à partir de 2009. Cette décision fait suite au

150 Nature et Progrès a par la suite changé cette appellation pour Système Participatifs de Garantie et est imité par d'autres réseaux.

151 Cité par Nature et Progrès, « Pour certifier la Bio, les avantages des Systèmes Participatifs de Garantie », www.natureetprogrès.org, mars 2010.

197

refus par l'association du projet de norme de commerce équitable issu de la commission AFNOR en place de 2002 à 2005. Le système participatif de Minga vise la mise en place d'une commission d'évaluation par filière, constituée des principaux acteurs de celle-ci et de « citoyens », comme l’explique un des fondateurs du collectif :

« On réunit des commissions d’évaluation, là aussi participatives, c’est-à-dire on réunit les acteurs en question mais aussi des citoyens, des avocats,…des profs…pour évaluer la filière et déterminer un programme d’amélioration des pratiques dans tel ou tel domaine, d’abord pour chaque opérateur et puis aussi ça peut être la totalité de la filière. » (Minga, fondateur, SP)

Il est prévu que le travail d'une commission dure un à deux jours par an et par filière. La commission a pour but de vérifier les informations contenues dans une grille de pré-enquête, avant de déterminer les points forts et faibles de la filière et de définir un programme d'amélioration des pratiques. Le dispositif change de nom pour Système d’analyse des filières (SAF) en 2011 et est en cours d'élaboration (encadré 6) ; tous les membres de Minga ne l'ont pas encore expérimenté.

Les réseaux régionaux d'AMAP mettent également en place des systèmes participatifs. En cours de création en Ile-de-France, ce dispositif a déjà été testé en PACA et en Rhône-Alpes. On constate au sein de ces initiatives l’affichage du même souci de participation des consommateurs, comme l’illustre cet extrait d’entretien d’Arnaud, alors porte-parole du réseau national, Miramap :

« ça reste un outil à la disposition des producteurs, des groupes de consomm'acteurs, et non pas du réseau pour pouvoir mettre un tampon et dire « moi en tant que... Je décide que ça c'est une AMAP et ça, ça n'en est pas une ». » (Miramap152, porte-parole, SP)

Au sein des régies de quartier un système semblable, la « Démarche de progrès », est en cours d’élaboration depuis 2009. Le droit d’utiliser le nom déposé (dit « label ») s’obtient néanmoins en amont au moment de l’entrée dans le réseau, lors d’une première procédure d’évaluation du projet de régie. La demande de « labellisation » peut émaner d’une association déjà existante ayant une activité proche de celle des régies sans en avoir le nom. Elle peut également provenir d’un collectif se formant dans le but de créer une régie de quartier. Dans les deux cas, une demande de « labellisation » doit être adressée au CNLRQ, après avoir été signée par les habitants du quartier (ou leurs représentants) et au moins l’un des deux autres partenaires constitutifs d’une régie (élus des collectivités locales ou bailleurs

152

198

sociaux). L’implication des habitants du quartier est présentée comme incontournable dès ce premier stade pour obtenir le « label ». Un expert agréé par le réseau est ensuite chargé de mener une procédure d’expertise de trois jours au sein du collectif demandeur de « label ». Une régie « parrain » est également désignée pour accompagner la nouvelle venue d’un point de vue technique. En dépit de la mobilisation d’un « expert » ou « consultant », le CNLRQ se défend de reproduire le modèle de la certification. Deux éléments de différenciation sont mis en avant : l’absence de grille de critères fixe et la participation des habitants au projet. C’est ce que souligne ici Elias :

« L'expertise du consultant, ce n'est pas un travail d'audit,…voilà… Il n'y a pas une grille, avec des cases à remplir et voilà. C'est plus une analyse du jeu d'acteurs, des stratégies d’acteurs dans le projet, pour vérifier qu'on est bien dans un projet de type régies de quartier, et que les acteurs qui portent le projet tendent vers des éléments de la charte. (...) Notamment que la question de la participation des habitants est intégrée dans le projet, et que à défaut d'être mise en œuvre, parce qu'on sait que c'est difficile, que la démarche est engagée et que l'intention est réelle. Qu’elle ait l'intention d'impliquer des habitants, de les monter en compétence, de les former, au moins que la réflexion est engagée, que la réflexion est sincère, elle est réelle. Et que ça se fera à terme. » (CNLRQ, salarié 1, SP en cours d’élaboration)

Le travail de l’expert consiste à réaliser des entretiens auprès des parties prenantes et à évaluer la capacité de la future régie à remplir son rôle : implication des partenaires publics, développement local, viabilité économique, adéquation au territoire. Un rapport est rédigé à l’issue des trois journées et remis au bureau national du CNLRQ. La régie faisant office de parrain émet également un avis sur la structure en création. La décision de faire de l’association une régie de quartier revient au bureau du CNLRQ.

La « Démarche de progrès » développée depuis 2009 répond quant à elle (par opposition à cette première procédure lors de l’entrée dans le réseau) au souhait de réaliser un bilan d’activité des régies plusieurs années après leur « labellisation ». Le dispositif est d’usage volontaire. Si des consultants accompagnent également la procédure, toutes les parties prenantes sont invitées à y participer -habitants, bailleurs, élus, salariés ou encore conseil d’administration…- comme l’explique Christian, adhérent du réseau :

« ça se fait en travaillant avec les gens. Ce n’est pas quelqu’un qui vient faire une étude dedans, c’est les participants à la régie, c'est-à-dire les salariés, le conseil d’administration, les habitants du quartier, les élus de la ville et les bailleurs sociaux qui vont en cours de réunion, débattre, changer avec, avec des consultants qui vont prendre des notes, qui vont faire des synthèses des rapports… » (CNLRQ, adhérent 1, SP en cours d’élaboration)

199

A l’ATES le « système d’évaluation » est également encore en cours d’élaboration. Son premier volet, les « évaluations internes croisées » est mis en œuvre en 2008 et consiste en une évaluation des structures membres entre elles. Chaque association analyse tout d’abord ses trois destinations comptant le plus de voyageurs à partir d’une grille de dix critères déclinés en 29 indicateurs. Elle est ensuite évaluée par un groupe de trois autres associations tirées au sort (en prenant garde à ce qu’une structure ne soit pas évaluée par une autre qu’elle a elle-même évaluée). L’évaluation porte sur le dossier constitué et sur un entretien public, en présence d’observateurs extérieurs (et donc sans regard sur ce qui se passe effectivement sur place lors des voyages touristiques). Le groupe d’évaluation doit aboutir à une note sur 20. Trois associations ayant obtenu une note inférieure à 13/20 sont étudiées en conseil d’administration lors de la première expérience. Les points faibles portent essentiellement sur le manque d’informations transmises permettant de vérifier les pratiques. Les « contrats d’objectifs » établis suite à cette évaluation indiquent les directions à suivre pour une amélioration des pratiques des associations. La deuxième phase de l’évaluation consiste en un bilan de l’avancée des structures quant aux objectifs fixés. Les salariés de l’ATES envisagent de renouveler les évaluations internes croisées tous les deux à trois ans.

L’objectif de l’ATES est à terme d’aboutir à un système prenant en compte également les attentes des voyageurs et celles des personnes présentes sur place, « au sud », en leur faisant évaluer l’ensemble de la prestation. Ce qu’un salarié de l’association résume par « rendre équitable l’évaluation du tourisme équitable ». Cette étape est encore en cours de construction et a été confiée à Gaëlle, embauchée par le réseau dans le cadre d’un PICRI153 :

« Je suis vachement plus dans une démarche de participation…En essayant d’impliquer les acteurs locaux, me dire que ça peut être des outils qui peuvent les aider, qu’ils peuvent s’approprier ces outils et continuer à progresser dans leur pratique, ou du moins avoir un regard sur ce qu’ils font… » (ATES, salariée 3, SP en cours d’élaboration) Les destinataires des systèmes participatifs ne sont pas principalement les consommateurs comme dans le cas de la certification par tiers, mais l'ensemble des acteurs impliqués dans la chaîne de production du bien ou service : producteurs, transformateurs, distributeurs et consommateurs. Invitant ces derniers à participer à l’évaluation, la démarche des systèmes participatifs se rapproche de celle de prescripteurs tels que les revues consuméristes étudiées

153 Partenariat Institution Citoyens pour la Recherche et l’Innovation. Dispositif de recherche financé par la Région Ile-de-France, réunissant laboratoires de recherche publics et organisations de la société civile à but non lucratif.