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Un support très séduisant

Dans le document L information par la bande dessinée (Page 24-33)

Dans le chapitre précédent, nous avons vu que la bande des-sinée dite de reportage trouve ses racines dans l’histoire même de la presse périodique, qui, dès ses débuts, était sou-vent enrichie de dessins. L’image joue clairement un rôle clef µ²¿Ä½²µºȮÆĺÀ¿µ¶½ʓº¿·Àþ²ÅºÀ¿ʇ¿Á²Ã²½½ë½¶ʁ´¶ÄÆÁÁÀÃÅĶ

distingue aussi pour ses qualités singulières, qui sortent du chemin traditionnel du journalisme.

Le dessin peut « faciliter l’accès du lecteur à l’information »1. Grâce à sa forte capacité d’évocation, la bande dessinée permet de restituer une atmosphère, un sentiment ou un contexte particulier de manière méticuleuse. Le dessinateur a le contrôle absolu du cadrage, de la séquence et de la mise en page. C’est lui qui choisit ce que le lecteur doit regarder ; chaque détail est dessiné pour une raison. Ce processus de

´Ãì²ÅºÀ¿µºȮëö¿¶ÅŶ¾¶¿Åµ¶½²Á¹ÀÅÀ¸Ã²Á¹º¶ʁÁ²Ã·ÀºÄ²ÄÄÀ-ciée à un sentiment de voyeurisme ou d’intrusion.

« Je crois que le trait noir, dans son dépouillement, permet d’entrer en relation d’une façon unique : on absorbe le récit d’une victime, par exemple, sans être gêné ou distrait par l’invasivité de l’image photographique. Le dessin donne à voir sans voyeurisme. » 2

1. BOURDIEU, Séverine, op. cit.

2. CHAPATTE, Patrick. BD Reporter, du Printemps arabe aux coulisses de l’Élysée. Éditions Glénat, Paris, 2011.

C’est en faisant valoir sa propre humanité que le repor-ter-dessinateur « encourage ses lecteurs à garder la distance nécessaire avec ce qu’ils lisent »3. Grâce à une incessante in-teraction entre illustré et texte narratif, la bande dessinée est parfaitement adaptée pour décrire une expérience de guerre ou de crise politique, car « chaque élément [de l’his-toire] conserve un certain degré de liberté et d’autonomie ».

Les auteurs sont ainsi capables d’évoquer des points de vue ÅÀŲ½¶¾¶¿ÅÀÁÁÀÄìÄIJ¿ÄÂƶ½¶Ãì´ºÅÄÀºÅ²Ȯ¶´Åìʇ4

En plus de cela, le reportage dessiné possède une caractéris-tique unique : il permet un dialogue intergénérationnel sans précédent, qui sous-tend son succès auprès d’un public très divers. De l’amalgame de « BD » et d’actualité, en résulte un genre surprenant, qui permet de réunir des lecteurs d’hori-ËÀ¿ÄµºȮìö¿ÅÄʇ

Subjectivité, temporalité, légitimité

Lors d’une interview pour France Culture 5, Joe Sacco et Guy Delisle nous dévoilent les atouts du dessin de terrain en don-nant des exemples issus de leurs expériences

profession-¿¶½½¶Äʇ ²¿Ä ´¶ÃŲº¿Ä ¶¿µÃÀºÅÄ ÀŁ ½ʓÆź½ºÄ²ÅºÀ¿ µ¶ ½ʓ²ÁÁ²Ã¶º½ photo n’est pas consentie, le croquis est préconisé. L’auteur de Chroniques de Jérusalem raconte comment son carnet de voyage lui a donné accès à certains lieux interdits au public et aux journalistes.

« Faire du croquis, ça ouvre beaucoup de portes. C’est très dif-férent de prendre une photo, car on passe et on vole un petit

3. BOISSIER, J.-M. & LAVERGNE, H. « Le BD reportage et ses maîtres », Médias, n° 7, déc.

2005 [en ligne — consulté le 28 août 2020].

4. Ibid.

5. BROUE, Caroline, op. cit.

moment de vie. Alors qu’avec le carnet de croquis on s’assoit, on manifeste une présence. Les gens me voient dessiner, ce n’est pas pris comme une attaque frontale. Ils viennent me voir, me ques-źÀ¿¿¶¿Å¶Å̽²ȱ¿»¶¾¶Ã¶ÅÃÀÆǶÌÁö¿µÃ¶µÆŹì²Ç¶´¶ÆÉʇʡ Ces expériences sont décrites telles quelles par le dessina-teur, qui s’intègre dans le récit. Dans les ouvrages de Joe Sac-co, de Guy Delisle, mais aussi chez Fabien Toulmé et

Zero-´²½´²Ã¶ʁ½ʓ²ÆŶÆÃȱ¸Æöµ²¿Ä½ʓ¹ºÄÅÀºÃ¶ʂº½¶ÄŲ´Å¶Æöž뿶

l’action. Cet aspect distingue la bande dessinée de tout autre support journalistique, écrit ou audiovisuel.

Traditionnelle-¾¶¿Åʁ½¶»ÀÆÿ²½ºÄŶÄʓ¶Ȯ²´¶µ¶ÃúëöĶľÀÅÄʂĶÄÀÁº¿ºÀ¿Ä ne doivent en aucun cas interférer avec son travail. Dans Go-razde ou Chroniques de Jérusalem, la sacrosainte « objectivi-té journalistique » est remise explicitement en question. Ce concept phare du journalisme traditionnel se fond sur l’idée que les faits doivent être relayés de façon neutre, sans juge-ment quelconque de la part du journaliste. Cette notion pré-vaut aujourd’hui dans le monde de la presse et de l’actualité en continu.

« Quand nous disons "objectivement", entendons par-là, sur le Á½²¿ÁòźÂƶÀŁÄ¶ÄºÅƶ½ʓº¿·Àþ²ÅºÀ¿ʁÂƶ½¶ÃìĺµÆÄƳ»¶´Åº·

de toute relation — qui n’est ici qu’un témoignage — sera réduit ÌIJÁ½ÆÄĺ¾Á½¶¶ÉÁöÄĺÀ¿ì´ÃºÅ¶ʁÁ²ÃÆ¿¶ȮÀÃŵ콺³ìÃì¶Å´À¾-pétent. » 6

Tout en défendant ce principe, le professeur de journalisme Roger Clausse doit avouer dans son essai que l’idéal d’objec-tivité repose toujours sur une expression et un travail sub-jectif, même si celui-ci doit être « réduit à sa plus simple ex-pression écrite ». Mais dans ce cas-là, peut-on toujours parler d’objectivité ?

6. CLAUSSE, Roger, op. cit., p. 28.

51

Extrait de Chroniques de Jérusalem de Guy Delisle (p. 268)

Ex tra it d e Ch ro niq ues d e Jé ru sa lem de G uy D eli sle ( p. 2 69 )

L’auteur, dessinateur et journaliste Joe Sacco se situe à l’op-posé de cette école de pensée. Il est partisan de la « subjec-tivité assumée » et revendique la présence du reporter dans l’histoire, en se représentant lui-même dans ses habits de

»ÀÆÿ²½ºÄŶʇ½¿¶Äʓ¶Ȯ²´¶Á²Äʂ²Æ´À¿ÅòºÃ¶ʁº½´¹¶Ã´¹¶Æ¿¶

solidarité complice avec ses lecteurs. Sacco est parmi les pre-miers à sortir des sentiers battus du reportage traditionnel et à proposer un journalisme « subjectif, mais honnête ».

« Je suis sceptique quant au concept de "journalisme objectif".

Je crois qu’une personne extérieure aborde toujours un sujet avec ses propres préjugés. En me mettant en scène, je dévoile ce grand "secret" aux lecteurs. »7

Cette forme de journalisme subjectif laisse entendre la voix µÆöÁÀÃŶöſÀÆÄ·²ºÅÃìȷì´¹ºÃÂƲ¿Å̽²µìȱ¿ºÅºÀ¿¾í¾¶

d’objectivité. De nos jours, on demande aux journalistes de montrer les faits sans jugements de valeur de leur part. Or, lorsqu’une personne décide de décrire les faits d’une certaine façon plutôt que d’une autre, ce choix relève de sa propre vo-lonté subjective.8 La place de l’individu dans le processus de production de l’information est un élément central du repor-tage dessiné. Le regard du journaliste n’est pas neutre.

Le reportage redevient petit à petit humain par le biais du dessin. Ces ouvrages réinventent le journalisme et y ap-portent « un sens critique et des qualités subjectives qui les placent en position de témoignage durable et crédible »9, ve-nant remettre en question les images et les informations mé-diatiques « pseudo-objectives ».

7. MERCIER, Jean-Pierre. « Entretien avec Joe Sacco », Neuvième Art 2.0, janv. 2002 [en ligne

— consulté le 28 août 2020].

8. LEMIEUX, Cyril (dir.). La subjectivité journalistique. Onze leçons sur le rôle de l’individua-lité dans la production de l’information, Éditions de l’EHESS, Paris, 2010.

9. MENU, Jean-Christophe. « L’Association et le reportage », Neuvième Art 2.0, n° 7, janv.

2002, pp. 61-64 [en ligne — consulté le 1er sept. 2020].

Le trait aide le reporter dans cette quête d’honnêteté jour-nalistique. En dessinant, l’auteur nous fait part de sa vision personnelle du monde. Dessiner, c’est interpréter ce qui nous entoure.

« L’interprétation graphique constante de la bande dessinée ÀȮöʁ´À¾¾¶Ä²¿Ä¶ȮÀÃÅʁ½²¾²Åºëö¾í¾¶ÁÀÆÃÂƶÄʓìÁ²¿ÀƺÄĶ

cette distanciation rapprochée qui convient bien à l’esthétique du nouveau journalisme en général et à celle du BD reportage en particulier. "Distanciation" parce que le dessin est toujours déjà une interprétation du monde. "Rapprochée" parce que la saisie de ce monde par l’interprétation graphique favorise sans doute la proximité avec celui-ci. »10

Ce médium unique permet ainsi au lecteur d’accéder à un univers particulier, de comprendre le monde à travers les yeux d’une autre personne. Le processus de réalisation d’une bande dessinée étant assez long, l’auteur a le temps d’inté-grer dans son récit tous les détails qu’il juge nécessaires.

Pendant son travail de recherche, il doit s’imprégner du sujet

²ȱ¿µ¶Åò¿Ä¾¶ÅÅö½¶Á½ÆÄ´½²ºÃ¶¾¶¿ÅÁÀÄĺ³½¶½¶Ä¹ºÄÅÀºÃ¶Ä dont il est témoin. Cette connexion avec le lecteur est évi-dente selon Wendy MacNaughton, illustratrice et journaliste pour le New York Times.

« The hand-drawn image hooks our eyes and slows us down. We recognize it as being made by another human, and we connect in a way that I don’t think we do with any other medium. »11

Selon Laurent Gerbier, la bande dessinée du réel peut ain-si être conain-sidérée comme « le quatrième grand mouvement

10. MARION, Philippe, op. cit., p. 5.

11. « L’image dessinée à la main accroche nos yeux et nous ralentit. Nous reconnaissons qu’elle a été créée par un autre être humain, nous nous connectons avec elle d’une ma-nière unique, comparable à aucun autre médium. » Citation de Wendy MacNaughton, il-lustratrice et journaliste pour le New York Times, dans HODARA, Susan. « Graphic Jour-nalism », Communication Arts, 2020 [en ligne — consulté le 4 sept. 2020].

µ¶ ö¿ÀÆǶ½½¶¾¶¿Å ¶Å µ¶ öµìȱ¿ºÅºÀ¿ ·Àþ¶½½¶ µ¶ ½² ³²¿µ¶

dessinée depuis les années 1960 », après la bande dessinée satirique, politique et contestataire. La « BD » documentaire est vue comme la « ligne de front » ou de renouvellement qui caractérise l’univers illustré des années 2000 – 2010.12

Le reportage dessiné cherche ainsi à emprunter des che-mins non conventionnels ; le format long qui caractérise ces IJÆÇöĺ¿µÆºÅʠƿòÁÁÀÃŲÆŶ¾ÁĵºȮìö¿Å¶ÅʁÁ¶ÆÅʉíÅöʁ Æ¿¶²ÅŶ¿ÅºÀ¿µºȮìö¿Å¶µÆ½¶´Å¶ÆÃʡ13. Pour cette raison, la bande dessinée de reportage est très souvent comparée au courant du journalisme littéraire. Grâce à la nature de son instrument, l’artiste auteur est libre de choisir le rythme de sa narration, de focaliser l’attention sur un détail particulier, d’enchaîner plus ou moins vite des scènes et de superposer µ¶ÄĺÅƲźÀ¿ÄµºȮìö¿Å¶Äʇ

De plus, il est intéressant de prendre en considération la place des couleurs dans les romans graphiques de reportage.

Comme on peut le voir dans les œuvres de Sacco, de Delisle, de Satrapi, de Davodeau, de Zerocalcare ou de Toulmé, les bédéastes ont souvent recours au noir et blanc ou à une bi-chromie très sobre.14 Cette caractéristique graphique rap-pelle très clairement l’intérieur des romans « classiques », créant ainsi une analogie entre écriture et dessin. Ces attri-buts permettent d’assimiler ce genre hybride et « nouveau » comme une pratique littéraire. Selon certains chercheurs et historiens, la reprise de codes propres à la littérature, tels que l’emploi du noir et blanc, la division en chapitres ou

en-

´Àö´¶ÅŶŶ¾ÁÀò½ºÅììŶ¿µÆ¶ʁ½ì¸ºÅº¾¶¶Å²ÆŹ¶¿Åºȱ¶½¶µºÄ-ϿЀʇ ʁ²Æö¿Åʇʠ²³²¿µ¶µ¶Äĺ¿ì¶µÆÃ춽¶Å½²ÁÀì嶵¶½²¿À¿ʉȱ´ÅºÀ¿ʡʁ Quin-zaines, n° 1210, mars 2019 [en ligne — consulté le 5 sept. 2020].

13. DABITCH, Christophe. « Reportage et bande dessinée ». Hermès, La Revue, n° 54, 2009, p. 94 [en ligne — consulté le 4 sept. 2020].

14. DUFOUR, Octave, op. cit., p. 170.

cours porté par ces auteurs.15 Il est cependant important de noter que les codes empruntés au genre littéraire ne doivent pas nécessairement être présents pour qu’une bande dessi-née de reportage soit « légitime ».

La bande dessinée étant souvent comparée à la littérature jeunesse, ce rapprochement avec la littérature générale semble être source de légitimation pour un genre déjà bien ancré non seulement au niveau éditorial, mais aussi au ni-veau académique et culturel. Grâce au travail théorique d’historiens et d’experts de la bande dessinée, on assiste de-puis les années 1990 à une « évolution des mentalités », selon Benoît Peeters. Dans les années 1970, la « BD » n’était abor-dée que comme « épiphénomène sociologique »16 ou encore comme « simple expression de la culture populaire ». Son statut culturel a évolué dans le temps et ne cesse de gagner du terrain dans le panorama éditorial français.

« Tous ceux qui se disent lassés par le nombrilisme du roman français découvriraient [dans la bande dessinée] un monde par-mi les plus vivants de la création contemporaine. »17

15. Voir BOURDIEU, Séverine, op. cit. ; DUFOUR, Octave, op. cit., p. 184 ; MARION, Philippe, op. cit.

16. Le terme épiphénomène désigne un phénomène secondaire qui ne peut contribuer ni à l’apparition ni au développement d’un phénomène essentiel.

Source : CNRTL, www.cnrtl.fr

17. PEETERS, Benoît. « Entretien avec Benoît Peeters », Books Hors-série, n° 2, Paris, mars 2010.

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Extrait de Kobané Calling de Zerocalcare (p. 146) Ex tra it d e Kob an é C all in g de Z ero ca lca re ( p. 1 47)

Vers de nouveaux publics

Depuis quelques décennies, la presse écrite traverse une crise économique sans précédent. Le 7 février 2019, le quotidien communiste L’Humanité, fondé en 1904 par Jean Jaurès, est placé en redressement judiciaire.18 La liberté d’expression et la pluralité de points de vue dans les médias actuels sont menacées par la multiplication des fake news, Âƺ ¶¿ÅòĄ¿¶¿Å 츲½¶¾¶¿Å Æ¿¶ ´ÃºÄ¶ µ¶ ´À¿ȱ²¿´¶ µÆ ÁƳ½º´

dans l’information.

ʠ¶Á½ÆĶ¿Á½Æĵ¶¸¶¿ÄÁÃì·ëö¿Å¶¿¶Ȯ¶ÅĶȱ¶Ã̵¶Ä¾¶¿-ÄÀ¿¸¶Ä ì¹À¿ÅìÄ ÀÆ Ì µ¶Ä ·²ºÅÄ ·²½ÄºȱìÄ Âƺ ÄÀ¿Å ¶¿ ´À¹ìö¿´¶

avec leurs opinions, plutôt que de s’informer sur une vérité qui les dérange. »19

Tout cela n’est pas nouveau. Depuis la Libération, « le nombre de titres a été divisé par trois et le tirage global a chuté de ЅЃѽʡʇ²¾Àµºȱ´²ÅºÀ¿µ¶Ä¹²³ºÅƵ¶Äµ¶½¶´ÅÆö¶Å½¶³Àƽ¶-versement du modèle économique avec l’arrivée d’Internet et des réseaux sociaux ont contribué à l’appauvrissement de l’information. Depuis 2009, le secteur a perdu un tiers de ses

¶Ȯ¶´Åº·Äʁµ²¿ÄÆ¿Á²ÊÄÀŁ½²ÅòµºÅºÀ¿µ¶½¶´ÅÆöµ¶½²ÁöÄĶ

peinait déjà à s’imposer.20

Comment sauver ce secteur ? Le reportage dessiné pourrait être une solution. Comme le souligne Séverine Bourdieu,

« l’intérêt commercial que représente l’association [du re-portage] avec la bande dessinée » est à la base de son succès auprès des lecteurs et des lectrices.21 Ces derniers, souvent

18. AFP. « L’Humanité placé en redressement judiciaire avec poursuite d’activité », Le Monde, 7 févr. 2019 [en ligne — consulté le 15 sept. 2020].

19. Éditorial du Monde. « Les maux inquiétants de la presse », Le Monde, 30 janv. 2019 [en ligne — consulté le 15 sept. 2020].

20. Ibid.

21. BOURDIEU, Séverine, op. cit.

déçus par la production rapide et éphémère de l’actualité, retrouvent dans la bande dessinée de reportage cette tem-poralité ancrée sur le long terme et un accès à l’information µºȮìö¿Åʇ

Ãδ¶ ²ÆÉ ÃÀ¾²¿Ä ¸Ã²Á¹ºÂƶÄʁ ½¶Ä ²ÃźÄÅ¶Ä ³ì¿ìȱ´º¶¿Å µ² -vantage d’espace pour s’exprimer. Pour Moïse Kissous, pré-sident du groupe de bande dessinée, livres jeunesse et man-gas Steinkis, la « BD » du réel, qui explore des sujets très variés, a attiré un nouveau public, « plus féminin »22. D’après le SNE, 38 % des romans graphiques sont lus par des femmes de plus de 18 ans.23 Lors des rentrées littéraires de ces der-nières années, on a pu constater par ailleurs une augmenta-tion de livres traitant de sujets féministes, sans doute liée à la libération de la parole des femmes initiée par le mouve-ment #MeToo. On peut, par exemple, citer Radium Girls de Cy (Glénat, 2020), Féministes : récits militants sur la cause des femmes (collectif, Vide Cocagne, 2018), Culottées de Pénélope Bagieu (Gallimard jeunesse, 2016), Les Crocodiles de Thomas Mathieu (Le Lombard, 2014) ou Ainsi soit Benoîte Groult, de Catel (Grasset, 2013).

Loin de viser un groupe socioculturel très précis, la bande dessinée de reportage rend possible un dialogue entre

dif-·ìö¿Å¶Ä ¸ì¿ìòźÀ¿Äʇ ʓ¶ÄÅ ´¶ ÂÆʓ²Ȳþ¶¿Å ¹º½ºÁÁ¶ À½½º¿

(scénariste) et Sébastien Goethals (dessinateur), auteurs de La Patrie des frères Werner (Futuropolis, 2020). Lors des séances de dédicace pour leur premier album, Le voyage de Marcel GrobʯºµʇʁЀϾϿІʰʁµ¶Ä½¶´Å¶ÆÃĵʓÆ¿´¶ÃŲº¿Î¸¶´À¿ȱ¶¿Å à Collin qu’il s’agit de la première « BD » qu’ils lisent.

22. RICHEBOIS, Véronique. « Le succès insolent de la BD sur un marché de l’édition languis-sant », Les Échos, 11 sept. 2019 [en ligne — consulté le 2 oct. 2020].

23. SNE, Institut GFK. La Bande dessinée, variété et richesse, 1er juill. 2019 [en ligne — consulté le 2 oct. 2020].

« Des dames venaient en librairie après avoir entendu parler de notre ouvrage sur France Inter. Elles ne savaient pas qu’il s’agissait d’une bande dessinée, mais elles l’achetaient quand même. Pour certaines, c’était la première BD qu’elles ache-Ųº¶¿Åʇʯʈʰʓ¶ÄÅÆ¿¾Àʶ¿µ¶µºȮÆĺÀ¿´Æ½ÅÆö½½¶ʁ»¶¿¶ÇÀºÄÁ²Ä

´¶ÂÆʓº½Ê²µʓ²ÆÅö²Æ»ÀÆõʓ¹ÆºÂƺÀȮöè²ʇʡ24

Cet échange intergénérationnel serait intrinsèquement lié à la nature hybride du médium et du genre, qui permet d’as-socier le dessin, pratique artistique généralement appréciée par les plus jeunes, à un récit documenté. Cet amalgame ren-drait possible, selon Goethals et Collin, le dialogue avec n’im-porte quelle catégorie socioculturelle.

Les créateurs de bande dessinée qui ont choisi de se lancer µ²¿Ä½²¿À¿ʉȱ´ÅºÀ¿¶Å½¶Ã¶ÁÀÃŲ¸¶À¿ÅÄÀÆǶ¿Åö´ÀÆÃÄ̵¶Ä Ŷ´¹¿ºÂƶIJÃźÄźÂƶÄÅÃëÄÁ²Ãź´Æ½ºëöĶŴÀ¾Á½¶É¶Äʁ²ȱ¿

d’appréhender de la meilleure façon possible la réalité. L’art

¸Ã²Á¹ºÂƶÄʓ²ÁÁÃÀÁú¶²º¿Äºµ¶ÄÂƶÄźÀ¿ÄÄ´º¶¿ÅºȱÂƶÄʁ¹ºÄ-toriques et géopolitiques, faisant preuve d’un certain « poly-glottisme visuel » 25.

Ce ne sont toutefois pas seulement les lecteurs qui changent leurs habitudes de lecture. Beaucoup de bédéistes connus pour leurs œuvres documentaires ont également dédié une Á²Ãź¶µ¶½¶ÆÃǺ¶ÁÃÀ·¶ÄĺÀ¿¿¶½½¶Ì½²´Ãì²ÅºÀ¿µ¶Ãì´ºÅÄȱ´ -tifs. Dans un entretien avec l’auteur Étienne Davodeau, l’his-torien Thierry Groensteen pose au dessinateur la question ÄƺDz¿Å¶ʃʠÀÄÁö¾º¶ÃĽºÇöÄìŲº¶¿Åµ¶Äȱ´ÅºÀ¿Äʁ¶ÅÌÁ²Ã -tir de Rural !ÇÀÆIJǶ˲½Å¶Ã¿ì½¶Äȱ´ÅºÀ¿Ä²Ç¶´µ¶ÄIJÆÇÃ¶Ä µ¶¿À¿ʉȱ´ÅºÀ¿ʇʯʈʰ½Ä¶¾³½¶Âƶ´¶Äµ¶Ã¿ºëöIJº¶¿ÅÁúĽʓ²Ä -cendant. Comment expliquez-vous cette évolution dans votre

24. Propos tirés de la rencontre « L’histoire de la guerre froide en BD. Europe et idéologie », avec Philippe Collin et Sébastien Goethals, auteurs de La Patrie des frères Werner (Futu-ropolis, 2020) lors des Bibliothèques Idéales à Strasbourg, le 4 septembre 2020.

ЀЃʇ ʁ²Æö¿Åʇʠ²³²¿µ¶µ¶Äĺ¿ì¶µÆÃ춽¶Å½²ÁÀì嶵¶½²¿À¿ʉȱ´ÅºÀ¿ʡʁop. cit.

travail ? » 26 Davodeau explique les motivations qui l’on pous-sé à prendre cette direction. Ses anciens travaux étaient déjà imprégnés de situations tirées de son expérience personnelle.

De plus, l’auteur était fasciné par les œuvres de Jean Teulé, de Jean-Christophe Menu et de Blutch ; cette envie d’écrire de choses réelles le suivait depuis longtemps. L’idée d’un projet autour de la guerre en Algérie l’a stimulé et lui a donné le

¸ÀŃÅÁÀÆý²¿À¿ʉȱ´ÅºÀ¿ʇ

Davodeau n’est pas le seul. Guy Delisle a lui aussi commencé IJ´²Ãúëöµ²¿Ä½¶¸¶¿Ã¶µ¶½²ȱ´ÅºÀ¿¶ÅµÆµ¶Äĺ¿²¿º¾ìʁ avec, par exemple, une série en trois tomes, moins connue que ses autres bandes dessinées, intitulée Inspecteur Mo-roni (Dargaud, 2001 – 2004), qui raconte les aventures d’un inspecteur névrotique et psychorigide et de son chien par-lant. Fabien Toulmé, quant à lui, écrit en 2017 Les Deux vies de Baudouin (Delcourt), l’histoire d’un trentenaire qui redé-couvre le sens de la vie après l’apparition d’une tumeur ma-ligne qui ne lui laisse plus que quelques mois à vivre. L’auteur de Le Photographe, Emmanuel Guibert, est également salué par la critique pour ses personnages comme Ariol 27, Sardine et P’tit Lulu 28.

Le fait que ces auteurs aient un pied dans le monde de la ȱ´ÅºÀ¿¿ʓ¶ÄÅÁ²ÄìÅÀ¿¿²¿Åʇ¿¶Ȯ¶Åʁ´¶½²¾À¿ÅöÌÂƶ½ÁÀº¿Å non seulement le lectorat, mais aussi les auteurs de « BD » documentaires ne réduisent pas leur champ de création ; au

´À¿ÅòºÃ¶ʁº½Ä¶ÉÁ½Àö¿ÅµºȮìö¿ÅÄÆ¿ºÇ¶ÃÄ¿²Ãòź·Äʁ´À¿Åú-³Æ²¿Å²º¿ÄºÌö¿µÃ¶½ʓÀȮö´Æ½ÅÆö½½¶¶Å²ÃźÄźÂƶÁ½ÆÄú´¹¶ʇ

26. GROENSTEEN, Thierry. « Entretien avec Étienne Davodeau », Neuvième Art 2.0, sept.

2016 [en ligne — consulté le 10 sept 2020].

27. GUIBERT, E., BOUTAVANT, M. Ariol, Bayard BD, Paris, 1999-2020.

28. GUIBERT, E., SAPIN, M., SFAR, J. Sardine de l’espace, Bayard, Paris, 2002-2005 ; Dargaud, Paris, 2007-2020.

* * *

La bande dessinée de reportage est un genre littéraire, ar-tistique et journalistique à part entière. Ce médium pousse

½¶½¶´Å¶ÆÃ̲½½¶Ã²Æʉµ¶½Ìµ¶´¶Âƺ¶ÄÅì´ÃºÅʁ¶¿Ã¶µìȱ¿ºÄIJ¿Å ainsi les frontières de la narration et du reportage.

« La presse, en quête de nouvelles manières de témoigner, com-mence à percevoir l’intérêt de la bande dessinée, capable

d’ame- ¿¶Ã½¶½¶´Å¶Æõ²¿Äµ¶Ä½º¶ÆÉÀŁº½¿¶Ä¶Ã²ºÅ»²¾²ºÄ²½½ìʇ½ʓ²Ç¶-nir, dans les journaux, sur le web ou en télévision, le dessin nous aidera de plus en plus à raconter le monde. » 29

Sous cette étiquette, toutefois, se cache un environnement graphique très divers. Dans le prochain chapitre, je me

pen-´¹¶Ã²º ÄÆà ½¶Ä µìȱ¿ºÅºÀ¿Ä µ¶ ³²¿µ¶ µ¶Äĺ¿ì¶ µ¶ öÁÀÃŲ¸¶

documentaire et de reportage en bande dessinée. À titre de comparaison, je dresserai un parallèle entre deux romans

¸Ã²Á¹ºÂƶÄʁÅÃëĵºȮìö¿ÅIJÆÄĺ³º¶¿µÆÁÀº¿Åµ¶Çƶµ¶½² forme que du contenu.

29. CHAPATTE, Patrick, op. cit.

Fabien Toulmé Entretien avec Cyril Collot pour Euronews en octobre 2020

« Avec un crayon et un papier, on est quand même capable de faire passer des messages.

En cela, la BD a un pouvoir énorme : collecter des histoires et des témoignages

pour retranscrire des destins fantastiques. »

Chapitre 3

Dans le document L information par la bande dessinée (Page 24-33)

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