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Silvio Guindani

Le Rapport sur l’intégration du Conseil fédéral ne veut pas trop heurter les sensibilités des eurosceptiques en Suisse, surtout dans des domaines sensibles comme ceux de l’identité, de l’indépendance du pays, du fédéralisme et des droits populaires. On peut ainsi diffi-cilement critiquer un texte qui tend à nuancer les conséquences so-cio-économiques et culturelles du processus d’intégration euro-péenne pour notre pays. Pour cette raison, dans le domaine du fédé-ralisme et de la régionalisation en Suisse, nous avons choisi les thè-ses un peu provocatrices de François Cherix et du parti politique vaudois “Renaissance Suisse-Europe” en général. Pas d’ouverture extérieure sans ouverture interne ! Pas d’adhésion à l’Union euro-péenne sans un renouveau de la Suisse !

“Comment élargir les horizons, alors que cultures et médias, social et santé, administration et législations, justice et enseignement s’arrêtent aux frontières étroites de cantons encore parfaitement cloisonnés? […]

À terme, on pourrait voir la Suisse se redécouper en cinq ou six grandes régions, dans un esprit d’ouverture intérieure qui ne menacerait en rien les identités locales, culturelles, linguistiques.” 1

Territoires et frontières

“Il n’y a pas lieu de s’attendre à une régionalisation accrue de la Suisse après son adhésion à l’UE. Notre culture politique est déterminée par l’appartenance cantonale et elle le reste. En Suisse, la coopération ré-gionale existe là où cela paraît utile. Cependant les régions frontalières ont toujours eu une situation particulière. Compte tenu de leur situation exposée, il est manifeste qu’elles ont besoin de coopérer avec l’étranger.” 1

1 François CHERIX, Le temps d’oser la Suisse: un regard prospectif, Bernex-Genève, Jouvence Editions, 1998.

Restructuration politique interne: démocratie directe, cantons, régio-nalisme

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“La régionalisation n’est pas un concept tombé du ciel, mais une réalité en marche, y compris en Suisse. Dans leur quotidien, les individus ont déjà effacé les frontières cantonales. Pour un nombre grandissant de familles, travailler dans un canton, avoir un enfant qui étudie dans un autre et résider dans un troisième est une situation banale. Quant aux entreprises, inutile de préciser qu’à l’heure de la mondialisation, elles circulent dans tout le pays. […] Tout indique que la taille des cantons n’est plus idéale pour leur permettre de remplir leurs missions présen-tes et futures. Vingt-six États minuscules, vingt-six gouvernements, vingt-six administrations complètes, vingt-six législations différentes, est-ce encore viable? N’y aurait-il pas mieux à faire avec le produit de l’impôt que d’entretenir à grands frais un tel morcellement? N’y a-t-il pas une fois encore une césure entre pays réel et pays institutionnel?” 2 L’hétérogénéité et l’ubiquité des frontières classiques est désor-mais une chose acquise: certaines réalités politiques, culturelles et socio-économiques ne coïncident plus du tout avec les frontières géographico-politico-administratives actuelles. En Suisse, ce phé-nomène revêt une importance particulière au niveau interne (can-tons, communes) mais aussi face à l’extérieur et ceci surtout à cause de l’émergence de l’Europe communautaire et de la coopération transfrontalière.

Coopération intercantonale, coopération transfrontalière et déficit démocratique

Face aux enjeux suisses et européens, des nouvelles alliances inter-cantonales à caractère sectoriel se dessinent; elles dépassent parfois des clivages économiques et linguistiques. On assiste aussi à des projets de création de “grandes régions” (Mittelland, bassin lémani-que, Suisse centrale, orientale, etc.), voire de fusions entre cantons (Vaud-Genève, Suisse centrale, etc.)

A ceci s’ajoutent les organisations régionales transfrontalières qui visent la promotion de la coopération transfrontalière, le déve-loppement commun de part et d’autre de la frontière: le Comité

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1 [Conseil fédéral], Rapport sur l’intégration 1999, chapitre III (332.03), “Régions en Suisse”, p. 322.

2 François CHERIX, Le temps d’oser la Suisse, pp. 34-35.

Le Rapport sur l’intégration 1999 du Conseil fédéral 32

franco-genevois par exemple, ou le Conseil du Léman, la Regio ba-siliensis ou encore la Regione Insubrica du Tessin.

Il est vrai que l’Union européenne ne peut en aucune manière imposer un certain type d’organisation interne à ses États membres (art. F du traité UE). L’adhésion à l’Union européenne a eu par contre un certain impact sur différents États fortement centralisés, la Grèce, par exemple. Ainsi, l’introduction de la nomenclature des unités territoriales statistiques (NUTS) a donné une impulsion au concept de structuration régionale.

“Cependant, la création de régions supracantonales en Suisse (par exemple le Mittelland ou l’Arc lémanique) ne dépendra très vraisem-blablement pas de l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne, mais plutôt d’une volonté politique interne.” 1

Face à l’accroissement de ces collaborations et à la mise en place notamment d’organismes nouveaux comme les conférences des chefs de départements cantonaux (éducation, justice et police, amé-nagement du territoire, etc.), le contrôle démocratique des processus de décision se pose de manière aiguë. Comme pour la coopération transfrontalière, la dynamique fonctionnelle et l’approche à géomé-trie variable au niveau intercantonal, voire intercommunal, échappe à la logique démocratique.

“Au plan intercantonal comme au plan transfrontalier, le développe-ment des coopérations génère automatiquedéveloppe-ment un déficit démocrati-que. Dès lors, deux attitudes sont possibles: soit on ne veut pas toucher aux structures et l’on déclare que c’est le prix à payer pour régionaliser;

soit on reforme les institutions pour les adapter aux nouvelles entités territoriales. […] La coopération transfrontalière a les mêmes caracté-ristiques que la coopération transcantonale: elle engendre un déficit démocratique si les institutions ne sont pas adaptées. Il faut donc ima-giner des solutions institutionnelles permettant d’instaurer une forme de démocratie transnationale.” 2

1 Roland BIEBER, Anne CORNU, “Rapports entre la Suisse et une Eu-rope des régions”, dans L’adhésion de la Suisse à l’Union européenne: en-jeux et conséquences, Thomas Cottier, Alwin Kopse (éds), Zurich, Schul-thess, 1998, p. 45.

2 François CHERIX, Le temps d’oser la Suisse, pp. 36-39.

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L’éventuelle participation des cantons au Comité des régions Vingt-six cantons suisses au Comité des régions? Comme d’autres régions européennes, les cantons suisses pourraient être représentés au Comité des régions. L’article 193 A du traité CE prévoit cepen-dant un nombre fixe de sièges pour chaque État membre: vingt-quatre pour les États les plus importants comme l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, et six pour le plus petit: le Luxembourg. Des pays comme le Danemark, la Finlande ou l’Irlande comptent neuf membres au sein du Comité des régions.

L’Autriche, les Pays-Bas et le Portugal ont douze représentants cha-cun dans ce Comité 1.

“En l’état actuel, la Suisse aurait très vraisemblablement douze mem-bres au Comité des régions. De ce fait tous les cantons ne pourraient pas y être représentés. En outre, parmi ces membres devraient également figurer des représentants des pouvoirs locaux. Ainsi, les cantons de-vraient se mettre d’accord sur un mode de désignation de leurs repré-sentants.” 2

Comment concilier alors la participation des vingt-six cantons et demi-cantons au sein des instances communautaires? Faut-il de toute façon les regrouper pour leur permettre d’être représentés à Bruxelles? Quels seront les critères qui permettront ces regroupe-ments? Comment exercer le contrôle démocratique de l’ensemble des cantons et demi-cantons dans le contexte du Comité des régions

?

1 Roland BIEBER, Anne CORNU, “Rapports”, p. 46.

2 Ibid.