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Le sentiment de stress professionnel : un processus cumulatif ?

Les facteurs de stress au travail

4. Le sentiment de stress professionnel : un processus cumulatif ?

Nous dépassons, ici, la simple analyse des liens bilaté-raux entre chaque composante du stress et la fréquence du sentiment de stress pour tenter d’identifier, le cas échéant, l’existence d’un processus cumulatif : si tel était le cas, on pourrait alors montrer que la fréquence du sen-timent de stress augmente à mesure que les facteurs de stress s’accumulent. À priori, ce mécanisme ne constitue en aucun cas une évidence. On pourrait, en effet, opposer à cette hypothèse cumulative un mécanisme dominé par une composante subjective individuelle telle qu’elle rende illisible tout processus un tant soit peu structuré.

G13. Fréquence du sentiment de stress professionnel et nombre de facteurs de stress

27 19

13 11 5 7 2

69

62

63

53

54 44

21 4

19 24

36 41

49

77

0%

20%

40%

60%

80%

100%

0 ou 1 2 3 4 5 6 ou 7 8 et +

Absence de stress stress occasionnel stress continuel ou fréquent

Source : Enquête sur le bien-être au travail au Luxembourg, Chambre des salariés, OGB-L et Ligue Luxembourgeoise d’Hygiène Mentale, 2010, collecte des données : TNS/ILRES, calculs : CEPS/INSTEAD.

Globalement, plus le nombre de facteurs de stress(32) augmente, plus la part de salariés jamais stressés et de salariés éprouvant occasionnellement du stress diminuent et plus celle des salariés éprouvant continuellement ou fréquemment un sentiment de stress augmente (cf. gra-phique 13). Ainsi, la part de salariés jamais stressés passe de 19% à 2% quand le nombre de facteurs de stress aug-mente de 2 à 8 et plus, contre 19% à 77% pour la part de salariés ressentant un stress fréquent ou continuel.

Pour progresser dans la compréhension des méca-nismes conduisant au sentiment de stress profession-nel, une analyse typologique a été réalisée de manière à voir comment s’articulent la fréquence ressentie du stress professionnel et les différents stimuli du stress.

En effet, une analyse typologique permet de constituer des groupes de salariés sur la base de leur proximité par rapport à l’ensemble des stimuli du stress. Des ana-lyses séparées ont été menées pour les salariés plutôt intellectuels, plutôt manuels et les fonctionnaires de manière à tenir compte de leurs spécificités. 6 groupes de salariés plutôt intellectuels ont, ainsi, été identifiés, 4 groupes de salariés plutôt manuels et 5 groupes de fonctionnaires (cf. tableau 3). Deux grandes conclusions peuvent être tirées de cette analyse.

D’une part, quelle que soit la profession, certains groupes de salariés rencontrent peu de facteurs de stress (il s’agit pour chaque type de profession des deux premiers groupes). Ces groupes ne sont caractérisés par aucun facteur de stress spécifique : les facteurs de stress cités divergent d’un salarié à l’autre. 54% des salariés plutôt intellectuels font partie de ces groupes, 69% des salariés plutôt manuels et 70%

des fonctionnaires. Dans ces groupes, les salariés jamais stressés ou les salariés éprou-vant occasionnellement du stress sont surreprésentés. À l’opposé, certains groupes de salariés citent de nombreux facteurs de stress (groupes 5 et 6 pour les salariés plutôt intel-lectuels, groupes 3 et 4 pour les manuels et groupes 4 et 5 pour les fonctionnaires). Parmi les facteurs cités, le harcèlement et les agressions le sont tout particulièrement. Ces groupes concernent 14% des salariés plutôt intellectuels, 31%

des salariés plutôt manuels et 23% des fonctionnaires.

Ces groupes sont marqués par une surreprésentation des salariés affirmant éprouver continuellement ou fré-quemment un sentiment de stress professionnel. Pour

Chapitre 2

les professions plutôt intellectuelles et pour les fonction-naires, il existe des groupes intermédiaires. Ces groupes intermédiaires se composent de deux groupes pour les professions plutôt intellectuelles (le groupe 3 et le groupe 4). Ces deux groupes se distinguent par les facteurs de stress cités (33). En effet, si les salariés du 3e groupe (soit 27% des salariés plutôt intellectuels) mentionnent princi-palement les reproches de l’entourage comme stimulus de stress, les salariés du 4e groupe (5% des professions plutôt intellectuelles) citent la pénibilité des conditions de travail (travail posté, risques de blessures…). Un seul groupe intermédiaire existe pour les fonctionnaires, le 3e groupe, qui représente 7% des fonctionnaires, les membres de ce groupe citent principalement comme sti-muli de stress la pénibilité des conditions de travail.

D’autre part, si la tendance générale est à l’existence d’un processus cumulatif (la fréquence du sentiment de stress croît à mesure que le nombre de stimuli aug-mente) des éléments viennent, toutefois, perturber cette tendance.

(33) La liste des stimuli de stress qui sont surreprésentés dans les différents groupes est présentée en annexe 2.

Premièrement, lorsque l’augmentation du nombre de sti-muli provient de stisti-muli relatifs à la difficulté des condi-tions de travail (ce qui est le cas pour les salariés plutôt intellectuels lors du passage du 3e au 4e groupe et pour les fonctionnaires lors du passage du 2e au 3e groupe), cette augmentation ne se traduit pas par une augmentation de la fréquence du sentiment de stress. Selon le concept des stratégies défensives de métier (Desjours, 1993), les sala-riés confrontés à des conditions de travail difficiles pré-fèrent nier ces conditions de façon à pouvoir les supporter.

Deuxièmement, lorsque de nombreux éléments favorables tenant à la gratification du travail, au rôle dans l’organisa-tion et au climat de travail sont réunis (ce qui est le cas lors du passage du 1er au 2e groupe pour les salariés plutôt manuels), ces éléments semblent limiter la fréquence du sentiment de stress. Ce dernier résultat suggère que les entreprises peuvent entreprendre des actions pour aider les salariés à mieux faire face aux situations de stress, notamment, en faisant émerger un bon climat de travail, en respectant les valeurs de la profession, en clarifiant les fonctions des salariés et en jouant sur les gratifications (monétaires et non monétaires).

Tableau 3. Caractérisation des groupes de salariés, issus de la typologie des facteurs de stress, par type de profession Groupe Part de chaque

groupe parmi le type de profession étudié

Nombre moyen de facteurs de stress

cités

Part des salariés éprouvant

continuel-lement ou fréquem-ment du stress

Part des salariés éprouvant occasion-nellement du stress

Part des sala-riés n’éprouvant jamais de stress Salariés exerçant une profession plutôt intellectuelle

G1 7% 2 19% 52% 29%

G2 47% 4 33% 59% 8%

G3 27% 7 57% 43% 0%

G4 5% 9 61% 28% 11%

G5 9% 11 87% 13% 0%

G6 5% 11 87% 13% 0%

Ensemble - - 48% 46% 6%

Salariés exerçant une profession plutôt manuelle

G1 16% 4 16% 35% 49%

G2 53% 4 24% 57% 19%

G3 22% 9 63% 32% 5%

G4 9% 11 77% 14% 9%

Ensemble - - 36% 44% 20%

Fonctionnaires

G1 47% 4 40% 44% 16%

G2 23% 4 25% 66% 9%

G3 7% 7 35% 55% 10%

G4 17% 8 59% 33% 8%

G5 6% 8 63% 37% 0%

Ensemble - - 41% 47% 12%

Source : Enquête sur le bien-être au travail au Luxembourg, Chambre des salariés, OGB-L et Ligue Luxembourgeoise d’Hygiène Mentale, 2010, collecte des données : TNS/ILRES, calculs : CEPS/INSTEAD.

Dans ce chapitre, nous avons mis en lumière que le sentiment de stress professionnel naît du déséquilibre entre les exigences auxquelles fait face un travailleur (maîtrise d’un outil de travail, délai, conditions de tra-vail …) et les ressources dont ils disposent. Lorsque les exigences excèdent les ressources, un sentiment de stress survient. Toutefois, selon la théorie, certains fac-teurs viennent moduler l’impact de ce déséquilibre sur le sentiment de stress. En effet, lorsque, par exemple, le travailleur dispose d’une grande latitude décision-nelle ou d’un support social, il aura moins tendance à être stressé. Les données de l’enquête ne couvrent, malheureusement, pas tout le champ des facteurs sus-ceptibles, d’après la théorie, d’être liés au stress pro-fessionnel puisqu’elle n’aborde que les exigences intrin-sèques à l’activité professionnelle. En outre, aucune information n’est disponible sur les capacités cognitives ou physiques du travailleur ainsi que sur l’autonomie et l’entraide dont il bénéficie. Malgré ces omissions, les données de l’enquête permettent de progresser dans la compréhension de la fréquence du sentiment de stress professionnel. Tout d’abord, il ressort de l’ana-lyse des liens bilatéraux entre les facteurs de stress et la fréquence du sentiment de stress que les entreprises ont une emprise sur les facteurs qui apparaissent les plus liés à la fréquence du stress à savoir la charge de travail, les agressions, le harcèlement hiérarchique, le conflit de rôle et la qualité de la communication. En revanche, les facteurs sur lesquels l’entreprise a peu ou pas d’emprise, car ils tiennent à la caractérisation d’une profession (travail de nuit, risques de blessures …) ne sont globalement pas liés à la fréquence du stress.

Cette absence de lien tient, toutefois, au fait que les salariés, conformément au concept de stratégies défen-sives de métier (Dejours, 1993), confrontés à des condi-tions de travail difficiles ou pénibles développent un faux sentiment de contrôle qui leur permet de supporter de telles conditions. Ensuite, l’étude révèle que la fré-quence de la sensation de stress obéit à un processus cumulatif : la fréquence du stress éprouvé croît à mesure que le nombre de facteurs de stress augmente. Deux éléments viennent, néanmoins, perturber cette ten-dance. D’une part, lorsque l’augmentation du nombre de facteurs de stress tient à la difficulté des conditions de travail, le processus cumulatif n’existe plus. D’autre part, la présence de facteurs très favorables, tels que la gratification du travail et l’absence de conflit et d’ambi-guïté de rôle, peut faire obstacle au processus cumulatif.

Chapitre 3

CHAPITRE 3

Sentiment de stress profesionnel